II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Des mouvements de crédits complexes peu explicités

Même si la gestion infra-annuelle des crédits de la mission ne fait pas ressortir de mouvements dénaturant le vote de la loi de finances initiale, et par conséquent l'autorité de la décision parlementaire, votre rapporteur spécial considère que le Parlement ne saurait se contenter d'une information aussi succincte que celle fournie à l'occasion du décret d'avance intervenu en novembre 2015.

L'annulation de plus de 60 millions d'euros de crédits de paiement (quelque 2,3 % des crédits initialement ouverts sur le programme 169) mérite mieux que l'information selon laquelle elle porte sur la réserve de précaution. Étant donné les habitudes prises en matière de gel, qui, de plus en plus, suscitent la perplexité, une telle motivation pourrait revenir à vider l'autorisation parlementaire d'une partie de sa portée sans autre explication que tautologique.

La note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes précise les motifs de cette annulation. Il s'agissait d'annuler le solde positif prévisible du programme pour 22 millions d'euros et de réviser à la baisse les versements programmés au CAS « Pensions » pour un montant de 40 millions d'euros en raison d'un excédent constaté sur le compte d'affectation spéciale.

Une partie des difficultés de « lecture budgétaire » des crédits de la mission provient des relations entre celle-ci et le compte d'affectation spécial « Pensions ». La mission alimente le compte afin que celui-ci puisse régler les prestations des bénéficiaires. Mais cette alimentation n'est pas nécessairement calibrée à due proportion des dépenses de pensions. Ainsi, en 2015, ces dépenses ont excédé de 42,1 millions d'euros les apports de la mission aux ressources du CAS. C'est qu'il faut compter avec la gestion du « fonds de roulement » de cette section du CAS « Pensions » qui avait atteint près de 60 millions d'euros à la fin de l'exercice 2014. L'ajustement opéré en 2015 a pour effet de réduire fortement ce niveau, la section concernée du CAS (qui abrite d'autres types de pensions) finissant l'année en déficit (- 40,1 millions d'euros).

2. Des indicateurs de performance médiocrement significatifs

En outre, certains indicateurs de performance sont peu significatifs. Il en va notamment ainsi pour le programme 158. Ne sont suivis qu'une minorité des crédits inscrits - 8 % des CP au titre de l'indemnisation des victimes de spoliation - tandis que les indemnisations des orphelins (près de 90 % des CP) ne sont pas appréciées. Par ailleurs, si les délais sont une variable très importante de cette activité d'indemnisation, d'autres éléments, plus qualitatifs, devraient pouvoir être fournis.

En outre, votre rapporteur ne peut que s'interroger, au vu de l'analyse qu'il a faite de la JDC 15 ( * ) , sur la portée de l'indicateur de satisfaction qui accompagne le programme 167. Il est d'ailleurs remarquable que cet indicateur, très subjectif puisqu'il résulte d'une brève enquête réalisée auprès des jeunes à la fin de cette journée, soit présenté comme l'un des deux indicateurs de performance « les plus représentatifs de la mission ». Or les motivations des réponses qui le nourrissent semblent diverses et certaines, peut-être particulièrement fortes, pourraient n'avoir pas grand rapport avec l'objectif de ce rendez-vous citoyen avec les armées. Au demeurant, les projets récurrents de réaménagement de la JDC apportent à eux seuls une forme de nuance à la satisfaction que pourrait susciter, légitimement, l'indicateur en question.

À ce sujet, il est regrettable que les suites de la détection des « décrocheurs » opérée lors de cette journée ne soit pas l'objet d'un indicateur de performance, même si, il faut le concéder, ces suites relèvent d'autres autorités que celles qui gèrent cette journée.

C'est d'ailleurs, une faiblesse récurrente des indicateurs de performance budgétaires que d'éprouver des difficultés structurelles à restituer l'efficacité des actions publiques dès lors qu'elles engagent une pluralité d'acteurs agissant pour les uns hors du cadre des missions budgétaires qui, parfois, fragmentent la restitution de politiques publiques plus larges qu'elles.

3. Les limites de l'information budgétaire sur l'exécution 2015 sont particulièrement illustrées par l'action « journée défense et citoyenneté » du programme 167

L'analyse de l'exécution budgétaire de la mission « Anciens combattants » pour 2015 confirme, en plus de l'insuffisance de l'information quant aux résultats atteints par cette journée, le réductionnisme qu'inflige à l'analyse la fragmentation des coûts résultant de la dispersion des crédits nécessaires entre plusieurs missions budgétaires.

Les 18,8 millions d'euros de crédits consommés au titre de la JDC dans le cadre de la mission « Anciens combattants » ne constituent qu'une partie des dépenses que cette journée nécessite. Ils se limitent à des dépenses de fonctionnement quand les crédits nécessaires pour rémunérer les personnels qui contribuent à cette action sont portés par la mission « Défense ».

Au total, le coût de cette journée dépasse, selon la Cour des comptes, les 111,5 millions d'euros à quoi ils sont estimés par la direction du service national.

Votre rapporteur renvoie à son rapport pour la consultation de ses principales recommandations. Mais il souhaite souligner ici les perspectives d'alourdissement des coûts de cette journée pour l'avenir. Les cohortes démographiques devraient s'élargir sous l'effet du dynamisme de la population tandis qu'il est particulièrement souhaitable que les jeunes qui manquent encore ce rendez-vous (autour de 5 % d'une classe d'âge) soient réintégrés dans un mécanisme qui verrait jusqu'à près de 13 % des jeunes parisiens lui échapper.

Bien entendu, tout projet d'extension de la JDC, de ceux qui ont pu être évoqués par l'exécutif, devrait mobiliser des financements à hauteur.

4. La dépense fiscale, qui représente une part croissante des moyens publics consacrés à la mission, est lourdement sous-évaluée

En 2009, le montant global des dispositifs d'exonération ou de déduction fiscale 16 ( * ) représentait l'équivalent de 12,8 % des crédits de paiement exécutés avec un montant de 445 millions d'euros, à mettre en regard de crédits de paiements de 3 467,2 millions d'euros.

En 2015, sous l'effet cumulé de la baisse des crédits budgétaires et de la hausse de la dépense fiscale, celle-ci représenterait l'équivalent de 28 % des crédits de paiement consommés . En bref, l'effort public en faveur des anciens combattants excède de près de 30 % les crédits budgétaires.

La dynamique des dépenses fiscales est soutenue avec une progression de 5,1 % entre 2014 et 2015 dans un contexte où, de son côté, la charge budgétaire de la mission décroît (- 5,4 %).

Ainsi, un effet de ciseaux conduit à distinguer nettement les trajectoires des crédits votés et des allègements fiscaux et sociaux.

Encore faut-il observer que ces caractéristiques sont mal rendues par les informations budgétaires. L'évaluation des dépenses fiscales n'est pas aussi précise ni complète qu'il serait souhaitable. Certaines des dépenses ne sont pas évaluées. Surtout, d'autres ne font l'objet d'aucun recensement. La Cour des comptes a ainsi pu recenser neuf dispositifs d'exonération fiscale ne figurant pas dans les documents budgétaires auxquels il faut ajouter deux exonérations de cotisations sociales.

Recensement par la Cour des comptes des dépenses fiscales et sociales
non mentionnées par les documents budgétaires

L'impôt sur le revenu (IR)

Le Programme annuel de performances (PAP) ne fait pas figurer :

- la part des dépenses fiscales découlant des dispositifs prévus par le programme 158 qui correspondrait à 3,5 % de la dépense n° 120126 ; le ministère de la défense, la direction du budget et le Secrétariat général du Gouvernement ont indiqué qu'ils étaient disposés à répartir la dépense fiscale qui figure aujourd'hui au titre du programme 169 entre les deux programmes 158 et 169 et à rattacher les montants correspondants dans le PAP. Des travaux seront entrepris à ce sujet ;

- l'exonération d'impôt sur le revenu des PMI reversées aux ayants droit des militaires et anciens combattants décédés, en vertu des dispositions du CPMIVG ;

- pour le programme 158, les indemnités versées aux ayants droit des victimes de spoliation qui sont exonérées d'IR.

Les droits de mutation

Le PAP ne mentionne pas l'exonération dont bénéficie le capital versé aux victimes de spoliations qui serait soumis au droit d'enregistrement (programme 158).

Les droits de succession

Le PAP ne mentionne pas que :

- la transmission du capital de la rente mutualiste, lorsqu'il a été opté pour le régime réservé viagèrement, se fait hors droit de succession dans la limite de la fiscalité actuelle ;

- pour les ayants droit des victimes de spoliations, les indemnités versées postérieurement au décès du bénéficiaire ne constituent pas un patrimoine taxable.

Les prélèvements sociaux

Certaines aides bénéficient d'exonérations de prélèvements sociaux :

- les PMI, la retraite du combattant, la retraite mutualiste des anciens combattants (dans la mesure où elle bénéficie de la majoration de l'État) et les allocations de reconnaissance servies aux anciens membres des formations supplétives de l'armée française en Algérie et leurs veuves sont exonérées de CSG et de CRDS. Cette exonération est d'ailleurs codifiée par l'article L. 136-2-III-3° du code de la sécurité sociale ; sur ce sujet, lors de différents échanges, le coût de l'exonération pour les retraites mutualistes a été estimé, en 2013, à 80 M€ ; quant à la retraite du combattant, l'exonération est estimée à 67 M€ ;

- les sommes perçues par les orphelins des victimes de la barbarie, les orphelins des victimes d'actes d'antisémitisme pendant la Seconde guerre mondiale et par les victimes de spoliations ne sont pas soumis à prélèvements sociaux.

Bien que ces deux exonérations ne relèvent pas de la loi de finances initiale stricto sensu, et ne doivent pas figurer dans le PAP à ce titre, mais du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les montants correspondants viennent augmenter le coût global de cette politique. Ils pourraient donc être mentionnés dans les documents budgétaires pour porter à la connaissance de la représentation nationale le coût de cette politique.

L'impôt sur la fortune (ISF)

Le PAP ne fait pas figurer les dispositifs suivant qui sont exonérés d'ISF :

- l'exonération des sommes allouées aux ayants droit des victimes de persécutions antisémites en vertu de l'article 885 K du code général des impôts ;

- la rente mutualiste, sa valeur de capitalisation n'est pas imposable ;

- l'ensemble des aides financières versées aux orphelins et aux victimes de spoliations n'entrent pas dans le champ de l'ISF. Lorsque ces indemnités sont versées aux ayants droit des victimes elles sont également exonérées d'ISF.

Source : note d'analyse budgétaire 2015. Cour des comptes

Deux observations finales s'imposent.

L'importance du rôle des dépenses fiscales et sociales dans la politique en faveur des anciens combattants conduit à une progressivité des transferts publics qui devrait faire l'objet d'une évaluation tant dans son ampleur que du point de vue de sa justification de principe.

Enfin, il convient d'observer que les régimes fiscaux applicables à certaines prestations servies par le programme 158 paraissent manquer de base légale, situation qui appelle une régularisation.

5. L'exécution du programme 158 illustre le maintien de prolongements possibles au second conflit mondial qui appellent une vigilance renforcée

Le programme 158 est consacré à l'indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie commis pendant la seconde guerre mondiale.

Doté de 100,6 millions d'euros en crédit de paiement par la loi de finances initiale 2015, son exécution a dû être révisée à la hausse. Finalement, les dépenses du programme se sont élevées à 154,8 millions d'euros, soit 54,2 millions de plus.

On a exposé plus haut les motifs du dépassement des crédits initiaux.

Des prolongements peuvent toujours intervenir dans un domaine où l'inventaire des préjudices subis par les victimes demeure peut-être incomplet comme le montre régulièrement l'actualité.

La découverte chez Cornelius Gurlitt de près de 1 500 oeuvres dont la provenance reste à identifier illustre spectaculairement cette interrogation. Les recherches de provenance sont susceptibles de prolongements financiers encore inconnus à ce jour.

De même, les travaux conduits par la mission d'information de la commission de la culture du Sénat en 2013 suggèrent l'ampleur des efforts qui demeurent à accomplir. Ils constituent une forme d'obligation, morale bien sûr, mais également patrimoniale. Son exécution recèle des enjeux de même nature.

6. La gestion de certaines prestations appelle des améliorations

C'est, hélas, devenu une tradition que de déplorer la longueur des délais nécessaires au traitement des pensions militaires d'invalidité.

Cet indicateur a fait l'objet d'une redéfinition dans le cadre du PAP 2015. L'assiette de suivi a été élargie à l'ensemble des dossiers quand, auparavant, seules les demandes initiales de pensions d'invalidité déposées par les militaires de carrière étaient prises en considération. Le délai de traitement de ces demandes se trouvait nettement plus long que pour l'ensemble des dossiers, certains d'entre eux présentant de simples actualisations des situations individuelles plus faciles à traiter.

Le nouvel indicateur a perdu de sa significativité si l'on souhaite mesurer le délai de traitement des nouveaux dossiers, préoccupation légitime dans la mesure où elle permet d'apprécier les barrières à l'entrée dans le champ de la protection sociale pour une population particulièrement exposée. En revanche, le nouvel indicateur colle davantage à la réalité de la performance des services en tant qu'ils sont en charge d'une certaine diversité de problèmes à résoudre.

En 2013, année où l'ancien indicateur était suivi, le délai de traitement des demandes initiales des bénéficiaires ressortait à 500 jours soit 150 jours de plus que l'objectif et 45 jours de plus que la réalisation en 2012. En 2014, ce délai était passé à 645 jours , soit 295 jours de plus que la prévision et 145 jours de plus que la réalisation 2013.

Le passage au nouvel indicateur a eu pour effet de baisser la durée apparente de traitement des dossiers par simple effet de composition, et, par-là, de supprimer l'information sur les cas particuliers des primo demandes singuliers par leur sensibilité pour les demandeurs et par la détérioration des performances des services observée dans le passé.

Votre rapporteur avait eu l'occasion de le regretter l'année dernière.

Il reste que le nouvel indicateur demeure sensible au traitement de ces primo demandes et que, pas plus que l'ancien, il ne témoigne d'une capacité à respecter les objectifs fixés aux services.

Ainsi , pour un objectif à 300 jours, ce sont 353 qui ont été nécessaires en moyenne pour traiter chacun des dossiers notifiés .

Encore faut-il garder à l'esprit que cette durée se présente comme une moyenne toujours susceptible d'abriter des situations dispersées.

De tels délais sont tout à fait excessifs s'agissant de demandes formulées par des personnes subissant des conditions très pénibles qui s'étendent à leurs proches. Une analyse approfondie des effets de toutes sortes qu'ils peuvent produire devrait intervenir au plus vite.

L'un des objectifs poursuivis par les gestionnaires du dispositif a été de desserrer la contrainte de rareté des ressources en expertise médicale, indispensables à la bonne administration des dispositifs. Une volonté d'harmonisation des décisions s'est également manifestée.

Sur ces points également, votre rapporteur exercera une vigilante attention.


* 15 « La journée défense et citoyenneté, un rendez-vous entre la jeunesse et son armée à conserver et à améliorer ». Rapport d'information n° 475 (2015-2016) du 16 mars 2016. M. Marc Laménie. Sénat. Commission des finances.

* 16 Il s'agit principalement des trois dispositifs suivants :

- demi-part supplémentaire pour les contribuables (et leurs veufs/veuves) de plus de soixante-quinze ans titulaires de la carte du combattant ;

- l'exonération de l'impôt sur le revenu de la retraite du combattant, des pensions militaires d'invalidité, des retraites mutuelles servies aux anciens combattants et aux victimes de guerre et de l'allocation de reconnaissance servie aux anciens membres des formations supplétives de l'armée française en Algérie et à leurs veufs/veuves ;

- la déduction du revenu imposable des versements effectués en vue de la retraite mutualiste du combattant.

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