EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 17 NOVEMBRE 2021

Mme Muriel Jourda , rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration » . - L'appréciation de la situation en 2020 est difficile du fait de la pandémie, qui a influé sur les entrées et les sorties du territoire, ainsi que sur l'instruction des procédures administratives et judiciaires.

Ce projet de budget est en hausse, et la ministre Marlène Schiappa que nous avons auditionnée hier soir s'en réjouit. Toutefois, cette hausse ne traduit, à notre sens, que la difficulté à suivre la situation existante en termes d'immigration, qui n'est nullement maîtrisée, contrairement aux propos de la ministre. Je le redis cette année, ce budget est le tonneau des Danaïdes, par manque de véritable politique migratoire. Cela nous conduit à vous proposer le rejet des crédits de cette mission.

La mission représente 2 milliards en autorisations d'engagement (AE), soit une hausse de 14 %, et 1,9 milliard en crédits de paiement (CP), soit une hausse de 3,2 %. La hausse des crédits concerne principalement la prise en charge de l'asile et l'augmentation des places dans les centres de rétention administrative (CRA).

Un mot sur l'immigration régulière.

En 2019, plus de 277 000 titres de séjour de primo-arrivants ont été délivrés. On constate une baisse de 21 % en 2020.

Le stock de titres en cours de validité est de l'ordre de 3,455 millions : 30 % des immigrés viennent du Maghreb. 250 000 régularisations ont été prononcées depuis la mise en oeuvre de la circulaire de 2012 de Manuel Valls qui prévoit des régularisations exceptionnelles - la majorité du Sénat demande régulièrement qu'elle ne soit pas appliquée telle qu'elle l'est aujourd'hui.

La version renforcée du contrat d'intégration républicaine (CIR) n'a pas trouvé toute sa force en 2020 pour les raisons que l'on connaît. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) va voir son budget augmenter de 3,1 % en 2022. Cette augmentation est, en réalité, très largement liée à l'ouverture d'une antenne à Mayotte avec 9 équivalents temps plein (ETP).

L'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), dont le budget avait baissé de 1,57 % en 2021, est confronté à des difficultés sérieuses dans l'exercice de ses missions. D'abord, il s'est vu confier une mission qui n'est pas la sienne : l'accompagnement à l'insertion professionnelle. Se pose aussi un problème de personnels, avec un taux de rotation de 30 à 40 % la première année. Enfin, il nous a été indiqué que les usagers essentiellement masculins ne considèrent pas le personnel d'accueil, essentiellement féminin, comme un personnel sachant. Des agressions régulières donnent lieu à des plaintes systématiques.

J'en viens à l'immigration irrégulière.

Nous regrettons chaque année l'incapacité dans laquelle nous sommes d'avoir des indicateurs plus fiables que ceux qui existent, puisque, je le rappelle, aucun indicateur consolidé n'est déployé. Nous pouvons nous fier à l'aide médicale de l'État (AME) pour déduire une estimation du nombre de personnes en situation irrégulière. En 2015, nous comptions 316 000 bénéficiaires de l'AME et 369 000 en 2020. Il est cependant difficile de donner des chiffres plus précis, sinon pour énoncer que l'immigration irrégulière a été moins importante en 2020 en raison de la fermeture des frontières.

Les aspects budgétaires sont essentiellement en lien avec l'augmentation du nombre de places dans les CRA. Comme vous le savez, un plan pluriannuel d'investissement a été mis en place. La capacité de rétention est aujourd'hui de 1 719 places. Du fait du plan d'investissement, elle devrait être portée à 2 099 places fin 2023, soit une augmentation de 70 % par rapport à fin 2018. Ce chiffre correspond à un ajustement minimum, puisque nous ne maîtrisons pas cette immigration irrégulière que nous n'arrivons pas à éloigner suffisamment. Cela répond à une réalité qui nous contraint et sur laquelle nous n'avons pas de marge de manoeuvre.

Cette augmentation est justifiée par la remontée du taux d'occupation des CRA. Avant la crise sanitaire, le taux d'occupation était de 86 %, après être tombé à 61 % en 2020, il est de 79 % aujourd'hui, et il va probablement continuer à augmenter.

S'agissant de l'éloignement, quelques avancées sont à noter. Je signalerai notamment le fait que la rétention administrative a été étendue à 90 jours par la loi du 10 septembre 2018, ce qui a permis des éloignements complémentaires - même s'ils ne sont pas significatifs.

Comme vous le savez, l'éloignement administratif est essentiellement constitué par les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Depuis 2012, leur taux d'exécution n'a cessé de diminuer, en pourcentage comme en valeur absolue.

Le ministre de l'intérieur nous dit que nous n'avons jamais autant procédé à des OQTF, ce qui est totalement faux - en pourcentage comme en valeur absolue. En 2012, le taux d'exécution était d'un peu plus de 22 %
- en 2020, ce taux n'est pas significatif pour les raisons que j'ai expliquées plus haut -, contre 12 % en 2019, et 5,6 %, un taux extrêmement faible, au premier semestre 2021. La raison principale est la mauvaise coopération des pays dont les ressortissants sont en situation irrégulière en France, notamment du Maroc et de l'Algérie.

Ces deux pays sont les premiers pourvoyeurs de l'immigration régulière et l'Algérie est le premier pourvoyeur de l'immigration irrégulière. Nous avons constaté, lors de nos auditions, que la pandémie a entraîné un durcissement des conditions de retour. Par exemple, un test PCR est aujourd'hui exigé pour que les migrants puissent être expulsés. Or nous ne pouvons pas les obliger à effectuer ce test. L'Algérie en a également profité pour ajouter une autre condition : les Algériens en situation irrégulière en France doivent figurer sur une liste dressée discrétionnairement par l'Algérie pour pouvoir revenir dans leur pays d'origine.

Je vous donnerai les chiffres si vous le souhaitez, mais l'Albanie, qui est le huitième pourvoyeur de l'immigration irrégulière, compte plus de ressortissants revenus au pays que l'Algérie, premier pourvoyeur de cette immigration irrégulière.

Nous rencontrons donc des difficultés significatives pour procéder aux éloignements avec un budget qui n'augmente pas significativement. Mais pour être honnête, même si ce budget augmentait, nous voyons mal comment les résultats pourraient être meilleurs, au regard de la situation qui nous est imposée par les principaux pays pourvoyeurs d'immigration irrégulière.

Encore une fois, c'est la politique du tonneau des Danaïdes, dans lequel nous continuons et continuerons à déverser le budget de l'État si nous ne mettons pas en place une véritable politique migratoire.

Une immigration choisie, avec un rôle accru du Parlement dans la définition des orientations de la politique migratoire, nous paraît indispensable. La conditionnalité des aides, la poursuite de la politique de restriction des visas aux pays non coopératifs et la simplification des contentieux devraient être des axes de travail pour arriver à faire face à l'immigration et pour pouvoir parler d'une politique migratoire maîtrisée.

Vous l'aurez compris, notre avis est donc défavorable à l'adoption des crédits de cette mission.

M. Philippe Bonnecarrère , rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration » . - Avec l'asile, nous nous situons, à l'intérieur du dispositif qui vous a été présenté, dans le cadre d'une chaîne qui comprend essentiellement l'Ofpra, qui traite les demandes, et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), qui examine les recours.

Le point essentiel est de se poser la question de savoir comment cette chaîne a réagi pendant la crise sanitaire. Nous avons, en quelque sorte, deux dynamiques qui se sont entrechoquées. D'un côté, nous avons noté une diminution du flux des demandeurs d'asile. Le flux des demandes se réduisant, l'activité de l'Ofpra et de la CNDA a elle aussi diminué. En revanche, du fait de la crise sanitaire, il a été quasiment impossible d'assurer les rendez-vous à l'Ofpra, l'intervention des officiers de protection instructeurs (OPI) ainsi que les audiences de recours devant la CNDA. La conséquence est que, fin 2020, l'Ofpra et la CNDA ont enregistré une augmentation de leurs stocks. À l'Ofpra, 84 655 dossiers étaient en attente à la fin 2020 et une augmentation mécanique des dossiers a également eu lieu à la CNDA.

La question est de savoir comment le flux des demandes de 2021 et 2022 va pouvoir être traité. Je rappellerai l'objectif fixé en 2017 par la France : traiter une demande d'asile en six mois - deux mois par l'Ofpra et quatre mois par la CNDA d'ici 2023. Or nous en sommes encore loin, puisque le traitement d'un dossier est environ de huit mois par chacune de ces institutions, soit un total de seize mois.

Est-ce à dire que cet objectif est hors de portée ? Pas nécessairement. Il est d'ailleurs intéressant de constater que c'est, en quelque sorte, maintenant que les choses se jouent. Des moyens très importants ont tout d'abord été alloués à l'Ofpra et à la CNDA. Plus de 200 agents y ont été recrutés en 2020, ce qui nous donne un total de 1 003 équivalents temps plein (ETP). La CNDA, quant à elle, a reçu des moyens supplémentaires qui ont été échelonnés sur 2018, 2019 et 2020. En 2021, tous les recrutements ont été réalisés. Ces moyens ont permis à l'Ofpra de rendre aujourd'hui 12 500 décisions par mois et à la CNDA de prononcer 70 000 décisions annuelles.

En 2019, nous avons ensuite atteint un pic, avec 140 000 demandes d'asile. En 2020, ce chiffre a nettement diminué en raison à la fermeture des frontières. Une remontée progressive est attendue, mais elle restera en dessous du niveau de 2019. Cette situation permettrait à l'Ofpra, sur la base de 12 500 décisions mensuelles, de traiter en flux les demandes de 2021 et de 2022, et de résorber une partie de son stock antérieur.

Dotés de ces nouveaux moyens, et si les demandes n'atteignent pas le chiffre de 2019, ces deux organismes pourront rendre un nombre de décisions supérieur au flux des demandes à traiter, ce qui pourrait permettre, en 2023, d'atteindre l'objectif fixé en 2017, à savoir le traitement d'une demande d'asile en six mois.

Si nous ne voyons pas très bien quelles pourraient être les possibilités d'amélioration du fonctionnement de l'Ofpra, notre opinion est plus nuancée pour la CNDA. Nous proposerons donc de faire un focus sur cette question.

Aujourd'hui, la CNDA compte 700 agents, 23 sections, 30 salles d'audience et 339 rapporteurs. Dans chaque salle d'audience sont réunis un président, des rapporteurs, un interprète, l'intéressé et son avocat ; c'est donc une très grande machine

Par ailleurs, un barreau s'est spécialisé dans le droit d'asile et est parvenu à imposer certaines conditions de fonctionnement à la CNDA : pas plus de sept dossiers traités par jour notamment. Si cela ne paraît pas poser de problème, dans les faits, chaque communauté de demandeurs d'asile a créé son propre barreau, avec des avocats spécialisés. Si, par exemple, une audience est consacrée uniquement à des demandeurs d'asile afghans, outre l'interprète, une dizaine d'avocats seront nécessaires pour traiter les dossiers et, très vite, la limite de sept dossiers est atteinte. À Mayotte - autre exemple -, seuls deux avocats sont spécialisés en droit d'asile, d'où une limite dans la tenue des audiences.

Par ailleurs, les audiences commencent tard le matin pour laisser le temps aux demandeurs résidant en province de venir jusqu'à Montreuil et s'achèvent à 15 heures 30 pour leur permettre de regagner leur lieu d'habitation.

En outre, la vidéoconférence est une méthode toujours contestée et le consentement de l'intéressé est obligatoire. Une expérimentation était prévue dans les barreaux de Nancy et de Lyon. Mais si, à Nancy, quelques vidéoconférences se sont tenues depuis fin septembre, l'expérimentation n'a pas pu être mise en place à Lyon.

Le système est donc sous contrainte.

Je terminerai par les conditions matérielles d'accueil. S'agissant de l'aide aux demandeurs d'asile, une augmentation de 4 % est proposée, pour atteindre 467 millions d'euros. Cependant, il s'agit d'un jeu de balance : plus il y a de demandeurs d'asile, plus les allocations augmentent ; et plus les dossiers sont vite traités, moins le montant des allocations versées est élevé, puisqu'elles ne sont versées que pendant la durée d'examen du dossier. Ces deux variables régulent le montant des aides qui seront consommées.

Le Gouvernement indique que si la consommation n'est pas totale, la provision prévue en cas de dépassement serait attribué au budget de l'hébergement. La capacité d'hébergement en France n'a jamais été aussi importante, puisqu'en 2020, nous comptions 98 500 places et 103 269 en 2021.

Le taux d'hébergement des demandeurs d'asile dans ces structures spécialisées a, il est vrai, augmenté de 9 points en 2021, passant à 64 %. En revanche, nous sommes encore loin de l'objectif fixé par le Gouvernement, de 90 % pour 2023.

En conclusion, je dirai que, pour 2 milliards d'euros, la France respecte ses obligations administratives et juridiques au regard des standards internationaux, mais ne possède pas de politique migratoire.

M. Jean-Yves Leconte . - Ce rapport comporte deux aspects. D'une part, la politique migratoire et, d'autre part, la manière dont nous répondons à nos obligations en matière de droit d'asile.

Concernant la politique migratoire, je m'inscris en faux contre les propos de notre rapporteur. La question n'est certainement pas de dire que rien n'est sous contrôle, que rien n'est maîtrisé et que nous n'avons pas de chiffres. Notre échec ne se situe pas là. Notre échec, c'est l'intégration. Notre échec n'est pas le contrôle des frontières ou le fait de distribuer trois fois moins de premiers titres de séjour par an que la Pologne. Non, nous faisons le minimum syndical et nous n'avons aucune marge de manoeuvre. Nous n'avons même pas la possibilité d'avoir une immigration choisie, puisque 250 000 régularisations, c'est le chiffre minimum absolu pour permettre l'intégration. Par ailleurs, une bonne partie des premiers titres de séjour sont des visas.

Aussi, 250 000 régulations sur neuf ans, ce n'est pas énorme. Et les conditions d'intégration sont lourdes. Je ne vois donc pas comment vous pouvez nous présenter un rapport qui alimente le pire du populisme. Notre échec, c'est l'intégration. À part la Chine et le Japon, le dynamisme d'une économie est totalement lié à la capacité d'un pays d'intégrer des personnes qui sont nées dans un autre pays.

Nous devons le dire et le répéter : tant que nous ne mettrons pas en place de bonnes politiques d'intégration, nous serons en échec. Et avec le type de discours que vous tenez - ainsi que le Gouvernement -, nous irons d'échec en échec. De ce point de vue, l'OFII joue un rôle essentiel et ne peut être chargé à la fois de l'intégration et des prestations allouées aux demandeurs d'asile, notamment dans une période où la demande croît.

S'agissant de la lutte contre l'immigration irrégulière, le « tout CRA » ne fonctionne pas. Selon le directeur général des étrangers en France, les taux de réussite des OQTF ne veulent rien dire, puisque tout dépend à qui cette sanction est attribuée et dans quelles conditions elle l'est. Et les comparaisons d'un pays à l'autre ne valent pas plus, car les motivations ne sont pas les mêmes.

Plutôt que de multiplier les places en CRA pour éloigner des Roumains qui reviennent deux jours après, il serait préférable de faire un focus sur les réussites de l'OFII en matière de retours volontaires et de proposer de les développer.

S'agissant de l'asile, je partage vos propos, monsieur le rapporteur, même si la CNDA n'a pas cette vocation. Toutefois, tout ne peut pas être concentré sur les délais, même s'ils sont essentiels, à la fois pour des raisons d'humanité et de coût. Je rappelle en effet que le montant des prestations versées pendant trois à quatre semaines représente à peu près le budget annuel de l'Ofpra.

Une fois protégé, un immigré peut arriver à s'intégrer correctement - de fait la question de l'hébergement est primordiale. Mais lui trouver un travail le plus vite possible et lui donner l'occasion d'apprendre la langue sont également des conditions indispensables. Il est plus difficile de s'intégrer quand, pendant six mois ou un an, on vous a demandé de ne rien faire.

Par ailleurs, lorsqu'un migrant est protégé, il a la possibilité de faire venir ses enfants et son conjoint. Et pour commencer à vivre une nouvelle vie en France, il faut lui reconstituer son état civil. Or ces sujets sont les absents du contrôle parlementaire sur l'asile, actuellement. Nous l'avons d'ailleurs vu au moment de la crise afghane : des centaines d'enfants et de conjoints d'Afghans protégés n'ont pas pu rejoindre la France.

Il est donc important d'allouer plus de moyens à l'Ofpra pour les questions de reconstitution d'état civil et de mettre en place une réelle politique permettant à une personne protégée de faire venir son conjoint et ses enfants.

Mme Nathalie Goulet . - Je souhaiterais, pour ma part, aborder le sort des interprètes et des auxiliaires de l'armée française en Afghanistan, dont le Gouvernement nous dit que l'affaire est réglée. Car il n'en est rien : nous recevons, les uns et les autres, des demandes urgentes. Cette question a été traitée en dépit du bon sens, alors que le sujet des interprètes remonte à au moins sept ou huit ans. Ces gens sont menacés, la situation est scandaleuse, et je souhaiterais que nous demandions des comptes au Gouvernement.

S'agissant des OQTF, au moment de l'assassinat du père Olivier Maire, nous avons pu remarquer un certain nombre d'incohérences dans notre droit, notamment entre la procédure administrative et la procédure judiciaire, puisqu'un certain nombre de personnes frappées d'OQTF sont en plus soumises à des travaux d'intérêt général : au lieu d'être expulsés, ils sont retenus en France pour exécuter la sanction prononcée à leur encontre.

Monsieur le rapporteur, je souhaiterais savoir si, dans le cadre du rapport de suivi, nous pourrions avoir un état des lieux de l'application de l'article 729-2 du code de procédure pénale, qui permet une libération conditionnelle en cas de retour dans le pays d'origine. L'application de cette disposition permettrait non seulement d'exécuter les OQTF, mais aussi de libérer des places en prison.

Mme Brigitte Lherbier . - Je voudrais attirer votre attention sur la situation actuelle dans le nord de la France. Un nombre important de migrants qui souhaitent gagner la Grande-Bretagne échouent et restent alors sur notre territoire. Hier encore, un camp à Sangatte a été détruit. Habituellement, il s'agit d'hommes jeunes, seuls, mais nous voyons beaucoup en ce moment de femmes et d'enfants.

Par ailleurs, monsieur Bonnecarrère, savons-nous combien de ressortissants afghans demandent à bénéficier du droit d'asile ?

M. Thani Mohamed Soilihi . - Malgré la réalité du rapport, mon groupe ne suivra pas la position des rapporteurs sur les crédits.

Madame la rapporteure, contrairement à ce que vous avez indiqué, le premier pays pourvoyeur d'immigrés clandestins est non pas l'Algérie, mais les Comores. Encore une fois, je déplore que les chiffres de l'outre-mer ne soient pas intégrés dans les chiffres globaux présentés chaque année à la représentation nationale, alors que plus de la moitié des reconduites à la frontière se font à partir de Mayotte. Les chiffres de la Guyane cumulés à ceux de Mayotte ne sont, en aucune mesure, comparables aux chiffres de l'Hexagone.

Mme Éliane Assassi . - Ces sujets sont sensibles et mériteraient que nous puissions dépasser un certain nombre de postures pour regarder avec une grande attention une situation qui n'existe pas uniquement en France.

Nous ne pouvons que saluer la hausse continue du budget en matière d'immigration et d'asile. Les mesures prises sont d'abord des choix politiques. Nous pourrons augmenter tous les budgets possibles, si nous ne changeons pas de posture ou de lecture de ce que sont l'immigration et l'asile, nous ne changerons pas grand-chose.

La hausse du budget ne peut masquer, par exemple, les conditions d'accueil et d'accompagnement des migrants, les atteintes à des lois fondamentales et les traitements dégradants des mineurs isolés.

Il est important de rappeler que l'asile est un droit qui ne saurait être soumis aux vicissitudes de la politique migratoire. Nous pourrions nous satisfaire de la réduction des délais de la procédure d'asile, mais il faut rappeler que la situation des personnes vulnérables s'inscrit dans une temporalité adaptée.

Le problème en matière d'asile est lié non pas aux délais d'instruction qui ont diminué, mais aux délais d'enregistrement des demandes. En effet, de nombreux migrants n'ayant pas réussi à se faire enregistrer sont interpellés et traités comme des personnes en situation irrégulière.

S'agissant des CRA, les problématiques restent les mêmes. Les conditions de détention continuent de se dégrader. Je rappellerai par ailleurs qu'ils n'ont pas cessé de recevoir des migrants en 2020, ce qui confirme la volonté du Gouvernement de poursuivre sa politique d'éloignement. Il me semble nécessaire de changer le regard que nous avons sur ces lieux d'enfermement, qui accueillent aussi des enfants. Nous devons être attentifs aux cris d'alarme poussés par de nombreuses associations, qui ne peuvent être taxées de gauchistes, et par la Défenseure des droits. Tous dénoncent la banalisation de la privation de liberté des personnes étrangères. Nous ne devons pas oublier qu'il s'agit d'êtres humains - des femmes, des enfants, des familles.

M. Philippe Bas . - Je voudrais d'abord dire que je n'ai jamais rencontré de populistes à la commission des lois ; un populisme à rebours nourri de misérabilisme ne vaut guère mieux qu'un populisme que certains stigmatisent.

Quant aux postures politiciennes qui nous empêcheraient d'avoir un regard humain sur des situations émouvantes, je répondrai qu'il existe aussi des situations humaines dramatiques liées à la confrontation du mode de vie des immigrés clandestins et d'un certain nombre de nos concitoyens, y compris d'ailleurs de ceux qui sont issus de l'immigration.

J'ai eu la chance de présider l'OFII et je trouve que nos débats comportent parfois des termes excessifs. Pour moi, il est très important que notre pays remplisse ses devoirs. Le droit d'asile est un devoir constitutionnel, et ce n'est pas parce que nous avons constaté un afflux massif de demandes d'asile que nous sommes contre le droit d'asile. Bien au contraire, le droit d'asile doit s'appliquer dans des conditions qui ne pénalisent pas les véritables réfugiés politiques.

Quant à l'exigence de l'intégration, elle est quand même beaucoup plus facile à mettre en oeuvre quand nous avons affaire à des étrangers en situation régulière plutôt qu'à des déboutés du droit d'asile ou à des immigrés clandestins.

Il est important de prendre du recul afin d'essayer d'aborder cette question dans toute sa complexité et d'une manière qui ne soit pas simplement le reflet d'un point de vue qui, dans certains cas, est celui de ceux qui donnent des cours du soir dans notre système et qui fragilisent, qu'ils le veuillent ou non, l'intégration.

J'entends que les délais de l'instruction des dossiers diminuent, mais ils sont encore beaucoup trop longs. Un effort est encore nécessaire et nous devrons nous mobiliser pour changer de paradigme dans notre politique d'accueil des étrangers pour, justement, mettre en place une politique d'intégration et d'assimilation qui soit d'une meilleure qualité.

Mme Valérie Boyer . - Je souhaiterais tout d'abord remercier les rapporteurs pour la rigueur de leur travail et la précision de leurs données. Les chiffres cités aujourd'hui sont particulièrement importants pour nourrir le débat.

La France - comme l'Europe - ne peut pas être prise en défaut de générosité. Nous sommes tous d'accord aujourd'hui pour défendre le droit d'asile et pour dire qu'il est dévoyé. De fait, cela empêche les personnes qui ont besoin du droit d'asile de voir leur demande instruite correctement.

Avant le départ des Américains de Kaboul, j'ai lu à plusieurs reprises que 100 000 Afghans étaient présents sur le territoire français, et que la grande majorité d'entre eux avaient été déboutés du droit d'asile, notamment en Allemagne. Qu'en est-il réellement ?

Ma seconde question concerne la sinistre affaire des traducteurs. Tout le monde s'accorde à dire que tous les interprètes et leurs familles n'ont pu être exfiltrés. Que sont devenues les personnes qui sont encore en Afghanistan ? Et qui sont celles qui sont sur le territoire français et qui n'entrent pas dans cette catégorie ?

M. André Reichardt . - Je trouve inacceptable d'affecter, année après année, des sommes importantes pour faire face à une situation que nous ne maîtrisons pas. La France n'a pas de stratégie migratoire, il faut le dire. Hier, j'ai demandé au ministre des affaires étrangères et de la défense comment la présidence française de l'Union européenne comptait mettre en oeuvre le pacte européen sur la migration et l'asile, alors que les pays de première entrée ou de relocalisation n'en veulent pas. Sa réponse a été la suivante : nous mènerons une politique des petits pas. Clairement, nous n'avons pas de politique migratoire. J'aurais aimé qu'il me réponde : nous allons tout faire pour tarir la source de l'immigration.

S'agissant de l'asile, si les délais diminuent, monsieur le rapporteur, je doute qu'ils puissent continuer à baisser avec les moyens qui sont affectés, puisque nous savons que les flux migratoires, loin de se tarir, vont augmenter.

Enfin, la non-exécution des OQTF est un véritable scandale. À quoi sert d'allouer autant de moyens à l'Ofpra si les décisions ne sont pas appliquées ?

Mme Esther Benbassa . - J'étais mardi à Calais et j'ai pu à nouveau constater ce qui s'y passait. Les propositions de M. Leschi, directeur général de l'OFII, à l'encontre des migrants qui sont dans les rues et qui n'aspirent qu'à traverser la Manche ne me conviennent pas du tout.

En cette période électorale, nous constatons une augmentation du nombre des expulsions. Nous avons d'ailleurs assisté, mardi dernier, à l'expulsion d'un millier de migrants à Grande-Synthe. Au cours de l'année 2021, les expulsions des camps et des abris informels ont augmenté de 23 %, la majorité concernant les villes du Calaisis et Grande-Synthe.

Dans un rapport publié par l'Assemblée nationale à la suite d'une commission d'enquête sur l'immigration, les députés appelaient l'État à renoncer à la politique du zéro point de fixation sur le littoral nord, au vu des conséquences massives sur le quotidien des migrants.

L'État distribue 800 repas à Calais, alors que l'on recense 1 500 migrants. Que peut-on faire ? Il faudrait d'abord décréter un moratoire en ce début de période hivernale, afin d'abriter tous ces gens qui ne pourront pas traverser la Manche. La concentration des migrants dans les rues crée des problèmes auprès des habitants. C'est un problème à la fois humain et humanitaire.

M. Guy Benarroche . - Je souhaite amplifier les propos exprimés précédemment par André Reichardt, en y apportant quelques précisions. Philippe Bas déplore l'utilisation de termes comme « populisme » et « posture » ; je le comprends très bien, mais ces termes sont utilisés, car, sur ces questions, nous dépendons d'une politique stratégique de l'État ; or, cette politique n'existe pas, et cela ouvre fatalement la porte à des postures ou des positionnements populistes. Par ailleurs, nous savons tous que la question migratoire jouera un rôle dans la campagne électorale.

Aucun choix politique n'est plus important aujourd'hui. Cela a été rappelé, nous ne sommes pas prêts de voir la fin des migrations au niveau mondial. Au-delà des problèmes géopolitiques, n'oublions pas les migrations liées aux changements climatiques ; des millions de personnes vont être déplacées de leur territoire, car elles ne pourront plus y vivre.

L'augmentation de moyens est nécessaire, mais elle ne résoudra pas tous les problèmes. Les juges administratifs, tous les gens qui sont sur le terrain, aux polices des frontières ou dans les centres d'accueil, ont l'impression de travailler pour rien et sont découragés.

Le fait de ne pas avoir de politique migratoire digne de ce nom a aussi des effets négatifs sur l'idée que l'on peut se faire de la France et de sa tradition d'accueil.

Nous voterons contre le budget pour toutes ces raisons.

Mme Muriel Jourda , rapporteur pour avis . - Un certain nombre de déclarations exposent nos différends sur la politique migratoire. Certaines de ces déclarations ne justifient pas de réponses et d'autres ne les méritent pas.

Madame Goulet, vous nous avez demandé une appréciation sur la mise en oeuvre de l'article 729-2 du code de procédure pénale ; nous allons nous pencher sur la question.

Monsieur Mohamed Soilihi, les chiffres dont nous parlons sont transmis par la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF).

M. Philippe Bonnecarrère , rapporteur pour avis . - Jean-Yves Leconte a insisté sur le rôle de l'Ofpra en matière de reconstitution des éléments d'état civil. C'est une vieille règle de droit : à partir du moment où la demande d'asile d'une personne a été acceptée, celle-ci ne peut plus se tourner vers son pays d'origine pour réclamer des documents d'état civil. L'Ofpra a donc, entre autres missions, la responsabilité d'être l'officier d'état civil des demandeurs d'asile ; le directeur est très conscient de cette responsabilité.

Les missions de l'Ofpra concernent, selon son directeur, plus de 500 000 personnes aujourd'hui. Ce chiffre différant de celui présenté par Mme Schiappa - légèrement supérieur à 400 000 -, nous essaierons de comprendre les raisons de cet écart.

Nathalie Goulet nous a demandé des précisions sur la question afghane, en particulier sur la situation des traducteurs. Nous ne pouvons que relayer les conclusions de l'Ofpra. Ces conclusions précisent que notre pays et notre ambassade ont effectué un important travail pour déterminer les droits des personnes devant être protégées. Au total, 2 700 personnes afghanes ont été ramenées en France dans le cadre de l'opération organisée par notre pays ; ce chiffre n'est pas neutre, et je vous laisse imaginer le nombre de traducteurs sollicités par notre armée.

Pour répondre à Brigitte Lherbier, les ressortissants afghans constituent, depuis trois ans, avant même donc les événements liés à la prise de pouvoir des talibans, le premier contingent des demandes d'asile. En 2019, on recensait 10 175 demandes d'asile pour des personnes de nationalité afghane, et ce chiffre a légèrement augmenté en 2020
- 10 364 demandes -, dans un contexte où la demande d'asile a fortement diminué.

Doit-on imaginer une crise plus importante ? Les points de vue sont divergents, et les délais d'inertie restent importants. Cela dépend de beaucoup d'éléments, dont la capacité des pays limitrophes - notamment l'Iran et le Pakistan - à accueillir cette population ; la politique de ces pays fixera la règle du jeu. Je rappelle qu'en Iran, on estime à 3 ou 4 millions le nombre de ressortissants afghans sur le territoire. Par ailleurs, nous savons que beaucoup d'hommes utilisés par l'armée de Bachar al-Assad en Syrie étaient de nationalité afghane ; ils combattaient dans l'espoir d'obtenir une régularisation.

Monsieur Mohamed Soilihi, nous vérifierons la question des données concernant la Guyane et Mayotte.

Éliane Assassi a évoqué la durée pour obtenir un rendez-vous dans les préfectures. On a connu quelques difficultés en région Île-de-France, mais la situation semble aujourd'hui maîtrisée. Un bémol toutefois : ces moyens supplémentaires engagés pour favoriser l'accueil concernent le plus souvent des personnels contractuels, avec donc un important taux de rotation.

Concernant Calais, je rappelle que le président de la commission des lois participe à une mission sur le sujet.

Enfin, monsieur Benarroche, nous partageons votre constat sur l'absence de politique migratoire. En raison de cette absence, tout élément nouveau devient compliqué à gérer. Je n'ose imaginer la situation que pourrait connaître notre pays si nous étions confrontés à des choses aussi horribles que ce que l'on appelle aujourd'hui les « guerres hybrides ».

En résumé, je retiens de la bonne volonté, mais aucun axe directeur.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

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