Discours du Président du Sénat, M. Gérard LARCHER,
lors de la réunion des Présidents des Parlements de l’Union européenne
Session n° 2 : « L’Union européenne avant les élections européennes
de 2019 – Le développement de la coopération entre les parlements nationaux et les institutions européennes »
Vienne, le 9 avril 2019
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mes chers collègues,
Demain, les Vingt-Sept examineront la demande de Mme Theresa May d’un nouveau report du Brexit.
Bien sûr, un retrait ordonné du Royaume-Uni de l’Union européenne est préférable à une sortie sans accord.
Mais l’avenir de l’Union européenne ne peut être durablement conditionné par les atermoiements de la Chambre des communes britannique.
Tout nouveau report devrait être conditionné, dès à présent, par une clarification de la part de Londres sur les modalités du retrait assortie d’un calendrier contraignant.
C’est la position que nous avons exprimée au Président de la République.
Dans quelques semaines, les citoyens européens seront appelés à voter pour désigner leurs représentants au Parlement européen.
J’ai la conviction que sans une véritable refondation, l’Europe ne pourra pas faire face aux défis qui se présentent à nous.
Nos concitoyens ont du mal à se reconnaître dans une Europe qui leur paraît, au fil du temps, s’être éloignée de leurs aspirations.
Et parfois les gouvernements nationaux ont fait de l’Europe le « bouc émissaire » de leurs propres insuccès.
Notre priorité doit donc être de faire se retrouver l’Europe et les citoyens.
Ceux-ci attendent avant tout de l’efficacité et du pragmatisme.
« L’Europe doit rapidement se montrer plus fonctionnelle. Les problèmes sont tellement importants, et tellement urgents, qu’aucun pays ne peut les résoudre seul » pour reprendre les propos du Président du Bundestag Wolfgang Schäuble, dans un journal français.
L'esprit de la « déclaration Schuman » était de développer des solidarités concrètes en vue de préparer les voies d'une union politique.
Cette démarche doit retrouver sa valeur, peut-être en la redéfinissant, en recherchant en permanence la « plus-value » européenne, l’efficacité.
La relance de l’Europe devrait donc être centrée autour d’initiatives concrètes dans des domaines qui répondent aux attentes des citoyens.
Les citoyens veulent d’abord une « Europe qui protège ».
Face au défi migratoire, nous devons réformer les accords de Dublin et de Schengen, harmoniser les règles d’asile et mener une politique européenne de l’immigration alliant coopération conditionnelle et fermeté avec les pays d’origine, quant à leurs engagements en termes de réadmission.
La deuxième priorité est de doter l’Union européenne de politiques en faveur de la croissance et de l’emploi, du soutien à la recherche et à l’industrie, afin de favoriser l’émergence de « champions européens ».
Agissons ensemble pour le numérique et l’intelligence artificielle ! Soyons volontaristes pour organiser la reconquête industrielle ! L’intelligence artificielle et le numérique, c’est l’Europe du charbon et de l’acier d’hier ! Et n’hésitons pas à réexaminer nos règles de la concurrence pour favoriser l’émergence de « champions européens ».
La troisième priorité c’est la politique étrangère et la défense.
Aujourd’hui, le multilatéralisme s’érode, du retour des guerres commerciales à la désintégration de l’architecture financière internationale.
L’ordre mondial s’évapore avec la tentation protectionniste des États-Unis ou la Chine qui rêve de routes conquérantes et les bâtit.
Or, nous constatons que l’Union européenne ne se conçoit pas et n’agit pas comme la puissance qu’elle devrait être.
Ainsi, alors qu’elle reste la première puissance commerciale, l’Union européenne peine à ratifier les accords de commerce, à l’image du CETA ou de l’accord avec le Vietnam.
Si les Européens ont longtemps délégué leur défense à l’OTAN et aux États-Unis en réduisant leur effort de défense, ils paraissent aujourd’hui plus engagés.
Face aux menaces qui pèsent sur notre sécurité, l’Europe doit impérativement affirmer son autonomie stratégique et se doter d’une politique étrangère commune, appuyée sur une défense crédible et autonome, devenir une « Europe puissance » capable de faire entendre sa voix dans le concert des Nations.
Ces initiatives ne dépendent pas de l’adoption au préalable de nouveaux traités ou de la mise en place de superstructures. Ne nous perdons pas dans des discussions institutionnelles. Là aussi, agissons dès à présent, avec pragmatisme !
Nous devons aussi éviter d’aggraver les clivages en Europe, entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest, et préserver l’unité européenne.
Il n’y a qu’une seule Europe.
*
Les Parlements nationaux, qui représentent les Peuples, ont un rôle important à jouer pour rapprocher l’Europe et les citoyens.
Je pense en particulier au renforcement de leur rôle en tant que gardiens du respect du principe de subsidiarité afin que l’action de l’Union européenne se concentre sur l’essentiel.
Et non pour élaborer des directives tatillonnes qui perdent de vue l’essentiel et s’embarrassent du détail !
Nous devrions donc veiller à mieux faire respecter la subsidiarité.
C’est le sens de la contribution que nous avions présentée lors d’une réunion à Bratislava, en octobre 2017.
Dans cette contribution, je proposais notamment d’allonger de huit à douze semaines le délai dont disposent les Parlements nationaux pour adresser un avis motivé ou « carton jaune ».
Je proposais également de reconnaître aux Parlements nationaux un droit d’initiative – ou « carton vert ».
Je proposais enfin de renforcer la coopération entre les Parlements nationaux et avec le Parlement européen.
Ces propositions ont été reprises par la « Task-force » sur la subsidiarité, créée à l’initiative du Président Jean-Claude Juncker.
Il faut maintenant les traduire dans les actes.
Pour conclure, l’Europe est aujourd’hui à un tournant.
Un processus de déconstruction la menace. Elle doit rebondir et se réinventer, comme elle a toujours su le faire par le passé.
Le poète français Paul Valéry posait déjà, en 1919, dans La Crise de l'esprit, les termes de cette équation :
« L'Europe deviendra-t-elle ce qu'elle est en réalité, c'est-à-dire : un petit cap du continent asiatique ? Ou bien l'Europe restera-t-elle ce qu'elle paraît, c'est-à-dire : la partie précieuse de l'univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d'un vaste corps ? »
Il faut que l’Europe mesure les dangers qui la menacent et puise dans ses propres forces de quoi se redonner un avenir. Elle en a les moyens.
Je vous remercie.