Séance plénière du Sénat de la République du Congo
Allocution du Président du Sénat, M. Gérard Larcher
Séance plénière spéciale au Sénat de la République du Congo
(Hémicycle du Sénat, le 28 mars 2024)
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président du Sénat de la République du Congo,
Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs,
Chers Collègues parlementaires,
Madame l’Ambassadrice de France,
Brazzaville ! S’il est un nom qui résonne dans la mémoire de la France et de l’Afrique, c’est bien celui de votre capitale. Elle se dressa tel un phare de liberté et d’espérance alors que les temps étaient si sombres. Et que rien, sinon la volonté, ne portait à espérer. C’était en 1940 !
À Brazzaville, la France libre conduite par le Général de Gaulle, avec le soutien d’un homme d’exception, Félix Éboué, a pris son élan. Depuis Brazzaville, fut entamée la marche vers la victoire.
Sans Brazzaville, le Gaullisme serait amputé d’une partie de lui-même. Et c’est un Gaulliste qui vous le confesse ! Que d’actes fondateurs posés, ici même ! C’est dans votre capitale, sur les terres congolaises, que l’avenir de la France mais aussi de nombreux pays africains s’est joué, puisque le sens de l’histoire devait les conduire à « choisir noblement, libéralement, la route des temps nouveaux » - le Général de Gaulle, « l’homme de Brazzaville, comme vous le nommez, a formulé ces paroles prophétiques à quelques pas d’ici, en 1944.
C’est dire l’émotion qui m’étreint, comme Président du Sénat, comme Gaulliste, au moment de m’exprimer devant vous, lors de cette séance plénière spéciale, dans l’enceinte de votre haute assemblée : je mesure l’honneur que vous me faites et tiens à remercier le Vénérable Président Ngolo de son invitation et de l’accueil exceptionnel qui m’est réservé, ainsi qu’à la délégation qui m’accompagne.
Permettez-moi de vous la présenter. Vous excuserez d’avance sa composition exclusivement masculine, qui n’est pas à l’image du Sénat français, alors que je distingue dans cette enceinte, dans votre enceinte, tant de femmes sénatrices. J’en profite pour rendre un hommage à toutes les femmes, aux femmes congolaises bien-sûr, qui font le choix de s’engager en politique et, Monsieur le Président, avec votre autorisation, je les y encourage et les félicite !
Permettez-moi, donc, de vous présenter ma délégation : le Vice-président du Sénat, le sénateur Loïc Hervé ; le Président de la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le sénateur Cédric Perrin ; le Président du groupe d’amitié entre la France et votre région, au premier chef la République du Congo, le sénateur Guillaume Chevrollier.
Monsieur le Président, chers Collègues,
Avant d’en venir au thème de cette séance plénière spéciale, je souhaiterais dire un mot de l’amitié entre nos deux pays.
Rares sont les pays qui, comme la République du Congo et la France, ont partagé une histoire si dense, pétrie d’une même glaise, solidifiée par les épreuves surmontées côte à côte. Rien ni personne ne pourra nous ôter ce patrimoine commun, que nous chérissons dans la Francophonie. Quelle fierté d’en être aujourd’hui, tous ensemble, les dépositaires !
Et le chemin parcouru est à la hauteur de notre histoire. Bien-sûr, il y eut des moments où nos voies ont divergé. Mais, à chaque fois, nous nous sommes retrouvés et reconnus.
Parce que nous savons ce que nous valons les uns et les autres. Parce que nous nous comprenons, avec une langue en partage, certes plurielle, mais porteuse des mêmes valeurs, des mêmes aspirations, et riche de sa créativité. La République du Congo l’illustre, ô combien, aujourd’hui ! Une langue qui nous rassemble !
Dans un monde agité, dans une Afrique tourmentée par la radicalité islamique, bousculée dans sa continuité constitutionnelle, en proie à l’avidité de puissances sans scrupules, la République du Congo reste fidèle à son amitié avec la France.
Et, en doutez-vous ? C’est l’amitié de la France que je suis venu vous témoigner !
Monsieur le Président du Sénat, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
La vraie amitié n’est point impérieuse : c’est une liaison libre, dont le cœur et l’esprit, la raison et le temps, ont ensemble formé les nœuds. Elle s’accomplit dans le respect mutuel. Nous savons que le respect de la souveraineté et de l’équité, la recherche de l’intérêt partagé, la promotion de nos atouts, forment les conditions sincères de nos relations, loin des ambitions de puissance et de leurs appétits prédateurs, loin des États qui, à dessein, accusent les clivages entre les pays du Nord et du Sud, plutôt que de valoriser les convergences.
Une amitié authentique : voilà ce que la France, au travers du Sénat de la République, offre à la République du Congo, et ce à quoi elle aspire auprès de votre pays !
Nos sénats ont donné l’exemple. Ils ont signé, en décembre 2023, un accord de coopération, qui est davantage qu’un accord administratif : il manifeste notre confiance et notre solidarité.
Nous avons porté cet accord sur les fonts baptismaux à Paris.
Nous le ferons grandir ensemble, ici, à Brazzaville.
Dans cet accord, nous avons tenu à inscrire le renforcement du bicamérisme. Est-il utile de le préciser devant vous ? Deux chambres, ce n’est pas une chambre de trop ! C’est la garantie d’une législation plus réfléchie, plus étudiée, d’un système parlementaire bien installé sur ces deux piliers.
Nulle part mieux que dans un système bicaméral ne sont défendues les aspirations des collectivités territoriales : en ce sens, la décentralisation est fille du bicamérisme.
Pour cette raison, l’organisation territoriale et la décentralisation occupent une place à part dans l’accord de coopération signé entre nos deux Sénats.
La décentralisation en France a longtemps effrayé. Toute l’histoire de France convergeait vers un seul objectif : le renforcement de l’État central.
Comment, dans ces conditions, concilier une République une et indivisible avec la décentralisation ? Comment conjuguer le caractère à la fois « unitaire », « indivisible » et « décentralisé » de l’État, pour reprendre l’article 1er de votre Constitution ?
À l’heure où la République du Congo réfléchit à la façon d’approfondir son processus de décentralisation, à lui donner un nouvel élan, permettez-moi d’apporter un éclairage en forme de plaidoyer nourri de l’expérience, d’hésitations parfois, de convictions souvent. En tant que sénateurs qui représentez, comme nous, les collectivités territoriales de la République, vous comprendrez mon attachement à la décentralisation.
« Attention ! », « Prudence ! », mettaient en garde ceux qui lui étaient hostiles. Ils craignaient que l’État central ne s’affaiblisse et que la division ne l’emporte sur l’unité. Fort heureusement, leurs prédictions ne se sont pas vérifiées.
La décentralisation a été maîtrisée, en France, parce que l’État l’a accompagnée et canalisée, à travers la déconcentration. Déconcentration et décentralisation ont cheminé de pair.
Un singulier pas de deux s’est noué entre le préfet, représentant de l’Etat au niveau local, et les entités décentralisées dont les prérogatives s’accroissaient, et qui se voyaient progressivement dotées de ressources propres, et donc prévisibles. Question cruciale, s’il en est.
L’octroi de ressources propres fut l’élément déclencheur, celui qui, en plus de l’élection, permit aux collectivités locales de gérer en responsabilité leur budget, de décider de leurs actions et d’acquérir ainsi une existence à part entière. Le tout sous la surveillance, dans un premier temps, du Préfet, pour éviter qu’elles n’outrepassent leurs droits ou pour permettre à l’État d’intervenir en cas d’urgences.
Aux yeux de ceux qui émettaient des doutes sur son opportunité, la décentralisation a produit des effets inattendus : ce n’est pas le moindre de ses paradoxes que d’avoir renforcé la cohésion nationale.
La décentralisation, en effet, est bien plus qu’une architecture institutionnelle : elle suppose une participation accrue des citoyens à la vie locale, en vertu de l’adage selon lequel bien des décisions et des actions peuvent être entreprises localement avec plus d’efficacité et de rapidité, pour mieux satisfaire aux besoins immédiats. C’est la subsidiarité.
On le sait : la proximité favorise une gestion harmonieuse de la diversité des territoires et de leurs attentes. Et, toute femme, tout homme politique peut en témoigner : des besoins satisfaits sont sources de concorde publique, et de suffrages !
La décentralisation a également permis de juguler, en France, des revendications régionalistes, par la reconnaissance de spécificités et par la libre administration pour les seules affaires locales. Elles offrent la flexibilité nécessaire pour que des traits particuliers puissent trouver leur place dans un ensemble national plus vaste, avec un fil conducteur : l’unité de la République. Si elle préserve l’unité, la décentralisation n’est pas l’uniformité.
Mais il existe une borne qui, à mes yeux, est infranchissable : le pouvoir législatif ne se partage pas, la loi de la République doit s’appliquer partout et dans les mêmes conditions. Ce sont des débats qui sont loin d’être éteints en France.
La décentralisation est aussi source d’un développement plus équitable, alors que les déséquilibres entre villes et campagnes, provinces riches ou moins dotées, nourrissent parfois des rivalités ou des revendications antagonistes. Elle entraîne, dans son sillage, une coopération décuplée avec des entités locales de pays amis.
Autant de transferts et de moyens qui servent la cause du développement, et de l’amélioration des conditions de vie de tous les habitants.
Ne pensons pas, cependant, que la décentralisation serait une formule magique, à même d’aplanir toutes les difficultés. Aucun modèle n’est transposable tel quel.
Mais c’est un constat : partout où les collectivités locales disposent de prérogatives propres, l’autorité de l’État progresse, la stabilité des institutions se renforce, le développement se fait plus inclusif. La démocratie s’enracine.
Le sage Solon, auquel l’on demandait quel était le meilleur système politique, répondait : « Pour quel pays ? Pour quel peuple ? Pour quelle époque » ? La démocratie est plurielle. Aucun peuple n’en détient la clef. Chacun suit son propre chemin, mais bien des chemins se rencontrent en démocratie.
La décentralisation est l’un de ses chemins.
Je renouvelle donc, en m’adressant à cette vénérable Assemblée, la proposition que j’ai formulée auprès de votre Président : le Sénat de la République française est prêt à partager avec vous tous, si cela peut éclairer et servir, son expérience de la décentralisation, ses succès comme ses défis, et à vous accompagner dans votre effort de redynamisation des politiques décentralisées. Car l’approfondissement de la décentralisation est un cheminement qui exige du temps, et passe par de nombreuses phases d’adaptation et de transition.
Monsieur le Président du Sénat, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
On pourrait, sans tomber dans l’emphase, appliquer à la relation entre nos deux sénats, entre la Nation française et la Nation congolaise, la belle formule de Montaigne définissant l’amitié : « Parce que c’était lui. Parce que c’était moi ».
Mais notre relation transcende nos deux pays. Elle se projette au-delà, elle rejaillit qui sur l’Afrique dans son ensemble, qui sur l’Europe, car les destins de nos continents ont parties liées.
S’il est un dessein qui doit nous conduire dans les temps présents, c’est bien de se montrer solidaire de l’Afrique en Europe, et solidaire de l’Europe en Afrique.
Ne nous égarons pas. Restons engagés et confiants les uns envers les autres.
Tel est l’appel que je lance, de cette vénérable enceinte, devant les sénateurs amis du Congo, à tous les Européens et à tous les Africains !
Vive le Sénat de la République du Congo ! Vive l’amitié entre nos deux pays !