B. LES ASSIGNATIONS À RÉSIDENCE

1. Présentation du cadre juridique des assignations à résidence

Les assignations à résidence, dont le cadre juridique a été profondément révisé par la loi du 20 novembre 2015 précitée, voient leurs modalités définies à l'article 6 de la loi du 3 avril 1955. Ce dernier dispose que le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans une des zones où l'état d'urgence reçoit application et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics 20 ( * ) dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence a été déclaré.

La loi du 20 novembre 2015 a par ailleurs apporté plusieurs précisions aux modalités de mise en oeuvre de ce dispositif et donné au ministre de l'intérieur la possibilité d'assortir l'assignation par des mesures complémentaires, en particulier :

- faire conduire la personne sur le lieu de l'assignation à résidence par les services de police ou les unités de gendarmerie ;

- astreindre la personne à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures ;

- obliger la personne à se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés ;

- ordonner la remise à ces services du passeport ou de tout document justificatif de l'identité, en échange de quoi il est délivré à la personne un récépissé valant justification de son identité sur lequel sont mentionnées la date de retenue et les modalités de restitution du document ;

- interdire à la personne de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Cette interdiction est levée dès qu'elle n'est plus nécessaire ;

- placer, sous certaines conditions, la personne sous surveillance électronique mobile.

Le cadre juridique du placement sous surveillance électronique mobile
pour les personnes assignées à résidence

Selon les termes de l'article 6 de la loi de 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 21 ( * ) , le placement sous surveillance électronique mobile, sur décision du ministre de l'intérieur, d'une personne assignée à résidence est possible « lorsque la personne assignée à résidence a été condamnée à une peine privative de liberté pour un crime qualifié d'acte de terrorisme ou pour un délit recevant la même qualification puni de dix ans d'emprisonnement et a fini l'exécution de sa peine depuis moins de huit ans ». Le placement est prononcé « après accord de la personne concernée, recueilli par écrit ». La personne concernée est astreinte, pendant toute la durée du placement, au « port d'un dispositif technique permettant à tout moment de déterminer à distance sa localisation sur l'ensemble du territoire national. Elle ne peut être astreinte ni à l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police et de gendarmerie, ni à l'obligation de demeurer dans le lieu d'habitation mentionné au deuxième alinéa. Le ministre de l'intérieur peut à tout moment mettre fin au placement sous surveillance électronique mobile, notamment en cas de manquement de la personne placée aux prescriptions liées à son assignation à résidence ou à son placement ou en cas de dysfonctionnement technique du dispositif de localisation à distance ».

2. Une large utilisation des assignations à résidence
a) Bilan quantitatif des assignations

Depuis la déclaration de l'état d'urgence le 13 novembre dernier, 392 décisions d'assignations à résidence ont été prises par le ministre de l'intérieur. L'entrée en vigueur de ces mesures a été particulièrement concentrée dans le temps puisque 307 assignations à résidence , soit les trois quarts, ont été prononcées entre le 15 et le 30 novembre 2015 , un peu moins de 70 au cours du mois de décembre et seulement une quinzaine au mois de janvier 2016.

Votre rapporteur avait, dès le 3 décembre 2015, saisi par courrier le ministre de l'intérieur d'une demande sur les modalités d'application de ce dispositif. Dans sa réponse en date du 8 décembre, le ministre a précisé que les mesures d'assignations avaient été prises pour les deux finalités que constituaient, d'une part, la préservation de la sécurité et de l'ordre publics dans le contexte de la conférence internationale sur le climat (réunion dite de la « COP 21 »), se tenant en région parisienne du 30 novembre au 12 décembre 2015, et, d'autre part, en raison des risques que représentaient les intéressés au titre de leur radicalisation islamiste. Le ministre ajoutait que chaque dossier avait ainsi fait l'objet d'éléments circonstanciés transmis par l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), donnant ensuite lieu à une instruction par les services du ministère de l'intérieur 22 ( * ) . Au niveau de la phase d'instruction, de nombreuses demandes transmises par l'UCLAT ne se sont pas, en définitive, traduites par une décision d'assignation, le ministère les ayant considérées insuffisamment étayées.

En ce qui concerne les assignations à résidence prononcées pour prévenir les troubles à l'ordre public pendant la COP 21, vingt-sept personnes , sur un total de 103 dossiers transmis par les services, ont fait l'objet d'une telle mesure. Ces assignations ont produit leurs effets juridiques entre leur date de notification aux intéressés, le 24 ou le 25 novembre selon les cas, et le 12 décembre 2015, date de la fin du sommet. Lors de son audition devant votre commission le 2 février dernier, le ministre de l'intérieur a précisé que ces assignations avaient concerné non pas « des militants écologistes mais des individus violents ».

Pour les assignations en lien avec l'islamisme radical, 365 décisions ont été prises par le ministre de l'intérieur, 26 d'entre elles ayant été abrogées après un réexamen par les services ou pour éviter une annulation contentieuse.

Le réexamen périodique des assignations à résidence

Votre rapporteur note que le ministre de l'intérieur a, par une circulaire en date du 30 novembre 2015 23 ( * ) , demandé aux préfets de procéder à une « réévaluation régulière » de la pertinence des mesures d'assignation à résidence. Le ministre souligne que les personnes intéressées « peuvent en effet apporter des informations nouvelles sur leur situation », susceptibles de l'amener à « reconsidérer le principe même de l'assignation, ou ses modalités, notamment au regard de recours gracieux » dont les préfets auraient pu être destinataires. Il indique d'ailleurs que les services du ministère de l'intérieur en charge des assignations à résidence saisiront les préfets des mesures d'assignation déjà prononcées en vue de leur réévaluation. Enfin, dans cette même circulaire, le ministre invite les préfets, bien que la compétence d'assignation relève des prérogatives du ministre, à se prononcer « en fonction du contexte local » et de leur « connaissance des profils concernés » sur les nouvelles propositions d'assignation à résidence formulées par les services de police ou de gendarmerie, à charge pour eux de valider personnellement toute nouvelle proposition, cette validation devant porter « à la fois sur le principe de la mesure, mais aussi sur ses modalités de mise en oeuvre, en particulier sur le nombre de pointages et l'obligation de demeurer au domicile pendant une plage de temps donnée ».

Au total, 339 assignations à résidence demeurent en vigueur à la date du 4 février 2016. Contrairement à celles prononcées dans le cadre de la COP 21, ces assignations ne cesseront de produire leurs effets qu'à la fin de l'état d'urgence, conformément à l'article 14 de la loi du 3 avril 1955.

b) Modalités de mise en oeuvre des assignations

Au regard des précisions fournies par le ministre de l'intérieur dans sa réponse du 8 décembre et d'autres éléments d'information transmis par ses services, votre rapporteur relève tout d'abord que les personnes concernées sont , dans la plupart des cas, assignées à résidence sur le territoire de la commune de leur domicile et disposent, à de rares exceptions près, d'une dérogation prévue dans l'arrêté d'assignation pour se rendre sur leur lieu de travail si celui-ci n'est pas situé sur le territoire de la commune d'assignation. Tout déplacement sur le territoire d'une autre commune, pour une raison professionnelle ou familiale par exemple, nécessite, pour l'intéressé, d'obtenir une autorisation écrite préalable de la part de l'autorité préfectorale (sauf-conduit). En outre, toutes les assignations sont assorties de l'obligation pour la personne de demeurer la nuit dans un lieu d'habitation, qu'il s'agisse de son domicile propre ou, dans de rares cas, du domicile d'un tiers 24 ( * ) , pendant une période comprise en général entre huit et dix heures . Enfin, l'assignation à résidence est, pour les deux tiers des personnes concernées, assortie de l'obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat ou à l'unité de gendarmerie territorialement compétente, cette obligation étant fixée à une ou deux fois par jour pour le tiers restant.

Seules deux assignations ont été complétées par l'obligation de remise des documents d'identité et deux autres cas , distincts des deux précédents, l'ont été par une interdiction d'entrer en relation avec des personnes nommément désignées . En revanche, la faculté donnée aux forces de l'ordre d'escorter la personne sur son lieu de résidence n'a pas été utilisée, de même qu'aucune assignation n'a été assortie d'un placement sous surveillance électronique mobile . Cette absence d'utilisation de la faculté de placement sous surveillance électronique n'étonne en rien votre rapporteur au regard des conditions extrêmement restrictives qui ont été retenues dans l'amendement du Gouvernement, sur lequel le Sénat n'a pu se prononcer en novembre dernier compte tenu des conditions d'examen du texte.

S'agissant du profil des personnes assignées à résidence, votre rapporteur tient enfin à souligner que, selon les précisions fournies par le ministre de l'intérieur lors de son audition, 83 % de ces personnes étaient connues pour leurs liens avec l'islamisme radical et faisaient précédemment, à ce titre, l'objet d'une attention particulière de la part des forces de l'ordre 25 ( * ) .

Enfin, d'après les renseignements provenant du ministère de la justice, les mesures d'assignations à résidence ont donné lieu à 31 infractions dues au non-respect de leurs prescriptions, passibles des sanctions prévues à l'article 13 de la loi du 3 avril 1955, ayant débouché sur le prononcé de 13 peines 26 ( * ) .

L'article 13 de la loi du 3 avril 1955 punit de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le non-respect des limites géographiques de l'assignation tandis que le non-respect, le cas échéant, du maintien dans le domicile la nuit, de l'obligation de présentation périodique au commissariat ou à la gendarmerie, de la remise des documents d'identité, de l'interdiction d'entrer en contact avec une ou plusieurs personnes et du placement sous surveillance électronique mobile l'est d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.


* 20 Dans sa rédaction avant l'entrée en vigueur de la loi du 20 novembre 2015, l'article 6 visait les personnes « dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics ».

* 21 Cette nouvelle faculté résulte du vote par les députés d'un amendement présenté par le Gouvernement.

* 22 Direction des libertés publiques et des affaires juridiques, dont votre comité de suivi a auditionné le directeur, M. Thomas Andrieu.

* 23 Circulaire NORINTK4522851J du ministre de l'intérieur du 30 novembre 2015 - Assignations à résidence dans le cadre de l'état d'urgence .

* 24 Parents ou amis.

* 25 Mention dans les fichiers des services de renseignement.

* 26 6 peines d'emprisonnement ferme, 2 d'emprisonnement avec sursis, 1 d'emprisonnement assortie du sursis avec mise à l'épreuve, 1 amende, 1 peine de substitution, 1 mesure de sanction éducative et 1 dispense de peine.

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