Allocution du Président du Sénat, M. Gérard Larcher,
devant les troupes de l’opération Barkhane
(Camp Kosseï, Place d’armes, le 28 février 2018)
Mon Général,
Monsieur l’Ambassadeur,
Mes chers collègues parlementaires,
Messieurs les Officiers généraux,
Messieurs les Officiers et Sous-officiers,
À vous tous, militaires de l’Opération Barkhane,
Respect et gratitude.
C’est en ces termes que je veux m’adresser à vous.
Respect et gratitude de la Nation tout entière pour ceux qui, dans vos rangs, ont fait le sacrifice suprême et ont élevé, au plus haut degré, le service de la Patrie.
Avant de poursuivre, je veux rendre un hommage solennel à vos camarades, le sergent-chef Emilien Mougin et le brigadier-chef Timothé Dernoncourt, tombés dans la région de Ménaka au Mali, ce 21 février au matin. Je présente à leur famille et à leurs proches toutes nos condoléances. 22 de vos camarades ont trouvé la mort au Mali depuis 2013. Nous ne les oublions pas.
Respect et gratitude aussi pour ceux qui, blessés, portent de façon indélébile dans leur chair et leur esprit, les marques du courage et de la valeur.
Respect et gratitude pour vos familles qui endurent la séparation, le silence qui entoure souvent vos missions, et la peur du danger.
Respect et gratitude pour vous tous présents sur cette base, sur les autres bases de l’opération Barkhane ou en opérations, vous qui bravez les périls et combattez sans faillir notre ennemi : le terrorisme islamiste. Permettez-moi, puisque nous sommes au Tchad, une pensée particulière pour vos camarades du camp d’Abéché et du camp de Faya-Largeau.
Avec mes collègues sénateurs : Christophe-André Frassa, Sénateur des Français établis hors de France et Président du groupe d’amitié France-Afrique centrale, Jean-Pierre Grand, Sénateur de l’Hérault, Président délégué pour le Tchad, André Reichardt, Sénateur du Bas Rhin, Président du groupe d’amitié France-Afrique de l’Ouest, Michèle Vullien, Sénatrice du Rhône, Présidente déléguée pour le Niger, Fabienne Keller, Sénatrice du Bas-Rhin, Présidente déléguée pour la République démocratique du Congo, et Jacques Legendre, Sénateur honoraire, qui a joué un rôle majeur au sein de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie et est un fin connaisseur de l’Afrique -,
je suis venu devant vous pour manifester le soutien et la fierté de la Nation française, dans son ensemble. Votre mission est en effet trop essentielle à la défense de nos intérêts et à la sécurité de nos compatriotes pour s’abîmer dans des clivages partisans. C’est la raison pour laquelle le Sénat a voté à l’unanimité des suffrages exprimés, en avril 2013, le projet de loi sur l’intervention de nos forces armées.
Bel et rare exemple d’union nationale !
Les institutions de la République, dans leur diversité, sont derrière vous. La Nation vous admire. « L’arrière », unanime, fait bloc.
Je me suis rendu avant-hier au Foyer du Combattant de N’Djaména. Du Serment de Koufra, des soldats de la 2ème DB partis d’ici pour libérer la France du nazisme, à l’Adrar des Ifoghas où militaires français et militaires tchadiens, auxquels j’ai tenu à rendre hommage, ont lutté au corps à corps contre Aqmi, oui, le Tchad et la France sont liés par une fraternité d’armes et de sang.
C’est la même geste qui se perpétue à travers l’histoire. « Tirailleurs africains et soldats de France venus du cœur de l’Afrique à travers le Sahara, qu’entoure un halo de légende … ». Ainsi s’adressait le Général Leclerc, après la victoire de Tunis sur les Nazis en 1943, aux troupes qui avaient fait le choix de la France libre.
Vous perpétrez l’œuvre de ces combattants de la liberté.
Aujourd’hui, l’ennemi seul a changé de face. Ce n’est plus le nazisme des années 1940 mais les groupes armés terroristes qui doivent être combattus. C’est de leur emprise que nous devons libérer territoires et populations, ici en Afrique, avec nos partenaires africains qui souffrent de tant d’exactions. Car c’est bien une guerre d’affranchissement de l’obscurantisme que vous menez, une guerre juste, pour les pays africains amis, avec eux, pour la France, et pour l’Europe.
Ce que les Africains ont donné à la libération de la France et de l’Europe, nous leur rendons aujourd’hui en combattant avec eux les groupes armés terroristes.
Mais votre combat, notre combat, est aussi un combat pour la France et les Français. La sécurité de notre pays ne sera pas assurée tant que nous n’aurons pas mis fin à l’emprise territoriale des mouvances terroristes, tant que leurs réduits n’auront pas été investis, tant qu’ils n’auront pas été empêchés de déstabiliser les processus de paix et de concorde.
Le combat que vous livrez à l’extérieur de nos frontières, en pleine solidarité avec nos frères africains, est le prolongement de celui mené en France pour maîtriser la menace terroriste. Il est situé à ses avant-postes. Au continuum de la menace doit répondre une continuité de moyens et d’engagement, en France comme ici au Tchad et en Afrique.
Au-delà de la France, c’est sur le sol africain que se joue en partie la sécurité de l’Europe dans son ensemble. Je rentre de Pologne. J’entretiens des contacts denses avec des responsables européens et du monde entier. L’admiration – le mot n’est pas trop fort - qu’ils vous portent ne souffre aucune exception. Parce que notre pays dispose de soldats de votre valeur et d’une armée complète capable de se déployer sur des théâtres d’opération difficiles, la parole de la France est écoutée, crainte parfois, crédible toujours. Vous nous donnez les moyens de nos ambitions.
Grâce à vous, les intentions se muent en acte.
Nous sommes aujourd’hui les seuls en Europe à être en mesure de relever ces défis. Ce que vous accomplissez, personne d’autre ne peut le faire. Personne d’autre ne l’a fait. Qui peut affirmer que, sans l’intervention de la France dès 2013, nous n’aurions pas un Califat au cœur de l’Afrique qui opprimerait tant d’Africains, aurait réduit à néant plusieurs États et menacerait, et la France et l’Europe ?
Dans ces conditions, il est indispensable de disposer de tous les moyens nécessaires, à la fois pour assurer nos capacités offensives et l’exercice de vos missions dans des conditions de sécurité optimales. En 2015, le Sénat, au-delà des sensibilités politiques, a rejeté le budget consacré aux armées, parce qu’il le jugeait insuffisant, c’est-à-dire incapable de tenir les engagements annoncés. Cela a permis au Ministre de la Défense d’alors de conduire une nouvelle négociation budgétaire et d’aboutir à des moyens renforcés.
Alors que le projet de loi de Programmation militaire de 2019 à 2025 vient d’être présenté, vous pouvez compter sur la vigilance du Sénat et de l’ensemble des Sénateurs pour examiner de façon exigeante le budget alloué et pour veiller, le moment venu, à son exécution précise et complète. Aucun atermoiement ne sera accepté.
Hier comme aujourd’hui, le Sénat de la République est déterminé à contribuer à l’effort de redressement militaire de notre pays.
Nous avons d’ores et déjà entendu certains d’entre vous et nous continuerons à vous écouter pour mieux comprendre la réalité de terrain que vous vivez, et vos besoins. Car l’attention à votre mission ne se limite pas aux moments partagés sur cette base ou d’autres : elle doit être permanente.
Il ne m’appartient pas d’exposer ou de commenter les orientations fixées par le Chef des armées qui, en vertu de notre Constitution, est le Président de la République. Ces orientations sont celles de la France. Elles sont donc miennes.
Je sais le caractère toujours plus exigeant de vos missions. Je sais aussi leur caractère évolutif, depuis l’Opération Serval, de la sauvegarde d’un État menacé, le Mali en 2013, à la traque toujours plus dangereuse d’un ennemi dispersé en bandes mobiles, dans un espace plus vaste encore que l’Union européenne. Et ce faisant, des résultats toujours plus pressants et plus immédiats vous sont demandés.
Il vous faut toujours vous dépasser.
La recherche d’une solution politique effective et solide et d’une réponse en matière de développement s’avère difficile. Mais il n’existe pas d’alternative pour parachever l’action entreprise sur le plan militaire, si l’on veut éradiquer les causes profondes, structurelles parfois, qui font le lit du terrorisme. L’exigence ne devrait pas concerner que le volet militaire.
Après les victoires que vous avez remportées, il faut s’employer, collectivement, à gagner la paix.
Cette entreprise excède votre mission.
Elle impose une montée en puissance opérationnelle du G5 Sahel, car la paix dépend de la capacité de nos partenaires africains à assurer une part croissante de leur sécurité. Les défis sont à la mesure des résultats attendus.
Elle suppose une application rigoureuse, par tous, des Accords de paix contractés.
Elle exige une mobilisation encore accrue, et durable, de tous nos partenaires, qu’ils soient africains, européens, américains, bailleurs de fonds, organisations multilatérales, pour soulager vos efforts et construire la paix.
Elle implique des politiques de développement ambitieuses et innovantes, à la fois pour combattre les effets désastreux du changement climatique - j’étais hier dans la région du Lac Tchad - et élever dans les esprits des hommes les défenses de la paix, par l’éducation en particulier.
Il nous appartient, à nous politiques, de consolider et de préserver les acquis de votre action. C’est une responsabilité immense.
Mes chers compatriotes,
Partout en France, en Europe, en Afrique bien-sûr, et ailleurs, nous pouvons appliquer à votre adresse, et en vous regardant dans les yeux, le mot de Churchill : « Jamais, dans le domaine de la guerre, tant d’hommes de par le monde n’ont eu une telle dette à l’égard d’un si petit nombre d’individus. »
La dette que nous avons envers vous est de celles qui ne peuvent être acquittées.
Vive la République ! Vive la France !
Seul le prononcé fait foi