CHAPITRE PREMIER : PRÉPARER L'AVENIR EN SE FONDANT SUR LES ACQUIS DU PASSÉ

Réformer le système de retraite français ne signifie pas « du passé faire table rase » mais, au contraire, renforcer les acquis sociaux historiques afin de mieux préparer l'avenir et d'assurer à chacun un niveau de retraite décent par la solidarité nationale, s'il le faut, ainsi que par la recherche permanente de la plus grande équité entre retraités des différents régimes.

Le présent projet de loi repose sur trois principes fondateurs - la solidarité nationale, l'équité et la liberté - qui sont aussi ceux de la République française.

Le titre premier , qui regroupe les dispositions générales du présent projet de loi, permet de réaffirmer d'emblée ces principes fondateurs qui seront ensuite déclinés dans l'ensemble des articles du présent texte.

Le présent chapitre s'attache à analyser les dispositions générales contenues dans ce titre premier afin de mieux saisir les fondements essentiels de la présente réforme des retraites .

I. LE SYSTÈME DE RETRAITE FRANÇAIS DOIT RESTER L'EXPRESSION DE LA SOLIDARITÉ NATIONALE

A. LA RÉAFFIRMATION SOLENNELLE DU PRINCIPE DE RÉPARTITION

La solidarité nationale, qui constitue un des principes d'organisation de la sécurité sociale, s'exprime de deux façons différentes au sein de notre système de retraite : d'une part entre individus de générations différentes, par le biais de la répartition, d'autre part, entre individus d'une même génération, mais de catégories socio-professionnelles différentes, par le biais du mécanisme de compensation entre régimes d'assurance vieillesse.

1. Le principe historique de la répartition

L'article 1 er du présent projet de loi « réaffirme solennellement, dans le domaine de la retraite , le choix de la répartition, au coeur du pacte social qui unit les générations », conformément aux dispositions de l'article L. 111-1 de code de la sécurité sociale selon lesquelles l'organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de la solidarité nationale.

a) Un choix national historique

Le choix de la répartition comme fondement du système de retraite français est un choix national historique.

L'ordonnance du 19 octobre 1945 marque ainsi la naissance du régime par répartition en France : le régime général est alors créé et rassemble tous les salariés du secteur privé, à l'exception des salariés agricoles. Ils doivent, quel que soit le montant de leur salaire, cotiser à l'assurance vieillesse dans la limite d'un plafond de cotisations.

Le principe de la répartition est dès lors substitué au système de la capitalisation qui caractérisait le régime antérieur des assurances sociales obligatoires apparu en 1930. La répartition s'apparente à un pacte intergénérationnel et repose sur le principe selon lequel ce sont les cotisations prélevées sur les salaires des actifs qui servent, au cours d'une même année, à payer les pensions des retraités .

La loi du 22 mai 1946 a ensuite posé le principe de la généralisation de la sécurité sociale à l'ensemble des citoyens. Toute la population active est ainsi appelée à bénéficier de l'assurance vieillesses en principe dans le cadre du régime général dès 1947, ce qui ne fait toutefois pas obstacle au maintien des régimes spéciaux et à la création de régimes autonomes pour les travailleurs non salariés.

Enfin, la loi du 29 décembre 1972 rend obligatoire pour les salariés du régime général l'affiliation à un régime complémentaire et la loi de finances pour 1974 organise une compensation financière entre tous les régimes de base.

b) La garantie de l'indépendance financière des retraités

Ces étapes historiques successives, avec pour fil conducteur la réaffirmation constante du principe de répartition, auront notamment permis de garantir largement aux retraités, même s'il existe encore des pensions de faibles montants, une réelle indépendance financière.

Le rapport de 2001 du Conseil d'orientation des retraites (COR), intitulé « Retraites : renouveler le contrat social entre les générations », souligne ainsi que la pension moyenne du régime général a été multipliée par quatre entre 1960 et 1998, cependant que le salaire moyen était multiplié par deux. Au-delà de cette amélioration du montant moyen des pensions, le COR note également que le niveau de vie moyen des retraités est aujourd'hui comparable à celui des personnes d'âge actif, si l'on prend en compte les revenus du patrimoine, et qu'il s'est généralement amélioré même s'il subsiste certaines disparités entre retraités.

Enfin, s'agissant de l'évolution des pensions après la liquidation, le COR souligne cependant que, malgré une revalorisation des pensions suivant à peu près le rythme de l'inflation, les retraités ont connu une baisse de leur pouvoir d'achat, au cours de ces dernières années, en raison de l'alourdissement des prélèvements sur les retraites. Au total, d'après le COR, « l'indépendance financière des retraités est largement assurée même si les retraités les plus âgés ont en moyenne des retraites sensiblement moins élevées que les plus jeunes ».

2. Le mécanisme de compensation entre régimes d'assurance vieillesse

L'article 7 du présent projet de loi complète l'article L. 134-1 du code de la sécurité sociale 2 ( * ) par un alinéa disposant que la commission de compensation est consultée pour avis sur tout projet de modification des règles affectant les mécanismes de compensation entre régimes de sécurité sociale. Ces avis sont rendus publics.

Outre cette consultation obligatoire de la commission de compensation, l'exposé des motifs de cet article précise que le gouvernement s'est engagé à réexaminer les mécanismes de compensation démographique entre régimes de retraites à travers une concertation avec les partenaires sociaux, l'objectif poursuivi par ailleurs étant la suppression du dispositif de « compensation spécifique », également appelée « surcompensation ».

La mise en oeuvre des dispositifs de solidarité financière entre régimes d'assurance vieillesse date de 1974. Ce système de solidarité se compose de subventions budgétaires, de redéploiements au sein du régime général et de compensations entre régimes. Il a pour but de prévoir des mécanismes financiers correcteurs tenant compte des inégalités de situation entre ces régimes en termes démographiques d'une part, et des capacités contributives des cotisants, d'autre part. Il s'agit donc de faire en sorte que l'appartenance à un régime en déclin démographique ne conduise pas à une charge individuelle de cotisation supérieure à ce qui aurait prévalu dans une situation où le rapport démographique cotisants/retraités aurait été comparable à la moyenne.

a) La compensation généralisée

Deux premiers niveaux de compensations sont organisés entre les régimes de base par la compensation généralisée instituée en 1974 :

- une compensation entre l'ensemble des régimes salariés et l'ensemble des régimes non salariés, en fonction de critères démographiques uniquement ;

- une compensation plus large entre régimes de base salariés tenant compte des écarts aussi bien dans l'équilibre démographique des régimes que dans les facultés contributives de leurs cotisants.

Les calculs se font sur la base d'une prestation de référence qui est la prestation la plus faible servie.

b) La compensation spécifique

En outre, depuis 1986 il existe une compensation spécifique entre régimes spéciaux, qui s'ajoute à la compensation entre différents régimes salariés et à celle entre régimes salariés et régimes non salariés.

Dans son rapport sur les comptes de la sécurité sociale pour 2002, datant de mai 2003, la Commission des comptes de la sécurité sociale mentionne au titre des charges de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des dépenses liées aux compensations entre organismes de près de 4,3 milliards d'euros en 2002 et une prévision de 5,3 milliards d'euros en 2003, soit une hausse de près de 25 %.

D'après le Conseil d'orientation des retraites, si « ce principe de solidarité financière entre les régimes de retraite n'est plus aujourd'hui contesté (...) ses modalités de mise en oeuvre sont critiquées sur divers points ». Des travaux, dans le sens d'une amélioration des modalités de calculs des mécanismes de compensation, ont été menés au sein de la Commission de compensation, sur lesquels devrait s'appuyer le gouvernement pour mener une concertation avec les partenaires sociaux sur ce thème. Toutefois, la réflexion doit également porter sur l'évolution des principes sur lesquels se fondent les différents dispositifs de compensation, qui devraient être réexaminés dans le contexte actuel.

Le COR, dans son rapport précité de 2001, évoque plusieurs pistes pour améliorer la compensation financière entre les régimes en estimant notamment que ces mécanismes doivent être fondés sur des règles compréhensibles et équitables et que la surcompensation ne peut être conservée à terme dans sa forme actuelle, dans le but unique de préserver un équilibre atteint à un moment donné entre l'Etat et les collectivités locales 3 ( * ) .

c) La suppression de la surcompensation par l'Assemblée nationale d'ici 2012

L'Assemblée nationale a adopté, à l'unanimité, après un avis de sagesse du gouvernement, un amendement présenté par notre collègue député Bernard Accoyer, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, tendant à insérer un nouvel article 7 bis précisant que les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 134-1 du code de la sécurité sociale cessent d'être applicables au titre des exercices postérieurs au 1 er janvier 2012. Ces deux alinéas précisent d'une part, que la compensation entre régimes spéciaux d'assurance vieillesse de salariés porte sur l'ensemble des charges de l'assurance vieillesse et est calculée sur la base de la moyenne des prestations servies par les régimes concernés, d'autre part, que ces sommes effectivement versées ne peuvent être supérieures, pour chacun d'entre eux et chaque exercice comptable, à 25 % du total des prestations qu'ils servent.

L'article 7 bis prévoit donc la suppression progressive de la compensation spécifique entre régimes spéciaux d'assurance vieillesse .

Les versements effectués à partir de l'exercice 2003 seront progressivement réduits à cette fin dans des conditions prévues par décret. A cet égard, notre collègue député Bernard Accoyer a précisé, lors de la discussion à l'Assemblée nationale, que le taux d'application de l'actuelle compensation spécifique, fixé à 30 % afin de parvenir à un équilibre entre régimes spéciaux, serait progressivement réduit de 3 % par an à compter de l'exercice 2003 jusqu'à devenir nul en 2012.

D'après les informations fournies par le gouvernement à votre rapporteur pour avis, le coût pour l'Etat de la suppression de la compensation spécifique vieillesse serait de 136 millions d'euros par an.

Incidences financières de la suppression de la compensation spécifique vieillesse pour 2012

(en millions d'euros)

Compensation spécifique vieillesse

Transferts au titre de 2003

Variations annuelles à compter de 2003

FPE (civils et militaires)

817,2

- 90,8

FSPOEIE

- 173,6

19,3

CNRACL

1.291,6

- 143,5

CANSSM

- 1.123,2

124,8

SNCF

- 439,1

48,8

RATP

- 8,3

0,9

ENIM

- 266,9

29,7

EGF

34,5

- 3,8

CRPCEN

- 49,0

5,4

Banque de France

- 6,3

0,7

SEITA

- 30,1

3,3

CAMR

- 46,7

5,2

TOTAL

0,0

0,0

Etat y compris régimes subventionnés

- 1.224,0

136,0

Source : ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité a précisé que le gouvernement ne pouvait être que favorable au principe de suppression de la compensation spécifique, figurant en outre dans le relevé de décisions du 15 mai 2003. Ce dernier ne précisant toutefois aucun calendrier pour cette suppression, le ministre a jugé prématurée une telle mesure, mettant en jeu des intérêts financiers très importants .

Votre rapporteur pour avis estime toutefois que l'article 7 bis adopté par l'Assemblée nationale permet de clarifier un mécanisme critiqué tant du point de vue de son principe que de celui de ses effets financiers. Si l'existence d'une compensation généralisée entre régimes de retraite, reposant des données démographiques objectives, n'est pas discutable, votre rapporteur pour avis reconnaît que le mécanisme dit de compensation spécifique ou de surcompensation ne peut demeurer aujourd'hui en l'état.

* 2 Il instaure une compensation entre les régimes obligatoires de sécurité sociale portant à la fois sur les charges de l'assurance maladie et maternité au titre des prestations en nature et sur celles de l'assurance vieillesse au titre des droits propres.

* 3 Dans son rapport de 2001, intitulé « Retraites : renouveler le contrat social entre les générations », p. 266/267, le COR note à propos de l'existence de la surcompensation : « La surcompensation est perçue par les observateurs comme un simple mécanisme permettant au travers d'une opération complexe de transférer plusieurs milliards de francs de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales qui est excédentaire au budget de l'Etat. Ainsi perçue, la surcompensation paraît d'autant plus contestable à l'avenir que la démographie de ce régime étant en pleine évolution, la [CNRACL] est entrée dans une période de difficultés financières nécessitant des mesures de rééquilibrage. Sans homogénéité entre les régimes, il est impossible de mettre en place une compensation équitable, supposée compléter la compensation généralisée ».

Page mise à jour le

Partager cette page