COM (2011) 398 final  du 29/06/2011

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 08/07/2011
Examen : 06/07/2011 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet des propositions de résolution : n° 105 (2012-2013) : voir le dossier legislatif, n° 113 (2012-2013) : voir le dossier legislatif


Budget européen

Texte E 6401

Le futur cadre financier de l'Union (2014-2020)

COM (2011) 398 final

(Réunion du 6 juillet 2011)

Rapport d'information de M. François Marc

Le 29 juin 2011, la Commission européenne a publié ses propositions pour le prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne, ouvrant ainsi la grande négociation sur cet encadrement des budgets européens pour les années 2014 à 2020. Il s'agit du quatrième exercice de ce type depuis la création, en 1988, de ce qui s'appelait alors les perspectives financières.

Mais il s'agit d'une négociation exceptionnelle : elle sera la première à 27 États membres et elle intervient dans un contexte de crise économique et monétaire inédit pour l'Union européenne. Il n'est pas difficile de présager que ces circonstances vont rendre particulièrement difficile l'obtention de l'unanimité au Conseil, sans laquelle le cadre financier ne peut être adopté. Sans compter que, depuis Lisbonne, il faut obtenir avant l'accord du Parlement européen, lequel n'a pas attendu pour faire entendre sa voix sur ce dossier stratégique pour l'avenir de l'Union européenne.

En effet, le cadre financier pluriannuel représente un outil essentiel au service du projet européen, qui repose sur l'idée selon laquelle l'Union est bien plus que la somme de ses États membres. Les politiques financées par le budget européen doivent permettre de créer des biens publics propres à l'Union, dont les plus importants (la paix, la stabilité, la liberté, la libre circulation) sont sans doute les plus difficiles à chiffrer. L'objectif du budget européen est donc de créer cette valeur ajoutée européenne, grâce aux synergies et aux économies d'échelle qu'il permet de dégager. S'il est conçu dans cet esprit, le budget européen peut même contribuer à réduire les dépenses nationales.

Les États membres, à commencer par le nôtre, n'en semblent pas convaincus aujourd'hui. Il est d'ailleurs significatif que la Commission se soit engagée à lancer une analyse des coûts de la non-Europe pour les États membres ; cette analyse gagnerait à être prise en compte au cours du processus de négociation à venir !

Le ton a d'emblée été donné par la « lettre des cinq », adressée le 18 décembre 2010 à la Commission européenne par l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Finlande. Elle préconise que les crédits n'augmentent pas davantage que l'inflation durant la période couverte par le prochain cadre financier pluriannuel.

Sans doute faut-il relever que ne figurent pas, parmi ses signataires, plusieurs États contributeurs nets au budget européen, tels la Suède, le Danemark ou l'Autriche. Un gel du budget européen en termes réels n'est donc pas acquis. Néanmoins, la Commission est échaudée par l'expérience de 2004 : en décembre 2003, le « groupe des six » réunissant des pays contributeurs nets au budget européen avait également adressé une lettre au président de la Commission demandant la stabilisation des dépenses communautaires. La Commission s'en était affranchie et avait fait le choix de proposer un budget ambitieux, à hauteur de 1,26 % du RNB en moyenne sur la période 2006-2013, s'agissant des crédits d'engagement. Ce choix fut alors perçu comme une provocation par les États membres. Et l'accord final fut conclu au Conseil sur un budget à 1,048 % du RNB !

Soucieuse que sa proposition 2014-2020 ne soit pas elle aussi balayée d'emblée par des États membres particulièrement tendus, la Commission a néanmoins dû tenir compte de la position inverse adoptée par le Parlement européen.

Le 8 juin 2011, le Parlement européen a adopté le rapport de sa commission spéciale « sur les défis politiques et les ressources budgétaires pour une UE durable après 2013 » (SURE), qui préconise une augmentation d'au moins 5 % des ressources pour le prochain cadre financier pluriannuel. Selon le Parlement, porter ainsi les crédits d'engagement à 1,11 % du RNB de l'UE ne représenterait de toute façon qu'une contribution limitée pour atteindre les objectifs que l'UE s'est fixés. Le Parlement met au défi le Conseil de lui indiquer quels projets il entend sacrifier ! En retour, le Conseil fait valoir que la demande du Parlement européen d'augmenter de 5% les ressources, surtout en euros constants, n'est pas sérieusement documentée...

La Commission européenne, prise entre l'enclume et le marteau, a publié ses propositions jeudi dernier. Elle a habilement proposé une stabilisation à 1,05 % de la part des crédits d'engagements dans le RNB de l'UE, ce qui devrait représenter pour le Conseil un support valable de discussion. Mais elle a aussi montré qu'elle avait écouté le Parlement en proposant, en dehors du cadre financier pluriannuel, des enveloppes budgétaires complémentaires qui, ajoutées au cadre financier pluriannuel, portent en fait les crédits d'engagement à 1,11 % du RNB, soit le chiffre avancé par le Parlement européen !

Les pays contributeurs nets ne sont pas dupes et ont déjà réagi négativement à ce projet. La France a cependant adopté une position nuancée. Bien sûr, elle dénonce la réalité de la charge qui sera supportée par son budget national, charge cachée derrière le projet de la Commission présenté en euros constants (prix 2011). La France a ainsi calculé l'écart entre les plafonds de crédits de paiement 2014-2020 proposés par la Commission et convertis en euros courants, avec les sommes réellement dépensées dans le cadre financier 2007-2013 lui-même converti en euros courants. Résultat : selon la France, les crédits de paiement augmenteraient de 250 milliards d'euros, soit une hausse de 30 % d'un cadre financier à l'autre.

Mais, par ailleurs, la France n'a pas manqué de se féliciter : sa priorité politique, la politique agricole commune, a été sauvegardée. Le budget de la PAC et de la politique commune de la pêche est quasiment stabilisé en euros courants. La PAC reste clairement une grande politique de l'Union européenne, même si sa part relative recule encore dans le budget de l'Union. Elle sera complétée par deux nouveaux instruments hors du cadre financier pluriannuel : une réserve de 3,5 milliards d'euros pour réagir en urgence aux situations de crise et une nouvelle éligibilité des agriculteurs au Fonds européen d'ajustement à la mondialisation.

Dans le détail, la Commission propose de conserver la structure de la PAC en deux piliers mais avec plus de souplesse entre eux. Elle envisage, sans surprise, de verdir le premier pilier en subordonnant 30 % de l'aide directe à des exigences écologiques nouvelles. Elle entend aussi faire converger les niveaux des soutiens directs à l'hectare. Cette convergence sera financée par les États dont le niveau des paiements directs dépasse aujourd'hui la moyenne. Enfin, elle compte plafonner le niveau des paiements directs ; les économies ainsi dégagées resteraient dans les enveloppes nationales et seraient versées au second pilier. Ce pilier « développement rural », qui recevrait presque le quart des crédits PAC au lieu du cinquième aujourd'hui, sera plus orienté vers la compétitivité, l'innovation, la lutte contre le changement climatique et l'environnement. Le fonds européen agricole de développement rural (FEADER) intégrera un cadre stratégique commun, applicable à tous les fonds structurels, et donc sera lui aussi soumis à la même conditionnalité liée aux performances dans le cadre de la stratégie « Europe 2020 ».

Deuxième politique de l'UE justement, la politique de cohésion qui est en passe de devenir la première politique de l'UE : ses crédits dépassent tout juste le niveau de ceux de la PAC ! La Commission entend toujours mettre la priorité sur les régions les plus pauvres : ces régions de convergence mobiliseraient presque la moitié des crédits. Mais elle confirme son intention de créer une nouvelle catégorie de régions en transition, pour toutes les régions ayant un PIB entre 75 et 90 % de la moyenne : ces régions recevraient une aide d'une intensité égale aux deux tiers de celle destinée aux régions de convergence. Nous pouvons nous réjouir de la plus grande équité qui en résultera : nos régions françaises les plus en peine seraient dorénavant traitées de la même manière que des régions sortant de l'objectif convergence. Près de 39 milliards d'euros seraient alloués à ces régions, soit presque autant que l'aide consentie à l'ensemble des régions de compétitivité (53 milliards).

Le rôle du fonds social européen sera renforcé pour compléter les investissements en faveur de la croissance par des mesures pour l'emploi et la formation : une part minimale en faveur du FSE sera à prélever sur les fonds structurels, qui sera de 25 % pour les régions de convergence, 40 % pour les régions en transition et 52 % pour les régions de compétitivité.

Le fléchage des fonds sera assuré par la signature d'un contrat de partenariat avec chaque Etat membre, qui orientera le soutien financier vers quelques priorités désormais connues pour les régions de compétitivité et en transition : l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables, la compétitivité et l'innovation des PME. Deux types de conditionnalité sont introduites : l'une, sectorielle, sera établie ex ante dans chaque contrat, l'autre sera liée à la nouvelle gouvernance économique, ce qui donnera certainement lieu à débats. L'idée d'une réserve de performance allouée aux régions qui auront le plus progressé vers Europe 2020 est retenue et mobiliserait 5% du budget, ce qui n'est pas négligeable.

Enfin, la Commission propose, pour améliorer l'absorption des fonds, de limiter à 2,5% du PIB les transferts au titre de la cohésion : c'est une proposition opportune, que nous avions appelée de nos voeux pour éviter l'explosion des budgets de cohésion vers les nouveaux États membres.

En revanche, le silence de la Commission sur le cas des régions ultrapériphériques est inquiétant... Il nous faudra rester en alerte sur ce dossier où la France a peu d'alliés spontanés, car l'enjeu est grand pour l'outre-mer...

Si le budget de la cohésion l'emporte sur la PAC, c'est parce qu'en fait, à côté de la politique de cohésion qui se déploie dans les limites de chaque Etat et dont les crédits accusent une légère baisse, la Commission envisage d'identifier un nouveau fonds de 40 milliards d'euros pour l'interconnexion en Europe. Il s'agit d'une amorce de financement pour les « chaînons manquants » de projets paneuropéens reliant le centre à la périphérie, qu'il s'agisse des transports, des réseaux d'énergie ou de technologies de l'information, dont on estime les besoins cumulés à 1000 milliards d'euros d'ici 2020 !

Ces deux grandes politiques de l'UE, PAC et cohésion, continueront à concentrer 75 % des crédits d'engagement du cadre financier pluriannuel 2014-2020 que propose la Commission. C'est dire l'inertie du budget européen qui, avec le quart restant, doit financer des ambitions croissantes et des engagements multiples.

La Stratégie « Europe 2020 » d'abord : c'est dans la perspective de cette stratégie, arrêtée au printemps 2010, que l'ensemble du budget est conçu. La PAC et la politique de cohésion seront désormais axées sur cette stratégie globale. Mais, plus précisément, un des objectifs d'Europe 2020 est de porter à 3% du PIB les investissements en R&D. C'est dans cette perspective que la Commission propose un nouveau cadre stratégique commun pour la recherche, l'innovation et le développement technologique, dénommé « Horizon 2020 ». Il lui serait alloué 80 milliards d'euros (prix 2011) destinés aux grandes priorités : santé, sécurité alimentaire et bioéconomie, énergie, changement climatique. Il s'agit d'une augmentation considérable, pratiquement de moitié. Son opportunité est discutée par certains : la complexité de l'actuel PCRD décourage son utilisation si bien que ce programme n'a pas fait la preuve de son efficacité. C'est pourquoi la France estime qu'augmenter le budget de cette politique, surtout dans une telle proportion, avant de l'avoir profondément réformée n'est pas envisageable...

Deuxième impératif à financer : les nouvelles compétences de l'UE issues du traité de Lisbonne.

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, l'Union européenne dispose de compétences renforcées dans plusieurs domaines, principalement en matière de citoyenneté et de justice, et en matière d'action extérieure.

En ce qui concerne l'espace de liberté, de sécurité et de justice, le traité a élargi le champ de la coopération judiciaire en matière civile comme en matière pénale, renforcé les rôles d'Europol et d'Eurojust, et prévu la mise en place progressive d'un « système intégré de gestion des frontières extérieures ». L'actualité a souligné la nécessité de renforcer cette politique et de concevoir, au niveau communautaire, une politique d'immigration légale et d'intégration. Dans sa communication, la Commission n'évoque pourtant ni la question des Roms ni celle de l'accueil des émigrants des printemps arabes. Mais elle propose une hausse de ces crédits d'environ 20 %, ce qui représente une enveloppe encore modeste de 8,2 milliards d'euros (2011) sur 7 ans. Elle sera dorénavant répartie en seulement 2 fonds : l'un pour les migrations et l'asile, l'autre pour la sécurité intérieure. Un effort particulier sera par ailleurs consenti en matière de protection civile, afin de renforcer la réaction de l'UE face aux catastrophes.

Pour ce qui est de l'action extérieure de l'UE, le traité de Lisbonne a également approfondi la politique étrangère et de sécurité commune. La création du poste de Haut représentant de l'Union en est l'illustration la plus visible. Sa légitimité reste fragile mais il dispose déjà d'un « service européen pour l'action extérieure » composé de 5600 fonctionnaires et d'une représentation dans 89 pays, ce qui en fait le troisième réseau diplomatique du monde, après les États-Unis et la France et avant le Royaume-Uni !

Parallèlement à ses nouvelles missions à financer, l'UE s'est engagée à consacrer 0,7% de son PIB à l'aide au développement pour la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement. L'UE n'oublie pas aussi sa responsabilité en matière de politique de voisinage destinée à stabiliser les pays qui l'entourent, y compris au-delà de la Méditerranée, dans l'intérêt de ces pays mais aussi de l'UE. Elle doit aussi contribuer financièrement à la réalisation des engagements internationaux qu'elle a souscrits en matière de changement climatique et de protection de la biodiversité. Enfin, elle doit financer l'aide humanitaire, devenue avec le traité de Lisbonne une politique à part entière de l'action extérieure de l'UE.

On comprend que cette rubrique du cadre financier pluriannuel « L'Europe dans le monde » constitue un défi budgétaire. La Commission propose de la porter à 70 milliards d'euros (prix 2011), ce qui constitue une hausse sensible par rapport au précédent cadre, mais cela sera-t-il suffisant ? Cette hausse est complétée par l'augmentation, hors budget, de la réserve d'urgence, à laquelle sont alloués 2,5 milliards d'euros et de celle du fonds européen pour le développement (le FED) qui mobilise 30 milliards d'euros.

Pour boucler un cadre financier représentant 1,05% du PIB, la Commission a recouru à un artifice qui va compliquer les négociations : elle a créé plusieurs instruments en dehors du budget ou en dehors des plafonds du cadre financier. Cela va à l'encontre du principe même de cette négociation, qui vise précisément à donner de la visibilité à la dépense de l'UE sur 7 ans et donc à anticiper les dépenses maximales. Ainsi, la Commission a sorti du cadre le financement des projets ITER (de réacteur thermonucléaire expérimental) et GMES (de surveillance spatiale pour l'environnement et la sécurité) dont les coûts ont dérivé et ne peuvent plus, selon elle, être supportés exclusivement par le budget de l'UE. Elle a néanmoins prévu de conserver au sein du budget le financement de Galileo (alternative européenne au système de positionnement par satellites américain), au motif que Galileo est « un projet dont l'UE est l'unique propriétaire ». S'il est un peu tôt pour juger des conséquences de ce choix, il est légitime de s'interroger, dans ce contexte, sur l'avenir d'ITER, dont le réacteur doit être construit en France...

Enfin, la Commission envoie un signal politique au Conseil en prévoyant aussi de réduire les dépenses d'administration, qui représentent près de 6 % du budget de l'UE. Les fonctionnaires européens subiront un durcissement de leurs conditions de travail et leur nombre sera diminué de 5 % dans les institutions, agences et autres organes européens... Je souligne que la Commission elle-même a déjà gelé ses effectifs depuis 2007, alors que le traité de Lisbonne a étendu les compétences communautaires...

On le voit, la Commission a du mal à tout faire rentrer dans l'enveloppe très contrainte que le Conseil rechigne déjà à consentir... Difficile de « faire rentrer la couette dans l'édredon ! », pour reprendre l'expression de l'ambassadeur Philippe Etienne, représentant permanent de la France à Bruxelles. L'impératif du prochain cadre financier pluriannuel sera donc assurément de dépenser « mieux » au lieu de dépenser « plus ».

Comment faire? Une première piste consiste à améliorer la cohérence et l'usage efficace des dépenses de l'UE.

En introduisant plus de conditionnalité dans l'octroi des fonds, la Commission entend justement qu'un euro dépensé par l'UE serve plusieurs objectifs : un euro de la politique de cohésion peut réduire la pauvreté et en même temps renforcer l'efficacité énergétique ; un euro de la PAC peut soutenir le revenu agricole et aussi contribuer à la lutte contre le changement climatique...

Il faut viser non seulement cette cohérence interne du budget de l'UE, mais aussi la cohérence entre les fonds européens et nationaux. D'une certaine manière, au plan macroéconomique, cette convergence entre échelons politiques européens va progresser avec le « semestre européen » : en organisant un dialogue entre Bruxelles et les capitales des États membres sur les politiques économiques qu'ils mènent, cette procédure va contribuer à faire converger les politiques menées dans chaque Etat membre avec les objectifs de l'UE. Alain Lamassoure espère que ce rendez-vous annuel permettra de vérifier que les objectifs d'Europe 2020 sont bien pris en compte dans les budgets nationaux, ce qui ne fut pas le cas pour la stratégie de Lisbonne.

Au plan microéconomique, il est important de promouvoir une approche intégrée des projets pour favoriser la synergie entre les fonds publics, européens, nationaux ou locaux, et assurer ainsi une action cohérente et donc efficace.

Une deuxième piste pour mieux dépenser le budget européen, c'est de le concentrer sur les actions présentant une véritable valeur ajoutée européenne.

Comme le rappelle le Parlement européen dans le rapport de la commission SURE adopté fin mai 2011, un enjeu essentiel du prochain cadre financier pluriannuel est de veiller à retenir au niveau communautaire les dépenses apportant une plus-value à cet échelon, par rapport aux mêmes dépenses effectuées au niveau national. Si cette condition est respectée et que l'UE n'intervient pas en doublon des États membres, l'investissement au niveau européen peut permettre de réduire les dépenses nationales. Un euro investi dans le budget de l'UE peut réduire le budget national d'un euro, mais même de plus d'un euro, grâce à la plus-value significative d'une action commune et coordonnée au niveau européen. Le budget européen peut aider à optimiser les résultats des actions économiques et sociales. Comme le souligne Alain Lamassoure, maintenir 27 budgets nationaux en matière de développement et de coopération, conserver des réseaux consulaires distincts pour des États membres de l'accord de Schengen, garder au Botswana une représentation de 6 États membres de l'UE, est-ce bien raisonnable ?

Pour que l'effet vertueux de la mutualisation fonctionne, il faut toutefois qu'il ne soit pas contrecarré par une bureaucratie étouffante... C'est malheureusement ce qui entrave l'efficacité du budget européen de la recherche. A première vue, il semble plus efficace de chercher une seule fois, en mutualisant les budgets pour obtenir un effet de masse critique, plutôt que 27... et pourtant, les sommes consacrées par l'UE à la recherche ne produisent pas l'effet escompté: aujourd'hui, un laboratoire français doit changer de comptabilité pour être éligible au PCRD ! La simplification des procédures est donc un objectif prioritaire pour faire éclore la valeur ajoutée européenne. La Commission affiche sa volonté d'avancer en ce domaine, tant mieux !

Troisième piste pour mieux utiliser le budget de l'UE : utiliser son effet de levier.

Puisque le cadre financier pluriannuel est trop étroit pour permettre la réalisation de tous les objectifs de l'Union européenne, il importe d'utiliser le budget européen comme un catalyseur : l'impact des investissements publics européens dans les infrastructures ou les grands projets peut être optimisé si ces investissements servent aussi à mobiliser dans leur sillage d'autres fonds, émanant de la Banque européenne d'investissement (BEI), de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) ou bien encore du secteur privé (fonds de pension, entreprises d'assurance...).

D'ores et déjà, il faut encourager le recours aux partenariats public-privé (PPP) pour monter les projets européens qui présentent une rentabilité suffisante. Leur montage est délicat, la difficulté majeure consistant à trouver le bon partage des risques entre les secteurs public et privé. Mais les PPP ont fait la preuve de leur utilité pour contribuer à la fourniture d'infrastructures ou de services publics stratégiques, aussi bien dans le secteur des transports que dans celui des bâtiments et équipements publics ou encore celui de l'environnement.

Les nouveaux instruments financiers représentent un autre type d'instrument permettant de mobiliser les ressources privées en complément de l'investissement public. Ainsi, la politique de cohésion a lancé de nouveaux instruments combinant subvention et prêts. Ils présentent l'avantage d'exercer un plus grand effet de levier que les subventions traditionnelles, mais ils sont encore peu exploités par les régions. D'autres projets innovants sont envisagés à l'échelle de l'Union: les fonds de capital-risque européens, un fonds européen des brevets pour revendre ou louer les brevets non utilisés...

Enfin, il convient d'explorer la piste des « project bonds », ces émissions obligataires destinées à permettre le financement des grands projets prioritaires de l'UE, qu'il s'agisse de créer des infrastructures nouvelles ou de moderniser des infrastructures existantes. Ainsi, dans le secteur des transports, il s'agirait de remettre à niveau les infrastructures, de résorber les goulets d'étranglement, de numériser les systèmes de péage et de signalisation, de déployer des réseaux de station pour le véhicule décarboné... Dans le secteur de l'énergie, le financement devrait être consacré à rénover et mettre à niveau en termes de sûreté les centrales nucléaires, à promouvoir les énergies renouvelables, à renforcer l'efficience énergétique...

Le mécanisme reposerait sur une garantie que l'UE et la BEI pourraient apporter en appui aux emprunts obligataires qu'émettrait la société de projet assurant le financement de l'infrastructure : cette garantie améliorerait la qualité de ces obligations et les rendrait ainsi plus attractives pour les investisseurs. La BEI accorde déjà des garanties similaires pour des prêts relatifs à des projets européens en matière de transports.

Dans sa communication, la Commission confirme son intention d'encourager ce type d'emprunts. D'ores et déjà, les autorités françaises ont manifesté leur intérêt pour cette initiative. Elles insistent néanmoins sur la nécessité de limiter la couverture du risque de défaut de la société de projet et d'inscrire au budget communautaire ce risque, que l'Union prendrait en charge par le biais de la garantie : ainsi, les pertes éventuelles seraient plafonnées au niveau de la contribution budgétaire, en excluant tout engagement hors bilan pour le budget communautaire. Il faudra donc veiller à ce que les conséquences budgétaires des « project bonds » soient bien intégrées dans le prochain cadre financier pluriannuel.

Il me semble que seules ces pistes d'avenir permettraient de résoudre la quadrature du cercle et d'espérer une action européenne ambitieuse dans un cadre financier quasiment gelé.

On peut toutefois imaginer dégeler les moyens financiers à disposition de l'UE en créant enfin une nouvelle ressource propre, qui permettrait d'affranchir la négociation sur les dépenses du raisonnement des États membres en termes de «juste retour» et de soldes nets. Mais notre collègue Pierre Bernard-Reymond y reviendra le moment venu et présentera les propositions de la Commission en la matière. Pour ma part, je tiens simplement à me féliciter du soutien que la Commission apporte à l'appel lancé par le Parlement européen en faveur d'une conférence interparlementaire, avec les parlements nationaux, pour débattre sérieusement de cette question fondamentale.

Comme vous le voyez, le défi de ce cadre financier pluriannuel est de traverser la tempête financière en sauvegardant modestement ce qui peut l'être. Comme nous l'a dit le directeur du Budget de la Commission, M. Hervé Jouanjean, l'Europe n'est pas vue aujourd'hui par les États membres comme une opportunité mais comme une dépense. Si l'UE affiche des ambitions mais ne se donne pas les moyens de les réaliser, la distance entre l'UE et les citoyens européens risque encore de s'accroître. A nous de défendre une vision de moyen terme au-delà des strictes considérations comptables.

Ce sujet mérite encore d'être creusé. Je n'ai pu, vu les délais, vous présenter qu'une réaction à chaud par rapport aux propositions de la Commission qui nous sont arrivées jeudi dernier. Mais nous pourrions approfondir le sujet à l'automne et insister sur les points durs que nous souhaiterions voir préserver dans la longue négociation qui s'annonce.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jean Bizet :

Ma première réaction est de me féliciter des nouvelles, plutôt bonnes, que François Marc nous annonce en matière de politique de cohésion et, globalement, de politique agricole.

M. Simon Sutour :

Je félicite mon collègue pour son excellent rapport qui ouvre le débat sur le cadre financier pluriannuel et qui va même au-delà, puisqu'il envisage des réformes. Son allusion au maintien de six représentations diplomatiques de pays européens au Botswana ne peut manquer de nous interpeller. Yann Gaillard et moi-même sommes satisfaits à ce stade des propositions en matière de politique de cohésion. Je rappelle que la création d'une catégorie de régions intermédiaires devrait rapporter quelque 3 milliards d'euros à plusieurs régions françaises, sans rien enlever aux autres. Mais nous devons continuer à aiguillonner le Gouvernement, comme nous l'avons fait avec la résolution européenne que nous avons proposée au Sénat et qu'il a adoptée en juin dernier. Il faudra notamment prêter attention au développement de ce sujet au Parlement européen, où le rapporteur, M. Pieper, ne cache pas sa réticence à l'égard de la création de cette nouvelle catégorie de régions, même si finalement la résolution votée par le Parlement européen va dans le bon sens.

François Marc a eu raison d'attirer notre attention également sur les régions ultrapériphériques. Le Comité de suivi de la mission commune d'information sur la situation des DOM m'avait convié la semaine dernière à venir lui présenter le rapport de notre commission sur l'avenir de la politique de cohésion. Mon intervention était prévue après celle du député européen Elie Hoarau, qui s'est exprimé longuement, si bien qu'au moment où la parole m'a été donnée, l'assemblée était trop clairsemée pour qu'il soit utile que je fasse ma présentation. Finalement, nous sommes convenus avec le président de ce comité, M. Serge Larcher, que le sujet serait repris à l'automne. J'ai été marqué durant cette réunion par les références fréquentes de mes collègues à la ministre en charge de l'Outre-mer, alors que la plus grande part de la politique ultramarine se décide désormais à Bruxelles. L'Outre-mer y est défendu par trois États membres seulement, le Portugal (dont est originaire le président de la Commission européenne), l'Espagne et la France. Il est en tout cas positif que mes collègues ultramarins aient souhaité être informés du travail de notre commission des affaires européennes. J'espère d'ailleurs que des collègues d'Outre-mer pourront à l'avenir rejoindre la commission des affaires européennes.

Mme Bernadette Bourzai :

Je tiens à mon tour à féliciter le rapporteur qui nous a fait une présentation très complète, qui rejoint celle à laquelle j'ai assisté ce matin à la Représentation française du Parlement européen. Je retiens que la part de la PAC et de la politique de cohésion reculent dans le budget européen, passant de 80 % à deux tiers aujourd'hui. Nous pouvons nous contenter des chiffres que la Commission propose pour la PAC : les sommes restent les mêmes, en euros courants. Je pense que nous aurons de nouvelles difficultés au moment de la répartition de ces enveloppes entre Etats membres (anciens et nouveaux) et entre agriculteurs. Pour les autres politiques, il est aussi prévu des « niches pour cacher des noisettes », c'est-à-dire des réserves. Je formule le voeu que l'élargissement aux agriculteurs du champ d'intervention du fonds d'ajustement à la mondialisation ne serve pas à réparer les dégâts sur l'élevage d'un éventuel accord déséquilibré avec le Mercosur. Mais je suis en tout cas rassurée sur l'avenir du développement rural, dont les fonds ne baissent pas comme ils l'avaient fait la dernière fois. Je m'interroge toutefois sur le fait que le FEADER intègre un cadre stratégique commun à tous les fonds structurels : y a-t-il un risque de caisse commune ? En tout état de cause, je n'oublie pas que le projet européen est également d'investir dans les villes. Il y a certainement un équilibre à trouver.

Je rejoins par ailleurs les remarques de Simon Sutour sur les régions ultrapériphériques.

Je considère aussi que va dans le bon sens la proposition de la Commission de créer un fonds d'interconnexion énergétique (j'en avais constaté le besoin en matière d'électricité et de gaz dans mon rapport de 2009) et de technologie de l'information. J'espère que ce fonds sera l'amorce d'une politique énergétique commune.

Pour conclure, il me semble que cette première ébauche de cadre pluriannuel est positive. Je rappelle que le budget annuel de l'Union européenne reste modeste, à peu près du même montant que le déficit annuel de la France.

M. Jacques Blanc :

Notre commission a déjà bien travaillé sur la PAC et la politique de cohésion. Elle a aussi adopté le rapport que je lui ai présenté sur la montagne qui faisait, dans cette perspective, une synthèse des travaux sur la PAC et la cohésion. J'ai également organisé une table ronde il y a quelques jours sur ce sujet, à laquelle je remercie le président Bizet d'avoir participé. Je rends aussi hommage au Ministre Bruno Le Maire qui a joué intelligemment : pour ce qui est de la politique de cohésion, la France n'était pas demandeuse en matière de régions intermédiaires, mais elle n'y était pas non plus opposée ; concernant la PAC, la France a réussi maintenant à la sauver des eaux ! Et son deuxième pilier, capital pour la montagne, n'est pas amputé comme on pouvait le redouter. Le travail qui a été fait ici, ainsi qu'au Comité des régions d'Europe, n'a pas été vain. Des rapports institutionnels nouveaux s'établissent. Nous devons poursuivre notre action auprès du Gouvernement et du Parlement européen, notamment en continuant nos réunions communes entre les deux chambres du Parlement français et les eurodéputés.

Je tenais enfin à insister sur la politique de voisinage sur laquelle il nous faut rester très vigilants. Il faudra reprendre ce dossier pour encourager de grandes actions à l'égard de la zone Méditerranée.

M. Jean Bizet :

Je félicite à mon tour le rapporteur pour la clarté de son analyse.

M. François Marc :

Le rapport est le résultat des entretiens fructueux que j'ai pu avoir à Paris comme à Bruxelles, mais nous ne sommes qu'au début d'une longue négociation.

*

A l'issue du débat, la commission a décidé d'autoriser la publication du rapport, paru sous le numéro 738 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/rap.html