CONTRIBUTION DES SÉNATEURS
DU GROUPE SOCIALISTE
MEMBRES DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE1

La France est historiquement une terre d'immigration et d'asile. L'immigration a contribué à construire la France d'aujourd'hui et continuera à le faire à l'échelle de l'Europe. 1/5 ème de la population hexagonale actuelle possède un ascendant aïeul ou bisaïeul d'origine étrangère.

C'est pourquoi le problème de l'immigration clandestine doit être replacé dans le cadre d'une réflexion globale sur l'état du monde et sur la question de l'immigration et de l'asile. Celle-ci doit être conduite avec le souci permanent de lutter contre le racisme, l'antisémitisme, l'intolérance et la xénophobie.

Dans cette perspective, l'amalgame entre asile et immigration, entre immigration et terrorisme, entre immigration dite clandestine et immigration dite régulière constitue un poison pour notre démocratie et un danger pour les valeurs fondamentales de notre République. Rappeler ces principes ne s'oppose en aucune façon à la prise en compte réaliste des problèmes posés.

Des auditions de la commission d'enquête, il ressort comme enseignement principal que le problème de l'immigration clandestine concerne principalement et avant tout l'outre-mer, ce qui ne dispense pas le gouvernement, ni les pouvoirs publics, bien au contraire, de respecter en toute circonstance les droits de l'homme. Cette situation a des conséquences sur l'économie locale, certains entrepreneurs et particuliers contribuant à développer le travail illégal.

Ceci appelle donc un traitement spécifique et des mesures adaptées à l'ampleur du phénomène. Mais, la situation de l'outre-mer exorbitante du droit commun ne doit en aucun cas servir de prétexte pour étendre à l'ensemble du territoire national des mesures toujours plus restrictives de la liberté de circulation des populations étrangères.

La politique de fermeture des frontières, la mise en cause permanente des étrangers et le recul de leurs droits fondamentaux, par exemple le droit d'accès aux soins, ne constituent pas la solution au problème de l'immigration clandestine.

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1 Mme Catherine Tasca, MM. Bernard Frimat, Charles Gautier, Louis Mermaz, Jean-Claude Peyronnet (parti socialiste), Mme Alima Boumediene-Thiery (les verts).

La réalité de cette immigration est complexe. Elle est faite de l'existence de filières de passeurs, du travail illégal, de la précarisation et de la paupérisation des déboutés du droit d'asile et des étrangers sans papiers. De plus, cette politique dite « offensive » contre l'immigration clandestine conduit à déstabiliser les Français dont l'apparence extérieure pourrait laisser penser qu'ils sont étrangers et la population étrangère résidant régulièrement sur notre territoire.

La politique du gouvernement actuel en matière d'asile et d'immigration se caractérise par des contradictions multiples entre certains discours et les actes et par des pratiques indignes d'une démocratie.

La situation faite aux mineurs étrangers est, à cet égard, particulièrement grave.

Comment accepter la présence dans les centres de rétention de jeunes enfants, voire de bébés ?

Comment justifier que des mineurs, pour lesquels il est fait obligation sur notre sol d'organiser la scolarisation, puissent dans le même temps vivre sous la menace permanente d'une expulsion ?

Est-il possible à la fois d'invoquer les valeurs de la République et d'interrompre la scolarité d'enfants qui ont trouvé au milieu de leurs camarades et professeurs un début de stabilité et d'intégration ? L'audition du Réseau Education Sans Frontières a démontré abondamment le double langage du ministre qui, contrairement à ses déclarations, interrompt non seulement les cycles d'étude mais l'année scolaire.

Le nombre d'étrangers en situation irrégulière est le pendant logique des lois et réglementations qui viennent constamment restreindre les voies légales de l'immigration (asile, famille, travail). Réduire la politique de l'immigration aux seuls durcissements législatifs ne permet pas de résoudre les problèmes de l'immigration dite clandestine. A fortiori si l'on ajoute que la plupart des immigrés en situation irrégulière sont entrés régulièrement sur le territoire. Un préalable indispensable consiste en une bonne définition dans les termes employés. Les étrangers en situation irrégulière ne sont pas assimilables à des immigrés clandestins. Ces derniers ne représentent qu'une partie des étrangers en situation irrégulière au regard des lois et réglementations en vigueur.

De plus, une politique de l'immigration qui prend pour principal point de départ la production des chiffres et statistiques conduit, d'une part, à commettre des erreurs d'appréciation de la situation, d'autre part, à généraliser à l'ensemble du territoire national des réalités différentes entre métropole et outre-mer.

Premièrement, si les statistiques fiables sur l'immigration régulière sont difficiles à rassembler, l'immigration irrégulière quant à elle ne peut faire l'objet par définition que d'estimations. Son évaluation prend appui sur des données partielles, différées ou bien indirectes telles que le nombre de demandes de titres de séjour déposées rapporté au nombre de demandes refusées ou de non renouvellements de titre. Et il est très difficile de déduire des indicateurs de la pression migratoire, tels que le nombre de placements en zone d'attente ou les refus d'admission sur le territoire, des chiffres précis de l'immigration irrégulière.

Deuxièmement, il est encore plus compliqué de travailler sur les chiffres dans les collectivités et départements d'outre-mer puisque l'administration ne possède pas les outils suffisants pour mesurer l'immigration clandestine. A titre d'exemple, il n'existe pas de données précises concernant le nombre de ceux qui, parmi les personnes reconduites à la frontière, ont déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement. Or, l'importance et la régularité des flux migratoires entre les Comores et Mayotte par exemple sont avérées.

Le nombre de mesures d'éloignement des étrangers comptabilisées annuellement permet de nourrir artificiellement les indicateurs de la pression migratoire. En effet, les objectifs chiffrés d'exécution des arrêtés de reconduite à la frontière, fixés par le ministre de l'intérieur, relèvent d'une décision politique et d'une posture.

En Guyane, étant donné la situation géographique de ce territoire et la longueur des fleuves qui le sépare du Brésil et du Surinam, le nombre de mesures d'éloignement exécutées peut être augmenté de manière significative sans pour autant donner une image réelle du nombre d'étrangers restant en situation irrégulière. La perméabilité physique des frontières limite la signification des indicateurs statistiques.

Tout en affirmant l'ampleur du phénomène migratoire dans les collectivités d'outre-mer -à Mayotte, par exemple, sur une population globale de 160 000 habitants, on estimerait très approximativement la population étrangère à 60 000 personnes dont les trois quarts en situation irrégulière, le tout représentant 40 % de la population- ces chiffres s'additionnent à ceux totalement différents de la métropole, nourrissant ainsi les tenants de l'existence d'une pression migratoire toujours plus puissante.

Enfin, il convient de bien mesurer le coût financier, humain et diplomatique de la politique d'immigration lorsqu'elle se limite, dans ses grands objectifs, à la fermeture des frontières et à l'éloignement. Cette option défavorise les autres domaines d'intervention que sont l'intégration et la coopération ; elle entraîne un déficit de crédibilité de la France à l'étranger.

Cette politique, au premier rang desquelles les dépenses liées aux mesures d'éloignement, représente un coût financier très important. Que dire, par exemple, de la volonté du gouvernement d'accroître la capacité actuelle des places en centres de rétention gérés par la gendarmerie nationale, pour les porter de 198 à 481 places en 2008, cela à budget et effectifs constants et au détriment des autres missions ? Comment ne pas voir la dégradation dramatique qui en résulterait pour les conditions d'enfermement des étrangers destinés à la reconduite ?

Quant aux conditions d'accueil dans les centres de rétention existants déjà, elles sont très loin de satisfaire aux exigences des droits de la personne et de la dignité humaine, en dépit des efforts de certains fonctionnaires. Elles ont encore fait l'objet récemment des plus vives critiques de la part de M. Alvaro Gil-Roblès, Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe. On ne peut qu'être préoccupé par la politique d'extension du nombre de places.

Le bilan financier et humain n'est pas sans porter à conséquence en terme de rayonnement de la France non seulement vis-à-vis des pays étrangers mais également vis-à-vis des étrangers vivant sur notre sol ou en attente de titres de séjour. Les accords de réadmission négociés au niveau bilatéral par la France avec un certain nombre de pays sources devraient constituer l'une des priorités de notre action à l'étranger, là encore dans le respect strict des droits de l'homme. Les conditions d'accueil des demandeurs de visas dans les consulats français doivent être fondamentalement améliorées. Il n'est pas tolérable de laisser plus longtemps s'instaurer la suspicion préalable qui voudrait que toute demande de visa soit utilisée par le demandeur pour séjourner ensuite illégalement sur notre territoire. La difficulté d'obtenir des visas successifs, et donc d'effectuer des allers et retours, est apparue lors de plusieurs auditions comme favorisant le séjour irrégulier.

De même, sur notre sol, la suspicion généralisée frappant les demandeurs d'asile doit être dénoncée fermement. Notre pays s'honore d'être une terre de refuge depuis de nombreuses décennies. Des crédits supplémentaires doivent être consacrés pour accompagner les demandeurs d'asile dans leurs démarches (constitution du dossier, accès à un interprète, logement) et les préserver d'une précarité de vie indigne de notre République. De même, la réflexion doit aussi se porter sur la remise en cause du droit d'asile telle qu'opérée par le gouvernement actuel. Porter le délai de recours devant la Commission des recours des réfugiés à 15 jours n'est pas acceptable.

Il découle de toutes les constatations qui précèdent que l'importance de la politique de fermeture des frontières et d'éloignement prend l'ascendant sur la politique d'intégration en France et de coopération avec les pays sources. Il faut favoriser le co-développement à long terme : c'est la solution la plus appropriée pour réduire l'immigration économique motivée par la pauvreté et le chômage. Pour ce faire, des outils financiers tels que les fonds de coopération régionale doivent être mobilisés de façon plus appropriée aux besoins notamment de Mayotte, de la Guyane et de la Guadeloupe.

Les sénatrices et sénateurs socialistes, rattachés et apparentés ont participé aux travaux de la commission d'enquête avec l'ambition d'appréhender dans son ensemble la question de l'immigration clandestine, sans la limiter à la problématique de la fermeture des frontières et de l'éloignement. Ils dénoncent avec la plus grande vigueur l'attitude du gouvernement qui, sans attendre les résultats de cette commission d'enquête, a déposé un projet de loi sur la validation des mariages contenant des mesures touchant aux mariages avec des étrangers et un projet de loi relatif à l'immigration, textes dont ils rejettent la philosophie qui consiste à penser que l'étranger désireux de séjourner, de s'installer en France ou bien de se marier à un Français est a priori un danger dont il conviendrait de se protéger.

Les membres de la commission d'enquête déplorent que le rapport s'inscrive dans une démarche d'approbation directe ou indirecte tant de la politique d'immigration et d'asile suivie depuis les lois de 2003 que des deux projets de loi évoqués ci-dessus non encore débattus par le Sénat.

Ils regrettent la faible part accordée dans le rapport aux auditions de chercheurs et de représentants d'associations, voire certaines fois la vision réductrice qui en est donnée.

Ils dénoncent une instrumentalisation de la commission d'enquête au service d'une formation politique et, en conséquence, sont dans l'impossibilité d'approuver ce rapport.

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