PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif aux responsabilités locales.

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 167 minutes ;

Groupe socialiste, 89 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 36 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 32 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 26 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 10 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fernand Demilly.

M. Fernand Demilly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les Français l'attendaient, les élus la réclamaient, le Premier ministre et son gouvernement la mettent en oeuvre depuis plusieurs mois, et « la relance de la décentralisation » est enfin une réalité constitutionnelle et législative. Elle sera bientôt une réalité de tous les jours sur le terrain, dans nos territoires. Car après la révision de la Constitution adoptée par le Congrès en début d'année et les deux lois organiques votées cet été par le Parlement, nous entrons véritablement dans le vif du sujet avec ce projet de loi relatif aux responsabilités locales et traitant, pour l'essentiel, des nouveaux transferts de compétences. La relance de la décentralisation prend forme.

Voilà déjà plusieurs années que cette relance de la décentralisation, celle-là même qui est figée, ou presque, dans sa forme depuis les lois de 1982, apparaît comme un impératif. Ici, on dénonce la bureaucratie et les montagnes de formulaires ; là, la fiscalité inadaptée, la péréquation insuffisante ; ailleurs, les plurifinancements et les circuits compliqués avant que les subventions européennes ou autres ne parviennent dans les cantons, après un passage éventuel par Bercy...

Depuis des années, les élus réclament donc une clarification des compétences. D'ailleurs, pourquoi, après 1982, s'être arrêté en si bon chemin, alors même que, dans de nombreux domaines, la décentralisation fut un succès et prouva son efficacité ? Je pense évidemment aux lycées, aux collèges, aux contrats de plan, à la montée en puissance des villes, en matière d'urbanisme notamment. Aujourd'hui, il apparaît évident que certains domaines doivent être clairement du ressort des collectivités territoriales et non pas de celui de l'Etat.

Et chacun s'accorde également à reconnaître que l'archaïsme de la fiscalité provoque plus de querelles que de rapprochements, plus de complications que d'efficacité, et, assurément, conduit à des ressources insuffisantes par rapport aux charges transférées de l'Etat vers les collectivités : ce fut le cas pour le revenu minimum d'insertion, pour l'allocation personnalisée d'autonomie, pour la vignette et pour tant d'autres.

Avant même de connaître l'issue des grands rendez-vous électoraux de l'année dernière, le groupe du RDSE, auquel j'appartiens, fort de sa pluralité, avait formulé une série de propositions cohérentes en matière de décentralisation pour prolonger la logique engagée en 1982 et parvenir à l'équilibre entre l'exigence d'efficacité, d'une part, le besoin de proximité démocratique, d'autre part.

Conscients que le gouvernement issu des élections de 2002 ne pourrait faire l'économie d'une grande réforme, nous avions proposé les transferts de compétences vers les collectivités territoriales en leur assurant une réelle autonomie financière, donc de réelles marges de manoeuvre. La région devenait la collectivité chef de file en matière économique, et le département, renforcé dans son rôle de proximité, voyait ses compétences redéfinies autour du domaine de l'action sociale.

Nous proposions, notamment, de transférer aux régions une partie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, et d'affecter aux départements une part de la contribution sociale généralisée, la CSG.

Enfin, sur l'initiative de mon collège Gérard Delfau, nous avons fait émerger plus récemment un réel système de péréquation qui, pour les élus locaux, serait efficace, juste et équitable.

Je constate aujourd'hui que notre projet n'est pas très éloigné de celui que nous nous apprêtons à examiner, tout spécialement en matière de transfert et de clarification des compétences de chaque échelon. Cela n'est pas surprenant, puisque, dans les deux cas, c'est le sens pratique et l'expérience du terrain qui ont prévalu, et non pas certains dogmatismes idéologiques.

La philosophie du projet de loi que vous nous proposez s'articule autour de la double exigence de cohérence et de proximité. Les couples département-région et commune-intercommunalité, un temps évoqué pour conjurer les concurrences stériles, sont remplacés par le couple Etat-région, auquel revient la garantie de la cohérence d'aménagement du territoire national, par le trio de la proximité, commune-intercommunalité-département, institutions effectivement de proximité et du quotidien.

Le fait régional propre va pouvoir s'épanouir davantage et ne sera plus ni une annexe de la décentralisation de proximité ni le réceptacle des missions que l'Etat n'a plus le souhait ou les moyens d'exercer. Ces régions, depuis peu reconnues constitutionnellement, seront, plus encore que pour le passé, des acteurs majeurs des politiques publiques dans le cadre d'un Etat qui va pouvoir se recentrer sur l'essentiel, tandis que les départements assureront la cohérence de l'action sociale et de la solidarité.

Avec ce projet de loi, et après la loi organique relative au référendum local, la décentralisation s'assimilera davantage à la démocratie locale puisque le chapitre Ier du titre VII étend la participation des électeurs aux décision locales avec l'extension à l'ensemble des collectivités territoriales et l'extension du champ des consultations demandées par les électeurs eux-mêmes.

Mais ce qui constitue l'aspect le plus fondamental de ce projet de loi, ce sont bien les nouveaux transferts de compétences proposés, parce que les compétences des collectivités territoriales sont la substance même de l'action politique, en dehors de quoi les liberté locales ne seraient qu'un semblant de décentralisation.

C'est bien là que se joue l'acte II de la décentralisation, et c'est en cela que ce texte constitue à la fois une réelle relance de la décentralisation et une avancée pour notre pays.

Nous avons encore parfois plusieurs niveaux d'administration qui se juxtaposent dans la conduite d'une même politique. Qui fait quoi ? Qui est responsable ? Qui finance ? Comment finance-t-il ? Le citoyen s'y retrouve difficilement ou ne s'y retrouve pas du tout !

En outre, les compétences non clairement identifiées provoquent des délais, des difficultés de financement, voire, dans certains cas, une irresponsabilité généralisée.

Avec le texte que vous nous proposez, les missions seront clairement identifiées et, de facto , l'Etat central pourra se concentrer sur ses fonctions régaliennes : il n'en sortira, lui aussi, que plus performant.

Bien entendu, certaines fonctions collectives fondamentales telles que l'éducation, la santé et la sécurité publique devront rester partagées, mais à condition d'identifier clairement les reponsabilités de chacun.

Je formulerai un regret à ce propos, monsieur le ministre : les collectivités auraient souhaité que l'Etat prenne en charge les services d'incendie et de secours qui, avec la police et la gendarmerie, assurent la sécurité publique,...

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Une paille ! (Sourires.)

M. Fernand Demilly. ... d'autant que les récents incendies dans le midi de la France ont montré la nécessité d'une organisation et d'une responsabilité nationales pour coordonner l'action et assurer l'efficacité des interventions.

La réflexion sur ce sujet ne devrait-elle pas se poursuivre ?

Ce regret excepté, on voit bien qu'une aussi large et profonde remise en cause de notre fonctionnement institutionnel et des missions de chaque échelon doit s'accompagner d'une réorganisation des services de l'Etat et de transferts de moyens. Une telle décentralisation n'aura de sens que si l'Etat change également. C'est évident !

C'est pourtant ce qui a manqué en grande partie dans la décentralisation « version 1982 ». Vous n'êtes pas sans savoir que les collectivités redoutent fortement les coûts cachés de la décentralisation : « chat échaudé craint l'eau froide », dit le proverbe.

Le pari de l'acte II de la décentralisation est que l'Etat assumera financièrement ses responsabilités dans le cadre d'une évaluation rigoureuse de chaque transfert...

M. Jean-Pierre Sueur. Le pari de Pascal ! (Sourires.)

M. Fernand Demilly. ... et que, par ailleurs, la confrontation des élus locaux avec les citoyens-usagers-contribuables parviendra à créer un mouvement puissant de régulation de l'action publique.

En effet, en fin de compte, c'est bien la mise en pratique et l'appropriation par tous, élus et citoyens, qui permettront de dire, dans un avenir relativement proche, si l'objectif a été atteint.

Pour ma part, je suis convaincu que nous sommes sur la bonne voie et que nous gagnerons ce pari, à condition que l'on s'en donne les moyens, autrement dit à condition que les textes votés par le Parlement dotent les collectivités des moyens nécessaires.

Si, depuis sa révision et l'adoption de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, la Constitution nous donne une partie des moyens indispensables à cette réussite, avec la reconnaissance du principe de « l'organisation décentralisée de la République », il faudra aussi, monsieur le ministre, que les mécanismes de solidarité financière, dont l'Etat doit demeurer le garant, donnent leur chance à tous les territoires.

Le projet de loi organique relatif aux questions financières des collectivités devrait nous être transmis assez rapidement. Souhaitons qu'il prenne en compte tous les éléments des transferts. Je vous suggère en outre, monsieur le ministre, d'assurer la réactualisation annuelle de ces transferts de ressources financières vers les collectivités territoriales, condition sine qua non pour que le fonctionnement de nos institutions locales demeure en phase avec l'évolution de la société et des réalités locales.

La relance de la décentralisation est donc, avec ce projet de loi, une grande réforme indispensable et urgente. Elle ne doit être ni un simple ajustement technique de notre échafaudage institutionnel ni le démembrement de l'unité nationale auquel certains voudraient nous faire croire.

A ces conditions, elle sera assurément un moyen très efficace pour rénover l'action publique et, par là même, pour réconcilier durablement les citoyens avec leurs élus, avec leurs gouvernants et avec la République. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'évoquerai d'abord brièvement les conditions dans lesquelles se déroule ce débat.

Il est étonnant que la discussion d'un texte emblématique de la gestion du Gouvernement commence à dix-huit heures,...

M. Louis de Broissia. C'est une bonne heure !

M. Jean-Claude Peyronnet. ... que le Premier ministre intervienne presque en catimini et soit - et je crois que c'est un avis assez général - relativement peu convaincant. Ce texte emblématique préparé de longue date, aurait mérité mieux qu'un examen en fin d'après-midi, à un moment où, finalement, l'attention est peu importante. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Je souhaite formuler une seconde remarque. Je suis le dixième intervenant dans la discussion de ce projet de loi et le premier de l'opposition qui fera peut-être entendre une petite musique un peu différente, encore que j'ai senti, dans les interventions de certains des rapporteurs, quelques réserves, certes contenues.

Nous avons là l'illustration de pratiques étonnantes et peu démocratiques au sein de cette assemblée, puisque, sur les cinq rapporteurs, aucun n'appartient à l'opposition.

J'en viens au projet de loi proprement dit.

Parce que nous avons mis en place, malgré vous et vos amis, la décentralisation, à laquelle vous vous êtes ralliés très vite, parce que, ainsi, notre volonté et notre conviction ne peuvent être mises en question par les esprits de bonne foi, nous n'avons pas besoin de répéter sans arrêt : « Nous sommes décentralisateurs ! Nous sommes décentralisateurs ! » Mais, pour nous, ce n'est pas la solution, et surtout pas la seule, à tous les problèmes.

Il s'agit d'abord et simplement de rendre l'administration plus efficace et plus lisible, car plus proche des usagers. Mais, en aucun cas, il ne s'agit de dédouaner l'Etat de ses devoirs envers les citoyens et envers les territoires, devoirs qui sont inscrits comme un idéal intangible dans la Constitution et, notamment, dans ses deux premiers articles « pollués », précisément, par cette proclamation triviale d'une République décentralisée. Et pourtant, que représente ce système d'organisation administrative à côté des concepts d'égalité, de laïcité ou d'indivisibilité ?

Si le Premier ministre a, avec obstination, obtenu l'inscription de cette idée à cet endroit-là, c'est, je le crois, par conviction, je lui en fais crédit. Mais je lui reproche justement cette foi aveugle, quelque peu extrême : cette espèce d'intégrisme décentralisateur qui, comme tout intégrisme, est excessif et finalement empêche de penser sainement. Qui peut croire, en effet, comme le Premier ministre l'a affirmé, que la décentralisation nous fera gagner tous les ans un point de croissance ? Et, plus encore, qui peut croire, comme il l'a également affirmé à plusieurs reprises, qu'elle fera baisser les impôts ? Sans doute, à ce que l'on entrevoit, cela sera-t-il vrai pour les impôts nationaux, mais, pour les impôts locaux, sûrement pas !

Le Premier ministre a fait de la décentralisation la grande affaire de son action gouvernementale. Il a érigé cette réforme administrative souhaitable en levier infaillible pour résoudre tous les maux de la société française. A chaque dysfonctionnement, il prévoit d'appliquer la potion magique décentralisatrice comme un doux remède qui remettra tout en ordre. C'est, pour lui, une sorte de deus ex machina érigé en dogme.

L'ambition est donc grande, ou plutôt était grande. Chemin faisant, il s'est produit une perte en ligne : plus rien, ou presque, sur l'environnement ; plus rien surl'insertion, ni sur la sécurité civile, ni sur le développement rural ; plus rien non plus, ou peu de chose, sur la santé et rien sur le handicap, comme si, balloté par les événements - je pense à la canicule comme aux divergences entre les associations impliquées dans le handicap -, le Gouvernement avait choisi, par des lois spécifiques, soit d'anticiper, soit de différer. Mais, dès lors, que devient la cohérence ?

Finalement, ce texte manque d'une vraie ligne directrice, d'un souffle ; il est confus et produira des effets peu lisibles. Il est surtout gravement imprécis sur des sujets majeurs comme la fiscalité, ce qui le rend, malgré sa médiocrité, potentiellement dangereux.

Les objectifs assignés par le Premier ministre étaient clairs et louables : simplification, modernisation, honnêteté des transferts financiers. Aucun de ces objectifs n'est atteint.

La simplification ? Comment peut-on la proclamer lorsque plus de quarante conventions sont prévues qui interdiront finalement de savoir, pour parler simplement, qui fait quoi ? J'y reviendrai.

La modernisation ? Comment en parler alors que les groupements de communes sont quasiment absents - comme les communes, d'ailleurs -, alors que toute la France s'est, en cinq ans, couverte de structures intercommunales ?

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. C'est faux !

M. Jean-Claude Peyronnet. Les finances ? Comment avez-vous pu traiter des transferts de compétences avant de traiter des grands principes de la compensation - sans même évoquer la réforme fiscale, qui aurait pu être un préalable -, sans que l'on sache sur quelles bases sera assise cette compensation ? Je reviendrai également sur ce point.

En bref, nous retrouvons dans ce texte toutes les tares de la révision constitutionnelle de mars dernier. Nos inquiétudes d'alors sont confirmées par votre copied'aujourd'hui, monsieur le ministre.

Sur tous les points que je viens d'évoquer, vous êtes dans le flou. Vous apportez des solutions confuses ou, plus grave, vous vous défaussez de vos responsabilités d'Etat et du financement associé sur les collectivités locales. Ce n'est plus une décentralisation, c'est un délestage, pour reprendre le mot du président du Sénat. Je dirai moi-même qu'il s'agit presque d'un dégazage, qui produit des nappes funestes, mais aussi, et pendant des années, des boulettes que l'on n'avait pas repérées au départ ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Masseret. Très bien !

M. Jean-Claude Peyronnet. Je gage que les collectivités territoriales n'ont pas fini de mesurer, année après année, l'ampleur des conséquences fâcheuses de cette réforme que vous réussissez à déconsidérer.

Populaire il y a à peine un an, cette grande idée de la décentralisation est vécue désormais comme néfaste par manque de concertation ou de simple explication. Des citoyens défilent contre elle et les élus municipaux, en particulier, sont très inquiets. Ils ont raison de l'être, car vous avez oublié, quel que soit le discours d'habillage, les grands principes sur lesquels toute vraie décentralisation devrait s'appuyer.

Voilà pourquoi nous déposerons de nombreux amendements argumentés sur les quelques idées fondatrices auxquelles nous croyons. Je citerai, en particulier, une importante série d'amendements avant l'article 1er, formant un nouveau titre dont le libellé résume à lui seul les grands principes que nous souhaitons réhabiliter : « Dispositions tendant à assurer la transparence, le suivi, l'équité des transferts de compétence, à veiller à leur neutralité financière et à orienter leur compensation financière vers une plus grande égalité entre les territoires ». Nous associerons ce titre à la création d'un observatoire permanent de la décentralisation allant dans le même sens, mais beaucoup plus loin, malgré tout, que ce qu'a annoncé tout à l'heure M. Sarkozy.

C'est le plan financier qui préoccupe le plus les élus, et pas seulement les élus régionaux et départementaux, mais aussi les élus municipaux, qui savent bien que, si les finances des départements ou des régions sont exsangues, ils seront touchés par ricochet : leur inquiétude est légitime.

De ce point de vue, le transfert précipité du RMI-RMA est un cas d'école. Vous me direz que tel n'est pas le sujet. Oh que si ! Plus que les décisions des hommes, ce sont leurs oeuvres qui comptent et, de ce point de vue, que d'improvisation - ce qui est véniel -, mais aussi que d'arrière-pensées et quelle volonté de se débarrasser d'une charge pesante ! Il convient donc de décortiquer ce processus de décentralisation du RMI-RMA pour le comprendre et éviter, si possible, qu'il ne se généralise.

En apparence, le transfert est clair : l'Etat donne aux départements les sommes qu'il consacrait aux allocations de RMI en 2003. M. le ministre des affaires sociales m'a fait remarquer qu'on se situerait cette année à un niveau élevé, ce qui est vrai.

Certes, mais il y a des imprécisions : comment prend-on en compte les surcoûts de gestion ? Les caisses d'allocations familiales, qui, jusque-là, instruisaient gratuitement l'allocation d'Etat, feront-elles financer par les conseils généraux la gestion de l'allocation départementale ? Tout cela n'est que détail et peut s'arranger si l'on en prend le temps. Mais comment prend-on en charge l'évolution ?

M. Gérard Delfau. Eh oui !

M. Jean-Claude Peyronnet. Si le cas du RMI-RMA est tellement exemplaire, c'est qu'il est grossier. Vous avez modifié les règles concernant l'indemnisation du chômage - pour le PARE, le plan d'aide au retour à l'emploi, il y a un an, pour l'ASS, l'allocation de solidarité spécifique, il y a quelques semaines -, avant même que le transfert ne soit effectif et sans annoncer la moindre prise en compte du surcoût qui résultera d'un glissement de l'Etat aux départements, selon le principe des vases communicants.

M. Sarkozy a déclaré, pour la première fois, tout à l'heure, que ce surcoût serait pris en compte, mais on ne sait pas comment et, surtout, sur quelle durée. En fait, il est notoire que les passages de l'ASS au RMI, comme les sorties du PARE, commenceront dès le mois de janvier 2004, mais s'étaleront sur trois années au moins, alors qu'au mieux vous ne prendrez en compte - je le crains - que les modifications décelables dans les premiers mois. M. le ministre de l'intérieur a beau nous donner toutes assurances pour 2003, et je le crois volontiers, je serais étonné que l'on prenne en compte les évolutions jusqu'en 2006.

Il est absolument vital pour les collectivités territoriales, concernant tous les transferts, que vous trouviez le moyen de mettre en place une compensation pérenne qui prenne en compte l'évolution, prévisible ou non, et, dans ce cas-là, il faut le faire constater par un organisme indépendant.

Cette évolution peut résulter du mouvement naturel des choses, mais elle peut résulter aussi des conséquences de décisions de l'Etat français ou de l'Europe concernant les normes. Qui nous dit que, dans trois ou dans cinq ans, il ne faudra pas revêtir nos routes nationales d'un enduit antiglisse ou antigel ou antidérapant ou anti-je-ne-sais quoi et qu'il ne faudra pas installer des rails de sécurité sur toutes les courbes d'un certain degré ? S'il est légitime, et même très souhaitable, que l'Etat conserve ce pouvoir réglementaire, il est aussi indispensable que, sur la durée, il participe à l'effort financier qu'il impose aux autres.

Il faut vraiment nous éclairer sur ce point. Disant cela, d'ailleurs, je suis sûr d'être au diapason de la majorité du Sénat. N'est-ce pas la commission des lois, reprenant une proposition de loi déposée par notre président et d'autres personnalités éminentes de la majorité de notre assemblée, dont le Premier ministre, qui proposait d'inclure, à l'article 6 du projet de révision constitutionnelle, l'alinéa suivant, qui est très intéressant et que nous aurions pu reprendre sous forme d'amendement : « Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales et toute charge imposée aux collectivités territoriales par des décisions de l'Etat sont accompagnés du transfert concomittant de ressources garantissant la compensation intégrale et permanente de ces charges » ? On ne peut mieux dire : « toute charge imposée », « compensation intégrale et permanente » !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Chiche !

M. Jean-Claude Peyronnet. Au fond, je n'ai fait que gloser ! Pour le reste, mes collègues socialistes reviendront sur tout ce qui peut apparaître comme attentatoire au juste maintien des droits des collectivités ou à la simple justice.

Comment accepter que les calculs de compensation s'effectuent sur les trois derniers exercices avant transfert, c'est-à-dire 2002, 2003, 2004, années de gel, puis de suppression massive des crédits d'Etat ? Est-il concevable - n'est-ce pas un déni ? - d'imaginer que puissent être pris en compte, dans les transferts de personnels, les postes pourvus et non pas les postes existants, alors que jamais les choses ne se sont faites ainsi ?

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Mais si !

M. Jean-Claude Peyronnet. Vous le voyez, sur le plan financier, rien n'est assuré, tout est imprécision et improvisation, et je laisse mes camarades socialistes aborder la question de savoir quelle sera la fiscalité transférée et comment vous vous sortirez du piège de la « part déterminante » que vous vous êtes tendu tout seuls. A cet égard, toutes les explications sur l'Europe et la TIPP qui nous ont été fournies me laissent sceptique.

Tout cela est fort regrettable, car, s'il faut aller plus loin dans la décentralisation, on aurait pu le faire en s'appuyant effectivement, et non pas seulement en paroles, sur les pistes et les sages conclusions consensuelles du rapport Mauroy.

Cela suppose que l'idée de décentralisation ne soit pas une mode à suivre pour paraître moderne et réformateur et qu'elle respecte des principes dont certains - clarté, lisibilité, efficacité - sont de simple bon sens et de bonne gestion, et dont d'autres sont de grands principes républicains intangibles, comme ceux que j'ai cités.

Non, la décentralisation ne doit pas être un dogme, et le jeu n'est pas : « moins décentralisateur que moi, tu meurs ». On est conduit à décentraliser lorsqu'il semble ou qu'il est assuré que telle action, telle gestion, telle politique atteindra mieux ses buts si elle est mise en oeuvre au niveau local plutôt qu'au niveau national. Cette démarche exclut la précipitation et devrait signifier étude d'impact au cas par cas, estimation de la faisabilité technique et financière en amont et évaluation des résultats en aval.

Vous voulez confier les routes nationales aux départements ? Pourquoi pas, si les conditions financières sont honnêtes ! Vous voulez confier l'ensemble de la formation professionnelle aux régions ? D'accord ! Mais, je vous en supplie, n'allez pas penser que tout est transférable. Or votre dogme vous incite à transférer tout ce qu'il est possible de transférer et, ensuite, à mesurer en creux les compétences résiduelles de l'Etat qui seront alors seulement définies comme régaliennes. Telle n'est pas notre conception, et nous l'avons dit au cours des débats précédents.

Mais le dogme s'exerce aussi à travers le régionalisme outrancier du Premier ministre.

Je crois à l'avenir des régions et il est bon qu'elles aient été reconnues par la Constitution. Pour autant, faut-il les glisser partout, les plaquer partout, au risque de tomber sous le coup de l'accusation d'établir la tutelle d'une collectivité sur une autre ? Certes, je ne me risquerai pas à ce jeu stérile qui consiste à déterminer quelle est la collectivité gagnante de la décentralisation. Pourtant, les journalistes, et un grand quotidien du matin encore aujourd'hui, s'en délectent et leurs idées reçues montrent qu'ils n'ont pas bien lu les textes.

Ce dont je suis sûr, c'est que la presse n'a pas mesuré le dogmatisme régionaliste qui anime le Premier ministre. Celui-ci est allé prendre une leçon de fédéralisme en Allemagne, il y a quelques mois. Il recevait aujourd'hui les représentants des Länder allemands pour établir « une coopération décentralisée réservée ». Derrière ce vocable, je ne peux m'empêcher de voir le rêve du Premier ministre d'une Europe fédérée en régions et non pas en nations.

En attendant, on fait ce qu'on peut et, subrepticement, on multiplie dans ce texte les plans et schémas qui le complexifient et susciteront le conflit. Pourquoi diable faut-il que les investissements départementaux sur les routes nationales transférées s'inscrivent forcément dans un schéma régional qui décide des investissements même lorsque la région ne participe pas au financement ? Si cela n'est pas une tutelle, cela y ressemble fortement ! Et à quoi cela peut-il bien servir ? A assurer la cohérence des itinéraires ? Faut-il rappeler que les routes ne s'arrêtent pas aux limites régionales et que, au demeurant, dans les années soixante-dix, les conseils généraux ont déjà accepté de prendre en charge des routes nationales ? Je précise que ce sont toutes les routes numérotées en 900 ou en 600. Et, que je sache, il n'y a pas de discontinuité profonde dans leur traitement selon les départements.

De la même façon, quels seront le sens, la portée et la valeur contraignante d'un schéma régional du tourisme tel qu'il est prévu au titre Ier ? Croyez-vous vraiment indispensable de faire entrer à toute force l'arrière-pays niçois et la Camargue dans le même schéma ?

Et je passe sur le renforcement des préfets de région, qui vont bénéficier d'une tutelle effective sur les préfets de département. Je ne critique pas forcément, je constate.

Bref, dans ce domaine comme dans d'autres, le dogmatisme est mauvais conseiller et le seul principe d'administration qui peut guider dans les choix d'une collectivité plutôt que d'une autre doit être la lisibilité et l'efficacité par le rapprochement des centres de décision du citoyen, ce qui signifie une meilleure évaluation des besoins et une réponse plus rapide aux besoins identifiés.

Et c'est précisément au nom de cette efficacité, mais sans dogmatisme, en ce qui nous concerne, que nous devons sereinement évaluer le résultat de certaines politiques publiques, sans nous interdire de revenir sur des conceptions décentralisées qui s'avéreraient inefficaces. Vous le faites pour la politique de prévention, et vous avez raison, dans le projet de loi sur la santé publique. Je vous proposerai de le faire dans deux autres domaines majeurs : il s'agit de la protection civile, dont il faut faire un grand service national, car le copilotage entre le préfet et les élus devient insupportable sur le plan financier, sur le plan de l'efficacité aussi, voire sur celui de la sécurité juridique des élus ; et je vous proposerai la même démarche pour la partie « hébergement » de l'aide aux personnes âgées dépendantes.

Dans ce dernier domaine, les conseils généraux n'ont que faire d'être des organismes payeurs exerçant la tutelle sur les établissements, et ils le font bien, d'ailleurs. Ce qui est intéressant, c'est d'organiser l'action de terrain et, en l'occurrence, la coordination gérontologique. Il faut donc qu'ils gardent cette action de proximité et de maintien à domicile, et que l'ensemble des questions de tutelle et de financement des établissements soit confié à la sécurité sociale. C'est d'autant plus justifié que les établissements en question sont de plus en plus sanitaires.

Pas de dogme, donc, mais le respect de principes. Je vais aller très vite, parce que mes amis socialistes y reviendront largement, définissant ainsi les grandes lignes d'une décentralisation véritablement républicaine et démocratique.

Certains de ces principes sont, je le répète, de simple bonne gestion. Il en est ainsi de la lisibilité et de la simplification. Avez-vous réussi dans ce domaine ? Non ! Si vous persistez dans cet échafaudage, on verra encore moins qui fait quoi ; on saura encore moins qui paie quoi.

Les conventionnements en cascade obscurcissent la lisibilité de l'ensemble. L'article 101 est, de ce point de vue, typique. Il apparaît ainsi en fin de texte, comme si, tout à coup, vous vous étiez souvenu que l'intercommunalité existe. Et, dès lors, vous donnez la possibilité aux groupements de recevoir mission de faire « pour le compte » d'une autre collectivité. Est-ce une délégation ? Dans l'affirmative, pourquoi ne pas le dire ? Vous donnez cette possibilité à tous les groupements, ce qui, si cela se réalisait, pourrait conduire à un émiettement total de tous les schémas régionaux ou départementaux. Il aurait mieux valu limiter cette possibilité aux seules communautés d'agglomération et aux communautés urbaines, en les légitimant à agir pour le compte d'assemblées élues elles-mêmes au suffrage universel.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! C'est excellent !

M. Jean-Claude Peyronnet. Mais cela, vous ne l'avez pas voulu. On le sait depuis un an et, de ce fait, votre texte prend un terrible coup de vieux, car il passe à côté de la grande réforme du xxe siècle en la matière qui produira tous ses effets dans les décennies prochaines de notre xxie siècle.

Le grand principe constitutionnel d'égalité est bafoué à chaque ligne. L'expérimentation qui vous est chère est inégalitaire dans son principe même : elle a pour vocation d'établir la compétition entre les territoires. Pour le reste, rien ne nous indique ce que vous allez faire en termes de péréquation, laquelle reste une intention inscrite dans la constitution, certes, mais, pour l'instant, non opératoire. A quel niveau s'effectuera-t-elle, et qui l'assurera ? On n'en sait rien.

Et ce respect du principe d'égalité, qui pourrait l'assurer, sinon l'Etat ? Et comment pourrait-on le mettre en oeuvre si vous laissez les territoires agir en compétition après démantèlement des politiques nationales ?

Autres questions : y aura-t-il, après le transfert du logement social, une politique nationale du logement ? Y aura-t-il, après le transfert de la formation professionnelle, une politique nationale de la formation professionnelle...

M. Jean-Pierre Godefroy. Non !

M. Jean-Claude Peyronnet. ... ou une simple juxtaposition de politiques régionales, sans liens entre elles et en compétition ? Ce sont là des questions majeures posées dès la révision constitutionnelle et auxquelles nous n'avons pas plus de réponse aujourd'hui qu'hier.

Sur ce texte tant attendu, y compris par nous qui, après les lois Defferre et les quatre grandes lois du gouvernement Jospin, pensons qu'on peut faire plus et mieux encore, sur ce texte donc, les critiques, hélas ! sont vives. Elles viennent de tous bords, et les couloirs bruissent de chuchotements de révolte. J'espère qu'ils se traduiront en amendements, tout en sachant très bien que la galerie des bustes est longue à traverser et qu'il existe ainsi, entre la salle des conférences et la salle des séances, une distance beaucoup plus grande que la géographie des lieux ne le laisserait croire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an après le début des discussions ayant conduit à l'adoption de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, loi qui a introduit dans la Constitution le principe de l'organisation décentralisée de la République, nous abordons aujourd'hui les aspects pratiques de sa mise en oeuvre avec le projet de loi consacré aux transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales.

Très enraciné dans le monde des collectivités locales et partisan de longue date d'une France décentralisée, le groupe de l'Union centriste se réjouit que l'on aborde la « phase concrète de la réforme de la décentralisation », pour reprendre l'expression que vous avez vous-même utilisée, monsieur le ministre, en présentant le texte en conseil des ministres, le 1er octobre dernier.

Pour l'essentiel de ses dispositions, ce projet de loi tient compte des réalités auxquelles les élus locaux sont confrontés quotidiennement dans l'exercice de leurs fonctions. Nous approuvons donc la plupart des mesures qu'il contient. C'est d'ailleurs dans le même esprit de pragmatisme que celui ayant présidé à son élaboration que le groupe de l'Union centriste a examiné le projet de loi et déposé un certain nombre d'amendements.

Je sais que ce projet de loi a fait l'objet de plusieurs mois de concertation avec les associations représentatives des élus locaux - ce n'est pas le président de l'Association des maires de France qui me contredira -, mais vous me permettrez de dire, monsieur le ministre, que certaines préoccupations des élus de base n'ont peut-être pas toujours été suffisamment prises en compte dans le texte qui nous est soumis. (C'est vrai ! sur les travées du groupe socialiste.)

Sans revenir sur les grandes lignes du projet de loi que d'autres intervenants aborderont, je voudrais centrer mon propos sur trois points. Le premier concerne la déconcentration des services de l'Etat, le deuxième porte sur l'intercommunalité et le troisième aborde quelques interrogations relatives notamment aux finances des collectivités locales.

A l'occasion du débat sur le projet de loi constitutionnelle, il y a un an, je me réjouissais à cette tribune que soit inscrit dans la Constitution le principe selon lequel l'organisation de notre République est décentralisée. Je regrettais cependant qu'il n'y soit pas ajouté qu'elle est aussi déconcentrée. Force est de constater que le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui ne comble pas cette lacune. Or, si les élus locaux demandent plus de liberté et de compétences dans certains domaines - c'est la décentralisation -, ils souhaitent parallèlement avoir, au niveau territorial, des interlocuteurs représentant l'Etat qui, eux aussi, disposent des moyens et de la marge d'appréciation et de jugement nécessaires pour être de véritables partenaires et non de simples contrôleurs ou porte-voix de l'administration centrale. Ça, c'est la déconcentration !

Monsieur le ministre, le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat lui-même, votre collègue Henri Plagnol, déclarait, il y a quelques semaines, à Metz : « Il y a mille directives ministérielles par an, heureusement que les préfets ne les lisent pas. » Si, en effet, ils les lisaient, on pourrait craindre que les élus territoriaux ne se heurtent à des blocages continuels, tant l'idée d'indiquer depuis Paris aux préfets, dans leur région ou leur département, la manière dont ils doivent apprécier sur le terrain les actes des collectivités est antinomique avec l'idée même de décentralisation et de droit à l'initiative qu'elle sous-tend. Il faut que cesse cette vieille habitude, jamais remise en cause depuis vingt ans, il faut bien le dire, selon laquelle l'administration centrale se permet trop souvent de dicter leur conduite aux préfets et aux chefs des services extérieurs de l'Etat. Savez-vous, monsieur le ministre, que, pour l'organisation des assises des libertés locales, vos services sont allés jusqu'à imposer à certains préfets le nom du traiteur à réserver pour le buffet ?... Cela paraît incroyable, mais c'est vrai ! Je crois qu'il est temps d'abandonner cette suspicion et de faire confiance à l'échelon local.

Pendant que les bureaux des administrations centrales produisent des circulaires au kilomètre, les services extérieurs de l'Etat, sur le terrain, manquent cruellement de moyens et certains projets des collectivités locales tardent, pour cette raison, à aboutir. Est-il normal, par exemple, que, faute d'avoir les moyens d'instruire un dossier d'installation d'entreprise classée dans les délais fixés par la loi, certaines directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement en soient réduites à demander au pétitionnaire, quelques jours avant la fin du délai d'instruction, la production d'une pièce manquante, uniquement pour faire courir de nouveau ce délai ? Ne serait-il pas plus judicieux de transférer, dans les régions et les départements, une partie des moyens pléthoriques de certaines administrations centrales ?

M. Gérard Delfau. Bonne question !

M. Yves Détraigne. En rappelant ces vérités d'évidence, l'élu local que je suis, mais aussi sans doute, le haut fonctionnaire que j'ai été, rejoint totalement le président de l'association du corps préfectoral qui, il y a deux semaines dans la Gazette des communes - de nombreux sénateurs doivent la lire dans leur mairie -, indiquait que l'acte II de la décentralisation doit être « synonyme d'une réforme de l'Etat qui se traduira par un transfert accru des pouvoirs de l'administration centrale vers l'administration territoriale déconcentrée ». Il continuait en indiquant que « les élus revendiquent au niveau territorial un Etat fort et structuré, un interlocuteur à même de leur apporter des conseils, de l'aide et de s'engager sur des projets ». L'élu que je suis n'a rien à ajouter, si ce n'est qu'il n'a pas le sentiment que cette préoccupation ait été suffisamment prise en compte dans le projet qui nous est soumis !

M. Patrick Devedjian, ministré délégué. Ce n'est pas sa place !

M. Yves Détraigne. Venons-en maintenant au volet du projet de loi consacré à l'intercommunalité. En comblant certaines insuffisances de la loi Chevènement, en laissant plus de marges de manoeuvre pour conclure, par exemple, des conventions de prestation de services ou autoriser les fonds de concours entre intercommunalités et communes membres, ce volet du projet de loi va indéniablement dans le bon sens et contribue au développement des groupements de communes à fiscalité propre. Le débat que nous aurons sur ce volet du projet de loi devra nous permettre de le compléter pour tirer toutes les conséquences des transferts de compétences des communes aux intercommunalités et réduire les incohérences auxquelles nous nous heurtons encore, parfois, dans la réalité.

C'est dans cet esprit que je vous proposerai, avec le groupe de l'Union centriste, un certain nombre d'amendements dont l'un vise, par exemple, à transférer du maire au président du groupement de communes la responsabilité d'inscrire les enfants à l'école, lorsque la compétence scolaire relève du groupement et non plus de la commune. De même, je défendrai un amendement tendant à permettre l'harmonisation des bases de fiscalité locale entre l'ensemble des communes membres d'un même groupement, afin d'éviter que les décisions d'ordre fiscal prises par les intercommunalités ne pèsent différemment sur les contribuables selon leur commune de résidence. Je vous proposerai aussi de régler le problème auquel sont confrontés les établissements publics de coopération intercommunale dans la gestion de leurs personnels lorsque certains de leurs agents bénéficient du treizième mois parce qu'ils sont issus de communes l'ayant instauré avant 1984 et que d'autres ne le perçoivent pas, bien qu'effectuant exactement le même travail.

Monsieur le ministre, comme le Premier ministre l'a rappelé cet après-midi, vous vous êtes déclaré ouvert aux amendements sur ce texte et je ne doute donc pas que ces propositions de bon sens seront entendues...

Je souhaiterais maintenant dire quelques mots sur la consultation d'initiative locale prévue dans le projet de loi et sur les moyens financiers des collectivités territoriales, à propos desquels ce texte nous laisse encore sur notre faim. Il est vrai qu'un projet de loi organique viendra bientôt en discussion.

Au moment du débat sur la loi du 1er août 2003 relative au référendum local, la Haute Assemblée a eu l'occasion de faire part de ses réticences quant aux risques de voir la démocratie participative prendre le pas sur la démocratie représentative, qui est la seule à détenir la légitimité issue du suffrage universel.

Je crains, pour ma part, qu'avec le référendum consultatif d'initiative locale - appelons-le ainsi - qui est prévu à l'article 90 du projet de loi, on n'ouvre la porte à une remise en cause du suffrage universel. En effet, quand on songe que plus de 50 % des communes de notre pays ont moins de cinq cents habitants, on mesure vite avec quelle facilité le moindre individu qui aura un compte à régler avec son maire pourra réunir les signatures nécessaires à l'organisation d'un référendum destiné à contrarier l'action de la municipalité et à entretenir la polémique. Souvenez-vous des exemples de détournement de procédures que j'avais dénoncés à cette tribune, le 4 juin dernier, à propos des consultations sur les affaires communales instaurées par la loi du 6 février 1992 ! Veut-on vraiment que cela s'amplifie ? Si tel n'est pas le cas, la sagesse me paraît être tout simplement de supprimer cette disposition, que je n'ai d'ailleurs jamais entendu réclamer par qui que ce soit de représentatif. Mais peut-être n'ai-je pas les oreilles assez ouvertes !

Un dernier mot, enfin, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour évoquer les ressources financières qui seront attribuées aux collectivités territoriales afin qu'elles soient en mesure de faire face aux compétences qui leur seront transférées, ressources sur lesquelles le projet de loi dit peu de chose aujourd'hui. Tout le monde exprime le voeu que les collectivités bénéficient de ressources dont les bases soient évolutives et sur lesquelles elles aient une certaine autonomie de décision. On parle d'ailleurs à ce sujet de transférer aux régions et aux départements une part de la TIPP. Au risque de passer pour un ancien combattant, malgré son âge, l'ancien président de la commission des finances du conseil général de la Marne que je suis ne peut s'empêcher de dire publiquement que la suppression, en 1998, de la vignette automobile a été une erreur.

MM. Claude Domeizel et Jean-Claude Peyronnet. Pour la Marne !

M. Yves Détraigne. Non seulement la suppression de cet impôt local, qui pouvait être adapté si nécessaire, allait à l'encontre de l'idée même de décentralisation et d'autonomie fiscale des collectivités territoriales,...

MM. Gérard Longuet et Josselin de Rohan. Très bien !

M. Yves Détraigne. ... mais la vignette automobile était le type même de l'impôt évolutif et localisable que l'on recherche actuellement.

M. Gérard Longuet. Et équitable !

M. Josselin de Rohan. Eh oui !

M. Louis de Broissia. Un impôt social !

M. Yves Détraigne. Qui plus est, avec la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie, cet impôt aurait enfin pu être utilisé majoritairement au profit des personnes âgées à qui il était initialement destiné. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Josselin de Rohan. Il a raison !

M. Yves Détraigne. En disant cela, je ne me livre pas à un combat d'arrière-garde ; le combat est terminé, je le sais bien.

Mme Nicole Borvo. Ah !

M. Yves Détraigne. Je veux simplement inviter le Gouvernement et notre assemblée à se méfier des « fausses bonnes idées » auxquelles on adhère parfois un peu vite et à faire preuve, dans ce domaine, de beaucoup de pragmatisme...

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste soutient ce projet de loi, qui va dans le sens d'une clarification de la répartition des compétences entre l'Etat et les différentes collectivités territoriales. En complément de l'excellent travail réalisé par MM. les rapporteurs, et notamment par notre collègue M. Jean-Pierre Schosteck, il proposera un certain nombre d'amendements. Nous espérons que ces derniers seront examinés sans a priori sur toutes les travées, car ils sont empreints de réalisme et de pragmatisme, à l'image de ce qu'attendent de nous les élus locaux. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Josselin de Rohan. Le projet de loi dont nous débattons constitue un prolongement de la décentralisation engagée par les lois Defferre de 1982 et 1983. C'est pourquoi on peut à bon droit le qualifier de « deuxième acte ». Il consacre une évolution, mais n'opère pas une révolution. Ceux qui attendaient un bouleversement ou une refonte totale de notre administration territoriale seront déçus : la région, le département, l'intercommunalité sont désormais profondément ancrés dans notre paysage institutionnel. Aucun de ces niveaux administratifs n'est supprimé ; ils sont tous, au contraire, confortés par une clarification ou un renforcement de leurs compétences.

A l'opposé, ceux qui redoutaient une dérive vers le fédéralisme ou un affaiblissement de l'Etat, prélude à une rupture de l'unité nationale, n'ont guère lieu d'être inquiets. Non seulement les prérogatives régaliennes de l'Etat demeurent intactes, mais ce dernier conserve la maîtrise totale ou quasi totale de la politique de l'emploi, de l'éducation, de la santé, du sport ou du logement.

La décentralisation à la française est encore très éloignée des autonomies espagnoles ou italiennes et de la dévolution de type écossais ; elle n'en représente pas moins une avancée certaine dans un pays profondément marqué, depuis des siècles, par une volonté centralisatrice affirmée par tous les régimes.

Sans la décision majeure du gouvernement de Pierre Mauroy d'imposer une réforme fondamentale de l'administration de nos territoires, la loi que nous discutons aujourd'hui n'aurait pu voir le jour. Reconnaissons aux auteurs de cette réforme le mérite de l'avoir conçue et fait appliquer en dépit des réticences, des pesanteurs ou des résistances.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est un peu tard !

M. Claude Domeizel. Vous étiez contre !

M. Josselin de Rohan. Il n'est jamais trop tard pour bien faire ! (Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste.)

A l'usage, on a pu observer que les compétences dévolues à chacune des collectivités nécessitaient d'être mieux définies pour éviter des conflits ou d'inutiles doubles emplois. Il était, à la longue, devenu difficile de savoir qui faisait quoi, chaque collectivité ayant à coeur d'intervenir dans de nombreux domaines sans toujours s'interroger sur la pertinence de cette intervention, son coût ou son efficacité.

Une certaine recentralisation s'est manifestée par le biais de la perte d'autonomie fiscale des régions et des départements, ou l'imposition de politiques nationales dont les collectivités lcoales devaient supporter le coût. Mais régions, départements et communes ont démontré qu'ils avaient su gérer avec efficacité, capacité et sagesse les domaines de compétence qui leur avaient été attribués par la loi. Ils étaient mûrs pour assumer de nouvelles tâches et désireux de les mener à bien.

En posant en principe que la République consacre une gestion décentralisée, reconnaît le droit à l'expérimentation, garantit l'autonomie fiscale des collectivités et compense les transferts de charges, la Constitution apporte des protections et des garanties solides à l'évolution à laquelle nous assistons.

Pourtant, les institutions ne valent que par la manière dont elles sont vécues et les lois les plus éminentes que par la façon dont elles sont appliquées.

Pour que la décentralisation réussisse, elle doit remplir quatre conditions : les compétences transférées par l'Etat doivent l'être sans restriction ni retour, la loi doit éviter les conflits d'attribution, les collectivités locales doivent disposer des moyens en personnels et des ressources financières pour faire face à leurs obligations nouvelles, l'Etat décentralisé doit s'accompagner d'un Etat déconcentré.

Donner et retenir ne vaut. Nous devons nous prévaloir contre la tentation, pour l'Etat, de maintenir, dans les départements ou les régions auxquels ont été transférées des compétences particulières, une administration ou des agences qui exerceraient une activité parallèle ou identique à celle des administrations locales.

De la même façon, les administrations mises à disposition d'une collectivité pour exercer les attributions qui lui sont conférées par la loi doivent relever de cette collectivité et d'elle seule. L'agrément et le classement par les régions des équipements et organismes de tourisme qui font appel à au moins trois services de l'Etat en sont une bonne illustration.

L'expérimentation par les collectivités d'une compétence nouvelle sera un test de la bonne volonté de l'Etat : sous réserve que la collectivité expérimentatrice respecte scrupuleusement les lois et règlements qui régissent la compétence expérimentée, les administrations de l'Etat devront s'employer à permettre l'expérience et non à la freiner. L'enjeu n'est pas un conflit de pouvoir ; il est de vérifier que, dans un secteur donné, la subsidiarité apporte un progrès et un gage d'administration efficace.

Enfin, par l'usage de son pouvoir prescriptif et normatif, l'Etat doit collaborer avec les communes, les départements et les régions pour leur permettre d'assurer leurs nouvelles responsabilités en tenant compte de leurs ressources financières.

Associer les régions aux financements d'équipements sanitaires sans qu'elles puissent se prononcer sur l'opportunité, la localisation et les modalités de réalisation de ces équipements serait difficilement acceptable. Leur confier la responsabilité de financer les formations sociales et paramédicales ou l'aide à la formation sanitaire et sociale des étudiants sans qu'elles puissent se prononcer sur les effectifs des personnes en formation, l'implantation des établissements ou leur mode de fonctionnement risquerait, à terme, de conduire à des malentendus ou à des conflits. Imposer aux propriétaires d'aérodrome - toutes les collectivités peuvent le devenir - de lourds investissements de sécurité sans possibilité de répercuter le coût sur l'usager relève de la même problématique.

Transférer des compétences n'est pas seulement transférer des dépenses, c'est aussi partager le droit à la décision.

L'un des mérites, et non des moindres, du projet de loi est la volonté d'opérer une clarification des compétences des divers niveaux d'administration territoriale, en recherchant une certaine spécialisation et en s'efforçant d'éviter les conflits d'attribution.

L'affirmation de la vocation économique des régions et de leur rôle fédérateur dans ce domaine, la responsabilité qui leur est conférée dans celui de la formation, la répartition opérée pour les infrastructures et les transports entre régions, départements et communes conduiront à plus de clarté et d'efficacité dans la gestion.

Dans certains cas, la frontière entre les attributions respectives des uns et des autres ne semble pas toujours évidente. La répartition entre les compétences du département et des communes ou de leurs groupements dans le domaine du logement mérite d'être explicitée.

Le rôle de chef de file de la région en matière d'action économique reposera autant sur le consensus que sur les textes : la coopération harmonieuse et les conventions entre tous les acteurs sont une condition essentielle du développement économique des régions. Les régimes d'aides doivent être complémentaires et non antagonistes, lisibles et cohérents avec une volonté partagée. Les entreprises et les territoires seraient les premières victimes d'une confusion ou d'une mésentente qui pénaliserait, pour les uns, leur créativité et leur expansion et, pour les autres, leur attractivité. Tant le législateur que les pouvoirs publics doivent veiller à ce que, dès la mise en place du dispositif, aucun dérapage ne survienne et que les éventuels différends fassent l'objet d'arbitrages clairs et fermes de la part de l'Etat.

Des synergies doivent être recherchées et favorisées dans la gestion des infrastructures, en particulier portuaires. Pour les ports ayant des activités complexes relevant de trois catégories de collectivités différentes, des syndicats mixtes de gestion seront indispensables pour éviter que l'éclatement des responsabilités ne nuise à leur image et à la qualité de leur gestion.

L'une des craintes majeures soulevées par les lois de décentralisation tient à l'incapacité des collectivités locales d'assumer de nouvelles charges sans ressources financières nouvelles ou sans nouveaux moyens en personnels.

Ces craintes n'étaient nullement infondées à la lumière des expériences récentes : les régions, pour ne parler que d'elles, ont vu leur taux d'autonomie fiscale passer de 60 % en 1998 à 35,5 % en 2002, du fait de la suppression de la taxe additionnelle aux droits de mutation, de la part patronale de la taxe professionnelle, de la part régionale de la taxe d'habitation. Les compensations accordées par l'Etat n'ont guère été équitables et, dans le domaine du transport ferroviaire, elles sont très loin de permettre le financement des nouvelles charges.

Pour cette raison, nous ne pouvons que nous réjouir des garanties que nous apporte la Constitution, grâce aux dispositions de son article 72-2. Comme l'a souligné M. le rapporteur Jean-Pierre Schosteck, le contrôle effectué par le Conseil constitutionnel de l'adéquation des ressources aux charges transférées sera une garantie majeure.

L'affectation du produit d'un impôt dynamique et modulable, assis sur une base économique fiable, répond à une demande très ancienne des collectivités locales.

Enfin, la synchronisation entre le transfert effectif des compétences et l'affectation des moyens dégagés par la loi de finances pour permettre aux départements et aux régions de faire face à leurs obligations nouvelles est une innovation heureuse, qu'il convient de saluer.

Dans son excellent rapport, notre collègue Jean-Pierre Schosteck relève que, bien souvent, les compétences transférées étaient exercées par l'Etat de manière insuffisante et que, pour assurer un meilleur service à la population, les collectivités locales devront réaliser des gains de productivité. Il faudra faire de nécessité vertu. L'un des avantages de la réforme, pour les administrés, devrait être de rendre plus responsables et meilleurs ménagers des deniers publics des élus qu'une gestion imprudente exposera d'autant plus facilement à la censure qu'ils seront contrôlés de plus près. Il sera sans doute moins facile d'imputer à l'Etat une hausse de la fiscalité ou des emprunts, dans la mesure où s'accroît le domaine sur lequel on a prise.

Il est enfin un point sur lequel l'honnêteté de l'Etat ne doit pas être mise en doute, à savoir les conditions dans lesquelles s'opéreront les transferts de personnels : 130 000 agents vont changer d'affectation ; il importe de veiller à ce que les services dévolus aux collectivités locales ne soient pas dépouillés de leurs personnels avant leur transfert. La référence à l'année 2002 pour la prise en compte des effectifs nous paraît constituer une assurance sérieuse en matière de rigueur. Nous vous savons gré, monsieur le ministre, de votre action pour que nous puissions l'obtenir.

De la même manière, il faut se féliciter de ce que la compensation des charges de fonctionnement transférées par la loi soit égale à la moyenne des dépenses actualisées constatées sur la période de trois ans précédant le transfert de compétences, et non plus au montant des dépenses de l'Etat constatées l'année précédant ce transfert, ce qui était la règle autrefois. C'est là encore une innovation dont il faut se réjouir.

La déconcentration nous apparaît, enfin, comme le corollaire de la décentralisation. Le rôle de coordination du préfet de région a été utilement rappelé et mis en valeur par la loi. Ce haut fonctionnaire doit être, beaucoup plus qu'un primus inter pares, un véritable chef de file mettant en oeuvre dans la région les politiques de l'Etat et veillant à la cohésion entre ces politiques et celles des collectivités décentralisées.

On a déploré, à juste titre, dans un domaine aussi essentiel que celui de la politique de l'eau, la dispersion des responsabilités, dans un même bassin versant, entre plusieurs préfets exerçant une tutelle plus ou moins étroite sur quatre administrations censées s'occuper de la même activité. Pour toute action publique s'étendant à plusieurs départements, l'interlocuteur doit être le préfet de région.

De la même façon, préfets de région, préfets de département et recteurs doivent disposer de délégations suffisamment importantes pour être à même de répondre aux attentes des administrés dans les départements et les régions. A cet égard, il est difficilement compréhensible qu'un agent comptable, pour être muté dans un lycée distant de quarante kilomètres de celui où il exerce, doive obtenir l'aval d'un bureau parisien, sans parler de la bénédiction syndicale qui doit être accordée à cet échelon ! (Murmures sur les travées du groupe CRC.)

C'est la vérité, mes chers collègues ! Vous pouvez le vérifier !

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Evidemment que c'est vrai !

M. Josselin de Rohan. Faut-il, en matière d'environnement, qu'une circulaire ministérielle ou des arrêtés interministériels non seulement établissent des objectifs très précis et contraignants d'élimination des pollutions d'origine animale dans les zones en situation d'excédent structurel - ce qui se conçoit -, mais encore déterminent dans les moindres détails les modalités d'exécution, sans laisser aux agents locaux de l'Etat de marges d'interprétation et d'action ?

L'un des principaux reproches faits à la décentralisation telle qu'on nous la propose est qu'elle accentuera les inégalités.

Force est de constater que si la centralisation a le plus souvent favorisé l'uniformité, elle a peu favorisé l'égalité ! Malgré d'incontestables succès, la politique d'aménagement du territoire menée depuis près de quarante ans n'a pu réduire de manière significative les écarts existant entre les régions ou les départements les plus riches et les collectivités les plus pauvres.

La péréquation, telle qu'elle est définie à l'article 72-2 de la Constitution, doit favoriser l'égalité entre les collectivités locales. Comme le note très justement le rapporteur du groupe de travail sur la péréquation, notrecollègue Claude Belot, « la correction des inégalités doit tendre à ce que les citoyens soient égaux devant les charges publiques, le même niveau de service devant être assuré sur l'ensemble du territoire national avec un niveau de pression fiscale identique », et, parce que les collectivités locales doivent être libres de mener les politiques de leur choix, « la recherche de l'égalité ne signifie pas que les départements - on pourrait aussi dire les régions - doivent engager la même politique ni fixer le même niveau global d'impôts, mais ces différences doivent rester discrétionnaires, être laissées au choix des conseils généraux ou de leurs électeurs ».

Il faut laisser la place à l'initiative, à la création et au dynamisme des collectivités locales. Les régions à potentiel fiscal faible ont consacré, dans le domaine de la formation, plus de dépenses par élève que bien des régions à fort potentiel fiscal.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Oui !

M. Josselin de Rohan. A ressources égales, certains se montreront toujours plus ingénieux et imaginatifs que d'autres. « La variété, disait Benjamin Constant, c'est de l'organisation ; l'uniformité, c'est du mécanisme. La variété, c'est la vie. L'uniformité, c'est la mort. »

La décentralisation est une construction continue ; le présent projet de loi ne vise pas à en faire un monument achevé. La loi sur la santé publique, la loi sur l'eau ouvriront aux collectivités d'autres perspectives d'action et les feront accéder à de nouvelles responsabilités. La décentralisation se construira au quotidien. Elle réussira si les citoyens se sentent proches des collectivités décentralisées, s'ils perçoivent que leurs problèmes et leurs attentes sont mieux pris en compte que par le passé et s'ils trouvent sur place une solution plus rapide. Ils doivent avoir le sentiment qu'ils peuvent mieux orienter le cours des affaires, avoir plus de part dans la décision et mieux faire entendre leur voix.

La démonstration la plus évidente des vertus de la décentralisation et, en définitive, de sa réussite, tiendra, à l'avenir, au fait que les élections régionales ou cantonales se joueront sur des critères locaux et non plus nationaux. Il s'agira non pas de sanctionner le Gouvernement en place à l'occasion d'une consultation à l'échelle nationale (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste), mais de se prononcer sur le bilan de mandature de l'exécutif régional ou départemental.

C'est en rapprochant toujours davantage le pouvoir du citoyen que l'on évitera que les Français ne se désintéressent de la vie publique et que l'on pourra peut-être développer une vertu comme le civisme, pour l'instant assez peu ancrée dans nos moeurs.

Parce qu'il a la conviction que le projet de loi dont nous débattons est juste, équilibré à plus d'un égard, audacieux mais en aucun cas aventureux, le groupe de l'UMP le votera, avec le souci constant d'assurer le succès du dispositif présenté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Très beaudiscours !

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon.

Mme Josiane Mathon. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, voilà tout juste un an, lors du débat sur le projet de loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, nous disions que, avec ce texte, nous allions non pas vers une décentralisation moderne et rénovée, mais vers une forme concurrentielle de multifédéralisme. Le Gouvernement n'a pourtant eu de cesse de faire voter son projet de loi dans la précipitation, refusant d'organiser le référendum promis par le Président Chirac.

Le texte dont nous entamons aujourd'hui la discussion confirme, hélas ! combien nous avions raison. Ce n'est pas une décentralisation que vous nous proposez, monsieur le ministre délégué, c'est un éclatement des services publics, une remise en cause de l'égalité des citoyens et des solidarités. Je relève d'ailleurs avec intérêt que la dénomination du projet de loi a évolué et fait référence non plus à la « décentralisation », mais aux « responsabilités locales ».

Toutefois, l'exercice de ces « responsabilités locales » fait naître des craintes parmi les élus locaux de toutes sensibilités : ils redoutent, fort légitimement, de ne pouvoir faire face aux transferts de compétences, d'autant qu'aucune réforme de la fiscalité n'est seulement envisagée. Vous ne les rassurez pas, monsieur le ministre délégué, lorsque, répondant à un journaliste du quotidien Le Parisien qui vous demande ce qui se passera si Bruxelles refuse le transfert d'une part du produit de la TIPP, vous lancez : « Alors on verra ! »

Quant aux salariés, aux citoyens, ils furent extrêmement nombreux à exprimer leur désaccord avec votre projet, en manifestant, en faisant grève ou en apportant leur soutien à ces actions.

Ils ont raison, les enseignants, l'ensemble des membres de la communauté éducative, de refuser le transfert des 90 000 TOS, première phase du démantèlement de l'éducation nationale, de redouter une mise en concurrence des collèges et des lycées, d'autant que la réforme de l'université et les menaces de suppression à terme de l'école maternelle vont dans le même sens : tout l'édifice subira le séisme, mais d'une vraie réforme de l'école, il n'en est point question !

Ils ont raison, les personnels de l'équipement, d'avoir de nouveau manifesté dans l'unité, le 9 octobre dernier, leur opposition à tout transfert de compétences et de personnels dans leurs secteurs d'activité. Ce faisant, ils défendent un statut déjà mis à mal par les diminutions successives du nombre des postes ; ils défendent l'unité du service public, sa cohérence, sa gratuité ; ils agissent contre l'abandon ou la privatisation de l'exercice de leurs missions.

On peut par exemple s'attendre, dans les départements qui ne pourront pas financer l'exploitation, l'entretien et la rénovation du réseau national, soit à un ralentissement de la réalisation des programmes routiers, soit à la multiplication des péages, autorisée par le projet de loi. Cette conception de l'utilisateur-payeur marque un choix de société qui n'est pas le nôtre.

Ils ont eu raison, les électeurs corses qui ont dit « non » à l'occasion du référendum organisé cet été. En choisissant la démocratie dans le cadre d'une République moderne, en refusant un modèle fondé sur le libéralisme et le séparatisme, ils ont infligé un échec cinglant au Gouvernement.

Ces inquiétudes et ces oppositions ont conduit le Gouvernement à quelques reculs et à un peu moins de précipitation dans la mise en oeuvre de ses projets. Il n'en reste pas moins qu'il persiste à appliquer des dispositions dont les conséquences sont difficiles à mesurer mais qui seront, à n'en pas douter, désastreuses pour nos concitoyens et pour le développement de notre pays.

Ce que contient ce texte, c'est un ensemble de dispositions qui visent à structurer une société marchande entièrement guidée par les principes ultralibéraux chers au MEDEF, une société où la santé, l'éducation, la culture - autant de marchés potentiels extrêmement « juteux » - sont des produits que l'on vend et que l'on achète, conformément aux directives de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, et de l'AGCS, l'accord général sur le commerce des services, dont, je le rappelle, les règles s'imposent à tous les échelons de la société, et donc aux collectivités territoriales.

C'est d'ailleurs cette même orientation qui prévaut dans le projet de constitution européenne : n'y est-il pas fait mention, dès l'article 3, d'« un marché unique où la concurrence est libre et non faussée » ? Mais notre rôle à nous-mêmes, les politiques, ne serait-il pas de fausser les règles du jeu de la finance ?

Le projet de loi qui nous est soumis a pour objet de répondre aux normes du pacte de stabilité, en diminuant de manière drastique les dépenses publiques, l'Etat se défaussant sur les collectivités locales. La hausse moyenne des impôts départementaux, qui est de 4 % cette année, témoigne pourtant des risques d'une telle politique.

Conformément aux injonctions libérales européennes, ce texte vise à organiser un paysage institutionnel favorisant la région, tandis que les départements ne résisteront pas à la montée des charges auxquelles ils devront faire face et sur lesquelles ils ne pourront guère peser. Il en sera ainsi pour le transfert du RMI, sans doute effectif dès le 1er janvier prochain, et ce dans une totale impréparation, source de contradictions et de blocages, alors que les nouvelles dispositions relatives à l'ASS vont encore accentuer l'exclusion des demandeurs d'emploi et, à terme, leur rejet vers les dispositifs décentralisés. Ce sont les départements dont les populations sont les plus en difficulté qui devront supporter le coût le plus élevé, un coût qui sera d'autant plus lourd pour les familles que les collectivités se verront privées de toute marge de manoeuvre et de tout moyen de développement.

Quant aux communes, elles sont pratiquement ignorées par le texte, au profit de leurs regroupements. Les possibilités de fusion d'EPCI, jointes à de nouveaux transferts de compétences en faveur de ces derniers, vont faire naître des ensembles d'une taille et d'une puissance telles que c'est l'existence même des communes qui est menacée. Pourtant, nos concitoyennes et nos concitoyens sont extrêmement attachés à l'échelon local, celui qu'ils connaissent le mieux, celui de la plus petite des entités territoriales, à savoir la commune.

A nos yeux, il ne peut y avoir de décentralisation qui ne soit porteuse de nouveaux droits pour les collectivités et les habitants, qui ne soit porteuse de nouvelles ambitions pour le service public, qui ne soit réellement démocratique, assortie de moyens financiers à la hauteur des besoins des populations.

Ce texte, au contraire, tend à remettre en question des missions essentielles de l'Etat qui concernent l'égal accès des citoyens aux droits les plus fondamentaux ; son application va faire éclater, comme je le disais, toutes les solidarités qui fondent notre société. Le service public est présenté comme archaïque et, avec la notion nouvelle de service universel, appellation d'ailleurs trompeuse, le projet de loi vise à la mise en place sournoise d'une sorte de service public minimal.

Il y a sur ce point une grande cohérence entre ce projet de loi et toutes les dispositions que le Gouvernement met en oeuvre, avec l'appui de la majorité parlementaire. C'est une politique de plus en plus libérale, de plus en plus inhumaine - mais l'humain compte-t-il quand il est question de profits ? - qu'il développe ainsi : multiplication des licenciements et des plans de restructuration dans le public et dans le privé, privatisations, comme celle de France Télécom, décidée ici même la semaine dernière, régression sociale, s'agissant par exemple des retraites, de la protection sociale, de la santé, de la culture - je pense, à cet instant, aux intermittents du spectacle...

Le Gouvernement amoindrit l'offre de services publics en réduisant de moitié le nombre des succursales de la Banque de France, en supprimant 11 000 bureaux de poste sur 17 000 et en les remplaçant par des « points de contact », en partie à la charge des collectivités territoriales. A cela continuent de s'ajouter les fermetures de classes et d'hôpitaux, la restructuration des trésoreries, etc.

Ce sont des pans entiers du service public et de la responsabilité publique qui sont menacés de disparition par le projet de loi relatif aux responsabilités locales. J'ai évoqué l'éducation et les routes nationales, mais je pourrais aussi parler du logement. Alors que notre pays vit l'une des crises les plus graves qu'il ait connues en la matière, les aides de l'Etat sont en diminution constante, et cela va s'accentuer : pour un département comme le Val-de-Marne, le coût supplémentaire lié aux aides à la pierre résultant de l'application du projet de loi sera de 30 à 35 millions d'euros par an. Comment, dans ces conditions, assurer l'exercice de ce qui est, comme viennent de le rappeler vingt-sept associations réunies dans une plate-forme commune, un droit fondamental ?

Pourtant, les conséquences dramatiques de la canicule ont montré quelles étaient les limites à ne pas franchir dans le désengagement de l'Etat, dans l'affaiblissement de ses missions. De même, les terres incendiées de l'été ont mis en évidence la nécessité, pour notre pays, de disposer d'une capacité d'intervention que seul l'Etat peut mettre en place. Et personne n'a oublié la tempête de 1999...

C'est cette capacité d'intervention de l'Etat qui pourrait garantir que ne s'accroîtront pas encore davantage les inégalités entre les territoires et que l'on n'ira pas vers une régionalisation libérale. C'est pourquoi la logique du texte et des financements ne feront qu'accentuer les déséquilibres, et le remède ne peut consister en une simple solidarité entre les régions dites « riches » et celles dites « pauvres ».

En effet, si l'Ile-de-France, pour ne prendre que cet exemple, crée près d'un tiers de la richesse produite en France, il y subsiste des pôles de très grande pauvreté, avec des besoins énormes sur le plan social, en matière d'équipements et de développement des services publics, auxquels il faudra bien continuer de répondre.

Il est urgent de débattre de la question des moyens financiers et, parallèlement, de la réforme de la fiscalité ; il est urgent de rechercher de nouvelles pistes de financement, liées par exemple aux revenus financiers des entreprises.

Parce que rien de tel n'est prévu, ce texte favorisera la concurrence entre les territoires, entre les collectivités locales, alors que c'est de coopération qu'il devrait s'agir - coopérations intercommunales, interdépartementales, interrégionales -, avec, en toile de fond, deux préoccupations : la réponse aux besoins des habitants et la démocratie.

La démocratie, précisément, est tout à fait absente du texte et a été ignorée au cours de son élaboration, alors qu'il nous est pourtant répété sans cesse qu'il s'agit de rapprocher la décision des citoyens. Ce projet de loi a été rédigé sans qu'il y ait eu de véritable négociation avec les organisations syndicales, que ce soit sur le contenu des compétences transférées ou sur les missions et les statuts des personnels. Ces derniers n'ont aucune garantie que soit maintenue leur mission, susceptible de disparaître avec le service lui-même, avec sa privatisation. De plus, les salariés et leurs représentants sont particulièrement absents de ce projet de loi. Aucun pouvoir nouveau d'intervention ne leur est donné.

Quant aux élus des collectivités territoriales, c'est bien souvent par la presse qu'ils ont été informés des intentions du Gouvernement. Ils n'ont été ni écoutés ni entendus sur les effets concrets des choix contenus dans ce texte pour les habitants. Aujourd'hui, des élus départementaux vous demandent le report de la décentralisation du RMI : allez-vous les entendre, monsieur le ministre ?

Rien non plus dans le contenu du texte ne permet d'envisager une quelconque avancée de la démocratie participative, qu'il est pourtant urgent de développer. Vous continuez à rejeter une part importante des habitants, parce que ce sont des sujets non communautaires, et donc des non-électeurs. Pourtant, ces étrangers, qui vivent souvent depuis longtemps dans nos communes, contribuent à la vie économique, sociale et citoyenne.

La réalité, c'est que, en vous appuyant sur cette légitime aspiration des citoyens à participer aux décisions, sur la nécessité objective de démocratisation des institutions, vous imposez un projet fallacieux, qui a comme sens de remodeler toute la société pour satisfaire à des objectifs ultralibéraux.

En affaiblissant l'Etat dans ses fonctions de solidarité, de régulation et de services aux populations, en remettant en question les cadres collectifs, ce texte marque la volonté du Gouvernement de se débarrasser des acquis de la Libération, afin d'imposer l'individualisme et la concurrence pour le seul profit du capital. (M. le ministre s'entretient avec M. le rapporteur.) Me permettez-vous de continuer, monsieur le ministre ?

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je vous en prie. Il y a longtemps que l'on n'avait pas entendu de tels propos ! C'est tellement rare !

Mme Josiane Mathon. Alors, profitez-en, ne papotez pas avec votre voisin ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Claude Domeizel. Très bien !

Mme Josiane Mathon. L'opportunité de nouveaux transferts, monsieur le ministre, doit s'apprécier à l'aune du progrès qu'ils apportent aux citoyens, dans le respect de l'égalité, de la cohésion nationale et dans le cadre d'une politique solidaire.

En l'occurrence, il n'en est rien. Ce texte va aggraver considérablement la vie de nos concitoyens, par le démembrement des services publics, par un affaiblissement du politique, qui abdique face aux marchés financiers.

Parce qu'ils ont une tout autre vision de ce qu'est une décentralisation, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC s'opposeront résolument à ce projet de loi et démontreront, au cours du débat, que ce texte ne comporte pas l'once d'une décentralisation, contrairement à ce qui est affirmé depuis un an comme une évidence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.

M. Philippe Darniche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le 28 mars dernier, nous avons débattu ici, en priorité au Sénat, d'un projet de loi constitutionnelle et de deux projets de loi organique, le troisième, relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, étant à venir.

A ma grande satisfaction, monsieur le ministre, la grande réforme lancée par le Gouvernement pour décentraliser un peu plus, sinon mieux, notre pays est en marche, et elle avance à un rythme soutenu et très attendu.

Par cette nouvelle grande loi, nous franchissons une nouvelle étape, l'acte II de la décentralisation, celle de l'émergence d'une « République des proximités », pour reprendre les propos de M. le Premier ministre.

Pendant des décennies, la centralisation a accentué les inégalités et les disparités territoriales. Aujourd'hui, la décentralisation se doit de rééquilibrer ce qui a été défait, sinon mal fait, pour réformer l'Etat qui nous gouverne et pour donner les compétences attendues par les collectivités territoriales dans la confiance et le respect mutuel.

Nous avons souhaité, dans cette enceinte, que la commune reste le premier maillon de notre démocratie, en nous opposant avec fermeté aux volontés exprimées ici ou là de diminuer de manière draconienne leur nombre.

Notre responsabilité aujourd'hui, dans cette nouvelle étape de décentralisation, est de veiller à ce que les communes perçoivent de quoi faire vivre et faire aboutir leurs projets de développement et d'animations, de quoi offrir à leurs habitants les moyens de vivre heureux.

Mes chers collègues, tout doit partir de la base, tout doit se faire dans la proximité, car les élus locaux, et particulièrement les maires, sont en première ligne pour corriger les inégalités des chances et pour favoriser le développement de nos territoires. Les élus locaux attendent beaucoup de ce texte car c'est vers eux que nos concitoyens se tournent souvent et auprès d'eux que le lien de proximité et de solidarité se concrétise le mieux.

Enfin, les communes constituent le premier - et indispensable - niveau d'administration publique et le premier échelon de proximité.

N'est-ce pas ce que, voilà près de 170 ans, Alexis de Tocqueville voulait dire lorsqu'il écrivait ceci : « Sans institutions communales, une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n'a pas l'esprit de la liberté. C'est dans la commune que réside la force des peuples libres » ? Je dis oui à cette volonté réelle de proximité pour tous.

Comme je l'ai dit lors de chacune de mes interventions, je souscris parfaitement à la démarche et aux objectifs de ce nouveau texte, qui sont notamment de transposer les nouveaux principes inscrits dans notre loi fondamentale, à savoir l'organisation décentralisée de la République, le droit à l'expérimentation, l'objectif constitutionnel de subsidiarité, le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales et l'absence de tutelle d'une collectivité sur l'autre qui devra se combiner avec la notion de collectivité chef de file.

Monsieur le ministre, pour ce qui concerne les interventions économiques, notre assemblée propose de confirmer le rôle de chef de file des régions pour les principales aides aux entreprises, qui revêtent la forme de subventions, de bonifications d'intérêt, de prêts et avances remboursables, à taux nul ou à des conditions plus favorables que celles du taux moyen des obligations. J'y souscris pleinement.

Améliorer les conditions d'exercice des compétences transférées, c'est donner de la hauteur et de la cohérence en matière de responsabilité locale, quels que soient le degré de concertation et le niveau de prise de décision. Mais ce transfert de moyens passe par la transparence...

Les propos que M. le ministre de l'intérieur a tenus tout à l'heure sur la transparence et la loyauté m'ont complètement rassuré. Cependant, je me permettrai d'évoquer quelques craintes bien naturelles, qui devront être dissipées au cours du débat.

Tout d'abord, concernant les communes, le transfert prévu par le projet de loi reste relativement faible. Je souhaite que soit tranchée efficacement la problématique des logements sociaux. Qui, mieux qu'un maire ou un président d'EPCI, au contact de ses concitoyens, peut évaluer les besoins et l'urgence des situations ?

S'agissant de l'intercommunalité, la place de la commune et le rôle du maire doivent être clairement réaffirmés. Cela va d'ailleurs de pair avec la nécessité de rappeler ici que l'intercommunalité est plus que jamais le prolongement naturel de la commune, dans le profond respect de son identité.

Ainsi, pour mettre fin aux contraintes excessives qui pèsent sur les collectivités territoriales, des propositions concrètes doivent être faites dans les domaines vitaux que sont, aux yeux de nos concitoyens, la santé, l'éducation ou le libre accès à la culture.

Enfin, et très concrètement, quelques questions techniques peuvent être posées pour mettre en évidence certaines insuffisances du texte proposé, qui appellent des éclaircissements.

Quel élu départemental peut ne pas s'inquiéter de savoir si les moyens liés à la compétence nouvellement acquise seront intégralement transférés ? Si l'Etat garde les routes nationales en bon état pour lui seul, il redonne souvent au département celles qui se trouvent en moins bon état, j'ai pu le constater dans mon département. Qu'en sera-t-il des crédits destinés à leur entretien ? Qu'en sera-t-il des crédits de contrat de plan ? Vont-ils purement et simplement passer par pertes et profits ?

Par ailleurs, comment le transfert financier du RMI se fera-t-il - je ne suis pas seul à m'en inquiéter - compte tenu de la modification de l'allocation spécifique de solidarité ?

Enfin, qu'en sera-t-il du transfert des personnels TOS, sachant que les besoins dans les établissements scolaires sont aujourd'hui insuffisamment couverts, et que les départements devront, dans l'avenir, prendre en charge les demandes qui seront exprimées pour développer ces personnels ?

Mes chers collègues, voilà quelques jours, a eu lieu au Sénat un colloque extrêmement instructif sur le thème de la « coopération décentralisée ». L'idée m'est donc venue de rappeler aujourd'hui une phrase prononcée par le président Vaclav Havel, que nous avions reçu dans cet hémicycle et qui nous avait adressé une grande leçon de responsabilité politique en affirmant : « La démocratie, c'est une invitation à la responsabilité. »

C'est pourquoi, qu'il s'agisse de faciliter l'exercice des responsabilités locales, de clarifier les compétences des collectivités territoriales ou de simplifier les règles régissant leur mise en oeuvre pour 2005, nous devons rester vigilants tant en matière budgétaire qu'en matière administrative.

En effet, le voeu le plus cher que je souhaite exprimer en concluant mon intervention est que maires, conseillers généraux et régionaux ou représentants d'EPCI, nous gardions le droit à l'initiative et que le poids de la tutelle de l'Etat ne vienne pas amoindrir ce que vous avez souhaité instaurer, monsieur le ministre, à savoir une meilleure approche de proximité pour vos concitoyens.

Mais, confiant dans votre volonté de réussir cet acte II de la décentralisation, je voterai ce texte et soutiendrai les amendements de nos commissions, ainsi que ceux de mes collègues qui, comme moi, souhaitent rééquilibrer notre territoire en n'oubliant personne, et surtout pas les petites communes rurales. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif aux responsabilités locales est présenté dans son exposé des motifs comme « l'acte II de la décentralisation », par référence aux lois fondatrices Mauroy-Defferre, adoptées en 1982-1983, pendant le premier septennat de François Mitterrand. Noble ambition, qui s'appuie sur l'ampleur de la diversité des transferts de compétences envisagés et sur la modification de la Constitution, approuvée par le Parlement réuni en Congrès le 17 mars 2003.

Mais des ambitions proclamées à la réalité du texte de loi, il y a un fossé, que le débat au Parlement ne pourra sans doute pas combler. D'ailleurs, contestable en soi est la formulation « acte II de la décentralisation ». S'il est salutaire que vous reconnaissiez - enfin ! - que votre famille politique s'est lourdement trompée en s'opposant, à cette époque, aux propositions du gouvernement de gauche,...

Plusieurs sénateurs socialistes. Eh oui !

M. Gérard Delfau. ... cela ne vous autorise pas à passer sous silence les très nombreux textes qui, en vingt ans, ont complété le dispositif initial. Ce fut, d'ailleurs, à chaque fois, sur l'initiative de la gauche, à une exception près : la loi quinquennale de 1993.

Si je rappelle ces évidences, c'est non pas pour défendre un patrimoine - encore que... - mais pour signaler l'immodestie de votre position et, surtout, pour indiquer que, après tant de travaux parlementaires et d'expériences sur le terrain, le moment d'un bilan, d'une évaluation était venu, avant toute reprise du chantier.

En préalable, nous aurions voulu une évaluation sincère des disparités de richesses entre territoires et du creusement des inégalités entre citoyens, que la décentralisation a, par sa nature même, aggravées.

MM. Bernard Frimat et Michel Dreyfus-Schmidt. Effectivement !

M. Gérard Delfau. Nous étions en droit d'attendre un bilan honnête des timides - trop timides - efforts de péréquation de ressources mis en place par la gauche en 1992-1993 et une proposition ambitieuse pour corriger la dérive qui ajoute une fracture territoriale à la fracture sociale entre individus.

Et je parle d'expérience ! Je vis en Languedoc-Roussillon, permettez-moi de le rappeler, la région la plus pauvre de l'Hexagone, la plus durement touchée par le chômage depuis vingt ans, celle qui connaît le plus fort taux de RMIstes et qui est, évidemment, en tête pour le niveau de fiscalité locale. Moins de ressources, plus d'impôts, telle est la loi du genre !

Comment faire autrement, quand la population, toujours plus nombreuse, réclame naturellement l'accès aux services de base ? Je constate, en tant que maire, qu'une ségrégation par niveau de revenu s'accélère entre l'agglomération montpelliéraine voisine qui chasse de son aire géographique les citoyens vivant d'allocations ou d'indemnités, voire du SMIC, et la grande couronne où se situe ma commune.

M. Gérard Longuet. C'est la politique de Frêche !

M. Gérard Delfau. Il s'agit d'une évolution similaire à celle qu'ont connue Paris et sa banlieue dans les années 1950-1960.

La décentralisation, en l'absence de mécanismes correcteurs, concourt, à mon avis, au vote massif en faveur de l'extrême droite qui s'est manifesté chez nous le 21 avril 2002,...

M. Gérard Longuet. N'importe quoi !

M. Gérard Delfau. ... alors que, pourtant, n'existent pas, pour l'instant, les ingrédients classiques que sont l'immigration et les cités ghettoïsées.

« L'acte II de la décentralisation » aurait consisté à dresser cet état des lieux, non pas pour renoncer à une nouvelle étape - j'étais décentralisateur quand vos amis ne l'étaient pas ! ...

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. En 1969 ?

M. Gérard Delfau. ... mais pour reprendre le chantier sur des bases assainies, dans une perspective républicaine, pour accroître la cohésion sociale au lieu d'exacerber les inégalités.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !

M. Gérard Delfau. Vous avez fait, au contraire, le choix d'accentuer cette dérive : j'en veux pour preuve - un exemple parmi d'autres - le transfert du RMI-RMA aux départements. A supposer que la compensation financière de l'Etat soit intégrale au moment où la mesure s'appliquera - cela reste à démontrer -, le mécanisme d'emballement démographique que connaissent le Gard, l'Hérault et les Pyrénées-Orientales, sur fond de chômage, va engendrer une croissance continue du nombre de bénéficiaires, à la charge du contribuable local. Ajoutons votre projet de modification de l'allocation spécifique de solidarité, qui transférera un certain nombre de chômeurs en fin de droits dans la catégorie du RMI, et voilà que se met en place, sous couvert de décentralisation, un nouveau facteur de paupérisation de ma région. Comment voulez-vous que je soutienne votre projet de loi et, surtout, que j'adhère au catalogue des bonnes intentions de son exposé des motifs ?

S'il m'arrive d'approuver la politique étrangère de la France, je déplore qu'en politique intérieure vous ayez choisi de nous conduire vers le modèle de société américaine, fondé sur l'individualisme et les inégalités.

Si la péréquation était un préalable, connaître les modalités précises du financement des transferts de compétence était la condition minimale qu'il fallait aussi respecter. Or vous nous demandez de tirer une traite sur l'avenir budgétaire de nos collectivités territoriales sans connaître la somme inscrite par Bercy comme compensation.

Le procédé est cavalier à l'égard du Parlement ; il est surtout lourd de menaces pour les élus locaux, dont nous sommes, ici, les représentants.

Comment se fera l'évaluation des charges transférées et quelles garanties aurons-nous ? Quels impôts, taxes ou prélèvements nationaux iront aux budgets des collectivités pour neutraliser le coût financier de ces nouvelles compétences ? Aucun élément précis n'est fourni. Seul est évoqué de façon récurrente le versement de la TIPP, formule dont le président de notre commission des finances a montré la complexité et le caractère aléatoire, compte tenu des règles de l'Union européenne.

Qu'auriez-vous dit, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité, si un gouvernement de gauche en avait usé ainsi avec la représentation nationale ? Vous auriez lancé une campagne de protestation auprès des 36 000 communes, auprès des intercommunalités, des départements et des régions.

Un sénateur socialiste. Effectivement !

M. Gérard Delfau. Et vous auriez eu raison. Nous ne l'avons pas encore fait ; mais, n'en doutez pas, et d'ailleurs vous le savez, la mauvaise nouvelle se propage très vite au sein des collectivités : chaque élu sait que la fiscalité locale a connu un bond spectaculaire de 4 % en 2002, et il appréhende la mise en place des prochains budgets (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP). Mais vous le savez ! Chaque maire, dans vos départements, vous fait part de son appréhension, quelle que soit son appartenance politique, s'il en a une. Chaque élu, disais-je, appréhende la mise en place des prochains budgets si ce nouveau train de compétences se traduit par un important transfert de charges.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Ils savent pourquoi !

M. Gérard Delfau. Oui, ils sauront bientôt pourquoi, et à leur détriment !

D'ores et déjà, comme ils l'ont dit à cette tribune, les présidents de conseil régional ou de conseil général envisagent comme conséquence une baisse importante des investissements en matière de développement économique et d'infrastructures, ce qui aura pour effet de nourrir la récession et d'aggraver le chômage. Les maires redoutent, eux, que ces transferts non compensés ne se traduisent rapidement par une diminution draconienne des subventions concernant leurs chantiers.

Monsieur le ministre, dans les territoires riches et peu imposés, là où il y a de la marge, les effets budgétaires de la loi de décentralisation seront absorbés sans trop de difficultés. Ailleurs, dans les collectivités pauvres et déjà lourdement fiscalisées, le pire est à redouter. J'espère que vous en avez conscience.

Les clignotants sont d'ailleurs un peu partout au rouge pour les élus locaux : ils constatent une nouvelle et brutale vague de suppression de services publics de proximité, notamment des bureaux de poste, des perceptions, des établissements de santé. Ils s'inquiètent d'un projet de loi de finances pour 2004, dans lequel l'agriculture, mais aussi la recherche, l'aménagement du territoire sont sacrifiés ; ils viennent de constater que le contrat de plan de La Poste qu'a arbitré le Gouvernement ne donne pas à l'entreprise publique les moyens de financer le surcoût du service public alors que la concurrence fait rage. Ce ne sont que quelques exemples.

J'ajouterai que, dans l'article 30 du projet de loi de finances, vous proposez une répartition à l'identique, sans aucun effet péréquateur, de l'ancienne part salariale de la taxe professionnelle désormais intégrée à la dotation globale de fonctionnement. C'est un signe qui ne trompe pas !

Conforter les territoires aisés et favoriser les citoyens riches, telle est bien votre philosophie, à l'opposé de ce qu'attend la majorité de nos concitoyens.

Voilà le jugement que je porte sur votre méthode. Dès lors, mon appréciation sur ce catalogue hétéroclite de transferts de compétences ne peut être positive et, si je devais résumer mon sentiment, je dirais que ce texte de loi se caractérise par une tendance lourde à l'affaiblissement constant de l'Etat.

Aller vers un Etat resserré sur des missions essentielles - les missions régaliennes, certes, mais aussi la santé et l'éducation - pourrait être un objectif commun. Telle n'est pas votre orientation, puisque c'est un Etat minimum que vous recherchez.

Les transferts annoncés sont considérables tant en nombre qu'en signification : je pense aux 20 000 kilomètres de routes nationales confiés aux départements ou à la formation des personnels de santé qui est placée sous la responsabilité des régions, en plus de la totalité de la formation professionnelle, et ce sans mécanismes de régulation de la part de l'Etat. Ce n'est pas rien !

Significative, enfin, est la généralisation annoncée des péages routiers chaque fois qu'une collectivité en éprouvera le besoin. Cela a même un petit parfum de Moyen Age : à quand le retour de l'octroi à l'entrée des villes ? Si l'on y ajoute le droit à l'expérimentation inscrit dans la Constitution, sur votre initiative, l'on perçoit mieux où vous voulez aller : au fond, vous tenez marché ouvert des attributs et compétences de l'Etat, sauf peut-être la défense nationale, prêts à vendre au plus offrant ! L'Etat minimum est bien votre horizon, même si vous avez l'habileté de ne pas l'avouer.

Je conclurai mon propos en disant que vous engagez la France sur une pente dangereuse, sans l'avoir équipée des mécanismes de stabilisation nécessaires par gros temps. Considérons l'exemple de l'Allemagne fédérale et de l'Espagne régionalisée, ces deux pays qui se sont dotés de fonds de péréquation des richesses et qui, l'un comme l'autre, cherchent de nouveau à retrouver une politique nationale sur certains thèmes centraux tels que l'éducation.

Quant à nos concitoyens, dans ce bouleversement, ils persisteront, comme ils l'ont fait jusqu'à présent, en cas de difficulté, à se tourner vers le seul élu qu'ils connaissent, leur maire. Malheureusement, la commune est le grand perdant de cette redistribution des pouvoirs, c'est même là sans doute la marque distinctive de ceprojet de loi.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout à fait !

M. Gérard Delfau. Je résume : moins d'argent et plus de charges pour les collectivités, des décisions plus lointaines pour l'habitant, l'Etat affaibli, c'est ainsi que l'on gâche une belle idée : la décentralisation. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a plus de vingt ans, après un débat parlementaire pour le moins vigoureux, notamment dans cette Haute Assemblée, la première loi de décentralisation était adoptée.

Contestée par certains dans son principe même, la décentralisation est aujourd'hui, à quelques exceptions près, célébrée. Ce sujet pourrait donc nous réunir, puisque vingt ans de pratique ont permis à la droite d'évoluer...

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Ce n'est pas votre cas !

M. Bernard Frimat. ... et d'opposer les actuels propos de décentralisation de l'UMP aux anciens accents jacobins du RPR.

M. Josselin de Rohan. Avez-vous entendu parler du général de Gaulle, monsieur Frimat ?

M. Bernard Frimat. Monsieur de Rohan, vous avez déjà eu la parole pendant un quart d'heure !

M. Josselin de Rohan. Si vous nous attaquez, vous allez nous trouver ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Charles Gautier. A quatre pas d'ici, je te le fais savoir... (Sourires.)

M. le président. Monsieur de Rohan, laissez M. Frimat poursuivre son propos !

M. Josselin de Rohan. Je vous préviens : vous commencez très bien...

M. Bernard Frimat. Monsieur de Rohan, la parole est libre dans cette assemblée !

M. Josselin de Rohan. La réponse aussi !

M. Bernard Frimat. Je sais bien que vous n'avez pas l'habitude de l'accepter, mais j'ai la parole et je continuerai à m'exprimer. Si vous voulez des incidents de séance, il y en aura ! Jusqu'à maintenant, ce débat a été loyal et clair. Je suis le deuxième orateur du groupe socialiste. J'ai le sentiment que les orateurs de votre famille politique se sont exprimés en plus grand nombre. En conséquence, vous pouvez peut-être me laisser parler à cete heure.

M. Claude Domeizel. Très bien !

M. Josselin de Rohan. Si vous attaquez, nous répondrons !

M. Bernard Frimat. Non, monsieur de Rohan, nous ne dialoguerons pas. J'ai la parole, je la garde !

Jean-Claude Peyronnet a eu déjà l'occasion de vous l'expliquer, le groupe socialiste du Sénat, parce qu'il croit à la décentralisation, ne se reconnaît pas dans votre démarche, même s'il peut marquer son accord avec tel ou tel point particulier.

Les premières lois de décentralisation ont libéré les collectivités territoriales de la tutelle administrative et financière de l'Etat. Elles leur ont permis de s'administrer librement et leur ont transféré des compétences qu'elles ont exercées avec efficacité. Mais il faut faire lucidement le constat que les moyens transférés par l'Etat n'ont pas suffi pour répondre aux besoins réels des citoyens.

En conséquence, les collectivités territoriales ont dû s'endetter et augmenter des impôts locaux dont le caractère injuste et archaïque n'est pas démenti. Les collectivités les moins riches, qui souvent cumulent besoins sociaux élevés et faible potentiel fiscal, ont payé le prix le plus fort.

Pour de nombreuses collectivités, les marges de manoeuvre n'existent plus. En vingt ans de décentralisation, le pouvoir d'Etat a connu six alternances. La responsabilité du désengagement de l'Etat et des transferts de charge est donc inévitablement partagée.

Laissons de côté les procès rétrospectifs et attachons-nous au débat présent.

Un fait est aujourd'hui patent. La décentralisation, hier porteuse de libertés nouvelles et d'une amélioration du service public local, suscite aujourd'hui la méfiance des citoyens,...

M. Louis de Broissia. Eh oui !

M. Bernard Frimat. ... qui redoutent, à juste titre nous semble-t-il, dans un contexte d'aggravation des déficits de l'Etat, une flambée des impôts locaux.

Nous souhaitons une décentralisation républicaine, efficace, lisible et juste, où l'Etat s'affirme comme le garant de la cohésion sociale. Nous ne retrouvons pas ces caractéristiques dans votre projet de loi, monsieur le ministre.

Votre projet de loi aggrave ou, au mieux, accepte les inégalités.

Il est vain de nier les inégalités territoriales comme les inégalités sociales. Doit-on pour autant les considérer comme irréversibles et définitives ?

La devise de la République, son essence même, affirme le principe constitutionnel d'égalité. Un citoyen a-t-il le droit de disposer d'un service public local de qualité quel que soit l'endroit du territoire où il réside ? La décentralisation peut y contribuer, mais encore faut-il pour cela que l'Etat, au moment où il envisage de décentraliser une compétence, ait une autre ambition que celle de se contenter d'enregistrer pour solde de tout compte les inégalités existantes.

Prenons l'exemple des personnels techniciens ouvriers et de service, puisque c'est sur eux que doit porter la modification la plus importante proposée pour les personnels de l'Etat. Vous projetez de transférer aux régions et aux départements 90 000 TOS. Quand les régions ont été créées, qui aurait pu imaginer que la mission de « garant de la cohérence et du développement des territoires » que vous leur reconnaissez, se traduirait par l'existence d'un personnel dont 80 % consacrerait son énergie à entretenir les lycées ?

Vous effectuez ce transfert contre l'avis des personnels et contre celui de la majorité des collectivités territoriales, qui ne les réclament pas. Quel exemple de concertation !

Dans ma région, les autorités académiques admettent qu'il manque dans les lycées et collèges 700 postes de TOS par rapport à la moyenne nationale. Si l'on tient compte des nombreux contrats emploi-solidarité et contrats emplois consolidés qui existent de manière continue, la carence en personnel est de l'ordre de 2 000.

Cette inégalité, que rien ne justifie, vous allez lui accorder une reconnaissance définitive. Votre vision de la République et de la décentralisation est, pour nous, claire : les collectivités qui ont une situation favorable la conserveront et celles qui sont dans la difficulté y demeureront. Pourtant, rien ne vous empêche, en prévoyant les mesures transitoires adéquates, de transférer les TOS en respectant l'égalité.

Pourquoi ne vous donnez-vous pas comme ambition une harmonisation par département et région, en fonction de critères objectifs ?

Vous préférez, sans doute par confort politique, geler les inégalités territoriales actuelles. C'est la méthode que vous privilégiez pour effectuer tous les transferts. Nous aurons de nombreuses occasions de revenir sur ce point au cours du débat.

Une fois la compétence transférée, il ne restera plus qu'une issue pour résorber l'inégalité : recourir à l'augmentation d'impôts ou à l'emprunt. Vous aurez ainsi transféré l'impopularité de la pression fiscale et vous pourrez continuer à baisser les impôts d'Etat pour les plus riches. Sans doute est-ce là votre conception de la réduction de la fracture sociale !

Les impôts locaux, injustes comme nous le savons, augmenteront d'autant plus que rien dans votre texte ne garantit à ce jour que les bases de référence du transfert seront équitables et représentatives de la contribution réelle que l'Etat consacrait à ses compétences.

L'article 72-2 de la Constitution, qui définit ce que l'on peut appeler le principe de neutralité en cas de transfert, ne nous offre sur ce point précis aucune garantie. Les estimations globales des transferts que vous avezfournies en commission le 14 octobre sont différentes.M. Sarkozy les évalue à 11 milliards d'euros, et M. Devedjian à 13 milliards d'euros. Nous ignorons les bases sur lesquelles elles ont été établies, puisque aucune étude d'impact financier établie sur des critères objectifs ne nous a été fournie pour que nous puissions appréhender sérieusement cet aspect du projet de loi.

Tout en respectant le principe de neutralité que je viens d'évoquer, vous pouvez, à votre guise, faire varier le niveau des personnels et des crédits transférés. Dans les régions et départements, depuis que la perspective de décentraliser les TOS a été évoquée, nous assistons à un renforcement des services des rectorats par prélèvement sur les postes, pourtant insuffisants, affectés aux lycées et aux collèges.

Au moment où le Gouvernement choisit de diminuer le nombre de fonctionnaires, quelle garantie avons-nous que cette diminution, que nous contestons au demeurant, ne s'appliquera pas de manière privilégiée au personnel transféré, notamment à celui qui est chargé de mettre en oeuvre les crédits d'Etat relatifs aux aides économiques ou à la formation professionnelle.

Il n'est pas besoin de longues études statistiques pour comprendre que, si les années de référence de l'effort passé de l'Etat sont les trois années qui précèdent la date du transfert, c'est-à-dire le 1er janvier 2005, les collectivités territoriales n'y trouveront pas leur compte et subiront de plein fouet le caractère calamiteux de vos budgets et les conséquences des annulations de crédits ciblées avec une très grande précision par Bercy. De manière générale d'ailleurs, quand Bercy devient l'artisan et le premier supporter de la décentralisation, toutes les raisons de s'inquiéter sont réunies.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Ce n'est pas le cas !

M. Bernard Frimat. Tout peut laisser craindre, monsieur le ministre, un transfert au rabais en dépit des garanties constitutionnelles que vous brandissez en permanence comme un remède universel à toutes les difficultés financières que vous allez créer.

Réussir la décentralisation exige que les mécanismes financiers des transferts soient sincères et équitables, et donc qu'ils fassent l'objet d'une expertise contradictoire indiscutable. C'est d'autant plus important que, même en ce cas, les crédits et les personnels transférés seront insuffisants par rapport aux besoins. Là encore, l'article 72-2 de la Constitution n'offre qu'une garantie formelle. Relisons le paragraphe en cause : « Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ».

Ce n'est pas une garantie. La vraie garantie financière, c'est la volonté politique de donner aux collectivités territoriales les moyens correspondants aux charges transférées.

Prenons quelques exemples de fausse garantie.

Dans un rapport au titre très célinien, Voyage au bout... de l'immobilier universitaire , notre collègue M. Dupont écrivait : « Selon l'avis sévère de l'ancien directeur du CNOUS, le tiers des cités universitaires peuvent être considérées comme des "taudis dangereux" et mal entretenus,...

M. Josselin de Rohan. La faute à Lang !

M. Bernard Frimat ... du fait notamment de l'insuffisance des crédits de gros entretien.

« Les principaux problèmes de sécurité résultent du "bricolage" des circuits électriques, de l'absence d'issues de secours et de portes coupe-feu, de l'insuffisance des équipements sanitaires et d'une isolation défectueuse des locaux ;...

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. M. Jospin n'avait donc rien fait !

M. Louis de Broissia. Bravo le gouvernement Jospin !

M. Josselin de Rohan. Qui a été au pouvoir pendant vingt ans ?

M. Bernard Frimat. ... au total, une résidence universitaire sur trois devrait être fermée pour des raisons de sécurité [...]. »

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Mais que faisait donc M. Lang ?

M. Bernard Frimat. Si l'on transfère ce que l'Etat a consacré depuis des années à cette compétence, vous imaginez l'enthousiasme des communes et des établissements intercommunaux pour le recevoir ! Quelle garantie leur donne l'article 72-2 ?

Autre exemple de fausse garantie : qui peut affirmer que les crédits consacrés aux ports et aux routes, dont le transfert est proposé, étaient dimensionnés pour permettre un développement dynamique, voire parfois le simple entretien ?

M. Charles Gautier. Catastrophe !

M. Josselin de Rohan. Qu'ont-ils fait pendant vingt ans ?

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Jospin n'a rien fait !

M. Bernard Frimat. Les contrats de plan - il en a été signé sous tous les gouvernements - sont là pour témoigner de ces insuffisances puisque l'Etat, incapable de faire face seul à ses obligations, sollicitait déjà, sur ses propres compétences, le concours des collectivités territoriales.

M. Josselin de Rohan. Jospin !

M. Bernard Frimat. Jospin, Juppé, on peut faire la liste !

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Jospin a sévi plus longtemps !

M. Bernard Frimat. De plus, si des crédits d'Etat figurant au contrat de plan sont transférés, tout laisse à craindre que les retards d'exécution ne seront jamais rattrapés, et ce au moment bien connu de la disparition du budget de l'Etat de la ligne budgétaire concernée. Ainsi, les engagements de l'Etat non honorés à la date du transfert seront définitivement passés par pertes pour les collectivités territoriales et profits pour les finances de l'Etat.

L'aggravation des inégalités territoriales et l'augmentation des impôts locaux sont inscrites en creux dans votre projet de loi. Votre volonté décentralisatrice se caractérisera de facto par la décentralisation des déficits.

Facteur d'inégalités, votre projet de loi, loin de simplifier et de clarifier, ajoute la complexité à la complexité. Vous pouvez parfois donner l'impression de reprendre la théorie des blocs de compétences identifiables ; en réalité vous créez la confusion. Pensez-vous vraiment, qu'une fois votre texte adopté le citoyen s'y retrouvera et pourra déterminer quelle collectivité est responsable d'une compétence précise ? Je crois, en revanche, que votre décentralisation à géométrie variable rendra pour le citoyen, le territoire illisible.

Pour nous, la décentralisation doit être mise en oeuvre avec comme perspective essentielle une démocratie territoriale plus juste, où le développement et la qualité des services publics renforcent l'harmonie des territoires dans le respect des principes de solidarité et d'égalité. C'est notre conception de la décentralisation républicaine.

Décentraliser, ce n'est pas, pour nous, privilégier telle ou telle catégorie de collectivités en fonction de sa puissance de lobbying parlementaire...

M. Josselin de Rohan. Des noms !

M. Eric Doligé. On veut des preuves !

M. Bernard Frimat. ... ou permettre aux collectivités les plus riches d'étendre avec avidité leurs compétences alors que celles qui sont confrontées aux difficultés les plus grandes seraient réduites à la portion congrue. Nous rejetons cette conception « libre service » de la décentralisation selon laquelle les inégalités de richesse l'emportent sur toute considération d'intérêt général.

Votre projet favorise une décentralisation de la concurrence et de la confusion, où toute compétence devient délégable à la collectivité qui, en ayant les moyens, en fera la demande.

Comment expliquerez-vous aux citoyens ces différences de traitement, ces discriminations selon qu'ils habiteront un territoire riche ou pauvre ?

Nous aurons, monsieur le ministre, le temps d'en débattre au fond et, je l'espère, loyalement. Nous nous efforcerons, par le dépôt d'un certain nombre d'amendements, de recrédibiliser l'idée de décentralisation et de retrouver les principes fondateurs des lois Mauroy-Defferre.

Vous proclamez, au début de l'exposé des motifs du projet de loi, l'ambition de faire émerger ce que vous appelez une République des proximités. Cette affirmation n'est, à nos yeux, qu'une posture. Votre projet de loi, fidèle, je vous en donne acte, à votre philosophie politique, est avant tout dogmatique. Il s'inscrit dans une logique du chacun pour soi. Il tourne le dos à la solidarité. Il construit une République des inégalités et ne peut donc recueillir, dans sa forme actuelle, notre accord. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d'évoquer ce projet de loi relatif aux responsabilités locales, je souhaiterais revenir quelques instants sur les réflexions que m'inspirent certains propos tenus sur cette nouvelle étape de la décentralisation.

Les sentiments suscités par ce texte ressemblent à s'y méprendre à ceux qui ont déjà prévalu, voilà plus de vingt ans, lors de l'examen du projet de décentralisation Mauroy-Defferre.

Une différence, et non des moindres, doit toutefois être soulignée. Les décentralisateurs d'hier sont devenus, par esprit conservateur, les centralisateurs d'aujourd'hui, les freins au développement de nos territoires et à l'accroissement de la responsabilité des élus locaux. A contrario, nous ne pouvons que nous féliciter de l'évolution idéologique des femmes et des hommes qui composent notre majorité de gouvernement. Ils ont, en quelques décennies, épousé les convictions décentralisatrices du mouvement démocrate chrétien.

Cette parenthèse close, il nous revient donc aujourd'hui la difficile, mais ô combien passionnante tâche de raviver la dynamique décentralisatrice de 1982-1983. Car, aujourd'hui, notre pays étouffe. Il a donc naturellement besoin de l'air de nos territoires pour trouver un second souffle.

Ce second souffle ne constitue nullement un renoncement à nos principes constitutionnels, celui, en particulier, d'une République une et indivisible. Il s'agit plutôt d'une adaptation des structures administratives aux évolutions sociétales.

Ce second souffle ne représente pas non plus un recul de l'Etat providence. Il lui permettra, au contraire, d'assumer au mieux ses prérogatives régaliennes et de répondre aux exigences des Français, qui aspirent à plus de sécurité, à plus de justice sociale, à plus de solidarité intergénérationnelle.

Enfin, ce second souffle n'est pas ce cadeau présenté par certains comme totalement empoisonné. S'il est indéniable que les collectivités locales seront confrontées à des demandes sans cesse croissantes, il n'en demeure pas moins qu'elles devront procéder, comme elles l'ont toujours fait, à des arbitrages budgétaires. Mais n'est-ce pas dans cette phase décisionnelle que réside l'un des intérêts d'assumer un mandat local ?

Pour autant, et j'y reviendrai ultérieurement, je comprends que ce texte puisse susciter des interrogations, notamment sur la méthode qui sera retenue pour assurer les transferts de moyens financiers.

Cependant, il me semble essentiel que nous ne nous départissions pas de la finalité de ce projet de loi : « faire émerger une République des proximités ».

Toutefois, cette nouvelle conception ne sera efficace que si les collectivités locales bénéficient d'un cadre financier leur assurant des rentrées fiscales dynamiques. En effet, comment imaginer leur confier de nouvelles missions sans même leur laisser la faculté d'assumer leurs choix fiscaux ?

Si cette conception de recettes dynamiques ne devait pas être retenue, nous pourrions rapidement passer du second souffle au souffle coupé. De récents exemples, comme la suppression de la vignette automobile ou le recours à des exonérations fiscales couvertes par des dotations étatiques, nous démontrent la perversité de telles décisions.

Dans une telle hypothèse, c'est non seulement le développement de nos territoires qui serait en danger, mais bien la volonté réformatrice exprimée par les Français lors du second tour de l'élection présidentielle.

Pour éviter de tels écueils, il nous faut donc tirer les enseignements législatifs des garanties financières apportées par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003. La libre disposition des ressources, la faculté d'autoriser les collectivités territoriales à fixer l'assiette et le taux des impôts qu'elles reçoivent, la garantie de la part des recettes fiscales dans l'ensemble des ressources, la compensation des transferts de compétences, l'obligation pour la loi de déterminer des produits en cas de création ou d'extension des compétences territoriales et la péréquation sont autant de principes que nous devrons mettre concrètement en oeuvre.

Ainsi, pour le transfert des routes nationales, il conviendrait de laisser aux conseils généraux le soin de fixer le taux de la quote-part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers qui leur est dévolue. L'Etat pourrait, dans cette perspective, prévoir un encadrement de l'évolution de ce taux départemental.

Sans cette liberté, les assemblées départementales seront inévitablement confrontées à des difficultés financières comparables à celles qui ont été soulevées par la création de l'allocation personnalisée d'autonomie.

Sans cette liberté, cette application concrète du principe de subsidiarité reviendrait à transférer les problèmes à l'échelon local, sans lui apporter les moyens de trouver de solution pertinente.

Les collectivités locales et leurs groupements ont largement dépassé l'âge de la majorité, il serait de bon ton de les considérer enfin comme adultes et, de ce fait, responsables ! Et, en adultes responsables, elles devront évoluer dans ce nouveau paysage administratif.

A ce titre, je souhaiterais que le Gouvernement accepte toute suggestion parlementaire visant à clarifier l'exercice des compétences actuellement partagées entre une commune et un établissement public de coopération intercommunale. Ainsi, sur l'initiative de mon collègue Yves Détraigne, le groupe de l'Union centriste vous proposera de modifier l'article L. 2122-27 du code général des collectivités territoriales, en attribuant à l'exécutif d'un EPCI tous les pouvoirs découlant d'un transfert de compétences.

Cette volonté de constituer de véritables blocs trouve d'ailleurs une illustration concrète dans le domaine de l'éducation. Ainsi ai-je récemment été le témoin d'une situation tendue entre un président d'EPCI assumant les charges liées au fonctionnement des écoles et un maire encore investi du pouvoir d'inscrire les enfants. Soucieuse de mettre un terme définitif à cet imbroglio, je défendrai donc un amendement visant à clarifier l'exercice de la compétence « éducation ».

Comme vous pouvez le constater, loin de céder à une critique stérile de ce projet de loi, il m'a semblé plus utile de souligner, par ces propositions, le rôle essentiel que doit jouer la Haute Assemblée dans l'amélioration substantielle de certaines de ses dispositions.

La refonte des régimes de retraite ayant amorcé une dynamique réformatrice, continuons ensemble sur cette voie et ayons le courage de faire de cette nouvelle étape de la décentralisation une véritable réforme. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, qui comporte 126 articles et sur lequel ont été déposés plus de 1200 amendements, va nous retenir de longues journées, et sans doute de nombreuses soirées. Aussi, en cet instant, je n'entrerai pas dans le détail d'un texte que nos commissions ont examiné avec beaucoup d'attention et de soin et je m'en tiendrai à une réflexion plus générale sur la volonté du Gouvernement, qui entend réformer nos institutions en faisant en sorte que la République soit un projet collectif.

La République n'est pas l'addition d'un certain nombre de territoires régionaux, départementaux ou communaux, elle est d'une tout autre nature. C'est un projet qui repose sur des valeurs partagées, auxquelles le Gouvernement entend associer, au quotidien, le plus grand nombre de Français.

Pour mener à bien ce projet, dont la réforme constitutionnelle a fixé les bases, il utilise trois niveaux de territoires qui vont se partager des responsabilités dans une logique extraordinairement dynamique.

Le présent projet de loi n'est d'ailleurs lui-même qu'une étape, puisque nous attendons, les uns et les autres, les dispositions financières qui suivront nécessairement. Les territoires ne concourent-ils pas à la richesse de la République ?

Au demeurant, ces territoires ne sont pas immuables, ils évoluent avec un dynamisme que l'observateur extérieur méconnaît souvent mais dont vous avez, monsieur le ministre, tiré les conséquences. Ainsi, prenons l'exemple des communes, qui correspondent, dois-je le rappeler, aux vieilles paroisses : leur nombre, vu de l'extérieur, peut paraître trop élevé, puisque l'on en dénombre 36 000. De plus, la réalité quotidienne d'aujourd'hui veut que l'on habite dans une commune, que l'on travaille généralement dans une autre, que l'on dépense dans une troisième et que l'on s'informe, que l'on s'instruit ou que l'on se distrait dans une quatrième. Cela suppose donc que les uns payent pour les autres et que les autres payent pour les uns. Dans ces conditions, l'éclatement communal aurait été une absurdité car si, depuis près de vingt ans et d'une façon croissante, les élus communaux n'avaient pas anticipé la nécessité de se restructurer par eux-mêmes, dans une démarche de liberté et de libre initiative, nous ne connaîtrions pas aujourd'hui les 3 000 intercommunalités rurales, les 150 communautés d'agglomération et les 13 communautés urbaines qui ont restructuré le pays.

En apparence, monsieur le ministre, vous leur donnez satisfaction : ainsi, en matière de logement, les EPCI d'une certaine taille - de nombreux amendements porteront sur le seuil, et nous entrerons dans le détail en les examinant -, les intercommunalités dynamiques et offensives seront en mesure, aux termes mêmes de votre texte, monsieur le ministre, de jouer un rôle d'administration de proximité, si elles en ont la volonté et si elles s'en donnent les moyens.

Quant au département, l'« enfant chéri de la République jacobine » depuis la fête de la Fédération du 14 juillet 1790 - c'est en effet à la fête de la Fédération, et non à la prise de la Bastille, que l'on doit le 14-Juillet -, il répondait alors à l'idée un peu syncrétique d'associer à la fois le Roi, l'Eglise et la République, grâce au suffrage universel, dans des assemblées élues. Mais, très rapidement, les Jacobins ont coupé les Girondins en morceaux. Notre collègue Michel Mercier ne me démentira pas : il se souvient certainement des massacres jacobins à Lyon, de sinistre mémoire.

Cela étant, peut-on dire que la gauche est nécessairement jacobine ? Non, naturellement ! Peut-on dire que la droite est nécessairement autoritaire ? Napoléon était-il de droite ? Personne ne le sait ! Ce qui est certain, en tout cas, c'est que le département, en 1982, a saisi l'opportunité que lui offraient Pierre Mauroy et Gaston Defferre. Reconnaissons ainsi honnêtement que, après vingt-trois ans d'opposition, l'excellent ministre de l'intérieur de l'époque, Gaston Defferre, avait peut-être des raisons personnelles de penser que, après tout, laisser un peu de pouvoir aux collectivités locales lui éviterait de retrouver cette présence omnipotente de l'Etat dans les territoires.

Le pouvoir départemental a donc changé de nature et l'enfant chéri de la République jacobine est devenu un contre-pouvoir, aux mains de l'opposition d'une façon constante depuis 1983, et aujourd'hui aux mains de la majorité... Mais ce n'est pas là l'objet de mon propos, et je me contenterai de rappeler que le conseil général s'est émancipé du pouvoir préfectoral, qu'il a conquis une légitimité fondée sur trois types de fonctions que l'on attend d'une collectivité locale.

La première fonction, certainement la plus importante, est la proximité. En effet, si la commune est naturellement proche, le département a su lui aussi rester proche de nos concitoyens par la nature même du mode d'élection de ses élus. Les cantons sont de taille inégale, certes, mais ils ont l'immense avantage d'établir cette proximité.

La volonté du Gouvernement, à travers ce projet de loi, est de confier aux départements une responsabilité de chef de file dans l'action sociale en s'appuyant sur cette logique de proximité, même si cela peut parfois faire sourire ceux qui, regardant la vie locale de l'extérieur, méconnaissent la force que constituent, dans l'action sociale, ces liens très étroits entre l'élu et les associations qui l'entourent.

La deuxième fonction que l'on attend d'une collectivité locale est la péréquation, objet de bien des discussions. En effet, la taxe professionnelle n'est plus ce qu'elle était et le gouvernement de M. Jospin a progressivement réduit l'autonomie financière des collectivités locales. Au sein du département, la ville, plus riche, a donc aidé les terrritoires les plus pauvres. Mais on voit bien aujourd'hui les limites de cette péréquation : si elle fonctionne dans les grands départements, ce n'est pas le cas dans les deux tiers des départements moyens, et, a fortiori, dans les départements ruraux, où la pauvreté vole au secours de la pauvreté, ce qui n'est évidemment pas une forme de péréquation particulièrement satisfaisante.

Enfin, et c'est leur troisième fonction, les départements ont assurément une légitimité en matière d'aménagement.

Là encore, si le cadre départemental bénéficie de la proximité, s'il permet une première péréquation, il souffre de ce que les locomotives du développement que sont aujourd'hui les métropoles sont inégalement réparties sur le territoire. Par conséquent, en termes d'aménagement, les départements doivent être le partenaire des collectivités locales communales, y compris dans cet aménagement particulier que sont les transports routiers.

Il est cependant une limite à cet exercice : si certains départements comprennent toute la gamme des différents territoires - une grande métropole de dimension européenne, des villes moyennes, des territoires ruraux - beaucoup d'entre eux, ne bénéficiant pas de ces points d'appui et de développement, se tournent vers l'extérieur pour l'enseignement supérieur, pour les fonctions de services, notamment hospitaliers. Comment concevoir, en effet, une politique d'aménagement du territoire qui se limiterait au seul cadre du département ? L'interdépartementalité, la région apparaissent donc avec une évidence forte.

Vous avez donné, monsieur le ministre, des responsabilités aux départements. Elles correspondent à vingt années d'expérience au cours desquelles le département s'est émancipé du préfet dans une logique de proximité, de péréquation, d'aménagement du territoire. Vous en tirez aujourd'hui les conséquences en termes de politique d'environnement, de politique de proximité, de politique sociale.

Quant à la région, c'est une création plus récente et parfois artificielle.

Et elle apparaît tout d'abord, depuis une vingtaine d'années, comme un lieu de rencontre pertinent entre ce qui vient d'en haut et ce qui vient d'en bas, si vous me permettez cette simplification.

Ce qui vient d'en haut, c'est l'Etat, un Etat qui, pour être très franc, avait besoin d'un partenaire qui paie ce qu'il n'était plus en mesure de payer lui-même. Ainsi, s'agissant des infrastructures routières, à travers la politique des contrats de plan Etat-région, toutes les routes nationales ont été cofinancées par l'Etat, par la région, par les départements et par les agglomérations. L'Etat a ainsi cherché tout naturellement dans la région le partenaire dont il avait besoin pour suppléer ses propres défaillances financières, l'investissement ne cessant de décroître de façon constante depuis vingt ans au sein du budget de la nation.

Les régions ont joué le jeu, parce qu'en contrepartie elles pouvaient participer à la décision, ce qui n'était pas possible auparavant. Et, si l'administration des Ponts et Chaussées a évolué depuis Louis XV, jusqu'à une période récente, alors qu'elle n'avait pas besoin de l'argent des collectivités locales, elle s'est souciée comme d'une guigne de nos préoccupations. Au demeurant, même quand elle a obtenu l'argent des collectivités locales, elle ne s'en est guère soucié non plus, mais c'est une autre histoire.

L'Europe a joué elle aussi un rôle important pour la promotion des régions, mais le modèle européen est à dominante fédérale et, si des entités qui ressemblent aux régions françaises y jouent leur rôle, il n'est pas tout à fait comparable. Il est cependant évident que l'Europe a trouvé un partenaire dans les régions.

Les départements, les agglomérations, les « pays » se sont retournés vers les régions lorsque le département n'était pas d'une taille suffisante - les très grands départements, nous le savons, sont une minorité - pour régler les questions qui sont quotidiennement au coeur de la vie de nos compatriotes. Prenons l'exemple de la formation professionnelle : toutes les formations requièrent un établissement d'enseignement supérieur ; or il n'en existe pas dans tous les départements. C'est donc très naturellement que les élus locaux se sont tournés vers les régions dans les domaines de la formation, de la recherche ou des transferts de technologies, domaines qui commandent l'action économique.

La région est donc le lieu où se rencontrent les demandes du terrain et les besoins de partenariat exprimés par l'administration centrale et, accessoirement, par l'administration européenne.

La deuxième force de la région tient à la péréquation. J'évoquais il y a quelques instants la péréquation dans le cadre du département. Force est de reconnaître que la grande taille de la région favorise une péréquation un peu plus forte, qui, si elle n'est pas parfaite, permet notamment de partager le produit de la taxe professionnelle. Ainsi - c'est un exemple concret -, lorsqu'une région est équipée d'une centrale nucléaire, le conseil régional est le seul à redistribuer sur l'ensemble du territoire régional le produit de la taxe professionnelle. Il joue donc un rôle reconnu en matière de péréquation.

Enfin, la région joue un rôle un peu plus subtil, qu'il est parfois difficile d'accepter : elle a une fonction d'expertise. Au niveau régional, on traite tous les jours, par exemple, des dossiers économiques, ce qui n'est pas le cas dans toutes les communes et dans tous les départements. De la même façon qu'un chirurgien qui opère quotidiennement est normalement plus habile et plus expert que celui qui n'a que rarement l'occasion de pratiquer certains types d'opérations, la région a une certaine expertise économique, non parce qu'elle est géniale, mais parce qu'elle a plus souvent l'occasion d'intervenir dans ce domaine.

Monsieur le ministre, votre projet de loi reconnaît les dynamiques de ces trois niveaux de territoires en organisant entre eux des relations pacifiées et en proposant en effet aux uns et aux autres de coopérer, coopération qui est d'ailleurs effective sur le terrain depuis ces vingt dernières années de décentralisation.

Cette coopération - et telle est sans doute la principale valeur ajoutée de votre texte, monsieur le ministre - passe par une clarification et par la désignation de chefs de file, notion que nous ne devrons pas perdre de vue tout au long de nos débats.

Ma conclusion rejoindra celle de l'immense majorité de mes collègues qui se sont exprimés à cette tribune : vous avez fait le choix de la liberté pour le partage des responsabilités sans traiter des questions d'intendance, et vous avez eu raison, monsieur le ministre, car, si le préalable financier avait été posé, nous n'aurions sans doute jamais été saisis de ce texte.

Toutefois, force est de reconnaître, monsieur le ministre, que vous risquez de ne pas être au chômage l'année prochaine, car nous aurons à construire ensemble une dynamique financière permettant aux collectivités d'assumer les responsabilités que vous leur confiez et qu'il ne faudrait pas leur reprendre en leur imposant un corset trop serré. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Paul Vergès.

M. Paul Vergès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si cette nouvelle phase de la décentralisation vise à adapter l'organisation territoriale aux exigences de l'époque actuelle, dans l'ensemble de l'outre-mer, elle n'a de sens que si elle constitue un levier pour l'égalité et pour le développement. Or le risque est grand que ce projet de loi ne conduise, outre-mer, à un divorce entre décentralisation et développement, divorce au regard de la loi du 19 mars 1946 qui, en permettant l'accès des « vieilles colonies » au statut de département, posa le principe fondamental d'égalité des territoires et des citoyens au sein de la République. Cette loi s'est traduite par une augmentation régulière des transferts publics au cours des décennies qui l'ont suivie et a marqué l'ouverture du processus de rattrapage en matière d'équipements publics.

Le risque est grand d'un divorce aussi au regard des lois de décentralisation de 1982 et de 1983, qui ont correspondu outre-mer à une nouvelle étape en termes de développement.

Nous craignons en effet que le désengagement programmé de l'Etat, inscrit tant dans le présent projet de loi que dans la politique générale du Gouvernement, n'ouvre une période inédite au cours de laquelle seraient mis en cause à la fois les acquis sociaux et les efforts déployés en faveur du développement de nos territoires.

Soyons clairs : au-delà des avancées formelles inscrites dans cette réforme en matière d'augmentation des responsabilités locales, le coeur de la problématique réside dans la question des moyens financiers et humains dévolus aux collectivités d'outre-mer pour faire face aux nouvelles compétences transférées.

Comment ignorer, dans l'appréciation de cette réforme, les nombreuses mesures intervenues dans la période récente qui témoignent toutes des velléités du Gouvernement de faire participer l'outre-mer à la politique de réduction des dépenses publiques ? Or toutes les mesures prises en métropole connaissent chez nous un développement infiniment plus grand.

Comment ne pas voir dans ce projet de loi le début de la fin d'une politique de rattrapage pourtant indispensable au développement de nos territoires ? Comment ne pas s'inquiéter de la conjonction entre cette nouvelle orientation de la politique nationale à l'égard de l'outre-mer et la réévaluation des politiques européennes à l'égard des régions ultrapériphériques, qui risque de se traduire pour l'outre-mer par une diminution du volume des fonds structurels ?

Dans ce contexte d'incertitudes, le présent projet de loi accroît l'inquiétude, surtout ses dispositions qui prévoient que la compensation des transferts de compétences se fera sur la base des dépenses antérieurement consacrées par l'Etat.

Un tel principe est inopérant à la Réunion. Il ne prend en compte ni les retards structurels ni surtout la dynamique démographique. Je crois exprimer l'opinion de l'ensemble des élus de la Réunion en alertant le Gouvernement et la représentation nationale sur ce point crucial : une approche dynamique de la compensation des transferts est d'une importance capitale pour l'outre-mer.

A défaut de mécanismes de rattrapage ou de réelle péréquation financière, cette réforme risque de se traduire pour l'outre-mer par une aggravation de ses retards structurels. De ce fait, les transferts de responsabilités se traduiront inéluctablement par des transferts de charges non compensés.

Il en sera ainsi de la réforme relative à la gestion du RMI. Dans une île où 67 000 foyers, soit près du cinquième de la population, sont tributaires de cette allocation et où le nombre de bénéficiaires augmente chaque année dans des proportions importantes, on imagine aisément les difficultés auxquelles sera confronté le conseil général.

M. Gérard Delfau. Eh oui !

M. Paul Vergès. Le décalage entre les moyens financiers transférés et les charges réelles risque de s'accroître et de mettre en péril, faute d'une réévaluation régulière, le droit même au RMI.

Il en sera ainsi également du transfert à la région de compétences en matière de routes nationales. La question des conditions de ce transfert en termes de ressources pose problème. Comment la région pourra-t-elle financièrement assumer ce transfert, alors que la simple mise aux normes de certains ouvrages à la Réunion exige plusieurs milliards de francs ?

En tout état de cause, en ce domaine, le transfert de compétences ne doit souffrir aucune ambiguïté et doit s'inscrire dans le prolongement du dispositif existant.

Il en sera également ainsi dans le domaine des transports collectifs, où le désengagement annoncé de l'Etat dans un secteur pourtant stratégique pour le développement durable intervient tandis que la Réunion étudie un important dispositif de transports collectifs.

La question du transfert de personnels de l'Etat vers les collectivités soulève également de multiples interrogations et de vives inquiétudes dans son application concrète outre-mer.

A la Réunion, le débat s'est focalisé sur le transfert imposé des TOS. Ce transfert de personnels de l'Etat vers les collectivités intervient chez nous dans des conditions tout à fait atypiques, du fait des disparités existant entre la fonction publique d'Etat et la fonction publique territoriale. Dès lors, les craintes exprimées par les personnels concernés sont tout à fait compréhensibles et légitimes.

De ce fait, c'est bien la question du principe de l'unité du service public de l'éducation nationale qui est posée. Comment les collectivités réunionnaises pourront-elles supporter le poids des créations de postes engendrées par la dynamique démographique, alors qu'elles doivent dans le même temps maintenir un rythme d'investissements élevé ? A la Réunion, en moyenne, le département fait construire chaque année deux collèges tandis que la région livre trois lycées tous les deux ans et que le schéma des services collectifs annonce pour notre université, qui compte actuellement 11 000 étudiants, 35 000 étudiants en 2020.

Ces conditions plaident en faveur, pour le département et la région de la Réunion, d'une exonération de l'application des dispositions organisant le transfert des TOS.

En définitive, monsieur le ministre, si la situation particulière de l'outre-mer n'est pas prise en compte, notamment du point de vue démographique, si une politique volontaire de l'Etat en faveur du rattrapage des retards accumulés par nos régions n'est pas mise en oeuvre, le risque est grand que cette réforme, combinée aux autres mesures du Gouvernement, ne renforce l'inquiétude, ne fragilise encore plus la confiance nécessaire au développement et qu'elle ne soit, en fin de compte, interprétée comme un recul de la solidarité nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - M. Gérard Delfau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Ernest Cartigny.

M. Ernest Cartigny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Alexis de Tocqueville, l'un des précurseurs de l'idée de décentralisation, nous a enseigné ceci : « Pour que les hommes restent civilisés ou le deviennent, il faut que, parmi eux, l'art de s'associer se développe et se perfectionne ».

Le projet de loi relatif aux responsabilités locales que nous examinons aujourd'hui vise, justement, à perfectionner notre système de décentralisation en donnant enfin aux acteurs locaux les outils et les moyens nécessaires à leurs missions.

Il est temps de rendre lisibles les actions et responsables ceux qui les entreprennent. Le centralisme est aujourd'hui vécu, à juste titre, comme un carcan qui étouffe les initiatives et entrave l'efficacité de l'action publique. L'examen de ce texte est une nouvelle étape dans la modernisation de l'Etat, réforme officialisée depuis la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, qui a inscrit le principe d'une République décentralisée dans notre Constitution.

Je me réjouis particulièrement que la région devienne une collectivité de plein exercice en matière de développement économique. A l'heure où l'économie française souffre d'un ralentissement inquiétant, dans une conjoncture internationale il est vrai depuis longtemps morose, il appartient aux pouvoirs publics de mettre en oeuvre les conditions favorables à l'initiative des agents économiques.

Dans cette perspective, le choix du cadre régional est approprié : cette collectivité est en effet la mieux placée pour optimiser les politiques territoriales d'aménagement, de développement économique et de formation.

A cet égard, avec l'instauration du schéma régional de développement économique, le projet de loi tend à mettre en place un outil de prévision afin de mieux coordonner l'intervention des différents acteurs du développement local.

Outre les collectivités, il est donc important d'y associer les entreprises et leurs représentants, les chambres consulaires.

La clarification des compétences entre collectivités est une autre avancée majeure. A chaque échelon institutionnel, elle doit permettre à chaque collectivité locale de se recentrer sur sa vocation principale. Qu'il s'agisse de nos concitoyens ou des agents économiques, la compréhension de la répartition des compétences relève de la gageure pour quiconque n'est pas un spécialiste du droit quelque peu obscur des collectivités locales. Pourtant, l'application réelle de la subsidiarité est également une avancée majeure attendue par nos concitoyens. La collectivité la plus experte agira au niveau le plus adéquat ; la pertinence des processus de prise de décision s'en trouvera améliorée. Pour résumer, l'action publique sera rationalisée.

Economiquement, cette clarification va dans le sens d'une simplification des dispositifs administratifs et réglementaires. Le transfert de l'Etat aux régions des outils d'intervention financière, prévu à l'article 2 du projet de loi, rapproche le bailleur de fonds des personnes ou groupements qui y prétendent. Or les régions bénéficient d'une connaissance plus approfondie et plus précise que quiconque des besoins économiques des entreprises installées dans leur ressort. Il s'agit donc d'un réel progrès que je tiens à souligner.

Par ailleurs, l'émergence d'une Europe des régions et la compétition entre ces dernières constituent aujourd'hui un défi à côté duquel nos collectivités ne doivent pas passer. Il nous appartient donc de mettre en place les conditions favorables pour que nos collectivités, au premier rang desquelles les régions, sauvegardent et surtout développent leur compétitivité économique.

Notre pays souffre de déséquilibres régionaux inacceptables aujourd'hui. Derrière cinq ou six régions phares, de trop nombreuses régions apparaissent désarmées face à l'émergence de cette Europe des régions. Que pèsent le Limousin ou l'Auvergne face à la Bavière ou à la Catalogne, qui jouissent quant à elles d'une autonomie juridique et financière suffisantes pour peser en Europe ? Nous devons donc agir dès aujourd'hui dans cet hémicycle pour que toutes les collectivités françaises trouvent leur place dans la compétition économique européenne et y participent à armes égales.

Mais rassurons les intégristes du centralisme jacobin. La nouvelle phase de décentralisation entamée depuis le mois de mars dernier ne privera pas l'Etat de ses prérogatives. L'une d'elles, la mise en place par le projet de loi de finances pour 2004 d'un fonds de solidarité économique, apportera une garantie non négligable en la matière, et le principe de péréquation, que celle-ci soit verticale ou horizontale, doit demeurer un axe essentiel de cette décentralisation.

Les carences éventuelles de certaines régions en matière d'aides ou d'interventions aboutiraient à une rupture d'égalité qui n'est pas acceptable. L'Etat demeure le garant ultime de l'égalité entre les territoires et, plus globalement, entre tous nos concitoyens.

Parallèlement, la décentralisation allège les charges financières de l'Etat. Le financement des nouvelles compétences, qui sera arrêté par le projet de loi de finances pour 2004, permettra de rationaliser la dépense publique. Nous le savons tous, la maîtrise des dépenses publiques est un impératif, voire une priorité en termes de gestion de l'Etat. Le transfert à l'échelon local des financements corrélatifs aux compétences transférées laisse entrevoir une gestion des interventions en meilleure adéquation avec les besoins réels des acteurs locaux. Laissons agir les collectivités avec leurs interlocuteurs directs, ce que l'Etat ne sait faire que trop partiellement. Encore une fois, le projet de loi semble équilibré en ce qu'il ne prévoit l'intervention de l'Etat qu'en cas de carence des collectivités.

Le texte que nous allons examiner procède à des avancées significatives, que l'on n'a que trop tardé à mettre en oeuvre. Au temps où Tocqueville réfléchissait sur les institutions, les corps intermédiaires apparaissaient comme des contrepoids significatifs à la toute puissance de l'Etat. L'époque actuelle a donc rendu caduc ce débat. Mais à l'heure de l'Europe et de la citoyenneté de proximité, les collectivités territoriales sont certainement les acteurs de premier plan les mieux à même d'oeuvrer à la satisfaction de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées du RDSE ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'approfondissement de la décentralisation de notre pays devait être la grande réforme annoncée par le Premier ministre. J'attendais cet acte II de la décentralisation avec la bienveillance et la sympathie de mes convictions. Hélas ! monsieur le ministre, votre projet de loi nous déçoit, comme il déçoit une partie de vos propres amis et, plus largement, nos concitoyens !

Pour réussir, une réforme doit être en phase avec les aspirations profondes des Français. Quand j'ai impulsé, avec Gaston Defferre, les lois de décentralisation de 1982 et de 1983, la France était, certes, un grand pays européen, qui tirait en partie sa puissance de celle de son Etat. Pour autant, la société française étouffait sous un centralisme excessif qui empêchait toute initiative locale. C'est sans doute ce carcan administratif centralisé, conjugué au poids de la ruralité et à l'émiettement excessif des communes, que les autres pays européens avaient déjà réussi à maîtriser, qui lui aura fait prendre avec retard les grands tournants industriels et urbains.

La réforme que nous avons engagée a libéré les énergies en rendant une part du pouvoir de l'Etat aux citoyens par l'intermédiaire des collectivités territoriales. Elle a fait souffler un vent de liberté et développé la démocratie participative, en permettant aux citoyens de prendre part aux décisions qui les concernent au plus près.

Elle a aussi enrichi notre organisation territoriale de l'apport d'une collectivité porteuse de dynamisme - je veux parler de la région - que les lois de 1982 ont créée et dont avaient su se doter avant nous les autres pays européens. Certes, les régions françaises ne sont ni les Länder allemands ni les régions italiennes ou espagnoles. Elles ne relèvent pas d'une démarche fédérale : elles s'inscrivent - et nous nous en félicitons - dans les valeurs de notre République. Mais elles ont su donner un souffle nouveau à l'organisation générale de la France. Aujourd'hui, bien qu'étant les plus jeunes des collectivités territoriales, elles apparaissent comme les plus dynamiques en raison non seulement de leurs compétences, mais aussi des potentialités non encore exploitées qu'elles détiennent pour l'avenir.

Les Français se sont emparés de ce mouvement décentralisateur et en particulier de la région, dont ils ne souhaitent pas pour l'instant que l'on redéfinisse le périmètre. Ils ont en effet eu le sentiment que les lois de 1982 et 1983 avaient été élaborées pour améliorer la qualité de leur vie quotidienne, notamment au niveau des services publics, tout en respectant les valeurs fondamentales de la République : son unité, d'abord, le principe d'égalité des citoyens devant la loi, ensuite. Cela explique, me semble-t-il, le succès de l'acte I de la décentralisation et la nécessité, vingt ans après, d'amplifier le mouvement.

Malheureusement je ne pense pas, monsieur le ministre, que le projet de loi que vous nous proposez aujourd'hui connaisse cette même adhésion. Je crains fort que ce qui aurait pu être une belle réussite ne soit en réalité un grand échec. En effet, à mes yeux, votre texte achoppe sur cinq points essentiels qui ne me permettent pas de l'approuver.

Premièrement, nous avons un doute terrible, et pas seulement au sein de la gauche : ce doute s'étend bien au-delà. En cette période d'aggravation des déficits de l'Etat, la plus grande incertitude pèse sur le financement des importants transferts de compétences qu'opère votre projet de loi. Je rejoins là l'éclatante démonstration qui a été faite par Bernard Frimat. En effet, renvoyer aux lois de finances annuelles leur financement, alors que le bouclage du budget de la nation se révèle chaque année plus difficile, ne peut que susciter l'inquiétude des élus, toutes tendances politiques confondues, à commencer par vos amis du Sénat, qui ont manifesté avec force auprès de vous leur souhait de transferts clairs.

Et ce d'autant que vous ne prévoyez aucune réforme réelle des finances locales. L'annonce d'un prochain texte sur l'autonomie financière des collectivités territoriales ne suffit pas. Je vous concède que, jusqu'à présent, aucun gouvernement n'a réussi à engager une réforme en profondeur de la fiscalité locale. Mais, quand on annonce des transferts aussi massifs, n'est-ce pas précisément l'occasion de la faire ? En tout cas, des dispositions financières devaient être prises avant d'organiser ces transferts. Vous avez d'ailleurs commencé par annoncer ces transferts, au point que vous avez donné l'impression que la décentralisation était surtout une façon pour l'Etat de se désengager.

Cette situation a conduit les sénateurs socialistes à demander au Premier ministre et au président du Sénat de surseoir à l'examen de ce projet de loi tant que des assurances sérieuses ne seraient pas données sur son financement, sur les impôts locaux, sur les dotations de l'Etat et sur la péréquation. Le Premier ministre n'a pas vraiment répondu à cette demande. En revanche, le président du Sénat - je tiens à le souligner - a reconnu, dans la réponse qu'il nous a adressée, que nous évoquions « un problème réel », qui se posera dans les prochaines semaines, les prochains mois, voire les prochaines années.

L'inquiétude demeure donc chez les élus et dans la population - elle est dans tous les journaux, elle s'étale partout ! ...

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Eh bien ! alors, si c'est dans le journal !

M. Pierre Mauroy. ... qui redoutent une augmentation massive des impôts locaux.

Je vous pose donc cette question, monsieur le ministre, en espérant obtenir une réponse : comment débattre de transferts d'une telle ampleur sans savoir précisément comment ils seront financés dans une période qui s'annonce particulièrement difficile pour les finances de l'Etat et où, finalement, l'Etat ne remplit pas toutes ses obligations ? Je ne veux pas en dire davantage, mais c'est un fait.

M. Gérard Delfau. Tout à fait !

M. Pierre Mauroy. Deuxièmement, vous ne simplifiez pas une organisation déjà complexe. Je l'ai dit, je demeure un partisan convaincu de la démarche décentralisatrice. Encore faut-il qu'elle réponde à des principes clairs.

Je ne m'appesantirai pas sur le détail des transferts de compétences que vous opérez en faveur des départements et des régions, Jean-Claude Peyronnet et Bernard Frimat ont très bien évoqué cette question. Je noterai simplement au passage que le département bénéficie plus de ces transferts que l'intercommunalité. C'est une étonnante et divine nouvelle, alors que certains, dont je ne partageais pas le point de vue, annonçaient déjà la fin du département : on espérait un rééquilibrage un peu général. Eh bien ! non, finalement, le département bénéficie, me semble-t-il, d'une cote tout à fait particulière : manifestement, c'est lui qui sort vainqueur de cette phase de la décentralisation. En tout cas, je le répète, il bénéficie plus de ces transferts que l'intercommunalité.

Nous souhaitions, vous le savez, une décentralisation s'appuyant sur les trois piliers que sont la région, la collectivité la plus moderne, le département, la collectivité la plus traditionnelle, jacobine a-t-on dit - nous pourrions en discuter, mais ce n'est plus tout à fait le moment -, et l'ensemble, j'y insiste, communes et intercommunalité, en pleine expansion non pas depuis vingt ans, mais depuis les lois Chevènement et celles du gouvernement Jospin. J'ai parcouru la France pendant vingt ans pour convaincre les maires d'adhérer à l'intercommunalité. Mais tous souhaitaient s'en tenir à leur territoire. Et puis, un miracle, ou presque, s'est produit. Vous le savez bien, d'ailleurs ! Je ne m'étendrai pas sur ce point, c'est ainsi ! De plus, nous aurions voulu en adapter les modes de scrutin. Je ne m'étendrai pas non plus à cet égard : cela nous paraissait nécessaire.

Par ailleurs, loin de rendre plus visible une organisation administrative qui s'est opacifiée au cours des années, vous avez fait le choix de la rendre plus complexe encore. Je me demande vraiment comment nos concitoyens vont s'y retrouver dans cet enchevêtrement de transferts, dont certains sont soumis à l'expérimentation, les autres à une convention, les derniers aux collectivités qui voudront bien les exercer.

Ce non-respect de fait des principes de répartition par blocs de compétences constitue une source de confusion énorme, qui ne peut que nuire à l'idée même de décentralisation dans l'esprit des Français.

MM. Jean-Pierre Sueur et Jean-Claude Peyronnet. Absolument !

M. Pierre Mauroy. Cette confusion, nous en reparlerons pendant longtemps et même, j'imagine, dans cette assemblée. Il y a de l'embrouille dans tout cela ! Personne n'a pu lire votre texte en ayant une idée claire de ce fameux acte II de la décentralisation.

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Si !

M. Pierre Mauroy. Eh bien ! je vous en félicite ! Mais attendez que soient intervenues la deuxième, voire la troisième lecture : nous verrons le résultat !

Troisièmement, vous ne donnez pas toutes ses chances à la région. Certes, vous vous inscrivez dans la logique régionale qui est celle des lois de 1982-1983, en dotant la région de compétences nouvelles et de pouvoirs renforcés qui, pour l'essentiel, vont dans le bon sens. Mais vous n'allez pas jusqu'au bout de cette logique ! Nous-mêmes, au départ, je le reconnais, n'avions pas permis à cette nouvelle institution pleine de promesses de prendre son envol en raison d'un mode de scrutin inadapté. Je l'ai longtemps regretté et j'ai immédiatement oeuvré pour qu'il en soit autrement. Le gouvernement de Lionel Jospin avait corrigé cette erreur. Vous la rééditez en départementalisant à nouveau son mode d'élection. Vous bridez ainsi l'émergence d'une nouvelle génération de responsables politiques, soucieux de développer des régions puissantes, capables de mettre en oeuvre la péréquation en leur sein, comme de rivaliser avec les grandes régions européennes.

Quatrièmement, vous ne procédez à aucune réforme de l'Etat. (M. le ministre délégué s'étonne.) Vous en parlez, mais on ne la voit pas ! C'est une autre absence regrettable de votre projet de loi. Or cette réforme de l'Etat est le corollaire indispensable de la démarche décentralisatrice. On pouvait procéder à l'acte I de la décentralisation sans véritablement approfondir la réforme de l'Etat que l'on nous avait annoncée. Mais là où vous en êtes et là où vous voulez aller, cette réforme est essentielle.

La décentralisation doit s'accompagner d'une déconcentration des services de l'Etat au niveau local ; je ne vois rien sur cette question dans votre texte, si ce n'est l'évocation du rôle du préfet de région. Or il est clair que l'Etat doit établir un schéma d'organisation de ses services en fonction des compétences exercées par les collectivités locales. Cette réforme de l'Etat est certainement aussi importante que la décentralisation elle-même : nous l'attendons !

Enfin, cinquièmement, vous persistez à méconnaître l'intercommunalité. Il s'agit de la raison principale de mon opposition à votre texte : c'est sa plus grave faiblesse. M'auriez-vous donné satisfaction sur tous les autres points que je viens d'évoquer, monsieur le ministre, que je ne pourrais pas voter un texte qui méconnaît totalement la « petite révolution » qu'a constituée, au cours de ces trois dernières années, à partir de la loi Chevènement et des décisions du gouvernement Jospin, cette formidable montée en puissance de l'intercommunalité. S'il y a eu un mouvement populaire au cours de ces trois dernières années, c'est bien celui-là ! C'est celui-là qu'il fallait « enfourcher », c'est avec lui qu'il fallait avancer. Or vous le méconnaissez superbement !

En effet, cette démarche neuve qui, pour les raisons que je vous ai indiquées, n'avait pas été possible dans les années quatre-vingt contribue aujourd'hui à donner une vigueur nouvelle à l'organisation territoriale de notre pays. Elle lui offre une chance exceptionnelle de se moderniser en renforçant ses pôles urbains, porteurs de projets viables et générateurs de progrès économique et social.

En refusant de vous adapter aux réalités de la France d'aujourd'hui, c'est une réforme pour une « petite France » que vous proposez. Vous parlez souvent de la France « d'en haut », de la France « d'en bas », mais vous oubliez le mouvement populaire, pouvoir réel qui vient des maires, dont vous dites vous-même que ce sont ceux qui sont les plus considérés dans la République ; c'était vrai hier et c'est encore vrai aujourd'hui. Vous faites, je le répète, une réforme pour une « petite France », bien loin de ce que vivent les Français et du dynamisme démocratique nouveau qu'ils attendent d'un nouveau processus de décentralisation.

En effet, en vingt ans, la géographie humaine de notre pays s'est profondément transformée. Désormais, 80 % des Français vivent dans des aires urbaines au sein desquelles les communes proches font preuve d'un grand dynamisme. Certes, votre projet de loi contient un certain nombre de dispositions destinées à améliorer la cohérence de la carte intercommunale en simplifiant les procédures de fusion des EPCI et en permettant la transformation des syndicats intercommunaux en communautés de communes. Elle sont bienvenues dans leur ensemble, mais elles n'apportent pas au phénomène en cours les réponses que l'on était en droit d'attendre.

Les chiffres sont impressionnants. Vous les connaissez bien d'ailleurs, monsieur le ministre, puisqu'ils proviennent de vos services. La France compte désormais 14 communautés urbaines, 143 communautés d'agglomération - dont 19 en Ile-de-France, où l'application de la loi s'était révélée plus complexe - et 2 360 groupements de communes à fiscalité propre, constitués de 29 740 communes qui rassemblent 48 814 256 habitants. Ces précisions émanent de vos services.

Je vous livre le commentaire qu'en fait le ministère de l'intérieur : « Les EPCI ont su faire la démonstration de leur capacité à faire face aux enjeux locaux, comme en témoigne la progression continue de la carte intercommunale. Leur légitimité est reconnue par tous, ils constituent un acteur à part entière du grand mouvement de décentralisation que le Gouvernement veut promouvoir ».

Un tel succès en un laps de temps si court aurait dû vous conduire à vous interroger, vous amener à formuler des propositions. Mais vous avez préféré ne pas en tenir compte lors de la révision constitutionnelle, en refusant aux EPCI la qualité de collectivités territoriales à part entière, au moins pour les communautés urbaines et les communautés d'agglomération.

Vous réitérez votre erreur aujourd'hui en leur refusant à nouveau toute nouvelle avancée significative, au grand dam notamment des communautés urbaines qui, au cours de leurs journées qui se sont tenues à Cherbourg les 23 et 24 octobre dernier, - c'est tout récent, et l'assistance était nombreuse - ont rappelé avec force leur volonté d'être reconnues comme un acteur essentiel du développement économique local, aux côtés de l'Etat et des régions, pour assurer un aménagement équilibré du territoire.

La région doit avoir la responsabilité d'un schéma régional sur le plan économique, c'est l'évidence. Je le vois dans ma commune, dans l'intercommunalité. Oui, tous reconnaissent la part que nous apportons à l'essor économique ; la méconnaître, c'est méconnaître complètement la réalité de la participation des communes, la réalité de la participation des intercommunalités.

J'aurai d'ailleurs l'occasion de défendre, dans la discussion des articles, un certain nombre d'amendements dans ce sens.

Vous étiez à Cherbourg, monsieur le ministre, et vous avez pu observer que nous tous, représentant les grandes métropoles de France, nous étions unanimes, y compris vos propres amis.

M. Claude Domeizel. Même Gaudin !

M. Pierre Mauroy. Ce que je dis à cette tribune, ils auraient pu tout aussi bien le dire, et certains l'ont fait. Certes, l'atmosphère était cordiale, mais vous étiez bien seul. (M. le ministre fait un signe dubitatif.) J'espère que vous avez retenu au moins ce qui vous a été dit, même si vous n'en tenez pas compte. Et vous savez comment la presse local a réagi !

Je plaide sur ce point parce que cela me paraît important et que vous devriez revoir vos positions.

On parle des innovateurs d'hier qui seraient devenus les conservateurs d'aujourd'hui...Je vois, moi, que les conservateurs d'hier restent conservateurs sur bien des points, et ce projet de loi de décentralisation le montre assez.

En tous les cas, sur ce point, la désapprobation était générale.

J'imagine qu'il en va des communautés de communes comme des communautés d'agglomération, même si le problème des communautés de communes, beaucoup plus complexe, exigera sans doute plus de temps pour que les grandes orientations et les grandes directives apparaissent clairement.

Personnellement, j'avais cru que le dialogue qui s'était instauré l'an dernier lors des journées des communautés urbaines, à Marseille, aurait nourri la réflexion du Premier ministre et vous aurait permis de renforcer la légitimité démocratique des structures intercommunales, appelées à exercer des responsabilités importantes, en proposant leur élection au suffrage universel. C'est ce qu'attendent les Français, au moins pour les communautés urbaines et pour les communautés d'agglomération. Il n'en est rien et je le regrette beaucoup. Vous venez de laisser passer une occasion rare d'approfondir la démocratie dans notre pays. Je doute que les Français approuvent cette tiédeur démocratique !

L'essor de la France ne pourra se faire sans que le ressort citoyen joue à plein, là où notre pays puise son dynamisme, c'est-à-dire, entre autres, au niveau des grandes agglomérations structurées au sein de leur région. Vous avez compris que mon intervention portait surtout sur cette part de la décentralisation.

Mois après mois sont publiés les tableaux d'attractivité des grandes métropoles européennes. Mais regardez-les ! Inutile de lancer des « cocoricos » pour les nôtres : quelques-unes seulement s'accrochent en haut du classement. Mais, pour qu'un jour la France puisse s'imposer dans une Europe de plus en plus urbanisée, il faut en avoir l'ambition et lui donner les moyens de bâtir de grandes métropoles ! Vous en aviez l'occasion, vous n'en avez pas saisi la chance.

Permettez-moi un dernier mot. Vous connaissez mon intérêt pour la coopération transfrontalière : rien n'est encore prévu dans votre projet de loi à ce sujet. Je présenterai, avec le groupe socialiste, un amendement tendant à permettre aux collectivités territoriales françaises et à leurs groupements ainsi qu'aux collectivités des Etats limitrophes d'organiser, par l'intermédiaire de syndicats mixtes, ou d'autres structures, des services publics d'intérêt commun pour mieux répondre aux besoins des habitants qui vivent de part et d'autre de la frontière. M. le ministre de l'intérieur a l'intention, paraît-il, de faire des propositions dans ce sens,...

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'est vrai !

M. Pierre Mauroy. ... s'inspirant d'ailleurs de l'accord de Karlsruhe. L'occasion sera belle, dans quelques heures, à Lille, en présence du Roi des Belges, de confirmer finalement ces intentions. Nous verrons !

Monsieur le ministre, votre projet de loi manque d'ambition. Il n'est pas suffisamment tourné vers l'avenir. C'est une pâle copie de l'acte I de la décentralisation. Vous n'avez pas saisi toute la promesse qui devait être la vôtre. Il y avait un ajout formidable à apporter à cette décentralisation. Manifestement, vous ne le faites pas.

Ce qui devait être l'acte II de la décentralisation restera dans l'histoire comme celui des occasions manquées, alors que notre pays bouge, et vite. Vous avez d'ailleurs bien senti que vous passiez à côté de ce formidable mouvement historique puisque, subrepticement, vous avez changé l'intitulé de votre projet de loi.

On a parlé de l'acte II de la décentralisation. On a même travaillé sur un texte relatif à la décentralisation. Vous avez changé et le titre et le sujet. Il s'agit non plus d'un projet de loi relatif à la décentralisation, mais d'un projet relatif aux responsabilités locales. Vous avez finalement préféré faire une loi qui tient plus de l'organisation administrative que de l'acte II de la décentralisation. Car vous introduisez une distance, voire une incompréhension entre les citoyens et l'idée de la décentralisation.

S'il en était autrement, vous entendriez la rumeur venant du pays, et de nos collectivités, venant de nos concitoyennes et de nos concitoyens. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Mais si ! Or vous n'entendez pas grand-chose ! Ce que nous entendons, en revanche, c'est l'éloquence du Premier ministre, et la vôtre, aussi, et celle de bien d'autres encore, mais sans plus.

Décentraliser n'est pas, comme vous semblez le croire et comme vous le faites, transférer des compétences aux collectivités territoriales pour décharger l'Etat de ce qu'il ne veut et ne peut plus faire : cela a pour nom « démantèlement de l'Etat », « accroissement des inégalités », « confusion des responsabilités ».

Décentraliser, monsieur le ministre, c'est approfondir la démocratie en rapprochant le pouvoir des citoyens ; c'est moderniser le pays en développant ses atouts les plus prometteurs.

Vous vous êtes arrêté en chemin. La décentralisation vous a essoufflé ! C'est pourquoi ni moi ni mon groupe ne voterons votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.