3. Une étape dans la réforme des droits familiaux

Les droits familiaux et conjugaux sont le deuxième chantier de convergence inter-régimes choisi par le Gouvernement.

Votre rapporteur pour avis approuve les deux mesures proposées dans ce cadre , l'une relative à la fonction publique - la suppression du départ anticipé des fonctionnaires, parents de trois enfants après quinze ans de service -, l'autre au secteur privé - la disparition de la majoration de pension pour conjoint à charge introduite par nos collègues députés. Elles n'exonèrent cependant pas d'une réflexion plus approfondie sur les droits familiaux et conjugaux, encore très divers d'un régime à l'autre.

a) Dans la fonction publique : la suppression du départ anticipé des fonctionnaires parents de trois enfants après quinze ans de service (article 23)
(1) Un dispositif qui présente aujourd'hui certaines limites

Dans les trois fonctions publiques, les mères - et, depuis le 30 décembre 2004, les pères - ayant eu au moins trois enfants , ou ayant un enfant de plus d'un an avec une invalidité de 80 %, peuvent prendre leur retraite, à tout âge, après quinze ans de service (article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite). Ce droit est subordonné à une condition de non-activité de deux mois au moment de la naissance ou de l'adoption de chacun des enfants.

En 2008, 6 446 départs anticipés à la retraite de parents de trois enfants ont été enregistrés dans la fonction publique civile d'Etat , soit 7,9 % des départs à la retraite des fonctionnaires civils ; 3 633 dans la fonction publique territoriale (11,1 % des départs à la retraite) ; 5 902 dans la fonction publique hospitalière (19,8 % des départs à la retraite).

Départs anticipés à la retraite de parents ayant trois enfants

Fonctionnaires civils

Fonctionnaires militaires

Fonctionnaires territoriaux

Fonctionnaires hospitaliers

Nombre de départs

6 446

2 496

3 633

5 902

Part des départs (en %)

7,9 %

20,1 %

11,1 %

19,8 %

Age moyen

53 ans 1 mois

50 ans 10 mois

54,1 ans

50,8 ans

Durée totale

29 ans 7 mois

36 ans 9 mois

23 ans 11 mois

26 ans 7 mois

Services effectifs

26 ans 8 mois

30 ans 1 mois

22 ans 5 mois

24 ans 1 mois

Bonifications

2 ans 11 mois

6 ans 8 mois

1 an 6 mois

2 ans 6 mois

Montant mensuel moyen de la pension

1 646 euros

1 806 euros

1 069,8 euros

1 214,5 euros

Indice de liquidation

534

525

391,9

427,1

Taux de liquidation

58,5 %

71,3 %

47,3 %

52,7

Pensions avec majoration pour enfants

58,5 %

2,5 %

78,3 %

-

Taux de majoration pour enfants

7,9 %

4,9 %

11,4 %

11,1 %

Pensions portées au minimum garanti

18,4 %

46,6 %

62,1 %

35,8 %

Source : rapport sur les pensions de retraite de la fonction publique, annexe au projet de loi de finances pour 2010

Ce dispositif est aujourd'hui contesté à plusieurs titres :

1) Son objectif « nataliste » est, tout d'abord, remis en cause : en l'absence de conditions d'âge, cette mesure peut en effet bénéficier aux assurés à un moment où ils ont la charge, totale ou partielle, de leurs enfants, mais également à un moment où ils n'ont plus la charge d'enfants en bas âge. L'âge moyen de départ anticipé en retraite est ainsi de 53 ans et un mois dans la fonction publique d'Etat.

Par ailleurs, créé en 1924, ce dispositif a depuis lors été complété par d'autres mécanismes à vocation « nataliste » : les allocations familiales, le supplément familial de traitement, le temps partiel de droit rémunéré au-delà de la quotité de travail, les majorations de pension pour chacun des parents au titre des trois enfants, les majorations d'assurance pour chacun des enfants.

2) Ce dispositif est, en réalité, aujourd'hui davantage utilisé comme un instrument de reconversion professionnelle dans le cadre du cumul emploi-retraite ou comme un départ en retraite anticipé : or, ce faisant, ce dispositif tend à réduire le taux d'emploi des seniors et le taux d'activité féminin.

Par ailleurs, les fonctionnaires concernés, effectuant des carrières par définition plus courtes, bénéficient de taux de liquidation inférieurs à celui des individus partant en retraite sans ce dispositif. Selon l'étude d'impact annexée au présent projet de loi, pour les mères de trois enfants parties en retraite en 2008, l'écart de pension entre celles qui ont effectivement bénéficié du dispositif et les autres est ainsi de 20 % dans la fonction publique d'Etat et de 14 % pour les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.

3) Il est, enfin, contraire au principe d'équité vis-à-vis des assurés relevant de régimes différents - puisqu'un tel dispositif n'existe que dans la fonction publique et certains régimes spéciaux -, ainsi qu'entre assurés d'un même régime . En effet, les conditions de liquidation de la pension applicables étant celles qui prévalaient au moment de l'ouverture des droits, une mère de trois enfants, atteignant 15 ans de service en 2002 et qui poursuit son activité, liquidera à terme sa pension selon la législation en vigueur en 2002. De fait, les agents vérifiant les conditions d'un départ anticipé, avant la réforme de 2003, ne sont pas soumis à l'allongement de la durée d'assurance et à la progression du taux de décote, applicables en fonction de l'année de naissance pour les autres agents. Il s'en suit un important « effet d'aubaine ».

(2) Une phase de transition large

Le I et le II de l' article 23 du présent projet de loi suppriment ainsi, dans la fonction publique civile et militaire, le dispositif de départ anticipé à la retraite pour les parents de trois enfants ayant effectué 15 ans de service et ayant interrompu leur activité à l'occasion de la naissance ou de l'éducation de l'enfant.

En revanche, la possibilité, pour les parents d'un enfant handicapé à 80 %, de partir à la retraite de façon anticipée est conservée.

Le III et le IV de l' article 23 fixent les modalités de la période transitoire avant la disparition de ce droit :


• le III maintient le dispositif pour les fonctionnaires civiles et militaires qui en auront rempli les conditions (trois enfants, 15 ans de services et interruption d'activité) avant le 1 er janvier 2012 ;


• parmi ces personnels qui pourront continuer à partir à la retraite au titre de ce régime, le IV distingue pour l'application des règles de durée d'assurance et de décote et, dans le but de limiter les effets d'aubaine :

- d'une part, les fonctionnaires ayant déposé leur dossier avant le 1 er janvier 2011, sous réserve d'une radiation prenant effet au plus tard le 1 er juillet 2011 : ces derniers se verront appliquer les règles qui prévalaient au moment où ils ont rempli les conditions du départ anticipé. Ainsi une femme qui dépose son dossier avant le 31 décembre 2010 et a rempli les conditions de départ en 2003 partira sans décote. Une femme qui a rempli les conditions de départ en 2008 et dépose son dossier avant le 31 décembre 2010 se verra appliquer une décote. La condition, par ailleurs prévue, d'une radiation au plus tard le 1 er juillet 2011 tend à éviter le dépôt de dossiers avant le 1 er janvier 2011 pour une liquidation beaucoup plus tardive ;

- d'autre part, les fonctionnaires ayant déposé leur dossier après le 1 er janvier 2011 : ces derniers se verront appliquer les règles de liquidation relative à leur génération. Ainsi, par exemple, un fonctionnaire âgé de 51 ans ayant réuni les conditions de départ anticipé en retraite en 2010, qui dépose son dossier après le 1 er janvier 2011, partira selon les règles de durée d'assurance et de taux de décote qui s'appliqueraient au moment où il aurait 60 ans, soit 2019.

A l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté un amendement tendant à étendre le bénéfice de la première modalité transitoire, en prévoyant que tous les agents qui ont atteint ou dépassé l'âge d'ouverture des droits à la retraite de leur corps ou cadre d'emploi, ainsi que ceux qui sont à moins de cinq ans de leur âge d'ouverture des droits à la retraite, conservent le bénéfice des règles de calcul de la durée d'assurance et de la décote antérieures à la réforme. Ils bénéficient également des règles de calcul du minimum garanti en vigueur avant la présente réforme.

Le V de l'article 23, introduit à l'initiative de notre collègue député Laurent Hénart, prévoit que les services administratifs compétents informent, avant le 31 décembre 2010, les fonctionnaires civils et militaires ayant accompli quinze années de service et parents de trois enfants avant le 1 er janvier 2012 du changement des règles de départ anticipé en retraite.

Compte tenu de l'extension des modalités transitoires du dispositif, l'économie attendue de cette mesure serait de 400 millions d'euros en 2016 et de 600 millions d'euros en 2018.

Rendement de la mesure avant et après le vote de l'Assemblée nationale

(en milliards d'euros)

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Rendement avant débat à l'Assemblée nationale

0,1

0,2

0,4

0,6

0,6

0,9

0,9

0,9

0,9

0,9

Coût de l'extension de la période transitoire

-0,2

-0,5

-0,5

-0,6

-0,6

-0,5

-0,3

-0,3

-0,3

-0,1

Rendement après débat à l'Assemblée nationale

-0,1

-0,3

-0,1

0,0

0,0

0,4

0,6

0,6

0,6

0,8

Source : ministère du travail, de la solidarité et de la fonction publique

b) Dans le secteur privé : la suppression de la majoration de pension pour conjoint à charge (article 24 quater)

A « l'inverse », l' article 24 quater, introduit à l'initiative de notre collègue député Laurent Hénart, rapporteur pour avis de la commission des finances, tend à supprimer la pension pour conjoint à charge créée par la loi du 23 août 1948 portant modification du régime de l'assurance vieillesse et proposée dans le régime général et ses régimes alignés, mais pas dans la fonction publique .

Cette majoration est accordée au titulaire d'une pension si son conjoint a plus de 65 ans et n'est pas titulaire d'une pension, rente ou allocation.

Elle est, par ailleurs, attribuée sous condition de ressources personnelles du conjoint à charge, sans que soient prises en compte les ressources du ménage , ce qui peut entraîner certains biais . En effet, la majoration pour conjoint à charge peut être accordée à un ménage disposant de ressources suffisamment élevées dès lors que le conjoint n'exerce pas d'activité professionnelle alors qu'elle est refusée à des ménages de condition modeste lorsque le conjoint a dû travailler pour améliorer la situation économique de sa famille.

Dans le régime général, son montant maximal est fixé à 610 euros par an et a été gelé à ce niveau depuis 1977. Son coût a été évalué à 60 millions d'euros pour le régime général par la commission des comptes de la sécurité sociale, dans son rapport d'octobre 2010.

L' article 24 quater prévoit ainsi la suppression de ce dispositif à compter du 1 er janvier 2011. Elle est cependant maintenue pour les pensionnés qui en bénéficieront au 31 décembre 2010 et qui continueront d'en remplir les conditions .

c) Une nécessaire réflexion plus approfondie sur les droits familiaux

Comme votre rapporteur pour avis l'a déjà indiqué, il accueille favorablement ces deux dispositifs qui, dans une logique de convergence, suppriment deux dispositifs existants soit dans la seule fonction publique, soit dans le seul régime général et les régimes alignés .

Cependant, ces deux mesures ne résolvent pas la question de la grande diversité des droits familiaux qui prévaut en matière de retraite . Comme le précisait le COR, dans son rapport de décembre 2008 « Retraites : droits familiaux et conjugaux », à l'exception de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), les droits familiaux dépendent du régime d'affiliation des assurés :

- en règle générale, des majorations de durée d'assurance sont prévues dans les régimes de base, mais pas dans la plupart des régimes complémentaires ;

- les majorations de pensions pour trois enfants et plus existent dans tous les régimes, excepté dans le régime de base des professions libérales et le régime additionnel de la fonction publique, lequel n'accorde aucun droit familial. Les taux de majoration varient cependant largement d'un régime à l'autre ;

- les majorations pour enfant à charge sont, quant à elle, propres à l'ARRCO.

Source : COR, « Retraites : droits familiaux et conjugaux », décembre 2008

Une nouvelle fois, votre rapporteur pour avis conçoit que l'égalité de traitement ne passe nécessairement par l'application de règles identiques. Cependant, la diversité des règles en vigueur nuit à la lisibilité du système et à sa compréhension par les assurés. Elle peut également entraîner des incohérences , comme le soulignait la Cour des comptes, dans son rapport de septembre 2009 sur la sécurité sociale, s'agissant de la majoration de durée d'assurance (MDA) et de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) : « dans un contexte qui s'est modifié, [les] ciblages respectifs [de la MDA et de l'AVPF] et leur cohérence semblent désormais problématiques. Chacun de ces dispositifs induit des effets négatifs croissants : désincitation au travail des femmes après soixante ans, surtout pour la MDA, illisibilité sans redéfinition des objectifs poursuivis pour l'AVPF ».

C'est pourquoi une réflexion d'ensemble des droits familiaux, mais également conjugaux - qui prend notamment la forme de versement de pensions de réversion (cf. infra ) - doit être menée , ceci d'autant plus, comme le soulignait le COR dans son rapport précité, que « la France se trouve en la matière confrontée aux développements d'un droit et d'une jurisprudence communautaires qui mettent en oeuvre le principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, selon une logique assez profondément étrangère à la conception française traditionnelle ». Le droit communautaire avait notamment été à l'origine de la réforme de la MDA, intervenue dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 29 ( * ) .


* 29 La Cour de cassation a jugé, par un arrêt du 19 février 2009, que ce dispositif n'était pas compatible avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme qui proscrit les discriminations fondées sur le sexe.

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