COM(2025) 548 FINAL
du 17/07/2025
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 juillet 2025 sur le Mécanisme de protection civile de l'Union européenne et le soutien de l'Union européenne pour la préparation et la réponse aux urgences sanitaires, et révisant la décision n°1313/2013/UE (Mécanisme de protection civile de l'Union européenne) - COM(2025) 548 final
A. Le cadre actuel
En France, la prévention et la lutte contre les catastrophes naturelles ou d'origine humaine relève de la sécurité civile (appelée protection civile au niveau européen). Action régalienne, elle est partagée entre différentes autorités publiques en fonction de l'importance de la catastrophe (maire/préfet/Premier ministre avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationales (SGDSN)). Elle s'appuie sur des moyens spécifiques : sapeurs-pompiers volontaires et professionnels des SDIS et militaires (Paris ; Marseille) ; associations de sécurité civile (ex : Croix rouge ; SNSM...) ; moyens nationaux de la sécurité civile (flotte aérienne de bombardiers d'eau ; démineurs ; unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile).
Au niveau européen, l'article 196 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) prévoit une compétence d'appui de l'Union européenne en matière de protection civile. Dans ce cadre, le mécanisme européen de protection civile a été institué avec trois outils principaux :
· le centre de coordination de la réaction d'urgence (ERCC), rattaché à la Commission européenne, qui fait de la veille sur les catastrophes, sert d'interface entre les États membres mettant des moyens à disposition de la réserve européenne de protection civile et ceux qui demandent son intervention, et, en cas de crise, assure une coordination logistique des moyens complémentaires de secours à déployer ;
· la réserve européenne de protection civile, constituée d'équipements d'urgence (pompes contre les inondations ; hôpitaux de campagne ; équipes de sapeurs-pompiers ou de spéléologues...) mis à disposition par les États membres sur la base du volontariat, afin de soutenir les États membres ou les pays tiers amis touchés par une catastrophe ;
· RescEU, réserve européenne supplémentaire dotée d'équipements et de matériels de protection civile, achetés, loués ou en crédit-bail par les États membres, avec le soutien financier de l'Union européenne. Ces moyens sont prépositionnés dans certains États membres, mais doivent être mis à disposition de RescEU en cas de catastrophe.
Le mécanisme européen de protection civile repose sur des principes simples et cohérents au regard de l'efficacité des secours :
· les États membres dirigent les opérations de secours, se coordonnent entre eux sur le niveau opérationnel, et ont le dernier mot dans ce domaine ;
· la coordination de la gestion des crises de dimension européenne relève d'un organe du Conseil, le dispositif intégré pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise (IPCR)1(*), ou, en cas d'action humanitaire hors Union européenne, du centre de réponse aux crises du Service européen pour l'action extérieure (SEAE)2(*) ;
· La réserve européenne de protection civile n'intervient qu'à la demande d'un État membre, si les moyens de ce dernier sont insuffisants. Le dispositif RescEU n'intervient que si les moyens de la réserve européenne sont, à leur tour, insuffisants.
Comme l'a souligné l'avis politique du Sénat du 20 juin 2024, ce mécanisme européen est aujourd'hui un succès concret de la solidarité européenne.
A. Le contenu de la proposition législative de la Commission
Cette proposition de règlement change la donne en élargissant la notion de crise et en donnant les « pleins pouvoirs » à la Commission européenne dans la gestion des crises.
1. Le champ d'application de cette proposition de règlement est très large
L'objectif général de cette réforme est multiple.
Elle vise tout d'abord à « renforcer la coopération entre l'Union [européenne] et les États membres afin de prévenir toutes sortes de catastrophes naturelles et d'origine humaine, de s'y préparer et d'y réagir, y compris la préparation et la réaction aux situations d'urgence sanitaire qui peuvent survenir à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union, y compris les situations dans lesquelles elles ont une incidence simultanée sur plusieurs secteurs. » (article 4.1). La notion de « protection civile », qui définit traditionnellement cette lutte contre les catastrophes, ne serait plus mentionnée.
Elle vise à répondre à six objectifs spécifiques : renforcer la compréhension et l'anticipation des risques et menaces de catastrophes ; faciliter le renforcement des capacités des États membres et de l'Union européenne ; améliorer la préparation aux catastrophes des États membres et de l'Union européenne en intégrant tous les acteurs de la société ; faciliter une réaction rapide et efficace ; soutenir la coordination lors des crises transsectorielles ; renforcer les efforts des États membres dans la préparation et réaction aux situations d'urgence sanitaire (article 4).
Elle propose d'étendre le champ de la prévention et de la réponse aux catastrophes, par l'introduction de la notion de « crise », définie comme une catastrophe « multisectorielle » (article 3), par l'intégration des « urgences sanitaires » dans le champ de compétences du mécanisme (réponse aux pandémies ; stockage ; contre-mesures médicales... ; article 4) et par la volonté de mise en place d'une « coopération civilo-militaire » (article 5), coordonnée par la Commission européenne et le Service européen pour l'action extérieure (SEAE), avec une simple « consultation » des États membres.
Elle propose d'associer des « pays tiers » au fonctionnement du mécanisme de protection civile. Cette association existe déjà dans le mécanisme actuel au profit de certains pays tiers et organisations internationales, sur la base d'accords bilatéraux3(*), mais cette association pourrait désormais être « complète » (article 9).
Enfin, la proposition de règlement met l'accent sur le concept de « préparation » aux catastrophes et aux crises, mission stratégique de réflexion permettant l'anticipation de ces dernières et, lorsqu'elles surviennent, de résistance et de continuité des secteurs critiques, afin d'assurer la continuité d'un État. La décision actuelle (1313/2023/UE) confirme d'ailleurs qu'il s'agit d'une mission régalienne (article 9). La proposition de règlement souhaite que l'Union européenne prenne aussi en charge cette mission (article 4, c), e) et f) ; article 5).
2. Cette proposition est l'une des traductions des propositions de la Commission en vue du prochain cadre financier pluriannuel
Ce texte est l'une des traductions du projet des propositions formulées par la Commission européenne concernant le futur cadre financier pluriannuel (CFP). La Commission prévoit ainsi une enveloppe de 10,6 milliards d'euros pour la gestion des crises au cours de la période 2028-2034.
Cette enveloppe peut sembler importante au regard du budget actuel (3,3 milliards d'euros sur 2021-2027) mais correspond en fait peu ou prou aux montants actuels consacrés à la protection civile et aux urgences sanitaires par l'Union européenne (chapitre 2, dont article 6).
A. Cette proposition est-elle conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ?
On peut se féliciter de la volonté affichée de renforcer le mécanisme européen de protection civile, qui constitue l'un des grands succès politiques et opérationnels de l'Union européenne au cours de ces dernières années, et de la mise en avant du concept de « préparation », qui doit permettre aux États membres de ne pas se laisser surprendre par les catastrophes.
Néanmoins, force est de constater que la proposition suscite des interrogations importantes en termes de conformité au principe de subsidiarité.
1. Le rôle de direction des actions de prévention, de préparation et de réponse aux crises, attribué à la Commission européenne, apparaît contraire aux traités européens
Les traités européens confient la sécurité nationale aux États membres (ce qui comprend la protection, par un État membre, de sa population contre une catastrophe) et confèrent sans ambiguïté, une mission de soutien à l'Union européenne dans ce domaine (article 196 du TFUE précité).
Le succès actuel du mécanisme de protection civile de l'Union européenne repose d'ailleurs sur cette répartition des rôles : aux États membres, la connaissance du terrain, la préparation stratégique et la direction opérationnelle de leurs secouristes, etc.; à l'Union européenne, un soutien financier, logistique et en matière de veille.
La Commission européenne tente de s'arroger le premier rôle en matière de gestion des crises, alors que rien n'est prévu en ce sens dans les traités. La proposition de règlement qu'elle présente lui permettrait ainsi désormais :
· de fixer des exigences opérationnelles concernant les modules et experts de la réserve européenne de protection civile, par un simple acte d'exécution (article 8) ;
· d'accueillir dans ses locaux et bâtiments des équipements de RescEU, aujourd'hui prépositionnés seulement dans les États membres, y compris des matériels à usage dual (civils et militaires) (article 21) ;
· de définir, en cas d'activation du mécanisme, les besoins, la composition, le déploiement et le pré-positionnement des équipes et matériels du mécanisme européen (article 31). Simultanément, le principe selon lequel RescEU n'intervient seulement si les moyens des États membres et ceux de la réserve européenne s'avèrent insuffisants, serait supprimé (article 21).
En outre, le centre de coordination de la réaction d'urgence (ERCC), qui lui est rattaché, serait désormais chargé de « coordonner, de surveiller et de soutenir en temps réel la réaction au niveau de l'Union (européenne) », sans limitation, ce qui implique donc les champs opérationnels et civilo-militaires (article 25).
Quant à la nouvelle plateforme de coordination de crise, qui relèverait de l'ERCC, elle « assurerait la coordination » avec les autorités nationales compétentes et coopérerait « étroitement » avec le centre de réaction aux crises du SEAE, pour la réponse aux crises en dehors de l'Union européenne (article 26).
Ces dispositifs apparaissent totalement contraires à la lettre et à l'esprit des traités européens, ainsi qu'aux principes opérationnels rappelés supra. En application de ceux-ci, les États membres devraient toujours être à l'origine de l'intervention de l'aide européenne sur leur territoire (exigence d'une demande formelle), contribuer volontairement aux dispositifs européens et selon leurs moyens, et conserver la direction des opérations de secours.
Si le soutien européen doit être coordonné politiquement, cette tâche revient au Conseil, à travers son dispositif intégré pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise (IPCR), et non à la Commission européenne.
Enfin, le dispositif envisagé, qui multiplierait les centres européens de coordination de crise et concentrerait les décisions de coordination de la réponse aux catastrophes dans des organes « coupés du terrain » constituerait, à l'évidence, une source de ralentissement des décisions et de complexification des opérations de secours.
En ce sens, les articles 25 et 26, ainsi qu'une partie des articles 4, 8, 21 et 31 ne semblent pas conformes au principe de subsidiarité.
2. Les dispositions relatives à la coopération civilo-militaire (articles 5, 19 et 20) apparaissent également contraires aux traités européens
Il ressort de la lecture combinée des articles 4, 5, 42 et 45 du traité sur l'Union européenne que la politique de défense reste une compétence nationale ». En outre, « la politique de sécurité et de défense commune s'exerce dans un cadre intergouvernemental. »4(*)
La Commission européenne ne dispose ainsi d'aucune compétence pour faire adopter des mesures de coopération civilo-militaire, même pour répondre aux crises. Ni l'article 168, ni l'article 196 du TFUE ne peuvent justifier cette mesure. Si cette dernière devait être maintenue, elle devrait être de la compétence du Conseil.
La disposition de l'article 19 prévoyant que les États membres fournissent des informations sur leurs « capacités de réaction militaires », certes sous réserve « des garanties de sécurité appropriées », pose également des questions, car ces « garanties de sécurité » non définies n'apportent aucune affirmation d'un droit, pour la France, de refuser la transmission de ces informations. En effet, cette disposition implique que la France pourrait être amenée à partager des informations hautement confidentielles sur des dispositifs militaires, non seulement avec l'ensemble des États parties au mécanisme mais également avec la Commission européenne, qui n'a aucune compétence dans ce domaine, et alors que le risque de fuites » est élevé. Le Sénat avait déjà rejeté une approche similaire soutenue par la Commission européenne concernant les textes ASAP et EDIP, ce qui l'avait conduite dans ce dernier cas à adopter un avis motivé.
3. Les dispositions relatives à la réserve européenne de protection civile soulèvent également des difficultés
Les dispositions de l'article 20, alinéa 6, relatives à la réserve européenne de protection civile, méritent également une attention particulière. Elles imposent aux États membres d'identifier et de recenser les « capacités militaires » qu'ils pourraient mettre à la disposition de l'Union européenne.
Or, la planification des réponses aux crises, sujet éminemment interministériel et relevant du sommet de l'État (Président de la République et Premier ministre), apparaît relever de la souveraineté nationale.
En formulant cette proposition, la Commission européenne poursuit son objectif de se doter, sans base juridique établie et sans mandat des États membres, d'un SGDSN européen contre les menaces hybrides (câbles sous-marins), les agressions militaires, ou pour faire des stocks alimentaires. Or les stratégies de planification nationales et européennes peuvent répondre à des intérêts fondamentaux divergents.
En outre, l'Union européenne a déjà adopté plusieurs textes utiles qui ont renforcé le niveau collectif de protection des infrastructures critiques, de cybersécurité, etc.
En pratique, les autorités françaises souhaitent la suppression de cet article. Le ministère des armées prépare en outre une clause de sauvegarde de la sécurité nationale et de la défense nationale, dont les négociateurs français devraient solliciter l'introduction dans la proposition.
4. Le traitement des pays tiers associés suscite des interrogations
L'article 9 de la proposition de règlement suscite également des interrogations dans la mesure où il permettrait la participation sans limite de « pays tiers associés » et d'« organisations internationales » au mécanisme et leur association à son fonctionnement sur un pied d'égalité avec les États membres.
Une participation de ces pays tiers et organisations n'a rien de contraire aux traités et elle existe déjà à l'heure actuelle. Le mécanisme actuel de protection civile autorise ainsi cette participation et regroupe les 27 États membres ainsi que 10 pays tiers associés5(*).
En revanche, ces pays et organisations ont jusqu'à présent un statut spécifique au sein du mécanisme, sans compétence décisionnaire globale. En outre, le mécanisme actuel n'est compétent que dans la prévention et la lutte contre les catastrophes de protection civile.
Faute de précision dans le texte de l'article 9, son dispositif semble pouvoir permettre à des pays tiers associés d'être « co-décisionnaires » dans l'élaboration d'actions de préparation ou de réponse aux catastrophes de l'Union européenne, de bénéficier du même niveau d'informations confidentielles et même de financements6(*), ce qui serait contraire aux traités, en particulier en matière de dispositifs de coopération « civilo-militaires ».
Simultanément, ce dispositif remettrait en cause le périmètre actuel du dispositif HERA dans le domaine des urgences sanitaires, qui ne concerne, lui, que les 27 États membres, ce qui est cohérent, tant en termes de planification (effort long) que de stockage de médicaments critiques...
5. Une valeur ajoutée européenne incertaine
Le mécanisme de protection civile serait désormais également compétent pour les urgences sanitaires (article 34), qui font pourtant l'objet de textes spécifiques (médicaments critiques) et disposent d'une structure opérationnelle efficace, au sein de laquelle la France est au demeurant influente (l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire ou HERA).
Or, si les dispositifs de protection civile sont marqués par l'immédiateté, la réponse aux urgences sanitaires nécessite préparation et gestion sur le temps long. Les professionnels des deux politiques (protection civile et urgences sanitaires) ont ainsi marqué leur opposition à une l'évolution proposée par la Commission européenne.
À titre de comparaison, aux États-Unis, pourtant modèle de d'État fédéral, les autorités en charge de la lutte contre les catastrophes et celle en charge des urgences sanitaires n'ont jamais été fusionnées.
La Commission européenne ne démontre pas la valeur ajoutée de la fusion du mécanisme de protection civile et d'HERA, qui ont prouvé leur efficacité dans leur périmètre actuel.
La réponse aux crises est d'autant plus efficace qu'elle est proche du terrain et flexible. Les autorités françaises s'opposent à cette fusion et souhaitent préserver l'efficacité du mécanisme de protection civile et de l'HERA.
Enfin, même si cette question ne relève pas du présent examen de conformité de cette proposition de règlement au principe de subsidiarité, il convient de relever que les autorités françaises déplorent l'absence de « fléchage » de montants budgétaires précis pour le volet « protection civile » et pour le volet « urgences sanitaires »
Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé d'approfondir l'examen de ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.
* 1 Créé par le Conseil, le 25 juin 2023, l'IPCR voit son fonctionnement régi par une décision d'exécution du Conseil (UE) 2018/1993 du 11 décembre 2018. Lorsqu'une catastrophe intervient, la coordination politique de la réponse de l'Union européenne relève de l'IPCR, qui réunit, autour de la présidence semestrielle du Conseil, les acteurs clefs des États membres et des institutions européennes concernés, après avoir été activé par la présidence ou en réponse à la demande d'un État membre au titre de la clause de solidarité. L'IPCR Il existe deux modes d'activation de cet organe : un mode « partage de l'information » dans lequel les membres vont bénéficier d'informations et évaluer ensemble une situation de crise, et un mode « activation totale », qui suppose l'élaboration de propositions d'actions de l'Union européenne qui doivent ensuite faire l'objet de décisions du Conseil de l'Union européenne ou du Conseil européen.
* 2 Le centre de réponse aux crises du SEAE est en veille permanente. Il est chargé de l'analyse des risques, de la transmission d'information et de la coordination de la réponse européenne en cas de crises diplomatiques, humanitaires...qui se déroulent en dehors de l'Union.
* 3 Article 28 de la décision n°1313/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relative au mécanisme de protection civile de l'Union (européenne).
* 4 Résolution européenne du Sénat n°145 (2023-2024) portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense et d'un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utile des produits de défense, en date du 5 juin 2024.
* 5 L'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, l'Islande, la Macédoine du Nord, la Moldavie, le Monténégro, la Norvège, la Serbie, la Turquie et l'Ukraine.
* 6 L'article 9 est en effet intégré à la partie « financière » de la proposition de règlement COM(2025) 548 final.