2. Actualité pratique des théories de l'échange

Sans pour autant perdre en pertinence, le cadre théorique tracé ci-dessus se trouve aujourd'hui bousculé par l'émergence de caractéristiques nouvelles de l'échange concurrentiel international : les unes tiennent aux acteurs, à leur taille et à leurs compétences, les autres aux secteurs sur lesquels s'exerce la compétition.

a) Des géants concurrentiels

Bien que la globalisation des échanges économiques internationaux ne soit pas, pour les pays industrialisés, une donnée nouvelle, ses conséquences sur les économies nationales ont toutefois pris une autre dimension que par le passé en raison de l'ouverture et de la participation croissante des pays en développement (PED) aux échanges internationaux depuis les années 1980 . Ainsi, la part des produits manufacturés dans les exportations des PED est passée de 20 % en 1980 à 80 % en 2000, et même à 90 % pour l'Asie de l'Est selon Mme Frédérique Sachwald, responsable des études économiques de l'Institut français des relations internationales (IFRI), entendue par votre groupe de travail. Nombre de ces pays sont donc désormais devenus de grands exportateurs de produits manufacturés, venant ainsi concurrencer directement les pays industrialisés sur leur pré carré traditionnel .

Mais longtemps restreinte à un petit nombre de pays à bas salaires généralement peu peuplés, désignés comme les « nouveaux pays industrialisés » (NPI), tels les « dragons » d'Asie du Sud-Est (Corée, Taïwan, Singapour), la compétition s'élargit maintenant aux Etats que M. Pierre-Noël Giraud (28 ( * )) a le premier qualifié de pays à bas salaires et à capacités technologiques (PBSCT) : la Chine, l'Inde, le Brésil, les pays d'Europe centrale et orientale (PECO). Or, certain d'entre eux - désignés parfois par l'acronyme « BRIC » (Brésil, Russie, Inde, Chine) - sont considérablement plus peuplés que les premiers NPI et dotés de plus grandes capacités technologiques, héritées de leur passé industriel -souvent socialiste - ou transférées par les firmes multinationales.

Cette double caractéristique présente une redoutable particularité pour l'économie du monde, et singulièrement pour les systèmes productifs occidentaux. D'une part, les niveaux de salaires dans les secteurs exportateurs de ces PBSCT resteront durablement bas , bien que significativement supérieurs à ceux de la grande majorité de leur population, en raison de l'énorme poids des masses rurales et du secteur informel à très faible productivité qui pèsent sur leurs marchés internes du travail. D'autre part, les capacités technologiques de ces pays sont aujourd'hui similaires, sinon identiques, à celles des pays industrialisés : la conjonction de cette compétence, d'une main d'oeuvre très qualifiée et en nombre important - celui-ci étant relatif à leur population totale -, ainsi que de niveaux de salaires durablement faibles, confère aux PBSCT un avantage concurrentiel significatif . Et cette nouvelle compétition ne fait que commencer car leur ouverture récente à l'économie mondiale va s'amplifier.

Si l'intérêt du libre-échange entre zones de niveau de développement comparable n'est qu'exceptionnellement contestée, les conséquences des échanges croissants entre pays industrialisés et pays à bas salaires en industrialisation rapide suscitent quant à elles une inquiétude unanimement partagée . Même les économistes les plus libéraux, convaincus que les deux types de pays gagnent en moyenne au libre-échange, conviennent que des pertes peuvent, sur une période de transition relativement longue, être enregistrées dans les pays riches. Certains, comme le prix Nobel Maurice Allais (29 ( * )), en sont même conduits à prôner un retour à des mesures protectionnistes à l'égard de ces pays, que d'autres accusent par ailleurs de « dumping » social ou environnemental.

La question ainsi posée aux Etats industriels, qui dépasse au demeurant largement le cadre des seules délocalisations, est finalement de déterminer, dans ce contexte nouveau que M. Dominique Roux qualifie d'hyper-concurrence mondiale (30 ( * )), quel est le degré de concurrence acceptable - politiquement plutôt qu'économiquement - entre pays riches et pays à bas salaires . Cette question avait été très précisément identifiée par notre collègue M. Jean Arthuis, dont le rapport d'information (31 ( * )) avait pour exergue les mots suivants : « Quand les prix défient toute concurrence, il n'y a plus de concurrence » .

* (28) Voir L'inégalité du Monde. Economie du monde contemporain - Gallimard - 1996, ainsi que « Les causes des inégalités croissantes dans les pays riches », in Etudes - Juin 2003.

* (29) Voir La mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance : l'évidence empirique -Clément Juglar - 1999.

* (30) Voir Laborgistique : nouvelle stratégie pour le management - Economica - 2004.

* (31) Rapport d'information du Sénat n° 337 (1992-1993) - Op. cit.

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