2. Le dynamisme de la dette sociale, une préoccupation majeure

La dette sociale constitue aujourd'hui une préoccupation majeure à double titre : d'une part, sa progression contribue à l'accroissement de la dette publique, d'autre part, elle n'est pas uniquement conjoncturelle.

a) L'évolution de la dette sociale contribue à remettre en cause la soutenabilité de la dette publique
(1) L'évolution de la dette sociale...

Il convient de souligner le dynamisme de la dette des organismes sociaux : ainsi, entre 2005 et 2010, la dette de ces derniers a augmenté de plus de 41 % alors que parallèlement la dette publique augmentait de 30 %.

Evolution de la dette publique entre 1999 et 2009

(en milliards d'euros)

1999

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

ETAT

634,7

683,1

743,3

806,8

847,0

894,5

892,5

928,7

1036,2

1162,6

ODAC

51,4

49,7

45,1

55,3

91,1

94,5

90,7

97,7

95,5

115,3

APUL

105,9

106,4

105,9

109,8

113,5

120,1

127,3

137,2

148,1

156,8

ASSO

12,6

12,4

16,5

31,5

25,3

36,3

39,5

45,3

35,4

54,3

Total

804,6

851,6

910,8

1003,4

1076,9

1145,4

1150,0

1208,9

1315,2

1489,0

Organismes sociaux (1)

45,3

nd

46,3

63,4

97,7

110,4

120,4

128,1

129,5

155,8

en % du total

5,6

5,1

6,3

9,1

9,6

10,5

10,6

9,8

10,5

(1) la dette des organismes sociaux comprend la dette des ASSO ainsi que celle de la CADES qui est un ODAC.

Source : INSEE, Cour des comptes, commission des finances

(2) ... contribue au dynamisme de la dette publique

Votre rapporteur pour avis, en tant que commissaire de la commission des finances, souhaite souligner la dynamique préoccupante de la dette des administrations publiques et, par conséquent, la nécessité de prendre autant que faire se peut toutes les mesures de nature à réduire cette progression.

Le Gouvernement n'a pas publié, à ce jour, de projection de la dette publique cohérente avec la révision à la baisse, le 20 août dernier, de l'hypothèse de croissance pour 2011, passée de 2,5 % à 2 %.

Cependant, notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, a présenté à l'occasion du débat d'orientation des finances publiques pour 2011 des projections de la dette publique, sur la base d'une hypothèse de croissance des dépenses publiques moins optimiste que celle du Gouvernement (1,3 % par an en volume, contre 0,6 % selon le Gouvernement) et en distinguant plusieurs scénarios. Dans le scénario de croissance du PIB à 2 %, la dette publique pourrait atteindre près de 96 points de PIB en 2015, comme le montre le tableau ci-après.

Quelques scénarios de finances publiques à moyen terme

(hypothèse d'augmentation des dépenses publiques de 1,3 % par an en volume*)

(en points de PIB ; croissance du PIB en %)

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Pour mémoire : programme de stabilité 2010-2013

Croissance

-2,25

1,4

2,5

2,5

2,5

Solde

-7,9

-8,2

-6

-4,6

-3

Etat+ODAC

-6,2

-5,9

-3,9

-3

-2

Administrations de sécurité sociale

-1,3

-1,9

-1,7

-1,3

-1

APUL

-0,4

-0,5

-0,4

-0,2

-0,1

Dette

77,4

83,2

86,1

97,1

86,6

A. Scénario de croissance inspiré du programme de stabilité 2010-2013

Croissance

-2,6

1,4

2,5

2,5

2,5

2,5

2,5

Solde

-7,6

-8

-5,7

-4,9

-4,1

-3,4

-2,7

Etat

-6,2

-5,6

-3,7

-3

-2,3

-1,7

-1,1

ODAC

0,1

0

0

0

0

0

0

Administrations de sécurité sociale

-1,3

-2

-1,6

-1,5

-1,4

-1,3

-1,1

APUL

-0,3

-0,5

-0,5

-0,5

-0,5

-0,5

-0,5

Dette

78,1

84

86,5

88,1

88,8

88,8

88,1

B. Scénario de croissance inspiré de la variante annexée au

programme de stabilité 2010-2013

Croissance

-2,6

1,4

2,25

2,25

2,25

2,25

2,25

Solde

-7,6

-8

-5,9

-5,4

-4,8

-4,2

-3,7

Etat

-6,2

-5,6

-3,8

-3,2

-2,7

-2,2

-1,7

ODAC

0,1

0

0

0

0

0

0

Administrations de sécurité sociale

-1,3

-2

-1,7

-1,7

-1,6

-1,6

-1,5

APUL

-0,3

-0,5

-0,5

-0,5

-0,5

-0,5

-0,5

Dette

78,1

84

86,9

89,1

90,6

91,6

92

C. Scénario de croissance à 2 %

Croissance

-2,6

1,4

2

2

2

2

2

Solde

-7,6

-8

-6,1

-5,8

-5,4

-5,1

-4,7

Etat

-6,2

-5,6

-3,9

-3,5

-3,1

-2,7

-2,3

ODAC

0,1

0

0

0

0

0

0

Administrations de sécurité sociale

-1,3

-2

-1,8

-1,8

-1,9

-1,9

-2

APUL

-0,3

-0,5

-0,5

-0,5

-0,5

-0,5

-0,5

Dette

78,1

84

87,3

90,1

92,4

94,3

95,9

* Hors dépenses d'indemnisation du chômage, dont l'évolution dépend du taux de croissance du PIB.

Source : Philippe Marini, « Débat d'orientation des finances publiques pour 2011 : en finir avec le double langage », rapport d'information n° 616 (2009-2010)

Cette dynamique est préoccupante du point de vue de la soutenabilité de la dette publique.

Certes, si l'objectif de déficit de 3 points de PIB affiché par le Gouvernement était atteint à moyen terme, avec une croissance annuelle du PIB de 4 % en valeur (soit par exemple une croissance de 2 % en volume et une inflation de 2 %), la dette publique diminuerait progressivement pour se stabiliser à 75 points de PIB.

Cependant, si le déficit se stabilisait à 4 points de PIB, la dette publique augmenterait jusqu'à 100 points de PIB.

Par ailleurs, le déficit pourrait être nettement plus élevé que ces niveaux si la charge de la dette augmentait à la suite d'une hausse des taux d'intérêt. Par exemple, toutes choses égales par ailleurs, un doublement du taux d'intérêt apparent de la dette publique augmenterait à terme le déficit de 3 points de PIB. Pour fixer un ordre de grandeur, une stabilisation du déficit à 6 points de PIB porterait progressivement la dette à 150 points de PIB. La charge d'intérêt serait alors de plus de 10 points de PIB (contre 3 points de PIB actuellement), ce qui ne serait pas soutenable.

Dans deux articles remarqués 2 ( * ) , Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, économistes du Bureau of Economic Analysis , s'appuyant sur des données historiques longues, soulignent :

- que dans les vingt principaux pays développés, les périodes où l'endettement du Gouvernement central a été supérieur à 90 points de PIB se sont traduites par une croissance nettement inférieure à celles où il a été compris entre 60 et 90 points de PIB (en moyenne, de 1,7 point depuis 1790 et de 4 points depuis 1946) ;

- que lors des quatre grandes crises bancaires traversées par les pays développés depuis la fin du XIX e siècle précédemment à la crise actuelle (qui ont débuté respectivement en 1893, 1907, 1914 et 1931), trois 3 ( * ) ont été accompagnées ou suivies d'une vague de défauts souverains, de 5 % à 25 % des Etats développés ayant alors fait défaut (les défauts des années 1890 et des années 1930 constituant, avec ceux des pays d'Amérique latine dans les années 1980-1990, les trois principales crises de la dette souveraine au niveau mondial).

Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff concluent leur article de février 2010 en suggérant que la crise bancaire actuelle pourrait amener des Etats à faire défaut 4 ( * ) .

Certes, ce point de vue est contesté. Par exemple, les auteurs ne montrent pas que c'est bien la dette qui suscite la faible croissance, et non l'inverse. Par ailleurs, ce n'est pas parce que les crises bancaires mondiales (au demeurant peu nombreuses jusqu'à présent) ont le plus souvent été accompagnées de défauts d'Etats développés que tel sera également le cas cette fois-ci. La France continue d'être bien notée par les agences, et bénéficie d'un spread favorable, en raison en particulier de la profondeur de son marché obligataire.

Ces analyses montrent cependant que la crise a suffisamment dégradé la situation des finances publiques pour que l'on puisse désormais s'interroger sérieusement sur l'éventualité du défaut d'un Etat développé.

Dans le cas de la France, il ne faut pas perdre de vue que son déficit et sa dette publics sont comparables, en termes relatifs, à ceux du Portugal. Si les marchés avaient l'impression que la France ne prévoit pas réellement de réduire son déficit comme annoncé, les conséquences pourraient être très dommageables. En particulier, le risque d'anticipations auto-réalisatrices défavorables (où les craintes sur la soutenabilité de la dette et la hausse des taux d'intérêt s'entretiendraient mutuellement) doit absolument être évité.

Votre rapporteur pour avis tient ainsi à souligner l'importance des mesures qui seront adoptées cet automne, que ce soit pour garantir un remboursement de la dette sociale ou enrayer sa dynamique

b) La nouvelle dette sociale née de la crise s'ajoute à un déficit structurel des régimes de sécurité sociale

Les déficits historiques constatés sur la période 2009-2010 sont, en majeure partie, la conséquence du ralentissement brutal des recettes de la sécurité sociale. La contraction de celles-ci est en effet telle qu'elle masque la relative « maîtrise » des dépenses constatée sur la même période.

Cependant, votre rapporteur pour avis insiste sur un point : l'intégralité de ces déficits ne peut être attribuée à la crise. Celle-ci ne doit surtout pas être un prétexte pour perdre de vue la part structurelle de ces derniers qui préexistait à la dégradation de la conjoncture économique .

(1) L'impact de la crise est sensible

La dégradation du déficit du régime général est en effet principalement due à la diminution de ses recettes en 2009 et à leur stagnation en 2010. Devant la commission des comptes de la sécurité sociale, le 1 er octobre 2009, le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat avait ainsi indiqué que les déficits historiques du régime général étaient la conséquence directe de la crise économique qui a affecté les deux principales assiettes sur lesquelles repose le financement de la sécurité sociale, les revenus du travail et les revenus du capital. Il a ainsi précisé qu' en 2009, le déficit lié à la crise représentait près de 65 % du déficit du régime général 5 ( * ) et deux tiers de ce déficit en 2010, hors impact des mesures du projet loi de financement pour 2010.

Solde effectif et solde structurel du régime général

(en milliards d'euros)

2007

2008

2009

2010

Solde effectif

-9,5

- 10,2

-22,7

-33,6

Solde structurel

-9,5

-8,4

-8,1

-11,4

Ecart

-9,5

-1,7

14,6

22,2

Déficit conjoncturel

0

16,6 %

65 %

66 %

Source : commission des comptes de la sécurité sociale - octobre 2009

S'agissant des dépenses, il convient de noter qu'en raison d'un trop grand « effet de ciseaux » entre l'évolution des recettes et celle des charges, leur relative « maîtrise » en 2009 et 2010 n'a pas permis de compenser le coup d'arrêt porté aux produits du régime général sur la même période.

Comparativement aux années précédentes, les dépenses de sécurité sociale devaient, en effet, être relativement maîtrisées en 2009 et le rester en 2010 .

Or, comme l'indique le tableau ci-dessous, entre 2009 et 2010, les charges du régime général augmentent de près de 8 %, cependant que ses produits n'enregistrent quasiment aucune progression.

Taux de variation des produits et des charges du régime général

( en % )

2006

2007

2008

2009 (prévision)

2010

(prévision)

Produits

5,8

4,3

4,1

- 0,5

0,7

Charges

4,5

4,4

4,2

3,6

4,1

Ecart

1,3

- 0,1

- 0,1

- 4,1

- 3,4

Source : commission des comptes de la sécurité sociale - rapport d'octobre 2009

Il en résulte une dégradation du taux de couverture des dépenses par les recettes du régime général. Alors que les produits du régime général couvraient 96,6 % des ses charges en 2008, le ratio recettes/dépenses passera à 92,8 % en 2009 et sous la barre des 90 % en 2010, ce qui signifie qu' à compter de 2010, plus de 10 % des dépenses du régime général devraient être financées par l'emprunt.

Taux de couverture des dépenses par les recettes

( en % )

Ratio produits/charges

CNAM

CNAM-AT/MP

CNAF

CNAV

Régime général

2008

96,9

102,2

94,0

99,4

96,6

2009

92,7

94,6

94,9

91,8

92,8

2010

89,2

93,3

92,7

89,0

89,7

Source : commission des comptes de la sécurité sociale - rapport d'octobre 2009

Cette évolution dissymétrique entre les recettes et les charges du régime général explique la dégradation rapide de son solde. Un point d'écart entre les charges et les produits creuse en effet le déficit du régime général d'environ 3 milliards d'euros 6 ( * ) .

(2) La crise ne doit pas être un prétexte pour oublier les causes structurelles du déficit qui préexistait

Surtout, pour votre rapporteur pour avis, la crise ne doit pas faire perdre de vue les causes structurelles du déficit du régime général qui préexistaient à la dégradation du contexte économique observée depuis 2008. C'est en effet avec un handicap structurel de près de 9,5 milliards d'euros que notre système de protection sociale a dû affronter la crise économique . A n'en pas douter, la situation aurait été différente si les comptes de la sécurité sociale avaient été à l'équilibre.

(a) Un handicap de départ de 9,5 milliards d'euros

L'ampleur de la crise invite en effet à distinguer, entre :

- d'une part, la part conjoncturelle du déficit du régime général qui résulte directement de la dégradation de la situation économique et de la contraction de la masse salariale ;

- d'autre part, la part structurelle de celui-ci, c'est-à-dire la part qui subsiste en période de croissance économique et qui résulte des tendances de fond d'évolution des dépenses et des recettes du régime général.

Raisonner en distinguant ces deux types de déficits permet ainsi d'estimer le niveau de déficit qui aurait été atteint si la croissance avait conservé son rythme tendanciel.

En retenant une croissance tendancielle de 2,25 %, la commission des comptes de la sécurité sociale évalue ainsi le déficit structurel du régime général, avant la crise, à 9,5 milliards d'euros , celui-ci résultant de la stabilisation autour de 10 milliards d'euros du déficit du régime général après le ralentissement économique de 2002 et 2003, et ce en dépit de certaines années de conjoncture favorables.

(b) Un handicap de sortie de crise de 30 milliards d'euros

Cependant, comme le rappelle la commission des comptes de la sécurité sociale, si cette approche « déficit structurel »/« déficit conjoncturel » est utile en temps de crise pour isoler l'effet de la dégradation conjoncturelle, elle perd son sens les années suivantes. La question n'est alors plus de savoir quelle aurait été le solde du régime général si la crise n'avait pas eu lieu, mais la question est d' évaluer l'ampleur de la conjoncture favorable qui sera nécessaire pour permettre un redressement des comptes sociaux .

Or, le régime général abordera la reprise économique avec un handicap, cette fois, de près de 30 milliards d'euros et la reprise économique ne sera pas suffisante pour résorber ces déficits .


* 2 Carmen M. Reinhart, Kenneth S. Rogoff, « The Aftermath of Financial Crises », 19 décembre 2008 ; « Growth in a Time of Debt », 7 janvier 2010 ; « From Financial Crash to Debt Crisis », 24 février 2010.

* 3 L'exception concerne celle de 1907.

* 4 « Les crises bancaires (même celles d'une origine purement privée) augmentent directement la probabilité d'un défaut souverain, par elles-mêmes (conformément à nos résultats) et indirectement alors que les dettes publiques augmentent fortement. Peu d'éléments suggèrent dans cette analyse que ces cycles de dette et leurs liens avec les crises économiques aient changé de manière appréciable au cours du temps » (traduction de la commission des finances).

* 5 Intervention d'Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, devant la commission des comptes de la sécurité sociale - 1 er octobre 2009.

* 6 Commission des comptes de la sécurité sociale - rapport d'octobre 2009.

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