CHAPITRE DEUX :

LA NATION ENTIÈRE CONCERNÉE

Votre rapporteur pour avis se félicite que la réforme proposée par le présent projet de loi soit une réforme globale. Il rappelle toutefois, comme l'a affirmé à plusieurs reprises le gouvernement, que les régimes spéciaux ne sont pas inclus dans la présente réforme .

I. DE NOUVELLES RÉFORMES RELATIVES AU RÉGIME GÉNERAL ET AUX RÉGIMES ALIGNÉS

Les mesures proposées par le présent projet de loi doivent être mises en perspective et placées dans le prolongement des mesures engagées dans les années 90, qui concernaient à la fois les régimes de base et les régimes complémentaires. Il faut notamment y être attentif lorsque l'on souhaite comparer les réformes proposées pour le régime général et celles proposées pour les régimes de la fonction publique.

En préambule, il convient de mentionner les précisions apportées par le texte du présent projet de loi sur le rôle de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS). L'article 14 du présent projet de loi dispose ainsi que « la Caisse propose toute mesure qui lui paraît nécessaire pour garantir dans la durée l'équilibre de l'assurance vieillesse des travailleurs salariés ». Il précise également que « les propositions et les avis qu'elle émet sont rendus publics ». Cet article a le mérite de conférer à la CNAVTS un pouvoir général de proposition en matière de garantie de l'équilibre financier du régime général.

Votre rapporteur pour avis souhaiterait voir préciser que ces propositions s'inscrivent notamment dans le cadre de l'élaboration du projet de loi de financement de la sécurité sociale et vous proposera un amendement en ce sens.

A. LA POURSUITE DE RÉFORMES COURAGEUSES DÉJÀ ENGAGÉES

1. Les réformes des régimes de base engagées en 1993 et leurs prolongements

Des mesures courageuses de redressement touchant le régime général et les régimes dits « alignés 5 ( * ) » - régimes de base des salariés agricoles, des artisans et des industriels et commerçants - ont été engagées par la loi n° 93-936 du 22 juillet 1993, qui instituait également le fonds de solidarité vieillesse (FSV).

Le Fonds de solidarité vieillesse

Le FSV, établissement public de l'Etat à caractère administratif doté de l'autonomie budgétaire, financière et comptable, a été créé par la loi n°93-936 du 22 juillet 1993, afin de clarifier les charges imputables à l'assurance vieillesse et d'organiser la séparation entre les dépenses relevant de la logique assurancielle et les dépenses relevant de la solidarité.

Le FSV a pour mission de financer les avantages vieillesse à caractère non contributif relevant de la solidarité nationale servis par les régimes de vieillesse de base de la sécurité sociale. Il est placé sous la tutelle du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget.

Les charges supportées par le fonds, stabilisées depuis 2001, se répartissent en quatre catégories : le minimum vieillesse ; les majorations de pension pour enfant et conjoint à charge, qui sont des avantages non contributifs accordés dans le cadre de la politique familiale ; les cotisations prises en charge au titre de périodes validées gratuitement par les régimes de base d'assurance vieillesse (service national légal...) ; depuis 2001, certains avantages vieillesse (validation des périodes de préretraite et de chômage indemnisées par l'Etat) servis par les régimes complémentaires de retraite, avec la reprise de la dette des exercices antérieurs.

Ses produits , qui ont connu d'importants aléas ces dernières années en raison de ponctions destinées à financer les 35 heures, sont constitués d'une fraction de CSG (1,05%) ; d'une partie de la contribution sociale de solidarité sur les sociétés (C3S) 6 ( * ) ; 20 % du produit du prélèvement social de 2 % ; d'une prise en charge par la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) de la majoration de 10 % de la pension principale servie aux parents de trois enfants et plus (la CNAF transfère actuellement un montant égal à 60 % (15 % en 2001, 30 % en 2002) des sommes concernées) ; des produits du placement des disponibilités du fonds.

Le FSV a également géré, jusqu'au 31 décembre 2001, le fonds de réserve pour les retraites (FRR). Il continue actuellement de gérer deux établissements publics administratifs nationaux autonomes : le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale ( FOREC) et le fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie (FFAPA).

Il doit normalement reverser ses excédents au FRR, ce qu'il ne fit qu'une fois, en 2001, à hauteur de 287 millions d'euros.

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale

Les principales mesures adoptées par la loi précitée du 22 juillet 1993 ont été les suivantes :

La durée de cotisation , tous régimes confondus, nécessaire pour obtenir le taux plein de 50 % a progressivement été allongée pour passer de 150 trimestres (37,5 ans) à 160 trimestres (40 ans), à raison d'un trimestre supplémentaire par an. Cette phase d'allongement est donc arrivée à son terme en 2003. L'article 5 du présent projet de loi prévoit que la durée d'assurance sera de nouveau augmentée après 2008, pour maintenir le rapport actuellement constaté entre durée d'assurance et durée de retraite.

Lorsque la durée de cotisation tous régimes nécessaire pour obtenir le taux plein n'est pas atteinte, l'assuré est pénalisé par un abattement de son taux de liquidation qui s'ajoute à la seule à l'incidence de la perte d'une année validée.

Ce mécanisme dit de « décote » s'élève à 10 % par annuité manquante. Ce taux de 10 % est particulièrement élevé et pénalisant , et est supérieur au taux garantissant la neutralité actuarielle (même si ce taux est difficile à évaluer). C'est pourquoi le relevé de décisions du 15 mai 2003 indique que le taux de décote du régime général sera progressivement ramené à 5 % par année manquante , cette mesure étant mise en oeuvre à partir de 2004 selon un calendrier qui reste à préciser. Cet allégement du taux de décote induira un coût estimé à 1,4 milliard d'euros à l'horizon 2020 pour le régime général.

Les économies liées à l'augmentation de la durée de cotisation prévue en 1993, dont les effets se font sentir progressivement, ont été évaluées à 1,5 milliard d'euros à l'horizon 2010 par le rapport du groupe présidé par M. Raoul Briet, alors commissaire-adjoint au Plan, « Perspectives à long terme des retraites » (1995). Par ailleurs, la nouvelle augmentation de la durée d'assurance prévue à l'article 5 du présent projet de loi, qui se fera progressivement, devrait permettre au régime général de réaliser 3,6 milliards d'euros d'économies à l'horizon 2020 7 ( * ) .

Le nombre des meilleures années retenues dans le calcul du salaire annuel moyen a été modifié et progressivement porté de 10 ans à 25 ans , à raison d'une année supplémentaire tous les ans. L'évolution n'est donc pas terminée : elle ne s'achèvera qu'en 2008.

L'effet de cette mesure a été évalué par le rapport Briet précité à 3,6 milliards d'euros d'économies à l'horizon 2010 .

L'indexation de la pension de retraite a également été modifiée. Prolongeant une pratique déjà en vigueur depuis 1987, la réforme de 1993 a prévu que les pensions seraient, pendant cinq ans, revalorisées annuellement en fonction de l'évolution de l'indice des prix hors tabac et non plus selon l'évolution générale des salaires, suivant ainsi le modèle de la plupart des pays de l'OCDE. Ce mécanisme d'indexation a ensuite été reconduit tous les ans.

Comme le rappelle le premier rapport du Conseil d'orientation des retraites 8 ( * ) , « une indexation sur les prix est défavorable aux retraités en période de gains de pouvoir d'achat des actifs. Elle leur assure, en sens inverse, une sécurité plus grande si les revenus des actifs évoluent moins vite que les prix, du fait de faibles progrès de rémunération ou d'un chômage élevé ».

Les effets de cette mesure sont particulièrement importants, puisque les économies induites par le passage à l'indexation sur les prix s'élèvent à 18,9 milliards d'euros à l'horizon 2010 , selon le rapport Briet.

L'article 19 du présent projet de loi précise à nouveau l'indexation des pensions et garantit le pouvoir d'achat.

En effet, le dispositif initialement fixé par le législateur en 1993 a été maintenu sans que soit systématisé l'ajustement consécutif à l'écart entre l'évolution prévisionnelle des prix et l'évolution réellement constatée.

L'article 19 dispose que, « si l'évolution constatée des prix à la consommation hors tabac, mentionnée dans le rapport économique, social et financier annexé à la loi de finances pour l'année suivante, est différente de celle qui avait été initialement prévue, il est procédé, dans des conditions fixées par voie réglementaire, à un ajustement destiné à assurer, pour ladite année suivante, une revalorisation conforme à ce constat ».

D'autre part, par dérogation à ce système d'indexation, il est prévu qu'une conférence présidée par le ministre chargé de la sécurité sociale et réunissant, dans le cadre d'une négociation, les organisations syndicales et professionnelles représentatives au plan national pourra proposer une correction au taux de revalorisation de l'année suivante, en fonction de la situation financière des régimes d'assurance vieillesse et de l'évolution de la croissance économique. Un arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale fixera la revalorisation retenue. Les modalités d'organisation de cette conférence seront fixées par décret. Le relevé de décisions du 15 mai 2003 précise qu'elle sera triennale.

Enfin, l'article 19 du présent projet de loi aligne expressément la revalorisation du minimum vieillesse sur celle des pensions de base ainsi que celle des salaires portés au compte qui doivent, depuis la loi du 23 août 1948, être revalorisés des mêmes coefficients que ceux servant à la revalorisation des pensions liquidées. Les modalités de revalorisation du minimum vieillesse ne sont en effet actuellement fixées par aucun texte : la revalorisation intervient par décret simple, pris traditionnellement en fin d'année, même si, dans les faits, le coefficient de revalorisation de ce minimum a toujours évolué au regard de celui des pensions contributives de base.

2. Des régimes complémentaires également réformés

Les régimes complémentaires pour les salariés du privé sont au nombre de deux : l'ARRCO 9 ( * ) pour les non-cadres et l'AGIRC 10 ( * ) pour les cadres. Ils sont gérés paritairement par les représentants des salariés et des employeurs.

Ce sont des régimes par répartition et par points, ce qui signifie qu'au moment du départ en retraite, la pension versée est égale au produit du nombre de points acquis par l'assuré par la valeur du point.

Face à des difficultés financières significatives en 1993, des accords ont été conclus en 1993-1994 et en 1996, qui prévoyaient notamment une hausse des cotisations et une baisse des rendements, c'est-à-dire du ratio entre la valeur du point et le salaire de référence, baisse qui a été stoppée en 2001.

Ces réformes, mais aussi et surtout l'amélioration de la conjoncture économique, ont permis aux régimes d'être à nouveau excédentaires, à hauteur de 3,7 milliards d'euros en 2001 pour l'ARRCO et de 1,3 milliard d'euros pour l'AGIRC.

3. Un impact restant à préciser, notamment pour les assurés

L'impact pour les assurés des mesures adoptées en 1993 et 1996 n'a pas fait l'objet d'une évaluation systématique et devra être précisé à l'avenir. Les travaux du COR permettent toutefois d'indiquer que les réformes paramétriques conduites dans le régime général et les régimes alignés ainsi que dans les régimes complémentaires ont pour effet de faire baisser le taux de remplacement des assurés, toutes choses égales par ailleurs.

Dans le régime général et les régimes alignés, le passage au calcul du salaire annuel moyen sur les vingt-cinq meilleures années et l'indexation des salaires portés au compte sur les prix font baisser le taux de remplacement 11 ( * ) . Ainsi, le passage de 10 années à 17 années pour le calcul du salaire annuel moyen de la génération 1940 se traduit, selon une estimation réalisée par la CNAVTS, par une baisse du salaire de référence de cette génération de 7 % par rapport à ce qu'aurait été un salaire de référence calculé sur les 10 meilleures années. Au total, le taux de remplacement assuré par le régime général pourrait perdre ainsi une douzaine de points entre 1994 et 2010.

Les modifications de paramètres dans les régimes complémentaires, si elles sont prolongées, ont également pour effet de faire baisser le taux de remplacement, de l'ordre de 6 points à 8 points entre 1995 et 2030.

L'indexation de salaires portés au compte sur les prix fait baisser le taux de remplacement car les années de carrière anciennes sont moins valorisées qu'auparavant, lorsque les salaires portés au compte étaient revalorisés comme le salaire moyen des salariés. Le salaire annuel moyen est inférieur, avec une indexation sur les prix, à ce qu'il serait avec une indexation sur le salaire moyen. Cet effet est amplifié par le fait que le calcul du salaire annuel moyen retiendra, au terme de la réforme, les vingt-cinq meilleures années au lieu des dix meilleures, et donc qu'un nombre plus important d'années anciennes seront utilisées pour le calcul du salaire annuel moyen.

L'allongement de 10 ans à 25 ans de la période de référence pour le calcul du salaire annuel moyen accroît par ailleurs le risque que soient pris en compte des aléas de carrière, volontaires ou non (par exemple, périodes de chômage, périodes d'inactivité ou de temps partiel, pour les femmes notamment), en limitant à 15 le nombre de « mauvaises années » susceptibles d'être exclues du calcul de la pension.

La baisse significative du taux de remplacement ne doit cependant pas conduire à une baisse du montant des pensions en euros constants. Les pensions vont continuer à augmenter, mais moins vite que les salaires.

Il faut noter que le calcul sur les 25 meilleures années et l'indexation des salaires portés au compte sur les prix posent des problèmes particuliers pour les pluripensionnés.

L'allongement de la durée de cotisation au régime général et aux régimes alignés de 37,5 ans à 40 ans avait pour objectif de retarder l'âge de liquidation de la retraite. Les analyses disponibles montrent que seule une minorité de cotisants a été touchée jusqu'à présent par cette réforme. En effet, la majorité des cotisants ont déjà 40 annuités de cotisations à 60 ans. De plus, parmi ceux qui liquident à 65 ans, une forte proportion de femmes n'atteint pas 37,5 annuités : pour elles, l'allongement de la durée de cotisation pour accéder au taux plein ne change rien puisque le taux plein est accordé automatiquement à 65 ans.

Parmi les générations 1943-1947, pour lesquelles l'allongement à 40 ans sera entièrement réalisé, une étude de l'INSEE permet d'estimer qu'environ 20 % des hommes et 25 % des femmes pourraient être touchés au moins partiellement, par la réforme. Cela signifie donc que pour huit personnes de cette génération sur dix, la question du décalage de l'âge de départ à la retraite à la suite de l'allongement de la durée de cotisation ne se posera pas.

En projection, en revanche, au fur et à mesure que l'âge moyen de début de carrière des nouveaux retraités va s'élever, l'effet de l'allongement de la durée de cotisation va s'amplifier. Dans les générations 1970-1974, 44 % au moins des personnes pourraient être conduites à décaler leur âge de départ à la suite de la réforme.

On estime aujourd'hui qu'en 2040, le passage de 37,5 ans à 40 ans devrait entraîner un décalage de l'âge de départ à la retraite des salariés du privé, d'un peu moins d'un an.

* 5 Ces régimes sont dits alignés sur le régime général car les principales règles régissant les cotisations et les prestations sont identiques.

* 6 Cette taxe, au taux de 0,13 %, est recouvrée par l'ORGANIC (organisation autonome nationale de l'industrie et du commerce). Le produit annuel de la C3S est, en premier lieu, réparti entre la CANAM (caisse nationale d'assurance maladie des professions indépendantes), l'ORGANIC (y compris la CNREBTP - caisse nationale de retraite des entreprises du bâtiment et des travaux publics) et la CANCAVA (caisse autonome nationale de compensation de l'assurance vieillesse artisanale), au prorata et dans la limite de leur déficit comptable. A l'issue de cette répartition au profit de la CANAM, de l'ORGANIC et de la CANCAVA, le solde éventuel est affecté au FSV.

* 7 Cf les développements consacrés à l'article 5 dans le chapitre I de l'exposé général.

* 8 Retraites : renouveler le contrat social entre les générations, orientations et débat - Conseil d'orientation des retraites premier rapport 2001, p. 216.

* 9 Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés, créée en 1961.

* 10 Association générale des institutions de retraite des cadres, créée en 1947.

* 11 Il s'agit ici du taux de remplacement du dernier salaire par la première pension.

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