TITRE II - DIALOGUE SOCIAL ET PRÉVENTION DES CONFLITS DANS LES ENTREPRISES DE TRANSPORT

Article 2 - Accord de prévention des conflits

Objet : Cet article impose aux entreprises de transport public de se doter d'un accord-cadre de prévention des conflits avant le 1 er janvier 2008.

I - Le dispositif proposé

Le paragraphe I prévoit que, dans les entreprises de transport visées à l'article premier, l'employeur et les syndicats représentatifs doivent négocier, avant le 1 er janvier 2008, un accord-cadre organisant une procédure de prévention des conflits et tendant à développer le dialogue social.

Cette disposition vise à généraliser à toutes les entreprises de transport public les bonnes pratiques en vigueur à la RATP et à la SNCF.


L'exemple des accords en vigueur à la RATP et à la SNCF


A la RATP, un dispositif « d'alarme sociale » est défini à l'article 15 de l'accord du 23 octobre 2001, relatif au droit syndical et à l'amélioration du dialogue social, qui fait suite à un précédent accord signé le 30 mai 1996. Il permet à un groupe de syndicats d'obtenir de la direction concernée la tenue d'une réunion, dans un délai de cinq jours, pour examiner toute question susceptible de devenir conflictuelle. Une direction qui repère une situation pré-conflictuelle peut également réunir les syndicats représentatifs dans le même délai. La réunion aboutit à un constat d'accord ou de désaccord, dont tous les syndicats sont informés.

Cette « alarme sociale », qui a été utilisée 580 fois en 2006, a permis de réduire le nombre de conflits sociaux à la RATP. L'entreprise a enregistré, l'an passé, le dépôt de seulement 173 préavis de grève, soit le plus bas niveau observé depuis 1990. Et le nombre de jours de grève par an et par agent s'établit à 0,4, à comparer avec la moyenne du secteur, soit 0,8.


La SNCF a signé, le 28 octobre 2004, un protocole d'accord relatif à l'amélioration du dialogue social et à la prévention des conflits dans l'entreprise, qui a remplacé un précédent accord, approuvé par des syndicats minoritaires en septembre 2003. Son chapitre 4 institue une procédure de « concertation immédiate » , qui permet aux syndicats de saisir la direction concernée d'un différend, c'est-à-dire d'un problème clairement identifié, unique et susceptible de provoquer un conflit. La direction peut également prendre l'initiative de déclencher cette procédure pour aborder les sujets qu'elle considère potentiellement conflictuels.

Le déclenchement de la procédure impose de tenir une première réunion de concertation dans un délai de trois jours ouvrables après la réception de la demande. Elle peut être suivie d'autres réunions, pendant une période de dix jours ouvrables, afin de trouver une solution au problème soulevé. Au terme de cette période, un relevé de conclusions concerté, mettant en exergue les points d'accord et de désaccord, est rédigé et diffusé à l'ensemble du personnel.

La procédure de « concertation immédiate » a permis d'obtenir une baisse de la conflictualité à la SNCF, même si une marge de progression existe encore. En 2006, la SNCF a recensé le dépôt d'environ 700 préavis, contre 1 200 dix ans plus tôt et a dénombré 0,8 jour de grève par agent.

La « concertation immédiate » permet, dans 90 % des cas, de résoudre le problème posé et d'éviter le dépôt d'un préavis de grève. En 2006, la procédure a été utilisée 927 fois et n'a été suivie que dans 114 cas du dépôt d'un préavis. Cependant, elle n'est pas obligatoire avant le dépôt d'un préavis et 84 % des préavis déposés l'an passé n'ont pas été précédés d'une concertation.

Le projet de loi prévoit que le dépôt d'un préavis de grève ne pourra intervenir, désormais, qu'après une phase de négociation préalable entre l'employeur et les organisations syndicales. Cette obligation de négocier doit permettre de traiter les conflits en amont et éviter ainsi le déclenchement de la grève.

Les conditions dans lesquelles se déroule cette négociation préalable seront définies par l'accord-cadre. A défaut d'accord, elles pourront être définies par les partenaires sociaux au niveau de la branche. Le deuxième alinéa du I prévoit, en effet, qu'une négociation pourra être engagée au niveau de la branche pour organiser une procédure tendant au développement du dialogue social et à la prévention des conflits. Trois branches professionnelles sont susceptibles d'être concernées par cette négociation : la branche des transports urbains, celle des transports interurbains et la branche du transport ferroviaire.

Les accords de branche qui définissent les conditions de la négociation préalable prévue avant le dépôt d'un préavis s'appliqueront de plein droit dans les entreprises où aucun accord-cadre n'aura pu être signé ; ils cesseront de s'appliquer dès que l'entreprise se sera dotée d'un accord-cadre. L'accord de branche présente donc un caractère supplétif par rapport à l'accord d'entreprise.

Le troisième alinéa vise le cas des entreprises où, à la date du 1 er janvier 2008, aucun accord-cadre n'aura été signé et qui ne seront pas non plus couvertes par un accord de branche. Dans ce cas, c'est un décret en Conseil d'Etat qui fixera les règles d'organisation et de déroulement de la négociation préalable.

Le décret en Conseil d'Etat présente lui aussi un caractère supplétif : il cessera de s'appliquer dès qu'un accord sera signé, que ce soit au niveau de la branche ou de l'entreprise.

Le paragraphe II précise ensuite les dispositions qui devront obligatoirement figurer dans l'accord-cadre :

- l'accord-cadre détermine les conditions dans lesquelles un syndicat représentatif notifie à l'employeur les motifs pour lesquels il envisage de déposer un préavis de grève ;

- il fixe le délai, qui ne peut dépasser trois jours à compter de la notification, dans lequel l'employeur est tenu de réunir les syndicats représentatifs ;

- il fixe la durée, qui ne peut excéder huit jours à compter de la notification, dont l'employeur et les syndicats disposent pour conduire la négociation préalable ;

- il précise les informations qui doivent être fournies par l'employeur aux syndicats représentatifs, en vue de favoriser le succès de la négociation, et le délai dans lequel ces informations sont fournies ;

- il définit les conditions dans lesquelles la négociation se déroule ;

- il détermine les modalités d'élaboration du relevé de conclusions de la négociation, ainsi que les informations qui y figurent ;

- enfin, il définit les conditions dans lesquelles les salariés sont informés des motifs du conflit et des positions respectives de l'employeur et des syndicats représentatifs et les conditions dans lesquelles ils reçoivent communication du relevé de conclusions de la négociation préalable.

En contenant l'ensemble de ces dispositions, l'accord-cadre offrira aux salariés la garantie que la négociation préalable se déroulera de manière loyale et efficace.

Le paragraphe III a pour objet d'éviter que l'adoption du projet de loi ne remette en cause les accords de prévention des conflits déjà en vigueur dans un certain nombre d'entreprises de transport public.

Sont visés les accords cadres signés à la RATP le 30 mai 1996 et le 23 octobre 2001, à la SNCF le 28 octobre 2004, ainsi que les accords qui ont pu être signés dans d'autres entreprises de transport avant le 1 er juillet 2007. Ces accords demeurent applicables jusqu'à ce qu'ils soient remplacés par de nouveaux accords, qui devront être conformes aux dispositions du présent article.

II - Les propositions de la commission

Votre commission se félicite de l'accent mis par cet article sur la prévention des conflits par le dialogue social. La véritable « culture du conflit » qui prévaut dans certaines entreprises de transport public rend nécessaire la mise en place de nouvelles procédures favorisant la négociation, la création du préavis de grève, en 1963, n'ayant, à l'évidence, pas atteint ses objectifs en la matière.

Cet article s'inspire des expériences mises en oeuvre, avec un certain succès, à la SNCF et, plus encore à la RATP, tout en innovant sur un point essentiel : il rend obligatoire une négociation préalable avant le dépôt d'un préavis de grève . Juridiquement, seule la loi peut imposer une telle obligation, un accord collectif ne pouvant pas apporter de restriction au droit de grève garanti par notre Constitution, ainsi que la chambre sociale de la Cour de cassation l'a rappelé dans un arrêt rendu le 7 juin 1995.

Les auditions auxquelles a procédé votre commission ont révélé l'attachement des partenaires sociaux à la négociation de branche. La conclusion d'un accord de branche facilite la négociation ultérieure d'accords d'entreprise et permet d'égaliser les conditions de concurrence entre les entreprises du secteur.

Votre commission s'étonne, dès lors, que le projet de loi se contente d'inviter les partenaires sociaux à négocier un accord de branche, alors que l'obligation de négocier un accord d'entreprise est exprimée de manière beaucoup plus impérative. Elle vous propose de préciser que les partenaires sociaux devront engager, au niveau de la branche comme de l'entreprise, des négociations en vue de la signature, avant le 1 er janvier 2008, d'un accord de prévention des conflits.

A la SNCF comme à la RATP, le déclenchement de la procédure « d'alarme sociale » ou de « concertation immédiate » est suivi d'une concertation avec les seules organisations syndicales qui ont décidé de déclencher la procédure. Il n'est pas jugé indispensable d'associer à la concertation les autres syndicats, qui ne soutiennent pas nécessairement les revendications exprimées par les organisations à l'origine de la procédure. La convocation de toutes les organisations syndicales pourrait même favoriser les surenchères et ralentir la résolution du différend.

Or, votre commission observe que le projet de loi prévoit que la notification d'un grief à l'employeur lui imposera de négocier avec l'ensemble des organisations syndicales représentatives présentes dans l'entreprise. Afin d'alléger cette procédure, elle vous propose de prévoir que prendront part à la négociation préalable la ou les organisations syndicales ayant notifié un grief à l'employeur . Naturellement, si tous les syndicats représentatifs présents dans l'entreprise expriment une revendication commune, tous seront associés à la négociation préalable.

Votre commission souhaite enfin que la RATP, la SNCF et les autres entreprises de transport dispensées d'appliquer immédiatement cet article, ne restent pas, pour une trop longue période, en dehors du cadre fixé par la loi. Elle observe d'ailleurs que si certains accords sont conclus pour une durée limitée - l'accord RATP arrive à expiration en 2011 - d'autres - comme l'accord SNCF - sont conclus pour une durée indéterminée, ce qui ne permet pas de savoir précisément à quelle date ces entreprises seront soumises au droit commun.

C'est pourquoi votre commission vous propose de prévoir que ces entreprises devront avoir conclu un nouvel accord de prévention des conflits au plus tard le 1 er janvier 2009 . A défaut, elles seront régies par les dispositions de l'accord de branche, s'il existe, ou par celles définies par décret en Conseil d'Etat. Cette disposition permettra d'éviter que certaines entreprises ne demeurent indéfiniment en dehors du droit commun, sans les obliger à remettre en cause, dans l'immédiat, des accords qui peuvent leur donner satisfaction.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

Article 3 -Interdiction des « préavis glissants »

Objet : Cet article vise à mettre un terme à la pratique des « préavis glissants », qui consiste à déposer plusieurs préavis successifs afin que l'employeur ne puisse déterminer le moment du déclenchement de la grève.

I - Le dispositif proposé

L'article L. 521-3 du code du travail, introduit par la loi n° 63-777 du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les transports publics, subordonne l'exercice du droit de grève par les personnels des services publics au dépôt d'un préavis par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives. Le préavis doit parvenir à la direction cinq jours francs avant le déclenchement de la grève. Il en précise le lieu, la date, l'heure du début, ainsi que la durée, qui peut être illimitée.

Le dépôt du préavis doit, en principe, aider l'employeur à assurer la continuité du service public, en empêchant le déclenchement d'une « grève surprise », et faciliter l'information des usagers.

Certains syndicats ont cependant trouvé le moyen de contourner cette obligation légale : le dépôt répété de préavis de grève (un tous les jours de la semaine par exemple) ne permet pas à l'employeur de savoir quand le conflit débutera véritablement et interdit toute prévisibilité pour les usagers des transports.

La jurisprudence fournit des exemples de cette pratique. Le 17 juin 1997, le tribunal de grande instance de Paris a statué sur une demande de la RATP qui contestait le dépôt par la CGT-Métro de cinquante-six préavis en deux mois, pour les six mêmes motifs tournants. Le 20 septembre 2003, il s'est prononcé sur une affaire, opposant les mêmes parties, dans laquelle était contesté le dépôt de trente-cinq préavis au cours de l'hiver 2001.

Les « préavis glissants », bien qu'ils soient contraires aux intentions du législateur, ne sont pas systématiquement sanctionnés par les tribunaux. Le tribunal de grande instance de Paris a ainsi retenu des solutions opposées dans les deux affaires qui viennent d'être citées. En 1997, il a déclaré illicites les préavis déposés par la CGT, considérant que cette pratique, contraire à la loyauté qui doit présider aux rapports de travail, conduisait à instaurer un préavis permanent rendant la grève possible à tout moment, ce qui est prohibé par les textes. En 2003, en revanche, le tribunal a estimé que la pratique reprochée à la CGT n'était pas abusive et fait valoir que le juge n'avait pas qualité, ni compétence, pour apprécier le bien-fondé des revendications d'ordre professionnel présentées par l'une ou l'autre des parties au conflit.

Le 7 juin 2006, la Cour de cassation a eu l'occasion de se pencher sur la question des « préavis glissants », dans le cadre de l'examen d'un pourvoi formé contre une décision rendue en référé. Elle a jugé que cette pratique ne constitue pas un « trouble manifestement illicite », dès lors qu'aucune disposition légale n'interdit l'envoi de préavis de grève successifs (comme c'est le cas pour l'audiovisuel avec l'article 57 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication) et qu'aucun manquement à l'obligation de négocier n'est imputable au syndicat. Cependant, si la Cour de cassation a, par cette décision, contribué à préciser les pouvoirs du juge des référés, juge de l'urgence qui ne statue pas sur le fond des dossiers, elle n'a pas encore tranché de manière définitive la question de la licéité des « préavis glissants ».

Comme il est rappelé dans cet arrêt, le législateur est déjà intervenu pour tenter de mettre un terme à la pratique des « préavis glissants » dans le secteur de l'audiovisuel. Ainsi, l'article 57 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dispose qu'un « nouveau préavis ne peut être déposé par la même organisation syndicale qu'à l'issue du délai de préavis initial et, éventuellement, de la grève qui a suivi ce dernier » .

L'article 3 du présent projet de loi poursuit le même objectif pour les entreprises de transport public entrant dans son champ d'application. Il indique que, lorsqu'un préavis a été déposé par un ou plusieurs syndicats représentatifs, un nouveau préavis ne peut être déposé par la ou les mêmes organisations, et pour les mêmes motifs, avant l'échéance du préavis en cours et avant que la procédure prévue à l'article 2 n'ait été mise en oeuvre.

L'échéance du préavis correspond au moment où la grève peut être régulièrement déclenchée. La procédure visée à l'article 2 correspond à la phase de négociation préalable qui doit avoir lieu avant le dépôt du préavis.

II - Les propositions de la commission

Votre commission approuve cette mesure, qui vise à limiter les abus parfois observés en matière de préavis . On peut cependant regretter que les tribunaux ne les aient pas sanctionnés de manière plus ferme et systématique, sur la base de l'abus de droit ou de la fraude à la loi, ce qui aurait rendu inutile une nouvelle intervention du législateur.

Votre commission observe que la rédaction proposée par le Gouvernement n'interdit pas le dépôt de préavis de grève successifs s'ils émanent de syndicats différents. Un syndicat n'est ainsi pas lié par le préavis déposé par une autre organisation. Même s'il y a là un risque de contournement de l'interdiction des « préavis glissants », votre commission ne souhaite pas remettre en cause cet aspect du dispositif, qui présente l'avantage de respecter le principe du pluralisme syndical dans notre pays.

Le texte du projet de loi ne fait pas non plus obstacle à ce que des préavis successifs soient déposés par un même syndicat, s'ils sont justifiés par des motifs différents. On ne peut exclure que cette faculté laissée aux syndicats soit source d'abus, mais votre commission espère que l'obligation de négocier avant le début d'un préavis suscitera un changement d'état d'esprit de la part des syndicats comme des directions d'entreprise, qui permettra d'éviter, plus sûrement qu'un encadrement législatif trop rigoureux, les excès parfois observés par le passé.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

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