II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une politique de gestion active des participations facilitée par l'adoption des droits de vote doubles

Votre rapporteur spécial se félicite de la poursuite de la politique de « gestion active » des participations , marquée notamment par la cession des titres Safran, pour un montant total de 1,79 milliard d'euros.

Cette politique, qui consiste pour l'État à réduire certaines de ses participations historiques, dès lors que le niveau de contrôle ou d'influence n'est pas significativement affecté, permet en effet de « contribuer à l'effort de désendettement et de réinvestir dans des entreprises de secteurs porteurs de développement économique » 245 ( * ) .

Dans ce cadre, la loi dite « Florange » 246 ( * ) permet, via l'instauration de droits de vote doubles, d'augmenter les marges de manoeuvre de l'État actionnaire, en desserrant notamment la contrainte que peuvent représenter les seuils minimum de détention publique fixés par le législateur. Comme le souligne la Cour des comptes, le développement des droits de vote doubles contribue à expliquer la hausse de 6,5 milliards d'euros de la valeur du portefeuille coté juridiquement cessible de l'État observée en 2015, en dépit d'une baisse de 10,2 milliards d'euros de la valeur globale du portefeuille 247 ( * ) .

À titre d'illustration, avec la cession de 0,48 % du capital d'Engie, le niveau de détention publique est passé temporairement sous le minimum légal d'un tiers. Toutefois, l'instauration de droits de vote doubles a permis à l'État de revenir dès le 2 avril 2016 à un niveau de détention supérieur au minimum légal.

Aussi, il apparaît tout à fait légitime pour l'État de soutenir activement la mise en place de droits de vote doubles, qui permet par ailleurs de favoriser l'émergence d'un bloc stable d'actionnaires de référence au sein des entreprises concernées.

Dans le cas de Renault, votre rapporteur spécial soutient pleinement la décision d'acquérir temporairement 14 millions de titres, compte tenu de l'opposition manifestée par la direction à l'introduction de droits de vote doubles.

Cette opération conduit néanmoins à s'interroger sur la transparence de certaines décisions de l'État actionnaire. Si l'objectif initial était de revendre les titres Renault avant la fin de l'année, l'État a légitimement souhaité se prémunir contre une éventuelle baisse de leur valeur en souscrivant auprès de Deutsche Bank des options, dont le dénouement était échelonné linéairement entre le 7 octobre 2015 et le 28 décembre 2015. Sur cette période, lorsque le cours de l'action Renault était inférieur au prix d'exercice des options d'achats détenues par l'État, Deutsche Bank a donc versé à l'État la différence entre le prix d'exercice et le cours du jour. Pourtant, ces versements en numéraire ne figurent pas au CAS « Participations financières de l'État ». Interrogée sur ce point, l'APE a justifié cette absence de transparence par la nécessité de limiter toute diffusion d'informations sur le coût total de l'opération, afin d'éviter de révéler aux marchés le « point d'équilibre ».

Votre rapporteur spécial estime néanmoins que ces informations auraient pu être rendues publiques dans la mesure où il est possible, à partir des informations disponibles dans la presse sur la couverture, d'obtenir une bonne approximation des montants en jeu.

Un cadre de gestion affaibli par le recours accru à des holdings ?

Dans sa note d'exécution budgétaire, la Cour des comptes souligne comme l'an passé que le cadre de gestion du CAS pourrait être fragilisé par le recours accru à des holdings 248 ( * ) . Si cette évolution offre une souplesse de gestion accrue à l'État actionnaire, elle est en effet susceptible de rendre moins lisible, d'un point de vue budgétaire et patrimonial, les opérations conduites, dans la mesure où elles ne font plus systématiquement l'objet d'une inscription sur le CAS « Participations financières de l'État ».

Il doit toutefois être noté que l'APE s'est engagée à retracer l'ensemble des opérations conduites par ces entités dans les documents budgétaires et à inclure ces opérations dans le périmètre des indicateurs de performance pertinents 249 ( * ) .

Par ailleurs, la Cour des comptes estime que les redéploiements de crédits du PIA vers le CAS « Participations financières de l'État » auraient dû faire l'objet d'une autorisation en loi de finances, conformément aux recommandations formulées dans le cadre de son rapport public thématique 2015 250 ( * ) .

Source : commission des finances du Sénat

2. La nécessité d'une nouvelle stratégie pour assurer la soutenabilité du compte

À l'issue de l'exercice 2015, le solde cumulé du compte spécial s'établit à 2,4 milliards d'euros .

Pour autant, ce montant n'apparaît pas suffisant pour assurer l'ensemble des dépenses auxquelles le compte pourrait devoir faire face à court ou moyen terme , dans un contexte marqué par la nécessité de recapitaliser le secteur énergétique français.

Évaluation du besoin de financement potentiel du compte

(en millions d'euros)

Dépenses

Montant

Horizon

Dépenses prévues

Agence française de développement

280

2016

Banques multilatérales de développement

250

2016

Prêt Société territoriale calédonienne de participation industrielle

200

2016

Dotation Fonds de financement du logement intermédiaire

54

2016

Augmentation de capital du Laboratoire du fractionnement et des biotechnologies

40

2016

Dépenses supplémentaires potentielles

Recapitalisation Areva

3 500

Fin 2016 / début 2017

Recapitalisation EDF

3 000

Fin 2016 / début 2017

Levée options d'achat Alstom

2 018

D'ici fin 2017

Libération capital Bpifrance

1 150

D'ici juillet 2018

Total

10 492

Solde cumulé à l'issue de l'exercice 2015

2 399

Besoin de financement potentiel

8 093

Note de lecture : le montant retenu pour la recapitalisation d'Areva et d'EDF correspond à l'estimation du Commissaire aux participations de l'État (Les Échos, 17 mai 2016)  ; le coût de la levée totale des options d'achat Alstom a été calculé à partir du cours plancher prévu par l'accord de prêt ; le solde du capital de Bpifrance doit être libéré par l'État dans le délai légal de cinq ans conformément à l'article L. 225-144 du code de commerce.

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires, les réponses au questionnaire adressé à l'APE, les notes d'exécution budgétaire 2014 et 2015 de la Cour des comptes ainsi que les déclarations publiques du Commissaire aux participations de l'État)

Pour répondre à ce besoin de financement potentiel, il n'existe à l'heure actuelle qu'une seule recette annoncée, liée à la cession des participations majoritaires détenues par l'État au capital des sociétés de gestion des aéroports de Nice et de Lyon . Or, les estimations situent la valorisation de la participation de l'État entre 900 millions d'euros et un milliard d'euros s'agissant de l'aéroport de Nice et aux environs de 540 millions d'euros s'agissant de l'aéroport de Lyon.

En conséquence, l'État actionnaire pourrait être contraint de dégager à court ou moyen terme plusieurs milliards d'euros de recettes tirées des cessions, dans un contexte de marché pourtant particulièrement défavorable.

Aussi, afin de préserver les intérêts patrimoniaux de l'État, il apparaît nécessaire d'envisager une stratégie alternative.

Tout d'abord, le besoin de financement potentiel pourrait conduire à une « pause » dans la contribution du CAS à la politique de désendettement, dans un contexte de taux bas prolongés. À ce titre, votre rapporteur spécial partage les propos tenus par le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique devant votre commission le 25 mai 2016 : « l'objectif de contribution au désendettement doit demeurer mais, patrimonialement, ce serait se tirer une balle dans le pied que d'utiliser le capital du compte d'affectation spéciale pour se désendetter, en nous obligeant à céder des titres dans un contexte de marché défavorable » 251 ( * ) .

Si cette évolution n'était pas suffisante pour couvrir les besoins de financement et que le contexte de marché demeurait défavorable , une contribution du budget général pourrait opportunément être envisagée . À cet égard, il peut être noté que la recapitalisation de France Télécom en 2002, réalisée dans un contexte de marché très défavorable, n'avait pas été réalisée par le biais du compte d'affectation spéciale des produits de cessions de titres, droits et parts de sociétés n° 902-24 252 ( * ) .

3. Un dispositif de performance aux résultats contrastés, en raison des difficultés du secteur énergétique

Les indicateurs de l'objectif n° 1 du programme 731 « Opérations en capital intéressant les participations financières de l'État » retracent l'évolution des paramètres financiers du portefeuille de l'État actionnaire . En 2015, la rentabilité du portefeuille s'élève à - 9,82 %, pour une cible de 6 %. À titre de comparaison, la performance du CAC 40 au cours de la même période est de 12,06 %.

Cette mauvaise performance s'explique principalement par le poids du secteur énergétique, qui représentait 61,7 % du portefeuille au 30 avril 2015 , et plus particulièrement de la participation détenue au sein d'EDF (43 % du portefeuille).

S'agissant de l'objectif n° 2 « Assurer le succès des opérations de cessions des participations financières », qui reflète plus directement la performance de l'APE dans la mesure où il permet d'évaluer les conditions d'exécution des opérations menées, les résultats sont en revanche particulièrement satisfaisants.

En effet, l'État a cédé ses participations en 2015 dans des conditions de marché très favorables : l'écart entre les recettes de cessions et la valeur boursière moyenne des six derniers mois précédant et suivant chaque opération a représenté 8,73 % des recettes de cessions, contre 3 % en 2014 et 0,13 % en 2013.

4. Un dispositif de performance qui demeure inadapté

Les indicateurs de performance associés au présent compte spécial présentent des faiblesses relevées chaque année tant par votre rapporteur spécial que par la Cour des comptes .

Ainsi, près de la moitié des résultats des indicateurs ne sont pas renseignés pour l'exercice 2015 , compte tenu notamment de la date à laquelle les comptes des entreprises sont arrêtés. Par ailleurs, aucun objectif n'est fixé pour ces indicateurs.

Aussi, votre rapporteur spécial s'associe pleinement aux remarques de la Cour des comptes appelant à une relance de la réflexion sur la refonte du dispositif de performance du compte .


* 245 Communiqué de presse de l'APE du 30 novembre 2015.

* 246 Loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle.

* 247 La valeur du portefeuille coté juridiquement cessible de l'État s'élève désormais 33,8 milliards d'euros, pour une valeur globale de 67,5 milliards d'euros. Cf. Cour des comptes, Note d'exécution budgétaire 2015, p. 6

* 248 À titre d'exemple, la Cour des comptes mentionne la création de Holding SP afin de regrouper l'ensemble des participations publiques de l'Agence pour la diffusion de l'information technologique (ADIP).

* 249 Cour des comptes, Note d'exécution budgétaire 2015, p. 35

* 250 Cour des comptes, rapport public thématique 2015, Le programme d'investissement d'avenir, Annexe 4, p. 127 : « Enfin, dans certains cas, les redéploiements impliquent une modification substantielle de l'autorisation parlementaire et doivent donc faire l'objet d'une autorisation en loi de finances. Il s'agit particulièrement des cas (...) où la nature des crédits est différente (exemple : passage d'une intervention en subvention à une intervention en fonds propres à partir du CAS PFE). »

* 251 Compte rendu de la commission des finances, Audition d'Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, 25 mai 2016.

* 252 Cf. rapport n° 222 (2002-2003) fait par Pierre Hérisson au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan sur le projet de loi modifiant l'article 1 er -1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications.

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