Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Démission d'un sénateur

Demande d'approbation d'une déclaration de politique générale du gouvernement

Commission spéciale « service minimum »

Création et candidatures

Commission spéciale « service minimum »

Nominations

Déclaration du Gouvernement sur les résultats du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007

ORDRE DU JOUR

du mercredi 4 juillet 2007




SÉANCE

du mercredi 4 juillet 2007

2eséance de la session extraordinaire 2006-2007

présidence de M. Christian Poncelet

La séance est ouverte à 15 heures 5.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Démission d'un sénateur

M. le président. - J'ai reçu une lettre de M. Maurice Blin par laquelle il se démet de son mandat de sénateur des Ardennes, à compter du mardi 3 juillet 2007.

Acte est donné de cette démission.

Demande d'approbation d'une déclaration de politique générale du gouvernement

M. le président. - L'ordre du jour appelle la demande d'approbation d'une déclaration de politique générale du gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote sur cette demande, en application de l'article 49, quatrième alinéa, de la Constitution.

Rappelons que cette procédure, qui constitue un moment solennel pour notre Assemblée, est mise en oeuvre pour la seizième fois depuis le début de la Ve République. Le Sénat est extrêmement sensible à cette marque d'attention, d'estime et de considération institutionnelle que lui témoigne le gouvernement. (M. Dreyfus-Schmidt ironise)

Au nom du Sénat, je salue la présence dans l'hémicycle de nombreux membres du gouvernement qui nous font l'honneur de leur présence. (Applaudissements à droite et au centre) Une nouvelle fois, j'ai une pensée particulière pour ceux d'entre eux qui siégèrent sur les bancs de notre Assemblée. Je me félicite particulièrement qu'un ancien sénateur, M. François Fillon, devienne Premier ministre. (Applaudissements à droite et au centre) Après Michel Debré et Jean-Pierre Raffarin (« Bravo ! » et applaudissements à droite), c'est la troisième fois sous la Ve République,.

Je souhaite que le gouvernement continue de s'inspirer des travaux du Sénat qui, pendant la période électorale, n'a pas levé le pied...

Une voix à droite. - Exact !

M. le président. - Nos commissions ont tenu pas moins de 77 réunions et 11 conférences de presse ont été programmées pour donner l'écho le plus large à nos travaux.

M. Jean-Claude Gaudin. - Eh bien !

M. le président. - Le Sénat aura à coeur de jouer un rôle constructif pour que soit mise en oeuvre la nouvelle politique de ce gouvernement. Je sais notre volonté et celle du gouvernement de travailler ensemble pour l'intérêt général. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs de l'UC-UDF)

M. François Fillon, Premier ministre. - Le Sénat, par sa hauteur de vue et sa culture politique singulière, a un rôle significatif à jouer dans la nouvelle politique qui s'engage. (Vifs applaudissements à droite)

Après une longue campagne électorale, la France offre un nouveau visage : celui d'un peuple décidé au changement, celui d'un pays rassemblé dans une exigence de modernité, celui d'une nation prête à construire un avenir fidèle à son histoire.

En votant massivement, les Français ont fait mentir tous ceux qui glosaient sur le cynisme et le désenchantement des électeurs.

Une voix à gauche. - Vous voulez parler des électeurs de l'UMP ?

M. François Fillon, Premier ministre. - Ils ont montré qu'ils voulaient choisir leur destin et ont voté la réforme et la rupture. Loin de refuser le changement, ils l'ont appelé de leurs voeux.

M. Charles Revet. - Très juste ! (Mme Hélène Luc proteste)

M. François Fillon, Premier ministre. - Ce choix nous oblige. Nous avons la responsabilité de refuser les hésitations et les moratoires car les Français attendent des résultats.

M. Charles Revet. - Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre. - Les Français veulent une nouvelle manière de faire de la politique, ils veulent une nouvelle politique, ils veulent que la France de demain ne ressemble pas à celle d'hier.

Mme Hélène Luc. - Oh la la !

M. François Fillon, Premier ministre. - La France de demain doit être capable de se réformer sans crise. Notre peuple est-il condamné à être le seul à ne pas savoir régler par la discussion les problèmes majeurs qui se posent au pays ? Je refuse de le croire.

M. David Assouline. - Nous verrons ce qu'il en est cet été...

M. François Fillon, Premier ministre. - Devant le Sénat qui possède davantage que d'autres institutions l'art du dialogue et le souci du compromis, je veux souligner que nous devons changer de méthodes dans l'exercice du pouvoir et la manière de réformer.

Pour cela, il faut d'abord accorder une large place à la parité et à la diversité.

Une voix à gauche. - Ce n'est pas ce que vous avez fait !

M. François Fillon, Premier ministre. - C'est la raison pour laquelle nous avons choisi l'ouverture.

M. Charles Revet. - Très juste !

M. David Assouline. - Débauchage ! Débauchage !

M. François Fillon, Premier ministre. - Il ne s'agit pas d'un choix de circonstance, ni d'une décision tactique. (Applaudissements à droite) C'est un choix démocratique et politique. Pour bâtir un projet commun, il faut rassembler les sensibilités françaises.

Ensuite, la revalorisation du rôle du Parlement. (Exclamations à gauche)

Mme Hélène Luc. - On attend de voir !

M. David Assouline. - Attendons le débat sur la réforme des universités !

M. François Fillon, Premier ministre. - Pour que le Parlement joue pleinement son rôle, il faut mieux respecter l'opposition. (« Ah ! » sur les bancs communistes) En la matière, nous avait fait et nous proposons davantage que n'importe quel autre gouvernement ! (« Très bien ! » et applaudissements à droite) C'est dans le respect de chacun, dans la volonté de transcender les postures que nous pourrons instaurer un véritable débat de fond. J'ai indiqué hier, par la voix de M. Borloo, comment nous entendions engager cette rénovation institutionnelle. A cet égard, chacun aura compris que M. le Ministre d'Etat, lorsqu'il a évoqué l'introduction d'une dose de proportionnelle, visait l'élection de certains députés, et non celle des sénateurs. (« Ah ! » à droite et au centre)

M. Jean-Marc Todeschini. - A droite, ils étaient très inquiets !

M. Didier Boulaud. - Ils en tremblent encore ! (Sourires)

M. François Fillon, Premier ministre. - Puis nous devons rénover la démocratie sociale. De la réforme des retraites de 2003 à la loi du 4 mai 2004 qui a posé la première pierre de la rénovation du dialogue social, j'ai montré combien j'y suis attaché. Pour agir avec clarté et, si nécessaire, avec autorité, il faut au préalable avoir écouté et responsabilisé tous les interlocuteurs.

Notre démocratie sociale a besoin d'un nouveau souffle. Nous avons confié aux partenaires sociaux les questions de la rénovation du contrat de travail, de la sécurisation des parcours professionnels et de la modernisation du régime d'assurance chômage. Ce n'est pas que le gouvernement batte en retraite : si aucun accord n'est trouvé, nous agirons.

Au-delà, il faut réformer les conditions d'exercice mêmes de la démocratie sociale. J'ai l'intention d'engager cette révolution qui relève de l'intérêt général.

Le fonctionnement de l'État, maintenant. Les Français apprécient leur administration, son impartialité, sa rigueur, son attachement au service public. Mais une vraie réforme de l'État reste à faire, afin de bâtir un État moderne, réactif, à l'image du monde qui change, attentif à la satisfaction des usagers.

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Il ne faut pas hésiter à faire appel aux nouvelles technologies pour faciliter la vie des Français. Je veux que la satisfaction des usagers soit une préoccupation constante des services publics, en ville comme en milieu rural. Je veux rénover les relations de l'État avec ses contractants et ses partenaires : je n'accepte pas que l'État soit le pire des payeurs, qu'il ne tienne pas parole en arguant de ses propres lourdeurs. ((Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

Pour réussir ces changements, il y a une condition impérative : associer et valoriser les fonctionnaires. Ceux-ci peuvent être moins nombreux, à condition qu'ils soient considérés, respectés, valorisés. C'est pourquoi la moitié des économies réalisées grâce au non remplacement d'un départ à la retraite sur deux sera affectée à l'amélioration de leur rémunération et à la reconnaissance du mérite.

Nous donnerons enfin une véritable autonomie aux services déconcentrés. Il faut que des solutions efficaces soient mises en place localement, sous l'autorité des préfets, en accord avec les élus.

Cinquième innovation, enfin, indissociable de la réforme de l'État, le recadrage de nos dépenses publiques. La responsabilisation des agents publics doit s'étendre jusqu'au sommet de l'administration : je ferai en sorte que les ministres soient jugés sur leurs résultats ; notre procédure budgétaire sera profondément rénovée pour les amener à rendre des comptes à la représentation nationale de leur enveloppe de crédits ainsi que des résultats obtenus. (Applaudissements à droite)

Notre objectif est clair : ramener notre dette à 60 % du PIB en 2012. Notre pays connaît un niveau de dépenses publiques record parmi les pays développés sans que ses résultats en matière d'emploi, d'éducation, de lutte contre les inégalités, soient à la hauteur de nos ambitions. Il est possible d'utiliser mieux l'argent des Français.

Au coeur de toutes ces innovations, il y a un mot clé : la confiance. Confiance envers le Parlement. Confiance envers les partenaires sociaux. Confiance envers les fonctionnaires. Confiance aussi aux collectivités locales.

Je crois à l'autonomie, à la décentralisation, à la responsabilité. Élu local moi-même, je connais les ambitions et les difficultés des communes, des intercommunalités, des départements et des régions. Nous devons travailler à un chantier sans cesse repoussé, celui des finances locales. Le système actuel est injuste pour les collectivités, injuste pour les contribuables, et dangereux pour la performance de nos entreprises.

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Un contrat pluriannuel, compatible avec les normes que vous fixez à l'État pour ses propres dépenses, déterminera l'évolution de ses concours aux collectivités, dont la fiscalité sera adaptée. Enfin, une conférence nationale des exécutifs garantira l'association des collectivités à l'élaboration des normes qui les concernent, en liaison avec le comité des finances locales. L'année 2008 sera essentielle pour les collectivités, avec les élections municipales et cantonales. Je travaillerai donc avec vous pour inscrire les relations entre l'État et les collectivités locales dans un cadre transparent qui permettra aux nouvelles équipes de disposer de perspectives claires.

Ensemble, nous allons créer les conditions d'une France entreprenante et innovante. Une France du plein emploi. Une France de l'égalité des chances. Avec le chef de l'État, je veux tout faire pour favoriser le travail, l'entreprise, l'innovation.

Vous allez débattre, dans des prochains jours, de textes décisifs pour notre croissance. La réforme des universités est l'une des réformes essentielles de cette législature. Ce texte sera examiné d'abord par le Sénat. C'est un hommage à vos nombreux travaux sur les questions universitaires et scientifiques. Les universités vont enfin devenir autonomes. Elles pourront gérer leur personnel, leurs moyens de fonctionnement, leurs bâtiments. Elles pourront nouer des partenariats avec les entreprises et les collectivités. Nous allons agir pour la recherche, en dirigeant les aides vers les PME, en renforçant le crédit d'impôt recherche, en faisant vivre les pôles de compétitivité. Grâce à ces mesures, la France se donnera les moyens d'une recherche de niveau mondial. (Applaudissements au centre et à droite)

Vous débattrez ensuite du service minimum. Il n'est plus acceptable que les Français soient empêchés de se rendre à leur travail. C'est la remise en cause de libertés fondamentales et un frein pour notre économie. (Protestations à gauche. Applaudissements à droite et au centre)

Enfin vous serez saisis dans les prochains jours du texte sur le travail, l'emploi, et le pouvoir d'achat. Ce texte repose sur un principe simple : l'activité entraîne la croissance, le travail appelle le travail. En défiscalisant les heures supplémentaires, en supprimant les droits de succession dans 95 % des cas, en renforçant le bouclier fiscal, nous allons donner du pouvoir d'achat, revaloriser le travail, favoriser l'investissement en France et donc servir la croissance. (Applaudissements sur les bancs de l'UMP)

Et puis nous voulons réhabiliter l'esprit d'entreprise. Nous allons mettre en place une commission chargée de lever un maximum d'obstacles à l'activité des entreprises. Nous allons favoriser fiscalement l'innovation au service du développement durable.

La France de demain peut et doit atteindre le plein emploi. Il n'y a aucune raison pour qu'elle ne fasse pas aussi bien que nos partenaires. C'est pourquoi nous allons réformer notre droit du travail afin de moderniser notre marché du travail, le rendre plus fluide. Nous veillerons à ce que les salariés confrontés à des mutations économiques soient mieux accompagnés en matière de recherche d'emploi, de formation, d'indemnisation.

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Enfin, je veux qu'en France, l'égalité des chances devienne une réalité. À l'école, d'abord, et nous allons mettre en place les études dirigées de 16 heures à 18 heures, le soutien scolaire, afin que tous les enfants, quel que soit leur milieu d'origine, puissent maîtriser les savoirs fondamentaux. Nous allons garantir l'accueil en établissement scolaire de tous les enfants handicapés. (A gauche, on objecte la diminution du nombre des postes)

Nous allons redéployer les moyens des services publics au profit des quartiers, car aucune partie du territoire ne doit se sentir oubliée de la République.

Nous allons réformer nos régimes de sécurité sociale dans un esprit d'équité et de vérité. Nous dégagerons des moyens nouveaux pour les chantiers présidentiels : cancer, maladie d'Alzheimer, soins palliatifs. Nous relèverons les petites retraites. Mais pour cela nous devrons faire des efforts, réformer nos régimes spéciaux, en accroissant notre contribution à nos dépenses de santé. À ce prix seulement, nous pourrons sauver notre modèle social.

Parce que les Français nous en ont donné le mandat, une rupture constructive va être engagée.

M. Jean-Marc Todeschini. - Avec la Chiraquie ?

M. François Fillon, Premier ministre. - Pour la conduire, j'ai besoin de votre soutien. C'est pourquoi je souhaite, conformément à l'article 49, alinéa 4, de la Constitution, que le Sénat se prononce par un vote qui témoignera de son engagement. (Applaudissements au centre et à droite. Mmes et MM. les sénateurs UMP se lèvent et applaudissent longuement)

M. Pierre Laffitte. - Vous avez, monsieur le Premier ministre, évoqué la rupture nécessaire dans ce monde désormais mondialisé, rupture dont Nicolas Sarkozy a eu l'audace de formuler l'exigence, comme il a saisi avec vous la nécessité de définir un programme que les Français ont plébiscité, au point que la vague rose qui avait submergé le pays lors des élections régionales a reflué.

Je suis ingénieur de formation, géologue minier de profession, et depuis plus de quarante ans passionné par une volonté de faire entrer la France dans la société du savoir qui doit remplacer la société basée sur la seule industrie et les capitaux. J'ai agi en ce sens à l'École des Mines, dans l'aménagement du territoire, à Sophia Antipolis et au Sénat.

Analyser, observer et conclure sans dogmatisme, c'est une démarche familière pour les membres du Rassemblement démocratique et social européen. J'ai observé que la France, grâce à la campagne présidentielle, a repris goût à la chose publique.

Je reviens d'un congrès des parcs scientifiques mondiaux à Barcelone. La Catalogne et cette ville sont des modèles de dynamisme, en particulier auprès du port et de l'aéroport, dans l'immense zone franche auprès du village olympique, proche de la future gare du TGV Paris-Barcelone-Madrid.

Première rupture -elle est inespérée-, la France est de retour en Europe au grand soulagement de nos partenaires européens.

M. Jean-Pierre Michel. - Et des Français ?

M. Pierre Laffitte. - Membre du seul groupe parlementaire unanimement européen, je m'en réjouis et plaide pour une Europe de l'innovation.

Deuxième rupture, l'ouverture. Vous avez choisi vos ministres en fonction de leurs compétences et les Français y sont favorables. Vous voulez convaincre et non pas vaincre. L'opposition semble encore crispée mais lorsque Jacques Pelletier était entré dans le gouvernement de Michel Rocard, nous avions trouvé cela normal. J'espère que la France aura bientôt une opposition moderne, débarrassée de ses dogmes car les enjeux de la mondialisation ne sont ni de droite ni de gauche. (M. Raffarin approuve vivement l'orateur)

La troisième rupture engage l'avenir tant il est vrai que le problème de l'université est crucial. Nous devons être attractifs et développer des pôles d'excellence. Je vous sais gré d'avoir déposé devant le Sénat le projet de loi sur les universités, qui doivent disposer d'un exécutif responsable.

Dernière rupture, le gouvernement donne la priorité à la biodiversité. Le Grenelle de l'environnement mesurera les actions à mener avec volontarisme contre le réchauffement climatique.

Le pire des risques serait de ne pas en prendre. Favorable à une rupture constructive, la majorité du RDSE vous donne sa confiance avec enthousiasme. (On applaudit sur la plupart des bancs au centre. Vifs applaudissements sur les bancs de l'UMP)

M. Bruno Retailleau. - Nous sommes là, je l'espère, pour saisir la dernière chance de moderniser la France sans drame avant que la capacité de régler ses problèmes nous échappe. L'élection de Nicolas Sarkozy a suscité un élan et vous avez le mandat de réformer profondément. Par le redressement économique de la France car, malgré d'énormes atouts, elle a décroché de ses partenaires et perdu dix places en quinze ans. De ce point de vue, les 35 heures ont été une erreur catastrophique (Applaudissements à droite et au centre), dont les plus pauvres ont fait les frais. Il est bon de revaloriser l'effort.

Notre modèle social est miné : pour la première fois, les parents pensent que leurs enfants connaîtront un monde plus dur que le leur. Laisserons-nous nos dettes à la jeunesse, lui imposerons-nous de vivre sur une planète où la biodiversité s'essouffle ? Quand la moitié des étudiants échoue au Deug, qu'il n'y a que 5 % d'enfants d'ouvriers dans les grandes écoles - on en comptait 20 % il y a cinquante ans-, ceux qui ne veulent rien changer sont complices de l'injustice. (Applaudissements à droite et au centre)

La France a besoin de réformes audacieuses. Les rendre possibles impose de retrouver le sens du collectif et de l'intérêt général : il faut que nos compatriotes redeviennent fiers d'être Français car on ne met pas un peuple en mouvement pour 1 % de PIB ! J'ai été heureux pendant la campagne d'entendre parler de la France sans complexe alors qu'on nous avait dit qu'être fier de soi serait déjà mépriser les autres et que la France était vouée à la repentance sur tout et à perpétuité. (Approbations à droite) Cet esprit de 68 («Ha ! » sur les bancs socialistes) a inspiré le déclinisme postnational comme si l'Europe était notre seul avenir. Refusons cette impuissance publique et retrouvons le sens de la nation et de l'action car le génie français est d'articuler le particulier et l'universel. (Mouvements divers à gauche)

M. Dominique Braye. - Si vous l'écoutiez, vous réussiriez à changer !

M. Bruno Retailleau. - Nous sommes derrière vous car vous êtes courageux : vous en avez administré la preuve en menant des réformes ambitieuses. En homme de l'ouest, je vous dis : tenez bon, la France vous le demande. (Applaudissements à droite et au centre. M. Auban : « Zéro »)

M. le président. - La parole est à Mme Borvo Cohen-Seat.

M. Dominique Braye. - Voilà la France de 68 !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Rien ne change, pour vous.

M. Dominique Braye. - Dans la bouche d'une communiste, c'est un comble !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous avons entendu votre discours d'hier, que nous a lu...

Mme Raymonde Le Texier. - Fort mal...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ... M. Borloo. Vous y avez repris sans imagination les thèmes que le président Sarkozy décline au fil de ses multiples interventions.

Le suffrage universel a parlé. Le président de la République a été élu avec 53 % des voix mais 47 % des électeurs n'ont pas voté pour lui et votre majorité à l'Assemblée nationale est plus courte que sous la législature précédente. Cependant, après cinq années de pouvoir UMP, la gauche n'a pas convaincu. Chacune de ses composantes doit en tirer les leçons, qui sont lourdes.

M. Charles Pasqua. - En effet.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - En venant devant le parlement, vous respectez les formes mais depuis un mois, la réalité est que le président définit la politique qui est mise en oeuvre par son gouvernement. Une réforme institutionnelle ? La présidentialisation était déjà à l'oeuvre avec le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral que nous avions refusés...

M. Charles Pasqua. - Vous aviez raison.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - L'expérience nous confirme dans notre refus. Le peuple approuve-t-il ? Il est bien tôt pour le dire. En attendant, le parlement est confiné dans un rôle subsidiaire de chambre d'enregistrement de la volonté présidentielle. Vous n'avez pas tenu compte de la diversité démocratique mais, alors que nous ne sommes représentés ni au bureau de l'Assemblée nationale ni à la nouvelle délégation pour le renseignement, nous continuerons à nous battre pour un véritable pluralisme sans être une opposition à Sa Majesté.

Pourfendeur des idéologies, c'est-à-dire de celle de la gauche, vous accompagnez votre triptyque « travail, autorité mérite » de l'identité nationale, qui remplit d'aise M. Retailleau, et de volontarisme politique. Quelle habile adaptation du petit livre de Mme Parisot et du Medef : tous vos thèmes sont dans Besoin d'air ! Le volontarisme politique a séduit mais que restera-t-il une fois que les actes auront dissipé l'illusion des mots ? Or les actes commencent à se voir. Est-ce bien une rupture que vous menez vous et les ministres qui étaient déjà hier au gouvernement avec vous ?

Le Président de la République veut aller plus vite, plus fort, plus loin. Ainsi des exonérations de cotisations sociales pour les patrons, qui ont un coût élevé mais aucun résultat en matière d'emploi. Vous voulez faire plus, non pas pour les PME, comme vous le prétendiez, mais pour les fonds d'investissement ! Vous annoncez de nouveaux profits pour les actionnaires, alors que les suppressions d'emplois se multiplient : Airbus, Alcatel, PSA, Crédit Lyonnais... la liste est longue ! Nous vendons nos entreprises au moins offrant, la baisse -d'ailleurs contestée- du nombre de chômeurs ne correspond pas à des créations d'emploi, les profits sont de plus en plus accaparés par les actionnaires.

Où est l'interdiction des parachutes dorés ? Nous proposons, nous, sans complexe, de rémunérer plus le travail que les actionnaires.

De 1998 à 2005, les plus riches ont vu leurs revenus augmenter de 19 %, et les 0,01 % de très riches, de 42 % ! C'est sans doute l'illustration du « travailler plus pour gagner plus »...

La suppression des droits de succession ? Elle concerne les 5 % de patrimoines les plus élevés ! Le bouclier fiscal, l'allègement de l'ISF ? Vous continuez sur votre lancée... Quant au miroir aux alouettes des heures supplémentaires, ce n'est rien moins que de la propagande, qui vise à supprimer la durée légale du travail : le patronat n'utilise pas le quota ! L'armée de salariés à temps partiel contraint serait bien contente de travailler 35 heures pour gagner au moins le SMIC...

L'augmentation du pouvoir d'achat était l'un des engagements de Nicolas Sarkozy. Les salariés des usines, de la grande distribution ne méritaient-ils pas que l'on donne un coup de pouce au SMIC, qui concerne 2,5 millions de salariés? Comment vivre avec moins de 1500 euros par mois ? C'est sans complexe que nous mènerons ce combat.

Vous ne concevez les services publics que par le prisme de la dépense, sans prendre en compte leur utilité. Le non-renouvellement d'un fonctionnaire sur deux devait épargner l'école et l'hôpital : avec dix mille postes d'enseignants en moins, ça commence mal ! C'est l'inverse qu'il fallait faire !

La recherche et l'université étaient des priorités du candidat Sarkozy, mais votre projet de loi, élaboré dans la précipitation, semble loin de répondre aux énormes problèmes de notre enseignement supérieur. Nous dépensons toujours beaucoup moins que d'autres pays européens. Nous craignons l'abandon de la maîtrise publique de la recherche ; la tradition rentière du patronat français, la place des fonds d'investissement font obstacle à la promesse d'un investissement « sans précédent » pour la recherche, quelles que soient les exonérations prévues. Je vous propose sans complexe une fiscalité plus juste et plus progressive, avec une baisse des impôts indirects.

Mme Hélène Luc. - Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Les pays du Nord qui réussissent ont des prélèvements obligatoires supérieurs aux nôtres !

Nos concitoyens ont très bien compris que la TVA « sociale » entamerait leur pouvoir d'achat et pénaliserait les plus pauvres. Ils l'ont d'ailleurs déjà exprimé au deuxième tour des législatives...

La franchise médicale est particulièrement injuste. Ceux qui gagnent plus paieront plus pour leur santé, dites-vous. Le système inventé par les pères de la sécurité sociale garantissait l'égalité, avec des cotisations progressives. Je vous propose aujourd'hui de faire participer tous les revenus, y compris financiers, à la sécurité sociale, plutôt que d'instaurer une médecine à deux vitesses !

Comment croire que vous allez défendre l'intérêt national, quand M. Luc Chatel, secrétaire d'Etat à la consommation, fait la publicité des concurrents d'EDF ? Et que dire de votre utilisation de l'argent public quand on apprend que l'Etat rachète 376 millions l'immeuble de feue l'Imprimerie nationale, vendu 85 millions à un fonds d'investissement, pour y loger le ministère des affaires étrangères !

M. Guy Fischer. - Scandaleux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Heureusement, les Français, qui rejettent à 63 % l'ouverture du marché de l'électricité et du gaz, ne comptent pas changer de fournisseurs. La mission commune d'information du Sénat sur l'énergie, créée à l'initiative du groupe CRC, vient de confirmer la nécessité d'une maîtrise publique.

Hélas, la libéralisation est le maître mot de l'Europe des marchands.

L'exemple de France Telecom, dont vous avez-vous-même engagé la privatisation en 1996, est édifiant : la part de l'Etat -qui devait rester au dessus des 51 %- n'est plus que de 25 %, 22 000 emplois ont été supprimés...

M. François Fillon, Premier ministre. - Il y a eu des milliers de créations !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ... les abus tarifaires sont monnaie courante. Pourtant, à Bruxelles, on se félicite des avancées en matière de concurrence, comme des « progrès » concernant la directive sur les services postaux !

Le Président de la République ne cesse de s'autocongratuler de son initiative européenne, et enfonce le clou : « la décision prise est conforme au vote des Français en 2005, nous avons obtenu une réorientation majeure », dit-il.

M. Dominique Braye. - C'est trop long !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Non, les principes ultralibéraux demeurent. D'ailleurs, 57 % des Français souhaitent être consultés sur le futur mini-traité.

Qui pourrait être contre le dialogue social ? Mais dans votre conception, il ne doit surtout pas « déranger » les réformes engagées, sinon à la marge, pour l'image...

M. Dominique Braye. - Que c'est long !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Quant à votre conception du syndicalisme, qui repose sur la primauté du contrat au niveau de l'entreprise, c'est tout à fait celle de Mme Parisot.

M. Dominique Braye. - Vous avez épuisé votre temps de parole !

M. le président. - C'est moi qui préside, monsieur Braye, pas vous ! (Applaudissements nourris à gauche)

M. Dominique Braye. - C'était pour permettre à Mme Borvo Cohen-Seat de se faire applaudir !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La haine vous étouffe !

Votre projet de loi modifiant - encore- le code pénal augure mal de l'avenir : les professionnels de la justice sont contre l'instauration des peines planchers et la suppression de la minorité pénale, que les parlementaires de la majorité ont refusé pendant cinq ans.

M. Dominique Braye. - Vous parlez depuis 25 minutes !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Certes, nos concitoyens ont été traumatisés par les dysfonctionnements de la justice, mais le prétendu laxisme des juges n'a rien à voir avec Outreau !

M. le président. - Il faut conclure. (On renchérit à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La délinquance, hier en régression grâce à un certain ministre de l'intérieur, serait aujourd'hui en augmentation... (On s'impatiente à droite)

On connaît les choix du Président de la République en matière d'immigration : avant de venir en France, il faut déjà être Français ! Etes-vous d'accord avec ces patrons qui emploient massivement des travailleurs immigrés ? (Exclamations à droite, où l'impatience monte)

M. Dominique Braye. - Raciste !

M. le président. - Veuillez terminer.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Le Président de la République se fait fort de résoudre les conflits du monde.

La situation en Palestine appelle des actes forts. Il est urgent que la voix de la France se fasse entendre pour que les résolutions de l'ONU soient respectées. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Votre discours et les décisions déjà prises pour appliquer la politique du Président de la République confirment la cohérence d'un projet au service des plus riches et de l'argent. (On le conteste à droite)

M. le président. - Veuillez conclure !

M. Dominique Braye. - Pourquoi a-t-elle droit à de plus de temps que les autres ?

M. le président. - Parce que je suis tolérant, monsieur Braye ! (Sourires)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous combattrons ce projet et nous en montrerons la nocivité à nos concitoyens ; comme nous le combattrons, nous ne le voterons pas.

Comme vous le savez, nous ne voterons pas votre déclaration ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Bel. - (Applaudissements sur les bancs socialistes) Les différents scrutins que nous venons de vivre ont constitué un temps fort de notre démocratie. Ils ont suscité un grand intérêt dans l'opinion, et le choix des Français s'impose à tous. J'ai dix minutes pour répondre au nom de mon groupe : c'est peu ! Mais je me consolerai en me disant que vous-même, monsieur le Premier ministre, vous n'êtes guère mieux loti tant est étroite la marge de manoeuvre qui vous est consentie par un chef de l'Etat omnipotent. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Il s'agit d'un vrai sujet d'interrogation et non d'une polémique stérile : je ne veux pas m'enfermer dans un discours qui n'intéresserait que les constitutionnalistes, mais derrière la relation entre le Premier ministre et le Président de la République, il y a un sujet ô combien important, celui du rôle et des pouvoirs du Parlement devant lequel le Premier ministre est responsable.

Si vous souhaitez la confrontation de nos points de vue sur les futures avancées institutionnelles, nous y sommes prêts, mais alors, sans se contenter de quelques mesures alibis, il faudra envisager la question dans sa globalité et poser les véritables sujets : comment faire pour que le Parlement puisse pleinement légiférer et contrôler ? Vous nous avez annoncé quelques mesures sur l'ordre du jour, le rôle des commissions, les nominations. Osez la suppression du 49-3 ! Permettez au Parlement de mieux évaluer les politiques publiques et de mieux contrôler de la politique européenne ! Conférez des droits nouveaux et concrets à l'opposition, en commençant par le Sénat qui ne doit pas être le grand oublié de vos bonnes intentions...

M. Dominique Braye. - Vous vouliez le supprimer !

M. Jean-Pierre Bel. - ... et dont il faudra très rapidement imaginer la réforme. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

De même, nous vous proposons de mener à bien les grands chantiers de la démocratie à commencer par la participation des citoyens, la négociation collective et le pluralisme, notamment celui de la presse. Mais qu'une chose soit claire : si vous voulez que nous discutions, il faut que les règles soient sans ambiguïté. Pour nous, la véritable ouverture, c'est l'ouverture sur les idées, sur les questions de fond, pas le débauchage des personnes en quête de promotion de carrière. (Applaudissements sur les mêmes bancs)

M. Dominique Braye. - Ils ne sont pas gentils avec leurs camarades !

M. Jean-Pierre Bel. - Ne confondons pas dialogue et connivence. Il est utile pour le pays et la République d'échanger sur le fonctionnement des institutions mais il ne peut s'agir de confondre les genres et de vouloir effacer les clivages consubstantiels de notre démocratie. Si vous voulez respecter l'opposition, ne lui demandez pas de renoncer à ce qu'elle est ! (Nombreuses marques d'approbation sur les bancs socialistes).

Vous êtes aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, à la tête de toutes les instances de décision, votre pouvoir est immense, mais votre responsabilité aussi. Cette situation vous donne certes les coudées franches mais elle comporte également des risques. Dans ce contexte, nous devons, les uns et les autres, procéder aux analyses qui s'imposent et nous interroger sur le sens des scrutins récents. Certes les Français ont, le 17 juin, choisi la cohérence des majorités parlementaire et présidentielle. Le poids des institutions de la Vème République, qui font de la présidentielle l'élection majeure, produit des effets quasi-mécaniques encore amplifiés par la réduction du mandat présidentiel et par le déroulement des scrutins. Mais le second tour des élections législatives sonne aussi comme un avertissement. Saurez-vous l'entendre ou bien considérez-vous qu'il n'est dû qu'à l'excès de franchise de l'un d'entre vous ?

Le message qui vous a été envoyé devrait vous inspirer sur le fond et aussi sur la méthode dont vous nous avez parlé aujourd'hui. Sur le fond, je vois dans ce 17 juin inattendu le signe d'une sorte de réflexe des Français devant des projets qui ne profitent qu'à une minorité d'entre eux. Nous devons tous tirer les leçons de ce qui vient de se passer, majorité comme opposition, et faire face aux défis de la France de 2007, répondre aux questions clefs, aux préoccupations des Français qui ont émergées durant la campagne électorale.

De notre côté nous adopterons une attitude claire, nette et compréhensible pour nos concitoyens. Cette attitude sera responsable et constructive quand l'intérêt du pays l'imposera mais sans complaisance ni ambiguïté par rapport à nos valeurs, à nos convictions et dans lesquelles se sont retrouvés des millions de Françaises et de Français.

Sur la méthode, vous sacrifiez au temps du Parlement et du débat à celui de l'instant et de l'image : cette session extraordinaire est malheureusement assez ordinaire par la précipitation que vous nous imposez : vous nous demandez de voter dans l'urgence les quatre textes principaux ! (M. Dreyfus-Schmidt applaudit) Ce qui était dénoncé hier ne pose plus de problème aujourd'hui.

Dès demain, nous jugerons votre action dans le domaine de la lutte contre la délinquance. Alors que vous nous soumettez un nouveau texte, le précédent date du 5 mars et il nous a été présenté par M. Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur ! Avant même d'être réellement appliqué, vous proposez une troisième réforme de la récidive en trois ans qui risque, à son tour, de passer à côté du sujet puisqu'elle se limite à une réponse carcérale tout en remettant en cause un principe fondamental, celui de l'individualisation des peines. (Mme Tasca applaudit)

Concernant la politique économique et financière, vous n'avez pas voulu soumettre au Parlement un collectif budgétaire en préférant passer par une loi ordinaire ce qui retardera l'heure de vérité. Vous êtes, là encore, en contradiction avec les règles que vous aviez vous-même fixées : celles de la transparence budgétaire et de l'information du Parlement.

Mme Catherine Tasca. - Eh oui !

M. Jean-Pierre Bel. - Nous ne partageons pas non plus vos propositions sur la fiscalité. C'est une évidence : votre bouclier fiscal protégera les contribuables les plus aisés, le « paquet fiscal » conduira à dépenser plus de 10 milliards d'euros en quelques semaines et il n'aura aucun effet positif sur le pouvoir d'achat, la croissance ou l'emploi. (Mme Tasca le confirme) C'est votre choix et pourtant il y a tellement à faire pour réduire notre dette, moderniser l'école, investir dans le logement social, les transports, la sécurité.

Le projet d'augmentation de la TVA, à l'origine de votre embarras et de vos hésitations, est la conséquence des nombreuses exonérations que vous accordez aux plus favorisés. Si vous voulez ne pas contribuer à la hausse des prix et favoriser le travail, alors il faudrait imposer le capital.

M. François Fillon, Premier ministre. - C'est sûr !

M. Jean-Pierre Bel. - Sinon, avouez franchement que vous demanderez au consommateur, quelles que soient ses ressources, de payer l'addition. C'est pourquoi nous dénonçons ce paquet fiscal, injuste pour les Français, inefficace pour la croissance et dangereux pour les finances publiques. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs socialistes)

Pour trouver de l'argent, vous vous tournez vers les collectivités locales. Mais vous savez bien, monsieur le Premier ministre, qu'après le désengagement de l'Etat, les départements sont exsangues et les finances régionales ne vont guère mieux.

M. Jean-Claude Gaudin. - Pas toutes ! Il y en a qui sont riches !

M. Jean-Pierre Bel. - Ce n'est pas ainsi que vous remettrez la France dans la compétition mondiale et que vous préparez son avenir en Europe.

Associer le Parlement aux travaux européens, c'est bien et c'est naturel, mais consulter les Français sur les étapes importantes de la construction européenne, ce serait mieux. (Applaudissements socialistes) Ce mini-traité manque d'ambition : j'en veux pour preuve l'absence de l'indispensable Charte des droits fondamentaux.

En conclusion, le contrat que vous proposez aujourd'hui aux Français pourrait s'apparenter à un marché de dupes. Les mots clés figurent : croissance, travail, développement durable. Mais les premiers actes contredisent les intentions et ils ont pour objectif de dégager votre responsabilité. Ce sera toujours la faute des autres : des fonctionnaires, des RMIstes, des chômeurs, des syndicats.

M. Jean-Marc Todeschini. - Sans oublier de Villepin ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Bel. - Pourtant, nos concitoyens sont conscients des réformes à engager. Ils sont prêts à se mobiliser sur un programme pour préparer l'avenir : recherche, éducation, écologie, place de la jeunesse, logement, technologies. Ils sont prêts à des efforts, s'ils sont justement répartis et si le principe de solidarité est respecté.

Dans cette législature, les sénateurs socialistes joueront tout leur rôle pour être utiles. Disponibles, lorsque l'essentiel est en cause : la lutte contre le terrorisme, la paix, le développement, l'Europe ; ouverts lorsque respect et dialogue seront de mise ; vigilants sur les valeurs de la République, notamment sur l'école et la laïcité ; combatifs pour proposer des solutions alternatives.

Nous ne pratiquerons pas la politique du pire car nous souhaitons la réussite de la France. Vous disposez de cinq ans pour faire face aux défis qui s'annoncent : cinq ans, c'est long. Mais ce que vous proposez risque d'appauvrir l'Etat sans enrichir les Français, d'affaiblir les solidarités sans stimuler l'économie, d'abaisser les droits sociaux sans valoriser le travail.

Jugeons donc vos résultats à la mesure du temps. Prenons rendez-vous avec la réalité. Mais, pour l'instant, si votre discours pratique l'incantation de la rupture, il s'inscrit sans surprise dans la lignée de la politique précédente, une politique qui a échoué.

Notre sentiment est donc que vous persévérez dans l'erreur...

M. Dominique Braye. - Ce n'est pas ce qu'ont dit les Français !

M. Jean-Pierre Bel. - ...et c'est pourquoi les sénateurs socialistes ne vous accorderont pas la confiance. (Mmes et MM les sénateurs socialistes se lèvent et applaudissent longuement l'orateur. Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Michel Mercier. - (« Ah ! »sur divers bancs) Nous voici donc appelés à tirer la conséquence des scrutins qui viennent de se dérouler et qui ont conduit à l'élection d'un nouveau Président de la République, d'une nouvelle Assemblée nationale et à la formation d'un nouveau gouvernement.

Vous venez de nous demander, monsieur le Premier ministre, d'approuver une déclaration de politique générale. Nous avons apprécié, au sein du groupe UDF, de vous entendre aborder d'emblée la question des institutions. Peut-être ce souci n'avait-il pas été entièrement partagé pendant la campagne, mais la réalité y renvoie très vite. Une évolution entamée en 1962 s'achève : aujourd'hui, le Président de la République exerce l'essentiel du pouvoir exécutif, avec un gouvernement qu'il a voulu, disons, ouvert.

M. Michel Charasse. - Le quinquennat est une belle ânerie !

M. Michel Mercier. - Mais nous ne pouvons, monsieur le Premier ministre, nous en tenir au fait. La République -et la démocratie, car c'est bien ainsi qu'elle se définit depuis l'Antiquité- réclame une loi écrite.

Nous sommes ouverts à vos propositions. Mais qu'un Président de la République exerce l'essentiel du pouvoir exécutif exige des contre-pouvoirs. Leur existence garantit seule la liberté et la démocratie. Nous voulons construire ce pouvoir nouveau. Il passe par un renouveau en profondeur du Parlement. Il reviendra aux parlementaires, avec le gouvernement, de faire l'effort nécessaire pour entrer dans ce nouveau système politique. Vous avez fait des propositions qui méritent d'être étudiées. Peut-être faudra-t-il aller plus loin. Oui, une loi électorale plus juste et nécessaire, pour un système politique équilibré ; oui, le Sénat doit voir son rôle repensé, et nous sommes prêts à y travailler avec vous ; oui, une place plus grande doit être faite à nos concitoyens.

En 1958, il fallait brider un Parlement tout-puissant, incapable de fixer le cap. Aujourd'hui, il nous faut un Parlement fort, doté de la capacité de contrôler le pouvoir exécutif et de faire contrepoids au pouvoir présidentiel.

Vous entendez créer, nous dites-vous, une commission constitutionnelle chargée de faire des propositions pour rénover nos institutions. Cette commission doit être l'affaire de tous. Elle sera présidée par un ancien premier ministre ? Un ancien ministre, de la culture et de l'Éducation nationale, pourrait y siéger ? Fort bien, mais vous ne pouvez vous en tenir à deux familles politiques. Cette commission doit comporter des personnalités indépendantes et, comme le comité constitutionnel de 1958, représenter toutes les familles politiques : c'est la condition d'une appropriation par tous, demain, des institutions de la République. (« Très bien ! » à gauche)

Sur la relance de l'Europe, le groupe UDF vous suit : c'est une nécessité. Nous reconnaissons le rôle de la France, et du Président de la République, dans les derniers jours, pour parvenir à un traité simplifié, qui relance la Constitution européenne. Nous nous en réjouissons, comme nous nous félicitons du maintien du couple franco-allemand, et de l'association de l'ensemble des vingt-cinq États membres.

L'Europe, avez-vous dit, doit être le moyen pour la France d'asseoir son rayonnement. Comme tous les Européens, nous avons besoin de l'Europe pour promouvoir le développement économique, social, culturel de l'Union, seule entité géopolitique capable d'assurer notre devenir autonome dans le contexte de la mondialisation. (« Bravo ! » sur plusieurs bancs)

Pour ratifier ce traité, comme pour modifier nos institutions, il vous faut une majorité qualifiée. Nous sommes prêts à contribuer à vous l'apporter, avec notre spécificité, nos valeurs, notre autonomie. Sauf à ce que vous nous disiez non. À vous de choisir avec qui vous entendez travailler.

Quant aux autres textes, nous les accueillerons toujours avec confiance, bienveillance -c'est notre nature- mais aussi avec une grande vigilance.

Deux mots sur les collectivités locales. Vous avez dit hier que vous les invitiez à participer à l'effort de discipline financière qu'engagera l'État. Avec la décentralisation, représentants de l'État et des collectivités peuvent passer beaucoup de temps à chicaner sur les recettes locales. Mais si le gouvernement veut pouvoir compter sur les collectivités locales, qu'il cesse de leur imposer des dépenses qu'elles n'ont pas décidées. (Applaudissements à gauche, au centre, et sur plusieurs bancs à droite)

Dans le département du Rhône, nous avons pu réduire de 3 000, en un an, le nombre de bénéficiaires du RMI, pour revenir au chiffre de 2 004. Mais chaque mois, nous payons 20 % de plus. (Mme Luc le confirme) Personne ne peut me l'expliquer. Mystère et boule de gomme !

Mme Hélène Luc. - Il n'y a pas de mystère !

M. Michel Mercier. - Cela représente un peu plus de deux millions par mois ! Il est temps de reconstruire un vrai contrat de confiance entre l'État et les collectivités locales.

Quelques mots de la fiscalité. La question de la dette publique est intervenue dans la campagne, il ne faudrait pas qu'elle disparaisse après l'élection. C'est une question centrale, parce que la dette pèse sur les plus pauvres, en les privant des services dont ils ont besoin ; parce qu'elle ruine notre crédibilité en Europe -quel dommage, après l'impulsion qui vient d'être donnée à la construction européenne ; parce qu'elle ruine, enfin, notre compétitivité et ne nous permet pas d'espérer une croissance forte.

Durant la campagne, l'UDF a défendu avec force l'idée d'un Small Business Act à la française, parce que les entreprises les mieux à même de développer notre économie méritent de bénéficier du même traitement que leur réservent les États-Unis.

Comment couvrir les dépenses sociales ? Le président Arthuis nous l'a rappelé en commission, ce qui importe en matière d'impôts, c'est de savoir qui le paye. Qui paye les charges sociales ? L'entreprise ou l'acheteur ? Comme en matière de TVA, c'est bien dans le prix que l'on retrouve l'impôt.

Nous sommes tout prêts à rechercher avec vous, dans la transparence, des réponses sur ces questions. Nous ne sommes plus en 1945, quand tout le monde travaillait, de 14 à 65 ans. Les choses ont changé : aujourd'hui, on commence plus tard et l'on s'arrête plus tôt ! Deux règles doivent nous guider : efficacité économique mais aussi équité sociale et solidarité. Si le sacrifice demandé n'est pas également partagé, pas de progrès possible.

Les membres du groupe UDF ne seront donc pas hostiles aux textes que vous nous présenterez au long de cette législature.

Voix sur plusieurs bancs à gauche. - Encore un effort !

M. Michel Mercier. - Avec un gouvernement qui comporte plus de membres qui ont voté Ségolène Royal que François Bayrou, c'est moi qui fais l'effort plus que vous ! (Rires et applaudissements au centre et à droite)

Ne me cherchez pas là-dessus ! Nous saurons répondre ! (Mouvements divers) Il n'y aura jamais de notre part d'opposition a priori ! Nous serons confiants et bienveillants, il vous appartiendra, monsieur le Premier ministre, de nous convaincre, car nous serons toujours vigilants. (M. Gaudin s'exclame) Nous approuvons la déclaration de politique générale du gouvernement. (Bravos et applaudissements au centre et à droite)

M. Josselin de Rohan. - (Vifs applaudissements à droite) L'élection présidentielle comme les élections législatives ouvrent une nouvelle page de notre histoire. (M. Dreyfus-Schmidt ironise)

Elles ont tout d'abord consacré une éclatante victoire de la démocratie grâce aux débats qui se sont déroulés devant l'opinion, à l'ampleur de la participation au scrutin présidentiel, à la défaite des extrêmes.

Elles ont également permis aux électeurs de se prononcer en toute connaissance de cause sur un programme, des orientations et des propositions énoncées avec force, conviction et clarté, mais aussi sur les valeurs dont se réclame celui que les Français ont élu à la présidence de la République.

Nicolas Sarkozy a rencontré l'adhésion d'une imposante majorité de nos compatriotes, parce qu'il entend réhabiliter le travail, le respect, l'initiative et le mérite, reconnaître la nation comme ciment de notre peuple, affirmer l'identité française, mais aussi donner un nouvel élan à la construction européenne.

M. Josselin de Rohan. - Il a su traduire l'exigence d'action, l'envie d'efficacité, l'attente de résultats, le désir d'adaptation à la modernité que nourrissent tous ceux qui veulent voir leur pays être un exemple et non un objet de compassion, un pays entreprenant et compétitif, et non un pays en déclin, frileux, cherchant à se protéger de tout et de tous.

Dans les toutes premières semaines de son quinquennat, le président de la République a démontré de manière éclatante sa volonté de tenir ses engagements, en lançant d'importantes réformes, en se refusant à ne rien retrancher de ses promesses. (Bravos et applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

Si la concertation, la recherche du consensus, l'information du public, le débat le plus large doivent être le préalable à toute décision importante, il n'est pas acceptable en démocratie que d'aucuns aillent chercher dans la rue la revanche des urnes. (Même mouvement ; mouvements divers à gauche)

L'avenir d'une réforme ne doit plus dépendre de l'ampleur des cortèges ou des manifestations que suscitent ses opposants. La loi votée par la représentation nationale doit être respectée sinon la démocratie est bafouée. (Bravos et applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

La réhabilitation du travail et le développement de l'emploi, l'amélioration du pouvoir d'achat ont été au coeur de la campagne présidentielle.

C'est en France que l'on accède le plus tard à un emploi et qu'on le quitte le plus tôt. Nous avons encore 8 % de notre population active au chômage et 400 000 emplois ne trouvent pas preneur. Les observateurs de l'Union Européenne et de l'OCDE comme les analystes étrangers reconnaissent que nous ne travaillons pas assez. Seuls de toute l'Europe, nous avons institué les 35 heures qui ont affecté la compétitivité de nos entreprises, le pouvoir d'achat des salariés, pesé lourdement sur nos budgets. (Applaudissements à droite) Nous avons travaillé moins pour gagner moins, aujourd'hui il nous faut travailler plus pour gagner plus. (Bravos et applaudissements à droite ; protestations sur les bancs du groupe CRC et exclamations ironiques sur les bancs socialistes)

Le recours accru aux heures supplémentaires sera stimulé par les exonérations de charges sociales et fiscales qui leur sont attachées ainsi que par la majoration de leur montant. Toute personne qui retrouvera un emploi bénéficiera d'une augmentation substantielle de ses revenus, en étendant l'expérimentation du revenu de solidarité active, avec les départements qui le souhaitent, pour les personnes titulaires du RMI ou de l'allocation de parent isolé.

Il ne faut plus que les revenus de l'assistanat soient supérieurs aux revenus du travail sinon, entre nous, pourquoi travailler ? (Applaudissements à droite) L'assistance n'est pas une rente si la solidarité est un devoir. La société est en droit de demander une contrepartie au bénéficiaire d'un RMI, comme elle est en droit de supprimer leurs allocations à ceux qui, de manière répétée, ont refusé sans motif valable une offre d'emploi. (« Très bien ! » et applaudissements sur plusieurs bancs à droite)

L'exonération d'impôt sur le revenu des rémunérations des étudiants qui financent leurs études, l'octroi aux ménages d'un crédit d'impôt sur le revenu égal à 20 % des intérêts des emprunts souscrits ou à souscrire pour l'acquisition de leur résidence principale, soutiennent fortement le pouvoir d'achat. En permettant aux Français de transmettre le fruit de leur travail à leurs enfants, en supprimant les droits de succession en ligne directe pour 95 % des successions, on les récompense de leurs efforts. En exonérant de toute contribution le conjoint survivant, on évite à la veuve de vendre le logement, souvent acquis au prix de beaucoup de sacrifices et d'économies, pour payer des droits de succession. Est-ce favoriser les riches comme le disent nos détracteurs ou bien, au contraire, une mesure d'équité ? Demandons aux Français ce qu'ils en pensent : nous ne craignons pas leur jugement ! (Bravos à droite)

Favoriser le travail, c'est aussi lutter contre les délocalisations et la fuite des capitaux et rendre notre pays attractif. La déduction de l'impôt de solidarité sur la fortune des sommes investies dans le capital des PME et dans la recherche soutiendra efficacement l'innovation et les créations d'emploi. L'abaissement du bouclier fiscal incitera les contribuables à rester ou à revenir dans notre pays, car plus une seule personne de bonne foi ne peut contester le tort causé à notre économie par l'application de l'ISF depuis son instauration qui a fait la fortune de nos voisins. (« Très bien ! » et applaudissements à droite)

Nous approuvons la moralisation des conditions de rémunération des dirigeants des entreprises. Comme le président de la République, nous estimons que les avantages exorbitants accordés à celui qui a mal géré l'entreprise qu'il dirigeait est une forme de mépris à l'égard des salariés qui subissent les conséquences de ses erreurs.

Toutes les mesures envisagées ont un coût et reposent sur un double pari : la poursuite de la croissance et la maîtrise des dépenses publiques. En contribuant à restaurer la confiance, en facilitant l'investissement et en élevant le pouvoir d'achat des salariés, elles peuvent atteindre l'objectif fixé par le gouvernement d'une augmentation d'un point de notre taux de croissance annuel, laquelle peut procurer des recettes fiscales nouvelles et créer de nombreux emplois.

Mais l'effort de réduction des déficits publics doit être poursuivi afin de ramener le poids de la dette publique à 60 % du produit intérieur brut en 2012, conformément à l'engagement du président de la République.

Le déficit de l'État, nous ne saurions l'oublier, absorbe l'épargne des ménages et la détourne de la consommation, donc de la croissance. L'action entreprise par les gouvernements précédents pour contenir et réduire la dette n'est pas seulement une contrainte que nous impose l'Union Européenne, elle est une exigence morale pour éviter que nous ne compromettions gravement l'avenir.

En vous refusant à présenter un collectif budgétaire en ce début de législature, en poursuivant la réforme de l'État entreprise par vos prédécesseurs et l'effort de maîtrise de la dépense publique, vous avez marqué, monsieur le Premier ministre, votre souci de tenir ce cap et nous vous en félicitons.

Nous devons impérativement revoir les modalités de fonctionnement de notre formation initiale. S'agissant de la formation professionnelle, vous pourrez vous inspirer des excellents travaux de la commission sénatoriale, présidée par notre collègue Jean-Claude Carle, qui met en lumière les lacunes et les carences de son système de financement. (Marques d'approbation sur plusieurs bancs à droite)

Le projet de loi sur l'autonomie des universités est un préalable au renouveau de notre enseignement supérieur.

Dans son avis sur l'insertion professionnelle des jeunes, présenté en 2005 au Conseil économique et social, M. Jean-Louis Walter notait que « sur les 762 000 jeunes ayant quitté le système éducatif en 2001, la moitié avait poursuivi des études supérieures après le baccalauréat, dont le quart a quitté l'enseignement supérieur sans y obtenir de diplôme ». Parmi les jeunes rencontrant des difficultés à s'intégrer dans l'emploi, 33 % ont poursuivi une ou deux années d'études dans l'enseignement supérieur sans y obtenir de diplôme. Et d'ajouter : « Ces jeunes ont très souvent passé une période relativement longue, le plus souvent inscrits à de multiples reprises en premier cycle universitaire. Ainsi, seuls 20 % des jeunes sortis non diplômés de Deug ont passé un an dans l'enseignement supérieur, 55 % y étant restés plus de deux ans et 30 % plus de quatre ans au travers d'une ou plusieurs filières ».

Mme Luc. - C'est à ceux-là qu'il faut s'adresser en priorité !

M. Josselin de Rohan. - Ces chiffres, plus que tous les discours, expliquent l'humiliant classement de Shanghaï, qui a tant frappé les esprits.

Le projet de loi que nous discuterons prochainement doit donner la possibilité à nos universités de revenir dans les premiers rangs mondiaux, grâce à une meilleure gouvernance et à l'excellence des formations qu'elles dispensent. Puissent les conservatismes, les corporatismes et les routines ne pas venir à bout d'une réforme dont nous ressentons profondément la nécessité ! Ce qui se joue en ce moment, c'est notre capacité à entrer dans la société de la connaissance, c'est la place de notre pays au sein du monde développé. (M. de Broissia et plusieurs de ses collègues du groupe UMP approuvent)

Bien que vous ayez consacré dans votre livre La France peut supporter la vérité d'intéressants développements à notre administration territoriale, vous n'avez pas évoqué les réformes qui pourraient être apportées à leur organisation comme à leur fonctionnement. L'empilement de nos structures et leur multiplication deviennent un frein à la bonne gouvernance du pays. Tôt ou tard, nous devrons simplifier et clarifier les compétences. Tôt ou tard, nous devrons réformer profondément notre fiscalité locale, de plus en plus déconnectée des réalités et inadaptée aux besoins des administrés.

Et, si nous entendons votre souci de voir les collectivités locales participer à l'effort de maîtrise de la dépense publique, nous vous demandons de veiller à ce que l'État ne leur transfère plus de charges obligatoires ou de responsabilités nouvelles, sans qu'elles soient assurées de pouvoir y faire financièrement face. Nous avons atteint les limites du supportable dans ce domaine, singulièrement pour tout ce qui se rapporte à l'action sociale. La générosité ne consiste pas à faire payer ses bonnes actions par autrui. (Applaudissements sur de nombreux bancs au centre et à droite)

M. Jean-Claude Gaudin. - C'est plus direct que Mercier !

M. Josselin de Rohan. - Nous tenons à saluer l'action habile, déterminée et efficace du président de la République lors du sommet européen qui a abouti au compromis de Bruxelles. Il a su, en coopération étroite avec la chancelière Angela Merkel, replacer la France au centre de la construction européenne et permettre que celle-ci retrouve un nouvel élan. Nous nous réjouissons de ce succès.

M. Josselin de Rohan. - Monsieur le Premier ministre, nous avons en commun je crois beaucoup d'attirance pour Chateaubriand. (Marques d'appréciation sur divers bancs) Écoutons-le : « Dans le premier enivrement d'un succès on se figure que tout est aisé, on espère satisfaire toutes les exigences, toutes les humeurs, tous les intérêts ; on se flatte que chacun mettra de côté ses vues personnelles et ses vanités ; on croit que la supériorité des lumières et la sagesse du gouvernement surmonteront des difficultés sans nombre mais, au bout de quelques mois, la pratique vient démentir la théorie ». (Sourires sur de nombreux bancs)

La pratique, ce sont les aléas du quotidien, l'ignorance et les préjugés qu'il faut combattre, l'incompréhension qui entoure certaines décisions, les résistances que rencontrent des réformes qui bousculent la routine, les intérêts particuliers ou les privilèges. Ce sont les blocages qu'entretiennent la démagogie ou la désinformation. (« Très bien ! » à droite et au centre)

Sur quels appuis compter dans les temps difficiles...

M. Josselin de Rohan. - .... sinon sur celui d'une majorité unie, cohérente et solidaire, prête à prendre sa part du combat pour assurer le succès de la cause commune ? La fidélité devient alors un recours.

Notre soutien vous est acquis. Nous ne vous le marchanderons pas, car nous faisons nôtres les grandes ambitions que le Président de la République a fixées à notre pays. Nous ne demandons à être payés que d'écoute et de considération car nos avis, fondés sur l'expérience et la connaissance des réalités du terrain peuvent éclairer utilement un gouvernement, conforter son action, lui éviter des erreurs. Un vent nouveau souffle sur notre pays, porteur d'espoir et de changement, mais aussi de grandes attentes. En imprimant un rythme fort aux réformes, vous montrez que vous voulez répondre sans tarder à cette aspiration.

Nous sommes à vos côtés pour construire une France moderne, forte et respectée qui assure la prospérité à ses enfants et place notre pays au premier rang des nations de l'Europe pour son dynamisme et ses performances. C'est dans cet esprit que nous voterons la confiance au gouvernement que vous dirigez sans hésitation et sans restriction. (Mmes et MM. les sénateurs de l'UMP se lèvent et applaudissent ; applaudissements sur quelques bancs de l'UC-UDF)

M. Jean-Michel Baylet. - Moment attendu et incontournable, la déclaration de politique générale est un exercice formel et généralement sans surprises sur le fond. C'est bien le cas aujourd'hui puisque votre « contrat politique, social et culturel » confirme les promesses faites par le candidat de l'UMP durant toute sa campagne électorale. Certes, vous prétendez faire de la politique avec un nouvel état d'esprit et vous souhaitez en conséquence une opposition constructive. C'est vrai que, dans une démocratie moderne, il est stérile de s'opposer par principe et de rejeter en bloc tout ce qui vient du camp d'en face. C'est donc dans un esprit responsable que les radicaux de gauche jugeront votre programme d'action gouvernementale et qu'ils exerceront une vigilance sans indulgence.

Vous prévoyez d'ouvrir le chantier institutionnel. Sur ce terrain, nous pourrons souscrire à vos propositions si elles visent à redonner à notre démocratie le souffle dont elle a besoin. La Vème République aura cinquante ans l'année prochaine. Ce qui était bon hier ne l'est plus aujourd'hui. Régime inédit et salutaire à l'époque, la Constitution de 1958 montre ses limites. Vous proposez des modifications de la procédure législative, un meilleur contrôle parlementaire de l'exécutif. D'accord. D'accord aussi pour la limitation du nombre de mandats du président de la République. D'accord enfin pour la mise en place de moyens d'audits indépendants et pour le réexamen d'un texte en cas de pétition. Mais puisque vous faites de l'audace un principe d'action politique, pourquoi ne pas aller au bout des choses en proposant vraiment un changement de République et le passage à un régime présidentiel, bref, à la Vlème République ?

Concernant l'Europe, si chère au coeur des radicaux et plongée dans une crise sans précédent depuis les non français et néerlandais, nous suivons avec intérêt les efforts du Président de la République, de José-Luis Zapatero et d'Angela Merkel pour trouver un compromis qui permette de reprendre la marche en avant. Sur votre volonté de relancer l'Europe, vous nous trouverez également à vos côtés.

En revanche, nous n'y serons pas s'il s'agit de porter atteinte à l'autonomie des collectivités territoriales en limitant encore, une fois encore, leurs moyens financiers. Que signifient réellement ces « nouvelles relations contractuelles » que vous avez évoquées hier ?

Les radicaux s'opposeront avec intransigeance à tout recul des droits sociaux ou à toute atteinte aux principes républicains. A maintes reprises, vous avez parlé de volontarisme. Pourtant, sur certaines questions, je note que, bien souvent, être volontaire pourrait consister surtout à défaire. Défaire le code du travail avec le projet de loi sur les heures supplémentaires, défaire l'école républicaine avec la suppression de la carte scolaire, défaire le droit pénal français avec l'instauration des peines planchers, défaire la sécurité sociale avec les franchises médicales.

M. Dominique Braye. - Immobilisme !

M. Jean-Michel Baylet. - Que proposez-vous ....

M. Charles Pasqua. - L'espérance !

M. Jean-Michel Baylet. - ....à ceux qui n'ont pas de biens à léguer à leurs enfants, ceux qui n'auront jamais les capacités d'emprunt pour acheter un logement? Que proposez-vous à ceux dont les enfants n'iront jamais jusqu'à l'université, qu'elle soit autonome ou pas, ceux dont les enfants n'auront d'autre choix que d'aller dans un lycée en ZEP, même avec une carte scolaire désectorisée? Notre pays a une tradition de solidarité et d'humanisme qui nous oblige. Oui, c'est vrai, la France a besoin de réformes mais pas à n'importe quel prix.

Or, tous les Français ne se retrouveront pas dans un paquet fiscal porteur d'inégalités. Notamment, votre projet d'exonération d'impôt sur le revenu des heures supplémentaires de travail porte atteinte à l'égalité fiscale puisqu'il contrarie plusieurs des principes sur lesquels repose le système d'imposition progressive du revenu. Celui d'une taxation de l'ensemble du revenu annuel et celui de l'ajustement de l'impôt à la capacité contributive au moyen ... du barème progressif. La progressivité est nécessairement faussée dès lors qu'une part des revenus échappe à l'évaluation de la capacité contributive ou que le bouclier fiscal sera ramené à 50 %. En outre, ces mesures n'ont pas de justifications économiques pertinentes et leur coût, évalué à 12 milliards d'euros, ne fera qu'aggraver le déficit de l'État alors que notre dette atteint déjà 65 % du PIB. Si, de plus, vous augmentez la TVA sociale pour financer les cadeaux fiscaux, vous allez pénaliser les Français les moins aisés. Entre les deux tours, ils vous ont adressé pourtant un message clair sur ce point.

Compte tenu de vos choix budgétaires et fiscaux, nous n'approuverons pas votre déclaration de politique générale. Sachez toutefois que nous resterons à l'écoute et que nous jugerons chacune de vos mesures sans a priori. (Applaudissements à gauche et sur certains bancs au centre)

Mme Marie-Christine Blandin. - Si les Français ont donné mandat à une opposition significative de ne pas laisser un homme seul gouverner au gré de ses seules aspirations, après lui avoir donné la légitimité des urnes, c'est qu'ils ont été alertés. Plus de taxes pour les plus pauvres, moins d'impôts pour les plus riches, au risque d'accroître la dette. Vous dites « Rupture », mais ce sont des recettes de droite que vous servez ! Allègements fiscaux, réveil des valeurs patriotiques, crédits pour l'accès à la propriété ? C'est le programme du patron Eugène Motte à Roubaix en 1902. (Applaudissements à gauche) Le retour du Président dans l'hémicycle ? C'est le rêve d'Adolphe Thiers en 1873 ! (Rires et applaudissements à gauche)

Vous dites « ouverture », mais la première des ouvertures, c'est le respect de l'opposition. La séquence des qualificatifs de « grandes âmes sèches » ou des injures faites aux femmes doit être close. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Charles Pasqua. - Et les injures faites aux hommes ?

Mme Marie-Christine Blandin. - La priorité de notre vigilance ira au maintien de la paix. Nous saluons le redémarrage probable de l'Union européenne, mais les concessions fâcheuses augurent mal d'une belle ambition sociale et environnementale, avec référendum.

Mondialement, prendre Bush pour modèle nous entraîne sur des chemins belliqueux.

M. Josselin de Rohan. - Où a-t-elle été chercher ça ?

Mme Marie-Christine Blandin. - Entre porte-avion nucléaire et autres projets industriels, la vraie rupture serait la résolution non violente des conflits et la fin des ventes d'armes. Et pour la paix dans les quartiers, essayons la vraie lutte contre la discrimination plutôt que les mots qui enflamment ou l'emprisonnement des mineurs.

L'autre grande priorité est, bien sûr, la maîtrise publique des prédations sauvages : sur la nature, sur les ressources, sur le travail des hommes et des femmes. Le fameux « travailler plus pour gagner plus » ne dit rien de ceux qui s'enrichissent sans travailler (Applaudissements à gauche) et fait peu de cas de l'arrêt des embauches quand les heures supplémentaires seront favorisées. Malheur aux perdants dans un régime qui décomplexe la gagne et ringardise la sécurité. (Applaudissements à gauche) A ceux qui ont besoin de régulations, de solidarité, de choix responsables pour leurs enfants, à ceux qui préfèrent la coopération à la compétition, vous n'offrez pas d'espace pour innover et construire leur autonomie.

A propos d'autonomie, parlons universités : la bouffée d'oxygène attendue ne saurait être prétexte au transfert de bâtiments amiantés, ou au mercato des embauches pédagogiques à coup de primes.

En matière de santé, vous pensez coût des soins et « franchise » au risque d'inégalités. Mais il y a une autre économie possible : protéger le capital santé de chacun contre les polluants qui imprègnent les aliments, les rejets des incinérateurs, les pesticides qui inondent nos campagnes. Au lieu de flirter avec la privatisation assurantielle de la couverture maladie, l'État doit aborder le cancer, la maladie d'Alzheimer ou l'asthme par la recherche des causes, et leur éradication, même si d'énormes intérêts chimiques, pétroliers, voire nanotechnologiques sont en jeu.

Il est un autre capital que la santé : la capacité des hommes à se parler, à créer. Des couperets comme la suppression de 10 000 enseignants, des silences sur l'indépendance et les moyens de la culture, coincée entre collectivités et sponsors, des inventions comme le «ministère de l'immigration et de l'identité nationale » font froid dans le dos. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Ce repli identitaire n'est vraiment pas de mise sur une planète dont le mauvais état et la dégradation climatique, essentiellement générés par les pays riches, appellent à un projet commun, fédérateur et solidaire.

Pour terminer et être juste, je préciserai que l'image rajeunie, féminisée et métissée du gouvernement est une bonne communication. Mais nous attendons plus ! Le symbole Fadela Amara ne prendra sens que lorsque les associations militantes des quartiers retrouveront les moyens d'agir dont la droite les a privés. La féminisation ne prendra sens que lorsqu'une ministre comme Valérie Pécresse disposera, en propre, de marges de manoeuvre quand on l'envoie faire de la concertation. Enfin, la protection de l'environnement ne prendra sens que dans la cohérence : le « touche pas à mon nucléaire, à mes projets autoroutiers ou à mes OGM en plein champ » ne sont pas compatibles avec l'urgence du virage à négocier.

Parce que nous sommes opposés aux gages que vous donnez aux milieux d'affaires et à la droite extrême, parce que nous n'avons aucune garantie sur les promesses faites aux associations écologistes et au peuple de gauche, les Verts ne voteront pas la confiance. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur certains bancs CRC)

M. Charles Pasqua. - Bonne nouvelle !

M. François Fillon, Premier ministre. - (Applaudissements à droite) Ce débat était d'une grande qualité et j'en remercie le Sénat.

M. Laffitte l'a ouvert en insistant sur l'engagement au service de l'université et de la recherche. Chacun sait la part importante qu'il a prise dans la rénovation de cette politique.

M. Retailleau, à juste titre, a souligné que nous avions une occasion historique de changer la France. De fait, nous avons réussi à rompre avec la défiance du changement qui dominait la vie politique. Depuis deux décennies, les Français votaient de moins en moins et refusaient de reconduire les majorités sortantes, ayant le sentiment qu'elles ne tenaient pas leurs engagements.

M. Jean-Marc Todeschini. - C'est la rupture !

M. François Fillon, Premier ministre. - En 1997, la gauche était élue sur un programme de combat contre les privatisations. Mais une fois arrivée au pouvoir, elle a privatisé plus que n'importe quel autre gouvernement de la Vème République ! (Vifs applaudissements à droite) Il n'y a pas là de quoi se réjouir. En 2002, la droite était élue pour s'être engagée à réhabiliter le travail. Et, nous n'avons pas suffisamment tenu nos promesses.

Voix à droite. - Très juste !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Pauvre Raffarin !

M. François Fillon, Premier ministre. - Nous avons été élus parce que nous avons tenu un langage de vérité, parce que nous avons proposé une véritable rupture et que nous n'avons pas évité les sujets désagréables.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Commencez par tenir vos promesses !

M. François Fillon, Premier ministre. - La France ne peut pas être le seul pays où l'on refuse à une majorité un deuxième mandat !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La droite vient d'être reconduite !

M. François Fillon, Premier ministre. - M. Retailleau a également évoqué la question de l'identité nationale qui fut au coeur de la campagne. De nombreux Français nous ont soutenus car ils pensent, comme nous, qu'il existe une identité française. Celle-ci s'est construite au fil des siècles à mesure des vagues successives d'immigration.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Avec vous, il n'y en aura plus !

M. François Fillon, Premier ministre. - Les valeurs françaises sont le fruit des combats de nos parents et de nos arrières grands-parents. Elles ne doivent pas être remises en question par d'autres cultures, d'autres regards. La laïcité, l'égalité des hommes et des femmes, les droits de l'homme ne sont pas négociables ! (Applaudissements à droite).

Mme Borvo Cohen-Seat confond présidentialisme et monarchie républicaine.

M. Dominique Braye. - Mme Borvo Cohen-Seat confond beaucoup de choses !

M. François Fillon, Premier ministre. - Je rappelle que quatre tours d'élections sont nécessaires pour que le Président de la République puisse mettre en oeuvre son programme car c'est bien le Parlement qui vote les projets. Le Président de la République ne peut rien sans majorité parlementaire ! (Vifs applaudissements à droite ; Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame) D'après Mme Borvo Cohen-Seat, la représentation de la diversité politique est insuffisante.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je parlais du Nouveau Centre !

M. François Fillon, Premier ministre. - Madame Borvo Cohen-Seat, cette représentation n'est pas injuste au regard des résultats de votre candidat au premier tour des présidentielles... (On s'en réjouit hautement à droite)

M. Dominique Braye. - 1,9 % !

M. François Fillon, Premier ministre. - Ensuite, l'exonération des droits de succession profitera à 95 % des Français, et non à 5 % d'entre eux comme vous l'avez prétendu. C'est d'ailleurs une des mesures les plus populaires de ce gouvernement : elle est soutenue par 70 % des Français ! (Applaudissements à droite). Quant à l'augmentation du Smic, n'en faisons pas l'enjeu d'un débat annuel démagogique. Mme Royal, elle-même, a déclaré il y a peu que c'était une mesure irréaliste. (Rires à droite) C'est l'ensemble des salaires qu'il faut augmenter, et non le seul Smic. Pour ce faire, une seule solution : travailler plus ! (« Très bien ! » et vifs applaudissements à droite)

Mme Borvo Cohen-Seat prend les pays du Nord comme modèle. Elle nous invite à pratiquer une imposition massive. Est-ce à dire qu'elle soutient la TVA sociale que pratique le Danemark pour financer sa protection sociale ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je parlais de la fiscalité dans son ensemble !

M. Dominique Braye. - Restez comme vous êtes, madame Borvo Cohen-Seat ! La prochaine fois, vous ferez 0,8 % aux élections !

M. François Fillon, Premier ministre. - Pour nous, la philosophie du contrat doit primer. La privatisation de France Télécom ? Elle a permis à la France de rattraper son retard technologique, de créer des emplois dans le secteur des télécommunications et de diminuer les tarifs des services proposés par l'opérateur.

M. François Fillon, Premier ministre. - Cette privatisation que vous m'attribuez, je l'ai préparée, mais elle a été mise en oeuvre par la gauche ! (Rires et applaudissements à droite)

M. François Fillon, Premier ministre. - Enfin, la situation en Palestine est au coeur de la diplomatie française.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Des actes ! Des actes !

M. François Fillon, Premier ministre. - Suite à la récente visite de M. Mahmoud Abbas, nous avons décidé de débloquer les fonds destinés à l'Autorité palestinienne. Nous inviterons la ministre israélienne des affaires étrangères, que nous recevrons sous peu, à renouer le dialogue avec les Palestiniens, à un moment historique, pour que la bonne volonté dont a fait preuve M. Abbas trouve des échos du côté israélien et qu'un pas soit franchi vers la coexistence de deux Etats qui ont le droit de vivre et de deux peuples qui ont droit à la souveraineté. (Applaudissements à droite ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga et Bariza Khiari applaudissent également.)

M. Bel a insisté sur la réforme institutionnelle. Rassurez-vous, la commission mise en place présentera un avis d'expert au Parlement, lequel aura la charge de décider de ses contours. On peut trouver insuffisant de confier la présidence de la commission des finances de l'Assemblée nationale à un membre de l'opposition. Mais, député durant vingt-cinq ans, je n'ai jamais vu de gouvernement de gauche faire un tel geste envers l'opposition !

M. David Assouline. - C'était dans le programme du parti socialiste !

M. François Fillon, Premier ministre. - Nous proposons un statut de l'opposition, le renforcement de la fonction de contrôle du Parlement à travers la création de commissions, telle celle dite « d'Outreau », l'examen de la nomination de hauts fonctionnaires, la dotation de nouveaux moyens d'audits, l'ouverture d'un débat sur la représentation de la diversité politique. Certes, on peut toujours faire mieux. Mais la politique du « tout ou rien » conduit souvent à rien !

M. David Assouline. - Réformez le Sénat !

M. François Fillon, Premier ministre. - Quant au débauchage, mot qu'emploie la gauche...

M. Josselin de Rohan. - Quel vilain mot !

M. François Fillon, Premier ministre. - ...il est insultant !

M. Jean-Pierre Bel. - Je proteste ! Je n'ai pas utilisé le terme de débauchage !

M. François Fillon, Premier ministre. - Certains, en leur âme et conscience, ont choisi d'apporter leur soutien à ce gouvernement car ils pensent qu'il peut changer la France. Nous ne leur demandons pas de changer de convictions.

M. David Assouline. - Ils n'en ont pas !

M. François Fillon, Premier ministre. - Évitez d'être intolérants et d'excommunier ceux qui ont choisi de servir leur pays de cette façon, en donnant sa chance à l'ouverture.

M. Dominique Braye. - Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre. - Veuillez respecter vos amis d'hier.

M. Jean-Pierre Bel. - Je veux préciser que je n'ai mis en cause personne. J'ai seulement précisé ce que signifiait l'ouverture pour le groupe socialiste : il ne faut pas demander à l'opposition de se renier. Je n'ai pas parlé de « débauchage » (Applaudissements sur les bancs socialistes).

M. Dominique Braye. - J'ai bien entendu le mot ! (Protestations sur les bancs socialistes)

M. David Assouline. - M. Braye a de la voix, mais il n'a pas d'oreille ! (Sourires à gauche)

M. François Fillon, Premier ministre. - Monsieur Bel, pour que le débat se déroule dans de bonnes conditions, encore faut-il que vous fassiez des propositions constructives ! Or, la seule suggestion que vous ayez faite, c'est de taxer le capital pour financer la protection sociale ! Vous êtes trop au fait du fonctionnement de l'économie et du monde pour ignorer que ce serait une mauvaise solution. Voulez-vous que les investisseurs partent dans les pays voisins ? Aucun pays européen n'a choisi cette voie.

Monsieur Mercier, comme vous, je crois la relance de l'Europe essentielle. Je me réjouis que vous soyez prêt à participer à la majorité des trois cinquièmes. Je ne doute pas que le groupe centriste aura à coeur de soutenir les efforts en ce sens du Président de la République. (Exclamations à gauche)

Nous proposons un nouveau pacte pour les relations entre les collectivités locales et l'Etat. Il n'est plus possible de laisser les concours aux collectivités locales augmenter plus rapidement que l'inflation et les moyens de l'Etat. Ce serait totalement contradictoire avec l'objectif de réduire l'endettement public. Je suis prêt à en débattre devant les Français.

En échange, le gouvernement s'engage sur deux points. Tout d'abord, faire la pause sur les transferts de compétences et les réformes des collectivités locales. Il y en a eu beaucoup, il faut maintenant prendre le temps de la mise en oeuvre effective.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Une pierre dans le jardin de M. Raffarin...

M. François Fillon, Premier ministre. - D'autre part, nous allons mettre en place un dispositif pour que ne soient plus imposés d'incessants changements de normes, synonymes de dépenses supplémentaires. (Vifs applaudissements à droite et au centre)

Je remercie M. Baylet pour sa promesse de mener une opposition « constructive » et de saisir la main de dialogue que nous tendons aux radicaux de gauche.

Une VIe République ? Pourquoi pas une Ve qui évoluerait pour tenir compte des changements en France et dans le monde ? J'observe d'ailleurs que ceux qui, à gauche, parlent de VIe République n'en attendent pas tous la même chose : pour M. Baylet, ce devrait être le présidentialisme ; pour les autres, un renforcement du parlementarisme. À mon sens, la Ve République a deux piliers essentiels : la conjonction d'un exécutif fort avec une majorité nette qui lui permet d'agir. C'est ce qui nous a trop longtemps manqué. Tout le reste peut être discuté.

Je ne puis que déplorer le discours tenu par la gauche entre les deux tours des législatives, lorsqu'elle a voulu faire croire que nous allions augmenter le taux de la TVA.

M. Didier Boulaud. - C'est Borloo !

M. François Fillon, Premier ministre. - C'était de bonne guerre mais il n'en est pas question ; il sera facile de le constater lors de la loi de finances. C'est un débat qui avait été ouvert depuis longtemps par d'éminents politiques.

M. Dominique Braye. - Strauss-Kahn !

M. François Fillon, Premier ministre. - Nos dépenses de protection sociale vont s'accroître, ce qui est normal avec le vieillissement de la population, et aussi parce que nous voulons toujours persévérer dans la voie du progrès. Le financement ne peut peser exclusivement sur le travail, au risque que nos industries, et bientôt nos services, ne quittent le territoire. Le programme socialiste pour la présidentielle parlait d'une autre assiette, tenant compte de la valeur ajoutée. Ouvrons ce débat sans tabou, il y va de l'avenir de notre économie et du maintien du pacte social.

Quant aux cadeaux fiscaux ! Défiscaliser les heures supplémentaires, c'est un cadeau fiscal ? Exonérer 95 % des successions, c'est un cadeau fiscal ? Réglementer les parachutes dorés, c'est un cadeau fiscal ? Ce que nous proposons au Français, c'est un vrai pacte fondé sur le travail et le mérite. Je ne doute pas que le Sénat l'approuvera.

Je remercie Mme Blandin pour ses compliments sur la composition du gouvernement.

Je remercie M. de Rohan pour son soutien, sa lucidité, son enthousiasme. J'approuve son diagnostic sur l'empilement des niveaux de compétences des collectivités territoriales. Il revient au Sénat de s'impliquer dans ce dossier. Ce doit être une des tâches de cette législature.

J'ai passé vingt ans au Parlement ; je sais que le soutien du groupe UMP et de la majorité présidentielle dans son ensemble sera décisif pour l'action du président de la République. Vous appréciez Châteaubriand, moi aussi et je vais conclure en le citant : « Les Français sont inquiets et volages dans le bonheur, mais ils sont constants et invincibles dans l'adversité ». (Vifs applaudissements à droite et au centre)

M. le président. - Le Sénat va procéder au vote sur la déclaration de politique générale du gouvernement. Le scrutin public est de droit. Il va être procédé à un scrutin public à la tribune en application de l'article 60 bis alinéa 3.

Je vais tirer au sort la lettre par laquelle commencera l'appel nominal. (La lettre B est tirée au sort)

Il est procédé au scrutin.

M. le président. - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 322
Nombre de suffrages exprimés 320
Majorité absolue des suffrages exprimés 161
Pour l'adoption 195
Contre 125

Le Sénat a adopté. (Applaudissements à droite)

Commission spéciale « service minimum »

Création et candidatures

M. le président. - J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public de transport.

La Conférence des Présidents m'a donné mandat de proposer au Sénat la création d'une commission spéciale pour l'examen de ce texte.

Il en est ainsi décidé.

M. le président. - L'ordre du jour appelle la nomination des membres de cette commission spéciale. La liste des candidats, établie par les présidents de groupe, a été affichée. Elle sera ratifiée à l'expiration d'un délai d'une heure.

La séance est suspendue à 18 h 15.

présidence de M. Christian Poncelet

La séance est reprise à 21h 35.

Commission spéciale « service minimum »

Nominations

M. le président. - N'ayant reçu aucune opposition, je proclame membres de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public de transport : MM. Philippe ARNAUD, Gilbert BARBIER, René BEAUMONT, Michel BILLOUT, Claude BIWER, Paul BLANC, Mme Nicole BRICQ, M. Christian CAMBON, Mmes Annie DAVID, Christiane DEMONTÈS, MM. Jean DESESSARD, Claude DOMEIZEL, Daniel DUBOIS, François FORTASSIN, Jacques GILLOT, Jean-Pierre GODEFROY, Alain GOURNAC, Mme Adeline GOUSSEAU, M. Georges GRUILLOT, M. Pierre HÉRISSON, Mme Marie-Thérèse HERMANGE, MM. Yves KRATTINGER, Alain LAMBERT, André LARDEUX, Dominique LECLERC, Gérard LONGUET, Philippe NOGRIX, Hugues PORTELLI, Mmes Gisèle PRINTZ, Catherine PROCACCIA, MM. Daniel REINER, Bruno RETAILLEAU, Charles REVET, Roland RIES, Mme Janine ROZIER, MM. Louis SOUVET et Michel TESTON.

Déclaration du Gouvernement sur les résultats du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007

M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les résultats du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007 concernant la réforme des traités.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. - « Si l'Europe a été tirée dans plusieurs directions opposées par des hommes qui n'avaient pas la même idée de son destin, j'y vois beaucoup de temps et d'efforts perdus, mais rien qui contredise la nécessité de l'unir. » Cette phrase de Jean Monnet éclaire la nature même de la construction européenne, conflictuelle, incertaine, douloureuse. Chaque chapitre de promesses est balancé par une crise, chaque temps d'espoir par un moment de doute. Mais l'instabilité est toujours génératrice de progrès.

« La présidence allemande, qui a reçu pendant ces deux jours et nuits passés à Bruxelles le renfort efficace de plusieurs chefs d'État et de gouvernement, dont M Sarkozy, a fait gagner des années à la construction européenne. Que peut-on attendre du compromis ? Tout d'abord un meilleur fonctionnement des institutions, avec un président permanent du Conseil européen, des modalités de vote améliorées, mais seulement à partir de 2014, l'extension du vote à la majorité qualifiée dans certains domaines et des pouvoirs accrus de codécision du parlement européen. » Nous sommes plusieurs, ici, toutes sensibilités confondues, à approuver ce propos du grand européen qu'est Jacques Delors. Oui, le compromis trouvé au Conseil de juin était inespéré. Certes, le traité simplifié n'a pas l'ampleur symbolique du défunt traité constitutionnel ; certes, des aménagements ont été nécessaires pour satisfaire les exigences de certains ; mais souvenons-nous de la situation dans laquelle nous nous trouvions il y a quelques semaines ! Qui, alors, pensait à une victoire ?

M. Hubert Haenel. - Un miracle !

M. Bernard Kouchner, ministre. - La France semblait déchirée pour longtemps par le référendum du 29 mai 2005, elle se résignait à être peu à peu exclue de l'Europe. A Madrid, en janvier dernier, la réunion des dix-huit pays du « oui » eut valeur de symbole : un grand rendez-vous européen sans la France ! Chaque jour, notre pays semblait s'éloigner de l'Europe ; chaque jour, il était plus isolé. A la veille du Conseil dominaient la morosité, la frilosité, le doute. Rares étaient ceux qui pronostiquaient une issue positive -je n'en étais pas moi-même. La voie paraissait bouchée.

Au fil des échanges, on a vu pourtant les réticences tomber les unes après les autres, pas nécessairement de gaité de coeur ; peu à peu des alliances inespérées se sont reconstruites. Sous l'influence décisive de la présidence allemande, grâce aux pressions du Président de la République, au sens des responsabilités du Président de la commission, à la bonne volonté de M. Socrates, au dialogue mené avec le Premier ministre hollandais et avec M. Blair, grâce aussi à l'engagement des Polonais, une solution acceptable par tous s'est dégagée.

L'Européen acharné que je suis, à qui le 29 mai 2005 -qui exprimait malgré tout de vrais doutes et de vraies peurs sur la nature de l'Union- avait laissé un goût amer, peut aujourd'hui exprimer son profond soulagement. Le vote des Français a été pris en compte, les blocages sont dépassés. Le Président de la République a proposé, imposé l'idée d'un traité simplifié ; comme il l'a dit, la France est de retour en Europe, non une France égoïste, obnubilée par ses peurs, mais une France ouverte aux autres, fidèle à elle-même et à l'esprit européen. Les compromis, en Europe, se font toujours aux dépens de soi, de ses propres certitudes.

Depuis le 23 juin au matin, le mandat est clair et unanimement approuvé : une Conférence intergouvernementale doit conduire à la signature d'un nouveau traité institutionnel avant la fin de l'année.

Il sera composé d'un traité relatif à l'Union européenne et d'un traité relatif au fonctionnement de l'Union européenne. La formulation est certes alambiquée, mais les avancées sont décisives. Tel sera le mandat de la CIG qui s'ouvrira sous la présidence portugaise le 24 juillet prochain à Bruxelles, un mandat précis, détaillé presque article par article. J'ai confiance en la présidence portugaise, même si ce sera difficile, et j'espère que nous pourrons aboutir à une ratification rapide par tous les États membres, pour que le traité entre en vigueur avant les élections de juin 2009 au Parlement européen.

J'en viens au contenu. Dans ce débat nécessaire, préalable au débat de ratification, le Parlement doit disposer de tous les éléments. Nous avons entendu des interrogations légitimes, bien que parfois contradictoires, sur ce projet. Pour certains, il ne ferait que resservir aux Français ce qu'ils ont rejeté en 2005. Pour d'autres, il n'apporterait rien de nouveau par rapport au traité de Nice. J'entends répondre à ces deux objections. L'accord de Bruxelles s'est fait autour de l'idée de traité simplifié avancée par le Président de la République lors de la campagne. Son objectif est simple et ambitieux : réconcilier les exigences des Français qui ont dit non et celle de nos partenaires qui ont dit oui. À la volumineuse et incertaine Constitution -appellation controversée-, qui revisitait la réalité européenne depuis 1957, se substitue un texte court, qui reprend l'indispensable.

Ceux qui connaissent la réalité européenne savent que se trouver face à une assemblée de vingt-sept membres est une expérience difficile. Il faut trouver d'autres modalités de dialogue qu'à douze ou quinze.

Les éléments symboliques -drapeau, hymne, devise et terme de « constitutionnel »- n'y figurent plus. A tort ou à raison, ils incarnaient, aux yeux de beaucoup, un super État européen. Ils ont donc été supprimés, puisque tel était le mandat reçu des Français. La France n'a pas voté non par mégarde et nous étions face à ceux, beaucoup plus nombreux, qui ont voté en faveur du traité.

Pour répondre à la crainte, exprimée par les Français, que l'Europe ne les protège pas de la mondialisation, nous avons obtenu que la « protection des citoyens » devienne l'un des objectifs de l'Union dans ses relations avec le reste du monde. Ce nous sera un levier pour mieux lutter contre les délocalisations.

A la demande de la France, la « concurrence libre et non faussée » ne sera plus un objectif de l'Union, mais un outil au service d'une croissance économique équilibrée, du plein emploi et du progrès social. Cela ne vous aura pas échappé, surtout à gauche : il y a là plus qu'une nuance juridique.

Ces avancées prouvent que le vote des français a été pris en compte. Il n'y a ni duperie, ni duplicité, ni dissimulation.

Loin de sonner le glas de nos ambitions, ce projet incarne le renouveau de l'esprit et de la méthode européens pour une Europe plus efficace, plus démocratique, plus protectrice.

Un Président dirigera le Conseil européen pour deux ans et demi, assurant la continuité du fonctionnement de l'Union et une meilleure visibilité de l'institution pour les citoyens. À nous aussi de la rendre lisible, mieux qu'auparavant.

Un « Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité » désigné pour cinq ans sera la voix unique de l'Europe dans les crises. « Haut représentant » et non « Haut commissaire », comme je l'ai entendu dire tout à l'heure, ce qui, je vous l'accorde, aurait eu certains relents de colonialisme.

La Commission, quant à elle, verra le rôle de son Président renforcé. Désormais élu par le Parlement européen sur proposition du Conseil, associé à un nombre réduit de commissaires -deux tiers du nombre d'États membres-, il pourra, à compter de 2014, conduire plus efficacement et avec plus de cohérence les politiques communes.

Dans beaucoup de matières touchant directement la vie des citoyens -santé, énergie, coopération policière, coopération judiciaire en matière pénale, espace, protection civile...- les décisions pourront être prises plus facilement. Ces avancées amélioreront le fonctionnement de l'Europe, sans menacer nos intérêts fondamentaux. Le compromis de Luxembourg demeure.

Autre attente des Français : une Union plus démocratique. Le Parlement européen verra son rôle accru par l'extension de la procédure de codécision à de nouveaux domaines comme les fonds structurels, soit environ 300 milliards d'euros de 2007 à 2013. Le rôle de contrôle des Parlements nationaux sera renforcé par rapport au traité de Nice. Si un projet d'acte législatif est contesté, dans un Parlements national, par une majorité, la Commission sera tenue de le réexaminer. Elle ne pourra décider de son maintien que sur avis motivé. Le Parlement européen devra alors examiner cet avis en même temps que ceux des Parlements nationaux. Si 55 % des membres du Conseil et une majorité des membres du Parlement européen estiment qu'une proposition n'est pas compatible avec le principe de subsidiarité, l'examen du texte ne sera pas poursuivi.

Plus efficace, plus démocratique, le nouveau Traité assurera également une meilleure protection des citoyens.

La Charte des droits fondamentaux qui, dans le Traité de Nice, n'avait qu'une portée déclaratoire deviendra juridiquement contraignante et sera applicable dans tous les États membres, sauf le Royaume-Uni. Ceux qui militaient en faveur de cette charte s'en plaignent. Je dis : tant pis pour le Royaume-Uni.

Mme Éliane Assassi. - Tant pis pour les salariés du Royaume-Uni !

M. Bernard Kouchner, ministre. - Si l'on faisait voter les Anglais, ils voteraient non !

Mme Éliane Assassi. - Qui avait prévu que les Français voteraient non ?

M. Bernard Kouchner, ministre. - Je ne suis pas voyant. Ne revenez pas sans cesse au passé.

M. Robert del Picchia, vice-président de la commission. - Parlons d'avenir !

M. Bernard Kouchner, ministre. - Un protocole de même valeur juridique que les Traités reconnaîtra le rôle des services d'intérêt économique général, c'est-à-dire des services publics.

M. Pierre-Yves Collombat. - Non ! Ce n'est pas pareil.

M. Bernard Kouchner, ministre. - C'est l'un des objectifs poursuivis par la France depuis des années. J'ai été membre du Parlement européen et je me souviens des batailles que nous avons menées. Le traité reconnaît une grande marge de manoeuvre aux autorités nationales, régionales et locales dans la fourniture de ces services.

M. Jean Bizet. - Très bien !

M. Bernard Kouchner, ministre. - Le champ d'intervention de l'Union sera étendu, le principe de solidarité énergétique affirmé.

Certains nous reprochent la complexité du texte. Il est vrai que nous avons fait le choix d'un texte technique qui s'en tient au strict nécessaire et que nous l'avons voulu détaillé pour que l'accord soit le plus clair possible. Le mandat pour la CIG sera donc aussi simple que peut l'être un Traité qui ajuste, améliore et précise en quelques pages les règles de fonctionnement d'un espace de liberté, de sécurité, de justice, de prospérité et de solidarité partagées pour près de cinq cents millions de citoyens européens ! Nous veillerons à ce que la CIG rédige texte clair, un texte concret qui permettra de faire progresser l'Europe et ne peut que rendre espoir à ceux qui, comme moi, croient en la méthode de Jean Monnet, celle d'une Europe dont le rêve se nourrit d'avancées tangibles et progressives.

A Bruxelles, nous avons rassemblé différents cercles de solidarité autour d'une même ambition. Entre anciens et nouveaux membres, je n'ai ressenti qu'une volonté commune, je n'ai observé qu'une même détermination politique. Comme l'a souligné le Président de la République, c'était le retour de la politique en Europe.

Si j'avais le temps, je vous raconterais ces deux nuits où la France et l'Allemagne ont oeuvré ensemble à « sortir la construction européenne de l'enlisement. » J'ai cité Jack Lang.

M. Pierre-Yves Collombat. - Vous n'auriez pas une petite place pour lui ?

M. Bernard Kouchner, ministre. - Je le cite exactement : « Nicolas Sarkozy aura réussi, avec Angela Merkel, à sortir de l'enlisement la construction européenne ». (Marques d'ironie sur les bancs socialistes) Eh oui ! C'est la vérité !

M. Simon Sutour. - Il n'y a plus qu'à lever la séance !

M. Bernard Kouchner, ministre. - Oui, les efforts allemands et français ont permis d'aboutir à une position commune en Europe et ont rallié MM. Blair, Zapatero, Socrates et Juncker. Il aura fallu, certes, faire quelques concessions au Royaume-Uni (« Ah ! » sur les bancs CRC), mais les Britanniques ont eux aussi fait des concessions, notamment sur la majorité qualifiée, qui concernera de très nombreux domaines, l'Union sera dotée de la personnalité juridique, les piliers disparaissent, la perspective de créer un service diplomatique commun est conservée.

Ce n'est un secret pour personne, le partenaire le plus difficile à ramener dans la collectivité européenne fut la Pologne. Qu'aurions nous dû faire ? Poursuivre sans son accord, ni sans doute celui d'autres nouveaux États membres, une construction européenne conçue d'abord pour réconcilier et unifier le continent européen ? Laisser de côté le plus peuplé des pays qui souffrirent à l'Est ?

Comment les États qui auraient refusé ce compromis auraient-ils pu le justifier ? La Pologne a obtenu que la fameuse « double majorité » ne s'applique qu'à partir du 1er novembre 2014. Pendant une période transitoire, jusqu'au 31 mars 2017, tout État membre pourra demander qu'une décision continue d'être prise selon la règle de la majorité qualifiée de Nice. Sans cet accord, nous en serions de toute façon restés au Traité de Nice...

Les Européens ont donc fait le choix d'avancer ensemble dans la définition d'une nouvelle architecture pour l'Union.

Cet accord ne signifie pas que dans l'Europe à 27 nous ne devions ni ne pouvions toujours tout faire ensemble. Les conditions de déclenchement de coopérations renforcées seront assouplies, elles seront encore raccourcies dans le domaine de la justice et des affaires intérieures et elles seront rendues possibles en matière de défense commune.

Ces accords et ces négociations, ces clarifications et ces avancées permettent aujourd'hui aux Européens de tourner leurs regards vers l'avenir, de ne plus se focaliser sur des angoisses obsidionales et des désaccords ressassés mais de se diriger, avec des moyens et des outils rénovés, vers la construction d'une ambition européenne renouvelée. « C'est une bonne base de travail » a dit Dominique Strauss-Kahn. « Il y a de quoi faire » a ajouté Elisabeth Guigou ! (Marques d'agacement sur les bancs socialistes)

M. Simon Sutour. - Ce sont toujours les mêmes que vous citez !

M. Bernard Kouchner, ministre. - Ils m'importent, comme les autres...

M. Aymeri de Montesquiou. - Il fallait rééquilibrer !

M. Pierre-Yves Collombat. - Que de regrets, que de remords dans vos citations ! (On approuve sur les bancs CRC)

M. Bernard Kouchner, ministre - Allons donc, qui a obtenu ce résultat ?

Il y a beaucoup à faire pour réconcilier les citoyens avec le projet européen, pour mieux les informer, pour ne rien leur dissimuler. Par des débats, par des rencontres, par le dialogue, il nous appartient désormais à tous de les impliquer avant la ratification parlementaire : c'est ainsi que nous éviterons que se reproduise la triste coupure entre l'Europe et les Européens, qui nous a fait tant de mal.

C'est avec ce même souci du débat politique que nous aborderons la présidence française de l'Union qui démarre dans un an. Nous le ferons avec la perspective de mettre en oeuvre de nouveaux instruments et avec un crédit politique retrouvé auprès de nos partenaires. Il nous appartiendra de le faire fructifier, à partir de quelques priorités dont nous aurons l'occasion le débattre ensemble au cours des prochains mois.

Forts de ce nouveau Traité, nous devons désormais écrire la page des chantiers d'avenir : celle de politiques nouvelles et audacieuses pour la croissance et l'emploi, pour la sécurité et l'indépendance énergétiques, pour la protection de l'environnement, pour une politique d'immigration commune équilibrée, pour une politique étrangère de l'Europe plus affirmée, qui réunisse avec nous les pays riverains de la Méditerranée et montre sa solidarité avec le continent africain. Telle est notre feuille de route.

C'est par de telles ambitions que nous redonnerons du souffle et du coeur à l'Europe, avec les Européens. C'est ainsi que nous construirons avec cinq cents millions de femmes et d'hommes une Europe fidèle à son héritage humaniste, fière de son modèle social, sûre d'un projet économique rénové et dépouillée de ses oripeaux étatistes ou ultralibéraux. (Exclamations sur les bancs socialistes)

Oui, la France est de retour en Europe ! Saisissons cette chance pour agir et porter haut nos valeurs !

Je terminerai comme j'ai commencé, en citant Jean Monnet : « La construction européenne, comme toutes les révolutions pacifiques, a besoin de temps -le temps de convaincre, le temps d'adapter les esprits et d'ajuster les choses à de grandes transformations. Il y a aussi, toutefois, les circonstances qui bousculent le cours du temps et il y a l'occasion qui se présente à son heure : faut-il laisser passer cette heure sous prétexte qu'on ne l'attendait pas si tôt ? » (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs du RDSE)

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'union européenne. - Très bien !

présidence de M. Guy Fischer,vice-président

M. Robert-Denis Del Picchia, en remplacement de M. Serge Vinçon, Président de la commission des affaires étrangères. - L'Europe est enfin sortie de la crise institutionnelle dans laquelle elle était plongée depuis deux ans, à la suite des référendums français et néerlandais.

Le Conseil européen a aussi montré que la France était de retour en Europe et que le couple franco-allemand pouvait être efficace lorsqu'il se mettait au service de l'Union dans son ensemble et du rapprochement avec les autres partenaires européens.

L'action du Président de la République a été déterminante et il faut rendre hommage à son efficacité, ainsi qu'à celle de la présidence allemande.

Comme vous l'avez rappelé, qui aurait songé, il y a encore quelques mois, voire quelques semaines, que l'on parviendrait à concilier les positions des dix-huit pays ayant ratifié le traité constitutionnel, celles des États qui l'ont rejeté ou qui ont choisi de différer leur procédure de ratification ? Qui aurait parié que l'on réussirait à surmonter le blocage de la Pologne à propos de la double majorité ?

Aujourd'hui, l'Europe dispose d'une feuille de route. Un mandat clair et précis a été fixé à la conférence intergouvernementale pour aboutir à un nouveau traité, qui devrait entrer en vigueur avant les élections européennes de juin 2009.

Réformateur, ce nouveau traité le sera profondément.

Il donnera à l'Union européenne des institutions lui permettant de fonctionner efficacement à vingt-sept États membres : un Président stable du Conseil européen ; une Commission européenne resserrée ; un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, assisté par un service diplomatique commun, qui sera chargé de coordonner l'ensemble de l'action extérieure de l'Union ; le vote à la majorité qualifiée remplacera l'unanimité au sein du Conseil dans de nombreux domaines, comme la coopération policière et judiciaire.

L'Union européenne sera plus démocratique, grâce au rôle renforcé du Parlement européen et des Parlements nationaux. Enfin, la charte des droits fondamentaux aura une valeur juridiquement contraignante et l'Union européenne pourra agir dans de nouveaux domaines, comme l'énergie, l'espace ou la santé.

Certains ont regretté la complexité du système de la prise de décision au Conseil. L'essentiel est d'avoir préservé le principe de la double majorité.

Les dérogations obtenues par le Royaume-Uni concernant la charte des droits fondamentaux ou le domaine de la justice et des affaires intérieures soulèvent davantage d'interrogations. Comment expliquer que, dans un domaine aussi essentiel que la protection des droits fondamentaux, il y ait deux régimes distincts en Europe ? La Grande-Bretagne, qui ne participe ni à Schengen ni à l'euro, pourra rester à l'écart en matière de liberté, de sécurité et de justice. Ne se met-elle pas elle-même dans une position de repli à l'égard de la construction européenne ? Ne risque-t-elle pas d'entraîner dans son sillage d'autres États, peut-être un jour la Pologne ou l'Irlande ? Ne risque-t-on pas d'aboutir à une Europe à deux vitesses ou à la carte ?

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'union européenne C'est inévitable !

M. Robert-Denis Del Picchia. - Le nouveau traité permettra de réconcilier les Français qui ont dit oui et les Français qui ont dit non au référendum. Comme l'a dit le Président de la République à Strasbourg, l'enjeu actuel est de réconcilier l'Europe avec les citoyens.

Ces dernières années, l'Union européenne s'est sans doute trop concentrée sur les questions institutionnelles, s'éloignant ainsi de leurs préoccupations. Pour donner un sens à l'Europe, il ne suffit pas de réformer ses institutions. Il faut aussi que l'Europe sache susciter l'adhésion des citoyens, en se donnant les moyens de répondre à leurs angoisses et à leurs attentes.

Il faut donc partir de ces préoccupations pour rétablir la confiance.

La priorité, c'est la croissance et l'emploi. C'est la première et principale préoccupation des Français. Alors que pendant longtemps, la construction européenne a été synonyme de progrès et de prospérité, aujourd'hui, l'Europe ne répond plus aux attentes des citoyens dans un contexte marqué par l'atonie de la croissance, la persistance du chômage et les délocalisations. Pire, l'Europe n'apparaît plus comme une chance mais comme une menace au regard de la mondialisation.

Or l'Europe peut être un formidable levier pour adapter la mondialisation et résister à la toute puissance du marché. Comme l'a dit Nicolas Sarkozy, elle peut être un atout pour la croissance économique et la création d'emploi, si elle en a la volonté et s'en donne les moyens. Le bilan de la stratégie de Lisbonne est très décevant et la zone euro n'a pas rattrapé son retard en matière de croissance et de création d'emplois.

Dès lors que la politique monétaire se décide à l'échelon européen, on ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion sur les moyens de rendre plus efficace la coordination entre la politique budgétaire, la politique monétaire et la politique de change.

De même, comment préserver, au-delà de la diversité, l'originalité du modèle social européen, qui figure au coeur de l'identité européenne ? Dans une Europe élargie, plus hétérogène, la dimension sociale doit rester au centre du projet européen. Le nouveau traité comporte des avancées, comme l'introduction d'une clause sociale horizontale et l'ajout d'un nouveau protocole soulignant la spécificité et le rôle essentiel des services publics.

Les attentes des citoyens sont également très fortes dans le domaine de l'immigration, de la sécurité et de la justice.

Si des progrès ont été réalisés ces dernières années, par exemple avec le mandat d'arrêt européen, qui a remplacé la procédure d'extradition, l'unanimité, qui régit très largement ces matières, constitue un sérieux frein dans une Europe à vingt-sept.

Le nouveau traité remédie à ces difficultés en étendant le vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil et en rendant plus aisé le recours aux coopérations renforcées.

Autre défi : bâtir une véritable politique étrangère et de défense. Pendant que l'Union européenne discute de savoir quel titre il faut donner à son ministre des affaires étrangères -et surtout pas « Haut Commissaire », je l'ai bien compris, Monsieur le ministre-, les Etats-Unis, la Russie et les nouvelles puissances émergentes comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, n'attendent pas. Or nous avons besoin d'une Europe forte, capable de faire entendre sa voix sur la scène internationale, au Proche Orient, dans les Balkans ou ailleurs. Ainsi, en cas d'échec du Conseil de sécurité sur le Kosovo, les États membres seront-ils capables de se saisir de ce dossier et de conserver une approche commune ?

Qu'en est-il des relations avec la rive Sud de la Méditerranée et avec l'Afrique, qui présentent une importance particulière pour notre pays ? Le Président de la République a lancé récemment l'idée d'une Union méditerranéenne, sur le modèle de l'Union européenne, pour rapprocher les deux rives de la Méditerranée. Quelles initiatives compte prendre le gouvernement pour concrétiser ce projet et comment s'articulera-t-il avec le processus de Barcelone et le partenariat euro-méditerranéen ?

L'Europe de la défense a beaucoup progressé ces dernières années. Le nouveau traité permettra de nouvelles avancées, avec notamment la « clause de solidarité » et les « coopérations structurées ». Pour autant, un fait récent laisse songeur : l'annonce du déploiement d'éléments du système de défense anti-missiles américain en Pologne et en République tchèque. Comment expliquer que, sur un sujet de cette importance, qui concerne directement la protection du territoire et des citoyens européens, il n'y ait qu'un accord entre les États membres : ne pas en parler ! Il y a encore du chemin à faire vers une défense européenne réellement autonome !

Enfin, il y a l'enjeu de l'élargissement de l'Union. L'Europe doit un jour tracer ses frontières pour approfondir son projet. Disons le clairement : tout État qui respecte les critères n'a pas vocation à faire partie de l'Union européenne ! L'adhésion à l'Union européenne n'est pas un droit, c'est un acte de foi qui suppose l'adhésion à des valeurs communes, mais aussi le maintien de l'élan d'intégration. Cela ne veut pas dire pour autant que l'Union européenne ne doit pas approfondir ses relations avec ses voisins sur la base d'un partenariat privilégié. Une réflexion sur les frontières de l'Union est indispensable.

Sur tous ces sujets, la commission des affaires étrangères, qui a décidé récemment de constituer des groupes de travail pour suivre les travaux de la Conférence intergouvernementale, la politique étrangère et de sécurité commune ou encore le projet d'Union méditerranéenne, entend participer activement à la réflexion.

Le nouveau traité permettra à l'Europe de sortir de l'impasse institutionnelle dans laquelle elle était plongée depuis deux ans et de rendre son fonctionnement plus efficace, plus démocratique et plus transparent. Pour consolider l'Union, il ne suffit pas de perfectionner ses institutions. Il faut, dans le même temps, resserrer ses liens avec les citoyens. Cela passe par des progrès tangibles, qui manifestent aux yeux des citoyens que la construction européenne est à leur service. Pour ce faire, inspirons-nous de la méthode de Jean Monnet ! C'est autour de projets concrets, en matière industrielle et technologique comme Galiléo, en matière énergétique ou de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, ou encore en développant les échanges culturels et universitaires, à vingt-sept ou par une avant-garde de pays décidés à avancer, que l'on parviendra réellement à réconcilier l'Europe avec les citoyens. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne - C'est en qualité de Président de la délégation pour l'Union européenne que je m'exprime ce soir mais aussi en tant qu'ancien membre de la Convention qui a élaboré le Traité constitutionnel, ce qui me permet de porter un regard objectif et positif sur l'accord de Bruxelles. Partisan résolu de ce traité, j'ai accueilli avec beaucoup de regret le « non » des Français. Mais le devoir des partisans du « oui », c'était de se demander pourquoi les électeurs avaient dit « non » et d'en tirer les conséquences.

Il est toujours difficile de faire parler les urnes à l'issue d'un référendum parce que, dans nos réunions, nous rencontrons surtout les convaincus. Les Français n'ont pas voté « non » à ce qui, dans le traité, était là pour améliorer le fonctionnement de l'Union. Ce qui motivait les partisans du « non », c'était d'abord le sentiment que l'Europe ignorait leurs préoccupations concernant les délocalisations et, plus généralement, le risque de « dumping » social, fiscal ou environnemental. L'Union européenne leur paraissait d'une orientation trop exclusivement libérale, alors qu'ils s'inquiétaient pour l'avenir de la protection sociale et des services publics. Beaucoup avaient également le sentiment que la construction européenne restait très éloignée des citoyens, hors de leur contrôle, et qu'elle en faisait trop dans certains domaines et pas assez dans d'autres.

Il était donc urgent de redresser la barre. On a commencé de le faire depuis deux ans et il suffit, pour le constater, de comparer le texte initial de la directive « services » et le texte finalement adopté. Je pourrais citer également l'exemple de la création du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation pour aider la reconversion professionnelle des travailleurs et le lancement, en septembre dernier, du dialogue direct entre la Commission et les parlements nationaux au sujet de la subsidiarité et la proportionnalité.

L'Europe n'est pas sourde et le mandat donné à la CIG marque une étape dans cette réorientation. Il conserve la substance du traité constitutionnel, c'est-à-dire la réforme du fonctionnement de l'Union, qui n'était pas la cause du vote négatif des Français, mais, en même temps il contient des inflexions importantes. C'est ainsi que la concurrence « libre et non faussée » ne figure plus parmi les objectifs de l'Union. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus de politique de la concurrence dans l'Union, mais qu'on a écouté ceux de nos concitoyens qui ne comprenaient pas que cette concurrence apparaisse comme une fin en soi. Pour ma part, je fais mienne la formule de Jacques Delors selon laquelle l'Europe doit reposer sur un triptyque : concurrence, coopération et solidarité. La nouvelle rédaction va dans le sens d'un tel équilibre : la concurrence est un moyen, un aiguillon indispensable, elle ne doit pas apparaître comme un dogme exclusif de toute autre préoccupation.

Le nouveau protocole sur les services publics va très exactement dans ce sens. Il pose quatre principes : « le rôle essentiel et la grande marge de manoeuvre des autorités nationales, régionales et locales dans la fourniture, la mise en service et l'organisation des services d'intérêt économique général » ; la prise en compte des « situations géographiques, sociales ou culturelles différentes » ; un « niveau élevé de qualité, de sécurité et d'accessibilité, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel » ; la pleine compétence des États membres pour les services non économiques d'intérêt général. Ce texte garantit l'équilibre entre les impératifs de la concurrence et ceux des services publics.

On me dira peut-être que, dans tout cela, on en reste aux orientations générales. Mais, encore une fois, nos concitoyens n'ont pas voté contre la présidence stable du Conseil européen ou l'extension du vote à la majorité qualifiée ; ils ont voté contre une certaine façon de construire l'Europe, où ils ne se retrouvaient pas suffisamment. C'est donc bien sur le terrain des orientations qu'il faut leur répondre.

Le mandat de la CIG tient compte également des critiques sur le risque de voir l'Union s'ériger en une sorte de « super-État » difficilement contrôlable, critiques que l'on a d'ailleurs plus entendues aux Pays-Bas qu'en France. La terminologie « constitutionnelle » disparaît, la « clause de flexibilité » permettant d'étendre les compétences de l'Union est mieux encadrée. Le contrôle de subsidiarité confié aux parlements nationaux est complété par une disposition qui, si j'ai bien compris, s'ajoute à celles prévues par le traité constitutionnel. J'aimerais, Monsieur le ministre, que vous le confirmiez.

La Convention avait prévu deux étapes. La première, une sorte de carton jaune, permettait aux parlements nationaux d'alerter la Commission au sujet de la subsidiarité : si un tiers de ces parlements alertait la Commission, celle-ci devait réexaminer sa proposition. Et puis il y avait une deuxième étape, éventuelle, celle du carton rouge, qui donnait la possibilité aux parlements nationaux de saisir la Cour de justice après l'adoption définitive du texte. Dans le mandat de la CIG, une nouvelle modalité apparaît, une sorte de carton orange : si une majorité des parlements nationaux alerte la Commission, et s'ils reçoivent l'appui soit de 55 % des États membres, soit de la majorité du Parlement européen, alors la Commission doit retirer son texte. Cette nouvelle modalité, compliquée à mettre en oeuvre, paraît destinée à jouer de manière très exceptionnelle. Tout va bien si elle s'ajoute au carton jaune et au carton rouge prévus par le traité constitutionnel, mais si elle s'y substituait, ce ne serait plus un progrès.

Monsieur le Ministre, pouvez-vous confirmer que le carton orange s'ajoutera au rouge et au jaune sans les remplacer ?

Au reste, pourquoi les Parlements nationaux n'ont-ils pas d'observateurs à la CIG alors que le Parlement européen en dispose de trois ? C'est paradoxal puisque Strasbourg, contrairement aux Parlements nationaux, n'a pas compétence pour approuver les traités. D'après ma petite enquête, la présidence allemande n'était pas favorable à cette proposition, suivant en cela le Parlement européen. L'Allemagne devrait d'ailleurs se méfier : elle pourrait donner le sentiment qu'elle impose parfois son point de vue et qu'il existe une collusion entre le Parlement européen, le Bundestag et la Chancellerie... En réalité, cette situation est peut-être aussi de notre fait. La France n'était pas aussi présente en Europe qu'on l'aurait souhaité à ce moment-là. Je défends l'idée que le Parlement portugais, puisque nous sommes sous présidence portugaise, ait un représentant. J'exposerai cette proposition la semaine prochaine à Lisbonne et, comme l'on dit beaucoup en France qu'il faut donner davantage de poids au Parlement ces temps-ci, j'espère, monsieur le Ministre, que vous me soutiendrez. (M. le ministre opine du bonnet)

Ce traité constitue une étape vers une Europe plus proche des citoyens. Mais, ce qu'attendent les Européens, ce sont d'abord des politiques pour plus d'efficacité en matière de croissance et d'emploi, de lutte contre la délinquance juvénile ou encore de développement durable. Ils veulent une Europe qui défend ses valeurs et ses intérêts. Le traité nous donne des outils pour mettre en oeuvre ses politiques, rien de plus.

Ce Conseil européen a permis de réconcilier les Etats qui avaient approuvé le traité constitutionnel et ceux qui l'avaient rejeté. Pour reprendre les mots du Président de la République à Strasbourg, il constitue la synthèse du « oui » et du « non » en France. La France est enfin revenue dans le jeu européen en retrouvant son partenariat avec l'Allemagne et, avec ce traité, nous tournons la page de dix ans de débat institutionnel. A nous de savoir l'utiliser au mieux pour encourager la Renaissance de l'Europe, que le Président de la République a appelée de ses voeux ! (Applaudissements à droite et au centre).

M. Bruno Retailleau. - Je veux exprimer ma perplexité : ce traité simplifié, que j'aurais aimé applaudir sans réserve, n'est pas une vraie rupture par rapport au traité constitutionnel que les Français ont rejeté. Certes, la tâche du Président de la République était difficile et je reconnais les avancées obtenues : un traité réformateur plutôt que refondateur, la suppression de la référence à la concurrence « libre et non faussée » et le protocole sur les services d'intérêt général.

M.  Bourlanges comme M. Sellal, notre représentant à Bruxelles, nous avaient alertés : le texte a perdu en lisibilité, mais toute la Constitution est là. J'ai donc cherché des traces montrant que le message du 29 mai 2005 avait été entendu. Et j'ai trouvé l'inverse. L'application du principe de primauté du droit communautaire et de la Charte de droits fondamentaux est renvoyée au juge, plutôt qu'au peuple. Qui plus est, à un juge militant de la cause supranationale qui construit décision après décision une jurisprudence téléologique. Ensuite, ce texte marque la naissance d'un État en devenir, doté d'une personnalité juridique, d'une présidence indépendante des États-membres et d'un service diplomatique... Enfin, des compétences, toujours plus nombreuses, seront soumises à la règle de la majorité qualifiée. Nous avons donc affaire à une deuxième Constitution, sans le nom mais avec les mêmes mécanismes supranationaux, « moins ronflante mais plus habile ».

M. Pierre Fauchon. - Eh oui !

M. Bruno Retailleau. - A ceux qui prétextent qu'il faut faire fonctionner l'Union, je veux dire que l'Europe, avant d'être une structure, doit être un projet partagé. Ce traité vise la même finalité historique, une Europe fédérale, avec les mêmes méthodes, les petits pas et l'engrenage. Pour les partisans du « oui », c'est une bonne nouvelle. Mais qu'ils ne fassent pas mine ensuite de s'étonner des admonestations de Bruxelles sur cette idée folle qu'aurait eu le Président français d'une Europe plus protectrice. Que va-t-on dire aux pêcheurs d'anchois et de thon ? Que nous n'avons plus de pouvoir ? Qu'au nom d'un intérêt communautaire supérieur, il faut renoncer à défendre nos intérêts nationaux ? Je croyais pourtant que l'on avait tiré les leçons du référendum et des élections. « Les Français ne veulent plus que l'on décide à leur place ! » a affirmé M. Sarkozy dans son discours d'investiture.

Pour que l'Europe gagne en légitimité politique, nous ne pourrons pas faire l'économie d'un référendum sur ce texte. Une autre Europe est possible et souhaitable : une Europe respectueuse des démocraties nationales, fondée sur des coopérations différenciées.

Mme Éliane Assassi. - Nos dirigeants se sont permis de nier le résultat du référendum du 29 mai 2005. Preuve en est, la signature de la France, qui figure toujours au bas du traité constitutionnel et notre Constitution qui fait encore référence à ce fameux texte. Le groupe CRC en a d'ailleurs demandé le retrait.

Après le Conseil européen de juin 2007, la seule question qui vaille aujourd'hui est : les structures et les orientations de l'Union européenne sont-elles conformes aux attentes et aux besoins des populations ? Pour l'heure, la réponse est négative. Et l'on ne peut croire, comme M. Sarkozy l'affirme, qu'il a respecté le mandat donné par les Français le 29 mai 2005.

Au-delà d'un habillage verbeux censé réconcilier les partisans du « oui » et les tenants du « non » et de l'augmentation du délai accordé aux parlements nationaux pour examiner les projets, vous vous êtes contentés de conserver ce qui faisait consensus : l'élection d'un président stable et le système du vote à la double majorité qualifiée repoussé à 2014 pour complaire à la Pologne, qui a également obtenu que la Charte des droits fondamentaux n'affecte pas les législations nationales sur la famille afin de sauvegarder son droit conservateur, pour ne pas dire réactionnaire. De son côté, le Royaume-Uni a obtenu que la Charte ne puisse pas être utilisée par les syndicats britanniques devant la Cour européenne de justice.

De plus, le Royaume-Uni bénéficie d'une dérogation sur la coopération judiciaire. Comme la fiscalité reste soumise à la règle de l'unanimité, le dumping fiscal a de beaux jours devant lui !

Depuis une douzaine de jours, Nicolas Sarkozy se targue d'avoir fait retirer la référence à « la concurrence libre et non faussée » des objectifs de l'Union. Mais ce principe est maintenu dans les traités ! Il continuera donc à inspirer les politiques européennes, alors que les citoyens voient en lui une cause de l'érosion des acquis sociaux, de la progression de la précarité et de l'explosion des dividendes. La substance du traité constitutionnel est conservée ; l'ossature de son titre III reste intacte. Bref, au fond, rien n'a changé, et le prétendu geste fort n'est qu'une manipulation.

La réalité, c'est l'indépendance de la Banque centrale européenne qui donne priorité à la lutte contre l'inflation au détriment du soutien à la croissance et à l'emploi ; l'encadrement strict des finances publiques ; la traque aux aides publiques et aux participations étatiques ; l'orientation libre-échangiste de la politique commerciale de l'Union.

On retire une disposition qui n'a pas plu, avec l'espoir de faire taire les opposants politiques, et l'on fait revivre les traités qui disaient la même chose : la concurrence dans le traité de Rome, la politique économique dans celui de Maastricht. Beaucoup de bruit, pour rassurer l'opinion et pour forger à Nicolas Sarkozy une image d'homme d'État, de « sauveur de l'Europe ». Nul n'est dupe du tour de passe-passe, au point que la présidence du Conseil se permet de réaffirmer tel quel le présupposé de la concurrence « libre et non faussée ». Rien n'a bougé. Et aucune réponse n'est apportée aux urgences sociales et écologiques.

Plus grave encore, ratifier le traité par voie parlementaire constituerait un déni de démocratie : en refusant de donner la parole au peuple, on concrétiserait la grande épopée imaginée par les pères fondateurs par un hold-up parfait.

Le 23 juillet, les Vingt-sept se réuniront pour préparer un projet de traité simplifié avant la réunion d'une conférence intergouvernementale. Le Portugal a été chargé de la rédaction définitive de ce texte. Est-ce là une façon démocratique d'agir ? On veut surtout empêcher l'expression populaire par référendum. La feuille de route fixe des échéances très rapprochées afin d'aboutir à un nouveau traité dès la fin 2007 pour une ratification en 2008, avant les élections européennes de juin 2009. C'est dire si le temps du débat public sera court.

Des modifications cosmétiques, une politique toujours aussi libérale, un semblant de recul sur la concurrence « libre et non faussée », une charte des droits fondamentaux de très faible portée, une course au moins-disant fiscal : nous sommes bien loin de l'autosatisfaction affichée par Nicolas Sarkozy ! Non, la décision prise à Bruxelles n'est pas conforme au vote des Français en 2005. Les principes antilibéraux, objets de la critique de la majorité de nos concitoyens, demeurent. Ce disant, je suis en parfait accord avec les 57 % des Français qui souhaitent être consultés.

Nous sommes tous attachés à l'Europe. (M. Del Picchia rit). Nous le sommes tout autant que vous !

Hubert M. Hubert Haenel. - Que Dieu vous entende ! (Sourires)

Mme Éliane Assassi. - Il nous a entendus le 29 mai 2005.

Nous sommes Européens autant que vous, mais nous ne donnons pas à l'Europe le même sens que vous, ni les mêmes valeurs. (M. Haenel marque son soulagement ; on applaudit sur les bancs CRC).

M. Pierre-Yves Collombat. - Un socialiste maintenu !

M. Simon Sutour. - L'accord des Vingt-sept a un mérite, celui d'exister. Après plus de deux ans de paralysie, l'Union européenne envisage quelques réformes institutionnelles ; nous ne pouvons nous en plaindre car nous pensons que cela était nécessaire. Un refus de principe serait une erreur, d'autant qu'on constate des avancées.

La présidence du Conseil sera stabilisée ; le nombre de Commissaires sera enfin réduit ; la concurrence « libre et non faussée » cesse d'être incluse dans les objectifs de l'Union, même si elle demeure ; le champ du vote à la majorité qualifiée est étendu aux questions de coopération judiciaire et policière ; la répartition des compétences est éclaircie ; l'Union se dote d'une personnalité juridique unique et met fin à l'incompréhensible système des piliers ; enfin, les pouvoirs du Haut représentant pour Ia Pesc sont accrus et il est doté d'un service diplomatique. Tout cela ne peut être écarté d'un revers de main.

L'accord a été conclu après que la présidence allemande a convaincu la Pologne de lever son opposition au vote à la double majorité : Mme Angela Merkel a menacé de convoquer une CIG sans son voisin de l'Est. Le porte-parole du gouvernement allemand, Ulrich Wilhelm a expliqué que la Pologne aurait ensuite la possibilité de rejoindre le consensus européen, à l'automne, à la CIG. En échange, une extension du système actuel a été négociée, ce qui permet à la Pologne et à l'Espagne de bénéficier d'un grand nombre de voix, comparativement aux plus grands États.

Le système de vote à la double majorité n'entrera en vigueur qu'à partir de 2014, lorsque l'Union aura établi la planification de son budget pour 2014-2020. Entre 2014 et 2017, tout État membre pourra encore exiger que l'ancien système de vote soit utilisé s'il le souhaite. Une malheureuse et complexe clause spéciale facilite la formation d'une minorité de blocage au cours de cette période. La Pologne a également obtenu une clause de solidarité en matière d'énergie, pour tenir compte de ses relations difficiles avec la Russie.

Nous ne sommes pas seulement pragmatiques, euroréalistes, nous sommes surtout des militants de l'Europe politique, de l'Europe intégrée, qui n'avons pas abdiqué l'ambition fédéraliste. De ce point de vue, nous ne pouvons nous satisfaire d'un accord médiocre, en considérable régression par rapport aux travaux de la Convention européenne. Le terme Constitution lui-même est abandonné. En effet, il s'agissait d'un traité constitutionnel et non d'une véritable constitution, qui aurait supposé l'existence d'un État et d'un peuple européens, mais le nouveau traité sera un simple amendement aux traités existants, sans vocation à donner une cohérence, une colonne vertébrale à l'Europe politique. En ce sens, ce n'est guère plus qu'un règlement intérieur de l'Union. Tony Blair l'a avoué : « La chose la plus importante ici, c'est que le traité constitutionnel a été mis de côté, nous en sommes revenus à un traité conventionnel ».

Les symboles de l'Union -hymne, drapeau, journée du 9 mai- ne figurent même plus dans les traités ; la double majorité, est reportée à 2014, voire 2017 ; le vote à la majorité qualifiée n'est pas appliqué aux matières fiscale et sociale ; le terme « ministre dès affaires étrangères » n'a pas été retenu : c'est très significatif de la volonté des ministres nationaux de ne pas abandonner un pouce de terrain dans ce domaine, comme l'est le refus du vote à la majorité qualifiée en cette matière. Si la charte des droits fondamentaux a enfin une force contraignante, elle n'est pas intégrée dans les traités ; elle n'est du reste pas applicable au Royaume-Uni. Enfin, grave lacune, le mince protocole sur les services publics ne cache pas l'absence de dimension sociale, écologique, ou de réformes de la gouvernance énergétique.

Au total, c'est donc bien d'un « mini-traité pour une mini-ambition » qu'il s'agit, plutôt dans la lignée du si contesté traité de Nice. Il ne s'agit pas de nier la part que le président de la République a prise dans cet accord : il a fait preuve d'une énergie dont Jacques Chirac n'était plus capable depuis le 29 mai 2005. Il a concrétisé le retour de la France en Europe, il a imposé sa conception d'un traité simplifié, même si ce texte est plus « illisible » encore que le TCE.

Ce « traité réformateur » qui vient amender les traités existants manque un des objectifs de la déclaration de Laeken : la simplification. Et le Premier ministre belge, n'a pas eu tort de parler de traité « de notes de bas de page » ! Une étape fondamentale consistera donc à rendre ces traités plus lisibles et à séparer la partie constitutionnelle des éléments législatifs, y compris par des modes de révision différenciés.

Le président de la République a, avec la complicité d'Angela Merkel, tordu le bras aux « amis de la Constitution », étrangement résignés, à l'exception de Romano Prodi.

Il n'a proposé aucune vision mais défendu une approche fonctionnaliste. Et on voit les limites d'une méthode uniquement diplomatique et à huis clos : on gardera le goût amer de marchandages sans hauteur de vue et à l'écart de tout débat public. Quel accord aurait-on obtenu sans les travaux de la Convention qui, elle, avait su s'ouvrir au public ? L'Union européenne doit reprendre sa méthode.

Autre bémol, l'absence de clause de rendez-vous. L'Europe élargie a besoin de rendre visible le projet politique qu'elle porte. Sinon, la distance avec les citoyens s'accroîtra : aucune démarche purement diplomatique ne peut relancer le moteur européen.

Un verre à moitié plein ou à moitié vide. Nous constatons des avancées mais aussi des reculs. Entre une inexorable marche en avant ou le repli, l'Europe est à un tournant de son histoire. Les socialistes attendent les résultats de la conférence intergouvernementale. Nous formulons des propositions et nous déterminerons avec le souci de ne pas cautionner une Europe a minima et de rendre à l'Union un souffle que des dirigeants désenchantés n'ont pas su lui donner. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Denis Badré. - Avec une présidence stabilisée et un ministre des affaires étrangères, l'Europe est sortie de la panne. Ses partenaires attendaient la France, peut-être à cause du « non » au référendum. Nous sommes heureux d'un accord qui permet un redémarrage et que nous devons à nos deux ministres ainsi qu'à l'engagement du président de la République... et à nos partenaires -aurions-nous été aussi bons joueurs ? Angela Merkel a eu la volonté inébranlable de conclure un mandat détaillé pour la prochaine conférence intergouvernementale. Reste à mettre au crédit de la Convention un travail remarquable et à reconnaître l'action de la Commission, du Parlement européen et des parlements nationaux.

L'Europe est-elle sauvée ? Je l'espère, mais il faut y travailler encore et que le texte final soit ratifié par les Vingt-Sept. J'aimerais qu'à cet égard, la France soit exemplaire, une fois n'est pas de coutume, car d'autres débats difficiles nous attendent sur les perspectives financières, la PAC, ou le codéveloppement. Or certains évoquent déjà une remise en cause de l'accord. Comment construire dans la durée si un accord n'est pas respecté ? Les États qui n'ont pas soumis le traité à ratification sont parmi ceux qui ont élevé le plus de difficultés. Ce précédent est bien fâcheux alors qu'il faut, pour construire l'Europe, une confiance mutuelle.

On peut regretter qu'un accord a minima ne retienne pas la codification qui aurait permis une véritable simplification, non plus que l'appellation de ministre des affaires étrangères. Il est vrai que mieux vaut utiliser sans les citer les symboles de l'Union que les citer sans les utiliser. Je n'en préfère pas moins une Europe qui s'affirme pour ce qu'elle est et je compte sur vous pour qu'il en soit ainsi.

Je veux, enfin, dénoncer trois fautes contre l'Union. La première est la nôtre lorsque nous laissons filer les déficits. La seconde est celle de nos amis britanniques lorsqu'ils choisissent d'ignorer les valeurs communes au point qu'on peut s'interroger sur leur place dans l'Union. La troisième est celle des pays qui invoquent les pertes subies pendant la guerre : l'Europe est une oeuvre de réconciliation et jamais la France et l'Allemagne n'ont procédé de la sorte durant les années 50.

Retrouvons le sens profond de l'Europe et rendons le visible pour qu'il gagne la confiance des Européens. Sortons des débats caricaturaux sur la ratification par référendum qui serait démocratique et la voie parlementaire, qui confisquerait la décision. Cependant, ne donnons pas le sentiment que nous ne consultons pas les Français parce qu'ils ont mal répondu et associons-les à la poursuite du projet européen, qui les intéresse encore après le 30 mai.

La France est maîtresse chez elle mais pas chez ses vingt-six partenaires. Elle doit donc apprendre à les écouter et admettre qu'ils peuvent réussir par d'autres voies qu'elle. Il convient enfin qu'autour du couple franco-allemand, L'Europe se remette au service de la réconciliation, de la liberté et des droits de l'homme. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)

M. Pierre Fauchon. - Je ne crois pas qu'il y ait dans cette Assemblée quelqu'un qui ait des convictions européennes plus affirmées que moi et c'est pourquoi je suis convaincu qu'on n'avancera que par le concret, avec modestie, et obstination. Tout ce qui nous fait avancer est bon à prendre, malgré les contradictions ou les absurdités.

Comme le disait Talleyrand, « Cocher, allez doucement, parce que je suis pressé ! »

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.  - « Hâtez-vous lentement » disait Boileau !

M. Pierre Fauchon. - C'est parce que je suis pressé de voir l'Europe avancer que j'ai beaucoup souffert depuis ce triste référendum, cette journée aux conséquences désastreuses, non seulement pour le fonctionnement même de l'Union mais dans tous les domaines auxquels son action s'étend ou devrait s'étendre.

Ainsi, l'Europe était-elle littéralement embourbée dans des embarras techniques, le scepticisme des uns, le conservatisme national des autres, l'insouciance et l'inconscience qui sont trop souvent la marque de ceux que l'on aimerait qualifier de responsables. Et nul ne voyait comment le char pouvait être arraché à cette « maudite boue » comme dit La Fontaine. Il s'est trouvé quelques vaillants charretiers, parmi lesquels des Français, pour obtenir une sorte de miracle : le char a bougé ; mieux, il s'est arraché à cette paralysie pour se remettre en mouvement. Sans doute ne peut-on dire avec le fabuliste « mon char marche à souhait » mais il recommence à bouger. Et tout redevient possible. Et la confiance renait dans le camp des Européens d'autant plus que les avancées portent sur des points essentiels comme les modalités de vote tandis que les blocages portent sur des aspects infiniment moins importants, même s'ils sont emblématiques. Sans doute n'est-il plus question de Constitution, mais je ne suis pas de ceux qui s'en découragent, me souvenant que l'Europe se fait depuis 50 ans sans Constitution et que la Grande-Bretagne, sans constitution, dispose de textes fondamentaux dont l'Europe devrait s'inspirer.

Il ne faut donc pas se crisper sur les formes mais considérer le fond et engranger les résultats acquis en s'efforçant d'en faire des tremplins. Si rien n'est définitivement résolu, l'avenir n'est plus bouché et, en franchissant le cap des votes unanimes, nous avons accompli un pas décisif. Sans doute faudra-t-il supporter un certain retard mais y avait-il d'autres moyens ? Nul ne peut honnêtement le prétendre. C'est pourquoi, parlant au nom de mon groupe dans sa très grande majorité...

M. Jean Bizet. - Quel groupe !

M. Pierre Fauchon. - ...je vous dis un très grand bravo. (Applaudissements sur divers bancs au centre et à droite)

M. Jean François-Poncet. - Il n'y a littéralement plus rien à dire car tout à été dit, à plusieurs reprises et, en général, fort bien. Si je m'écoutais, je m'arrêterais là, mais parlant au nom du principal groupe de cette assemblée, je vous demande un peu de patience afin de m'acquitter de ma tâche.

Il est certain que l'accord de Bruxelles marque une étape importante dans la série de sommets qui ont émaillé la vie mouvementée de l'Union européenne. On peut débattre des mérites et des carences de cet accord mais il y a deux points que personne ne peut contester. C'est, d'abord, que la France est de retour en Europe après le référendum perdu de 2005 : l'idée d'un traité simplifié est française car c'est Nicolas Sarkozy qui, le premier, en a parlé à Berlin il y a un an. Ensuite, ce succès français n'aurait pas été possible si le couple franco-allemand n'avait pas été de retour en Europe. C'est la conjonction de ces deux retours qui a permis l'avancée : l'Europe a retrouvé son moteur, même s'il a fallu prendre des précautions avec certains de nos partenaires.

J'en viens aux mérites et aux carences de l'accord. Les mérites sont évidents et tout le monde les a rappelés : une présidence stable du Conseil européen ; un chef de la diplomatie qui, étant en même temps vice-président de la Commission, rassemblera pour la première fois entre ses mains l'ensemble de l'action internationale de l'Union ; un système de vote à la double majorité qui prend en compte le poids démographique des États. Certes, jusqu'en 2017, le traité de Nice continuera à s'appliquer. Un tel système avantagera indûment la Pologne et l'Espagne, mais ce qu'on oublie d'ajouter, c'est qu'il avantagera aussi la France, la Grande-Bretagne et l'Italie. La concession a été faite par la seule Allemagne qui, avec ses 82 millions d'habitants, a accepté d'en payer le prix durant dix ans.

J'en viens aux carences. Premier recul, les concessions de vocabulaire. Le mot Constitution disparaît. On peut se demander s'il était nécessaire. Je n'en suis pas persuadé. Les symboles de l'Union -le drapeau, l'hymne et la devise- passent à la trappe. C'est très regrettable mais cela ne change rien puisque ces symboles continueront à être utilisés. Le Haut Représentant pour la politique étrangère perd son titre de ministre, mais ses attributions et ses moyens n'en seront pas affectés.

Le deuxième recul concerne la Grande-Bretagne, il est beaucoup plus sérieux : elle a profité de l'occasion pour revenir sur une partie des engagements auxquels Tony Blair avait souscrit dans le Traité Constitutionnel. La déclaration des droits fondamentaux ne s'y appliquera pas, et les décisions prises à la majorité qualifiée en matière judiciaire ne s'imposeront à elle que si elle y consent. La Grande-Bretagne est-elle encore membre à part entière de l'Europe ? A force de ne participer ni à Schengen, ni à la monnaie unique, ni à la coopération judiciaire, ni à la déclaration des droits fondamentaux, ce pays conserve-t-il encore, par exemple, la légitimité nécessaire pour s'opposer à d'éventuels progrès de l'intégration européenne ? J'en doute.

Le troisième recul a été dénoncé par le Président du Conseil Italien et le Premier ministre belge. C'est le recul de l'esprit communautaire qui est très grave. De fait, certains pays ont défendu avec âpreté leurs priorités nationales aux dépens de l'intérêt européen. Mais est-ce vraiment nouveau ? N'a-t-on pas eu le même sentiment quand, en 1962, la France a pratiqué la politique de la « chaise vide », quand Mme Thatcher clamait « rendez-moi mon argent », quand la France et l'Allemagne se sont opposées au Sommet de Nice ou lorsque l'Europe s'est déchirée sur l'Irak ? Après chacune de ces crises, l'Europe a rebondi. De même, elle a rebondi à Bruxelles, le 23 juin, à 4 heures et demie du matin.

La construction européenne n'a jamais été un long fleuve tranquille, mais elle a toujours su se sortir des ornières où elle s'était enfoncée et surmonter les obstacles qui l'entravaient, comme elle vient de le faire en adoptant les grandes lignes d'un traité réformateur.

Pourtant, il faudra rédiger ce traité, sans que renaissent les contentieux. Or, nous savons bien que le diable est dans les détails.

Reste une dernière question : l'accord a-t-il pris en compte le « non » de la France au traité constitutionnel ? Ce qui a motivé le vote négatif, c'est la troisième partie du traité, qui avait donné le sentiment que l'Europe mettait le cap sur l'ultralibéralisme.

Or elle a totalement disparu. On peut aussi rappeler le protocole sur les services publics ou le retrait, parmi les objectifs fondamentaux de l'Union, de la concurrence « libre et non faussée ». Ce retrait est plus significatif qu'il y paraît, pourvu que la jurisprudence de la Cour de justice et la Commission s'en inspirent lorsqu'il faudra décider, par exemple, si l'Europe doit s'incliner devant la mondialisation ou combattre ses injustices et ses dérives.

Après avoir rendu au Président de la République l'hommage qui lui est évidemment dû, le moment est venu pour moi de féliciter les ministres qui lui ont apporté un concours précieux. J'exprime l'espoir qu'ils réussiront demain, les problèmes institutionnels étant réglés, à rassembler l'Europe autour des grands chantiers de son avenir. Un nouveau chapitre s'ouvre : puissiez-vous figurer au premier rang des négociateurs avisés qui l'écriront ! ((Applaudissements au centre et à droite)

M. Aymeri de Montesquiou. - Le 29 mai 2005 a été ressenti comme une catastrophe par tous ceux qui ont la passion de l'Europe, une Europe dont le destin apparaissait alors comme celui d'une Suisse immense, résignée et nostalgique. Mais les peuples sont souverains. Les mêmes espéraient que leurs dirigeants feraient tout pour sortir l'Union de l'impasse où l'avait entraînée le « non » des Français et des Néerlandais, et la France d'une situation d'impuissance où elle était en butte à l'ironie et à la condescendance de ses partenaires.

Il a fallu toute la créativité et la volonté du Président de la République pour confirmer l'indispensable entente franco-allemande, puis pour relancer l'Europe. L'atmosphère de Bruxelles a tranché avec celle des Conseils précédents, et les résultats obtenus permettent les réformes indispensables au bon fonctionnement de l'Union tout en prenant la mesure de l'opposition des opinions publiques. L'essentiel des acquis de la Convention est préservé et les parlements nationaux sont confortés dans leur rôle de surveillants de la bonne application du principe de subsidiarité.

Si l'on peut regretter la disparition du mot « Constitution » ou celle des symboles, la sémantique est dérisoire au regard des enjeux. On peut ainsi s'étonner que le Royaume-Uni ait attaché autant d'importance à désigner le ministre des affaires étrangères comme un Haut représentant ... tout en lui conservant ses attributions. A le voir refuser de donner une valeur contraignante aux droits fondamentaux ou s'accrocher à la règle de l'unanimité en matière fiscale, on peut se demander s'il est encore un partenaire à part entière. On pourrait d'ailleurs lui demander un peu plus de stabilité : l'île tantôt se rapproche, tantôt s'éloigne de l'Europe, au point de donner à tous le mal de mer ! Et la Pologne veut déjà revenir sur l'accord de Bruxelles.

Tout cela nuit à l'Europe, à son image, aux États-membres. Il est temps de restaurer un code de bonne conduite, de faire en sorte que l'Europe avance de façon homogène. C'est son avenir qui est en jeu. Il faudra aussi sans doute recourir aux mécanismes de coopération renforcée pour rattraper le temps perdu. Le couple franco-allemand irrite parfois, mais il reste indispensable, déterminant. Quant aux nouveaux membres, ils démontrent, par leur adhésion à un projet commun, l'impact inouï de l'idée européenne ; ils enrichissent et renforcent l'Union.

Pourtant, les peuples européens doutent comme jamais ; le « non » français et néerlandais a laissé des traces. Raison de plus pour se réjouir d'un accord qui marque le renouveau de l'esprit européen. Il faut profiter de cette dynamique pour montrer à nos concitoyens ce que l'Europe leur apporte de positif. Comme l'a relevé le Président de la République, les questions concrètes doivent être traitées avec bon sens et réalisme, qu'il s'agisse du dumping monétaire ou social, de la préférence communautaire, de la PAC, de la défense de l'Union à ses frontières, et surtout de l'énergie. L'Europe a un intérêt vital à élaborer enfin une politique énergétique harmonisée. Je pense aussi à l'innovation ou à un droit unique des sociétés.

Plus fondamental encore : il faut redonner un élan à la construction européenne. L'Europe ne fait plus rêver, les peuple s'en désintéressent, n'en attendent plus rien. Bruxelles est devenu synonyme de technocratie et de bureaucratie. Il est temps de redonner espoir, fierté, enthousiasme aux Européens, pour que l'Europe existe face à la Russie, aux États-Unis, à la Chine, pour qu'elle ait un futur politique, économique et culturel. La volonté politique est le moteur de cette renaissance. L'impulsion salutaire donnée par le Président de la République rappelle à l'Europe son projet originel, audacieux, harmonieux et visionnaire. Les Européens convaincus n'espéraient pas ce résultat ; pour eux, c'est un succès considérable. Oui, l'esprit européen souffle à nouveau ! ((Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - Je suis très honoré de m'exprimer pour la première fois devant la Haute assemblée, ému aussi de le faire au moment où l'Europe se relance, où la France retrouve sa place au coeur de la construction européenne, où la dynamique franco-allemande, grâce à l'impulsion donnée par le Président de la République dès son investiture, est restaurée.

Vos analyses me confortent dans l'idée que l'accord de Bruxelles est un très bon accord. Comme l'a dit M. François-Poncet, la France est revenue au coeur de l'Europe sur le fondement d'une idée de M. Sarkozy. Nous partageons le même soulagement de voir l'Europe se dégager de deux ans de panne politique et de quinze ans de doute institutionnel.

Depuis Maastricht, nous n'avons cessé de tenter de définir des institutions adaptées à l'élargissement. Nous avons essayé à Amsterdam, à Nice, lors de la Convention, lors de la CIG de 2004, sans parvenir à rien stabiliser. M. Fauchon a eu raison de le dire : le char était embourbé, nous l'avons remis en mouvement en deux mois.

Aujourd'hui, nous sommes parvenus à un accord qui rend les institutions plus efficaces et plus démocratiques dans une Europe à vingt-sept. Cela est important pour le fonctionnement de l'Union mais aussi essentiel pour que cette Union élargie soit acceptée. C'est un soulagement pour la France, qui semblait avoir perdu son ambition et son influence : elle a retrouvé les deux.

La proposition, faite par le Président de la République, d'un traité simplifié a rassemblé les Européens. Dix-huit pays avaient ratifié la Constitution -M. Haenel a eu raison de souligner leurs efforts- d'autres, dont la France, l'avaient rejeté, d'autres enfin, et ce ne sont pas les plus faciles, ne l'avaient pas ratifié. L'accord auquel nous sommes parvenus justifie pleinement le choix de la voie parlementaire pour la ratification. Vingt-trois des vingt-sept pays européens ont déjà fait ce choix. Le Président de la République, au cours de la campagne, a été très clair. La démocratie sort renforcée de cet accord avec l'extension des pouvoirs de contrôle des Parlements nationaux et de la procédure de codécision.

M. Kouchner l'a dit, la France a joué le meilleur rôle, et assuré une parfaite entente avec l'Allemagne. Je remercie MM. François-Poncet et Badré d'avoir souligné les mérites de Mme Merkel.

Nos interventions m'ont laissé penser que nous pouvons dépasser les oppositions qui ont marqué le référendum, pour nous retrouver sur la construction d'une Europe plus solidaire.

Il est vrai, monsieur Haenel, que certains de nos concitoyens ne se reconnaissaient plus dans le fonctionnement de l'Union européenne. Au manque de protection, aux insuffisances des politiques concrètes, à une certaine dérive libérale, ils ont dit non. Nous non plus, nous ne voulons pas d'une Europe du libre-échange : c'est bien ce qui ressort de l'accord de Bruxelles.

Il n'y a pas, Mme Assassi, de recul sur la fiscalité, ni au regard de la Constitution, ni au regard de Maastricht. Soyons lucides et sachons renouer avec le triptyque cher à Jacques Delors : concurrence, coopération, solidarité.

Vos commentaires, qu'ils soient critiques ou positifs, laissent apparaître un consensus sur les avancées du traité. Vous avez relevé l'importance des améliorations apportées aux institutions : présidence stable, extension de la majorité qualifiée, coopérations renforcées -y compris pour les nouveaux États-membres. Vous avez saisi la signification démocratique du traité : incarnation des institutions pour les citoyens, généralisation de la codécision avec le Parlement européen, contrôle du respect de la subsidiarité par les parlements nationaux.

Je vous confirme, monsieur Haenel, que ce qui a été agréé s'ajoute bien au protocole n° 1 ; que le carton orange s'ajoute au jaune -le pouvoir des parlements nationaux s'accroît sans modifier l'équilibre institutionnel de l'Europe. Je suis, comme vous, favorables à la présence d'observateurs au sein de la CIG. Je l'ai dit à la présidence portugaise et je vous soutiendrai. (M. Haenel remercie)

Vous avez été plusieurs à relever l'ambition internationale de l'accord, illustré par la création du Haut représentant pour les affaires étrangères, qui combine, ainsi que l'a souligné M. François-Poncet, la légitimité politique du conseil et les moyens de la Commission, tout en préservant la spécificité de la politique étrangère et de sécurité commune.

Je vous suis, monsieur Del Picchia, sur la nécessité de relancer le processus amorcé en 1998 à Saint-Malo, pour que l'Europe contribue à la résolution des crises et au maintien de la paix.

Beaucoup parmi vous ont souligné combien les préoccupations des Français sont prises en compte. La concurrence « libre et non faussée » ne compte plus parmi les objectifs de l'Union, et ce n'est pas négligeable, à en croire les réactions outre-Manche. Il faudra voir quelle interprétation en donnera la Cour européenne de justice. Les principes généraux régissant le fonctionnement des services publics et leur articulation avec le marché intérieur sont consolidées. L'ambition de lutter contre le changement climatique est affirmée : création d'une base juridique, majorité qualifiée, codécision. La Charte des droits fondamentaux acquiert une force contraignante, portant haut des principes et des droits dont la France s'honore. La Confédération européenne des syndicats a salué cette avancée sans réserve. Je pense que tous les Français ont été entendus dans le cadre d'une Europe relancée.

J'ai entendu aussi des interrogations, des doutes, parfois des critiques. Certains ont regretté l'abandon de l'ambition constitutionnelle. M. Kouchner l'a rappelé, nous avions un mandat des Français, dont certains ont pu craindre de voir certaines politiques gravées dans le marbre d'une loi fondamentale et redouter l'avènement d'un super État. Mais c'est un symbole qui reste dans notre coeur et que nous ferons vivre.

L'essentiel, M. Retailleau l'a rappelé, a été préservé : une Europe rassemblée, qui fonctionne, avec les moyens de définir des politiques répondant aux attentes de ses citoyens.

Au contraire de M. Sutour, je pense que l'extension du vote à la majorité qualifiée, la suppression des piliers, la reconnaissance d'une personnalité unique montrent que l'esprit communautaire est de retour, après Amsterdam et Nice.

Plusieurs d'entre vous ont estimé que le traité n'avait rien de simplifié. Si l'accord de Bruxelles, portant sur un mandat pour une conférence intergouvernementale, est détaillé et parfois technique, c'est bien que nous l'avons souhaité, pour nous assurer que la CIG ne fera que mettre en forme des décisions politiques. C'est aussi le moyen de voir le traité ratifié avant l'échéance électorale de 2009. Le traité lui-même n'apportera que de simples amendements aux textes existants, en distinguant les principes du fonctionnement.

MM. François-Poncet, Badré et de Montesquiou ont manifesté des inquiétudes sur les concessions faites au Royaume-Uni et à la Pologne. Il est vrai que M. Blair, en accord avec M. Brown, a obtenu des dérogations. Le Royaume-Uni a choisi de ne pas entrer de plain-pied dans des politiques d'importance, comme la coopération policière ou la politique d'immigration. Il a également choisi de donner la préférence à son système juridictionnel plutôt qu'à un engagement clair sur la charte des droits fondamentaux. Je comprends les interrogations de votre commission, mais je rappelle que l'Europe est déjà à plusieurs vitesses : c'est le cas pour l'euro ou pour Schengen. Il faut reconnaître à M. Blair le mérite d'avoir pris ses responsabilités et ne pas oublier que le Royaume-Uni n'a plus la possibilité de bloquer les autres États-membres, comme cela était possible avec les autres traités. J'ajoute à ces réflexions une note d'espoir : les Britanniques se sont laissé la possibilité de rejoindre les autres Européens, et je souhaite vivement qu'il le fasse lorsqu'ils seront prêts.

Le cas de la Pologne est différent : l'enjeu était de voir si les Polonais s'engageraient dans la voie du compromis. Cet accord, à la fois politique et psychologique, est une grande victoire. Les vingt-sept états membres, sans distinction entre anciens et nouveaux membres, se sont engagés dans la voie de la relance. Tel est le grand acquis de ce conseil historique.

La relance de l'Europe que l'accord de Bruxelles permet n'aura d'effet concret que si nous en nourrissons la dynamique : tel est le sens de plusieurs de vos interventions.

C'est pourquoi nous devons prendre des initiatives pour la croissance et l'emploi, pour la coordination des politiques économiques, industrielles et énergétiques ; pour la protection des citoyens, pour l'immigration et l'intégration ; pour préparer l'avenir et pour renforcer l'influence internationale de l'Europe. Quelles doivent être les relations de l'Europe avec les pays émergents ? C'est également une question importante et M. Del Picchia a justement souligné que nous devons développer nos relations avec les pays méditerranéens, sur la base de projets concrets, dans les domaines de l'environnement et du développement. Nous souhaitons aller plus loin que le processus de Barcelone, tout en assurant la complémentarité avec les institutions et les moyens financiers mis en oeuvre, la commission devant naturellement garder un rôle essentiel dans cette mise en oeuvre.

C'est ainsi que nous préparons la présidence française de l'Union européenne qui commence dans un an exactement. Nous en reparlerons ; c'est un vaste chantier, pour lequel votre soutien nous est indispensable.

Nous devons revoir la manière dont nous parlons de l'Europe aux Français. Le meilleur moyen est de la sortir des cercles d'initiés et de convaincus. L'Europe est l'affaire de tous : gouvernement, Parlement, élus, associations, syndicats, fédérations professionnelles.

Rien ne se fera sans débat, sans l'implication de nos concitoyens. Vous avez raison : rien ne se fera sans aller vers les Français, pour défendre leurs intérêts, pour renforcer notre place dans une Europe plus politique, plus solidaire, plus forte dans le monde de demain ; bref, pour garantir notre avenir, celui de notre pays, celui de nos enfants, dans un monde qui ne nous attend pas. (Applaudissements des bancs du RDSE à la droite)

MM Hubert Haenel et Robert-Denis Del Picchia - Très bien !

M. le président. - Nous en avons terminé avec ce débat. Acte est donné de la déclaration du gouvernement qui sera imprimée et distribuée.

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 5 juillet, à 9h 30.

La séance est levée à minuit cinq.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mercredi 4 juillet 2007

Séance publique

A NEUF HEURES TRENTE, A QUINZE HEURES ET LE SOIR

Présidence : M. Philippe RICHERT, Vice-Président

M. Guy FISCHER, Vice-Président

1. - Discussion du projet de loi (n° 333 rect., 2006-2007) renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

Rapport (n° 358, 2006-2007) de M. François ZOCCHETTO, fait au nom de la commission des Lois Constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d'Administration générale.

Le délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale  est expiré.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.