CONTRIBUTION DES SÉNATRICES
DU GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN MEMBRES DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE1

Lors de la création de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen (CRC) -très sceptiques quant à l'objet et à la finalité de celle-ci- avaient exprimé de vives critiques face à l'étude d'un phénomène, celui de l'immigration clandestine et de ses conséquences, qui est par essence très difficile à appréhender, à quantifier.

Refusant de cautionner l'idéologie d'exclusion susceptible d'être véhiculée par une enquête parlementaire sur un tel sujet, ils se sont prononcés contre sa mise en place qui leur est apparue -compte tenu du contexte tant européen que national marqué par une surenchère sécuritaire- aussi inopportune que déplacée.

Au niveau européen, il est nécessaire de rappeler que cette proposition est intervenue juste après les drames qui se sont déroulés à Ceuta et Melilla où des innocents ont été tués par balles en tentant de franchir la frontière et où de nombreux autres ont été blessés, déportés, abandonnés en plein désert sans eau ni vivres et qui ont montré, si besoin en était, à la fois l'inefficacité et la dangerosité des politiques drastiques en matière d'immigration.

Quant au niveau national, est-il besoin de souligner que cette commission d'enquête a été proposée au moment où le gouvernement évoquait ses futurs projets de loi tendant à restreindre les droits fondamentaux des étrangers, notamment en matière de regroupement familial et d'incidence du mariage sur le droit au séjour et l'accès à la nationalité, et à mettre en oeuvre une politique des quotas qui ne dit pas son nom ; sans parler de la possibilité de remettre en cause le droit du sol singulièrement à Mayotte.

Malgré ces critiques et ces doutes, les sénateurs CRC ont toutefois souhaité participer aux travaux de cette commission et reconnaissent que celle-ci s'est efforcée de partir de la situation des individus et a su prendre en compte, dans une certaine mesure, la dimension humaine de la question de l'immigration.

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1 Mmes Eliane Assassi et Gélita Hoarau.

Les élues CRC membres de la commission d'enquête prennent en considération l'importance du travail qui a été réalisé, avec 57 auditions de personnalités d'horizons très divers et de nombreux déplacements effectués à l'étranger, dans les DOM-COM et en métropole.

Elles ne peuvent néanmoins approuver le rapport de la commission d'enquête lequel -en affirmant partager les dispositions du projet de loi sur le contrôle de la validité des mariages et de celui réformant le code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile (CESEDA)- est traversé par la conception sécuritaire et répressive de l'immigration que prônent ces deux textes.

Le fait pour la commission d'insister sur la nécessité de développer l'aide en faveur des pays sources d'immigration -si important soit-il- ne saurait, estiment-elles, l'exonérer d'une réflexion plus globale sur une autre politique d'immigration fondée sur le respect des droits et des libertés fondamentales, a fortiori à la veille de l'examen par le Parlement du projet de loi CESEDA dont on sait qu'en l'état actuel il ne contient aucune mesure en matière d'aide au développement.

Elles regrettent, d'autre part, que la commission se soit contentée de dresser un constat de la situation existante sans même avoir procédé préalablement à un bilan précis de l'application des lois adoptées dernièrement à savoir : celle du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration et celle du 10 décembre 2003 relative au droit d'asile, lesquelles ont déjà considérablement durci la législation en matière de droits des étrangers et d'accès au droit d'asile.

Il aurait été pourtant très utile à l'ensemble des parlementaires de disposer d'une telle évaluation avant d'être amenés à modifier une fois de plus l'ordonnance de novembre 1945.

Par ailleurs, rien n'est dit dans le rapport concernant la politique de l'Union européenne en matière d'immigration, qu'il s'agisse de son Livre Vert qui prône une « immigration utilitaire d'un point de vue économique » ou encore de ses directives en cours, notamment celle relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier dont on ne connaît d'ailleurs toujours pas le calendrier législatif.

La situation en outre-mer, largement évoquée dans le rapport, n'échappe pas elle non plus à la logique sécuritaire et d'exclusion, dénuée de tout traitement de fond s'agissant des causes des mouvements migratoires.

Au-delà, malgré le travail intéressant réalisé par la commission et les constats souvent justes qu'elle y dresse, les sénatrices CRC regrettent que la commission s'en tienne ici à une énumération de « recommandations » non contraignantes et parfois même en contradiction avec les constats consignés dans le rapport, s'agissant par exemple des mineurs isolés, de l'AME, ou encore du droit d'asile.

Elles critiquent le fait que la commission n'ait pas utilisé ses travaux pour adresser au gouvernement un signal fort en avançant des propositions novatrices pour un traitement plus humain de l'immigration clandestine.

Selon elles, la commission n'a, à l'évidence, pas voulu interférer dans l'élaboration des futures lois comme la réforme CESEDA et celle des mariages mixtes.

Elles estiment, par conséquent, que ni cette commission d'enquête sénatoriale, ni les différentes propositions de loi déposées à l'Assemblée nationale par les parlementaires UMP sur la question de l'immigration, ni un énième projet de loi gouvernemental sur l'immigration et l'asile, ne seront capables d'apporter un commencement de réponse à la question des migrants dans le monde, dont le nombre croissant n'est ni un problème temporaire ni le fruit du hasard mais bien la conséquence prévisible du déséquilibre des rapports Nord/Sud.

Elles rappellent, à cet égard, que tant que les écarts économiques et sociaux ne cesseront de croître entre les régions du monde, il est inévitable que les populations des pays ravagés par la misère, par les conflits ou par l'absence de démocratie, continuent -malgré les obstacles- à essayer de trouver ailleurs de meilleures conditions de vie, quand ce n'est pas tout simplement le droit de vivre.

Elles en profitent pour dénoncer, avec force, cette hypocrisie qui consiste à vouloir d'un côté dresser des obstacles pour empêcher les migrants de se rendre en Europe et à expulser les étrangers qui y sont pourtant déjà installés, et de l'autre, à vouloir faire venir des étrangers pour satisfaire les besoins économiques au sein de l'Union européenne.

Enfin, les sénatrices CRC tiennent à mettre en garde - à la veille de l'élection présidentielle de 2007- contre toute velléité de placer au coeur de cette campagne électorale le thème de l'immigration, singulièrement en présentant les immigrés comme étant les responsables de tout ce qui ne va pas dans le pays et, dans ce même contexte, contre toute tentative de durcir encore les lois ; durcissement qui, loin d'être efficace pour lutter contre l'immigration clandestine, ne fait que fabriquer de nouveaux sans-papiers au bénéfice des réseaux mafieux, et autres employeurs de main-d'oeuvre en situation irrégulière et marchands de sommeil qui savent tirer profit des politiques de fermeture des frontières.

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