Audition de M. Richard SAMUEL, haut fonctionnaire de défense,
directeur des affaires politiques, administratives et financières,
M. Luc RETAIL, responsable de la mission chargée de la police nationale,
et M. Jean-Marie LAPERLE, chef d'escadron, responsable de la mission chargée
de la défense civile et de la gendarmerie nationale, au ministère de l'outre-mer
(28 février 2006)

Présidence de M. Georges OTHILY, président

M. Georges Othily, président .- Monsieur le préfet, messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. Richard Samuel, Luc Retail et Jean-Marie Laperle prêtent serment.

M. Georges Othily, président .- Acte est pris de votre serment. Monsieur le préfet, nous allons vous demander de nous faire un exposé liminaire, après quoi le rapporteur et les autres membres de la commission vous poseront des questions pour préciser un certain nombre de points.

M. Richard Samuel .- Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, l'immigration clandestine revêt un caractère particulier en outre-mer du fait de son ampleur : une reconduite à la frontière sur deux en France est effectuée depuis nos collectivités ultramarines. Cette situation préoccupante touche plus particulièrement la Guyane, la Guadeloupe et Mayotte et a justifié que soient étudiées, à la suite du Comité interministériel de contrôle de l'immigration du 27 juillet dernier, des mesures législatives propres à l'outre-mer.

Sur la proposition du ministre de l'outre-mer, ce comité a retenu trois grands axes d'actions dont l'objectif est d'aboutir à une réelle maîtrise de l'immigration en outre-mer :

- l'adaptation, chaque fois que nécessaire de notre droit ;

- le renforcement de la capacité d'action opérationnelle des moyens de l'Etat ainsi qu'un accroissement de ceux-ci ;

- enfin, le ministère de l'outre-mer poursuit l'intensification de l'action diplomatique envers les pays d'origine ou de transit, en premier lieu par la signature d'accords de réadmission et en second lieu par l'accroissement de la coopération en faveur du développement des territoires d'émigration.

Je tiens à souligner au préalable que les conditions de mise en oeuvre de ces orientations sont difficiles. En effet, toutes les informations qui me parviennent témoignent d'une forte augmentation de la pression migratoire sur ces collectivités d'outre-mer, en particulier les trois que j'ai citées. Entre 2001 et 2005, le nombre de reconduites a plus que doublé, passant de 7.640 pour l'ensemble de l'outre-mer à 15.588.

A Mayotte, cette progression atteint 106 %, alors qu'elle est de 100 % en Guyane et de 85 % en Guadeloupe. Même si les taux portent sur des chiffres moins élevés, les mêmes comparaisons sont de 178 % à la Martinique et de 167 % à La Réunion.

C'est probablement à Mayotte que la situation est la plus grave. Sur une population de 160.000 habitants, on estime généralement (bien évidemment, ce ne sont que des estimations puisqu'on ne dispose pas de chiffres exacts dans ce domaine) que près de 40 % de la population, c'est-à-dire environ 60.000 personnes, sont des étrangers, dont les trois quarts sont en situation irrégulière. Avec une proportion identique, cela signifierait qu'en métropole, on compterait 18 millions d'étrangers en situation irrégulière.

Dans ce propos préalable, je crois souhaitable de rappeler quelques éléments qui rendent, en outre-mer, particulièrement difficile la gestion des flux migratoires.

Le premier élément est l'insularité allié, sauf en Guyane, à l'exiguïté. Le recensement de juillet 2002 fait apparaître une densité de 430 habitants au kilomètre carré à Mayotte, 338 en Martinique, 237 en Guadeloupe et 281 à La Réunion, mais si on calculait ces ratios à partir du territoire réellement utilisable pour l'urbanisation, c'est probablement 740 habitants au kilomètre carré qu'il faudrait compter à La Réunion qui, comme vous le savez, est une montagne dans la mer.

Le deuxième élément a trait aux relations historiques qui existent entre les îles volontaires et leur environnement. Compte tenu des relations familiales qui existent entre Anjouan et Mayotte et de la revendication de souveraineté portée par les Comores, il n'est évidemment pas facile de négocier un accord de réadmission ni d'obtenir des facilités pour la reconduite de personnes qui s'estiment chez elles.

En troisième lieu, lorsqu'on aborde les questions qui touchent au droit des personnes, il faut signaler que le régime juridique applicable à Mayotte est marqué par une dualité de statut : un statut de droit commun pour quelques-uns ; un statut de droit personnel, au sens de l'article 75 de la Constitution, inspiré du droit coranique, pour la majeure partie de la population.

C'est ainsi que, depuis la modification de l'ordonnance n° 2000-218 par la loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003, la filiation naturelle peut être établie dans le cadre du statut civil de droit local par dation du nom, ce qui rend extrêmement difficile la lutte contre les reconnaissances de paternité abusives.

Le dernier élément de contexte qu'il convient de garder en mémoire est la situation économique, qui nourrit l'attractivité de nos territoires dans leur environnement.

Le SMIC mahorais est très inférieur à celui de la métropole (48 % du SMIC métropolitain) et il atteint environ 588 € par mois. En dépit de cela, le PIB par tête des Comores était de 431 € en mai 2005 contre 3.900 € à Mayotte. Autrement dit, le PIB par tête des Comores était neuf fois inférieur à celui de Mayotte.

En 2002, le PIB par tête était de 14.037 € en Guadeloupe et de 15.519 € en Martinique contre 1.610 € en Haïti et 5.640 € à la Dominique. Les Comores et Haïti sont parmi les pays les plus pauvres de la planète. Leur indice de développement humain (IDH), qui correspond à une combinaison entre le produit intérieur brut par tête, la qualité des infrastructures, le développement de l'enseignement et le développement des infrastructures sanitaires, classe Haïti au 149 ème rang mondial et les Comores au 136 ème rang mondial. En comparaison, si la Guadeloupe était une entité autonome, elle serait au 33 ème rang mondial.

Dans ce contexte difficile, il est évident que la réponse ne peut pas être principalement répressive ou normative. Elle ne peut donc pas simplement consister en une modification de nos régimes juridiques, de même qu'elle ne peut pas être principalement un renforcement de nos moyens répressifs sur place. S'agissant d'archipels et d'îles, il est évident que nous devrons rénover ou repenser nos outils de coopération avec ces pays très pauvres. C'est probablement la manière la plus efficace de diminuer l'attractivité de nos territoires.

L'amélioration de nos outils juridiques, comme vous le savez, dépend du cadre juridique posé par la Constitution modifiée. Les collectivités d'outre-mer sont régies soit par l'article 73, soit par l'article 74 de la Constitution. L'article 73 vise les départements et régions d'outre-mer et l'article 74 régit les collectivités d'outre-mer dotées d'une organisation particulière qui tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la République.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel fait une appréciation très différente des contraintes particulières et des intérêts propres et, pour ce qui concerne les collectivités régies par l'article 74, laisse une marge de manoeuvre assez grande au législateur, notamment sur les questions de nationalité.

C'est dans ce cadre qu'ont été étudiées par les services dont j'ai la responsabilité des adaptations de notre droit aux situations locales. Celles qui sont envisagées et qui concernent principalement Mayotte, la Guadeloupe et la Guyane visent :

- la généralisation à toute la Guadeloupe du régime déjà applicable à Saint-Martin ainsi qu'à Mayotte en matière de recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière : c'est le caractère non suspensif des recours) ;

- la possibilité d'effectuer des visites sommaires de véhicules circulant sur la voie publique ;

- la possibilité d'immobiliser les véhicules terrestres ayant servi à commettre des infractions à l'entrée et au séjour en Guadeloupe, en Guyane et à Mayotte ;

- le fait d'imposer, pour la dation de nom en vigueur à Mayotte, que les deux parents soient de statut civil de droit local ;

- l'extension à tout le territoire de la République des mesures d'interdiction du territoire, de reconduite à la frontière et d'expulsion prononcées outre-mer.

Le renforcement de nos moyens opérationnels a été relativement important dans ces trois collectivités : de 2001 à 2005, les effectifs de la police aux frontières ont augmenté de 15 % en Guadeloupe, de 53 % en Guyane et de près de 700 % à Mayotte.

Un autre axe d'action a consisté à demander aux autres services de s'impliquer dans l'action quotidienne de lutte contre l'immigration clandestine : je pense particulièrement à la gendarmerie nationale et aux services de la sécurité publique.

Ces mêmes services de sécurité publique et de gendarmerie ont d'ailleurs connu une forte progression de leurs effectifs : 7 % pour la gendarmerie en Guadeloupe, 29 % pour la direction départementale de sécurité publique à la Martinique et 15 % pour la gendarmerie en Guyane.

Le même effort a été accompli en ce qui concerne les moyens matériels. A Mayotte, la police aux frontières dispose de deux embarcations supplémentaires, dont une vedette de 12 mètres, mise en service en mai 2005. Deux vedettes neuves sont mises en chantier et seront livrées en 2006. La gendarmerie maritime a eu une vedette neuve l'année dernière et il est prévu d'affecter une neuvième vedette à la Guadeloupe cette année.

Le ministère de l'outre-mer a affecté, sur ses ressources propres, 2,5 millions d'euros pour l'acquisition de deux radars dits de surveillance maritime dont l'efficacité s'est avérée relativement importante puisque, depuis novembre 2005, treize embarcations ont déjà été interceptée alors que, pour l'ensemble de l'année 2005, il n'y en a eu que 59.

De même que nous avons modifié les compétences des préfets en mer, le préfet de la Guadeloupe et le préfet de Mayotte bénéficient depuis 2005 d'une délégation du préfet de la Martinique, pour ce qui concerne le préfet de la Guadeloupe, et du préfet de La Réunion, pour ce qui concerne le préfet de Mayotte.

Ces 15.588 reconduites à la frontière devraient m'amener à dire que nous sommes sur la bonne voie et que le problème est en cours de règlement. Mais je ne le crois pas. Je pense en effet que l'augmentation du nombre de reconduites à la frontière montre qu'en dépit d'efforts soutenus, la pression reste massive et constante et que nous avons du mal à la juguler.

Les chiffres de janvier 2006 me le confirment : au 31 janvier, c'est-à-dire sur un mois, nous en étions déjà à 2.092 reconduites effectives. A Mayotte, l'augmentation est de 424 % !

Beaucoup reste à faire en matière de coopération régionale pour réduire l'attractivité des territoires français d'outre-mer par rapport aux Etats voisins. Il est évident que, compte tenu de l'écart de développement, ce déséquilibre ne se résorbera pas du jour au lendemain. Il faudra bien des années, par exemple, avant que disparaisse l'écart de PIB entre Mayotte et les Comores, qui est actuellement de un à neuf. Toutefois, nous devons faire un effort significatif dans des directions un peu nouvelles.

A Mayotte, où j'ai passé la journée vendredi dernier, il est évident que nous ne devons pas nous contenter de construire des dispensaires ou des écoles, qui sont manifestement la raison profonde de cette immigration. Et il est probable, monsieur le président, que la même chose vaut pour les pays frontaliers de la Guyane. Il faudra aussi que nous nous préoccupions d'entretenir ces dispensaires et de mettre à leur disposition des réseaux de médecins et qu'une partie de l'enseignement soit dispensée par des enseignants sous des formes que nous aurons à redéfinir. Faut-il un jour que nous réinventions un « peace corps » à la française dans des fonctions de ce type ? Je pense que nous devons réfléchir sur ce point.

Nous devons probablement mieux coordonner aussi nos différents instruments d'intervention. Le fonds de coopération régionale dont nous disposons au ministère de l'outre-mer est de 3,6 millions d'euros, ce qui est faible pour l'ensemble de l'outre-mer. Il faudra donc mieux coordonner ces moyens relevant du ministère de l'outre-mer avec ceux qui relèvent du ministère de la coopération et, probablement, inciter les collectivités locales à utiliser une partie de la ressource qui existe dans les programmes d'initiative communautaire, notamment le programme INTERREG, afin qu'il serve non pas à lutter contre l'immigration -ce que les collectivités locales ne comprendraient probablement pas- mais à financer des actions qui ont un effet indirect sur l'immigration dans les territoires environnants en matière de santé, d'enseignement et de développement rural.

Voilà ce que je voulais dire en quelques mots d'introduction, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs. Je me tiens maintenant à votre disposition, avec mes collaborateurs, pour répondre à vos questions.

M. Georges Othily, président .- Merci, monsieur le préfet. Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Monsieur le préfet, j'amorcerai une série de questions à caractère général. Si j'ai bien compris vos propos, il n'est pas de solution normative suffisamment efficace pour pouvoir régler le problème et il faut s'engager dans la coopération. Pour autant, lorsqu'on est sur place à Mayotte, on constate un climat de tension extrêmement fort entre les Mahorais et les gens qui viennent soit de la grande Comore, soit d'Anjouan, un climat quasi conflictuel qui donne l'impression que, si on ne règle pas immédiatement le problème des gens qui sont sur place, la situation continuera de se tendre sans que l'on puisse vraiment déterminer ce qui se passera.

Je souhaiterais savoir comment on pourrait régler le problème de ceux qui sont sur place. J'imagine à l'avenir les mesures de long terme que nous pouvons prendre. Il n'empêche que nous voudrions savoir comment on gère aujourd'hui, au quotidien, toutes ces personnes qui vivent dans les bidonvilles de Mamoudzou ou d'autres communes, ce qui est le cas aussi de Saint-Laurent du Maroni, même si les conditions y sont un peu différentes, et pour Saint-Martin.

M. Richard Samuel .- Nous avons un devoir de réalisme. J'ai été moi-même frappé, lors d'un passage en Guadeloupe, de voir que l'exiguïté et la densité d'occupation de ces îles provoquaient parfois, d'une manière surprenante pour des gens qui ont souvent la même origine ethnique et qui sont des voisins, des propos xénophobes absolument inacceptables. Nous devons donc conjuguer une action à court terme et une action à moyen et long termes.

L'action à court terme est engagée et elle a des effets incontestables : le chiffre de 15.588 reconduites à la frontière en outre-mer pour l'année 2005 est à mettre en rapport avec les 21.000 reconduites à la frontière pour l'ensemble de l'hexagone. Cela veut dire qu'en outre-mer, on fait aujourd'hui presque autant de reconduites à la frontière que dans l'ensemble de l'hexagone. Il y a donc une action très forte et très nette qui est engagée pour répondre à cette demande exprimée à Mayotte, en Guyane et en Guadeloupe, tout en craignant d'ailleurs un effet domino. En effet, en renforçant notre appareil répressif sur la Guadeloupe, nous courons le risque de voir se reporter les flux migratoires sur la Martinique. Il en est de même en ce qui concerne Mayotte et La Réunion. Il faut donc répondre à cette demande immédiate.

Cela dit, je ne serais pas dans mon rôle si je disais à votre commission que cela suffira. Il faut en effet, à côté de l'action normative, engager une action à moyen et long termes qui relève de l'investissement dans des domaines qui sont susceptibles de rendre réellement moins attractifs nos territoires et nos collectivités d'outre-mer, parce que je crois que ce n'est pas seulement pour bénéficier du RMI qu'une mère va aller accoucher à Mayotte dans les conditions que nous constatons et qui sont impensables pour notre République, en courant le risque de se voir jetée à la mer depuis les kwassa-kwassa par des réseaux de passeurs qui sont les seuls bénéficiaires de ces situations. Nous sommes en face de phénomènes qui relèvent d'une appréciation totalement différente et notre devoir est d'avoir une réponse à la pression de l'opinion, mais aussi d'envisager des politiques plus efficaces à moyen et long termes.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- J'ai deux questions complémentaires à vous poser. La première touche à la coopération avec la République fédérale islamique des Comores et le Surinam et, notamment aux conditions de cette coopération.

La conférence des bailleurs de fonds a prévu de donner environ 65 millions d'euros sur quatre ans pour apporter une aide. Or, quand nous nous sommes rendus sur place, un certain nombre de nos collègues ont dit que cette coopération n'aurait de bonne fin que si la France construisait elle-même les équipements nécessaires plutôt que de confier simplement l'argent aux responsables et d'attendre que les choses se fassent. J'aimerais avoir votre point de vue sur ce sujet.

Ma question suivante concerne le Surinam. Il semblerait -en tout cas, c'est ce qu'on nous a dit- que la frontière telle qu'elle existe aujourd'hui et qui est constituée par le fleuve non pas en son centre mais sur ses rives, constitue aussi un obstacle aux contrôles effectués par la police aux frontières. Sur cet aspect technique, peut-il exister une coopération avec le Surinam pour faire évoluer les choses indépendamment d'autres types de coopération ?

Enfin, j'évoquerai l'éventuelle départementalisation de Mayotte telle qu'elle est prévue et qui est très souhaitée par un certain nombre de personnes, d'autres habitants y étant par ailleurs très réticents en disant que l'île n'y est pas prête et que l'on accroîtrait une fois de plus les différences d'évolution entre Mayotte et les autres îles. Je souhaitais avoir votre point de vue à ce sujet, sachant que l'effet domino dont vous avez parlé se ressent aussi à La Réunion, les Réunionnais considérant les Mahorais comme des Comoriens.

M. Richard Samuel .- Sur le premier point, je pense avoir été plus loin que la proposition que vous évoquez, monsieur le rapporteur, puisque j'ai dit qu'il me paraissait souhaitable que nous ayons la préoccupation non seulement de construire des écoles et des dispensaires mais d'assurer la mise en place de réseaux de médecins qui font toute l'efficacité de la prévention en matière médicale, comme nous en disposons dans les départements de l'hexagone ou d'outre-mer (je pense notamment au réseau Sentinelle ou à d'autres formules).

J'ai été à La Réunion depuis mardi dernier jusqu'à ce matin parce que, comme vous le savez, nous sommes en train de gérer une baisse de la garde en matière de prévention et que nous payons à cet égard un prix très lourd : 160.000 Réunionnais qui sont frappés d'une maladie qui semble relativement grave.

Je pense qu'il faut donc construire des dispensaires et veiller à ce que la prestation assurée soit de la meilleure qualité. Je me demandais ainsi si, un jour, nous ne devrions pas réfléchir à nouveau à une forme de coopération civile ou militaire obligatoire. Au-delà des mots et de leur pudeur, je pense que nous devons veiller à ce que nos programmes de coopération soient accompagnés de recommandations en matière de bonne gouvernance dans les Comores, si c'est ce que vous voulez m'entendre dire.

Quant à votre deuxième question, qui concerne la délimitation de la frontière fluviale du Surinam, c'est effectivement un sujet qui est évoqué, de même que l'efficacité des piroguiers. Certes, le ministère des affaires étrangères doit accélérer la délimitation totale de la frontière fluviale, mais je ne suis pas sûr que ce soit déterminant dans la situation que nous avons à gérer en Guyane, dans la mesure où elle dépasse de très loin ce simple aménagement technique. Il faut probablement arriver à cela pour rendre plus efficace l'action de nos gendarmes, mais cela ne suffira pas.

Enfin, sur la départementalisation, ma réponse sera plus simple puisque le législateur lui-même a prévu que cette départementalisation se fasse à l'horizon 2010, ce qui signifie que nous devons tenir compte d'un certain nombre de particularités visibles. Comme vous avez été à Mayotte récemment, vous avez compris que nous devions tenir compte de l'islam en tant que religion dominante, du droit civil local particulier qui est majoritaire dans l'île et de toutes ses conséquences.

Pour évoquer une situation qui n'a rien à voir avec le sujet dont nous traitons, j'ai été frappé de comparer la situation de psychose très lourde que nous vivons à La Réunion à celle de maîtrise et de sérénité que nous avions à Mayotte alors que la chikungunya frappe, toutes proportions gardées par ailleurs, environ 1.000 personnes par semaine à Mayotte pour 190.000 habitants. C'est parce que les Mahorais ne croient pas que la médecine scientifique peut guérir de tous les maux. N'étant pas médecin, je ne me risquerai pas à porter un jugement, mais cela assure en tout cas une approche émotionnelle très différente.

M. Louis Mermaz .- Monsieur le préfet, vous avez pris votre exposé en sens inverse de M. Philippe Seguin, le premier président de la Cour des comptes, qui a commencé par nous dire que sa parole était serve en nous faisant un exposé très carré et qui a ensuite parlé en homme, après une question que je lui ai posée, en disant : « Vous n'empêcherez pas que les Sénégalais ou les Gabonais qui ont été si longtemps français se considèrent encore un peu comme français et veuillent circuler ».

Nous sommes plusieurs, ici, à être allés passer quatre jours et demi à Mayotte. Cela ne permet pas encore d'écrire un livre sur Mayotte, mais nous avons vraiment senti que nous sommes là-bas dans une société qui reste post-coloniale, et n'est pas encore un département. Nous sommes allés dans l'Union des Comores sur les trois quarts d'une journée et nous avons vu les autorités, dont le président Azali. En fait, c'est le même peuple et nous héritons tous, comme vous-même de par vos fonctions, à la fois de la colonisation et de la décolonisation. Certains Mahorais nous disent qu'ils n'ont pas de cousins, de frères ou de soeurs aux Comores et que ce sont simplement des voisins, mais quand on parle à des gendarmes, par exemple, ils nous disent qu'ils ont facilité longtemps le passage de Comoriens qui venaient au mariage de leur soeur ou de leur frère. C'est donc bien le même peuple.

Vous avez tracé une piste et il n'y a effectivement pas d'autre solution -c'est vrai aussi pour la Guadeloupe- qu'une coopération interrégionale. C'est difficile parce qu'il faut éviter que dans le cadre de cette coopération, il y ait des pertes en ligne. C'est évident. C'est pourquoi l'un d'entre nous a dit qu'il faudrait faire comme les Chinois, qui débarquent avec leurs équipes, qui construisent et qui commencent à gérer : au moins, on sait à quoi sert l'argent.

Il est vrai que tant que nous n'aurons pas réglé le problème, nous nous contenterons d'assurer la sécurité extérieure de l'Union des Comores. Nous avons à cet égard un traité international, ce qui nous a d'ailleurs permis d'intervenir contre Bob Denard, mais, dans le même temps, nous sommes dans le détroit entre Anjouan et Mayotte pour empêcher les gens de circuler.

Vous avez indiqué les densités de population et cela pose effectivement un problème que tout le monde peut constater, quoi qu'on pense des problèmes d'immigration, mais quand on entend dire que la moitié des gens reconduits aux frontières le sont au départ des collectivités d'outre-mer, on est à la fois malheureux pour ces gens dont vous avez parlé, qui sont des hommes et des femmes comme nous, mais on est dubitatif quand on entend certaines rotomontades ministérielles ici pour dire qu'il faut augmenter le chiffre.

Nous sommes allés ce matin, avec le président et quelques autres sénateurs, au centre de rétention administrative qui se trouve sous le palais de justice de Paris. C'est la troisième fois que je m'y rendais. Il paraît qu'il va être fermé, ce qui serait une bonne chose. En tout cas, il n'y a pas de solution dans la répression et vous l'avez d'ailleurs dit. Vous ne pouvez pas avoir la liberté de parole qui est la mienne, évidemment, mais je vous connais et je sais ce qu'il doit y avoir dans votre coeur. La répression ne réglera rien, sans quoi il faudra créer le ministère du tonneau des Danaïdes ! C'est un problème international : on n'empêchera pas les pauvres et les misérables d'aller vers les pays riches. Regardez ce qui se passe aux Etats-Unis, où Georges Bush envisage de régulariser 14 millions de gens parce qu'il constate que beaucoup de ces clandestins travaillent clandestinement.

C'est un problème qui dépasse cette simple réunion, mais je pense qu'il faut dire ces choses-là, même si je ne vous demande pas forcément de réponse.

M. Richard Samuel .- Je n'ai pas entendu de question, monsieur le sénateur, mais plutôt une observation.

M. Louis Mermaz .- Comme je l'ai dit récemment à M. Douste-Blazy, cela fait deux mois et demi que nous travaillons dans cette commission d'enquête et que nous entendons beaucoup de questions et de réponses. Je voulais donc vous dire cela, mais, effectivement, je ne vous ai pas posé de question.

Mme Catherine Tasca .- Monsieur le préfet, je vous remercie d'avoir d'emblée indiqué que ni l'action normative, ni l'action répressive ne pouvaient apporter une solution globale à ce problème d'immigration massive, comme nous l'avons constaté, certains de mes collègues étant allés en Guyane et ayant moi-même participé à la mission à Mayotte.

Nous voyons bien ce qui est entrepris sur le plan de la répression et nous voyons se dessiner un certain consensus sur la nécessité de s'engager dans une politique de coopération avec les pays de la région afin de réduire l'écart, mais on évoque assez peu le traitement des personnes qui sont sur place. Cela m'a frappé et, personnellement, cela me préoccupe beaucoup.

Encore une fois, nous avons vu des fonctionnaires qui faisaient de leur mieux pour exécuter les reconduites à la frontière (des gens qui, je tiens à le dire, ont des attitudes tout à fait correctes) et nous avons entendu dire qu'il fallait améliorer notre dispositif de coopération. Mais, en dehors de la répression, nous ne voyons pas un traitement de ces populations qui sont en grand nombre sur le territoire, et je pense en particulier à Mayotte. C'est d'ailleurs une constante de la politique de la France en matière d'immigration clandestine. On pose les deux problèmes : coopération avec les pays d'origine, répression (on pourrait d'ailleurs trouver d'autres mots) et reconduites à la frontière, mais on ne dit pas ce que l'on fait de la masse des sans-papiers qui sont sur le territoire depuis des années.

A Mayotte, on est frappé par tous ces bidonvilles qui mitent tout l'environnement de Mamoudzou. Votre ministère a-t-il un projet sur ce point ? Nous avons vu des réalisations, y compris dans ces zones de bidonvilles, en particulier en ce qui concerne des écoles et l'hôpital, qui jouent un rôle absolument déterminant, ce qui dénote une certaine prise en charge collective. En revanche, on peut s'étonner du laisser-faire apparent en matière d'urbanisme. Ce n'est sans doute l'intérêt ni des Mahorais, ni des Comoriens qui débarquent de laisser se multiplier ces quartiers qui sont dans une situation sanitaire catastrophique.

Avant que la politique de coopération puisse porter ses effets, comment traite-t-on ces populations qui sont sur notre territoire, puisqu'on n'envisage pas de les rejeter à la mer en bloc, même si on essaie d'en faire repartir quelques-uns ? Je trouve que c'est une lacune de notre politique face à l'immigration.

M. Richard Samuel .- Je pense que l'on peut être plutôt optimiste dans la réponse aux différentes questions que vous posez, madame le ministre.

Mme Catherine Tasca .- Permettez-moi d'ajouter, monsieur le préfet, que l'on constate un racisme montant très explicite, comme le disait monsieur le rapporteur, des populations autochtones à l'égard de leurs frères, cousins ou voisins.

M. Richard Samuel .- En outre-mer comme ailleurs, la République reste bonne mère. Cela veut dire que, bien que les gens soient en situation illégale ou irrégulière, ils sont soignés et leurs enfants sont scolarisés. Une partie de la réponse est celle là : en règle générale, la République reste la République et traite les gens humainement, même quand ils sont en situation irrégulière. C'est le cas aussi en outre-mer.

Maintenant, qu'en est-il de l'habitat ? C'est probablement le sujet le plus délicat que nous ayons à traiter en outre-mer parce que, à Mayotte, la situation de droit foncier reste à préciser. Paradoxalement, malgré les différents aménagements normatifs en outre-mer, une bonne partie de la population est installée sur le littoral, c'est-à-dire sur le domaine public maritime : ce qu'on appelle, en Guadeloupe ou en Martinique, les cinquante pas géométriques et, en Guyane, « les cinquante pas du roi ».

Quant à Mayotte, nous sommes dans une phase dans laquelle nous cherchons à mettre un peu d'ordre dans cette difficulté foncière. La piste que nous devrons explorer consistera probablement à la fois à régulariser les occupations du domaine public maritime et, par effet de ricochet, à créer une ressource pour les collectivités locales, les communes étant très pauvres et ayant très peu de ressources fiscales. En même temps, en faisant des gens des contribuables, on leur donne une reconnaissance communautaire évidente.

Enfin, au-delà de la mise en ordre dans les régimes fonciers, les collectivités d'outre-mer (principalement les DOM, Mayotte n'étant pas concernée pour l'instant) font l'objet d'importants programmes de rénovation urbaine. Les principales collectivités que sont Fort-de-France, Pointe-à-Pitre et Cayenne vont connaître des opérations prises en charge par l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) avec des taux de financement améliorés que nous avons réussi à obtenir et qui vont permettre d'aborder ces questions de bidonvilles qui sont une caractéristique générale de l'outre-mer.

Je dois ajouter, pour rester humble sur ce champ, que les opérations de rénovation urbaines sont constamment à renouveler du fait même de l'arrivée massive d'immigrants. Des programmes ont été conduits en Guadeloupe, il y a environ quarante ans. Nous en sommes à la deuxième génération de rénovation urbaine à Pointe-à-Pitre et nous aurons probablement à recommencer dans vingt ou trente ans parce que l'immigration recrée des difficultés au fur et à mesure.

Mme Catherine Tasca .- A Mayotte, cela est urgent, monsieur le préfet.

M. Louis Mermaz .- La République est bonne mère et je vois ce que vous voulez dire : heureusement, nous ne sommes pas les plus mauvais sur terre, bien entendu. Pour autant, voyons ce qui se passe à Mayotte. Les gens que nous avons trouvés dans le centre de rétention administrative sont débarqués au risque de leur vie dans les kwassa-kwassa, victimes des passeurs et, surtout, des commanditaires (parce que les passeurs sont le dernier maillon), mais il y a aussi des contrôles aléatoires : ces gens qui sont là depuis des années sont à la merci d'un contrôle routier parce qu'ils travaillent clandestinement. Comme nous l'a confié le directeur du travail, beaucoup de Mahorais disent : « Les étrangers, dehors, sauf celui que j'emploie clandestinement », hélas. « Humains trop humains », comme le dirait Nietzsche !

C'est un problème dramatique. Vous avez parlé des bidonvilles et je ne nie pas que le ministère de l'outre-mer veuille faire des choses, mais que fait-on quand on peut être retiré de la circulation du jour au lendemain ? Ce matin, dans le centre de rétention administrative, on a trouvé un Marocain qui était depuis de nombreuses années en situation irrégulière (je suis d'accord : la loi doit être respectée), mais il était dans un restaurant dans lequel il y a eu une autorisation de perquisition pour des raisons qu'on ne nous a pas expliquées et il s'est retrouvé dans le centre de rétention administrative parce qu'il était en situation irrégulière alors que toute sa famille est en France. Ce sont des situations humaines abominables.

Enfin, comme je l'ai dit à M. Douste-Blazy (je pense qu'entre le ministère de l'intérieur et celui des affaires étrangères, vous devez parfois vous parler), il y aura bientôt des élections aux Comores et, comme c'est à un Anjouanais d'être candidat, on craint le succès d'un candidat que l'on appelle « l'Ayatollah ». Cependant, l'ambassadeur de France à Maroni, M. Christian Job, souhaite au moins que l'on arrête les éloignements en ce moment parce que cela nourrit la campagne de « l'Ayatollah » auprès des habitants d'Anjouan qui voient retourner des compatriotes.

Je ne dis pas qu'il faut reprendre les expulsions ensuite, mais le minimum serait déjà d'avoir un comportement politique, parce que cela n'arrangera pas nos perspectives de coopération si, demain, nous avons des intégristes à la tête de l'Union des Comores. C'est un problème angoissant.

M. Richard Samuel .- Il y a effectivement des ponts entre les ministères des affaires étrangères et de l'intérieur, monsieur le ministre, et vous le savez...

M. Louis Mermaz .- Je ne le sais pas pour le gouvernement actuel...

M. Richard Samuel .- Je voudrais par ailleurs répondre à une question que vous n'avez pas posée. Pour avoir été préfet territorial et sous-préfet à Vienne ou au Havre, je peux dire que, lorsque nous sommes amenés à gérer ces affaires de reconduites à la frontière, nous sommes mis dans des situations qui, humainement, sont extrêmement difficiles. La loi est la loi et la reconduite d'un homme ou d'une femme, parfois accompagnés d'enfants en bas âge, n'est jamais une décision très agréable, mais nous devons toujours nous rappeler que cette personne que vous évoquiez et qui était dans l'arrière-cour de ce restaurant se trouve parfois dans des formes de travail qui s'apparentent à de l'esclavage.

M. Louis Mermaz .- En l'occurrence, c'était un client et non pas un travailleur.

M. Richard Samuel .- En tout cas, nous avons à gérer cet aspect des choses et à considérer, derrière ces organisations, non seulement des personnes en situation irrégulière mais aussi de véritables réseaux d'esclavage. Rappeler la loi républicaine revient parfois, même si cela ne paraît pas évident, à protéger ces personnes de situations extrêmement difficiles.

A l'occasion des opérations de régularisation de décembre 2003, j'ai reçu des gens en situation irrégulière qui racontent des choses qui paraissent incroyables ou invraisemblables sur notre territoire hexagonal. Porter atteinte ou développer les opérations de lutte contre le travail clandestin est une vraie nécessité si on veut améliorer leur sort.

Pour la boutade, sachez que, dans le cadre de nos opérations de lutte contre le travail clandestin à Mayotte, nous étions parfois fortement poussés par une organisation professionnelle. Or la première opération nous a conduits à arrêter un taxi appartenant à celui qui nous demandait de réaliser d'une manière plus incisive ces opérations de lutte contre le travail clandestin...

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Saint-Laurent du Maroni compte 19.000 habitants selon l'INSEE et un peu plus de 35.000 dans la réalité. Dans leur majorité, les élus réclament que la DGF prenne en compte cette présence importante sur le territoire, arguant du fait que, budgétairement, ils ne peuvent plus tenir. Quel est votre point de vue sur ce point ?

M. Richard Samuel .- Cela paraît souhaitable mais difficile à mettre en oeuvre parce que, souvent, pour le recensement, il faudrait que ces populations acceptent de remplir des imprimés et de se faire connaître, ce qui n'est pas leur réflexe naturel, bien entendu.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- J'ai une dernière question relative à l'état-civil, notamment à Mayotte, et à toute la procédure qui est actuellement engagée sur sa remise en ordre, en particulier tout ce qui touche au droit local avec la dation du nom patronymique, voire la reconnaissance d'enfants. Pensez-vous qu'il faille aller plus loin pour essayer de mettre un peu d'ordre ?

M. Richard Samuel .- Je répondrai très simplement que nous faisons au mieux avec la situation locale. Les opérations relatives à la tenue des fichiers d'état-civil sont normalement confiées aux mairies.

Nous avons par ailleurs une Commission de révision de l'état-civil (CREC) comprenant quatre secrétaires et 41 rapporteurs, ces derniers étant très préoccupés par leur statut et nous ayant donné bien des soucis pendant le courant de l'année 2005 : ils avaient des statuts de contractuels et ils étaient à mi-chemin de la grève pour obtenir soit une amélioration de leur rémunération, soit une meilleure connaissance de leur statut. En 2005, nous avons à la fois prorogé la durée de cette Commission et donné quelques garanties à ces rapporteurs quant à leur sort pour l'avenir. Ils seront considérés comme des agents publics, c'est-à-dire qu'au-delà de deux contrats de trois ans, ils seront des agents bénéficiant de contrats à durée indéterminée de droit public.

Les choses sont-elles faites de manière parfaite ? A l'évidence, non. Nous sommes en train d'améliorer les logiciels permettant la tenue de ces registres d'état-civil et d'y porter un regard plus attentif, au ministère de l'outre-mer, en poussant nos collègues de la justice à effectuer une évaluation plus suivie de ce qui est fait en matière d'état-civil, car c'est une compétence qui relève traditionnellement du ministère de la justice.

Mme Catherine Tasca .- Sur ce point, les fonctionnaires de la CREC ont déploré le manque de moyens et ont insisté sur le fait que la double tutelle du ministère de l'outre-mer et du ministère de la justice compliquait toutes les décisions d'affectation de personnel. Je souhaite donc appeler votre attention sur ce point. Il est évident qu'un pilotage unique -et je ne fais pas de choix- faciliterait les choses. Par ailleurs, on constate qu'il y a un manque d'effectifs.

M. Richard Samuel .- Il est probablement nécessaire de coordonner et de mieux suivre ce que font les membres de cette commission. Le pilotage logique devrait être celui du ministère de la justice. En tout cas, nous gardons aujourd'hui un oeil attentif sur ces questions, puisque nous avons à gérer une situation qui nous semble inadmissible, un certain nombre de Français étant sans papiers : des Mahorais qui sont à La Réunion ou en attente de documents établissant leur état-civil à Mayotte. Ce sont des situations qui demandent que nous incitions nos collègues de la justice à être vigilants et à suivre plus nettement qu'ils ne le font les travaux de cette commission.

M. Georges Othily, président .- Monsieur le directeur, avant de terminer, je tiens à vous donner mon sentiment sur les problèmes que nous rencontrons outre-mer. Il est vrai que la coopération peut être l'une des solutions qui pourrait éviter que nos voisins du Surinam, du Brésil, des Comores, d'Haïti et de la République dominicaine viennent gêner la vie quotidienne de personnes qui sont de la même ethnie que nous et, parfois, ont la même religion.

Au lendemain de l'indépendance de l'Afrique, la France avait mis en place le système des volontaires à l'aide technique. Ne pourrait-on pas imaginer, dans le cadre non seulement de la France, mais également de l'Europe, la possibilité d'envoyer dans ces pays, qui sont voisins de la Guyane, la Guadeloupe, Saint-Martin (qui aura un statut nouveau prochainement) et Mayotte, des volontaires à l'aide technique pour construire avec eux et participer à l'éducation, sans pour autant les dépeupler de leurs élites, et ne pourrait-on pas donner à ces élites la possibilité de travailler dans leur pays en leur accordant éventuellement le salaire qu'aurait un volontaire à l'aide technique normal s'il était allé en Afrique ?

Je vous le dis avec beaucoup de force pour que vous puissiez bien le comprendre : il n'est pas normal aujourd'hui que le Guyanais n'accepte pas le Brésilien chez lui ou que le Surinamien, le Guyanien ou le Haïtien ne soit pas accepté en Guyane. Je ne peux pas non plus le tolérer en Guadeloupe ou entre Mahorais et Comoriens, ou soi-disant Comoriens, qui ont parfois la double nationalité, ce qui pose problème.

Aujourd'hui, alors que nous devons apprendre à vivre ensemble, la France ne peut-elle pas être le fer de lance d'une idée novatrice pour arriver à un autre comportement entre les hommes de toutes les races ?

Cela me paraît être une évidence. J'ai connu l'indépendance africaine, j'ai connu également le rôle joué par les volontaires à l'aide technique et j'ai vu, dès lors que les volontaires à l'aide technique ne pouvaient plus aller en Afrique, la dégradation du tissu éducatif, sanitaire, etc. Les infrastructures dont ces pays ont besoin ne peuvent être réalisées que si nos ingénieurs et nos techniciens s'y rendent. Vous l'avez dit avec plus d'élégance, mais il s'agit en fait de la même chose. En effet, nous avons subodoré ce qui se passe à Mayotte pendant un certain temps et on attend là-bas que la France envoie un million d'euros pour préparer les élections. Au nom de la dignité de ces pays qui ont voulu accéder à la souveraineté, il serait bon que nous puissions leur donner le sens de cette souveraineté.

M. Richard Samuel .- Je suis parfaitement d'accord avec les propos que vous avez tenus, monsieur le président. J'ajouterai qu'ayant été à La Réunion la semaine dernière, j'ai été séduit par un projet que m'a exposé le général commandant des forces armées de la zone sud de l'Océan indien, qui se demandait s'il ne fallait pas utiliser cette réussite qu'est le service militaire adapté (SMA), qui, comme chacun le sait, est une forme de prise en charge des jeunes en difficulté ou sans qualification, pour les former à des métiers et faciliter leur insertion immédiate sur le marché du travail. Il préconisait d'utiliser une partie de l'effectif du SMA pour développer et former des jeunes à Madagascar dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics. Il souhaitait que nous nous l'aidions pour cela, ce qui me paraît évident et tout à fait normal.

Si cette opération réussit, nous devrons nous en servir comme d'une expérimentation susceptible d'être utilisée dans les Comores et peut-être ailleurs.

M. Georges Othily, président .- Il existe une prétendue politique de coopération transfrontalière entre les collectivités régionales et les pays voisins, mais nous ne ressentons pas aujourd'hui le rôle que jouent vraiment les collectivités régionales et l'Etat dans une politique de coopération volontariste permettant au PIB de ces pays, comme vous l'avez dit, de se rapprocher du nôtre afin de réduire l'attractivité des régions d'outre-mer.

En ce qui concerne le logement, aussi bien à Mayotte qu'en Guyane ou au Brésil, nous pourrions également voir comment adapter les politiques régionales pour avancer dans la résorption de l'habitat insalubre, encore qu'il faille faire une évaluation de l'objectif que nous nous étions fixé dans le cadre de cette politique en outre-mer. Là aussi, il faudrait revoir et réformer un certain nombre de choses. Bien que la ligne budgétaire unique d'autrefois ait permis d'alimenter une partie de cette action, je pense qu'elle n'a pas joué suffisamment son rôle, aussi bien en Guyane qu'ailleurs.

Nous n'avons pas d'autres questions à vous poser, monsieur le directeur, et nous vous remercions des propos que vous avez tenus.

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