III. ET DE MAÎTRE ANDRÉANNE SACAZE

1. Conférence des bâtonniers

René GARREC

J'ai le plaisir d'accueillir aujourd'hui Maître Marie-Elisabeth Breton, du Conseil national du barreau, et Maître Andréanne Sacaze, de la Conférence des bâtonniers. Ensuite, nous auditionnerons Madame Chantal Lebatard, qui est administrateur de l'Union nationale des associations familiales puis, à 10 heures 05, Monsieur Stéphane Ditchev, secrétaire général de la Fédération des mouvements de la condition paternelle, et enfin Madame Françoise Dekeuwer-Défossez qui est professeur agrégé à l'Université de Lille II. Maître, je vous donne la parole.

Marie-Elisabeth BRETON

Madame Guigou avait envisagé une grande réforme de la famille. Cette idée était révolutionnaire puisqu'il n'y avait pas eu de réforme globale de la famille depuis la Révolution ! Madame Théry a déposé un rapport traitant de l'aspect sociologique de la réforme alors que Madame Dekeuwer-Défossez était en charge de l'aspect juridique. J'ai participé à cette commission et, pendant un an, nous avons auditionné un certain nombre de personnes et réfléchi de manière globale à la question de la famille. Elisabeth Guigou avait indiqué aux médias qu'elle allait mettre très rapidement en place cette réforme. Malheureusement, nous n'avons rien vu venir et cette réforme, qui devait être une des réformes importantes de ce septennat, a finalement été complètement morcelée : Ségolène Royal a engagé les réformes concernant la filiation et l'autorité parentale, et les parlementaires ont également déposé un certain nombre de propositions. Les juristes que nous sommes se demandent si cet abandon de la famille par la Justice n'est qu'un « laisser-aller » ou bien une volonté politique. Personnellement, je pense qu'il s'agit d'une volonté politique motivée par le souhait que dans les années à venir la famille n'appartienne plus au domaine judiciaire. Le projet Colcombet va dans ce sens. Il consacre un droit au divorce dont la phase préalable (conciliation) pourrait être déjudiciarisée.

Les conclusions de la Commission Françoise Dekeuwer-Défossez me semblent être en phase avec le terrain et la réalité sociologique :

- simplifications des procédures (idées reprises dans la nouvelle proposition),

- maintien des différentes formes de divorce qui correspondent à la pluralité de vies conjugales.

- Etablissement d'un tronc commun pour permettre au stade de la conciliation d'arriver à un maximum d'accords.

Nous avions donc maintenu toutes les formes de divorce, y compris la procédure pour faute. La reconnaissance de l'état de victime est nécessaire. La symbolique est en effet importante en termes de restructuration de la personne. Dans certains cas de fautes véritablement graves, il est essentiel que celui qui a subi pendant des années une telle situation conjugale puisse être reconnu en tant que victime.

Il est évident que la simple demande de dommages et intérêts qui, dans un certain nombre de cas, compte tenu de la situation financière des personnes concernées, n'aboutirait finalement qu'au versement d'un franc symbolique ne concrétiserait pas cette reconnaissance. Les anthropologues et les psychologues ont souligné l'aspect nécessaire d'une vrai reconnaissance de la faute. Le manque d'exutoire affectif à un moment de la procédure engendrerait en réaction une multiplication des procédures concernant les enfants.

La procédure pour faute, telle que décrite par Monsieur Colcombet, ne correspond nullement à la réalité.

En effet, la Cour de Cassation autorise le dépôt de requêtes en divorce sans évocation des griefs, ce qui permet devant le Juge en conciliation de réussir très souvent à mettre d'accord les parents sur l'organisation de la vie des enfants.

Compte tenu et grâce au temps nécessaire pour aboutir à un jugement de divorce, nous arrivons très souvent à trouver un accord sur un divorce prononcé sans énonciation des motifs aux torts partagés ou aux torts exclusifs.

Ce n'est que lorsque l'un des conjoints n'a pas encore fait le deuil de ses sentiments et qu'il se trouve dans un état psychologique où la reconnaissance de la faute est nécessaire, que nous justifions de cette faute.

La réforme de Colcombet amènerait à réduire les cas de divorce à deux formes de divorce et même un seul :

- dans un cas : on serait dans une rupture irrémédiable du lien conjugal consenti (le consentement mutuel),

- et dans un deuxième cas, dans une rupture irrémédiable imposée.

On serait donc finalement dans un seul cas de divorce, consenti ou imposé. Cela ne correspond nullement à la réalité.

Les propositions de la Commission Dekeuwer me semblent pouvoir faire évoluer le divorce de manière progressive tout en respectant la réalité sociétale.

La procédure proposé par Monsieur Colcombet s'inscrit dans une démarche d'abandon du droit de la famille et correspond au premier pas vers une déjudiciarisation (qui ne dit pas son nom).

Concernant le droit au divorce, on peut s'interroger sur l'opportunité d'un droit au divorce. Déjà lors de la réforme de 1965-1970, on s'était interrogé sur un divorce pour causes objectives. Il est évident qu'aujourd'hui le lien conjugal est plus un lien affectif que patrimonial et qui peut s'inscrire dans une durée plus longue qu'autrefois. On ne peut laisser les gens vivre en désamour si l'un des deux époux souhaite une séparation. Il faut donc leur reconnaître cette possibilité. Mais ce droit au divorce n'implique pas que l'autre soit considéré « comme celui qui n'a rien à dire ». En outre, la notion de suppression de faute qui ne serait finalement reconnue qu'à travers des dommages et intérêts me semble être une aberration. Le droit au divorce implique la reconnaissance d'une responsabilité et cette responsabilité doit engendrer des conséquences notamment en matière de donations ou d'avantages matrimoniaux.

Cependant ce droit au divorce pose le problème du devenir du mariage. La réforme de Colcombet supprimant toutes les obligations nées du mariage... Quid du mariage ? A long terme arrivera-t-on à la suppression du mariage et donc à une société de « super-PACSée » ?

J'ai déjà évoqué le problème de la déjudiciarisation. Dans la réforme de Monsieur Colcombet, le juge n'est plus un juge. C'est un juge constat. Il renvoie à la médiation. Son rôle est réduit à juger les conséquences du divorce. Il n'est plus un juge conciliateur. D'ailleurs, la phase de conciliation devient « l'autorisation préalable avant assignation ».

Cela me paraît excessivement dangereux de pouvoir envisager la déjudiciarisation du divorce. Nous, les praticiens, nous pouvons vous dire que la phase de conciliation est une phase essentielle. Le juge aux affaires familiales doit retrouver la plénitude de ses pouvoirs durant cette phase. Je vais maintenant laisser la parole à ma consoeur qui complètera mes propos, puis nous répondrons à vos questions.

Je pensais avoir répondu à cette question : dans la commission Dekeuwer-Défossez, nous avions limité la rupture de vie commune à un délai de trois ans, qui reprend en fait la démarche du Sénateur About. Le délai peut être éventuellement plus court, à partir du moment où finalement nous sommes conscients du fait que nous n'allons pas pouvoir faire échec à un droit au divorce, même si on n'adhère pas tout à fait à cette idée. En effet, « le droit au divorce » a été très médiatisée et il me semble aujourd'hui difficile d'y échapper. Il faut donc à la fois maintenir la pluralité des procédures, mais aussi consacrer cette reconnaissance tout en l'assortissant d'un certain nombre de mesures qui de ce fait n'en feront pas une répudiation. Cela me paraît important.

Le Sénateur About avait fait une proposition en 1999 appelée : divorce pour causes objectives. A cette époque, on avait trouvé que cette proposition était un peu osée. Elle est maintenant tout à fait dans la mouvance actuelle et je pense qu'il y a beaucoup de choses à reprendre dans cette proposition : il proposait un divorce pour causes objectives dans trois cas, notamment une séparation de fait depuis trois ans. La question peut se poser quant à la réduction de ce délai. Il est nécessaire qu'il y ait débat sur ce sujet. L'idée du maintien du devoir de secours dans la proposition About est une bonne chose.

Personnellement, je suis entièrement d'accord avec vos trois propositions. Au sujet de la prestation compensatoire, dans la Commission Dekeuwer-Défossez, nous n'avions pas lié les conséquences de la faute à l'obtention d'une prestation. Concernant le devoir de secours, il est selon moi, comme le disait ma consoeur, nécessaire de réformer le texte sur la prestation et d'envisager un maintien dans certains cas de l'obligation de secours parce qu'il existe des situations excessivement difficiles.

Il y a eu une évolution des moeurs, une évolution de la procédure de divorce et une évolution de la profession d'avocat. Les avocats aujourd'hui jouent un véritable rôle de conciliateur avant même que la requête en divorce soit déposée. Le divorce où l'on appelait des témoins à la barre est définitivement révolu ! La Cour de Cassation a favorisé cette évolution en permettant le dépôt de requêtes sans grief. L'avocat joue un rôle essentiel et permet de rendre les ruptures plus soft. Lorsqu'il reçoit les clients il lui appartient de les mettre face à leurs responsabilités, de leur faire prendre conscience que ce n'est pas le divorce qui va régler leurs problèmes affectifs, problèmes qui bien souvent génèrent pour partie leur contentieux. Il les renvoie très souvent à consulter un psychologue ou un conseiller conjugal. Nous avons une responsabilité très importante en amont sur l'évolution des procédures de divorce. Je peux vous rassurer : Nous arrivons en conciliation dans une démarche qui ne consiste plus du tout à lancer les pétards...

Le rôle du juge est essentiel. Je voudrais rendre hommage aux magistrats. Je ne sais comment cela se passe à Paris, mais en province, les juges prennent le temps d'écouter les gens, de tenter une conciliation et lorsqu'ils constatent qu'il demeure une difficulté, éventuellement, proposent un délai de réflexion. Magistrats et avocats, nous sommes là ensemble pour aider les justiciables à prendre conscience de leurs responsabilités quant aux conséquences du divorce, et les aider, nous les avocats, à faire le deuil de leurs sentiments.

Je pense que la réforme du divorce doit être un panachage des propositions de la Commission Dekeuwer-Défessez et de celles du Sénateur About.

René GARREC

Merci beaucoup Maître. Maître Sacaze, je vous laisse la parole.

Andréanne SACAZE

La réforme du divorce pose de nombreuses difficultés parce que la famille est au coeur de la société et cela suppose que l'on prenne en considération l'évolution de la famille. Pour autant le législateur ne doit pas dépasser le sentiment et les souhaits des citoyens, sinon la loi risque d'être en porte-à-faux avec ce que souhaitent les citoyens. C'est la raison pour laquelle effectivement dans un premier temps, le gouvernement a tenté par étape de voir ce que pensaient les citoyens français : il y a eu tout d'abord le rapport Théry, puis le rapport Dekeuwer-Défossez et nous nous attendions évidemment à ce débat annoncé sur la famille. Or qu'avons-nous constaté ? Le rapport Dekeuwer-Défossez a été balayé d'un trait de plume : en effet, si tout porte à croire que l'on a véritablement pris en compte certains points au regard de la procédure, le rapport Dekeuwer-Défossez était très clair sur le fait que, en aucun cas, il ne fallait supprimer le divorce pour faute. On s'aperçoit également que l'on n'a pas de texte global, ni de débat général sur le problème sociétal que pose la famille et son évolution. Nous avons un tronçonnage de textes que je déplore (et je pense que ma consoeur partage mon analyse) parce que nous devons faire le grand écart entre différents textes pour essayer de conseiller les gens et les justiciables s'y perdent. Vous avez la loi sur l'autorité parentale, la loi sur la prestation compensatoire, la loi sur le nom et aujourd'hui la réforme du divorce. Bref, on a tronçonné le droit de la famille dans plusieurs textes en agissant peut-être un peu trop rapidement à mon sens.

Nous savons ce que les Français souhaitent et ce d'après certains sondages effectués notamment par le barreau de Versailles. En effet, le barreau de Versailles s'est inquiété de savoir ce que pensaient les citoyens versaillais, au moment où l'on discutait dans les commissions. Or nous nous apercevons tout d'abord que les gens de ce secteur considèrent que le divorce est un conflit extrêmement douloureux, qui n'est pas banal et qu'il ne faut en aucun cas banaliser par une déjudiciarisation ; ils considèrent ensuite que les procès sont compliqués et qu'il faudrait les simplifier et les apaiser tout particulièrement au regard des enfants. Tels sont les résultats de cette enquête diligentée sous l'égide du bâtonnier de Versailles. A partir de là, arrive la réforme Colcombet, ou du moins que je qualifie comme telle et vous me pardonnerez si le terme est un peu réducteur. Quelle était l'idée directrice de Monsieur le Député Colcombet ? Dans la première proposition qu'il avait formulée (et nous en avions longuement débattu au sein de la Conférence des bâtonniers lors de rencontres avec Monsieur Colcombet), il disait tout d'abord qu'il fallait arrêter ce conflit odieux assorti d'attestations sordides qui conduit à un procès destructeur tant pour les deux conjoints que pour les enfants. Il faut donc impérativement apaiser le conflit. Il a donc décidé de supprimer le divorce pour faute, de rompre le cordon ombilical entre la faute et les aspects financiers du divorce et d'intégrer de manière plus constante la médiation familiale, de façon à aider à cet apaisement. Il a donc créé un droit au divorce : il considérait ainsi que lorsque l'un des deux époux s'ennuyait au logis et souhaitait s'en aller, il n'existait pas de raisons pour que, d'une manière ou d'une autre, on le contraigne à y rester, les deux époux ne formant plus un couple. A partir de là, il avait tiré, dans le premier énoncé de son texte, les conséquences de ce principe : il n'y aura qu'une partie financière de la faute, qui correspond aux dommages et intérêts. Ce projet a été remanié et l'on nous propose maintenant une réintégration de la notion de faute au niveau du constat dans le jugement. Comment voulez-vous alors que les professionnels du droit qui pratiquent le divorce au quotidien puissent être d'accord avec une telle formulation ? On peut s'opposer sur l'éthique et sur la manière de penser la proposition initiale : on se dit que le mariage devient un concubinage amélioré (vous parliez d'un PACS amélioré). En fait, le mariage ne serait plus considéré comme une notion de contrat consensuel que l'on rompait d'une manière bilatérale, ce qui pose tout de même question aux juristes. La réintégration de cette notion de faute est intervenue parce que Madame le Garde des Sceaux a circulé à travers la France et est allée à la rencontre notamment des associations de femmes. Elle s'est aperçue qu'en définitive, cette notion de faute était importante pour beaucoup de citoyens français. Par voie de conséquence, il fallait donc la réintroduire dans le texte. Où est alors le divorce apaisé ? Nous allons donc débattre, parce que nous sommes tout de même en France, dans un pays qui se veut garant des droits de l'homme. Or, à partir du moment où l'on demande au juge de dresser un constat des fautes et des griefs dans le cadre de la décision de justice, cela suppose que celui qui est accusé et qui s'estime accusé à tort puisse se défendre. Les avocats de chacune des parties vont donc apporter les pièces nécessaires à cet effet et le débat sordide dont voulait sortir Monsieur Colcombet, à juste titre, est réintégré.

Par ailleurs, nous avons, me semble-t-il, des possibilités pour réformer la loi de 1975 sans pour autant perdre de vue cette notion de faute. On avait le consentement mutuel et on sait que les citoyens français qui sont parfaitement d'accord dans le cadre de leur divorce veulent aller vite et qu'une procédure apaisée puisse avoir lieu dans les quelques mois. C'est possible avec la réforme Colcombet, c'est très bien et il faut le maintenir. L'article 233 qui correspond au divorce demandé/accepté était une bonne formule, mais il avait un inconvénient majeur et c'est pour cette raison que pour ma part, en tant que professionnelle, j'y étais relativement hostile : il s'avère que la Cour de Cassation à plusieurs reprises a considéré que, dans le délai de recours à l'encontre de l'assignation en conciliation (qui est de 15 jours à compter de la signification de l'ordonnance), l'une des parties, y compris la partie demanderesse au divorce demandé/accepté, peut indiquer en saisissant la Cour d'appel qu'il y a un vice de consentement pour elle et qu'elle renonce à accepter ou à demander le divorce de cette manière. Par voie de conséquence, cette acceptation est alors remise en cause sans même que l'on ait à démontrer le vice de consentement. A partir de ce moment-là et parce que j'ai eu moi-même deux ou trois échecs assez cinglants et qui m'ont échaudé dans ce domaine, j'avoue que j'étais extrêmement réticente à ce type de procédure. Cependant, on peut pallier cet inconvénient en disant que le demandeur appelle son conjoint devant le juge et que le seul fait de comparaître devant le juge et de s'expliquer le jour de la conciliation peut être assimilé à un accord définitif de ce type de procédure sans torts ni griefs. Il y aura alors un apaisement puisqu'il n'y a pas de torts de griefs. Au regard du jugement, il ne faut même pas dire que le divorce sera prononcé aux torts partagés des époux : il n'y a pas de torts du tout, c'est un constat d'échec, et l'on est simplement en désaccord sur certaines modalités financières qui sont alors débattues. Il existe donc des possibilités d'améliorer la procédure dans le sens de l'apaisement sans pour autant la bouleverser totalement et ne pas respecter ce que, pendant un an, grand nombre de personnes ont cherché à trouver comme solutions (je veux parler des membres de la commission Dekeuwer-Défossez).

Enfin, certaines mesures proposées dans le cadre de ce texte interrogent l'avocat praticien que je suis. On peut certainement concevoir qu'il existe des problèmes d'urgence, mais vous n'aurez pas manqué de constater qu'il y a maintenant trois possibilités de saisine du juge : la saisine habituelle sur requête, une saisine pour organiser la séparation en dehors de toute procédure de divorce (qui existait déjà, mais avec des améliorations) et enfin la possibilité de saisine du juge des référés, ce qui est classique. Pourquoi, si l'on veut aller vers une simplification, ne dit-on pas que le juge des affaires familiales statuera en matière de référés jusqu'à l'ordonnance de non conciliation et sera compétent pour ce faire sur toute matière de saisine ? Je ne vois pas pourquoi on multiplie les différentes procédures. Il s'agit peut-être d'un avis qui m'est un peu plus personnel.

Je considère pour ma part que, effectivement, ce texte a peut-être l'avantage de vouloir au bout du compte faciliter la tâche des juges, mais il cache une réalité concrète qui est la multiplication des divorces. Selon les statistiques les plus récentes, il y a 117 494 procédures toutes confondues par an, ce qui n'est tout de même pas négligeable. Cela suppose une organisation extrêmement structurée avec des juges et des greffiers (en effet, normalement, le greffier doit être présent pour entendre les parties puisque jusqu'à présent, les parties n'étaient pas obligatoirement assistées d'un avocat). Vous allez peut-être croire que je prêche pour notre chapelle. Ce n'est pas le cas, mais un des points dans la réforme Colcombet est extrêmement important : la présence des deux avocats le jour de la conciliation. En effet, nous sommes très gênés lorsque nous sommes avocats des demandeurs d'avoir en face de nous quelqu'un qui n'est pas apte à se défendre et qui n'apporte pas les éléments suffisants pour pouvoir contrer nos propres arguments. Il y a donc un déséquilibre dans le procès et ce déséquilibre est contraire à la Convention européenne des droits de l'homme dans la mesure où le procès n'est pas équitable. Nous sommes très attachés à ce point, non pas pour défendre notre chapelle, mais véritablement dans l'intérêt des justiciables. Je sais que c'est toujours très difficile de le dire, mais je le dis car je suis convaincu de ce point pour avoir été moi-même gênée parfois lorsque je voyais combien les gens pouvaient se sentir démunis face aux argumentaires que je pouvais développer parce que, tout simplement, j'avais préparé un dossier. Nous sommes prêtes à répondre à vos questions.

Patrice GÉLARD

Un point a été peu abordé dans vos deux exposés : est-il raisonnable de maintenir un délai si long (six ans) lorsqu'il y a rupture totale de la vie commune ? Ne faudrait-il pas envisager un délai plus court et quelle devrait être la durée de ce délai plus court ?

Marie-Elisabeth BRETON

Je pensais avoir répondu à cette question : dans la commission Dekeuwer-Défossez, nous avions limité la rupture de vie commune à un délai de trois ans, qui reprend en fait la démarche du Sénateur About. Le délai peut être éventuellement plus court, à partir du moment où finalement nous sommes conscients du fait que nous n'allons pas pouvoir faire échec à une notion de droit au divorce, même si on n'adhère pas tout à fait à cette notion. En effet, cette notion a été très médiatisée et il me semble impossible de faire échec à ce droit au divorce. On se retrouvera dans une situation extrêmement délicate : il faut donc à la fois maintenir la pluralité des procédures, mais aussi cette reconnaissance du droit au divorce et, par un certain nombre de mesures, la notion de faute. Cela me paraît important. Le sénateur About avait fait une proposition en 1999 sur le divorce pour causes objectives. On avait trouvé en 1999 que cette proposition était un peu osée. Elle est maintenant tout à fait dans la mouvance actuelle et je pense qu'il y a beaucoup de choses à reprendre dans cette proposition : il proposait un divorce pour causes objectives dans trois cas, notamment une séparation de fait depuis trois ans. La question se pose quant à la réduction de ce délai. Il est nécessaire qu'il y ait débat sur ce sujet. Lorsqu'il y a un désamour, les gens ne sont pas obligés de se séparer pour qu'il y ait constat de véritable rupture. Ce n'est pas facile à mettre en place. Par ailleurs, d'après les autres mesures (notamment le maintien du devoir de secours) de la proposition About, le conjoint qui prenait l'initiative de la procédure de divorce en subissait tout de même les conséquences et je pense que, sur le plan symbolique, c'est un point important.

Patrice GÉLARD

Au sujet des conséquences financières, ne faut-il pas séparer la prestation compensatoire de la faute ou de la cause du divorce ? Ne faut-il pas maintenir dans un certain nombre de cas le devoir de secours ? Ne faut-il pas envisager une définition des dommages et intérêts prévus par le Code civil certes, mais également par la proposition Colcombet dans les cas d'exceptionnelle dureté ou dans les cas de fautes ?

Marie-Elisabeth BRETON

Personnellement, je suis entièrement d'accord avec vos trois propositions. Au sujet de la prestation compensatoire, nous avions, dans la commission Dekeuwer-Défossez distingué la notion de faute et la notion de prestation. Concernant le devoir de secours, il est selon moi, comme le disait ma consoeur, nécessaire de réformer le texte sur la prestation et d'envisager un maintien dans certains cas de l'obligation de secours parce qu'il existe des situations excessivement difficiles. Nous ne sommes pas en Suède, ni en Norvège où des pratiques sont étatiquement organisées pour ce type de situation. Nous ne pouvons pas appliquer à notre constitution française, chrétienne et latine, des pratiques anglo-saxonnes et protestantes. En ce qui concerne cette demande de maintien du devoir de secours, comme le proposait le Sénateur About, elle me semble être une excellente chose et je pense que ma consoeur est d'accord avec moi.

Andréanne SACAZE

Je voudrais tout d'abord présenter une interrogation aux sénateurs ici présents. Bien sûr, il faut séparer la notion de faute de la notion de prestation compensatoire. Cependant, le mari riche, trompé et abandonné sera redevable d'une prestation compensatoire. Comment allons-nous la lui expliquer ? La femme battue qui est la seule à travailler dans le couple parce qu'elle a un mari qui préfère regarder la télévision et ne fait rien du matin au soir va devoir payer elle aussi une prestation compensatoire dans le cadre de la proposition de loi. Il faut donc bien voir que, sur le plan pratique il va y avoir des conséquences à cette dichotomie. Il faut prendre en considération le cas de la femme qui est restée au foyer et qui a donné tout son temps à ses enfants, à son mari et à l'évolution professionnelle de son conjoint, mais il existe aussi d'autres cas, y compris dans des familles qui ont des difficultés financières sérieuses. Ainsi, je suis favorable à la séparation entre les deux notions, mais je sais par anticipation et je me dois de vous le dire, qu'il peut y avoir des cas pratiques qui ne seront pas évidents à gérer dans ce cadre. Il faut donc réfléchir au libellé du texte afin de lui donner des portes de sorties dans certaines circonstances.

Le problème du devoir de secours demeure pendant la durée de la procédure. C'est post-procédure qu'il y a difficulté. Je crois que c'est par une réforme de la loi sur la prestation compensatoire que l'on pourrait induire cette notion et répondre aux interrogations de certains et de certaines qui ne bénéficient plus de ce devoir de secours post-divorce. Il est clair qu'avec la capitalisation de la prestation compensatoire selon les modalités qui ont été proposées, on a créé une usine à gaz. On ne sait plus comment la gérer, alors que si l'on avait laissé la possibilité d'une rente dans des conditions moins serrées qu'aujourd'hui, je pense que le problème du devoir de secours ne se poserait même plus.

Enfin, au sujet des dommages et intérêts, la proposition de Monsieur Colcombet rappelle l'exceptionnelle dureté par le fait d'exceptionnelle gravité dans le cadre de l'article 266. Il s'agit d'une notion extrêmement subjective et les justiciables vont être laissés à l'appréciation que les magistrats dans leur ensemble feront de cette notion d'exceptionnelle gravité. Dans certains secteurs, les magistrats considèreront que le fait d'être abandonné dans des circonstances douloureuses (une femme relativement âgée abandonnée pour une femme beaucoup plus jeune et plus belle) est d'une exceptionnelle gravité ; pour d'autres, on considérera qu'il s'agit d'un banal adultère qui n'a pas d'exceptionnelle gravité. Ainsi, tant que la Cour de Cassation n'aura pas déterminé la notion d'exceptionnelle gravité, nous aurons des difficultés à appréhender cette notion. Ce terme est trop subjectif pour être inclus dans un texte de loi : il faudrait donner un cadrage plus précis aux magistrats afin que les professionnels du droit que nous sommes puissent aussi guider les justiciables d'une manière convenable.

Pierre FAUCHON

Je suis attentif au fait que, au fur et à mesure que l'on facilite le divorce, nous avons de plus en plus de cas de personnes qui divorcent, sans beaucoup réfléchir, à la va-vite et qui, quelques années après, regrettent leur divorce. Je ne crois pas que ce cas soit si exceptionnel. Ayant pratiqué le divorce, il me semble que la question inévitable dans ce type de procédure est la suivante : dès lors que l'on entre dans le processus judiciaire de divorce, il y a un phénomène d'aspiration. On prend le langage contentieux et l'on envoie du papier bleu. Selon moi, le choc produit par le fait de recevoir du papier bleu qui énumère des griefs provoque immédiatement une réaction et l'on passe d'une simple mésentente ou incompréhension qui aurait pu peut-être se résoudre à une situation réellement conflictuelle qui, du fait de notre intervention, se durcit. Dans les cabinets d'avocats, on sait bien que l'on recherche les reproches à faire à la partie adverse. Nous montons un dossier. Ne pourrait-on pas imaginer une sorte de préalable au contentieux judiciaire qui serait confié à des psychologues professionnels de ce sujet ?

Marie-Elisabeth BRETON

Il y a eu une évolution des moeurs, une évolution de la procédure de divorce et une évolution de la profession d'avocat. Nous sommes aujourd'hui plus dans une position de conciliateur préalable au dépôt d'une requête en divorce. Le divorce pour lequel on appelle des témoins à la barre est définitivement révolu. La cour de Cassation nous a bien aidés puisque nous pouvons émettre des requêtes sans préciser l'objet. Le rôle de l'avocat me paraît donc essentiel dans cette volonté de rendre les ruptures plus soft . Il a un rôle très important au moment où il reçoit le ou les clients pour les mettre face à leurs responsabilités, leur faire peut-être prendre conscience que ce n'est pas le divorce qui va régler leur contentieux et les renvoyer tout naturellement une fois sur deux soit vers un psychologue, soit vers un conseiller conjugal. Nous avons une responsabilité très importante en amont sur l'évolution des procédures de divorce. Les avocats spécialistes en la matière, comme c'est mon cas, travaillent ainsi. Je peux vous rassurer sur ce sujet. Nous arrivons en conciliation dans une démarche qui ne consiste plus du tout à lancer les pétards.

Le rôle du juge est également très important et il joue son rôle actuellement de manière très subtile. Je voudrais rendre hommage aux magistrats. Au fur et à mesure des réformes, on dit souvent que le juge ne sert à rien. Je ne sais comment cela se passe à Paris, mais en province, les juges prennent le temps d'écouter les gens, de tenter une conciliation et lorsqu'ils constatent qu'il demeure une difficulté, éventuellement, ils proposent un renvoi et un délai de réflexion. Ainsi, ce travail est effectué par les magistrats et en amont par les avocats en matière de prise de responsabilité. En effet, parfois, nous faisons face à des couples parfaitement immatures : on ne sait pas pourquoi ils se sont mariés et l'on ne sait pas pourquoi ils divorcent...

Ainsi, la réforme de Colcombet qui veut tirer vers une déjudiciarisation et donner à d'autres le rôle du juge conciliateur me paraît excessivement grave. Je suis clairement contre cette réforme. Je pense qu'il faut adapter les propositions de Dekeuwer-Défossez et réintégrer ce qui a été proposé par le Sénateur About. Pourquoi ne pas reprendre cette notion de rupture pour causes objectives et intégrer cette notion de droit au divorce dans une autre forme de divorce qu'il me semble nécessaire de maintenir ?

René GARREC

Je remercie Maître Breton et Maître Sacaze pour leurs exposés.

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