COM (2010) 525 final  du 29/09/2010
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 16/11/2011

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 08/10/2010
Examens : 29/09/2010 (commission des affaires européennes), 19/10/2010 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 648 (2010-2011) : voir le dossier legislatif


Économie, finances et fiscalité

Textes E 5694, E 5695, E 5696, E 5697, E 5698 et E 5741
Communication de MM. Pierre Bernard-Reymond et Richard Yung sur la gouvernance économique européenne

COM (2010) 522 final, COM (2010) 523 final, COM (2010) 524 final,
COM (2010) 525 final, COM (2010) 526 final et COM (2010) 527 final

(Réunion du 29 septembre 2010)

M. Pierre Bernard-Reymond :

Le système actuel de gouvernance économique en Europe souffre d'un certain nombre de lacunes, qui ont été mises en évidence à l'occasion de la crise ayant affecté la Grèce puis l'ensemble de la zone euro :

- les déséquilibres engendrés par la coexistence d'une politique monétaire unique conduite par la Banque centrale européenne et de politiques budgétaires qui demeurent la compétence des États membres. Il existe ainsi un fédéralisme monétaire sans fédéralisme budgétaire ;

- l'absence de système efficace de surveillance et d'alerte ;

- l'absence d'institutions permettant de réagir rapidement en cas de crise ;

- un système de sanctions peu dissuasif ;

- des institutions nombreuses, redondantes et inefficaces.

La réforme de la gouvernance économique européenne s'articule autour de deux grands axes : le renforcement de la surveillance budgétaire, à travers une réforme du Pacte de stabilité et de croissance, et une meilleure appréhension des divergences entre les économies des États membres, source de perte de compétitivité.

En ce qui concerne le Pacte de stabilité et de croissance, je rappelle que cet outil s'est révélé inadapté et que les sanctions qu'il prévoit n'ont jamais été appliquées. Je m'interroge sur la possibilité de rendre les critères du Pacte plus flexibles en cas de récession économique, plutôt que de conserver un dispositif rigoureux, mais qui sera nécessairement transgressé. De même, ne faudrait-il pas différencier, en fonction de la situation de chaque État membre, le rythme de retour à l'équilibre budgétaire ? Nous devons également nous interroger sur les procédures d'alerte à mettre en oeuvre.

Le système de sanctions pourrait prévoir des sanctions financières, par exemple la suspension du versement des fonds communautaires aux États membres qui persistent à ne pas respecter le Pacte, ou l'obligation de payer des amendes ou des pénalités, même si cette solution reviendrait à aggraver la situation d'États déjà fragilisés. Les sanctions pourraient également être non-financières et prendre la forme d'une suspension des droits de vote des impétrants. Je me demande toutefois s'il est opportun d'aller jusque-là.

Le semestre européen créera un cadre de coordination générale de la surveillance des États membres. Cette proposition de la Commission avait initialement suscité des réticences de la part de certains États membres, soucieux de la souveraineté budgétaire de leur parlement national. Nous pouvons nous interroger pour savoir si les modalités retenues seront suffisamment contraignantes. Par exemple, nous pourrions prévoir un dispositif de contrôle a posteriori de l'exécution des budgets annuels.

De même, faut-il ajouter d'autres critères au Pacte de stabilité ?

Je crois qu'il serait également opportun qu'un organisme indépendant du Conseil et de la Commission - ce pourrait être la Cour des comptes européenne, dont les compétences pourraient être renforcées - évalue les objectifs obtenus par les politiques publiques européennes.

Je propose également que l'avis des institutions communautaires sur les projets de budgets nationaux examinés dans le cadre du semestre européen soit intégré aux programmes de stabilité nationaux.

La surveillance des États membres ne doit pas seulement porter sur le solde budgétaire, mais également sur le niveau d'endettement. Cela pose aussi la question de l'introduction dans la Constitution de l'objectif d'équilibre budgétaire.

Enfin, les États membres devraient reprendre leurs négociations pour parvenir progressivement à une politique fiscale commune.

Le deuxième axe de la réforme de la gouvernance économique concerne l'analyse de la compétitivité et des divergences économiques des États membres. Cette analyse, me semble-t-il, devrait être menée par un observatoire de la compétitivité, qui serait indépendant de la Commission, et dont la renommée ferait de lui une référence.

La nouvelle stratégie Europe 2020, qui constitue le cadre dans lequel seront coordonnées les politiques économiques des États membres, risque d'avoir le même sort et les mêmes résultats que la stratégie de Lisbonne, en raison du peu de moyens qui lui sont alloués. A cet égard, je suis favorable au développement de politiques européennes intégrées, portant par exemple sur la recherche, et non pas seulement coordonnées.

Les objectifs de la BCE pourraient être également élargis et ne plus porter sur la seule recherche de la stabilité des prix.

A terme, il serait également souhaitable d'instituer un Fonds monétaire européen (FME) qui permettrait à l'Europe de gérer des crises. Je rappelle en effet que le Fonds de stabilisation financière, mis en place en mai dernier, et dont on peut penser qu'il préfigure ce FME, n'est que provisoire, pour une durée de trois ans.

L'Eurogroupe pourrait être également doté d'une certaine autonomie.

Nous devons également réfléchir au rythme optimal de la libéralisation, par exemple dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.

L'institution d'un Haut représentant en charge de l'économie européenne, sur le modèle de la Haute représentante pour les affaires étrangères, pourrait être étudiée.

D'une manière générale, il me semble que la révision des traités n'est pas une question taboue, l'histoire de la construction européenne étant jalonnée de plusieurs révisions des textes fondateurs.

M. Richard Yung :

J'ai été frappé, lors de la préparation du rapport, par l'importance prise par l'équilibre budgétaire qui apparaît comme un véritable dogme. Il me semble cependant que les États membres doivent faire l'objet d'une analyse économique d'ensemble prenant en compte leur politique d'investissement, leur effort de recherche-développement, et leur capacité à corriger plus ou moins rapidement les déséquilibres qui les affectent.

Comme mon collègue, je redoute la réédition du processus qui a conduit à l'échec de la stratégie de Lisbonne. Celle-ci affichait des objectifs extrêmement ambitieux, mais, faute de financements adéquats, et de mécanismes de gouvernance efficaces, elle en est restée à un catalogue de voeux pieux. Or, je crains que la stratégie Europe 2020 ne constitue pas une véritable stratégie économique à moyen terme pour l'Union européenne.

Je suis favorable au semestre européen dont le calendrier et les modalités permettront d'associer les parlements nationaux au renforcement de la surveillance des États membres.

Le Pacte de stabilité et de croissance souffre du primat accordé aux paramètres budgétaires. Son application comporte le risque d'une trop grande uniformisation, alors que la prise en compte d'autres critères économiques permettrait de différencier la mise en oeuvre des mesures de redressement selon les États membres.

La question des sanctions est rendue complexe par les obstacles juridiques que constituent certaines dispositions des traités. Il me semble paradoxal de vouloir imposer des sanctions financières à des États membres qui connaissent déjà des difficultés budgétaires.

L'institutionnalisation du Fonds de stabilisation financière pourrait permettre de créer un FME. Il faut toutefois reconnaître que l'Allemagne est hostile à cette solution, à moins qu'on ne lui donne d'importantes garanties pour l'amener à changer d'avis.

L'Allemagne n'est pas non plus favorable à la gestion commune de la dette souveraine, puisqu'elle bénéficie actuellement des meilleurs taux d'emprunt sur le marché pour financer sa dette. Certains économistes proposent de distinguer une « bonne dette » qu'ils appellent la « dette bleue », celle qui correspond au critère de 60 % du PIB, de la « mauvaise dette », ou « dette rouge », qui est supérieure à ce taux. La gestion des « dettes bleues » pourrait être mise en commun afin d'obtenir un taux de refinancement satisfaisant. Les « dettes rouges », en revanche, continueraient de rester de la compétence nationale.

En matière institutionnelle, nous devons réfléchir à la manière d'individualiser la responsabilité de la coordination au sein de la zone euro. Enfin, se doter d'une représentation économique et financière de l'Europe au niveau international, par exemple dans les sommets du G 20, permettrait de discuter directement avec les États-Unis.

Je suis également favorable au renforcement des politiques européennes intégrées dans des domaines d'avenir, tels que la recherche-développement, l'énergie ou les transports.

Mme Catherine Tasca :

L'imprévisibilité des marchés financiers, mise en évidence par Jean-Pierre Jouyet, au cours de son audition d'hier, m'a beaucoup inquiétée.

Votre proposition de moduler l'application du Pacte de stabilité et de croissance, en fonction de la conjoncture, est une idée séduisante, mais elle est contradictoire avec le souhait que vous exprimez de voir développer davantage de politiques intégrées, et non simplement coordonnées.

La ratification du traité de Lisbonne a été particulièrement difficile, mais nous constatons que son application ne règle pas tous les problèmes. Nous devons donc, dès à présent, nous interroger sur la manière de le faire évoluer.

Votre proposition d'instituer un Haut représentant en charge de l'économie et des finances est particulièrement ambitieuse, voire utopique. Du reste, la fonction de Haut représentant pour les affaires étrangères, même si elle doit poursuivre sa mise en place, n'est pas une réussite évidente. Je me demande si nous n'avons pas atteint les limites de la répartition des compétences entre commissaires.

M. Serge Lagauche :

La crise grecque a révélé l'existence de manipulations des statistiques, mais elle a aussi montré que nous les avions admises trop longtemps. L'opinion publique européenne ne perçoit plus les avantages que les États membres tirent à s'associer. Les divergences franco-allemandes actuelles révèlent aussi la montée des égoïsmes nationaux. La compétitivité est davantage recherchée dans le cadre national que dans celui de l'Europe. De ce point de vue, il me semble que les propositions des rapporteurs requièrent la loyauté dans les rapports entre États membres, alors que la méfiance me semble aujourd'hui s'imposer.

Mme Fabienne Keller :

J'ai été frappée, lors de la mission que j'ai effectuée sur la coopération transfrontalière, par la faible compétitivité de la France par rapport à celle de ses voisins. Les divergences économiques entre États membres sont aujourd'hui très importantes. Que l'on songe aux systèmes fiscaux. En outre, l'application de la règlementation communautaire est inégale selon les États membres. Il me semble donc que les conditions d'un consensus sur la politique économique à conduire en Europe ne sont pas réunies. Contrairement à ce qu'avaient imaginé les rédacteurs du traité de Maastricht, la monnaie n'a pas entraîné l'économie.

Je ne suis pas certaine que la solution proposée en matière de gestion commune des dettes souveraines, même s'il est nécessaire d'y réfléchir, soit pertinente. En effet, distinguer la « dette bleue » de la « dette rouge » reviendrait à créer des structures de défaisance qui isoleraient la mauvaise dette et risquerait d'entraîner une augmentation des taux d'intérêt pour tout le monde.

M. Jacques Blanc :

Il me semble que le développement des politiques intégrées ne peut emprunter que la voie des coopérations renforcées.

M. Pierre Fauchon :

Je suis pessimiste sur l'avenir de la construction européenne. On ne se donne plus les moyens de nos ambitions et on se contente de déclarations incantatoires.

M. Richard Yung :

L'institution d'un Haut représentant pour les affaires économiques et financières est une proposition optimiste.

Plusieurs États membres, dans le cadre d'une coopération renforcée, pourraient se mettre d'accord pour aller vers une fiscalité commune, celle des sociétés par exemple.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Je voudrais préciser une chose. La flexibilité dans l'application des critères de Maastricht que je propose n'aboutit pas à une diminution du niveau d'exigence. Ces critères continueraient d'être appliqués en cas de conjoncture haute. Ce n'est qu'en période de crise que l'on pourrait adapter ces critères plutôt que de les voir systématiquement transgressés.

Nous pouvons d'ores et déjà réfléchir aux dispositions du traité qui pourraient faire l'objet d'une révision, par exemple pour instaurer un mécanisme permanent de gestion des crises.

La nomination d'un Haut représentant pour l'économie de nationalité allemande serait de nature à rassurer nos voisins d'outre-Rhin. Cela constituerait pour eux une garantie forte en matière de vertu budgétaire et économique.

Il faudrait trouver une pratique permettant de passer de la coopération à l'intégration européenne en rassurant nos partenaires. Nous devrions également réfléchir à la manière de parvenir à une plus grande harmonisation européenne en matière fiscale.

Présentation du rapport d'information de
MM. Pierre Bernard-Reymond et Richard Yung
sur la gouvernance économique européenne

(Réunion du 19 octobre 2010)

M. Richard Yung :

Pierre Bernard-Reymond et moi-même vous avions présenté une communication sur les grandes orientations de notre rapport d'information lors de notre réunion du 29 septembre dernier. Depuis lors, nous avons mis au point nos propositions, que nous soumettons à votre appréciation, et qui sont les suivantes :

1. Prendre en compte, dans le Pacte de stabilité et de croissance, au-delà des seuls paramètres budgétaires, d'autres critères économiques pour appréhender la situation économique d'ensemble des États membres et mettre en oeuvre des mesures de redressement individualisées.

2. Moduler le retour à un déficit de 3 % du PIB selon la situation de chaque État membre et selon un calendrier approprié, fixé d'un commun accord entre la Commission européenne et l'État membre concerné.

3. Prévoir la possibilité d'adopter provisoirement des critères du Pacte moins contraignants en cas de conjoncture économique mondiale particulièrement dégradée afin de pouvoir conduire des politiques contracycliques. Il est préférable d'adapter les règles en cas de circonstances exceptionnelles plutôt que de les voir transgressées par quelques États membres.

4. Prendre en compte la distinction entre déficit structurel et déficit lié à l'investissement, l'innovation et la recherche.

5. Confier à un Observatoire de la compétitivité, organisme autonome de la Commission européenne, l'analyse de la compétitivité des États membres.

6. Faire figurer parmi les documents budgétaires transmis au Parlement les avis rendus par les différentes institutions communautaires sur les programmes de stabilité des États membres.

7. Débattre, dans le cadre du semestre européen, des résultats de l'exécution budgétaire des États membres.

8. Élargir les compétences de la Cour des comptes européenne, en lui confiant également l'évaluation des politiques publiques.

9. Prolonger le mandat du groupe de travail du Président du Conseil européen afin de recueillir des propositions relatives à la gouvernance économique européenne qui nécessitent de modifier les traités, en particulier l'instauration d'un dispositif pérenne de résolution des crises au sein de la zone euro, sous la forme d'un Fonds monétaire européen (FME).

10. Instaurer un « Haut Représentant à l'économie » sur le modèle du Haut Représentant pour la politique extérieure, qui assurerait la vice-présidence de la Commission européenne, la présidence du Conseil ECOFIN et celle de l'Eurogroupe et qui représenterait la zone euro dans les instances internationales.

11. Développer davantage de politiques publiques intégrées dans des domaines d'avenir tels que les technologies de l'information et de la communication, les biotechnologies, l'énergie, les transports, etc.

12. Explorer les voies d'une plus grande harmonisation de la politique fiscale en Europe ainsi que d'une meilleure convergence des politiques sociales.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Nos travaux se sont déroulés parallèlement à ceux qui sont conduits au niveau européen. Je rappelle que notre commission a tenu sa première réunion sur le sujet le 29 septembre dernier, soit le même jour que celui où la Commission européenne a présenté ses propositions législatives. Notre réunion d'aujourd'hui a lieu le lendemain de la dernière réunion du groupe de travail du Président Van Rompuy et de la déclaration franco-allemande, conclue à Deauville, sur le renforcement du gouvernement économique européen.

Le contexte de la réforme de la gouvernance économique est marqué, d'une part, par un consensus sur les lacunes du Pacte de stabilité et de croissance, tant de son volet préventif que de son volet correctif, et, d'autre part, par l'absence de dispositif de surveillance de la situation macroéconomique des Etats membres, qui n'a pas permis de prendre conscience suffisamment tôt de l'apparition d'importantes divergences en termes de compétitivité.

La Commission européenne et le groupe de travail du Président Van Rompuy sont entrés dans une compétition évidente en matière de propositions de réformes, ce qui est regrettable. J'observe toutefois que la déclaration franco-allemande d'hier confirme la prééminence des Etats membres par rapport à la Commission, qui est observable depuis plusieurs années.

Le point de désaccord porte essentiellement sur le degré d'automaticité des sanctions qui seront infligées aux Etats membres ne respectant pas les dispositions du Pacte. La Commission souhaite que ces sanctions soient immédiates et adoptées à la majorité qualifiée inversée, c'est-à-dire que le Conseil devrait réunir une majorité qualifiée pour ne pas les appliquer. En revanche, certains Etats membres, dont la France, sont favorables à la semi-automaticité des sanctions, qui permet de préserver le pouvoir d'appréciation du Conseil.

Je vais maintenant vous présenter les grandes lignes de l'accord auquel Angela Merkel et Nicolas Sarkozy sont parvenus hier.

En ce qui concerne les sanctions, la France et l'Allemagne souhaitent une gamme de sanctions plus large, progressivement applicable dans les volets préventif et correctif du Pacte. Ces sanctions doivent être plus automatiques, tout en respectant le rôle des différentes institutions et l'équilibre institutionnel :

- pour le volet préventif, le Conseil doit pouvoir décider, à la majorité qualifiée, d'imposer de manière progressive des sanctions sous la forme de dépôts portant intérêt lorsque la trajectoire de consolidation budgétaire d'un Etat membre dévie de manière particulièrement significative par rapport à la trajectoire d'ajustement prévue sur la base du Pacte ;

- pour le volet correctif, lorsque le Conseil décide d'ouvrir une procédure de déficit excessif, il devrait y avoir des sanctions automatiques dès lors que le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, décide qu'un Etat membre n'a pas pris les mesures correctrices nécessaires dans un délai de six mois.

Les dépôts rémunérés, dont le montant pourrait, comme le propose la Commission, s'établir à 0,2 % du PIB de l'Etat concerné, pourraient se transformer en dépôts non rémunérés si les déséquilibres persistent, voire en amendes si aucune mesure correctrice n'est prise.

En ce qui concerne la surveillance des déséquilibres macroéconomiques, le cas d'un Etat membre affecté d'un déséquilibre persistant et placé sous la surveillance du Conseil devrait être discuté au Conseil européen. Il s'agit d'instaurer un jugement par les pairs qui aurait essentiellement une portée dissuasive.

Ces dispositions concernent la réforme de la gouvernance économique à traité constant. Mais les dirigeants français et allemand sont également convenus, dans la déclaration sur laquelle ils se sont accordés à Deauville, de la nécessité de réviser le traité. A cette fin, ils ont évoqué la possibilité de demander au président du Conseil européen de présenter, en étroit contact avec les membres du Conseil européen, des actions concrètes permettant l'établissement d'un « mécanisme robuste de résolution des crises » avant la réunion de mars 2011.

Cette révision des traités serait limitée à deux points :

« l'établissement d'un mécanisme permanent et robuste pour assurer un traitement ordonné des crises dans le futur, comprenant les arrangements nécessaires pour une participation adéquate du secteur privé et permettant aux Etats membres de prendre des mesures coordonnées appropriées pour préserver la stabilité financière dans la zone euro ; »

- la suspension des droits de vote de l'Etat membre concerné, « dans le cas d'une violation grave des principes de base de l'Union économique et monétaire et suivant les procédures appropriées. »

La déclaration franco-allemande précise enfin que les amendements nécessaires à cette révision du traité devraient être adoptés et ratifiés par les Etats membres, en accord avec leurs règles constitutionnelles respectives, avant 2013. Concrètement, il semble que l'on envisage de procéder à la ratification de cette révision du traité via le prochain traité d'adhésion, celui de la Croatie.

M. Pierre Fauchon :

Je suis soulagé que la France et l'Allemagne aient pu parvenir à cet accord. J'étais pessimiste sur le couple franco-allemand. Je me félicite donc qu'il ait su se ressaisir. Il était indispensable de prendre des mesures pour avancer. C'est un enjeu vital pour l'Europe dans le contexte de la mondialisation. Il me semble inévitable que, avec l'élargissement des compétences européennes engagé depuis le traité de Maastricht avec la création des deuxième et troisième piliers, les chefs d'Etat et de gouvernement reprennent la main sur certains dossiers.

En ce qui concerne les sanctions, il me semble que nous ne devons pas verser dans le « fétichisme juridique ». L'Europe est en train d'évoluer profondément. Pour cette structure juridique en voie de construction, nous devons admettre des solutions transitoires qui peuvent paraître imparfaites, tant que l'Europe ne se sera pas dotée d'une véritable Constitution. De ce point de vue, des sanctions politiques, c'est-à-dire la suspension des droits de vote, auraient l'avantage de la clarté. Elles peuvent paraître choquantes sur le plan intellectuel, mais le système proposé revêt une logique profonde qui tient à la nécessité de respecter des règles communément édictées. En la matière, nécessité fait loi.

M. Robert Badinter :

L'accord conclu hier démontre une fois de plus que, sans entente franco-allemande, la construction européenne ne progresse pas.

L'histoire nous enseigne que les Etats, au sein des organisations internationales, se mettent généralement d'accord sur le plus petit dénominateur commun pour dégager un consensus. Seules des institutions communes, en particulier la Commission et le Parlement européen, ont permis de faire progresser l'Union européenne. Les choix effectués pour la désignation du président du Conseil européen et du Haut représentant ont bien montré que les Etats ne souhaitaient pas une trop grande affirmation des instances communes.

Jacques Delors avait évoqué, pour définir l'Union européenne, une fédération d'Etats-nations. Mais il s'agit d'une projection française, le concept d'Etat-nation étant très loin d'exister partout en Europe, comme le montre le cas de la Belgique ou de l'Italie. Il est très difficile de demander à des Etats membres de prendre des sanctions contre d'autres Etats membres. On le voit bien au Conseil de sécurité de l'ONU. C'est pourquoi le système de sanctions proposé me parait peu crédible et s'inscrit dans une vision technocratique, encore accentuée en ce qui concerne l'éventuelle suspension des droits de vote.

En revanche, je suis favorable à la conduite, dans les Etats membres, de contrôles plus fréquents et plus approfondis en amont. C'est pourquoi j'approuve votre proposition d'accroître les compétences de la Cour des comptes européennes et de lui confier des tâches d'évaluation.

M. Richard Yung :

Je partage assez largement votre point de vue. La tâche que la France et l'Allemagne entendent confier au Président Van Rompuy ne sera pas facile.

M. Pierre Fauchon :

Les Allemands sont particulièrement attachés au renforcement des sanctions. Il est possible que seuls quelques autres Etats membres partagent leur point de vue. J'y vois une opportunité pour développer des coopérations renforcées.

M. Richard Yung :

Le pouvoir au sein du système institutionnel européen a clairement basculé en direction du Conseil européen.

M. Pierre Fauchon :

C'était inévitable.

M. Jean Bizet :

Il est vrai que la dérive en faveur de la Commission commençait à devenir préoccupante. Ses propositions en matière de sanctions vont extrêmement loin et je considère que l'accord franco-allemand trouvé hier constitue un point d'équilibre. N'oublions pas que le gouvernement allemand a besoin de sécuriser sa position sur le Fonds de stabilisation financière par rapport à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Il est indispensable de trouver un équilibre sur la répartition des pouvoirs dans le système institutionnel. Nous constatons que les parlements nationaux, sur de nombreux sujets, sont incontournables.

M. Robert Badinter :

Rappelons-nous qui a choisi le président du Conseil européen ! Force est de constater que les gouvernants des Etats membres n'ont pas distingué les personnalités les plus marquées.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Il me semble que le système de sanctions retenu devrait avoir un vrai pouvoir dissuasif. Par ailleurs, Angela Merkel avait sans doute besoin de rentrer dans son pays avec un accord sur ce point.

*

A l'issue de ce débat, la Commission a autorisé la publication du rapport d'information.