Intervention du Président du Sénat, M. Gérard Larcher,
à l’occasion de la Journée nationale des mémoires de la traite,
de l’esclavage et de leurs abolitions
Vendredi 10 mai 2024
Madame la Ministre (Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des Outre‑mer),
Monsieur le Vice-président du Sénat,
Madame la Présidente de la Délégation aux outre‑mer,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Madame l’Ambassadrice des États-Unis d’Amérique,
Monsieur le Ministre conseiller d’Haïti,
Mesdames et Messieurs les diplomates,
Messieurs les Préfets,
Madame la Conseillère régionale d’Île‑de‑France, Déléguée spéciale,
Chers Collègues Maires et élus,
Monsieur le Conseiller d’arrondissement,
Monsieur le Secrétaire général du Sénat,
Monsieur le Directeur de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage,
Mesdames et Messieurs,
Chers enfants,
Nous commémorons aujourd’hui la dix-neuvième Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions.
Cette Journée nationale voulue par le Président Jacques Chirac est intimement liée au Sénat. Le 10 mai 2001 est la date où notre Assemblée a solennellement qualifié la traite et l’esclavage de crimes contre l’humanité. Date qui évoque également l’émouvante proclamation de Basse-Terre de Louis Delgrès (10 mai 1802).
Cette journée se déroule dans le jardin du Luxembourg où a été érigée dès 2007 une sculpture de Fabrice Hybert intitulée « Le cri et l’écrit », montrant ainsi qu’au cri des opprimés, répondait l’écrit de la loi Le message de la loi qui libère, le message de l’actualité permanente du combat pour la dignité, car rien n’est irréversible, nul progrès n’est acquis sans risque de retour.
Sculpture qui incarne parfaitement ce qui nous réunit aujourd’hui : « Résister à l’esclavage : survivre, s’opposer, se révolter ».
Sculpture qui rend hommage aux esclaves qui se révoltèrent pour leur liberté, mais aussi à ceux qui se sont illustrés, à leurs côtés, dans ce combat.
Parmi eux deux illustres sénateurs : l’abbé Grégoire qui arrachera à la Convention, au prix de nombreux efforts, le 4 février 1794, il y a 230 ans, l’abolition de l’esclavage et Victor Schœlcher, initiateur du décret du 27 avril 1848 abolissant définitivement l’esclavage en France et dans ses colonies.
« Pour l’esclave, comme pour le peuple opprimé, l’insurrection est le plus saint des devoirs. » dit Victor Schoelcher.
Comment ne pas penser aussi à Gaston Monnerville, Président du Sénat, petit‑fils d’esclave guyanais dont le buste est à l’entrée de ce jardin. En 1948, pour célébrer le centenaire de l’abolition de l’esclavage, il déclarait : « Contre la volonté, il n’est point de fatalité. Tout est possible à celui qui refuse la servitude. C’est la leçon exaltante qui se dégage de l’exemple même d’un homme comme Victor Schoelcher. C’est celle dont nous, hommes de couleur, venant de tous les horizons d’Outre‑Mer voulons nous inspirer sans cesse.»
Le Sénat a toujours été au cœur de ce combat, et ce sera encore le cas, le 13 mai prochain, avec la diffusion du film dans la salle Clemenceau du Sénat, « La couleur de l’esclavage » du réalisateur Martiniquais, Patrick Baucelin, à l’initiative de Frédéric Buval, sénateur de la Martinique.
Héritiers de l’abbé Grégoire, de Victor Schœlcher, de Gaston Monnerville, nous sommes aujourd’hui les dépositaires de ce moment de résistance où la France brisa enfin les chaînes des esclaves pour leur accorder la citoyenneté.
Cette résistance commença avec une première révolte sur l’île de Saint‑Christophe peu de temps après le début de sa colonisation, en 1639. Ces esclaves s’enfuirent dans les montagnes et, armés d’arcs et de flèches, attaquèrent les colons avant d’être rapidement réprimés. Puis ce fut le tour de la Guadeloupe et de la Martinique. La Réunion, avec l’insurrection de Saint-Leu en 1811 connu également ses combats pour la liberté, sans oublier la Guyane où la géographie a facilité le marronnage et la résistance.
Toutefois, la révolte la plus symbolique est sans aucun doute celle des esclaves de Saint‑Domingue où une insurrection éclate dans la nuit du 22 au 23 août 1791, quand des milliers d’esclaves se soulèvent au cri de « Liberté ! ».
Le puissant désir de liberté des esclaves, les divisions politiques entre les « maîtres », l‘affaiblissement du pouvoir colonial local, la guerre entre les grandes puissances de l’époque, conduisirent à l’indépendance de Saint‑Domingue qui devient Haïti le 1er janvier 1804.
En évoquant le nom d’Haïti, nous ne pouvons pas rester indifférents face à la longue liste de crises politique, économique, sécuritaire, humanitaire qui frappent depuis l’origine ce territoire. Il m’apparait indispensable comme le souligne la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, en raison de la place singulière qu’occupe Haïti dans notre histoire, que la France marque concrètement son engagement pour trouver des réponses à la hauteur d’une situation particulièrement dégradée et inhumaine. Haïti c’est aussi une part de nous‑mêmes.
« Résister à l’esclavage » s’appuyait sur des hommes et des femmes dont certains sont devenus de véritables héros tels Louis Delgrès et Solitude en Guadeloupe ou à Saint-Domingue, Toussaint Louverture qui déclara au moment de sa capture : « En me renversant, on n’a abattu à Saint‑Domingue que le tronc de l’arbre de la liberté des Noirs. Il repoussera par les racines parce qu’elles sont nombreuses et profondes ». Napoléon Bonaparte n’avait pas perçu cette énergie du désespoir. Ce sont les esclaves qui briseront eux‑mêmes leurs chaines.
Ces résistances bousculèrent le système esclavagiste et participèrent à l’abolition légale de cette forme d’exploitation.
Ce moment de mémoire partagée nous montre combien ce combat contre l’esclavage est indissociable du combat pour la liberté ; ainsi Gaston Monnerville citant Félix Éboué démontrait combien ces fils d’affranchis se jetèrent dans le combat dans la Résistance pour la libération de la France au cours de la Seconde Guerre mondiale. Oui Résister !
Félix Éboué mais aussi Victor Schoelcher dont les cendres furent veillées ici même dans ce jardin avant leur entrée au Panthéon le 20 mai 1949.
Ce moment doit être pour nous l’occasion de montrer que la lutte contre l’asservissement et pour la liberté sont encore des combats que nous avons à mener alors que la guerre se déroule en ce moment même aux portes de l’Union européenne !
Il nous faut résister. Il nous faut refuser tout abandon, refuser toute forme d’assujettissement de notre capacité à penser, à agir et à imaginer !
Le sens d’une commémoration comme celle-ci c’est aussi de ne pas oublier ces enfants, ces femmes et ces hommes qui font aujourd’hui l’objet d’une telle exploitation barbare, on cite le chiffre de 50 millions de personnes victime de l’esclavage d’aujourd’hui...
Un esclavage moderne encore présent dans de nombreux pays du monde et qui traverse les frontières ethniques, culturelles et religieuses. Puisse cet esprit de résistance inspirer nos prochains combats !
Cette commémoration doit nous donner la force de combattre cette injure permanente !
Il en va du respect des valeurs de la République à laquelle nous sommes tous si attachés, tout simplement de l’humanisme et de l’universalisme !
Seul le prononcé fait foi