Discours du Président du Sénat, M. Gérard Larcher, lors de l’ouverture du colloque organisé au Sénat
par le groupe d’amitié France-Pays baltes,
présidé par M. Olivier Henno, sénateur du Nord,
à l’occasion du centenaire de l’indépendance des Pays baltes
« Estonie, Lituanie, Lettonie : 1918-2018 »
Salle Clemenceau, le lundi 19 mars 2018 à 14 h 30
Madame la Présidente de la République,
Monsieur le Premier ministre,
Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Vice-Président de la commission des Affaires européennes d’Estonie,
Messieurs les Présidents des groupes d’amitié Lituanie-France et Lettonie-France des Parlements de Lituanie et de Lettonie,
Monsieur le Président du groupe d’amitié France-Pays baltes du Sénat, cher Olivier HENNO, Monsieur le Président délégué, cher Joël BIGOT, mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs les Professeurs et chercheurs, Mesdames et Messieurs, Chers amis,
Je suis très heureux de vous accueillir au Palais du Luxembourg pour ouvrir ce colloque organisé par le groupe d’amitié France-Pays baltes du Sénat, présidé par notre collègue Olivier Henno, en partenariat avec les ambassades d’Estonie, de Lettonie et de Lituanie.
Je tiens également à saluer la présence parmi nous de nos anciens collègues MM. Claude Huriet et Denis Badré. Ils ont beaucoup œuvré au Sénat pour le renforcement des relations avec les pays baltes.
L’année 2018 marque le centième anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Mais nous célébrons aussi cette année le centième anniversaire de l’indépendance des trois pays baltes - dont l’histoire et le rôle restent encore trop méconnus dans notre pays.
On a souvent l’habitude de parler des « pays baltes » comme d’une entité commune. Or, on aurait tort de ne pas vous distinguer, tant il existe des différences enrichissantes entre vos trois pays, qu’il s’agisse de l’histoire, de la langue ou de la culture.
Si l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie sont unies par la géographie et par les vicissitudes de l’histoire, elles n’en conservent pas moins leur singularité.
L’objet de la première table ronde sera d’ailleurs de revenir sur ce siècle d’histoire mouvementée, grâce aux interventions de hautes personnalités, d’universitaires et de chercheurs, que je remercie pour leur présence.
Je pense en particulier à l’annexion brutale de vos trois pays par l’Union soviétique en juin 1940, en application du Pacte germano-soviétique, à l’occupation nazie en 1941, puis à la domination soviétique subie ensuite pendant cinquante années par vos trois pays. Or, malgré la terreur et les souffrances, malgré les déportations et les vagues de répression, vous avez su préserver, au cours de ces cinquante années d’occupation, votre culture, votre langue, votre identité.
Comme le disait le Président François Mitterrand, qui fut le premier dirigeant occidental à se rendre en visite officielle, dans un discours le 14 mai 1992 devant le Parlement lituanien : « Nous avons suivi, avec ferveur, votre combat pour la liberté, les péripéties douloureuses qui ont accompagné cette conquête ».
À cet égard, je rappelle que la France – depuis le Général de Gaulle et tous ses successeurs – n’a jamais reconnu l’annexion de l’Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie par l’Union soviétique. Plus encore, la France a conservé pendant plus d’un demi-siècle l’or que lui avaient confié l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, avant de leur restituer après 1991.
Je voudrais aussi rendre hommage au rôle majeur joué par vos trois pays dans la dissolution de l’Union soviétique en 1991. Je garde en mémoire avec émotion l’image de cette chaîne humaine de près de deux millions de personnes, reliant vos trois capitales – Tallinn, Riga et Vilnius – le 23 août 1989, qui a démontré l’espoir de vos peuples et leur lutte exemplaire pour la liberté et l’indépendance.
Depuis le recouvrement de votre souveraineté en 1991, vous pouvez être fiers du chemin parcouru.
En quelques décennies, vous avez entrepris des transformations majeures, pour édifier des États indépendants, fondés sur les valeurs de la démocratie et de l’État de droit, et réformer vos économies.
Vos trois pays sont membres, depuis 2004, de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne. Vous avez fait le choix d’une intégration résolue au sein de l’Union, en appartenant à la fois à l’espace Schengen et à la zone euro. Vous êtes devenus des partenaires incontournables.
Aujourd’hui, s’il n’existe plus de menace directe pesant sur l’Europe, le monde n’est pas pour autant devenu plus paisible et le contexte géopolitique est même devenu plus imprévisible.
Face au fléau terroriste et au défi migratoire au Sud, au réarmement de la Russie à l’Est ou aux incertitudes liées à la politique de notre allié américain depuis l’arrivée au pouvoir du Président Donald Trump à l’Ouest, nous ne devons pas baisser la garde.
Alors que nos amis britanniques ont décidé de nous quitter, ce contexte ne fait que renforcer à mes yeux, la nécessité pour les Vingt-Sept de préserver notre unité et de renforcer notre coopération.
J’ai la conviction profonde que nous devons absolument éviter la fragmentation et la réapparition de lignes de fractures sur notre continent, notamment entre l’Ouest et l’Est, entre le Nord et le Sud.
C’est le principal message que j’ai porté auprès des plus hautes autorités polonaises, lors de mon déplacement à Varsovie, du 13 au 15 février.
C’est aussi le message que je porterai aux Présidents des Parlements d’Europe centrale, lors de la conférence des pays du V9, qui se tiendra à Bucarest le 18 avril, où j’interviendrai en qualité d’invité spécial, et lors de la conférence des Présidents des Parlements de l’Union européenne, qui se tiendra à Tallinn, du 23 au 24 avril, à l’invitation du Président du Parlement estonien.
En effet, c’est lorsqu’elle est unie et solidaire que l’Europe peut faire entendre sa voix sur la scène internationale.
Aujourd’hui, l’Europe doit impérativement trouver un nouvel élan. Ce sera d’ailleurs l’objet de votre deuxième table ronde.
Cette relance devrait à mon sens être centrée autour d’initiatives concrètes, dans des domaines qui répondent à des attentes des citoyens. Nous devons nous montrer pragmatiques. Ne perdons pas de temps dans des débats sur des « gadgets institutionnels ». Ce qu’attendent de l’Europe les citoyens, c’est de l’efficacité.
La première priorité, à mes yeux, c’est la sécurité et la défense.
La France est très engagée au Sahel pour lutter contre les terroristes islamistes, aux côtés des pays africains, et je me suis rendu récemment auprès des militaires français au Tchad et au Niger pour rendre hommage à leur action.
Je tiens d’ailleurs à remercier vos trois pays pour leurs contributions à l’Europe de la défense, en particulier sur les théâtres d’opérations africains. Vous le savez, la France a besoin de ses partenaires européens pour l’aider à mener le combat contre les terroristes, qui concerne l’Union européenne dans son ensemble. Malgré les progrès enregistrés, notre pays a encore le sentiment d’être trop seul.
Si notre armée est fortement mobilisée pour protéger l’Europe des menaces au Sud, nous n’oublions pas pour autant les menaces à l’Est. Ainsi, la France contribue pleinement, avec nos avions chasseurs, à la police du ciel des trois pays baltes. La France participe aussi au renforcement de la présence de l’OTAN sur le flanc Est, avec le déploiement de soldats français en Estonie en 2017 et en Lituanie en 2018.
À l’avenir, face aux évolutions et menaces sur la scène internationale, il paraît indispensable que les Européens prennent davantage leur destin en main, et se dotent d’une politique étrangère commune, appuyée sur une défense européenne, à la fois crédible et autonome, qui soit complémentaire de l’OTAN.
Face au défi migratoire, nous avons aussi besoin de « plus d’Europe ». C’est ainsi que nous réussirons.
Les politiques européennes (formation de policiers ou gendarmes pour lutter contre les trafiquants, accompagnement au retour, facilités de réinsertion dans les pays d’origine, soutien au développement) mises en place lors du Sommet de La Valette en novembre 2015 font preuve de leur efficacité lorsqu’elles s’articulent avec les mesures prises par les autorités nationales des pays d’origine ou de transit.
Aujourd’hui, c’est la situation aux portes de l’Europe, en Libye, qui doit concentrer nos efforts et notre attention : près d’un million de migrants y sont bloqués. Au-delà des réponses à apporter à la crise libyenne, il me paraît indispensable de renforcer les contrôles aux frontières extérieures et les moyens de l’agence Frontex.
Enfin, une « Europe qui protège », c’est aussi une Europe fondée sur des valeurs communes, une convergence sociale et fiscale, et une Europe qui sait préserver et défendre ses intérêts en matière commerciale.
Je l’ai dit à Varsovie, je le répète devant vous : je ne suis pas partisan d’une Europe à plusieurs vitesses, qui distinguerait entre les États membres. Au contraire, dans une Europe marquée par le Brexit, il m’apparaît essentiel de ressouder la famille européenne. Vos trois pays peuvent jouer à cet égard un rôle très important.
La célébration du centième anniversaire de vos indépendances représente enfin une formidable opportunité pour renforcer nos relations bilatérales et faire connaître davantage l’histoire et la culture de vos trois pays en France.
À cet égard, je pense que les Parlements ont un rôle important à jouer et je salue la contribution du groupe d’amitié France-Pays baltes, de son président M. Olivier Henno, et des présidents délégués, MM. Joël Bigot, Édouard Courtial et André Reichardt.
Qu’il s’agisse des relations politiques, économiques ou culturelles, il existe de nombreuses opportunités pour renforcer nos relations. Je pense notamment aux échanges économiques en matière d’infrastructures – de transports en particulier – mais aussi dans le domaine du numérique, et des start-ups, ou encore du tourisme, de la recherche et de l’innovation, notamment en matière de cybersécurité.
En matière culturelle, le musée d’Orsay accueillera, du 10 avril au 15 juillet, une importante exposition consacrée au Symbolisme balte.
Cette exposition sera l’occasion de présenter au public français et international, les œuvres d’artistes de vos trois pays, qui se sont inspirés de ce courant artistique européen, tout en forgeant un langage propre et original, par le recours aux éléments de la culture populaire.
En vous souhaitant de fructueux travaux, je forme donc le vœu que ce colloque et ce centième anniversaire permettent de donner un nouvel élan à notre coopération et de renforcer les liens entre nos peuples, unis au sein de l’Union européenne.
Vive l’Estonie, vive la Lettonie, vive la Lituanie, vive la France et vive l’amitié franco-balte !
Seul le prononcé fait foi