EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 9 octobre 2013, sous la présidence de M. Roland du Luart, vice-président, puis de M. Philippe Marini, président, la commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Yves Krattinger, rapporteur pour avis sur le projet de loi n° 822 (2012-2013) relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale dans le texte n° 51 (2013-2014) adopté par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées le 8 octobre 2013 .

EXAMEN DU RAPPORT

M. Yves Krattinger , rapporteur spécial . - La commission des finances s'est saisie pour avis du projet de loi de programmation militaire pour les années 2014-2019, qui fait suite au Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale rendu public par le président de la République le 29 avril 2013. Il prend le relais de la loi de programmation militaire pour les années 2009-2014, élaborée par la précédente majorité. Ce projet de loi est examiné au fond par la commission des affaires étrangères et de la défense, qui s'est réunie hier pour adopter le texte qui sera débattu en séance publique. Les amendements que je vous soumets portent donc sur le texte de la commission.

Il s'est agi pour moi de déterminer les conditions de l'équilibre financier de la programmation que tend à définir le projet de loi et non pas d'analyser dans le détail le modèle d'armée retenu. Ce projet de loi comporte une partie dite « normative » et un rapport annexé, approuvé par l'article 2. La partie « normative » n'est bien sûr pas si normative que cela. La programmation des ressources, des dépenses et des effectifs ne lie ni le Gouvernement ni le législateur, à qui il revient de fixer chaque année, en loi de finances, les crédits de la mission défense. Cela ne signifie pas que la loi de programmation militaire est sans portée. Elle est d'abord l'occasion de déterminer les objectifs de l'action de l'Etat en matière de défense, pour reprendre les termes de l'article 34 de la Constitution. Pendant la période de programmation, chaque loi de finances est comparée à la loi de programmation. Systématiquement, le Gouvernement doit expliquer les écarts constatés. Une loi de programmation militaire est également l'occasion d'adopter des dispositions réellement normatives. C'est particulièrement le cas de celle-ci, qui tend à introduire des dispositions en matière de renseignement et en matière pénale, qui ne relèvent pas du champ de notre saisine, ainsi que des dispositifs d'accompagnement de la réduction des effectifs, qui, eux, nous intéressent directement.

Pour en venir au fond du sujet, le projet de loi de programmation militaire vise trois objectifs : assurer la sécurité nationale et de tenir le rang de la France sur le plan international ; maintenir et développer la capacité industrielle de la France en matière de défense ; contribuer au rétablissement des comptes publics.

Chacun de ces objectifs est ambitieux et, pris ensemble, ils constituent un défi difficile à relever. Pourtant, c'est bien ce que propose le présent projet de loi.

Le redressement des finances publiques tout d'abord : les crédits budgétaires sont effectivement en baisse sur le début de la période. La mission défense bénéficie ainsi en 2014 de 500 millions d'euros de crédits budgétaires de moins qu'en 2013. Ces crédits sont maintenus au même niveau en 2015, avant de remonter progressivement jusqu'à la fin de la programmation, pour s'établir à 32,36 milliards d'euros en 2019, contre 30,1 milliards en 2013. Stabilisation en valeur en début de période, stabilisation en volume en fin de période. L'objectif de contribution au redressement des finances publiques est donc tenu.

Présidence de M. Philippe Marini, président

Pour autant, la mission « Défense » se voit dotée des moyens nécessaires à l'accomplissement des deux autres objectifs. En effet, les crédits budgétaires sont complétés par des recettes exceptionnelles qui permettent de stabiliser les ressources totales de la mission. Ainsi, la baisse de 500 millions d'euros de crédits budgétaires en 2014 est compensée par 500 millions de recettes exceptionnelles supplémentaires par rapport à 2013, soit au total 1,77 milliard d'euros. Ce montant est maintenu en 2015 et diminue en 2016 à 1,25 milliard d'euros, en parallèle avec la hausse des crédits budgétaires. Les ressources totales de la mission « Défense » sont ainsi stabilisées sur les trois premières années de la programmation conformément à l'engagement du président de la République.

Les recettes exceptionnelles poursuivent leur baisse sur la seconde moitié de la période, jusqu'à ne plus représenter que 154 millions d'euros en 2019. Cette baisse s'effectue à un rythme moindre que la hausse des crédits budgétaires, ce qui conduit à une hausse progressive et modérée des ressources totales de la mission « Défense ». Ce recours transitoire aux recettes exceptionnelles permet à la mission « Défense » de contribuer à la baisse des dépenses budgétaires de l'Etat tout en allouant les crédits nécessaires aux investissements, à la recherche et à l'innovation. La programmation 2014-2019 privilégie, en effet, les dépenses d'équipement, qu'elles soient d'acquisition ou de développement. Elles suivent une progression constante entre 2014 et 2019. En 2013, elles représentent 51 % du total des dépenses hors pensions et en 2019, 56 %. Tout cela est évidemment très positif compte tenu du contexte budgétaire. Mais il faut que la trajectoire tracée soit soutenable dans les faits.

Je veux souligner que cette trajectoire semble suffisamment réaliste pour pouvoir être respectée. Mais cela suppose de remplir trois conditions : que le ministère de la défense poursuive ses économies ; que les ressources soient sécurisées ; que les aléas pesant sur les dépenses soient maîtrisés.

S'agissant des économies, la principale concerne les dépenses de personnel. La précédente loi de programmation prévoyait bien des réductions d'effectifs, mais n'encadrait pas la masse salariale. Effectivement, on a constaté une baisse des effectifs, mais dans le même temps une hausse de la masse salariale. Pour éviter que cela se reproduise, le présent projet de loi encadre la masse salariale du ministère. Il est vrai que le ministre a déjà pris des mesures, notamment le contingentement des grades et la réorganisation de la fonction « RH », pour plus d'efficacité et une responsabilisation accrue. Je vous propose d'accompagner ce mouvement en définissant dans la loi de programmation une trajectoire baissière de masse salariale, devant conduire à réaliser plus de trois milliards d'économie sur la période. Les objectifs fixés sont compatibles avec les dépenses et les ressources par ailleurs programmées par le présent projet de loi. Ceci est d'autant plus nécessaire que le ministère est en auto-assurance s'agissant de sa masse salariale. Tout dépassement doit être compensé par redéploiement des crédits de la mission, forcément au détriment de l'équipement.

S'agissant des recettes exceptionnelles, celles-ci sont constituées :

- du produit de cession d'emprises immobilières utilisées par le ministère de la défense, évalué au moins à 660 millions d'euros sur la période 2014-2016 ;

- des redevances versées par les opérateurs privés au titre des cessions de fréquences déjà réalisées lors de la précédente loi de programmation pour environ 220 millions d'euros ;

- du programme d'investissements d'avenir (PIA) au bénéfice de l'excellence technologique de l'industrie de défense pour 1,5 milliard d'euros en 2014 ;

- du produit de cession de la bande de fréquences des 700 MHz, qui n'est pas chiffré dans la loi mais dont on peut s'attendre à ce qu'il s'élève à plus de 3 milliards d'euros ;

- et, « le cas échéant », selon les mots du projet de loi, du produit de cession de participations publiques.

Ces recettes sont par nature aléatoires quant à leur calendrier et leur montant : c'est pourquoi la loi de programmation prévoit une clause de sauvegarde. Si ces recettes ne permettent pas de dégager les ressources nécessaires, elles seront complétées par d'autres recettes exceptionnelles, par exemple des cessions de participations publiques.

Je voudrais souligner que les cessions des emprises militaires nécessitent pour atteindre leur plein rendement dans le calendrier prévu que les procédures adaptées aujourd'hui en vigueur soient reconduites. Le présent projet de loi prolonge un certain nombre d'entre elles. D'autres doivent faire l'objet de mesures en loi de finances. Je vous propose quant à moi de prolonger la possibilité pour le ministère de la défense de céder à l'amiable sans mise en concurrence ses emprises militaires reconnues inutiles, notamment aux collectivités locales particulièrement touchées par une restructuration. Cette dérogation est le fondement qui permet l'intervention de la mission de réalisation des actifs immobiliers (MRAI), dont j'ai eu l'occasion d'apprécier l'efficacité dans la conduite avec les élus des projets de cession et de reconversion.

S'agissant des dépenses, l'aléa est également fort. Les opérations extérieures (OPEX) peuvent générer des coûts imprévus pour des montants importants. Le présent projet de loi confirme le principe d'un financement interministériel du dépassement lié aux OPEX. Par ailleurs, les carburants peuvent aussi générer un important dépassement. A un euro de plus par baril de pétrole correspond un surcoût de plus de 6 millions d'euros pour la mission « Défense ». Le présent projet de loi prévoit qu'une hausse importante et durable du prix des carburants justifiera un abondement de la mission « Défense ». Enfin, l'aléa vient des commandes d'armement et en particulier de Rafales. Il faut onze livraisons par an pour maintenir une cadence de production viable. La France recevra onze avions en 2014, onze en 2015, puis seulement quatre en 2016 et plus rien jusqu'en 2019. Les livraisons manquantes seront compensées par les exportations. Bien que les espoirs d'exportation du Rafale aient été déjà déçus, les perspectives semblent aujourd'hui plus rassurantes. L'aléa pour la mission « Défense » porte sur plus de 4 milliards d'euros.

Autrement dit, si les exportations n'ont pas lieu, ou prennent du retard, ou sont moins importantes que prévu, c'est l'équilibre même de la programmation 2014-2019 qui est remis en cause. Et pourtant le ministère de la défense maîtrise peu cet aléa. Il semble donc nécessaire de prévoir que si les exportations de Rafale ne permettent pas à la France de diminuer ses propres commandes, il faudra trouver de nouvelles ressources pour la mission « Défense » et non pas ponctionner les autres programmes d'armement, que l'on a déjà réduits au minimum vital. Je vous propose d'inscrire ce principe dans le rapport annexé.

En cela, cette loi offre une certaine cohérence : si le ministère maîtrise les éventuelles sources de dérapage, alors il se trouve en auto-assurance. C'est le cas des dépenses de personnel hors OPEX ou des dépenses de fonctionnement hors carburants. En revanche, dès lors qu'il y a un vrai aléa, hors de la maîtrise du ministère, alors une clause de sauvegarde prévoit la mise en oeuvre de ressources complémentaires, exceptionnelles ou interministérielles.

Ces clauses se justifient par l'extrême tension dans laquelle est désormais placé le budget de la défense et par les enjeux de sécurité qui ne nous autorisent pas à baisser la garde pour des questions budgétaires, dès lors que tous les efforts nécessaires ont été accomplis par le ministère de la défense.

C'est cette même cohérence que je veux respecter avec les amendements que je vous soumets : il s'agit de responsabiliser le ministère de la défense en l'incitant à maîtriser enfin sa masse salariale, en lui donnant les moyens juridiques de réaliser les cessions nécessaires à son financement, et enfin en sanctuarisant, conformément à l'engagement du Président de la République, les ressources de la mission défense à d'importants aléas. Je précise que ces amendements nécessiteront peut-être d'être rectifiés sur la forme en fonction du texte adopté hier par la commission des affaires étrangères et de la défense, qui vient de nous être transmis.

Parmi les 38 amendements adoptés hier, j'en retiens certains qui nous intéressent particulièrement. Ainsi, il est proposé d'instaurer une « clause de retour à meilleure fortune ». Les actualisations de la loi devront tenir compte de l'éventuelle amélioration de la situation économique et de celle des finances publiques afin de permettre le nécessaire redressement de l'effort de la Nation en faveur de la défense et tendre vers l'objectif d'un budget de défense représentant 2 % du PIB.

Le législateur est également invité à proroger le dispositif de retour à 100 % des produits de cession au profit du ministère de la défense dès la loi de finances pour 2014. Il est aussi proposé de conférer au président et aux rapporteurs budgétaires des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées de la défense, qui seront astreint au secret-défense, des pouvoirs d'investigation étendus sur pièces et sur place, pour suivre et contrôler de façon permanente l'emploi des crédits inscrits dans la loi de programmation militaire, ainsi que ceux inscrits en loi de finances concernant la mission « Défense ».

Cette dernière disposition permettra de procéder à toute audition jugée utile et à toute investigation sur pièces et sur place auprès du ministère de la défense, des organismes de la défense et des établissements publics compétents, ainsi que, le cas échéant, auprès du ministère de l'économie et des finances. Tous les renseignements et documents d'ordre financier et administratif demandés, y compris tout rapport établi par les organismes et services chargés du contrôle de l'administration, réserve faite du respect du secret de l'instruction et du secret médical, devront être fournis, le secret de la défense nationale ne pouvant en ce cas être opposé. Enfin, les personnes dont l'audition est jugée nécessaire par le président et le ou les rapporteurs de la commission, dans leur domaine d'attribution, auront l'obligation de s'y soumettre. Elles seront déliées du secret professionnel sous les réserves prévues au premier alinéa.

M. Philippe Marini , président . - Je remercie le rapporteur spécial de son exposé, qui constitue l'introduction d'un riche débat.

M. François Marc , rapporteur général . - Le rapporteur spécial a bien résumé la situation. Je voudrais réagir à certains points concernant la trajectoire de la masse salariale. Un des tableaux présenté montre un coût de 11,2 milliards d'euros en 2013 et de 10,3 milliards d'euros en 2019. S'agit-il bien d'une économie en euros cumulée sur la période ?

M. Yves Krattinger , rapporteur spécial . - Oui.

M. François Marc , rapporteur général . - J'observe que le directeur du budget a présenté ce matin une analyse nuancée suite aux propos du major général des armées et du secrétaire général du ministère de la défense : il a ainsi montré que des abondements intempestifs avaient jusqu'à maintenant permis de compenser les dérives constatées au niveau de la mission « Défense ». Je note aussi que le secrétaire général du ministère de la défense a fait un commentaire que je qualifierais de décalé concernant les primes : selon lui, tout toilettage de ces dernières doit nécessairement s'accompagner d'un abondement supplémentaire des crédits. Je relève que les primes sont au nombre de 174 en France, contre 19 au Royaume-Uni. J'estime pour ma part que la simplification peut être réalisée sans abondement supplémentaire.

M. Dominique de Legge , rapporteur spécial . - Je remercie mon collègue co-rapporteur spécial pour cet exposé clair et ses précisions sur les aléas que laisse planer cette loi de programmation militaire. Je souhaite aborder successivement trois points.

D'abord, le texte proposé table sur 6 milliards d'euros de recettes exceptionnelles. Or la précédente loi de programmation militaire en prévoyait 3,6 milliards. On escompte donc près de deux fois plus de ces recettes exceptionnelles. Sur ces 6 milliards d'euros, 1,5 milliard correspond au programme des investissements d'avenir, qui semble sûr, 3,7 milliards d'euros seraient issus de vente et d'exploitation de fréquence - or cette ressource est très aléatoire - et enfin, 600 millions d'euros proviendraient de ventes immobilières. Ce dernier produit me semble surestimé et en contradiction avec la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, dite « Duflot I », selon laquelle les communes qui achètent des biens de l'État, notamment des terrains militaires, pourront bénéficier d'une décote. Cela ne me semble pas très cohérent.

Ensuite, pour ce qui concerne les frais de personnel, l'estimation présentée pour 2013 me parait insuffisante. Il manque environ 98 millions d'euros de crédits. Je m'interroge sur la façon dont seront tenus les objectifs affichés par la loi de programmation militaire, notamment en matière de baisse des dépenses de personnel.

Enfin, la baisse des effectifs résulterait aux deux tiers d'efforts portant sur les missions de soutien. Ne devra-t-on pas recourir davantage à la sous-traitance ? En effet, les missions de soutien ne posent pas de problème en temps de paix, mais lors du déroulement d'opérations, l'emploi de personnels civils et le recours à l'externalisation me paraissent plus difficiles.

Au total, je crains que le projet qui nous est soumis soit insincère, tant du point de vue des dépenses, avec par exemple le recours à la sous-traitance, que de celui des recettes. Compte-tenu des objectifs affichés, nous ne pouvons voter cette loi de programmation militaire en l'état considérant son caractère insincère.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Je partage tout à fait les observations qui viennent d'être formulées par notre collègue. Pour ma part, je voudrais insister sur le fait que cette douzième loi de programmation militaire ne repose pas sur le maintien d'un effort de défense significatif, contrairement à ce qui a été dit dans l'exposé.

D'ailleurs, le rapport de notre collègue Yves Krattinger est très clair. Les choses sont dites, et bien. Le terme d'aléa est particulièrement bien choisi. Je relève en particulier celui qui concerne la vente hypothétique d'immeubles qu'on n'avait pas réussi à vendre précédemment, et que l'on retrouve dans les recettes. La clause de sauvegarde n'est pas non plus à la hauteur de la situation. On ne peut pas équilibrer des comptes avec ces clauses.

Je vous fais donc part de mon inquiétude. Je suis très impliquée dans les questions de défense - j'ai suivi la formation de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Et je peux vous donner un exemple concret : aujourd'hui, pour une intervention extérieure, on n'est pas capable d'aligner plus de sept hélicoptères. On devient une nation qui n'a pas d'ambition. Je regrette vraiment cette situation et j'estime que le discours sur les ventes immobilières n'est pas à la hauteur de ce qu'on peut entendre d'habitude à la commission des finances.

M. François Trucy . - Je relève qu'aucune loi de programmation militaire précédant celle-ci n'a été exécutée correctement. Je me souviens des éternelles impasses sur le financement des opérations extérieures, qui nécessitent des ressources supplémentaires importantes par rapport à la budgétisation initiale.

Si l'on se concentre sur l'indicateur rapportant l'effort dans le domaine de la défense au PIB, on était à 1,5 % du PIB sous la précédente loi de programmation militaire ; avec celle-ci, on passe à 1,3 % du PIB. Un amiral me disait qu'il ne faudrait jamais descendre sous la barre des 2 % du PIB pour garantir la sécurité de notre pays. La commission des affaires étrangères, de la défense, et des forces armées, saisie au fond sur ce texte, a déposé des amendements visant à porter ce pourcentage à 2 %.

Je soutiens Dominique de Legge sur la question des aléas. On y a été confrontés de la même manière dans le cadre de la loi de programmation militaire qui s'achève, d'autant plus que, sur l'immobilier, compte tenu des restructurations qui sont parfois très douloureuses pour les collectivités, l'Etat peut avoir la tentation de vendre pour un prix modique des installations qui ont une valeur immobilière aléatoire dans la conjoncture actuelle. On peut être plus optimiste sur les fréquences hertziennes, car cela s'est plutôt bien passé jusqu'ici.

Ensuite, je voudrais souligner deux distorsions qui, à mon avis, sont susceptibles de porter atteinte au rôle de la France au niveau international. D'une part, le chef de l'État est le seul habilité à pouvoir engager la France dans une OPEX quelle que soit son importance, mais c'est le Parlement qui vote les moyens. On est donc loin du rapport qui devrait exister entre décision et engagement.

La deuxième distorsion est plus grave : si l'État ne dimensionne pas son ambition à ses moyens, on aura de très grands problèmes dans les engagements. Le fait de rogner sur les moyens dédiés au soutien me paraît très préoccupant. À cet égard, je rappellerai que, au moment de la guerre du Golfe, avant la professionnalisation des armées, on recourait à des appelés, et le Clemenceau n'avait pas pu partir, faute de candidats suffisants. J'en conclus que certaines fonctions majeures dans l'engagement des forces à l'extérieur ne sauraient être confiées qu'à des professionnels, c'est-à-dire des militaires de carrière.

Quant aux contrôles, ils existent déjà. Tous les trimestres, une commission très sérieuse contrôle l'avancement des dépenses et des travaux. On peut toujours contrôler les procédures, mais, en définitive, l'écart existant entre les moyens nécessaires et les ambitions actuelles de la France posera de sérieux problèmes.

M. Francis Delattre . - Nous délibérons dans un contexte d'incertitude. Vous vous rassurez en évoquant la perspective d'une meilleure conjoncture, mais vous savez bien qu'en réalité, les crédits sur investissement seront rognés pour financer des dépenses de personnel. On poursuivra donc un engrenage de désinvestissement.

Quant à la chaîne de fabrication des avions Rafale, c'est un vrai problème. Si elle s'arrête dans deux ou trois ans, elle prendra définitivement fin, malgré ce que vous pouvez nous dire sur les espoirs d'exportations.

Deuxièmement, j'ai une question plus précise sur le Pentagone à la Française. J'administre une ville voisine de la base de Taverny, ensemble de plusieurs dizaines d'hectares où existait une base stratégique. Quand vous étiez dans l'opposition, vous remettiez en cause ce projet de partenariat public privé (PPP) qui coûte très cher, et qui se traduira par une hausse des dépenses de fonctionnement. On aurait mieux fait de choisir un emplacement comme la base de Taverny plutôt que de choisir un site parisien. J'aimerais donc savoir si vous avez pu apprécier précisément la projection financière du Pentagone à la française jusqu'en 2019.

M. Jean Germain . - Je remercie le rapporteur, qui a été très clair. Contrairement à mes collègues, je pense qu'avec cette loi de programmation militaire, dans les circonstances économiques et financières actuelles de la France, et compte tenu de la politique de l'Europe - sujet qui ne peut être écarté en matière de programmation militaire - la France ne sacrifie pas son armée. Il y a des efforts, avec la suppression de 23 500 postes, qui s'ajoutent aux 54 000 suppressions réalisées entre 2008 et 2013, et des restructurations nécessaires. Chacun est conscient des réorganisations qui doivent avoir lieu, notamment quand notre armée se projette hors du territoire national.

Mais il faudra bien qu'on se pose un jour la question de l'Europe militaire. Tout à l'heure, on parlait du Royaume-Uni et de l'Allemagne, en comparant les soldes. Pourquoi devrait-on parler d'Europe sur tous les sujets sauf sur les questions militaires ? En France, la dissuasion nucléaire pèse lourd, contrairement à l'Allemagne. Il faut aussi garder cela à l'esprit.

Le Président de la République étant le chef des armées, il peut engager les armées dans des opérations, on l'a vu dans les deux quinquennats successifs, et la France doit ensuite assumer ses obligations. Cette prérogative du Président de la République résulte de la Constitution de la V ème République, qui a pu être critiquée, mais dont beaucoup se sont accommodés, de droite comme de gauche. Et c'est aussi cette capacité d'intervention qui permet à notre pays d'être respecté au niveau international.

S'agissant du système Louvois : cela doit nous faire réfléchir. Il a été adopté par l'armée de terre, et on a eu un aperçu ce matin des disputes qui ont lieu pour savoir qui commande. En revanche, l'Armée de l'air et la gendarmerie ne l'ont pas adopté. À cet égard, la comparaison avec l'Allemagne est assez simple. J'ai assisté à une réunion conjointe de représentants de l'armée de terre, de l'armée de l'air et de la marine : les Allemands ont fait appel à une grande société internationale d'informatique du système privé, qui a réalisé leur système de soldes. Celui-ci n'était pourtant pas plus simple que le nôtre, mais cela fonctionne très bien. En France, nous avons voulu réaliser ce système en interne.

Certes, il y a des questions budgétaires, mais je suis convaincu que le système Louvois est une des causes du trouble de l'armée. J'ai vu beaucoup de familles de militaires - à Tours, il y a environ 4000 familles de militaires. Le fait de recevoir des soldes différentes d'un trimestre à l'autre perturbe le personnel militaire.

M. Philippe Marini , président . - Je profite de cette intervention pour suggérer à nos collègues rapporteurs spéciaux, sans urgence, de réfléchir à la préparation d'une séance d'échanges sur la politique de défense. En effet, l'expérience montre que notre commission ne traite de ces sujets que de façon très rapide, généralement dans le processus budgétaire, ce qui ne peut assurer la meilleure information des membres de la commission. Il serait bon de prévoir, au début de l'année 2014, une réunion sur ces questions, sur la base d'un rapport introductif relatif aux problématiques de la politique de défense vue de la commission des finances. Je crois qu'une telle initiative cela serait utile pour tous.

M. Jean Arthuis . - Je salue notre rapporteur pour la qualité de son rapport qui invite à la lucidité. Pour faire suite aux propos de notre collègue Jean Germain, je relève que le livre blanc fait constamment référence à l'Europe et à la nécessité de parfaire la coordination. Par ailleurs, il faut être conscient que la trajectoire actuelle nous mènera à la baisse des crédits consacrés à la défense nationale et à la sécurité. Jusqu'où irons-nous ? Vient un moment où la crédibilité est en cause, et c'est ce que vient de nous rappeler Marie-Hélène des Esgaulx. On ne fait ici que maintenir les apparences, mais s'il devait y avoir un engagement des forces, on verrait les limites de l'exercice.

Notre indépendance est en cause, mais la première indépendance est de participer au désendettement de la France. Nous serons beaucoup plus crédibles le jour où notre situation budgétaire sera plus satisfaisante. À cet égard, dans les recettes exceptionnelles, j'observe qu'il y 1,5 milliard d'euros en 2014 au titre du programme d'investissements d'avenir (PIA) : on utilise donc le grand emprunt de 2010, dont la dépense a été constatée budgétairement en 2010. On est dans la cosmétique intégrale ! Il y a quelque chose de pathétique dans la présentation de cette loi de programmation militaire.

Je félicite Yves Krattinger de proposer un amendement visant à mettre les dépenses de personnel sous contrôle. Il nous rappelle que si les effectifs, entre 2008 et 2012, ont été réduits de 8,6 %, la masse salariale a progressé de 5,5 % ! Et c'est souvent le cas dans d'autres domaines, du fait de multiples revendications corporatistes.

S'agissant du système Louvois, j'observe que, dans la sphère publique, les systèmes informatique ont beaucoup de mal à être opérationnels. J'ai pu le constater à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), où je siège avec François Marc pour vous représenter. Cela ne marche pas et cela coûte cher, car rien n'est fait pour remédier à une organisation archaïque des primes. Pourtant, l'informatique devrait être l'occasion de simplifier tout cela.

M. Yves Krattinger , rapporteur spécial . - Sur la baisse de la masse salariale, on parle bien de 3 milliards d'euros en cumulé. Malgré tout ce que j'ai entendu ce matin, il s'agit du défi le plus difficile à relever, car on est dans l'humain, et Jean Arthuis vient de décrire avec brio ce qui se passe trop souvent dans l'administration de notre pays.

S'agissant des recettes exceptionnelles, je constate qu'il y en avait aussi dans la loi de programmation précédente. Elles sont, par définition, aléatoires.

Les 1,5 milliard d'euros en provenance du PIA relèvent du nouveau plan lancé par le Gouvernement actuel, et donc pas du grand emprunt de 2010. C'est une recette assurée, qui relève d'une décision politique de ce gouvernement.

S'agissant de la vente des fréquences 700 méga-hertz, je ne mets pas en doute leur valeur, car la demande de débit mobile sur le marché des télécoms va continuer à exploser, mais j'admets qu'il pourrait y avoir un décalage temporel - peut-être un an - dans le calendrier de cette vente.

Sur les ventes immobilières : déjà 200 millions d'euros sont assurés dans le cadre du budget 2014. La construction du site unique de Balard implique qu'un certain nombre de sites parisiens ne seront plus occupés. Ces sites seront rachetés. Les 600 millions d'euros en cause sont aléatoires car il faudra prendra la décision de vendre chaque année. Ce sont des décisions individuelles, prise bâtiment par bâtiment. C'est pourquoi je propose de donner de la souplesse aux procédures de vente, en particulier quand elles touchent les collectivités territoriales. En revanche, leur valeur immobilière ne me paraît pas du tout surestimée.

Sur le « Balargone », je peux répondre avec précision à vos inquiétudes. La redevance annuelle moyenne que devra payer le ministère de la défense de 2015 à 2041 s'élèvera à 130 millions d'euros hors taxes (HT), soit 154 millions d'euros toutes taxes comprises (TTC), conformément à l'évaluation préalable réalisée en 2009.

La redevance moyenne annuelle TTC se décompose ainsi (euros constants valeur décembre 2010) :

- une redevance immobilière de 54 millions d'euros, incluant les frais financiers, versée pendant toute la durée d'exploitation ;

- une redevance « SIC » (systèmes d'information et de communication) de 42,5 millions d'euros couvrant l'ensemble des besoins (investissement, financement, exploitation et renouvellement) pour une durée de cinq ans, période qui comprend l'exploitation de la bureautique, puis 29 millions d'euros au-delà jusqu'au terme du contrat, soit un montant moyen de 31,5 millions d'euros sur la durée du contrat ;

- une redevance « services » de 34 millions d'euros versée pendant toute la durée d'exploitation et portant sur la restauration, le nettoyage, l'accueil/filtrage, l'hébergement et divers services (blanchissage, conciergerie), ainsi que le mobilier ;

- une redevance « maintenance » de 20 millions d'euros et une redevance renouvellement (Gros entretien réparation des immeubles / GER) moyenne de 9 millions d'euros versées pendant toute la durée d'exploitation ;

- une redevance « énergie » estimée sur la base des tarifications actuelles à 5,5 millions d'euros versée pendant toute la durée d'exploitation.

Les ressources nécessaires au financement de la redevance TTC, dans la durée, sont assurées sans abondement, par redéploiement des crédits budgétaires actuels :

- des crédits de fonctionnement et d'investissement correspondant aux dépenses actuelles de soutien de l'administration centrale et d'entretien de ses locaux sur les emprises actuelles, y compris Balard (65 millions d'euros par an) ;

- des loyers acquittés pour la DGA à Bagneux (16 millions d'euros par an de 2016 à 2041) ;

- des dépenses de personnel hors pensions correspondant aux activités de soutien de l'administration centrale (34 millions par an) ;

- des loyers budgétaires des emprises parisiennes du ministère, hors Balard, pouvant être affectés au financement de l'opération (13 millions d'euros par an) ;

- des loyers budgétaires pour Balard (35 millions d'euros par an) ;

- de la dotation dont bénéficiera le ministère au titre du mécanisme interministériel de compensation du surcoût de la TVA sur les prestations externalisées (10 millions d'euros par an).

Le ministère de la défense finance donc le projet Balard dans sa totalité (investissement, frais financier, entretien-maintenance, fonctionnement, services) pour le coût actuel de fonctionnement de son administration (entretien-maintenance, fonctionnement, services), non grâce à la cession des emprises parisiennes libérées, dont le produit abondera les recettes exceptionnelles de la mission « Défense ».

Le ministère de la défense souligne, en outre, qu'en l'absence du projet Balard, il aurait dû investir dans les prochaines années des sommes importantes pour remettre en état les bâtiments existants et les réseaux de systèmes d'information et de communication.

Sur les missions de soutien, je renvoie à la proposition du Président Marini, car on est aujourd'hui davantage dans un débat budgétaire que dans un débat de compréhension global des questions de défense.

On a raison de demander la clause de sauvegarde.

François Trucy a souligné que la question des aléas se pose depuis longtemps : dans la loi de programmation qui s'achève, existait déjà ce type d'interrogations. Un budget et une loi de programmation ne sont qu'une prévision.

Le Rafale pose une vraie question. Vous pourrez solliciter le ministre en séance, mais on ne peut pas donner sur la place publique l'état des discussions avec les différents interlocuteurs. Le ministre est relativement optimiste. En tout cas, ne faisons pas le pari, collectif et public, que notre pays échouerait à vendre des Rafale. Posons-nous toujours la question de l'alternative en cas de non-vente.

Je remercie Jean Germain pour son intervention pesée et modérée. J'abonde dans son sens. Les Allemands ont recouru à la société SAP, spécialisée dans la fabrication de logiciels. Ils ont maintenu un système permettant à chaque militaire allemand d'accéder à son compte pour vérifier que tout ce qui relève de sa solde est correct. J'admets qu'on aurait pu faire mieux, mais le Gouvernement ne fait que reprendre une situation dont il a hérité.

M. Jean Arthuis . - On prend les redevances comme recettes, mais a-t-on en mémoire l'impact sur la valeur de France Télécom ? La valeur du capital de cette entreprise a considérablement diminué du fait de la multiplication des redevances.

Deuxième observation : on vend des immeubles. On empoche immédiatement la recette issue de la cession. Mais quand il s'agit du Pentagone à la française, on fait un partenariat public privé et on ne récupèrera les investissements que sous forme de loyers au fil des années. Au total, on effectue de mauvais arbitrages.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

M. Philippe Marini , président . - Nous allons maintenant nous prononcer sur les amendements du rapporteur, puis sur le texte global.

Article 2 (rapport annexé)

M. Yves Krattinger , rapporteur spécial . - L'amendement n° 1 consiste à garantir que si les exportations ne permettent pas de réduire la cadence de livraison de Rafale à nos forces armées, le surcoût justifiera que la mission « Défense » bénéficie de crédits supplémentaires par rapport à la programmation.

La logique de la loi de programmation militaire est de sécuriser les ressources de la mission « Défense » quand l'aléa qu'elle subit est hors de sa maîtrise (OPEX nouvelles, prix des carburants) et de recourir à l'auto-assurance lorsque les dépassements de dépense sont de sa responsabilité (évolution de la masse salariale hors mesures générales).

Or, l'aléa lié aux exportations de Rafale n'est pas de la responsabilité du ministère de la Défense.

Si la logique de l'auto-assurance prévalait, ces livraisons, superflues compte tenu du modèle d'armée définie par la LPM, viendraient cannibaliser d'autres programmes d'armement, pour un montant pouvant dépasser les 4 milliards d'euros.

L'amendement n°1 est adopté.

M. Yves Krattinger , rapporteur spécial . - L'amendement n° 2 consiste, conformément à une recommandation de la Cour des comptes, à encadrer l'évolution de la masse salariale du ministère de la défense. La réduction des effectifs n'est pas une fin en soi et doit permettre de réaliser des économies. Or entre 2008 et 2012, les dépenses de rémunération des militaires ont augmenté de 5,5 %, alors que les effectifs étaient réduits de 8,6 %.

Les montants indiqués sont compatibles avec les ressources programmées et l'évolution des autres agrégats (équipements, OPEX, fonctionnement).

L'amendement n° 2 est adopté.

Article additionnel après l'article 29

M. Yves Krattinger , rapporteur spécial . - L'amendement n° 3 consiste à prolonger une procédure sur laquelle se fonde l'action de la Mission de réalisation des actifs immobiliers (MRAI) et dont le terme est actuellement fixé au 31 décembre 2014.

Compte tenu de l'ampleur et de la complexité du programme de restructuration immobilière du ministère (MRAI), ainsi que de la nature des emprises à céder, il est nécessaire, afin de garantir la réalisation, en temps et en heure, des cessions immobilières prévues par le présent projet de loi, de conserver les adaptations dont bénéficie le ministère de la défense par rapport à la procédure de cession de droit commun.

L'amendement n° 3 est adopté.

M. Philippe Marini , président . - J'ai bien noté et apprécié les propos optimistes d'Yves Krattinger sur le Rafale. Les amendements ont reçu l'avis favorable de la commission et ils seront donc présentés par notre rapporteur en séance publique.

Après avoir adopté les amendements proposés par le rapporteur, la commission a émis un avis défavorable à l'ensemble du projet de loi.

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