CONCLUSION

Ce qui distingue une époque économique d'une autre, c'est moins ce qu'on
a produit que la manière de le produire

Karl Marx (1818-1883)

Philosophe et économiste allemand

Conclure.

Un tel verbe est bien inadapté en économie, où rien ne saurait arrêter le mouvement . Tout au plus peut-on infléchir sa direction, accélérer ou ralentir son rythme, accroître ou réduire son ampleur.

Les délocalisations n'échappent pas à cette règle . Si, finalement, elles ne semblent pas peser si lourd dans les incessantes mutations du tissu productif français, il est certain qu'elles vont s'accroître avec le développement du commerce mondial et la montée en puissance de nouvelles zones économiques. Elles constituent ainsi un véritable défi pour notre système socio-économique et territorial , contraint de s'adapter à cette nouvelle donne pour en tirer le meilleur parti.

En tant que telles, les délocalisations ne sont pas condamnables : il en est de nécessaires pour la croissance de la richesse et la modernisation de l'appareil de production, comme il en est d'inquiétantes quant à la capacité du pays à progresser. Tout est affaire d'analyse des conditions objectives du processus productif, secteur par secteur, filière par filière, voire segment par segment.

Partout où la production de masse , la maturité du produit et l' intensité du facteur travail constituent les caractéristiques essentielles, les délocalisations vers des zones à bas coûts de main d'oeuvre sont non seulement inévitables, mais également souhaitables :

- souhaitables pour notre propre développement car, d'une part, si nous voulons vendre davantage, encore faut-il qu'émergent de nouveaux marchés solvables, donc capables eux-mêmes de créer de la valeur, et, d'autre part, la transformation continuelle du tissu productif est le gage de notre capacité à innover ;

- souhaitables pour le développement des Etats de ces zones , la production de richesses n'étant nullement réservée par principe aux seuls pays industrialisés.

En revanche, quand les délocalisations touchent des activités à forte valeur ajoutée et des domaines où la France, compte tenu de son niveau de développement, de la qualité de ses réseaux et infrastructures, de la formation de sa main d'oeuvre, devrait disposer d'avantages comparatifs, alors il y a danger , car la perte de compétitivité dont elles témoignent ne trouve aucune justification acceptable.

A cet égard, votre groupe de travail souhaite exprimer son optimisme sur les capacités intrinsèques de notre société : celle-ci est constituée d'hommes et de femmes talentueux et dynamiques qui, après avoir reconstruit le pays après-guerre, sont entrés de plain pied et sans réelle réticence dans la nouvelle économie-monde. C'est grâce à eux que, quelles que soient les alarmes que certains bons esprits renouvellent à terme régulier, la France figure toujours aux meilleures places dans le peloton de tête des nations ; c'est grâce à eux qu'elle est potentiellement en mesure de s'y maintenir en répondant positivement aux nouvelles exigences de la compétition internationale.

Encore faut-il les en convaincre et les y aider . Le premier des axes qui structurent les propositions de votre commission poursuit précisément cet objectif : libérer les énergies en favorisant l'activité productive avec un haut niveau d'exigences de qualité, en soutenant l'innovation et la recherche, en adoptant les nouvelles méthodes de développement en réseau, en privilégiant les filières d'avenir qui contribuent au bien-être social, dans lesquelles l'outil conceptuel et productif national est en mesure d'occuper les premières places.

Encore faut-il s'assurer de ne laisser personne au bord du chemin . L'économie de la connaissance et de la haute technologie qui s'ébauche sous nos yeux ne saurait être réservée qu'à une élite, regroupée dans quelques lieux géographiques et reléguant à ses marges, dans des bassins progressivement appauvris et se vidant de leurs forces vives, un nombre toujours plus important de nos concitoyens. Il est ainsi essentiel de parvenir à équilibrer le développement du territoire en faisant confiance aux collectivités locales et en leur donnant les moyens d'assurer leurs responsabilités économiques. Il est tout aussi nécessaire d' améliorer l'employabilité de la main d'oeuvre afin qu'elle puisse être en mesure de s'adapter à l'enrichissement technologique de notre croissance. Il est en outre indispensable d'abandonner des conceptions désormais dépassées de ce que serait une économie vertueuse où seule la production matérielle serait privilégiée, et de ne plus mépriser des activités qui tissent le lien social et répondent à des besoins de plus en plus évidents de notre société . Les gisements d'emplois de proximité, par définition non-délocalisables, sont immenses. Surtout, ils sont seuls à même de donner un travail aux personnes n'ayant pas de qualification très élevée et de favoriser la création de richesse à peu près partout sur le territoire. Tout doit être entrepris pour les valoriser et encourager leur essor .

Encore faut-il permettre à nos concitoyens d'adhérer sans retenue au cadre élargi dans lequel s'inscrit désormais leur avenir : l'Europe . Or, en l'espèce, les résultats des toutes récentes élections au Parlement européen démontrent à l'envi que le chemin semble encore long pour emporter leur confiance. A l'évidence, le processus de la construction communautaire leur paraît éloigné de leurs préoccupations , quand il n'irait pas à l'encontre de leurs intérêts. La responsabilité de cette situation dramatique est partagée entre les instances communautaires et les responsables politiques nationaux, qui n'ont pas su jusqu'à présent donner suffisamment de sens à l'édification européenne . En ne retenant que le credo du libéralisme anglo-saxon, tout attaché au seul principe de la concurrence, ils ont négligé la dimension sociale du développement sur laquelle s'est historiquement fondée la croissance économique et culturelle de l'Europe continentale .

Mais pour votre commission, malgré la profondeur de la crise actuelle, tout n'est pas perdu. Le « néo-colbertisme » auquel elle appelle est un moyen de redonner une visibilité au projet européen en apportant au pouvoir politique les instruments capables d'exprimer une réelle volonté et d'insuffler un nouvel élan . La définition d'une politique industrielle mobilisant les énergies et indiquant un cap, soucieuse de privilégier les voies d'excellence et de favoriser l'expansion industrielle, préoccupée du devenir des territoires et de leurs populations, est en elle-même un projet capable d'incarner l'idée européenne . Elle n'est certes pas la seule à pouvoir le faire, mais il paraît clair que son absence jusqu'à présent n'est pas sans lien avec le caractère bancal de l'édification européenne.

Si l'Union européenne ne saurait durablement se construire sans dimension sociale ni valeurs éthiques et culturelles, elle ne pourra davantage résister aux forces centrifuges qui risquent de la condamner si elle n'affirme une ambition industrielle . Car « là où il n'y a pas de vision, les peuples périssent » .

Réunie le mercredi 23 juin 2004 sous la présidence de M. Bernard Piras puis de M. Gérard César , vice-présidents , la commission a adopté le rapport d'information du groupe de travail sur la délocalisation des industries de main d'oeuvre , le groupe socialiste s'abstenant et le groupe communiste républicain et citoyen votant contre.

Page mise à jour le

Partager cette page