Audition de MM. Stéphane MAUGENDRE, vice-président,
et Jean-Pierre ALAUX, chargé de mission, du Groupement d'information
et de soutien aux immigrés (GISTI)
(7 décembre 2005)

Présidence de M. Bernard FRIMAT, vice-président,

M. Bernard Frimat, président .- Messieurs, vous êtes les représentants du GISTI, Groupement d'information et de soutien aux immigrés, et je vais vous demander de faire tout d'abord un court exposé liminaire, à la suite de quoi nous pourrons débattre.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, MM. Maugendre et Alaux prêtent serment.

M. Stéphane Maugendre .- Je commencerai par une petite présentation à titre personnel : je suis non seulement vice-président du GISTI, mais par ailleurs avocat et membre du barreau de la Seine-Saint-Denis.

La première question qui se pose à nous est de savoir en quoi l'immigration clandestine peut être un problème. Elle n'a pas été un problème avant l'ordonnance du 2 novembre 1945, transformée en code, elle n'a pas été un problème après-guerre ni durant les années 60 et elle n'est pas aujourd'hui, pour un certain nombre de secteurs de l'économie française, un véritable problème. Or nous n'arrivons pas à avoir une démonstration scientifique, voire sociologique, de la difficulté que pose l'immigration clandestine sur le territoire français.

Historiquement, le GISTI a été créé il y a une trentaine d'années, au lendemain des premières dispositions sur ce qu'on peut appeler le début des fermetures des frontières sur le territoire français, et le constat de ces trente années d'expérience, c'est que, finalement, toutes les politiques et toutes les réformes successives de l'ordonnance du 2 novembre 1945 n'ont absolument rien changé à la question de l'immigration clandestine sur le territoire français, qu'elles n'ont absolument rien réglé et qu'elles entraînent plutôt un certain nombre d'aspects négatifs aujourd'hui.

Je rappelle que la question de la répression pénale de l'entrée du séjour irrégulier sur le territoire français a fait l'objet de deux mentions dans deux rapports, l'un sous la présidence de M. Louis Mermaz et l'autre sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, dans lesquels il est précisé que, finalement (je résume leur pensée, mais je vous renvoie aux pages 35 et 191 du rapport établi sous la présidence de M. Hyest et aux pages 242 et suivantes du rapport établi sous la présidence de M. Mermaz), la répression de l'entrée du séjour irrégulier sur le territoire français est une aberration d'un point de vue pénal.

Je constate aussi que nous avons, selon les études, sachant qu'il est toujours extrêmement difficile de quantifier la clandestinité, depuis des décennies, 200.000 à 300.000 clandestins sur le territoire français et que ces chiffres sont quasiment immuables selon les éléments que l'on nous donne. Je ne sais pas comment on arrive à les qualifier, mais, en tout état de cause, c'est ce que les études nous transmettent.

Nous sommes évidemment prêts à répondre à l'ensemble de vos questions. Je donnerai à votre commission un texte du GISTI qui, fort de ses trente-cinq ans d'expérience sur le terrain, a été amené à affirmer qu'il faut penser la politique de l'immigration autrement en France et en Europe et qui prône la liberté de circulation depuis un certain nombre d'années.

M. Bernard Frimat, président .- Merci. Je vous propose d'ouvrir le débat. Qui souhaite intervenir ?

M. Alain Gournac .- Que voulez-vous que nous disions après avoir entendu cela ? Je ne vois pas quelles questions nous pourrions poser.

M. François-Noël Buffet, rapporteur .- Pour ma part, j'ai quelques questions à vous poser.

Le 29 novembre dernier, le comité interministériel de contrôle de l'immigration a fait une préconisation concernant l'allongement à deux ans, alors qu'il était auparavant d'un an, du délai de séjour en France en dessous duquel on peut faire une demande de regroupement familial. Avez-vous une opinion sur ce point et pouvez-vous nous donner un bilan de la loi du 26 novembre 2003 sur cette question ? C'est ma première interrogation.

J'en ai une deuxième. Récemment, il a été fait la proposition, qui n'est pas encore applicable, bien sûr, de supprimer le lien automatique qui existe entre le mariage et le titre de séjour. Il me paraît intéressant de recueillir aussi votre avis sur ce point.

J'ai une dernière question d'ordre technique sur la réforme de l'aide médicale d'Etat qui est intervenue en 2003. Avez-vous un point de vue sur son fonctionnement et quel jugement portez-vous sur le dispositif qui a été mis en place ?

M. Stéphane Maugendre .- Je vais répondre sous réserve des précisions de Jean-Pierre Alaux.

Sur l'allongement du délai de deux ans, il suffit de voir la manière dont les choses se passent : le délai est déjà de deux ans dans la pratique et si vous l'allongez d'un an supplémentaire, vous allez le faire passer à trois ans, très concrètement. En fait, les gens qui ont envie de vivre en famille viendront quand même.

Il faut nous imaginer trente secondes vivre nous-mêmes dans cette situation. Si, alors que je pars à l'étranger sans mon épouse et mes deux enfants, on me dit qu'il faut que j'attende deux ans pour qu'ils me rejoignent, alors qu'en réalité, cela mettra trois ans du fait des délais d'étude du dossier, que puis-je faire très concrètement ? Je fais évidemment venir mes enfants et mon épouse parce que j'ai envie de vivre avec eux. Ce n'est donc pas l'allongement des délais qui changera quoi que ce soit si ce n'est, à mon avis, de créer encore plus d'immigration clandestine en France. C'est clair, net et imparable : vous allez créer de nouveaux clandestins.

Finalement, on fait venir des gens en France uniquement pour obtenir le titre de séjour, parce que c'est l'acte qui se trouve derrière, et le délai de deux ans a simplement pour but de tester le lien familial. Pourtant, les services préfectoraux disposent déjà de procédures de contrôle pour lutter contre le faux regroupement familial, un regroupement familial « blanc », en quelque sorte. Je dois dire d'ailleurs que les cas de fraude au regroupement familial blanc sont résolus a posteriori sans aucun problème, mais, encore une fois, j'attends les chiffres, parce que nous avons un gros problème de chiffres, en matière d'immigration clandestine, en ce qui concerne le groupement familial.

Je pense donc que l'allongement du délai pour la plupart des familles que je vois dans la pratique, soit au sein du GISTI, soit au sein de mon cabinet, va avoir un effet contraire au but recherché. Vous ne pouvez pas empêcher un homme ou une femme d'aller rejoindre l'homme ou la femme de son coeur, et il en est de même pour les enfants.

Je ferai quasiment la même observation en ce qui concerne la suppression de l'automaticité entre le mariage et la délivrance d'un titre de séjour. Il faut aller voir ce qui se passe réellement dans les préfectures pour imaginer trente secondes mettre en place ce genre de disposition. La question sous-jacente, bien évidemment, est le mariage blanc, le mariage que l'on appelle « de complaisance ». Un certain nombre de dispositions ont déjà été modifiées de multiples fois dans le code civil et sont aujourd'hui intégrées en partie dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). La législation actuelle est donc tout à fait suffisante pour éviter que des mariages blancs soient régularisés par un titre de séjour.

C'est le cas des contrôles préalables, soit par l'intermédiaire de l'officier d'état-civil, soit par l'intermédiaire du parquet civil des tribunaux de grande instance.

C'est aussi le cas des contrôles a posteriori des préfectures. Dès qu'il y a le moindre soupçon, dans une préfecture, d'un éventuel mariage de complaisance, une enquête est diligentée soit par les services des renseignements généraux, soit par le commissariat local. En l'occurrence, il est heureux que l'automaticité entre le titre de séjour et le mariage avec un Français existe encore parce que, si vous le supprimez, nous allons tomber de nouveau dans un certain nombre de dérives qui feront que les gens resteront ensemble.

Je ne vais pas vous parler des cas de journalistes qui se trouvent dans des situations terribles du fait d'un respect à la virgule près des textes sur un certain nombre de dossiers. En fait, je me pose trente secondes la question de savoir si ce serait conforme à la convention européenne des droits de l'homme, mais c'est un problème qui sera réglé par ailleurs si besoin est.

M. Jean-Pierre Alaux .- Sur le regroupement familial, je souhaite ajouter un autre aspect. Aujourd'hui, vous êtes très soucieux, comme tous les pouvoirs publics et comme une bonne partie de la société française, de l'intégration des étrangers. Retarder le regroupement familial, c'est hypothéquer l'insertion de ces étrangers parce que cela provoque un retard dans l'arrivée d'enfants qui, dans d'autres circonstances politiques, notamment lorsque le regroupement familial est immédiat dès lors que la situation de l'étranger répond aux différents critères qui lui sont imposés, auraient beaucoup plus de facilité à s'insérer, à entrer dans le système scolaire, bref à devenir des Français de fait.

En compliquant et en retardant les possibilités du regroupement familial, on risque de faire venir en France des mineurs plus âgés qui auront davantage de difficulté à rattraper le niveau scolaire et à entrer de plain-pied dans la société française.

Une bonne politique étant une politique cohérente, il me semble difficile, d'un côté, de multiplier les épreuves de vérification de l'insertion et, d'un autre côté, de compliquer le passage de ces épreuves.

M. Stéphane Maugendre .- Sur l'AME, malheureusement, je n'avais pas préparé la question et je ne peux donc pas vous répondre précisément.

M. Bernard Frimat , président.- Merci.

Mme Catherine Tasca .- Dans le sigle « GISTI », le premier « i » signifie « information ». Pouvez-vous nous parler de cette dimension de votre travail ? En quoi consiste ce travail d'information et quels sont les besoins spécifiques et les plus évidents des populations auxquelles vous avez affaire ?

M. Jean-Pierre Alaux .- Le législateur rend nécessaire l'information parce que la réglementation sur l'entrée, le séjour, l'éloignement et l'asile est très compliquée. Notre travail d'information est donc essentiellement juridique. Nous sommes une association qui a 35 ans d'existence et qui est composée de personnes compétentes en matière de droit des étrangers ou de personnes que l'expérience a rendu pointus en droit des étrangers.

Notre information s'adresse à différents niveaux. Nous avons tout d'abord un niveau extrêmement technique de publication et d'explication du droit et des procédures dans des collections que l'on appelle Les cahiers juridiques. Nous menons aussi un travail de vulgarisation à plusieurs niveaux en produisant des guides grand public qui rappellent assez peu les textes mais qui expliquent comment les utiliser. Enfin, nous sommes producteurs de petits ouvrages sur une question pointue, des sortes de notes.

Par ailleurs, nous avons un site à la disposition de tous et nous donnons des cours sur le droit des étrangers et les procédures destinés aux professionnels et aux militants. Voilà ce que je peux dire sur la spécificité du GISTI.

Vous avez par ailleurs posé une question sur les besoins. Nous ne prétendons pas du tout répondre à tous les besoins, qui sont absolument innombrables et nous savons que, par rapport à la complexité de la réglementation, les étrangers eux-mêmes sont extrêmement désarmés non seulement pour des questions de langues, mais aussi pour des problèmes de capacité de compréhension, non pas parce qu'ils sont étrangers mais parce qu'un Français moyen serait lui-même très désorienté par la complexité de la réglementation.

J'ai envie de vous citer l'exemple des demandeurs d'asile. Avec les raccourcissements des délais entre le moment où ils se présentent en préfecture et le moment où ils déposent leur demande d'asile à l'OFPRA, la dernière réforme législative en date a limité ce délai à trente jours. Compte tenu de la difficulté de rédaction d'un dossier devant l'OFPRA et de l'obligation de déposer ce dossier en langue française, on voit des demandeurs d'asile déposer des demandes d'asile de plus en plus lamentables et indigentes alors que, derrière, il y a de la matière. La précipitation leur interdit de répondre finalement aux critères qui sont attendus d'eux.

Je crois donc qu'en effet, quelle que soit la politique que vous préconiserez dans cette commission, à chaque fois que vous compliquez cette réglementation, il faudra demander à l'administration de faire une information précise, actuelle et obligatoire. Le Parlement a prévu, dans la loi sur l'asile, que les préfectures remettent un livret explicatif de la procédure à tous les demandeurs d'asile et nous sommes aujourd'hui très loin d'une remise systématique de ce livret alors que ce n'est pas très compliqué et que cela aide beaucoup les étrangers.

Ai-je répondu à votre question ?

Mme Catherine Tasca .- Tout à fait.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Nous savons que cette question -on nous le répète assez souvent- relève de la politique nationale d'un Etat souverain, mais nous savons aussi qu'elle fait l'objet de plus en plus d'instruments et de textes internationaux, notamment européens. Il y a aussi une réalité. Nous avons vu récemment à la télévision les camps de Ceuta et de Melilla et nous avons ainsi pu constater la manière dont cela se passe : il ne s'agit pas uniquement de demandeurs d'asile mais aussi, souvent, de travailleurs migrants qui fuient la misère.

Ne pensez-vous pas que c'est une question de plus en plus européenne et qu'elle devrait pouvoir trouver une solution européenne ? J'aimerais que vous nous parliez de cette manière dont l'Europe gère les choses à travers ces camps extérieurs.

M. Jean-Pierre Alaux .- En effet, vous posez une question fondamentale : la politique migratoire nationale, comme vous le savez, dépend de plus en plus souvent de normes définies dans le cadre de l'Union européenne. L'une de nos angoisses principales, aujourd'hui, est de voir que la gestion de l'immigration procède de plus en plus, à l'initiative de l'Union européenne, de la sous-traitance de la répression. Vous n'êtes pas sans connaître les vieux accords de réadmission, les uns nationaux, les autres d'initiative européenne, qui, pour le prix de coopérations différentes, d'aides et de préférences en termes économiques, imposent aux partenaires d'admettre à nouveau leurs propres ressortissants en situation irrégulière et de réadmettre aussi -c'est la nouveauté de ces dernières années- les ressortissants d'autres nationalités qui ont transité par leur territoire avant d'arriver en Europe.

Ces accords de réadmission sont signés avec des pays parfois fort lointains puisque Hong-Kong fait partie des signataires d'accords de réadmission.

Dans notre proximité immédiate, certains accords ont été signés et d'autres sont en négociation et je pense qu'il faut s'inquiéter de leurs premiers effets, qu'il s'agisse soit de projets, soit d'accords dûment signés.

A cet égard, les dramatiques incidents de Ceuta et Melilla valent beaucoup d'attention, parce que le Maroc a estimé qu'il avait l'obligation contractuelle avec l'Europe de faire la police à la place de l'Europe alors qu'un pays comme le Maroc, même s'il est en progression sur le plan du respect des droits de l'homme, met sans doute moins de gants que les pays européens pour faire la police. Du coup, vous avez vu que des centaines de migrants, dont une bonne partie se destinait à venir sans doute en Europe, ont frôlé la mort ou sont même morts pour un petit nombre d'entre eux. Cela dit, j'ai été inquiété, pas plus tard qu'hier, par une politique voisine de l'Algérie qui aurait renvoyé dans ses déserts un certain nombre de migrants.

Je pense donc qu'il faudrait penser la sous-traitance de la répression contre l'immigration irrégulière, au risque de choquer certains d'entre vous, dans les mêmes termes que ceux que nous appliquons à la sous-traitance de la torture par les Etats-Unis : on ne torture pas sur le territoire des Etats-Unis, mais, accessoirement, on peut sous-traiter la torture interdite là ailleurs...

D'une certaine manière, les pays qui respectent globalement l'Etat de droit sont tentés, sous l'impulsion européenne, de sous-traiter la violence à des pays qui mettent moins de gants qu'eux-mêmes.

M. Bernard Frimat, président .- Merci. Y a-t-il encore des questions ou des réactions ?

Mme Catherine Tasca .- Je souhaiterais encore avoir une information sur vos moyens d'action. Comment êtes-vous équipés sur le plan de la traduction et de l'interprétariat et assumez-vous cette tâche au sein du GISTI ?

M. Jean-Pierre Alaux .- Non, pas du tout, tout d'abord parce que nous travaillons à une échelle relativement petite et, ensuite, parce que ce sont les étrangers eux-mêmes qui viennent avec leur interprète quand il y en a besoin. C'est une solution très peu satisfaisante, mais vous avez raison de souligner la question parce que, de façon générale, il y a un déficit de moyens mis au service de l'interprétation et de la traduction.

En l'occurrence, j'en reviens aux demandeurs d'asile qui doivent écrire en français immédiatement. Je suis frappé de la qualité souvent peu satisfaisante des demandes d'asile -et Stéphane Maugendre pourra peut-être en dire autant sur les tribunaux- qui sont remises à la Commission des recours des réfugiés et à l'OFPRA. C'est une grande source d'inquiétude.

M. Stéphane Maugendre .- Nous avons à vous signaler un problème de statut des interprètes. De façon globale, sur la question des experts auprès des tribunaux, le statut n'est qu'un tout petit peu plus encadré, mais en ce qui concerne les « interprètes agréés » ou « non agréés », le problème est véritable. On a parfois des interprètes turcs qui vont essayer de traduire du kurde et qui n'y arrivent pas. Cela pose de véritables problèmes, y compris dans les procédures d'urgence en matière de droit des étrangers. C'est ce qu'on appelait anciennement les procédures des articles 35 bis et 35 quater concernant soit la reconduite à la frontière, soit l'entrée sur le territoire français, dont les enjeux peuvent être catastrophiques : nous avons vu par exemple un certain nombre d'étrangers ramenés dans leur pays dit d'origine se faire interpeller, voire mourir, parfois à cause d'un simple défaut d'interprétariat.

Aujourd'hui, en ce qui concerne les personnes qui se trouvent en centre de rétention, l'accès à l'interprétariat n'est plus à la charge de l'Etat mais à celle de l'étranger lui-même et on peut donc imaginer ce que cela peut représenter, aussi bien dans le cadre de la reconduite à la frontière que de l'arrivée. Cela pose de véritables problèmes, mais les difficultés sont vraiment très concentrées sur cette question.

M. Alain Gournac .- Pour revenir à ce que vous appelez la « sous-traitance », considérez-vous que la France utilise cette pratique ? Pensez-vous qu'elle demande de la sous-traitance pour lutter contre l'immigration ?

M. Jean-Pierre Alaux .- Les accords dont je parlais tout à l'heure ont été passés dans le cadre de l'Union européenne. La France a donc concouru à l'élaboration et à la multiplication de ces accords. Je vous invite à regarder les accords ACP/CEE, par exemple, qui concernent 180 Etats de l'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Dans les années 90, la clause de réadmission n'existait pas dans cet accord extrêmement important par le nombre de pays signataires et, aujourd'hui, les accords de réadmission font partie des accords ACP/CEE. On ne les appelle pas « accords de réadmission », en l'occurrence, mais le contenu de l'accord y figure. La France, qui a un poids considérable dans les relations Nord-Sud, n'a pas émis de réticences, à ma connaissance, à l'élargissement de cette pratique avec le Sud.

M. Philippe Dallier .- Je souhaiterais être certain d'avoir bien compris ce que vous suggérez pour éviter ce phénomène de « sous-traitance » dans la répression dont vous parlez, mais je tiens à vous dire auparavant que vos comparaisons sont franchement déplacées lorsque vous parlez de torture et que vous assimilez la France à un sous-traitant...

M. Alain Gournac .- En Tchétchénie, que se passe-t-il ?

M. Jean-Pierre Alaux .- On traite aussi très mal les Tchétchènes.

M. Philippe Dallier .- Je ferme cette parenthèse. Je ne parle pas de la Tchétchénie ou d'autres pays, mais je trouve que vos propos sont déplacés.

Cela dit, si j'ai bien compris, vous suggérez qu'à partir du moment où une personne, en quelque endroit que ce soit de la planète, aurait décidé de migrer et d'affirmer qu'elle souhaite venir s'installer en France, tous les pays qu'elle traverse devraient la laisser poursuivre son chemin. Dans ce cas, nous ne déplacerions plus la barrière à la limite de l'Afrique, par exemple, nous devrions accepter les gens qui ont le projet de venir chez nous, quel qu'en soit le motif, et il appartiendrait donc au pays destinataire final de gérer ces flux de migrants en voyant si le motif est acceptable. Est-ce bien ce que vous suggérez ?

J'ai bien compris que vous suggérez qu'à terme, chacun puisse circuler librement et s'installer où il veut, comme nous l'avons bien entendu, mais en attendant que nous en arrivions à cela, ai-je bien compris ce que vous proposez ? Faudrait-il que la France organise sur son territoire l'accueil de tous ceux qui veulent y venir et demande aux pays traversés de laisser le libre passage jusqu'ici ?

M. Stéphane Maugendre .- Je vais faire une petite parenthèse sur la question des traitements. J'ai l'insigne honneur d'être l'avocat de deux familles de personnes qui sont décédées lors de leur éloignement dans un avion. J'ai l'insigne honneur d'être également l'avocat d'un certain nombre de personnes qui ont subi des mauvais traitements dans le cadre de mesure de reconduite à la frontière ou même de rétention administrative. C'est une réalité.

M. Philippe Dallier .- Excusez-moi, mais je ne vois pas quel est le rapport avec ma question.

M. Stéphane Maugendre .- Monsieur le sénateur, vous avez fait une petite incidente et je tiens donc à vous dire que nous avons en charge un certain nombre de familles et que, parfois, il convient de prendre conscience du traitement qui est réservé à ces étrangers. Il suffit de lire le rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, présidée par M. Truche, dans lequel, l'année dernière, on a dit pour la première fois que les questions de reconduite à la frontière ou de rétention sur le territoire français ainsi que les doléances auprès de cette commission étaient en nombre extrêmement important.

Cela pose un certain nombre de questions. Voilà ce que je voulais dire pour répondre à votre petite parenthèse d'introduction, monsieur le sénateur.

M. Philippe Dallier .- Ce n'est pas la même chose que de dire que nous sous-traitons la torture, quand même, mais je ferme la parenthèse : c'est sur ma véritable question que j'attends une réponse.

M. Jean-Pierre Alaux .- Vous avez remarqué, monsieur le sénateur, que M. Sarkozy discute avec M. Kadhafi, qui, il n'y a pas si longtemps, était un personnage non fréquentable, pour sous-traiter la répression. Je n'emploierai pas de nouveau le mot « torture », mais je vous demande de vous interroger sur l'hypothèse selon laquelle il pourrait y avoir de la torture en Libye.

Quant à votre question fondamentale, qui est en effet beaucoup plus intéressante, je répondrai qu'il n'y a pas de solution toute faite mais que nous pourrions avoir du recul et des souvenirs en matière d'immigration. Il faudrait se souvenir que, jusqu'en 1987, la France avait maintenu une complète liberté de circulation dans ses anciennes colonies africaines, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas de visa, y compris de court séjour, pour les ressortissants de ces pays. Il n'y avait pas plus ni moins d'installations irrégulières à cette époque qu'aujourd'hui.

Je vous demande même de réfléchir à un autre élément et à vous reporter à des études de sociologues spécialistes de la question. Il fut un temps où la France estimait avoir besoin de main-d'oeuvre étrangère, où cette circulation n'était pas contrôlée et où même, au-delà de la circulation spontanée, on allait chercher les étrangers chez eux : l'ONI d'abord et l'OMI ensuite ont été créés pour aller draguer les étrangers chez eux parce qu'ils ne venaient pas en nombre suffisant et M. Weil rappelle qu'en 1968, 88 % des étrangers en situation irrégulière qui sont allés spontanément dans une préfecture pour demander une carte de séjour l'ont obtenue.

A cette époque, les étrangers étaient beaucoup moins stables, c'est-à-dire qu'ils s'installaient beaucoup moins durablement ici, tout simplement parce qu'une partie de l'immigration se faisait sur le mode rotatif. La situation pouvait se présenter de la façon suivante : on a un petit creux de trésorerie ou de formation, on vient en France pendant trois ans, on se fait embaucher, on travaille, on acquiert un certain nombre de méthodes et on repart. Aujourd'hui, un étranger qui est arrivé en France de façon illégale a de très grandes difficultés à survivre et se heurte à une quasi-impossibilité ou à une très grande difficulté de retour, non seulement parce qu'il est difficile de franchir les frontières mais surtout du fait de son manque d'argent et de la complexification du passage des frontières qui ouvre un marché considérable aux passeurs qui se remplissent les poches au passage.

Toutes ces difficultés et tous ces risques font que des gens qui, spontanément, ne viendraient que trois, quatre ou cinq ans et ne feraient pas venir leur famille -on en revient au regroupement familial-, viennent en France, y restent et attendent les conditions du regroupement familial.

Je crois donc simplement, sur la base de notre expérience, qu'il n'y a pas besoin de présupposés idéologiques pour réfléchir à cette question. Certes, il y aurait sans doute des effets négatifs à la liberté de circulation d'antan et je vous laisse les trouver (au GISTI, nous n'en trouvons pas beaucoup, mais on a le droit de penser autrement), mais, si vous enquêtez, vous y trouverez aussi des effets bénéfiques en termes de brièveté des séjours migratoires et de rotation, ce qui aboutira peut-être, du coup, à diminuer l'immigration d'une certaine manière.

M. Stéphane Maugendre .- Je voudrais simplement ajouter un mot sur cette expérience historique. M. le Président de la République, qui était à Bamako il n'y a pas longtemps, a fait état de questions migratoires entre la France et le Mali. Or il faut aller voir de très près l'immigration malienne, parce qu'on peut observer dans ce pays ce que décrit Jean-Pierre Alaux sur cette immigration rotative qui concerne le grand frère puis le petit frère. Cette facilité engendre une immigration très particulière. Je ne veux pas faire de communautarisme, bien sûr, mais je pense que cette expérience du Mali (nous avons la possibilité d'analyser plus finement les choses au regard de ce pays) pourrait nous apporter des enseignements bénéfiques sur la facilité de venir en Europe, mais aussi d'en repartir plus facilement.

M. Bernard Frimat, président .- Messieurs, nous n'avons plus d'autres questions à vous poser et nous allons donc nous en tenir là. Je vous remercie de votre participation à la commission d'enquête.

Le président Othily, qui nous a rejoints à l'issue du débat sur l'outre-mer, nous disait que, dans cette commission, toutes les opinions devaient s'exprimer pour que les sénateurs puissent se faire leur opinion. Je vous remercie d'avoir contribué à cette diversité.

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