EXAMEN DES ARTICLES

Votre commission des Affaires sociales s'est saisie plus particulièrement des dispositions du projet de loi qui modifient le code de la santé publique ou le code de la sécurité sociale.

Sa saisine porte donc, au sein du titre premier, sur le chapitre III, composé de l'article 6, concernant les dispositions relatives aux personnes condamnées à un suivi socio-judiciaire comprenant une injonction de soins. Elle s'est saisie par ailleurs, au titre II, de l'article 21 modifiant le code de la sécurité sociale et au titre III, de l'article 32 bis , introduit par l'Assemblée nationale en première lecture et modifiant le code de la santé publique.

TITRE PREMIER
DISPOSITIONS RELATIVES AU SUIVI SOCIO-JUDICIAIRE
Chapitre III
Dispositions modifiant le code de la santé publique

Ce chapitre comprend un article 6 qui insère un nouveau titre comprenant cinq articles dans le code de la santé publique.

Il est à noter que cet article comprend deux paragraphes à la suite d'un amendement adopté à l'Assemblée nationale.

Le paragraphe I comprend les dispositions modifiant le code de la santé qui sont examinées ci-dessous.

Le paragraphe II , inséré par l'Assemblée nationale, prévoit le dépôt d'un rapport au Parlement sur les conditions d'application du présent titre dans le délai de cinq ans à compter de la promulgation de la loi.

Art. 6
(Art. L. 355-33 à L. 335-37 du code de la santé publique)
Mise en oeuvre du suivi socio-judiciaire

Le paragraphe I de cet article complète le livre III du code de la santé publique consacré à la " lutte contre les fléaux sociaux " en insérant un titre IX nouveau intitulé " dispositions relatives aux personnes condamnées à un suivi socio-judiciaire comprenant une injonction de soins ".

L'ensemble de ce titre porte sur le rôle du corps médical et ses relations avec l'institution judiciaire au cours de l'exécution de la peine de suivi socio-judiciaire créé par ce projet de loi.

Il convient de rappeler que le titre IX comporte actuellement huit titres assez hétérogènes dont les intitulés évoquent chacun un domaine particulier de la lutte contre les fléaux sociaux : lutte contre la tuberculose, lutte contre les maladies vénériennes, lutte contre le cancer, lutte contre les maladies mentales, lutte contre l'alcoolisme, lutte contre la toxicomanie, lutte contre l'infection par le virus de l'immuno-déficience humaine et lutte contre le tabagisme.

Le choix du nouvel intitulé proposé par le Gouvernement n'est pas très heureux du point de vue de la cohérence du code puisqu'il fait référence, non pas à un domaine de l'action publique, mais à une procédure applicable à certains citoyens.

C'est pourquoi votre Commission a adopté un amendement prévoyant que le nouveau titre IX soit intitulé " Prévention des infractions sexuelles pour les personnes condamnées à un suivi socio-judiciaire " afin de préciser le champ d'intervention de la puissance publique.

Art. L. 355-33 du code de la santé publique
Désignation par le juge de l'application des peines d'un médecin coordonnateur

Cet article précise les conditions dans lesquelles sont désignés les médecins coordonnateurs 8( * ) ainsi que la mission qui leur est confiée pour la mise en oeuvre de l'injonction de soins créée par le projet de loi.

Le premier alinéa porte sur les modalités de désignation : le médecin coordonnateur est désigné par le juge de l'application des peines. Ce dernier le choisit sur une liste établie par le préfet après avis du procureur de la République.

Les quatre alinéas suivants concernent la mission du médecin coordonnateur qui est à la fois en relation avec le condamné, le médecin traitant et le juge de l'application des peines.

- En premier lieu, le médecin coordonnateur invite le condamné à choisir un médecin traitant et donne son accord au choix effectué .

La personne condamnée conserve ainsi le principe du libre choix de son médecin traitant sous réserve de l'approbation donnée par le médecin coordonnateur. La question des critères sur lesquels le médecin coordonnateur prendra sa décision est abordée dans l'exposé des motifs du projet de loi : il s'agit de vérifier que le médecin traitant désigné dispose bien des " compétences nécessaires pour suivre la personne condamnée ".

- Ensuite, le médecin coordonnateur joue un rôle de conseil auprès du médecin traitant si celui-ci en fait la demande. La possibilité d'ouvrir un dialogue entre les deux praticiens apparaît particulièrement utile s'agissant de sujets psychologiques à la personnalité complexe. Cette disposition confirme en outre que le médecin traitant demeure libre du choix du traitement et des thérapeutiques employés : le médecin coordonnateur et, a fortiori , le juge de l'application des peines, ne s'ingèrent pas dans ses choix médicaux, sauf demande expresse de sa part.

- En troisième lieu, le médecin coordonnateur est chargé de transmettre au juge de l'application des peines les éléments nécessaires au contrôle de l'injonction de soins .

Cette mission peut sembler superflue dans la mesure où le projet de loi prévoit que la personne condamnée est dans l'obligation de justifier, auprès du juge de l'application des peines, de l'accomplissement des obligations qui lui sont imposées, et notamment de l'obligation de soins 9( * ) .

De fait, l'attestation fournie par le condamné sera très formelle et précisera seulement que les soins ont été régulièrement donnés à la date prévue.

Lorsque le juge de l'application des peines souhaitera savoir si l'état psychologique du condamné est stable, en amélioration ou au contraire en voie de dégradation, il consultera le médecin coordonnateur qui sera habilité à lui fournir ce type d'information.

- En dernier lieu, à la fin de l'exécution de la peine de suivi socio-judiciaire , le médecin coordonnateur indique au condamné qu'il peut poursuivre, de sa propre initiative, le traitement. Il lui précise les modalités et la durée nécessaires. Le médecin coordonnateur effectue cette démarche en liaison avec le médecin traitant. Cette disposition pourrait être utile pour les patients relevant d'un traitement antiandrogénique car, en cas d'arrêt du traitement, les effets de celui-ci s'estompent inéluctablement suivant une chronologie qui dépend de la pharmacologie du produit et de ses rythmes d'administration.

L'Assemblée nationale a adopté un amendement déposé par Mme Frédérique Bredin au nom de la commission des Lois tendant à préciser que la liste sur laquelle le juge de l'application des peines choisit le médecin coordonnateur comprendrait des " spécialistes " et qu'elle serait, en outre, " mise à jour ". Le projet de loi initial faisait seulement mention de " praticiens ".

Mme le Garde des Sceaux s'était déclarée défavorable à cet amendement qu'elle avait considéré comme imprécis et s'était engagée à ce que les médecins coordonnateurs soient choisis " parmi des médecins qui aient compétence en la matière ".

Il est apparu à votre Commission que la tâche de médecin coordonnateur sera relativement difficile à assumer. De nombreux délinquants sexuels ont une personnalité complexe et sont dotés d'une grande capacité de dissimulation. Or, le médecin coordonnateur devra certainement, au début de la procédure, jouer un rôle de conseil et de référent auprès du médecin traitant qu'il " épaulera " en tant que de besoin. Il est donc indispensable que le coordonnateur connaisse bien ce type de condamné et sa personnalité.

Il serait souhaitable que cette tâche soit acquittée au moins par des psychiatres. Cela étant, le nombre de psychiatres en exercice, qui est aujourd'hui de 8.000 apparaît insuffisant au regard du nombre potentiel de délinquants sexuels à suivre.

Telle est la raison pour laquelle votre Commission vous propose d'adopter à cet article du code de la santé publique un amendement prévoyant la possibilité d'inscrire sur la liste, en sus des psychiatres, des médecins ayant suivi une formation appropriée. La nature de cette formation pourra être définie dans le décret d'application mentionné dans le projet de loi.

Art. L. 355-34 du code de la santé publique
Communication des expertises au médecin traitant et justification du suivi du traitement

Cet article porte sur les documents judiciaires auxquels accède ou que délivre le médecin traitant dans le cadre d'une peine de suivi médico-social.

S'agissant de l'information du médecin traitant , cet article prévoit que ce dernier peut obtenir, s'il en fait la demande, les expertises réalisées au cours de l'enquête ou de l'instruction. Il est prévu, en effet, que l'injonction de soins soit prononcée après une double expertise médicale 10( * ) établissant que la personne poursuivie est susceptible de faire l'objet d'un traitement.

Il est prévu également que le médecin traitant accède, sur demande, aux expertises ordonnées par le juge de l'application des peines " en cours d'exécution du suivi socio-judiciaire ".

Cette rédaction permet de couvrir :

- les expertises qui permettent à un juge de l'application des peines de prononcer une injonction de soins postérieurement à la décision de condamnation à un suivi judiciaire ( article 763-5 du code de procédure pénale, article 5 du projet de loi ).

- les expertises décidées " à tout moment " du suivi socio-judiciaire par le juge de l'application des peines pour l'informer sur l'état médical ou psychologique de la personne condamnée ( 2ème alinéa de l'article 763-6 du code de procédure pénale, article 5 du projet de loi ).

En revanche, prise à la lettre, cette rédaction ne recouvre pas stricto sensu l'expertise ordonnée par le juge de l'application des peines avant la libération du condamné lorsque celui-ci a fait l'objet d'un mesure privative de liberté ( premier alinéa de l'article 763-6 du code de procédure pénale, article 5 du projet de loi ). En effet, le suivi socio-judiciaire s'applique " à compter du jour où la privation de liberté a pris fin " 11( * ) .

Il est important de souligner que ces documents ne peuvent être transmis au médecin traitant que par l'intermédiaire du médecin coordonnateur qui exerce son rôle " d'écran " ou " d'interface " entre les autorités judiciaires et le médecin traitant.

L'Assemblée nationale a adopté un amendement prévoyant que le médecin traitant puisse également obtenir certaines pièces du procès. La commission des Lois avait envisagé l'accès à l'ensemble des pièces de la procédure judiciaire mais le Gouvernement, compte tenu du volume des documents parfois en cause, a préféré préciser la liste des documents communicables. Cet amendement apparaît très utile puisqu'il semble que, dans certains cas, les médecins en contact avec des pervers sexuels ne disposent, pour seule source d'information sur les faits à l'origine d'une condamnation, que des déclarations du condamné, ce qui n'est assurément pas une garantie de parfaite neutralité !

Concernant les informations délivrées par le médecin traitant, le deuxième alinéa de cet article dispose que le médecin traitant délivre " à intervalles réguliers " des attestations de suivi de traitement afin de permettre au condamné de se justifier auprès du juge de l'application des peines. Cette attestation devrait être sommaire et se limiter à la date de la consultation.

L'expression " à intervalles réguliers " peut sembler imprécise. Il s'agit de permettre d'effectuer le traitement avec la plus grande souplesse possible, en permettant des changements de rythme à mesure que se déroule le traitement.

Votre Commission vous propose d'adopter à cet article du code de la santé publique un amendement tendant à préciser que le droit de communication au médecin traitant concerne aussi les expertises qui sont éventuellement réalisées lorsque le condamné purge sa peine de prison, c'est-à-dire avant qu'il n'entre dans la phase de suivi socio-judiciaire.

Art. L. 355.35 du code de la santé publique
Levée de l'obligation du secret professionnel pour les médecins concourant à l'exécution du suivi socio-judiciaire

Cet article précise les cas dans lesquels le médecin traitant de la personne condamnée à une peine de suivi socio-judiciaire peut entrer en relation avec le juge de l'application des peines, soit pour l'informer d'un risque de récidive, soit pour lui demander d'ordonner une expertise médicale.

Le premier alinéa de cet article délie le médecin traitant du respect du secret médical vis-à-vis du juge de l'application des peines ou de l'agent du probation du traitement 12( * ) , en cas " d'interruption du traitement " ou de " difficultés survenues dans son exécution ".

Le deuxième alinéa de cet article étend la même possibilité de levée du secret médical au médecin coordonnateur lorsque le médecin traitant a choisi de s'adresser à lui pour lui communiquer les informations sur l'arrêt du traitement ou ses difficultés d'exécution.

Le serment d'Hippocrate, sanctionné par l'article 226-13 du nouveau code pénal, impose à tout médecin de tenir secrètes les informations dont il est devenu dépositaire à l'égard de son patient. Il reste que l'obligation de secret professionnel ne s'impose comme un devoir que pour autant que le législateur n'en dispose pas autrement.

Il n'est pas inutile de rappeler, à cet égard, que d'ores et déjà l'article 226-14 du code pénal autorise la personne ayant connaissance de privations ou de sévices infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique et mental, à en informer les autorités judiciaires, médicales ou administratives. Le projet de loi inclut les atteintes sexuelles dans la notion de sévices ( article 11 ).

Par ailleurs, l'article 223-6 du code pénal sanctionne quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne et s'abstient de le faire, de cinq ans d'emprisonnement et de 500.000 francs d'amende.

En l'espèce, la levée du secret médical à l'initiative du médecin traitant condamné apparaît utile car elle évite que le médecin traitant ne devienne en quelque sorte le " complice objectif " du délinquant sexuel en étant tenu de conserver le secret sur les manquements de ce derniers à ses obligations.

Pour ne pas porter la responsabilité morale de ce qui pourrait se passer en cas de récidive, le médecin traitant peut ainsi disposer de la faculté de saisir directement ou indirectement le juge de l'application des peines, qui sera en mesure, en cas d'inobservation des obligations, de délivrer un mandat d'amener contre le condamné voire un mandat d'arrêt, si celui-ci est en fuite ou réside à l'étranger.

Le fait d'étendre la levée du secret médical aux difficultés survenues dans l'interruption du traitement apparaît également utile, sous certaines réserves cependant.

D'une part, en cas d'interruption du traitement à l'initiative du condamné, le médecin traitant peut être désireux d'expliquer le contexte psychologique dans lequel est survenue cette interruption ; d'autre part, comme l'a rappelé le docteur Carlier, lors des auditions publiques de la commission des lois, certains sujets déviants peuvent chercher à faire comprendre à leur thérapeute qu'ils sont conscients d'un " risque aigu " de récidive sollicitant ainsi, en quelque sorte, la possibilité d'une surveillance préventive de la part des autorités judiciaires ou policières.

La notion de " difficulté survenue dans l'exécution " devrait donc être bien interprétée comme recouvrant toutes les inquiétudes du médecin coordonnateur relatives à un risque de passage à l'acte de la part du condamné. Cette formulation large permet également de recouvrir les cas où le médecin traitant serait informé par le condamné lui-même que celui-ci ne respecte pas les obligations qui peuvent accompagner l'injonction de soins et notamment le fait de ne pas fréquenter de mineurs.

Le troisième alinéa de cet article prévoit que le médecin traitant puisse également proposer au juge de l'application des peines d'ordonner une expertise médicale : celle-ci peut venir à l'appui d'une demande de relèvement de la peine de suivi socio-judiciaire dans les conditions prévues à l'article 763-8 du code de procédure pénale ou, au contraire, déboucher sur l'interruption du traitement qui conduira à la réincarcération du condamné.

Cet article délie le médecin traitant du secret médical à l'égard du juge de l'application des peines en cas d'interruption du traitement ou de difficultés survenues dans son exécution.

S'il est incontestable que l'arrêt du traitement est une hypothèse grave qui justifie que l'on intervienne au plus vite pour éviter une récidive du condamné, on peut se demander si " les difficultés survenues dans l'exécution du traitement " ne relèvent pas du colloque singulier qui doit s'établir entre le thérapeute et le patient. Des informations à caractère médical peuvent être communiquées à un autre médecin, mais sans doute pas à un juge.

Votre Commission vous propose d'adopter à cet article du code de la santé publique un amendement qui réserve la notion de difficultés d'exécution au dialogue entre le médecin traitant et le médecin coordonnateur lequel pourra intervenir auprès du juge de l'application des peines s'il estime qu'il y a urgence. En tout état de cause, il filtrera les informations à communiquer en fonction de leur caractère médical.

Art. L. 355-36 du code de la santé publique
Prise en charge par l'Etat des dépenses d'intervention des médecins coordonnateurs

Cet article prévoit que l'Etat prendra en charge les dépenses afférentes aux interventions des médecins coordonnateurs.

L'étude d'impact du projet de loi estime que les médecins coordonnateurs devraient être choisis par le ministère de la santé principalement parmi les médecins hospitaliers. L'exercice de leurs nouvelles fonctions devrait alors leur ouvrir droit à des indemnités de responsabilités et de sujétions. S'il s'agit de la nomination de médecins libéraux, des vacations devraient être mises en place.

Il convient de rappeler que les interventions du médecin traitant devraient être prises en charge par la sécurité sociale.

Art. L. 355-37 du code de la santé publique
Renvoi à un décret en Conseil d'Etat

Cet article renvoie à un décret en Conseil d'Etat les modalités d'exécution du suivi socio-judiciaire dans le code de la santé publique.

L'exposé des motifs du projet de loi expose les aspects essentiels des dispositions réglementaires :

- le thérapeute prescrira le traitement adapté à l'état du condamné, en définira la nature et la périodicité et procédera aux modifications du traitement nécessitées par l'évolution de l'état du patient ;

- le médecin traitant pourra solliciter les conseils ou l'intervention du médecin coordonnateur ;

- le médecin traitant devra informer le condamné des conséquences du traitement à base de produits androgènes et lui laisser, dans la mesure du possible, un délai de réflexion avant le début effectif du traitement.

*

Votre Commission vous demande d'adopter l'article 6 du projet de loi modifié par les quatre amendements exposés ci-dessus.

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