B. DES DÉROGATIONS DESTINÉES À SOUTENIR L'ACTIVITÉ COMMERCIALE ET À RÉPONDRE AUX NOUVELLES HABITUDES DE CONSOMMATION DES MÉNAGES :

Le texte soumis au Sénat propose d'apporter trois modifications au régime des dérogations au repos dominical.

1. Dans les communes et les zones touristiques

a) Le dispositif proposé

Aujourd'hui, dans les communes et les zones touristiques, certains commerces - ceux qui mettent à disposition du public des biens et services destinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente ou de loisirs d'ordre sportif, récréatif ou culturel - sont autorisés à ouvrir le dimanche pendant la saison touristique.

Cette réglementation s'est révélée à l'usage restrictive et complexe à mettre en oeuvre : elle ne permet pas au magasin Louis Vuitton des Champs-Elysées d'ouvrir le dimanche, alors que dans l'esprit de nombreux touristes, l'image de la France est associée à celle du luxe et de la mode 11 ( * ) ; un magasin qui vend des lunettes de soleil peut ouvrir mais pas un magasin qui vend des lunettes de vue ; des boutiques de vêtements prétendent être des boutiques de « créateur » pour avoir le droit d'ouvrir le dimanche, etc.

La proposition de loi vise à simplifier les règles applicables dans les communes et les zones touristiques : tous les commerces qui y sont implantés auraient désormais le droit d'ouvrir le dimanche, et ce tout au long de l'année. Cette nouvelle disposition permettrait à la France, première destination touristique mondiale, de tirer le meilleur parti de la présence de nombreux visiteurs étrangers sur son territoire.

b) Quel est le champ d'application de cette mesure ?

A l'Assemblée nationale, les députés membres du groupe socialiste, républicain et citoyen (SRC) ont affirmé que cette nouvelle réglementation concernerait environ six mille communes, soit près d'une commune sur six, et aboutirait donc à une extension considérable du travail dominical.

En réalité, le nombre de communes dans lesquelles s'appliquera cette nouvelle législation est légèrement inférieur à cinq cents, auxquelles s'ajoutent une vingtaine de zones touristiques 12 ( * ) .

Cet écart s'explique par le fait que les parlementaires socialistes ont fait référence au nombre de communes touristiques au sens du code du tourisme, alors que c'est la notion de commune touristique au sens du code du travail qui doit être retenue.

Dans son article L. 133-11, le code du tourisme qualifie en effet certaines communes de « touristiques ». Selon ce texte, peuvent être dénommées communes touristiques :

- celles qui mettent en oeuvre une politique du tourisme et qui offrent des capacités d'hébergement pour l'accueil d'une population non résidente ;

- et celles qui bénéficient de la dotation supplémentaire ou de la dotation particulière identifiées au sein de la part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

Dans la mesure où la proposition de loi modifie le code du travail, c'est bien la notion de commune touristique au sens de ce code qui doit être prise en compte. L'article R. 3132-20 du code du travail énumère les critères qui doivent être remplis pour qu'une commune figure sur la liste des communes touristiques : « les communes doivent accueillir pendant certaines périodes de l'année une population supplémentaire importante en raison de leurs caractéristiques naturelles, artistiques ou historiques ou de l'existence d'installations de loisirs ou thermales à forte fréquentation. Les critères notamment pris en compte sont :

1° Le rapport entre la population permanente et la population saisonnière ;

2° Le nombre d'hôtels ;

3° Le nombre de gîtes ;

4° Le nombre de campings ;

5° Le nombre de lits ;

6° Le nombre des places offertes dans les parcs de stationnement d'automobiles. »

Le nombre de communes touristiques par département est précisé dans un tableau figurant en annexe du présent rapport. Votre rapporteur regrette que le ministère du travail ne soit pas en mesure de fournir la liste nominative des communes concernées, dont les préfets devraient pourtant disposer puisque ce sont eux qui établissent la liste des communes touristiques.

Néanmoins, vu le nombre de communes classées touristiques au sens du code du travail, la nouvelle législation relative au repos dominical ne s'appliquera, à l'évidence, qu'à une faible fraction des quelque 1,7 million de salariés employés en France dans le commerce de détail, probablement de l'ordre de quelques dizaines de milliers.

Naturellement, la liste des communes et des zones touristiques n'est pas figée. Cependant, comme l'a rappelé Xavier Darcos, ministre du travail, lors du débat à l'Assemblée nationale 13 ( * ) , ce nombre n'évolue que lentement : depuis dix ans, on ne compte, en moyenne, que trois communes touristiques supplémentaires chaque année. L'initiative du classement en commune touristique appartient, de plus, au maire et répond donc à des besoins locaux bien identifiés 14 ( * ) .

c) Les contreparties accordées aux salariés

Lors de leur audition par votre commission 15 ( * ) , les syndicats de salariés ont souligné que la proposition de loi ne garantit, pour les salariés travaillant le dimanche dans les communes et les zones touristiques, ni repos compensateur, ni majoration salariale, ni droit au volontariat. Ils estiment que cette situation crée une inégalité avec les salariés des Puce, qui bénéficieront de ces garanties.

L'exposé des motifs de la proposition de loi apporte un premier élément d'explication à cette différence de traitement. Il explique que « s'agissant des contreparties légales, le texte distingue deux types de situation :

- d'une part, celles dans lesquelles le travail du dimanche constitue une dérogation de plein droit et découle des caractéristiques de l'activité même (ce qui est le cas des 180 dérogations de droit existantes comme, par exemple, les restaurants, hôpitaux, pompes à essence, cinéma...) ou de la zone dans laquelle se situe le commerce (ce qui est le cas dans les zones touristiques et thermales) ;

- d'autre part, celles pour lesquelles une autorisation administrative temporaire et individuelle conditionne l'emploi de salariés le dimanche.

Dans le premier cas, tout emploi est susceptible d'impliquer pour un salarié un travail le dimanche puisque cela découle de facteurs structurels.

Dans l'autre cas, le travail des salariés le dimanche revêt un caractère exceptionnel et est subordonné à une autorisation individuelle donnée par l'administration. Il est donc normal que les salariés concernés bénéficient de contreparties prévues par la loi dans cette seconde situation. »

Par ailleurs, votre rapporteur rappelle que les conventions collectives peuvent prévoir des avantages pour les salariés travaillant le dimanche. L'Assemblée nationale a fort opportunément adopté un amendement qui impose que les partenaires sociaux négocient, dans le secteur du commerce de détail, des contreparties pour les salariés privés de repos dominical, partout où de telles contreparties ne sont pas déjà prévues.

2. Les Puce

La création des « périmètres d'usage de consommation exceptionnel » (Puce) vise à résoudre le problème suivant : certaines zones commerciales ont pris l'habitude d'ouvrir le dimanche, parfois depuis des décennies, le plus souvent sur le fondement d'arrêtés préfectoraux autorisant l'ouverture dominicale qui ont été ensuite annulés par les tribunaux. Ces commerces se retrouvent ainsi dans l'illégalité et peuvent être condamnés à payer de lourdes astreintes s'ils continuent à ouvrir le dimanche. Une vingtaine de zones commerciales sont aujourd'hui confrontées à ce problème, par exemple « Plan-de-Campagne » dans les Bouches-du-Rhône ou Eragny dans le Val d'Oise.

a) Les habitudes de consommation propres aux grandes agglomérations

Des usages de consommation se sont créés le dimanche dans ces zones commerciales, dont le succès démontre qu'elles répondent aux besoins d'un grand nombre de ménages vivant dans les grandes agglomérations.

En Ile-de-France comme dans les Bouches-du-Rhône, les consommateurs manquent souvent de temps, en semaine, pour effectuer la totalité de leurs achats et les magasins sont saturés le samedi. L'accès à ces centres commerciaux, situés en périphérie des grandes villes, n'est en outre pas toujours aisé pendant la semaine, en raison de la densité du trafic automobile. L'ouverture dominicale de ces enseignes facilite donc la vie quotidienne de nombreux consommateurs.

Une enquête, réalisée en 2008 par le centre de recherches pour l'étude et l'observation des conditions de vie, le confirme 16 ( * ) : elle montre que près de 69 % des habitants de l'agglomération parisienne profiteraient de l'ouverture des magasins le dimanche pour faire des achats ce jour là, plutôt que le reste de la semaine. Dans les communes rurales, ce chiffre n'est que de 31,8 % et de 43 % dans les communes de moins de 20 000 habitants.

b) Un enjeu important sur le plan social

Outre l'intérêt pour le consommateur de pouvoir faire ses courses le dimanche, il convient de rappeler qu'une décision de fermeture autoritaire de ces enseignes aurait un coût en termes d'emplois : des licenciements seraient inévitables, compte tenu de la part importante de leur chiffre d'affaires que ces commerces réalisent le dimanche.

Au-delà, il faut souligner que certaines zones commerciales sont également devenues de véritables lieux de vie et d'animation, de sorte que leur fermeture serait mal comprise par les populations locales. Tel est le cas à « Plan-de-Campagne », qui est situé entre Marseille et Aix-en-Provence.

L'étude précitée du conseil économique et social explique ainsi que « Plan-de-Campagne n'est pas qu'un lieu de commerce, c'est aussi un lieu de rencontre. Il y a des commerces (mais les grandes surfaces sont fermées le dimanche), mais aussi beaucoup de restaurants, de tous niveaux, des cinémas et tous les loisirs en salle possibles. Les jeunes se donnent rendez-vous à Plan-de-Campagne. Il y a beaucoup d'espace et de vastes parkings. La clientèle des magasins, des restaurants ou des lieux de loisirs est très diverse. Il y a les familles, mais aussi beaucoup de jeunes et de personnes âgées » 17 ( * ) .

c) La solution proposée

La proposition de loi envisage que, dans les agglomérations de plus d'un million d'habitants (soit Paris, Marseille, Lyon et Lille), des Puce puissent être délimités par le préfet, sur demande du conseil municipal, là où existe un usage de consommation de fin de semaine , intéressant une clientèle suffisamment importante et éloignée de ce périmètre. Pour plus de précision, l'Assemblée nationale a préféré faire figurer dans le texte la notion « d'usage de consommation dominicale » .

Des Puce pourraient également être délimités dans les zones frontalières , qui subissent la concurrence de commerces situés à l'étranger. Tel est notamment le cas du département du Nord vis-à-vis des boutiques situées en Belgique qui ouvrent régulièrement le dimanche.

Une fois le Puce délimité, les commerces qui souhaitent ouvrir le dimanche devraient solliciter, auprès de la préfecture, une autorisation qui leur serait délivrée seulement si les contreparties auxquelles ont droit les salariés travaillant le dimanche ont été préalablement définies, soit par voie d'accord collectif, soit par référendum d'entreprise. Dans cette deuxième hypothèse, les salariés auraient droit, au minimum, à un repos compensateur et à un salaire double.

Le texte vise à garantir le volontariat des salariés, qui devront donner leur accord pour travailler le dimanche et ne pourront être sanctionnés en cas de refus. L'Assemblée nationale a adopté un amendement qui rend cet accord réversible : tous les ans, le salarié serait invité par son employeur à renouveler son accord et aurait le droit de ne plus travailler le dimanche trois mois après lui avoir fait part de sa décision d'y renoncer.

Certains salariés, en début de carrière notamment, peuvent trouver financièrement intéressant de travailler le dimanche et de bénéficier d'une rémunération majorée. Il est important qu'ils puissent revenir ensuite sur ce choix, si leur situation familiale a évolué et qu'ils souhaitent par exemple se consacrer à l'éducation de leurs enfants en bas âge.

* 11 Cette interdiction a été confirmée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 11 mars 2009 : la Haute juridiction administrative a annulé un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris, qui avait autorisé le magasin à ouvrir au motif que les articles de maroquinerie, joaillerie, vêtements et accessoires proposés à la clientèle font partie des attraits touristiques de la capitale et au motif que le magasin commercialise aussi des livres d'art et de voyages, expose des oeuvres d'art et accueille des manifestations culturelles ; le Conseil d'Etat n'a pas suivi ce raisonnement et a considéré que la dérogation à la règle du repos dominical devait être interprétée strictement.

* 12 Sept zones touristiques se trouvent à Paris : une partie de la rue de Rivoli, la place des Vosges et la rue des Francs-Bourgeois, la rue d'Arcole (près de la cathédrale Notre-Dame), les Champs-Élysées, le viaduc des Arts, la Butte Montmartre et une partie du boulevard Saint-Germain.

* 13 Cf. le compte-rendu intégral de la première séance du mardi 7 juillet 2009, J.O. Assemblée nationale n° 86 (XIIIe législature) p. 6013.

* 14 La proposition de loi prévoit cependant de faire une exception pour Paris où la décision appartiendrait au préfet.

* 15 Cf. le compte-rendu de la table ronde organisée avec les représentants des organisations syndicales, p. 37.

* 16 « L'ouverture des commerces le dimanche : opinion des Français, simulation des effets », par Philippe Moati et Laurent Fouquet, Crédoc, novembre 2008.

* 17 Cf. « Les mutations de la société et les activités dominicales », étude présentée par Jean-Paul Bailly au nom du Conseil économique et social, décembre 2007, p. 35.

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