II. L'ÉVOLUTION JURIDIQUE

Le projet de loi vient compléter un arsenal juridique, qui figure pour l'essentiel au chapitre IV du titre II du livre III du code du travail. L'origine de cette législation remonte au décret-loi du 11 octobre 1940 qui interdit le travail clandestin ainsi que d'y recourir. Depuis cette date, tous les textes promulgués dans ce domaine ont étendu la population des employeurs susceptibles d'être mis en cause dans une procédure de travail clandestin.

Dès 1940, toute profession industrielle, commerciale et artisanale doit être déclarée, et il est interdit de recourir à une personne non déclarée. Le dispositif est donc parfaitement cadré. Mais, et c'est une constante de la lutte contre le travail clandestin, les actions juridiques sont rares. Aussi, la loi du 11 juillet 1972 a-t-elle assorti l'interdiction de recourir au travail clandestin de sanctions pénales et civiles dès lors que ce recours est effectué " sciemment ". Le " recours sciemment " entraîne une solidarité du bénéficiaire pour le paiement des impôts, des taxes et des cotisations sociales avec le professionnel qui exerce l'activité clandestine. C'est dans cette loi de 1972 qu'apparaît la notion de " travailleur clandestin " au sens juridique d'entrepreneur qui dissimule une activité : le travailleur clandestin est donc l'artisan ou le commerçant qui exerce seul sans être déclaré ou l'employeur qui, soit n'est pas déclaré s'il travaille seul, soit fait appel à de la main-d'oeuvre non déclarée ; le salarié non déclaré n'est donc pas l'auteur du délit de travail clandestin. Il y a là une confusion souvent faite qui trouve son origine dans la notion d'immigré clandestin.

Ainsi dès 1972, le travail clandestin concerne le professionnel, ses cocontractants -mais pas ses salariés- et ses clients en s'inspirant de la notion pénale de complicité.

Par la suite, le travail clandestin s'adaptant et contournant ces règles, la loi du 17 octobre 1981 élargit la solidarité civile au donneur d'ordre s'adressant à des sociétés écran, par le biais de la sous-traitance. Il ne suffit donc plus au bénéficiaire final d'un travail ou d'un service de vérifier la régularité de la situation de l'entrepreneur auquel il s'adresse, il lui faut aussi vérifier la régularité de la situation des éventuels sous-traitants de son cocontractant. On passe donc ainsi d'une infraction intentionnelle à une infraction par négligence ou manque de vigilance. On notera toutefois que ce glissement relève davantage de la circulaire d'application que de la loi, ce qui révèle la difficulté qu'éprouvent les services de contrôle à lutter contre la fraude.

Cette difficulté à exercer un contrôle explique que la loi du 25 juillet 1985 concerne les services de contrôle eux-mêmes : d'une part, le travail clandestin devient un délit dès la première constatation et non plus seulement en cas de récidive, d'autre part, les corps de contrôle se voient doter de pouvoir d'audition, d'investigation et de saisie.

Par la suite, la loi du 27 janvier 1987 fait référence à la dissimulation d'une partie de l'activité de l'entreprise, ce qui étend encore le champ des employeurs susceptibles d'être concernés.

La loi du 31 décembre 1991 a développé les possibilités de mise en cause du donneur d'ordre ou du client négligeant en spécifiant que leur relation avec le travailleur clandestin peut être directe ou par personne interposée. Elle renforce également la solidarité civile des parties concernées, celle-ci pouvant être mise en jeu pour tous les contrats supérieurs à 20.000 francs dès lors que la personne, initiateur du contrat, y compris le particulier, ne s'est pas assuré que son cocontractant s'était acquitté de ses obligations au regard de la loi. Enfin, pour l'administration, cette solidarité peut être mise en oeuvre de façon totalement autonome, sans qu'il soit nécessaire d'attendre une éventuelle procédure pénale. Cette solidarité civile, en permettant un recouvrement rapide des sommes dues, a donc une forte connotation pénale et s'apparente à une amende administrative.

La loi du 31 décembre 1996 a également mis en place un instrument efficace de prévention du travail clandestin, la déclaration préalable à l'embauche (DPAE), qui permet de connaître la date réelle de l'embauche en écartant toutes les possibilités de détournement de procédure qu'offraient la tenue du registre du personnel ou du livre de paie et la remise d'un bulletin de salaire [3] .

La DPAE a été expérimentée en 1992, puis généralisée à partir du 1er septembre 1993 par la loi du 31 décembre 1992. Cette déclaration peut être faite par les moyens de communication électronique moderne, par téléphone ou par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette formalité, désormais bien admise, donne des résultats satisfaisants et constitue actuellement le moyen le plus efficace pour déceler les pratiques de travail clandestin : 50 % des emplois dissimulés sont découverts après constatation d'une absence de DPAE [4] .

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