2. Le renforcement des sanctions contre les employeurs

En parallèle à cette exceptionnelle mobilisation des services de contrôle, le Gouvernement a, depuis plusieurs années, sensiblement renforcé les sanctions encourues par les employeurs d'étrangers en situation irrégulière. Ces sanctions s'ajoutent aux mesures de régularisation qui leur sont imposées et qui consistent dans le versement aux caisses de sécurité sociale des cotisations dues au titre des salariés employés illégalement.

Traditionnellement, les employeurs d'étrangers sans titre s'exposent à des sanctions pénales et sont assujettis au versement d'une amende administrative, la contribution spéciale due à l'ANAEM.

En matière pénale, la loi n° 2003-1115 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, a considérablement durci les peines applicables en cas d'emploi d'étranger sans titre de travail, qui sont désormais parmi les plus sévères d'Europe.

L'employeur s'expose en effet à une peine de cinq ans d'emprisonnement et à une amende de 15.000 euros par salarié concerné 115 ( * ) . Ces peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 100.000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise en bande organisée. Elles sont plus sévères que celles encourues pour d'autres formes de travail illégal, puisque l'infraction de travail dissimulé est punie, par exemple, de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende ; cela témoigne de l'accent mis sur la lutte contre l'emploi d'étrangers en situation irrégulière, qui se justifie par la particulière vulnérabilité de ces derniers.

Créée en 1976, la contribution spéciale due à l'ANAEM, visée à l'article L. 341-7 du code du travail, est une amende administrative à la charge des entreprises qui emploient des étrangers dépourvus d'autorisation de travail. Son montant est égal à mille fois le taux horaire du minimum garanti mentionné à l'article L. 141-8 du code du travail, soit 3.110 euros par travailleur irrégulier.

En dépit de leur quantum apparemment dissuasif, ces sanctions traditionnelles ont, depuis quelques années, montré leurs limites .

Il apparaît, en premier lieu, que les condamnations effectivement prononcées par les tribunaux demeurent relativement modérées. Mme Colette Horel, qui dirige la délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal (DILTI) a indiqué que le montant moyen des peines était de moins de 3.000 euros, tout type d'infractions relatives au travail illégal confondues. Elle a ajouté que « l'application des peines conduit à des quanta faibles non pas par mauvaise volonté des juges mais parce que les juges ne sont pas toujours conscients de l'importance des sommes qui sont en jeu » .

La commission d'enquête souhaite, en conséquence, que les magistrats soient sensibilités à l'importance des bénéfices retirés de la pratique du travail illégal, afin qu'ils soient incités à prononcer des sanctions véritablement dissuasives.

Si les peines demeurent faibles, il convient de souligner en revanche la progression remarquable du nombre de condamnations pour emploi d'étranger sans titre de travail depuis 2000. Les statistiques du casier judiciaire indiquent que le nombre de condamnations visant cette infraction est passé de 572 en 2000 à 818 en 2004. Sur la même période, le nombre de condamnations sanctionnant cette infraction à titre principal est passé de 107 à 188. Sur 28 peines d'emprisonnement prononcées pour sanctionner ce délit, 25 étaient assorties d'un sursis.

La commission d'enquête souhaite également attirer l'attention sur le difficile recouvrement de la contribution spéciale due à l'ANAEM . Si cette amende peut, en théorie, avoir un effet dissuasif, sa mise en oeuvre s'est révélée peu effective depuis plusieurs années. Le taux de recouvrement de la contribution est particulièrement faible, puisqu'il n'excède pas 20 %. Le directeur de l'ANAEM, M. André Nutte, a expliqué que « les entreprises qui sont en infraction (...) sont difficiles à cerner et ont souvent des durées de vie très courtes, comme celles que l'on peut trouver dans le Sentier ou sur certains chantiers du bâtiment. Entre le moment où l'infraction est constatée et celui où le procès-verbal arrive au siège de l'ANAEM, il s'écoule quelques bonnes semaines, après quoi soit l'entreprise a disparu, soit elle a organisé son insolvabilité, soit elle est en liquidation judiciaire. »

Une circulaire interministérielle du 9 décembre 2005, préparée par la direction de la population et des migrations (DPM), est venue opportunément rappeler aux services de contrôle l'obligation qui leur incombe de transmettre, dans des délais rapides, les procès-verbaux d'infraction à l'ANAEM.

La modestie des sanctions pénales comme le faible taux de recouvrement de la contribution spéciale s'expliquent aussi par la difficulté de mettre en cause la responsabilité des donneurs d'ordre.

L'article L. 341-6-4 du code du travail les oblige à vérifier, dès lors que l'objet du contrat porte sur un montant supérieur à 3.000 euros, que leur cocontractant se conforme bien aux dispositions de l'article L. 341-6 du même code, interdisant l'emploi d'étrangers sans titre.

Or, peu de procédures pénales établies par les agents de contrôle, et qui servent incidemment de support au recouvrement de la contribution spéciale, contiennent les informations de base permettant d'engager la solidarité financière des donneurs d'ordre.

De surcroît, en application de l'article R. 341-36 du code du travail, les donneurs d'ordre peuvent s'exonérer de leur responsabilité s'ils fournissent, ce qu'ils manquent rarement de faire, une attestation sur l'honneur, remise par leur cocontractant, certifiant que les salariés étrangers auxquels il sera fait appel pour l'exécution du contrat seront en situation régulière au regard de la législation du travail.

En conséquence, même s'il est souhaitable que la recherche de la responsabilité d'éventuels donneurs d'ordre devienne plus systématique, il convient de ne pas surestimer les effets d'une telle politique.

Il est à noter que le projet de loi sur l'immigration et l'intégration propose de renforcer les obligations de contrôle des donneurs d'ordre en leur imposant d'obtenir de leur cocontractant les justificatifs nécessaires, non seulement au moment de la conclusion du contrat, mais également tous les six mois. Les particuliers seraient soumis à la même obligation 116 ( * ) .

Recommandation n° 29 : Sensibiliser les magistrats à l'importance des bénéfices retirés de l'exploitation du travail illégal, systématiser la mise en oeuvre des procédures de recouvrement de la contribution due à l'ANAEM et la recherche de la responsabilité des donneurs d'ordre.

Tenant compte de ces difficultés, le législateur a complété, depuis 2005, la gamme des sanctions administratives . Le recours à de telles sanctions présente l'avantage de la rapidité et participe d'une logique de moralisation de la relation de travail, puisqu'il consiste à priver d'aides publiques les entreprises coupables de pratiques de travail illégal .

L'article 86 de la loi du 2 août 2005 relative aux petites et moyennes entreprises, a tout d'abord autorisé les autorités compétentes à refuser aux entreprises en infraction le bénéfice des aides publiques à l'emploi et à la formation professionnelle, pour une durée maximale de cinq ans.

L'article 25 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 a ensuite disposé que le bénéfice des mesures de réduction et d'exonération de cotisations sociales était subordonné au respect des règles relatives au travail dissimulé ; les entreprises verbalisées sont tenues, en outre, de rembourser les avantages dont elles ont bénéficié au titre de ces réductions ou exonérations, dans la limite du délai de prescription, qui est de cinq ans.

Le décret d'application de l'article 86 de la loi du 2 août 2005 a été publié le 23 février dernier et les décrets d'application de l'article 25 de la loi de financement de la sécurité sociale sont, soit en cours de signature, soit en cours d'examen devant le Conseil d'Etat. L'ensemble du dispositif sera donc prochainement opérationnel et pourra exercer pleinement son effet dissuasif.

Si le délai de parution de ces décrets d'application n'apparaît pas excessif, la commission d'enquête regrette, en revanche, que les mesures réglementaires nécessaires à la mise en oeuvre de l'article 32 de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, n'aient pas encore été publiées. Introduit par voie d'amendement parlementaire, cet article prévoit de mettre à la charge de l'employeur d'un étranger en situation irrégulière une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de ce dernier dans son pays d'origine .

La commission d'enquête observe cependant, pour s'en féliciter, que le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a fait part, lors de son audition, de sa volonté de rendre rapidement applicable cette mesure. Estimant qu' « il n'y a aucune raison que ce soit le contribuable français qui paie le rapatriement du travailleur clandestin employé clandestinement » , il a indiqué que le montant de la contribution forfaitaire pourrait varier entre 5.000 et 10.000 euros par travailleur en situation irrégulière. Le projet de décret, à l'élaboration duquel a été associé le ministère du travail, est actuellement en cours d'examen par le Conseil d'Etat.

* 115 Article L. 364-3 du code du travail. Avant la réforme, la durée maximale de l'emprisonnement était fixée à trois ans et le montant de l'amende à 4.500 euros.

* 116 Ces dispositions figuraient déjà dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, mais ont été déclarées contraires à la Constitution, au motif que leur objet était étranger au champ des lois de financement.

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