DEUXIÈME PARTIE
LES CRÉDITS DE LA MISSION OUTRE-MER

Les crédits présentés dans le projet de loi de finances pour 2022 s'élèvent à 2 628,4 millions d'euros en AE et 2 466,9 millions d'euros en CP soit une baisse de 2,7 % en AE et une hausse de 1,25 % en CP par rapport à la LFI 2021.

Évolution LFI 2021 / PLF 2022 des crédits de la mission Outre-mer

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir du PLF 2022

Cette évolution à la hausse des CP s'explique principalement par le renforcement ou la création des dispositifs suivants :

Sur le programme 138 « Emploi outre-mer » :

- un dispositif nouveau vient s'ajouter en 2022 : le plan service militaire adapté (SMA) 2025+ qui débutera par une expérimentation dès 2022 à Mayotte avant d'être étendu aux autres territoires en 2023 pour un montant estimé à 9,7 millions d'euros en AE et CP ;

- le dispositif de compensation d'exonérations de charges sera étendu en 2022 aux entreprises du secteur de l'aéronautique , sans abondement budgétaire (le coût de la mesure restant marginal et inférieur à la marge d'incertitude des prévisions).

Sur le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » : plusieurs évolutions interviendront en 2022 :

- augmentation de l'enveloppe de la ligne budgétaire unique (LBU) pour verser des subventions aux propriétaires modestes ultramarins pour les travaux d'amélioration de leur logement, afin de lutter contre l'habitat indigne (6 millions d'euros en AE et 3 millions d'euros en CP pour 500 logements) ;

- financement du plan Sargasses II à hauteur de 2,5 millions d'euros en AE et CP ;

- abondement de la participation du ministère des outre-mer au financement de l'Office national des forêts (ONF) à hauteur de 2,5 millions d'euros en AE et CP. Dans ce contexte, vos rapporteurs souhaitent rappeler que les effectifs outre-mer de l'ONF sont faibles au regard des surfaces forestières gérées. La situation est particulièrement sensible en Guyane où les agents de l'ONF se sont vus confier de nouvelles prérogatives pour lutter contre l'orpaillage illégal ;

- mise en oeuvre, à titre expérimental, d'une prise en charge socio-éducative des mineurs isolés à Mayotte à hauteur de 1,4 million d'euros en AE et CP visant la mise en place d'un programme d'accompagnement éducatif et social avec la prise en charge de 1 000 jeunes. Afin de tester cette mesure, une expérimentation sera menée en 2022 sur un périmètre restreint (une seule commune) et un nombre de bénéficiaires limité à 60 enfants ;

- soutien à la collectivité territoriale de Guyane à hauteur de 20 millions d'euros en AE et CP.

Le montant total arbitré de ces mesures nouvelles, pour le programme 123, est de 32,4 millions d'euros en AE et 29,4 millions d'euros en CP sans mesures d'économie pour gager ces crédits supplémentaires.

Répartition des mesures nouvelles du programme 123
en PLF 2022

Source : commission des finances du Sénat à partir des réponses au questionnaire budgétaire

À noter que par rapport à la loi de finances pour 2021, le PLF 2022 ne prévoit pas de nouvelles AE pour le financement du lycée de Wallis-et-Futuna (17 millions d'euros ouverts en 2021), ni pour les contrats de redressement des finances locales outre-mer (COROM) (30 millions d'euros ouverts en 2021, au titre de plusieurs exercices). Les CP nécessaires à la mise en oeuvre de ces deux dispositifs sont en revanche naturellement prévus en PLF 2022.

I. L'ÉVOLUTION DU PROGRAMME 123 « CONDITIONS DE VIE OUTRE-MER »

Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » se compose de huit actions et rassemble les crédits des politiques publiques en faveur de l'amélioration des conditions de vie dans les outre-mer. À ce titre, il porte le financement des priorités suivantes : le logement social, l'aménagement du territoire (contrats de convergence et de transformation), les aides à la continuité territoriale, les dotations spéciales destinées à financer des projets structurants et/ou de reconversion) et le fonds exceptionnel d'investissement.

Entre la LFI 2021 et le PLF 2022, il enregistre une baisse de 1,42 % en AE, soit 12,2 millions d'euros et une hausse de 15,15 % en CP soit 91,4 millions d'euros. À l'exception du fonds exceptionnel d'investissement, toutes les actions de ce programme enregistrent, en CP, une hausse comprise entre 7 % et 36 %.

Évolution des crédits du programme 123

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir du PLF 2022

A. LA LIGNE BUDGÉTAIRE UNIQUE (ACTION 1) : UNE HAUSSE À SALUER QUI NE DOIT PAS MASQUER LA BAISSE CONTINUE DEPUIS 10 ANS

1. Des contraintes géographiques et démographiques importantes qui génèrent des tensions sur le marché du logement en outre-mer
a) Des logements sociaux en nombre très insuffisant

Hormis la Guyane, les DROM sont des îles et archipels dans lesquels le foncier est rare et qui, pour des raisons de topographie, se prêtent parfois difficilement à la construction de logements. Par ailleurs, la situation géographique de ces territoires les expose également à des risques naturels importants générant ainsi une limitation, de fait, des terrains constructibles et renchérissant le coût de la construction.

Par ailleurs, la croissance démographique importante de certains DROM (notamment Mayotte et la Guyane), de même qu'un niveau de vie inférieur à la métropole créent un besoin de logements sociaux considérable.

À ce constat, s'ajoutent de nombreux logements insalubres qui pèsent sur l'offre globale de logements.

Il résulte de ce qui précède que 80 % des ménages des DROM sont éligibles au logement social alors que la part des ménages des DROM bénéficiant d'un logement social n'est que de 15 %.

Aussi, même si la part de logements sociaux dans les outre-mer atteint 21 % du parc de logements, pour une moyenne nationale de 15 %, les besoins ne sont pas satisfaits et la tension sur la demande de logements sociaux demeure très forte par rapport à l'offre disponible.

Part des logements sociaux

Source : commission des finances du Sénat à partir du rapport de la Cour des comptes « Le logement dans les DROM »

Dans ce contexte, l'État a mis en place un plan logement outre-mer pour la période 2015-2019 (PLOM 1) avec un objectif de construction et de réhabilitation de 10 000 logements par an. Cet objectif n'a cependant pas été atteint en raison, notamment, d'une insuffisante prise en compte des spécificités de chaque territoire.

Un deuxième PLOM, signé le 2 décembre 2019, a été lancé pour les années 2019-2022. Il regroupe 77 mesures, autour de 4 axes :

- mieux connaître et mieux planifier pour mieux construire ;

- adapter l'offre aux besoins des territoires ;

- maîtriser les coûts de construction et de réhabilitation ;

- accompagner les collectivités territoriales en matière de foncier et d'aménagement.

La différence majeure entre le PLOM 1 et le PLOM 2 réside dans l'ambition affichée de prendre plus spécifiquement en compte les particularités de chaque DROM, partant du constat que le PLOM 1 était insuffisamment différencié par territoire. Ainsi, cette adaptation à chaque territoire devait passer par la déclinaison de plan territoriaux, négociés par les préfets avec les acteurs locaux entre fin 2019 et juin 2020.

Toutefois, à ce jour, aucun bilan détaillé du PLOM 2 n'a été réalisé (à l'exception d'une communication sur la construction et la réhabilitation de 8 000 logements en 2020) et des outils doivent être mis en place afin de suivre le déploiement territorial de ce plan 2 ( * ) .

À noter par ailleurs, que contrairement au PLOM 1, ce deuxième plan n'a pas fixé d'objectifs quantitatifs et la mesure 2.1.1 précise simplement que « les objectifs annuels assignés à chaque territoire seront désormais à la fois quantitatifs, par type de produits, et qualitatifs, selon une grille d'objectifs adaptée à chaque territoire ».

À l'inverse, la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer (loi EROM) 3 ( * ) et portant autres dispositions en matière sociale et économique prévoit, dans son article 3, que « la République s'assigne pour objectif la construction de 150 000 logements dans les outre-mer au cours des dix années suivant la promulgation de la présente loi. Cet objectif est décliné territorialement, en tenant compte des besoins de réhabilitation ».

Cet objectif de 150 000 logements recouvre tous les logements, sociaux, intermédiaires ou autres bénéficiant d'un soutien de l'État par des aides à la pierre ou des aides fiscales. L'objectif de production de logements directement subventionnés par l'État s'établit, pour sa part, à environ 130 000 logements sur 10 ans ce qui permettrait de répondre au déficit de logements sociaux estimé à plus de 90 000 sur l'ensemble des DROM. Cet objectif a été territorialisé.

Objectifs annuels territorialisés de production de logements bénéficiant
de subventions de l'État

Construction neuve de logements sociaux en location et en accession

Réhabilitation de logements sociaux

Amélioration du parc privé

Guadeloupe

2 000

Pas d'objectif chiffré

Pas d'objectif chiffré

Martinique

1 100

800

650

Guyane

Pas d'objectif chiffré, besoins évalués entre 3 700 et 5 200

La Réunion

Pas d'objectif chiffré, souhait de maintenir un rythme de construction de 3 500

Mayotte

Entre 400 et 800

0

NC

Nouvelle Calédonie

4 650 logements programmés d'ici 2021

Saint-Pierre et Miquelon

210

Wallis et Futuna

NC

Polynésie française

NC

Source : DGOM

b) Des logements indignes et insalubres très difficiles à comptabiliser

Les DROM présentent une proportion de logements indignes et insalubres nettement supérieure à la métropole. En effet, près de 12 % du parc de logements (soit environ 110 000 habitations sur les 900 000 que compte le parc total) sont concernés contre 1,2 % en France métropolitaine.

Cette situation s'explique en partie par la construction d'un habitat informel important notamment dans un contexte de pénurie de logements.

La nature même de ces logements informels (auto-constructions sans déclaration et titres de propriété) rend leur recensement très complexe et peu fiable avec une multitude de situations hétérogènes allant de l'habitat dégradé à indigne voire insalubre. Dans son rapport annuel 2020 sur le mal-logement en France, la fondation Abbé Pierre a estimé, pour sa part, à plus de 210 000 les logements relevant d'une de ces catégories.

Logements indignes, insalubres et informels dans les DROM

Source : Fondation Abbé Pierre, rapport annuel sur l'état du mal-logement en France - 2020

2. La programmation budgétaire de la LBU et le niveau de consommation des dernières années
a) Une programmation en baisse depuis 2015 qui repart à la hausse seulement depuis 2021

Entre la LFI 2021 et le PLF 2022, l'action 1 « Logement » enregistre une hausse de 4,45 % soit 10 millions d'euros en AE, et de 13,6 % en CP soit 24 millions d'euros.

Toutefois, cette hausse ne doit pas masquer la tendance baissière constatée entre 2015 et 2021 tant en AE qu'en CP. Sur la période 2012-2022, les crédits de la LBU ont diminué de 14 % en AE et de 6 % en CP soit respectivement 38,4 millions d'euros et 13,1 millions d'euros.

Évolution des crédits ouverts en LFI entre 2011 et 2022 (PLF)

(en euros)

Source : commission de finances du Sénat à partir des documents budgétaires (projets annuels de performance)

L'effort réalisé en PLF 2022, que les rapporteurs saluent, porte essentiellement sur la construction de logements locatifs sociaux et très sociaux avec notamment, pour 2022, un objectif de 5 200 4 ( * ) logements construits (tous financements confondus c'est-à-dire LBU mais également dispositifs d'incitation fiscale). Ainsi, les crédits alloués à cette action spécifique sont passés de 110 millions d'euros en AE et 86,6 millions d'euros en CP en LFI 2021 à 123,5 millions d'euros en AE et 114,4 millions d'euros en CP en PLF 2022.

Toutefois, il convient de souligner qu'avec un objectif de 5 200 constructions pour 2022 l'ambition de la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer de 150 000 logements en 10 ans n'est pas atteinte au prorata d'une année.

Construction de logements sociaux (LLS) et très sociaux (LLTS) en 2019 et 2020

Source : rapport annuels de performance 2020

En 2020, 4 240 logements sociaux et très sociaux ont été financés et 3 020 ont été livrés.

Aussi, et malgré les efforts reconnus par les rapporteurs, les constructions 2019 et 2020 (comprises entre 4 240 et 4 447 pour les LLS et LLTS) de même que l'objectif fixé pour 2022 à 5200 n'atteignent pas les objectifs globaux et territorialisés tels que définis dans la loi EROM qui seraient de l'ordre de 13 000 par an (130 000 logements directement subventionnés par l'État sur 10 ans).

Par ailleurs, les crédits alloués à la résorption de l'habitat insalubre en Guadeloupe, Martinique, Réunion et Mayotte restent stables entre 2021 et 2022 et s'élèvent à 20 millions en AE et 15,7 millions en CP. Or, l'habitat insalubre concerne environ 110 000 logements sur un total de 900 000 logements soit près de 12 % du parc (cf. supra ).

Les moyens alloués à cette action, bien que stables, ne semblent pas à la hauteur des enjeux et ce malgré l'abondement, en 2022, de crédits alloués à l'amélioration de l'habitat privé (+ 6 millions d'euros en AE et + 3 millions d'euros en CP) par extension de l'éligibilité à l'aide à l'amélioration de l'habitat des ménages très modestes aux ménages modestes. Cette mesure a vocation à permettre la rénovation de 500 logements.

Sur la période 2016-2020, environ 100 millions d'euros en AE et CP ont été consacrés à la résorption de l'habitat insalubre répartis sur 79 opérations.

b) Une sous-consommation récurrente qui tend à diminuer sous l'effet de la contraction des crédits

La sous-consommation constatée les précédentes années se tasse en 2020.

En effet, les taux de consommation en 2019 étaient respectivement de 90 % pour les AE (consommation de 199,3 millions d'euros pour une LFI de 222 millions d'euros) et de 78 % pour les CP (consommation de 171,6 millions d'euros pour un LFI de 219,6 millions d'euros).

En 2020, le taux de consommation des AE enregistre une nouvelle baisse pour s'établir à 88,3 % (consommation de 182,5 millions d'euros pour une LFI de 206,6 millions d'euros). En revanche, le taux de consommation des CP s'améliore nettement (98,6 % avec une consommation de 179,3 millions d'euros pour une LFI de 181,9 millions d'euros). Cette amélioration du taux de consommation résulte cependant très largement d'une baisse des crédits ouverts en LFI.

Taux de consommation des crédits de la LBU entre 2011 et 2020 en AE et CP

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires (rapports annuels de performance)

Si les facteurs de cette sous-consommation sont multiples et doivent être analysés afin d'y apporter des solutions , cette sous-consommation récurrente ne doit pas servir de prétexte pour diminuer encore la LBU qui, bien qu'en hausse en 2022 par rapport à 2021, demeure à un niveau très inférieur à celui de 2012.


* 2 Cf. Rapport d'information du Sénat fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la politique du logement dans les outre-mer (juillet 2021).

* 3 Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer.

* 4 Source : projet annuel de performance 2022.

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