Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte européen
Examen : 01/02/2012 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 324 (2011-2012) : voir le dossier legislatif


Institutions européennes

Renforcement du contrôle démocratique
de la gouvernance économique et budgétaire de l'Union européenne

Proposition de résolution européenne de M. Simon Sutour

(Réunion du 1er février 2012)

M. Simon Sutour, président. - Nous sommes devant un millefeuille de législation européenne, M. Richard Yung l'a bien expliqué. Quelle sera l'articulation entre le pacte de stabilité et de croissance, adopté en 1997 et révisé en 2005, le six pack, adopté en octobre dernier, le two pack, en cours de négociation, qui durcit le six pack et, enfin, le traité signé avant-hier par les Vingt-sept moins la Grande Bretagne et la République tchèque ? Personne ne le sait très bien : ils abordent les mêmes sujets, sans que leurs dispositions et leurs calendriers soient identiques. La situation institutionnelle non plus n'est pas très claire : le Parlement européen a un pouvoir de co-décision sur le two pack, mais aucun vis-à-vis du traité.

Dans cette situation, notre intérêt est de revenir aux fondamentaux. D'abord, le respect de la subsidiarité. Les Etats membres, s'ils ont une obligation de résultat, doivent garder un pouvoir d'appréciation sur les moyens de les atteindre. Sinon, il n'y a plus de débat politique national. Ensuite, ce serait une erreur de se limiter à l'assainissement des finances publiques. Une croissance retrouvée, chacun en convient, facilitera la réduction des déficits et de l'endettement. Enfin, il faut associer les parlements nationaux. J'ai souhaité déposer cette proposition de résolution en ma qualité de président de la commission pour l'inscrire dans la continuité des travaux de mes prédécesseurs, depuis Michel Barnier jusqu'à Jean Bizet en passant par Hubert Haenel. Lundi à Copenhague, lors de la « petite COSAC », le regret était pratiquement unanime : ni le nouveau traité, ni le two pack n'ont donné lieu à une consultation alors qu'ils concernent très directement les compétences fondamentales des parlements nationaux. La présidence danoise avait reçu deux courriers : un de ma part et un du représentant du Bundestag. Les parlements nationaux veulent avoir un mot à dire sur la coordination des politiques économiques et budgétaires.

Le dernier projet de traité, à l'article 13, prévoit une conférence interparlementaire avec des représentants des commissions compétentes du Parlement européen et des parlements nationaux. Cela a donné lieu à un petit combat : au début, seuls les membres des commissions budgétaires étaient visés, désormais ceux des affaires européennes ou des affaires économiques le sont aussi. Cela va dans le bon sens. Cela ira d'autant mieux si nous précisons que cette Conférence se réunit avant chaque Conseil européen de printemps ; dispose du pouvoir de voter des textes, et ce afin d'être à même d'entretenir un dialogue politique avec les institutions européennes ; et, enfin, s'adapte aux différents niveaux - l'Europe à 27 et bientôt à 28, le traité à 25 ou moins, la zone euro, élargie ou non -, en se réunissant en formation plénière, mais aussi en formation plus restreinte selon les sujets traités. En bref, un fonctionnement souple.

Il nous revient également d'améliorer nos procédures nationales. Le calendrier européen, le fameux semestre européen, est désormais précis ; les deux assemblées doivent être associées à chacune de ses étapes. Dans cette perspective, un renforcement de la circulaire de juin 2010, prise par le gouvernement après le traité de Lisbonne, serait utile.

Voilà les raisons de cette proposition de résolution.

M. Jean Bizet. - Une addition de plans de rigueur ne suffira pas à ramener la zone euro à meilleure fortune, j'en suis d'accord. Aux Etats membres de lancer des plans de rigueur, à l'Europe de mener une politique de relance pour l'Europe. La réponse du ministre François Baroin que j'avais interrogé à ce sujet ne m'avait guère satisfait. Dans ces temps difficiles, il est impossible de faire davantage tourner la planche à billets. Ne faut-il pas mieux utiliser les 240 milliards de la politique de cohésion, la deuxième politique communautaire après la PAC, pour la relance ? Nous y serions doublement gagnants. J'introduirai au début du troisième considérant les mots suivants : « soulignant que les crédits affectés à la politique de cohésion doivent être mobilisés en ce sens ».

M. Simon Sutour, président. - C'est la proposition franco-allemande...

M. Jean Bizet. - ...et celle de Jacques Attali, elle n'est donc pas totalement « politiquement incorrecte ».

Le quatrième considérant est intéressant. Néanmoins, le temps des marchés est parfois diablement rapide par rapport au temps des politiques. Si je suis attaché à la méthode communautaire, l'urgence, dans les périodes de grandes turbulences que nous traversons depuis deux ans, impose parfois d'utiliser la méthode intergouvernementale. Vous me direz, que c'est un réflexe de Normand, mais ma proposition pragmatique ne fragilisera pas la proposition de résolution. Il s'agit simplement d'ajouter au début de ce considérant « sans méconnaître l'existence de situations d'urgence ».

M. Simon Sutour, président. - Aucun problème sur le troisième considérant, mais votre seconde proposition est plus gênante car elle revient, au moment où l'on demande plus de contrôle démocratique, à envisager de s'en affranchir. Cependant, j'ai le souci d'avancer collectivement et je vous donne mon accord pour cet ajout qui serait plus à sa place à la fin du considérant.

M. Joël Guerriau. - L'harmonisation européenne doit être fiscale et sociale, comme vous le présentez, mais aussi environnementale, pensez aux distorsions de concurrence dans l'agriculture selon que les pays appliquent ou non des normes environnementales strictes. Je suggère donc de compléter le troisième considérant en ce sens.

M. Jean Bizet. - Cela va tout à fait dans le bon sens !

M. Joël Guerriau. - Mieux vaudrait écrire « associe les Parlements nationaux », à la sixième recommandation, que recourir à la notion d'intégration.

M. Simon Sutour, président. - Nous prenons en compte ces observations.

M. Roland Ries. - Dans la proposition subsiste une ambiguïté que, en bon Alsacien, je voudrais lever : une conférence interparlementaire dont le format varierait selon les sujets ? Cette proposition à étages nous donnerait des interlocuteurs variables.

M. Simon Sutour, président. - Il n'y a pas d'ambiguïté : le contrôle parlementaire est normalement du ressort des procédures comprenant les 27 Etats membres. Cela dit, dans la période récente, le centre de décision s'est déplacé vers la zone euro, et les parlements n'avaient plus de pouvoir de contrôle. D'où cette proposition réaliste pour éviter que tout un pan de l'action européenne nous échappe.

M. Robert del Picchia. - En l'occurrence, 25 Etats membres ont signé le traité.

M. Richard Yung. - La réalité des choses est que le nombre des Etats concernés varie selon les sujets, il faut en tenir compte. Pour la zone euro, les discussions ont lieu à 17, mais la Pologne a demandé à y être associée sur certains sujets.

M. Jean Bizet - Soyons pragmatiques : on ne peut pas toujours raisonner à 27, il faut un peu de souplesse si l'on veut s'adapter aux réalités de l'Europe. M. Roland Ries raisonne en puriste, c'est estimable, mais il nous faut un peu de pragmatisme.

M. Simon Sutour, président. - Rien d'étonnant pour un Européen comme le maire de Strasbourg !

M. Jean Bizet - Avec cette méthode à géométrie variable, nous avons avancé sur les problèmes matrimoniaux, notre ancien collègue Pierre Fauchon en conviendrait, ou encore sur les brevets européens.

M. Roland Ries. - Ne risque-t-on pas de formaliser une Europe à géométrie variable ?

M. Jean-François Humbert. - C'est le système des coopérations renforcées.

M. Roland Ries. - A mon sens, nous y perdons l'ambition de départ.

M. Richard Yung. - Juste un point, au sein des parlements nationaux, quels seront les représentants appelés à siéger à cette conférence ?

M. Simon Sutour, président. - Le texte vise désormais les commissions concernées, donc aussi bien, au Sénat, les membres des commissions des affaires européennes, que des finances, voire de l'économie. Il reviendra à chaque Parlement d'en décider.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Merci de cette excellente initiative. Juste une correction de forme : « la perspective de la mise en oeuvre » est une formulation qui gagnerait à être allégée. « La mise en oeuvre » suffit.

M. Simon Sutour, président. - Tout à fait.

M. André Gattolin. - Aux côtés de la politique de cohésion, il y a également les crédits dévolus à la recherche ou à la solidarité. Ne faut-il pas ajouter un « notamment » ?

M. Jean Bizet. - Cet adverbe est banni dans la maison !

M. Simon Sutour, président. - En effet.

A l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne dans la rédaction suivante :

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 3 du traité sur l'Union européenne,

Vu l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les conclusions du Conseil européen du 9 décembre 2011 et la déclaration des chefs d'Etat ou de gouvernement de la zone euro du 9 décembre 2011,

Vu le règlement n°1175/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques,

Vu la résolution du 1er décembre 2011 du Parlement européen sur le semestre européen pour la coordination des politiques économiques,

Vu l'article 73 quinquies du règlement du Sénat,

Considérant le rôle incontournable des parlements nationaux dans la mise en oeuvre de l'objectif essentiel d'une Union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe dont l'élaboration doit se faire au plus près des citoyens ;

Considérant que la mise en oeuvre d'une nouvelle gouvernance économique et budgétaire européenne, nécessite le franchissement d'une nouvelle étape dans l'implication des parlements nationaux au sein des procédures législatives et de contrôles communautaires ;

Considérant qu'une Union économique et monétaire renforcée ne pourra atteindre ses objectifs et endiguer la crise qu'à travers la mise en oeuvre d'une véritable politique de croissance et d'investissement soutenue par une harmonisation fiscale, sociale et environnementale ; soulignant que les crédits affectés à la politique de cohésion doivent être mobilisés dans ce sens ;

Considérant que l'avenir du « gouvernement économique européen » ne peut uniquement résider dans la tenue de sommets des Etats membres de la zone euro, même mensuels, mais consiste avant tout à étoffer et renforcer la procédure de coordination des politiques économiques et budgétaires, notamment dans sa dimension démocratique et parlementaire, sans méconnaître l'existence de situations d'urgence ;

Considérant, selon le règlement européen n°1175/2011, que « le renforcement de la gouvernance économique devrait comprendre une participation plus étroite et en temps utile du Parlement européen et des parlements nationaux » ;

Considérant, selon le même règlement européen, que « dans le respect des dispositions légales et politiques de chaque Etat membre, il convient que les parlements nationaux soient dûment associés au semestre européen et à la préparation des programmes de stabilité, des programmes de convergence et des programmes de réforme nationaux » ;

Considérant essentiel que les parlements nationaux, conformément à la procédure normale de révision des traités, puissent émettre leurs recommandations sur toutes futures négociations institutionnelles ;

Le Sénat :

Invite le gouvernement à soutenir l'institutionnalisation, au sein d'une Conférence interparlementaire commune, de la double légitimité démocratique que représentent le Parlement européen et les parlements nationaux aux fins de contrôle du processus de coordination budgétaire et économique ;

Souhaite que cette conférence interparlementaire puisse être convoquée à chaque étape importante du processus de coordination, notamment avant chaque Conseil européen de printemps pour débattre des grandes orientations budgétaires communes des Etats membres et de l'Union et, le cas échéant de voter une résolution sur ces sujets ;

Propose que cette conférence soit composée des représentants des commissions concernées des parlements nationaux et de représentants du Parlement européen ;

Propose que cette conférence interparlementaire, dans un format zone euro, puisse également se réunir lorsque la situation l'exige pour débattre et proposer une résolution à l'Eurogroupe ;

Appelle, en outre, à donner un rôle renforcé à la COSAC, notamment comme organe de préparation et de suivi de ces conférences interparlementaires ;

Invite la Commission européenne à associer les parlements nationaux au dialogue économique prévu par le règlement européen n°1175/2011 dans le cadre de la coordination des politiques économiques et budgétaires ;

Se déclare prêt à s'engager dans un dialogue politique et un échange de vue réguliers avec le Parlement européen ;

Invite le gouvernement à modifier sa circulaire du 22 juin 2010 relative à la participation du Parlement français au processus décisionnel européen afin de renforcer le contrôle parlementaire de l'exécutif dans toutes les matières qui concernent l'Union européenne et particulièrement la zone euro.