III. L'APPARITION DE CIRCUITS DE CONSOMMATION DESTINÉS AUX PLUS DÉMUNIS

L'ouverture le 9 novembre 1996 à Bobigny d'un magasin " Crazy George's " a mis en lumière une tendance de notre économie à mettre en place des magasins spécifiquement destinés aux plus démunis. Rapprochant ce phénomène du succès des enseignes de " maxi discompte ", certains commentateurs y ont vu l'émergence d'une " économie de la misère ".

Votre Commission ne souhaite pas vilipender telle ou telle enseigne, surtout lorsque le système mis en place répond à un besoin et permet d'éviter tout risque de surendettement, ce qui est le cas de la location avec option d'achat. Néanmoins, elle estime que le développement de ces pratiques résulte de l'échec de notre société face à la pauvreté, ce qui est inacceptable.

En outre, les conditions d'exercice de ces activités -et notamment les prix pratiqués- ne sont pas toujours à l'abri de la critique.

Rappelons que le magasin " Crazy George's ", par exemple, permet l'accès à la propriété de biens de consommation durables à des personnes aux faibles revenus qui ne peuvent souvent bénéficier des réseaux traditionnels d'achat, au moyen d'un système de location avec option d'achat, mais pour un coût total égal au double du prix de l'achat comptant.

En effet, le régime juridique de la location avec option d'achat n'impose pas -contrairement à celui du crédit à la consommation- de plafonnement du coût total pour le consommateur.

Les principales caractéristiques de ce nouveau système sont détaillées ci-dessous :

Une formule anglo-saxonne

Les magasins de location avec option d'achat récemment ouverts en France par le groupe américain Thorn sont la réplique de formules mises en oeuvre au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. On y trouve des biens électroménagers, " hifi ", et d'ameublement. Le consommateur peut y acheter ces biens soit au comptant, (ce qui représente une part infime des ventes), soit en location avec option d'achat, c'est-à-dire par le versement réguliers de loyers pour un bien dont le client dispose immédiatement, mais dont la propriété ne lui sera transférée qu'à l'issue d'une période de trois années.

La location avec option d'achat n'est en effet pas un crédit à la consommation, mais bien un contrat de location, au terme duquel la propriété du bien est transférée au locataire. Elle est utilisée à 80 % pour le financement de véhicules automobiles.

S'il s'inscrit dans un cadre juridique relativement ancien celui de la location avec option d'achat apparue dès les années 60, ce nouveau type de magasins présente à bien des égards des spécificités.

Une clientèle défavorisée

Les personnes visées sont celles qui ne peuvent avoir accès à de tels biens par les voies plus classiques que sont l'achat au comptant (car elles n'ont pas les liquidités suffisantes) et l'achat à crédit (nombre d'entre elles n'ont pas accès au crédit). Il s'agit donc d'une clientèle à bas revenus . En effet, il n'est exigé ni versement initial, ni dépôt de garantie et le contrat se caractérise par la modicité des loyers mensuels (même si le coût total reste très élevé).

Les défavorisés constituent le " coeur de cible " de telles enseignes, qu'il s'agisse des personnes titulaires de salaires peu élevés ou de bénéficiaires de prestations sociales. D'ailleurs, d'après un récent sondage 5( * ) , un tiers environ de la clientèle de Crazy George 's ne dispose même pas d'un salaire par foyer.

Pour la conclusion d'un contrat, il est requis :

- une pièce d'identité ;

- une facture d'EDF ou de France Télécom ;

- un justificatif de domicile (quittance de loyer) ;

- un justificatif de revenu. Les revenus " sociaux ", comme les indemnisations de l'ASSEDIC, par exemple, sont acceptés comme justificatifs de revenus ;

- les noms, adresses et numéro de téléphone de cinq personnes adultes dont deux membres de sa famille, qui sont systématiquement contactées afin de vérifier l'exactitude des informations fournies.

L'entreprise vérifie en outre auprès de la Banque de France que les candidats ne sont pas en situation de surendettement.

En outre, ce type de magasins instaure une relation si proche avec sa clientèle -qui par ailleurs est particulièrement fragile- qu'on serait tenté de qualifier cette dernière de " captive ". En effet, pour pouvoir conclure un contrat de location avec option d'achat, il faut habiter dans un rayon de cinq kilomètres autour du lieu d'implantation du magasin , ce qui est une caractéristique propre à ce type d'établissement.

De plus, les services offerts à la clientèle sont réalisés par les vendeurs du magasin, de l'installation et de la mise en service de l'appareil au domicile de l'acheteur, au service après-vente pendant les trois ans de durée du contrat. Le versement des loyers a lieu au magasin , chaque semaine ou chaque mois. Les vendeurs connaissent donc la situation personnelle de leurs clients.

Ces méthodes commerciales -tout à fait légales- ne rendent-elles pas illusoire la " liberté " conférée par la location avec option d'achat, qui permet de résilier à tout moment le contrat, sans frais ni pénalités ?

A. UN PROBLÈME MORAL

Le développement de ce que certains ont appelé " L'économie de la misère " pose plusieurs problèmes d'ordre moral.

1. La nécessaire information du consommateur

En vertu de la loi, le consommateur doit être pleinement informé des conditions, notamment tarifaires, pratiquées par de telles enseignes. Ce principe doit être d'autant plus fermement appliqué qu'il s'adresse aux plus pauvres de nos concitoyens.

Pour ce qui est du magasin Crazy George's de Bobigny, la DGCCRF a pu constater qu'il ne satisfaisait pas, à son ouverture, aux exigences du code de la consommation relatives à l'information du consommateur. Il était notamment reproché au magasin de ne pas assez faire apparaître le coût total de l'opération. Ce dernier avait dû fermer quelques jours pour modifier la signalisation de ses produits, désormais conforme aux exigences légales et réglementaires, comme l'ont affirmé aussi bien la DGCCRF que le Conseil national de la consommation, dont l'avis a été sollicité sur ce point précis.

2. Un coût total deux fois plus élevé qu'un achat au comptant

Contrairement au crédit à la consommation, dont le taux ne peut dépasser, sous peine de sanctions, les taux usuraires définis par la puissance publique, la location avec option d'achat ne voit pas son coût total plafonné.

Dans le cas du magasin précité, le coût final pour l'acheteur atteint plus du double du prix de ce bien acheté au comptant. Par exemple, un téléviseur d'un prix de 2.747 francs, acheté sur trois ans par le versement de loyers hebdomadaires de 39 francs, reviendra au total à 6.084 francs, soit 2,21 fois plus cher !

Cette différence importante de prix suivant le régime d'acquisition utilisé est choquante car on arrive de fait au paradoxe suivant, que votre rapporteur pour avis dénonce avec force : ce sont les plus démunis qui paient le plus cher !

B. LA NÉCESSAIRE POURSUITE D'UN DÉBAT PUBLIC ÉQUILIBRÉ

La Haute Assemblée n'est pas restée insensible au développement de ces nouvelles formes d'achat, qui résultent largement de l'exclusion croissante des démunis. Si le problème de fond reste bien celui de la pauvreté, qui doit être traité en tant que tel, une moralisation de ces nouvelles pratiques commerciales peut toutefois être envisagée.

Deux propositions de loi ont été déposées dans ce but par des membres du Sénat qui, si elles sont différentes dans le dispositif qu'elles proposent, sont semblables dans leur volonté de protéger le consommateur.

Il s'agit de la proposition de loi n° 145 relative à la protection des consommateurs en matière de location avec option d'achat de nos collègues Philippe Marini, Robert Calmejane et Jean-Jacques Robert, ainsi que de la proposition de loi n° 330 tendant à réprimer l'utilisation abusive de la location avec option d'achat et à relancer la consommation populaire, présentée par M. Louis Minetti et nos collègues du groupe communiste, républicain et citoyen.

Notre collègue M. Jean-Jacques Robert a d'ailleurs été nommé rapporteur de ces deux propositions de loi.

Votre commission reste extrêmement attentive à ce problème, tout en étant consciente -en ce qui concerne la location avec option d'achat- de la nécessité de ne pas déstabiliser, par une législation trop brutale, ce secteur, qui permet le financement annuel de 120.000 véhicules automobiles et représente plusieurs milliers d'emplois.

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