B. LA NÉCESSITÉ DE MUSCLER LA POLITIQUE D'INTÉGRATION

1. Des exigences renforcées en matière d'intégration

Favorable au dispositif de l'article 1er, qui conditionne la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle (CSP) à la connaissance d'un niveau minimal de français, la commission l'a enrichi et prolongé en :

- prévoyant dans la loi la fixation de ce seuil au niveau A2 du cadre européen commun de référence pour les langues et en harmonisant, par cohérence, à des niveaux supérieurs - B1 et B2 respectivement - le niveau requis pour la délivrance d'une carte de résident et pour l'acquisition de la nationalité par naturalisation ;

- prévoyant, sur le modèle d'autres États européens 5 ( * ) , que les bénéficiaires du regroupement familial justifient, sur le territoire de leur pays d'origine, d'un niveau de langue minimal garantissant leur pleine intégration à leur arrivée en France ;

- conditionnant la délivrance d'une CSP à la réussite d'un examen civique .

S'agissant des titres dits « talent », prolongeant l'effort de clarification et de lisibilité prévu à l'article 6, la commission a procédé à la fusion de trois titres destinés à des salariés qualifiés 6 ( * ) . En revanche, elle a supprimé la majeure partie du dispositif de l'article 7, ne conservant que la création d'une CSP de quatre ans pour les seuls praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE) ayant réussi les épreuves de vérification des connaissances (EVC) ; elle n'a pas souhaité que le renforcement de l'attractivité de l'exercice en France s'opère au prix d'un relâchement excessif des conditions d'accès au séjour.

Enfin, la commission a supprimé des dispositions qu'elle a jugées superfétatoires, voire contre-productives . Elle a ainsi supprimé l'article 2 qui paraît, pour une part, de faible portée, et d'autre part excéder dans les contraintes qu'il pose un niveau raisonnable pour les employeurs concernés, constituant une nuisance potentielle à l'insertion sur le marché du travail des étrangers concernés. Elle a également supprimé l'article 5, qui conditionne l'accès au statut d'entrepreneur individuel à la détention d'un titre de séjour valide, dont le Conseil d'État a relevé l'inutilité et dont les effets de bord ont manifestement été mal mesurés par le Gouvernement.

2. Deux dispositions sur lesquelles la commission a réservé son jugement

Sur la création d'un titre de séjour « travail dans des métiers en tension » figurant à l'article 3, du fait des nombreuses réserves exprimées et tenant, selon les cas, à l'opportunité ou aux modalités du dispositif , la commission a réservé son jugement .

D'un côté, l'on peut craindre que ce nouveau titre ne crée une incitation à l'immigration clandestine , le nombre d'étrangers potentiellement éligibles n'étant d'ailleurs pas connu. Quand bien même les étrangers concernés travailleraient dans des secteurs en tension, leur accorder de plein droit un titre de séjour pourrait conduire à créer une prime à la fraude, où le maintien irrégulier sur le territoire national pendant une durée suffisamment longue serait in fine récompensé par l'acquisition d'un droit opposable à l'administration .

D'un autre côté, ce dispositif pourrait avoir le mérite de tenir compte d'une réalité économique difficilement contestable et de s'inscrire dans une démarche pragmatique : ouvrir une voie d'accès au séjour qui ne procède pas du seul bon vouloir de l'administration au bénéfice d'étrangers, certes en situation irrégulière, mais qui travaillent, payent des cotisations et sont, pour une part importante d'entre eux, tout à fait intégrés dans notre société . De ce point de vue, l'enjeu est moins celui la régularité du séjour de personnes qui sont de toute façon déjà présentes sur le territoire national et dont l'éloignement n'est pas une perspective crédible que celui de l'attractivité des métiers en tension. Le risque principal de ce dispositif serait toutefois d'alimenter une trappe à bas salaires qui perpétuerait une situation où certains métiers mal payés et peu considérés sont exercés quasi-exclusivement par des étrangers .

L' article 4 tend à donner un accès immédiat au marché du travail à certains demandeurs d'asile dont le taux de protection internationale serait supérieur à un seuil fixé par décret - l'étude d'impact du projet de loi évoque 50 %. Là encore, deux analyses sont possibles.

La première postule que ce dispositif comporte, en lui-même, le risque d'un appel d'air, alors que le droit européen ne l'impose pas et qu'aucun pays de l'Union européenne ne prévoit de mesure similaire. Le délai d'accès au marché du travail a déjà été réduit en 2018, passant de neuf à six mois à compter de l'introduction de la demande. Le Sénat s'y était opposé pour des motifs toujours d'actualité : si le demandeur est débouté, il est alors en situation irrégulière et l'État aura des difficultés à procéder à son éloignement . La seconde parie plutôt sur une intégration des demandeurs d'asile facilitée par un accès le plus rapide possible par le travail , considérant comme marginal le risque de rejet de leur demande d'asile.

Pour ces raisons, la commission a estimé que l'éventuelle modification des articles 3 et 4 relevait avant tout d'une question de principe . Elle a réservé son jugement pour la séance publique et, afin de garantir la lisibilité des débats, a estimé préférable que la discussion s'y déroule à partir du texte présenté par le Gouvernement.


* 5 À l'exemple de l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark et les Pays-Bas.

* 6 Il s'agit des titres « talent - salarié qualifié », « talent - salarié entreprise innovante » et « talent - salarié en mission »

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