Ouverture de la table ronde consacrée au 70ème anniversaire
de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme
Mardi 4 décembre 2018
Mesdames, Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Monsieur le Président de l’Observatoire de la laïcité,
Monsieur l’Ambassadeur,
Monseigneur,
Monsieur le Pasteur,
Éminence,
Monsieur le Vice-Président du Conseil français du culte musulman,
Madame la Présidente de l’Union Bouddhiste de France,
Monsieur le Grand Maître,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir dans les salons de Boffrand et je voudrais remercier la Conférence des responsables de culte en France d’avoir pris l’initiative de cette table ronde consacrée aux droits de l’Homme et aux religions à l’occasion du 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et également les intervenants qui auront l’occasion de s’exprimer dans quelques instants.
Je suis d’autant plus heureux de participer à cette célébration que c’est à Paris qu’a été adoptée cette Déclaration universelle des Droits de l’Homme dont René Cassin, prix Nobel de la paix, fut l’un des artisans majeurs. Je me réjouis aussi que cette table ronde se déroule au sein de notre Haute Assemblée qui a toujours fait de la défense des Droits de l’Homme et des libertés sa priorité.
Il est tout à fait remarquable de constater que ce texte, adopté à un moment de tension au sein de la communauté internationale, le 10 décembre 1948 au Palais de Chaillot, n’ait rencontré l’opposition formelle d’aucun État. Lors du vote, à la fin de la 183e séance de l’Assemblée générale des Nations Unies, quarante-huit d’entre eux votaient en faveur du texte, huit s’abstenaient, mais aucun État ne votait contre.
En adoptant cette Déclaration, les Nations Unies fixaient une norme commune pour tous les pays, s’engageant à ce que tous les êtres humains soient traités sur un même pied d’égalité. Est-il utile de rappeler la conviction qu’exprimait René Cassin, en affirmant, je cite, qu’« Il n’y aura pas de paix sur cette planète tant que les droits de l’homme seront violés en quelque partie du monde que ce soit ».
La singularité de cette Déclaration repose sur son caractère universel, consacrant pour la première fois l’Homme en tant que sujet autonome du droit international.
Elle est, certes, dépourvue de valeur juridique contraignante, mais jouit cependant d’une force morale considérable. De manière à assurer plus efficacement le respect des libertés fondamentales sur le plan international, il a été décidé de rédiger des déclarations des droits ayant valeur juridique. Tel fut l’objet des deux Pactes adoptés le 16 décembre 1966 : le premier relatif aux droits civils et politiques, le second aux droits économiques et sociaux.
De plus, la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ratifiée le 3 mai 1974 par Alain Poher assurant l’intérim de la Présidence de la République, occupe une place centrale en France en raison du système juridictionnel contraignant qu’il a mis en place.
La portée de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme dépasse le cadre du symbole puisque plusieurs constitutions nationales, à l’image de l’Espagne et du Portugal, se réfèrent expressément à celle-ci.
La protection effective des Droits de l’Homme reste une problématique centrale de notre société. Pour l’heure, il nous appartient de fédérer la communauté internationale afin d’éviter une marginalisation, çà et là, de la défense universelle de ces droits fondamentaux.
Les enjeux auxquels nous sommes confrontés sont sensiblement identiques : assurer, partout et pour tous, une protection contre les fléaux que sont la guerre, la dictature, la pauvreté, l’intolérance.
La préservation de la liberté de conscience et de religion auxquelles les fondamentalismes veulent s’attaquer.
Je pense évidemment à l’article 18 de cette Déclaration universelle des Droits de l’Homme selon lequel : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. »
Devant les représentants des cultes de France, je voudrais réaffirmer à quel point la liberté de religion et de conviction est l’un des droits humains les plus fondamentaux. Elle est étroitement associée au droit à la liberté d’expression et à l’exercice d’une réelle citoyenneté promue par l’ensemble des droits individuels civils et politiques garantis au plan international depuis la seconde guerre mondiale.
Dans notre pays, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État a consacré la liberté de conscience. Liberté, parce que chacun se voit reconnaître le droit de pratiquer un culte sans préjudice des croyances d’autrui. Liberté, parce que tous les citoyens se voient soumis aux mêmes règles de respect et de tolérance. Aristide Briand, rapporteur de la loi déclarait alors : « il fallait que la loi se montrât respectueuse de toutes les croyances et leur laissât la faculté de s’exprimer librement ».
Dans quelques rares pays (Corée du Nord), il est encore difficile de professer une religion quelle qu’elle soit, dans d’autres (Arabie Saoudite), un privilège exclusif est octroyé à la religion traditionnelle et la « concurrence » religieuse est bridée, sinon pénalement condamnée. Et je pense tout particulièrement à cette jeune Pakistanaise : Asia Bibi qui subit l’intolérance et est menacée de mort par le fondamentalisme.
Dans certains États, la conversion d’un individu à une autre religion que celle de sa naissance, ou bien encore la profession d’athéisme, toutes deux qualifiées d’apostasie, sont passibles d’une exclusion de la communauté nationale, voire de sanctions pouvant aller jusqu’à la peine de mort.
On ne peut pas passer sous silence le fait que certains pays (réunis dans l'Organisation de la Coopération Islamique, OCI) ont élaboré leur propre Déclaration (du Caire) sur les Droits de l’Homme. Pratiquement identique à celles des pays occidentaux, celle-ci ajoute que toutes les lois sont soumises à la charia qui octroie des droits différents aux hommes et femmes, ainsi qu'entre musulmans et non-musulmans.
C’est à partir d’un dialogue franc et apaisé que nous pourrons amener ces pays à progresser dans la bonne direction.
En conclusion, j’aimerais, à l’occasion de ce 70ème anniversaire, souligner l’esprit intemporel de la Déclaration et de ses valeurs. L’universalité prônée doit s’ériger, plus que jamais, en rempart contre le terrorisme, les discriminations religieuses et géographiques, les sévices sexuels ou encore les répressions idéologiques et religieuses.
Si le rayonnement de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme s’arrête aux frontières de certains États, nous devons tous œuvrer, de concert avec les institutions compétentes, à étendre sa portée universelle qu’attendent tant de femmes et d’hommes dans le monde et bannir tout fatalisme dans le constat des violations réitérées qui émaillent nos actualités.
C’est ce à quoi contribue une telle table ronde dont je me félicite encore une fois qu’elle se tienne au Sénat.
Seul le prononcé fait foi