c) L'importance significative des mouvements de l'économie

La théorie de la destruction créatrice mérite elle aussi d'être réactualisée dans le nouveau contexte de globalisation, à la lumière des possibilités d'observation statistique étendues dont disposent aujourd'hui les économistes. Comme l'a analysé Schumpeter, la dynamique naturelle de l'économie conduit à une transformation continuelle du processus de production , qui s'exprime notamment sur le marché du travail : chaque jour, des emplois sont détruits et d'autres créés, dans un relatif équilibre d'ensemble . Lors de son audition devant le groupe de travail, M. Pierre Cahuc, professeur à l'Université de Paris I Panthéon Sorbonne et chercheur au Centre de recherche en économie et statistiques (CREST), a ainsi indiqué qu' en France, environ 10.000 emplois étaient détruits quotidiennement, et à peu près autant étaient créés (soit quelque 2,4 millions d'emplois par an, ce qui représente 15 % de la population du secteur marchand non-agricole). Seul le solde de cette balance, qui n'en représente que moins de 0,5 %, constitue en fin d'année l'apparence visible de la création ou de la destruction nette d'emploi. Dans son récent ouvrage réalisé avec M. André Zylberberg (33 ( * )), M. Pierre Cahuc ajoute que, sur les 30.000 départs quotidiens, volontaires ou non, de salariés de leur emploi (34 ( * )), seuls 600, soit 2 %, résultent d'un licenciement économique, et 150 « seulement » sont concernés par une procédure collective. On observera à cet égard qu'à l'évidence, les effets des délocalisations sur le niveau global de l'emploi ne constituent qu'une toute petite partie de ce mouvement économique général.

Ainsi, la création et la destruction d'emplois est un phénomène de long terme qui s'exprime par une incessante et massive recomposition du travail et joue un rôle fondamental dans la croissance : cette réallocation de la main d'oeuvre serait en effet à la source de 85 % des gains de productivité.

Mais cette transformation continuelle du processus de production s'exerce de plus en plus à l'échelle internationale, à mesure que les flux de capitaux et de biens deviennent aisés et augmentent en conséquence. Les mouvements de capitaux se sont en effet développés entre pays riches, mais s'étendent de manière croissante au reste du monde. De même, la diminution tendancielle des coûts de transport concourt à la mobilité croissante des marchandises. Enfin, la réduction accélérée du coût de transmission des données numérisées transforme totalement les conditions d'élaboration des processus de production, l'effacement des distances auquel contribue la diffusion de l'Internet participant alors à la création d'un « village mondial » au sein duquel les entreprises font leurs arbitrages. Seul le facteur travail connaît une « visquosité » à la mobilité, les mouvements migratoires des populations étant considérablement moins importants que ceux des capitaux, des biens et des services. Ainsi, la main d'oeuvre apparaît comme une variable d'ajustement des mouvements économiques transfrontaliers.

Or, si la destruction est, conformément à la théorie schumpeterienne, créatrice à l'échelle internationale, il n'est pas avéré qu'elle le soit à l'intérieur d'un sous-ensemble national du « grand tout » mondial . La « destruction », qui se manifeste à l'échelle nationale, au pire, par des fermetures d'entreprises victimes de la concurrence internationale, au mieux, par des restructurations ou des délocalisations pour permettre la survie de l'entreprise, se traduit par des pertes d'emplois. Mais rien ne permet d'affirmer in abstracto que cette « destruction » est compensée par la « création », au sens de Schumpeter, sur le même territoire . C'est pourquoi, au plan conjonctuel , les délocalisations posent tant de difficultés sociales, pour les travailleurs qui en sont victimes, et territoriales, pour les espaces géographiques qui les affectent .

* (33) Le chômage, fatalité ou nécessité ? - Flammarion - 2004.

* (34) La moitié de ces mouvement correspond à des fins de contrat à durée déterminée.

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