Article 42 bis A

Sauf en cas de menace pour l'ordre public, dûment motivée, les étrangers qui résident hors de France et qui ont obtenu l'abrogation de la mesure d'expulsion dont ils faisaient l'objet ou ont été relevés de leurs peines d'interdiction du territoire français ou encore dont les peines d'interdiction du territoire français ont été entièrement exécutées ou ont acquis un caractère non avenu, bénéficient d'un visa pour rentrer en France, lorsque, à la date de la mesure ou du prononcé de la peine, ils relevaient, sous les réserves mentionnées par ces articles, des catégories 1° à 4° des articles 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 précitée ou 131-30-2 du code pénal, et qu'ils entrent dans le champ d'application des 4° ou 6° de l'article 12 bis ou dans celui de l'article 29 de ladite ordonnance.

Lorsqu'ils ont été condamnés en France pour violences ou menaces à l'encontre d'un ascendant, d'un conjoint ou d'un enfant, le droit au visa est subordonné à l'accord des ascendants, du conjoint et des enfants vivant en France.

Ces dispositions ne sont applicables qu'aux étrangers ayant fait l'objet d'une mesure d'expulsion ou d'une interdiction du territoire français devenue définitive avant l'entrée en vigueur de la présente loi.

Article 42 bis

Dans le délai de cinq ans suivant la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l'application de la réforme des règles de protection contre les mesures d'expulsion et les peines d'interdiction du territoire français issue de ladite loi.

Article 44 ter

Les dispositions prévues à l'article 8 et au 3° de l'article 31 bis de la présente loi entreront en vigueur le 1er janvier 2004. Toutefois, les dispositions de l'article 12 ter de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 précitée telle que modifiée par la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 précitée resteront en vigueur pour ce qui concerne les demandes d'asile territorial déposées en application de l'article 13 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile dans sa rédaction issue de la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 précitée.

Article 44 quater A

I. - Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à procéder, par ordonnance, à l'adoption de la partie législative du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France.

Le code de l'entrée et du séjour des étrangers en France regroupe et organise les dispositions législatives relatives à l'entrée, au séjour et au droit d'asile des étrangers en France.

Les dispositions codifiées sont celles en vigueur au moment de la publication de l'ordonnance sous la seule réserve des modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés et harmoniser l'état du droit.

II. - L'ordonnance prévue au I sera prise dans les douze mois suivant la publication de la présente loi.

Un projet de loi de ratification sera déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication de l'ordonnance.

Article 44 quater

Il est créé une commission composée de parlementaires, de représentants de l'Etat et des collectivités territoriales ainsi que des acteurs socio-économiques, chargée d'apprécier les conditions d'immigration en Guyane et de proposer les mesures d'adaptation nécessaires.

La première réunion de cette commission est convoquée au plus tard six mois après la publication de la présente loi.

Un décret fixe les modalités d'organisation et de fonctionnement de cette commission.

Article 44 quinquies

Il est créé une commission composée de parlementaires, de représentants de l'Etat et des collectivités territoriales ainsi que des acteurs socio-économiques, chargée d'apprécier les conditions d'immigration à La Réunion et de proposer les mesures d'adaptation nécessaires.

Un décret fixe les modalités d'organisation et de fonctionnement de cette commission.

M. le président. Nous allons maintenant examiner les amendements qui ont été déposés.

ARTICLE 2

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Courtois, est ainsi libellé :

« Au début du dernier alinéa de cet article, après les mots : "Un décret en Conseil d'État fixe", supprimer les mots : ", en tant que de besoin,". »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. J'ai déjà défendu cet amendement, comme les deux autres amendements, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement, ainsi que sur les amendements n°s 2 et 3.

M. le président. Le vote est réservé.

ARTICLE 6

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Courtois, est ainsi libellé :

« Dans le dernier alinéa de cet article, substituer aux mots : "la Communauté européenne" les mots : "l'Union européenne". »

Cet amendement a déjà été défendu, et le Gouvernement a émis un avis favorable.

Le vote est réservé.

ARTICLE 19 bis

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Courtois, est ainsi libellé :

« Dans la dernière phrase du premier alinéa de cet article, après les mots : "les deux premiers alinéas de l'article L. 364-3 et", insérer les mots : "par l'article". »

Cet amendement a déjà été défendu, et le Gouvernement a émis un avis favorable.

Le vote est réservé.

Personne ne demande la parole sur l'un des articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire ?...

Vote sur l'ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Gouvernement aurait pu proposer les amendements que nous venons de découvrir.

Je n'ai pas d'observation particulière à formuler sur les amendements n°s 2 et 3. En revanche, l'amendement n° 1 nous ôtera l'un de nos nombreux arguments. Ce n'était pas le plus important, et c'est pourquoi je ne l'avais pas indiqué tout à l'heure dans la liste des motifs de notre recours devant le Conseil constitutionnel. En effet, dire qu'un décret en Conseil d'Etat fixe « en tant que de besoin » est une première : ou bien on prévoit un décret en Conseil d'Etat, ou bien on ne le prévoit pas. La précision « en tant que de besoin » aurait sûrement été censurée par le Conseil constitutionnel. Nous comprenons donc que vous la supprimiez.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, en ne retenant que les amendements ayant reçu l'accord du Gouvernement.

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

6

RESPONSABILITÉS LOCALES

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 4, 2003-2004) relatif aux responsabilités locales. [Rapport n° 31 (2003-2004) ; avis n°s 32, 34, 33 et 41 (2003-2004).]

Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je me réjouis que le Gouvernement ait déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat ce texte majeur de l'acte II de la décentralisation. J'y vois une nouvelle reconnaissance du rôle essentiel que joue le Sénat dans le domaine des libertés locales, ainsi qu'en témoigne également votre présence, monsieur le Premier ministre, une présence à laquelle nous sommes très sensibles.

Les nouvelles dispositions de l'article 39 de la Constitution issues de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 prévoient, vous le savez, que les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales sont désormais soumis en premier lieu à notre assemblée.

Vous me permettrez à cette occasion de le rappeler à nouveau : le Sénat, assemblée parlementaire à part entière et aussi représentant constitutionnel des collectivités territoriales de la République, a joué un rôle clé, un rôle d'anticipation dans les réflexions préparatoires à cette révision constitutionnelle que nous avons marquée de notre empreinte.

Je ne doute pas que le Sénat se livrera à un examen approfondi de l'important projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis.

La décentralisation est un enjeu fondamental de la réforme de l'Etat ; elle en constitue même la pièce maîtresse. Nous devons sans cesse nous poser la question du meilleur niveau de décentralisation, du meilleur périmètre de transfert de compétences pour rapprocher les lieux de prise de décision des citoyens et favoriser de nouvelles solidarités entre les territoires.

Par-delà nos appartenances politiques, par-delà nos sensibilités, nous ne manquerons pas de veiller tous avec la plus grande vigilance au respect des principes fondamentaux de la décentralisation inscrits dans notre Constitution, en particulier l'autonomie financière des collectivités territoriales et la stricte compensation financière des transferts de compétences.

Comme je l'ai déjà dit dans d'autres circonstances, la décentralisation, qui constitue un véritable projet de société, doit s'effectuer sur des bases financières saines, sûres et sereines. Elle ne saurait se réduire à un simple transfert de prélèvements obligatoires et encore moins à une opération de délestage de l'Etat.

Formons le voeu que le grand débat qui s'ouvre aujourd'hui s'enrichisse de l'expérience de terrain de l'ensemble des sénateurs pour permettre au Sénat d'apporter une contribution essentielle à la réussite de cette nouvelle étape décisive de la décentralisation.

Mes chers collègues, nous sommes au début d'un grand marathon parlementaire de plusieurs semaines ; plus de 1 200 amendements sont en effet à examiner, et de la façon la plus sérieuse qui soit, comme d'habitude.

Place maintenant au débat.

Je donne donc immédiatement la parole à M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, que je remercie de nouveau d'être venu présenter lui-même, devant la Haute Assemblée, cet important projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieurs le secrétaire d'Etat, mesdames, messieurs les sénateurs, le gouvernement que je conduis, conformément aux orientations du Président de la République, est un gouvernement de mission.

Notre mission est de réformer notre pays pour lui permettre de tenir son rang dans la compétition non seulement européenne, mais aussi mondiale, et pour permettre aux enfants de notre pays d'avoir un avenir plus sûr, plus chaleureux, aussi. Telle est l'ambition qui nous conduit à vouloir mener des réformes structurelles afin d'adapter notre pays aux temps modernes et faire en sorte que la France vive à l'aise dans le xxie siècle.

Ces réformes, je les ai développées dans mon discours de politique générale ; je me tiens à cette feuille de route.

En 2002, le rétablissement de l'autorité de l'Etat républicain a été, vous le savez, notre priorité, qu'il s'agisse de la sécurité, de la justice ou de l'armée. Je voudrai, saluer, dix-huit mois plus tard, l'action du Gouvernement, notamment celle de M. Nicolas Sarkozy, qui est ici présent, mais aussi celle de M. Dominique Perben et de Mme Michèle Alliot-Marie, bref l'action de tous ceux qui, à la tête des ministères régaliens, font en sorte que l'Etat puisse réaffirmer son autorité sur l'ensemble du territoire national. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Nous avons à conduire cinq grandes réformes essentielles pour l'avenir du pays. Ces cinq chantiers structurels, vous les connaissez : sauver les retraites ; décentraliser et réformer l'Etat ; améliorer les conditions de l'accès au travail ; sauver l'assurance maladie ; faire évoluer notre système éducatif.

S'agissant des retraites, nous avons construit une réforme à la hauteur des enjeux auxquels est confronté notre pays. D'ici à l'horizon 2020, les problèmes sont résolus : nous avons prévu les rapports d'étape nécessaires.

Il nous faut aussi assurer de meilleures conditions d'accès au travail. Dans cette perspective, nous avons engagé des réformes importantes. Dans le projet de loi de finances pour 2004, nous prévoyons 17 milliards d'euros d'allégement de charges.

Mais les réformes sont aussi structurelles : je pense à celle de la formation professionnelle ; je pense à l'accord récemment signé avec les partenaires sociaux. Alors qu'on nous annonçait une rentrée difficile,...

M. Henri de Raincourt. Brûlante !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. ... les partenaires sociaux se sont engagés sur un droit nouveau, le droit individuel à la formation, qui va permettre aux salariés d'accéder à la formation, tout au long de leur vie professionnelle et, ce faisant, de renforcer leur protection dans le monde du travail. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) C'est que, en effet, la formation professionnelle sera l'une des sécurités sociales de ce xxie siècle.

Il nous faut aussi avancer sur les relations sociales, sur la réforme du droit du travail. Les conclusions du rapport de M. Virville seront mises en oeuvre dès le début de l'année prochaine.

Nous avons enfin engagé une réforme de l'assurance-maladie pour sauver la sécurité sociale menacée par les déficits.

M. Guy Fischer. On n'en prend pas le chemin !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. C'est la raison pour laquelle, comme l'avait fait le gouvernement précédent, c'est-à-dire à partir d'un travail d'expert - je pense au Conseil d'orientation des retraites, le COR -, nous avons créé un Haut Conseil de l'assurance maladie chargé d'établir un diagnostic partagé. A partir de ce diagnostic, nous pourrons engager les négociations nécessaires qui nous permettront d'accomplir cette réforme avant l'été.

J'en viens à la dernière réforme, non moins importante que les précédentes, celle de la décentralisation, à laquelle est liée - les membres de la Haute Assemblée le savent mieux que quiconque - la réforme de l'Etat. Avec le texte qui est proposé par le Gouvernement, par moi-même, par M. Nicolas Sarkozy et par M. Patrick Devedjian, nous franchissons aujourd'hui une étape décisive.

La première étape était constitutionnelle ; désormais, notre République se vivra différemment, puisque « l'organisation de la République est décentralisée ».

Monsieur le président, vous avez souvent manifesté votre ambition pour la décentralisation, mais vous l'avez toujours assortie d'une grande prudence financière. Vous avez à présent devant vous un gouvernement qui vous donne deux garanties et d'abord la plus belle de toutes les garanties juridiques : la Constitution ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Aujourd'hui, aux termes de la Constitution, il n'est plus possible de transférer une charge aux villes, aux départements ou aux régions sans transférer les financements afférents.

M. Jean-Pierre Masseret. Cela a toujours été le cas !

M. Guy Fischer. Nous en reparlerons !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. C'est désormais inscrit dans la Constitution et c'est la meilleure garantie qu'un gouvernement puisse offrir et aux assemblées et à l'ensemble des acteurs locaux de ne plus subir de transfert de charges non financés, c'est-à-dire d'augmentations d'impôts locaux à retardement ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Cette protection constitutionnelle est essentielle !

M. Jean-Guy Branger. Bravo !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Mais nous avons fait en sorte qu'il y ait une seconde protection, une seconde garantie. En effet, à la fin de cette année et au début de l'année 2004, dès que le Parlement aura décidé des transferts de compétences inhérents aux projets de loi qui lui seront soumis, nous pourrons évaluer le coût de ces transferts et ajuster les financements en conséquence dès la loi de finances pour 2005. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Valade. C'est la bonne méthode !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Voilà une double sécurité qui, je crois, vous permettra d'engager cette réforme de la décentralisation avec enthousiasme,...

Mme Nicole Borvo. Personne ne semble vraiment enthousiaste, ici !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. ... sans réserve, et avec audace. Aujourd'hui, l'ensemble des Etats européens fait confiance à leurs territoires pour développer la dynamique locale, pour faire en sorte que les forces vives puissent mieux s'exprimer. La décentralisation fait partie, aujourd'hui, de la mobilisation des peuples d'Europe.

Tel est d'ailleurs bien l'esprit dont j'ai trouvé empreint l'ensemble de vos travaux, notamment ceux de la commission des lois, de son président, M. René Garrec, et de son rapporteur, M. Jean-Pierre Schosteck. J'exprime ma profonde gratitude à ce dernier pour la qualité de son rapport, ainsi que pour cette audace décentralisatrice qui apparaît dans ses conclusions. Ma gratitude va également aux quatre rapporteurs pour avis, Mme Annick Bocandé, ainsi que MM. Michel Mercier, Philippe Richert et Georges Gruillot.

Ces travaux s'inspirent d'ailleurs des rapports précédents. Je pense aux rapports de MM. Mercier et Delevoye ; je pense naturellement aussi au rapport de M. Mauroy, dont j'ai l'impression de m'inspirer ici beaucoup ! (Protestations amusées sur les travées du groupe socialiste.)

Plusieurs sénateurs de l'UMP. Point trop n'en faut !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Visiblement, d'un côté, on trouve que ce n'est pas assez, de l'autre, on trouve que c'est trop ! Cela doit vouloir dire que c'est bien ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Je voudrais également saluer le travail du président Jean François-Poncet, qui a toujours conjugué décentralisation et aménagement du territoire, deux fonctions distinctes mais qui méritent d'être, en permanence, considérées simultanément.

L'objectif du Gouvernement est triple : le Gouvernement veut responsabiliser ; le Gouvernement veut libérer ; le Gouvernement veut réformer.

Responsabiliser, d'abord. Les Français, vous le savez mieux que quiconque, en ont assez de l'impuissance publique, de ces guichets administratifs où l'on se renvoie la balle de l'un à l'autre. C'est pourquoi ce projet de loi de décentralisation a d'abord pour objet de confier des responsabilités.

La dignité de l'élu réside dans l'exercice de la responsabilité, cette responsabilité qui consiste à lever l'impôt et à affecter son produit, avec une sanction : celle de l'électeur. Nous voulons donc organiser cette responsabilité autour des deux couples dont nous avons souvent parlé : le couple Etat-région, pour les fonctions de cohérence, d'orientation, de développement, de programmation, et le couple département-communes avec l'intercommunalité dans sa globalité, pour l'ensemble des politiques de proximité et de solidarité. C'est, je crois, très important d'avoir cette démarche double de la cohérence et de la proximité.

Un pays comme la France ne doit pas se passer de l'exigence de la cohérence ; à défaut, nous irions vers la dispersion, voire l'éclatement.

Mais, de même que nous ne pouvons pas nous passer de la cohérence, nous ne pouvons pas nous dispenser de la proximité. C'est pour cela qu'il nous faut ces deux couples, le couple de la cohérence Etat-région, le couple de la proximité département-communes et intercommunalité. C'est ce que nous voulons développer par notre réforme.

Nous voulons également libérer l'ensemble des marges de manoeuvre qui sont aujourd'hui nécessaires sur le territoire. Grâce aux transferts de compétences et à une meilleure prise en charge des responsabilités, vous serez porteurs d'une dynamique qui, j'en suis sûr, sera plus égalitaire que celle d'un Etat trop centralisé. Régulièrement, des citoyens nous font part de leur crainte que la décentralisation n'engendre des inégalités entre les territoires...

Plusieurs sénateurs socialistes. C'est même certain !

M. Gérard Delfau. Ils ont raison !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. ... comme si, aujourd'hui, les lycéens des ZEP avaient les mêmes chances que ceux qui sont inscrits dans les plus grands lycées parisiens ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Gournac. Eh oui !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. La décentralisation a corrigé bien des disparités. (Nouveaux applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.) Parce qu'elle préfère l'égalité à l'égalitarisme, la décentralisation accompagne les personnes, et la gestion des proximités permet de mieux corriger les inégalités.

M. Alain Gournac. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. La décentralisation permettra cette dynamique d'une action publique proche du citoyen, plus à même d'organiser aujourd'hui sa promotion, notamment par l'exercice des compétences.

L'exemple des collèges et des lycées montre que ce ne sont pas les territoires les plus fragiles qui ont fait le moins d'efforts pour leurs équipements éducatifs, pour la mobilisation de leurs jeunes et pour la réduction des inégalités ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Delfau. A quel prix !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Ce sont eux qui doivent être encouragés. C'est pour cela que nous avons bâti un système de péréquation financière...

MM. Gérard Delfau et Jean-Pierre Sueur. Où est-il ?

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. ... afind'aider les territoires. Ces derniers nous permettront ainsi d'organiser cette justice financière qui doit accompagner tout exercice des libertés territoriales. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

On le sait bien, à force de vouloir tout faire, l'Etat a fini par négliger ce que lui seul peut faire. La décentralisation doit être le choc qui lui permettra de se recentrer sur ses missions principales.

L'Etat demeurera, au niveau local, acteur et opérateur en matière de sécurité, de justice, d'emploi, d'éducation, de fiscalité, de santé publique, ainsi qu'en ce qui concerne les équipements structurants à l'échelle nationale, l'équilibre entre les territoires ou les interventions en cas de crise. Dans les autres domaines, il restera le garant de la norme législative en amont, et de l'évaluation ou du contrôle en aval, mais ce sont les collectivités territoriales qui assumeront les responsabilités.

L'Etat ne doit pas chercher à garder des compétences résiduelles ou des outils amputés et à regagner, par le biais des administrations, les transferts qui auront été effectués par la loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Je souhaite qu'ensemble nous soyons vigilants afin que la décentralisation soit réalisée par blocs entiers de compétences et que ne subsistent pas ces « morceaux » de compétences justifiant les croisements les plus inefficaces et quelquefois, hélas !, les plus coûteux.

Grâce à cette décentralisation, nous pourrons enfin réformer l'Etat avec une vision claire de notre organisation républicaine. C'est ce qui nous paraît le plus important. L'Etat doit assumer ses fonctions régaliennes avec autorité, sans arrogance mais avec force, et faire confiance aux collectivités territoriales : ce ne doit pas être un Etat méfiant qui, par différents contrôles, laisse penser en permanence qu'il agirait mieux que ceux auxquels il a conféré des compétences. L'Etat doit assumer ses responsabilités avec clarté et fermeté et, dans le même temps - en confiance et avec respect -, confier des responsabilités aux collectivités locales.

Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas le texte !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Nous pourrons ainsi démontrer dans notre pays que, grâce à l'action locale, la politique peut se réconcilier avec les citoyens. On sait bien, en effet, que les élus locaux sont les plus proches des citoyens, que la République est mieux considérée s'il s'agit d'une action locale réalisée par le maire sur le terrain. C'est donc de cette crédibilité qu'il nous faut nous inspirer pour réformer l'ensemble de notre appareil national.

Nous pourrons mener cette réforme de l'Etat en recentrant ses responsabilités, en prenant des initiatives et en faisant confiance aux décisions des élus locaux au niveau des villes, des communautés urbaines, des agglomérations, des départements et des régions.

Je voudrais vous dire combien cela me paraît important dans la nouvelle Europe qui est en train de se dessiner. Nous sommes en effet à la veille d'une Europe du xxie siècle. Elle sera peut-être dotée d'une constitution et d'institutions différentes, qui donneront à cet espace agrandi de plus de 400 millions d'habitants des responsabilités importantes. Mais celles-ci risquent d'être lointaines et bureaucratiques.

L'Europe aura besoin de s'appuyer sur les collectivités territoriales et de décentraliser la gestion de fonds comme le Fonds européen de développement régional, le FEDER, et quelques autres interventions européennes au plus près du terrain. Ainsi, elle pourra être proche des citoyens et se sentir en harmonie avec les initiatives des collectivités territoriales.

Avec ce projet de loi, nous parachevons notre dispositif de décentralisation.

Le premier élément de cette architecture est la loi constitutionnelle. Celle-ci donne des garanties, montre le cap et permettra désormais au Conseil constitutionnel d'intervenir à chaque fois qu'une loi ne prendra pas en compte la décentralisation ou qu'un transfert sera décidé sans les financements correspondants destinés à libérer les collectivités territoriales de toute charge supplémentaire.

Les autres éléments de cette architecture sont les deux textes d'organisation, à savoir la loi relative à la démocratie de proximité et la loi organique relative au référendum local. Elles sont très importantes à la fois pour les collectivités territoriales et pour l'Etat. Les consultations qui seront organisées prochainement, outre-mer, qui permettront aux citoyens de s'exprimer sur l'avenir de leur organisation territoriale.

C'est une démocratie vivante que nous voulons développer grâce à la décentralisation. Pour y parvenir, vous avez adopté le texte relatif à la démocratie de proximité et le projet de loi organique relatif à l'expérimentation par les collectivités territoriales.

L'expérimentation est le moyen de tester, d'évaluer et de lever des craintes afin d'avancer sur la voie de la décentralisation.

Nous avons connu, sous le précédent gouvernement, l'aventure du transport express régional, le TER. Quelques-uns d'entre nous étaient sceptiques, car ils entrevoyaient les difficultés qui se poseraient sur le terrain lors de cette régionalisation du transport ferroviaire. Puis nous avons procédé une expérimentation dans plusieurs régions, ce qui nous a permis de mesurer les difficultés, les problèmes de financement et d'organisation qui se dessinaient. Progressivement, les partenaires sociaux ont pris en considération cette réforme. Alors qu'ils y étaient opposés au départ, la pratique l'a finalement emporté sur l'idéologie. Cette réforme a gagné des adhésions, car elle est apparue de plus en plus concrète et opérationnelle. La régionalisation du TER est ainsi devenue un acquis et a pu être généralisée.

Il nous fallait finaliser ce troisième texte important afin de mettre en place cette capacité d'expérimentation. De grandes réformes ne pourront se faire dans notre pays que grâce au dynamisme des régions, des départements et des communes. Cette expérimentation nous permettra de lever les obstacles à la réforme, qui tiennent en général à la crainte, à la peur, et que le pragmatisme peut permettre de surmonter.

Le quatrième texte, celui qui vous est présenté aujourd'hui, est relatif aux transferts de compétences et constitue sans doute le texte clé. M. Nicolas Sarkozy vous en exposera les grandes lignes dans un instant.

Le cinquième et dernier texte est le projet de loi organique visant à définir notre conception de l'autonomie financière des collectivités territoriales, que vous avez souhaitée lors des débats qui ont eu lieu dans cet hémicycle. Nous voulons accorder aux collectivités locales un degré très important d'indépendance et faire en sorte que, au moment où on les libère de certaines tutelles administratives, elles ne soient pas soumises à d'autres tutelles, financières cette fois.

Le projet de loi organique revêt donc une grande importance. Je remercie d'ailleurs tous ceux, notamment Jean-Pierre Fourcade, qui, par leur travail, ont nourri cette réflexion et permis au Gouvernement d'insérer dans le débat ce projet de loi organique. Nous nous étions engagés à ce que le projet de loi organique soit rendu public avant le début du débat. C'est chose faite. Il pourra donc nourrir vos réflexions sur l'ensemble destextes proposés.

Enfin, sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement est ouvert aux amendements et aux améliorations qui pourront être apportés à ce texte. La Haute Assemblée a une grande expérience de la vie des collectivités territoriales, de la décentralisation. Je voudrais vraiment vous convaincre que, partout où se dégageront des consensus fondés sur l'expérience, le Gouvernement sera prêt à aller plus loin.

Nous souhaitons éviter les querelles entre les échelons, qui conduisent souvent à des paralysies. Nous voulons rassembler les forces de la décentralisation, les installer dans des logiques de projets plutôt que de structures. Ce qui compte pour la France du xxe siècle, c'est que de nos territoires jaillissent des projets portés par différentes structures. Mais l'essentiel est que le projet devance la structure, que nos raisonnements soient ceux des projets et non pas seulement ceux des structures. Evitons les égoïsmes de structures, évitons les frilosités que peut engendrer aujourd'hui la complexité de la décentralisation.

Nous sommes en fait en train d'organiser le service public. Nous parlons de décentralisation ; mais ce qui compte, pour le citoyen, c'est le service : le service de formation, le service rural, le service de développement. C'est de ces services et de cette proximité qu'il faut parler aux citoyens.

Je compte sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour vous engager avec audace dans cette réforme. La France a en effet besoin de la dynamique des collectivités territoriales pour tenir sa place dans la nouvelle Europe.

Je compte donc sur vous pour faire preuve de ce dynamisme, de cette audace. Une opportunité formidable nous est offerte aujourd'hui. Les lois sont essentielles, mais, ce qui compte, c'est ce que nous en ferons tous sur le terrain, l'Etat à sa place, et les collectivités à la leur.

En conclusion, je vous livrerai ma conviction. La société vers laquelle nous nous dirigeons n'est pas, hélas ! une société de la simplification extrême. Il est pourtant nécessaire de simplifier nos procédures. Mais aujourd'hui, chaque citoyen veut être reconnu pour lui-même, chaque collectivité territoriale veut être reconnue pour elle-même, et les uns et les autres veulent que leur identité soit reconnue. Nous sommes Normands, bien sûr, mais nous sommes de la Basse-Normandie ; nous sommes de la Basse-Normandie, mais nous sommes du Bocage ; nous sommes du bocage, mais nous sommes de Crèvecoeur et pas d'ailleurs ! Nous avons partout une spécificité, et c'est ce qui fait la force et le charme de la France ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Il faut la préserver et la défendre. Néanmoins, si l'on traite comme on le doit chaque territoire et chaque Français avec leur identité propre, l'ensemble de nos processus publics deviennent complexes, la seule véritable réponse à la complexité, dans la société moderne, étant la proximité.

C'est donc en traitant les sujets sur le terrain au plus près du citoyen que nous pourrons concilier, aujourd'hui, la dynamique et la justice. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'ensemble du Gouvernement, Patrick Devedjian et moi-même nous sommes engagés sans réserve sur ce projet de réforme souhaité par M. le Premier ministre. Nous aurons à coeur de le mener à son terme, car nous avons la conviction que, pour notre pays, cette exigence doit et peut transcender les clivages politiques.

La décentralisation ne doit pas être l'otage des calculs politiques. Confier des responsabilités claires et au bon niveau, donner aux électeurs la chance de savoir exactement pour qui ils votent et pourquoi, mieux organiser les responsabilités locales, voilà le travail qui est le nôtre.

Les discussions qui ont eu lieu cette année sur la réforme constitutionnelle ont parfois été animées. Le débat a été vif, ce qui est une bonne chose.

M. le Premier ministre peut d'ailleurs en porter témoignage. En effet, lorsqu'il a décidé d'engager le Gouvernement dans cette réforme sur la décentralisation, les commentateurs affirmaient que le sujet n'intéresserait et ne mobiliserait personne. Or c'est tout le contraire qui s'est produit. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) La mobilisation a été vive et des inquiétudes, c'est vrai, ont été exprimées. Mais elles sont normales et naturelles. Après tant d'années de défiance, il n'est pas aisé de réunir les conditions de la confiance.

Je tiens particulièrement à remercier Patrick Devedjian pour le travail qu'il a engagé. S'il fallait résumer nos ambitions au début de ce débat, j'utiliserais trois mots : clarté, loyauté et ouverture.

La clarté est le maître mot du projet de loi. Je ne reviendrai pas sur les principes que M. le Premier ministre vous a exposés. Si le projet de loi comporte 126 articles, le Gouvernement a néanmoins été soucieux de respecter le souhait de simplification exprimé au cours de tous les débats et sur l'ensemble des travées de cet hémicyle. Aucune réunion d'élus n'a eu lieu sans que l'on entende le mot « simplifier ». Je note que si ce travail avait été fait plus tôt, on ne nous le réclamerait pas avec la même force. (C'est vrai ! sur les travées de l'UMP.)

Mais la simplification - vous avez été nombreux à nous le dire - ne doit pas conduire au simplisme, et encore moins à la brutalité. Et c'est là que réside toute la difficulté. Comment simplifier sans être brutal ? La France n'est pas une page blanche. Elle hérite de siècles d'histoire. Gardons-nous de réformes prétendument parfaites qui régleraient tout d'un seul coup. Régions, départements, communes et groupements de communes ont acquis leur légitimité. Chaque sénateur, sur quelque travée qu'il siège, est prêt à donner le meilleur de ses convictions pour défendre le niveau auquel il croit le plus. Les aléas de l'histoire ont amené chacun de ces niveaux à exercer des responsabilités très diverses et parfois enchevêtrées. Ignorer le produit de l'histoire conduirait à humilier les uns et à privilégier les autres.

C'est pourquoi nous n'avons pas la prétention d'affirmer que les blocs de responsabilité qu'organise cette réforme doivent toujours avoir des contours rectilignes. En revanche, ce projet de loi a le grand mérite d'améliorer les choses puisque chaque niveau de collectivité se voit confier la responsabilité d'une grande politique.

Les régions sont clairement responsables du développement régional, qui est avant tout le pouvoir de coordonner les interventions économiques : 238 millions d'euros d'aides, auparavant distribués par l'Etat, seront désormais confiés aux régions.

Mais le développement, c'est aussi la formation professionnelle des adultes, qui est entièrement confiée aux régions : les crédits que l'Etat accordait à l'Association de formation professionnelle des adultes seront transférés aux régions, ce qui représente 560 millions d'euros supplémentaires.

Le développement des régions passe aussi par les transports et les grandes infrastructures. Or, s'il est une région où la question du transport des voyageurs se pose avec acuité, c'est bien l'Ile-de-France. Nous vous proposons de transférer le syndicat des transports en Ile-de-France, le STIF, à la région. L'enjeu est considérable puisque le STIF représente 681 millions d'euros, transporte 10 millions de voyageurs par jour et doit rendre la vie quotidienne des Franciliens plus facile, ce qui constirue un véritable défi. Cela fait des années que l'on parle de ce transfert. Eh bien, le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin le décidera si la Haute Assemblée le souhaite. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Alain Gournac. Bravo !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Le développement d'une région dépend aussi de son attractivité touristique. Nous voulons confier aux régions la compétence en matière de tourisme à titre principal, mais nous sommes plus ambitieux encore puisque nous souhaitons leur laisser, à titre expérimental, la gestion des fonds structurels européens, qui, je vous le rappelle, atteignent presque 16 milliards d'euros.

Il y a quelques mois, lorsque nous avons présenté cette mesure, certains s'en sont émus. Je crois cependant qu'ils est grand temps de tester toutes les solutions pour améliorer le taux de consommation des crédits européens. Quel Français peut comprendre que, dans cette période de disette budgétaire, des crédits ne soient pas consommés alors que les besoins sont immenses ?

M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !

M. Alain Gournac. Bravo !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. La décentralisation, telle que la conçoit le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, obéit à cette idée que, là ou les préfets de région s'acquittent imparfaitement de leur tâche, les présidents de région réussiront peut-être mieux.

En tout cas, l'expérience mérite d'être tentée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Deuxième niveau de collectivités : les départements.

Les élus départementaux, Patrick Devedjian le sait mieux que quiconque, ont craint, au début du processus, que l'on ne veuille leur faire « une mauvaise affaire ». Je le dis devant la Haute Assemblée, qui compte de nombreux élus départementaux, les départements sortent renforcés du processus de décentralisation puisqu'ils deviennent pleinement et clairement responsables des actions sociales, compétence sur laquelle je veux particulièrement insister, même si, bien sûr, nous allons au bout de la logique dans les autres domaines aussi. Par exemple, les moyens correspondants, pour l'entretien, la réhabilitation et la sécurité, au transfert de 20 000 kilomètres du réseau routier national s'élèvent à 1,2 milliard d'euros.

Compétence pleine et entière est donc confiée aux départements dans le domaine de l'action sociale : à eux de gérer et de coordonner les aides à destination des plus démunis ; à eux de gérer le revenu minimum d'insertion. Ce sont au total 5 milliards d'euros d'aide qui seront ainsi gérés et distribués, avec, nous le souhaitons, plus de justice, d'équité et d'humanité, car avec plus de proximité, par les départements et non plus par l'Etat.

Nous proposons également de transférer aux conseils généraux les compétences générales de coordination de l'action gérontologique et même de toutes les prestations sociales en faveur des personnes âgées.

Vous le constatez, le Gouvernement a choisi de laisser clairement aux départements le soin de relever deux enjeux prioritaires de notre société : la solidarité et la vieillesse. Ce choix ancre de façon définitive les départements dans le paysage administratif et organisationnel français.

Pour les départements comme pour les régions, la Haute Assemblée est-elle prête à ce que nous allions plus loin ? S'il est un secteur où il nous faut être plus imaginatifs, c'est bien celui de la prévention de la délinquance des mineurs.

Nous proposons ainsi à titre expérimental de donner aux départements la possibilité de s'investir dans les mesures d'assistance éducative prononcées par le juge des enfants, mesures qui sont actuellement confiées à la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ. Ce n'est faire injure à personne de dire qu'il y a des marges pour améliorer l'efficacité en la matière.

M. Nicolas Alfonsi. C'est sûr !

MM. Paul Blanc et Alain Gournac. Oh oui !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Là encore, notre choix n'est pas de dénoncer les uns pour privilégier les autres ; notre souhait, c'est que tous ensemble nous soyons plus efficaces.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour le même prix !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Troisième niveau decollectivités enfin, et il ne s'agit naturellement pas d'un ordre hiérarchique, les communes et leurs groupements.

Le Sénat est le « grand conseil des communes de France ». Communes et intercommunalités sont les premiers acteurs locaux.

Nous avons choisi de leur confier de nouveaux domaines d'action : les aides à la pierre et le logement étudiant.

Je sais qu'il reste encore des points de débat, notamment sur le logement social.

M. Daniel Reiner. Quelques points...

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Patrick Devedjian et moi-même attendons vos propositions. Comme nous l'a demandé le Premier ministre, nous ferons preuve d'une très grande ouverture en la matière.

On a parfois décrit le système élaboré comme compliqué. Il est vrai qu'il ne répond pas à une logique théorique automatique. Mais, je vous le disais, la simplicité n'est pas le simplisme, et je vais essayer de le démontrer.

Les communes et leurs groupements sont manifestement les mieux placés aux yeux du Gouvernement pour gérer les aides à la pierre. Pour autant, la concertation a fait également apparaître que certains départements, notamment à dominante rurale, souhaitaient conserver la possibilité d'intervenir. Pourquoi la leur refuser ? Nous vous proposons donc un système pragmatique : d'abord les communes et, chaque fois que cela sera nécessaire parce qu'il n'y aura pas de groupements de communes ou de vastes agglomérations, les départements pourront intervenir.

C'est cela que l'on appelle la France : des siècles d'histoire ont créé des situations diverses qui nous interdisent de trancher à coups de serpe technocratiques.

Bien sûr, les responsabilités des collectivités locales ne s'arrêtent pas aux seuls domaines que je viens de citer. Dans bien des cas, il nous est revenu, à Patrick Devedjian et à moi-même, de parachever ce qui avait été commencé, et parfois bien commencé.

Ainsi, les régions et les départements ont la responsabilité de l'entretien des lycées et des collèges. Il faut maintenant leur transférer les moyens humains correspondants.

C'est déjà fait pour les communes depuis - excusez du peu - la fin du xixe siècle. Il me semble qu'un siècle est un délai suffisant pour que quiconque aurait eu à se plaindre de la qualité du service rendu ou du statut du personnel ait pu se manifester. (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Un siècle de réflexion et un système qui marche : peut-être le temps est-il venu d'oser faire pour les régions et pour les départements ce que nos pères ont fait voilà un siècle pour les communes. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

Nous proposons donc le transfert des personnels techniques, ouvriers et de service, TOS, à ces collectivités.

Naturellement, la réforme ne se fera pas pour les uns contre les autres. Personne n'en sortirait gagnant. Nous avons entendu les craintes des personnels concernés, et il est bien précisé qu'ils font partie de la communauté éducative. Dans tous les cas, Patrick Devedjian et moi-même avons pour objectif de trouver des solutions apaisantes et, chaque fois que c'est possible, consensuelles. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

Nous avons également souhaité que les élus locaux soient mieux associés aux décisions qui ont un impact sur la vie locale.

Je pense à la carte scolaire. Ce n'est pas rien, la carte scolaire ! Elle rythme la vie des familles dans les communes et les départements, et vous impose, à vous, mesdames, messieurs les élus, des charges de transport plus ou moins lourdes.

Je pense aussi à la santé. L'implantation d'un hôpital ou sa fermeture...

M. Daniel Reiner. Plutôt sa fermeture...

M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... ont des conséquences considérables sur la vie économique d'une région. Nous vous proposons d'associer les régions aux instances de décision chaque fois que cela sera nécessaire. Après tout, le directeur de l'agence régionale n'est pas le seul dans la région à savoir quels choix sont pertinents en matière d'organisation de la santé, et il n'est pas anormal que les élus régionaux aient la possibilité de donner - et de donner puissamment - leur avis.

Plusieurs sénateurs de l'UMP. Très bien !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ce n'est pas la peine de dire que la santé est un domaine d'action majeur si l'on tient pour principe que les élus sont irresponsables et incompétents pour en parler !

Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas la peine en effet !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Nous entendons donc associer les élus aux décisions.

M. Paul Blanc. Très bien !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. La clarification, naturellement voulue pour les collectivités locales, s'impose de la même manière pour l'Etat. A quoi servirait-il de donner de nouveaux pouvoirs aux collectivités locales sans avoir le courage de réformer dans le même temps l'Etat et son organisation ?

Première ligne de conduite, l'Etat doit être plus efficace, et les procédures seront donc simplifiées.

D'abord, le contrôle de légalité doit être modernisé. Moins d'actes seront transmis, mais ils seront mieux contrôlés, car, à force de tout vouloir contrôler, on ne contrôle plus rien !

Ensuite, les structures seront clarifiées.

Le préfet de région se verra reconnu un pouvoir de coordination et d'animation de l'action des préfets de département. Il n'y a aucune raison pour que les élus régionaux n'aient pas un interlocuteur unique pour discuter.

L'évaluation doit également s'appliquer avec plus de réalité sur le plan tant local que national.

La deuxième ligne de conduite du Gouvernement est la loyauté, et le corollaire de la loyauté, c'est la transparence. Plus qu'un principe, c'est une exigence. Combien de fois ai-je entendu dire que le Gouvernement se débarrassait à bon compte de ses charges et de ses responsabilités sur les collectivités locales ? Je dois bien l'avouer, il m'est arrivé de le dire moi-même (Sourires) , avant d'être au Gouvernement naturellement...

M. Guy Fischer. On l'avait compris !

M. Charles Gautier. C'est un aveu !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ne nous voilons pas la face : sous tous les gouvernements, quelle qu'ait été leur tendance politique, beaucoup de péchés ont été commis, et la tentation fut permanente.

Je pourrais citer nombre d'exemples de réglementations nouvelles qui ont imposé des charges supplémentaires, de transferts de compétences...

M. Louis de Broissia. Cela prendrait des heures !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... dont le coût a largement été sous-estimé, de transferts de responsabilités lorsque le Gouvernement ne parvenait pas à régler un problème.

M. Louis de Broissia. Absolument !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Sur ce constat nous pouvons tous être d'accord. M. Devedjian et moi-même n'entendons pas polémiquer, mais nous tiendrons compte de cet héritage historique. Nous arrivons non pas sur un terrain neutre, mais sur un terrain où les crédits de confiance ont été largement engagés... et entamés.

Nous avons voulu marquer une rupture franche avec ces pratiques. Désormais, les règles sont claires. Elles sont posées par l'article 72-2 de la Constitution : transfert de compétences, création de compétences, extension de compétences égalent compensation.

Ni ce gouvernement ni les suivants ne pourront revenir sur ce principe : tout texte qui ne prévoira pas un transfert loyal et intégralement compensé sera censuré par le Conseil constitutionnel. Cette garantie est un acquis sur lequel personne ne reviendra et aucun gouvernement ne l'avait accordée aux collectivités locales avant celui de Jean-Pierre Raffarin. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

C'est un point qui ne peut souffrir aucune discussion : il n'est pas de garantie plus solennelle et plus solide qu'une garantie constitutionnelle.

Malgré cette garantie, un certain nombre d'élus continuent à jeter un regard inquiet,...

Mme Nicole Borvo. On les comprend !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... et c'est un réflexe bien compréhensible, non que l'action de ce gouvernement ne le justifie, mais j'ai bien le sentiment que nous somme jugés à l'aune de ce qu'ont fait nos prédécesseurs !

M. Gérard Collomb. Il n'y a qu'à prendre l'exemple des transports en commun !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. La règle de la continuité républicaine veut cependant que, même si nos prédécesseurs ont gravement échoué ou lourdement fauté, nous assumions l'héritage.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'avez pas cinquante prédécesseurs, mais seulement quatre !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. L'Etat ne doit pas reprendre d'une main ce qu'il a promis de l'autre. Vous avez besoin de preuves de confiance. Nous sommes prêts à aller beaucoup plus loin et à vous donner les preuves que vous attendez parce que, nous, nous avons besoin de votre confiance.

L'enjeu est considérable : 130 000 agents concernés, 11,5 milliards d'euros transférés si l'on exclut la mesure spécifique concernant le handicap.

Il est, vous le savez, très difficile de donner des chiffres définitifs, mais je veux autant que possible préciser les termes du débat financier pour que se dessine l'architecture de la construction que nous allons bâtir.

Tout d'abord, pour les régions, l'enjeu est de l'ordre de 2,5 milliards d'euros en 2003 : 1,1 millard d'euros pour le développement économique, 1,1 milliard d'euros pour l'éducation, 300 millions d'euros pour le service public de la santé.

Nous proposons que les nouvelles compétences soient intégralement financées par le transfert d'une ressource fiscale dynamique, c'est-à-dire d'une ressource dont l'évolution sera liée non pas seulement à son actualisation, mais aussi à la croissance : il s'agit d'une partie de la TIPP. Les régions pourront par ailleurs moduler le taux de la taxe.

Sur toutes les travées, vous avez dit « assez de dotations », parce que l'actualisation ne tient pas compte de la croissance et que vous savez trop bien ce qu'il advient des dotations au-delà de la première année. Le Gouvernement vous propose donc une recette fiscale dynamique : la TIPP.

Les compétences transférées aux départements représentaient en 2003 une charge d'environ 7,75 milliards d'euros : 5 milliards d'euros pour le RMI, 1,3 milliard d'euros pour la voirie, 1,15 milliard d'euros pour l'éducation, la culture et les sports, et 300 millions d'euros pour les autres transferts sociaux.

Certains éléments des nouvelles charges ne sont pas entièrement chiffrables aujourd'hui. Nous ne savons pas, par exemple, quel sera l'effet de la réforme de l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, sur le coût du RMI, puisque les estimations des uns et des autres varient de presque rien à environ 400 millions d'euros !

La seule chose qui soit incontestable, et c'est le Gouvernement qui vous le dit, c'est qu'il y aura un effet, et que celui-ci devra être compensé. Est-ce clair ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

MM. Philippe Richert et Philippe Adnot. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur. Oui, mais comment ?

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Le fait que certains chiffrages restent imparfaits ne doit pas nous empêcher de commencer la réforme, et c'est pourquoi le Gouvernement veut vous donner toutes les garanties que les charges décentralisées seront strictement couvertes par des ressources nouvelles.

M. Jean-Pierre Sueur. Lesquelles ?

M. Nicolas Sarkozy, ministre. La première garantie, j'en ai déjà parlé, c'est la Constitution.

Ensuite, Patrick Devedjian et moi-même voulons vous proposer une clause de rendez-vous pour 2004 afin d'ajuster, région par région, département par département, s'il le faut, groupement de communes par groupement de communes, les ressources transférées en fonction de la réalité des charges.

C'est une nouvelle preuve de la loyauté du Gouvernement : une garantie constitutionnelle d'abord, une clause de rendez-vous ensuite, bref une garantie en amont, une garantie en aval. « Quand je m'ausculte, je m'inquiète, quand je me compare, je me rassure. » En termes de comparaison, nous ne craignons personne,...

M. Philippe Richert. Ça change !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... mais nous allons plus loin : le Gouvernement donne une preuve supplémentaire de sa bonne volonté en proposant de transférer aux départements une partie de la taxe sur les conventions d'assurance.

Nous sommes prêts à discuter du périmètre précis de la ressource transférée, mais, même si le périmètre ne devait couvrir que les deux principaux risques en matière d'assurance, à savoir l'habitation et l'automobile, ce transfert représenterait une ressource supplémentaire de près de 4 milliards d'euros.

J'ajoute que les départements disposeront de la liberté de voter les taux dans une certaine fourchette établie autour d'un taux moyen.

Cette ressource supplémentaire permettra de couvrir non seulement une partie des charges transférées, mais aussi le coût des services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS, soit 1,3 milliard d'euros. Cela prouve, si besoin en est, à quel point le Gouvernement s'engage. Les SDIS ne sont pas une charge nouvelle, et nous aurions pu, comme nos prédécesseurs, continuer à fermer les yeux !

M. Eric Doligé. Non, pas ça !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Au contraire, nous vous proposons le transfert d'une ressource dynamique pour financer les SDIS. Vous le demandiez depuis des années, et cela vous avait toujours été refusé.

Que l'on ne dise pas que la taxe intérieure sur les produits pétroliers et la taxe sur les conventions d'assurance sont « vendues » deux fois, car le montant des deux taxes est largement supérieur au montant maximum des charges transférées.

L'ensemble des coûts pour tout financer, y compris le RMI, les SDIS ou les effets induits par la réforme de l'allocation spécifique de solidarité, en se fondant sur l'estimation maximale réalisée par les élus eux-mêmes, atteint le montant total de 13,5 milliards d'euros. Or, le montant de la TIPP est de 26 milliards d'euros, celui de la taxe sur les conventions d'assurance de 5 milliards d'euros, dont environ 4 milliards d'euros sur des bases aisément localisables. Ces 31 milliards d'euros représentent plus que deux fois le montant total maximum des charges transférées.

Voilà la base de discussion. Personne ne peut mettre en doute la capacité du Gouvernement à tenir ses engagements !

M. Jean-Claude Peyronnet. Il manque l'argent !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Les régions, comme les départements, disposeront donc demain, grâce au transfert de ces deux ressources fiscales, de ressources dynamiques, évolutives et, surtout, modulables.

Permettez-moi d'ajouter que le projet de loi précise expressément que les transferts de compétences entreront en vigueur à la condition que les financements soientprévus.

C'est la raison pour laquelle a été retenue la date du 1er janvier 2005.

J'en viens aux évaluations.

Mme Nicole Borvo. Ha ! Ha !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'espère que vous chanterez aussi bien après ma proposition ! (Sourires sur les travées de l'UMP.) C'est peut-être une preuve de confiance, un tel cri du coeur !

La question de confiance se pose dès l'évaluation des charges. Sur ce point, que les choses soient claires : il n'y aura pas de dissension, car vos suggestions quant à la méthode d'évaluation seront les nôtres.

Je vous propose simplement d'inverser la charge de la preuve : puisqu'en matière d'évaluation toutes ses propositions seront suspectes, le Gouvernement a décidé de prendre les vôtres.

Nous vous proposerons donc soit d'élargir les missions de la commission consultative, soit de renforcer le rôle du comité des finances locales.

Dans le même esprit, le Gouvernement ne discutera pas de la date de référence pour l'évaluation des charges : votre proposition sera celle du Gouvernement.

La loyauté doit-elle être davantage démontrée ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Guy Fischer. Oui !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. S'agissant, mesdames, messieurs les sénateurs, du dernier principe, celui de l'ouverture, je n'y insisterai pas : M. le Premier ministre en a déjà parlé. M. Devedjian et moi-même sommes décidés à accepter tous les amendements, qu'ils émanent de la majorité ou de l'opposition, dès lors qu'ils seront marqués par un souci de clarification, de loyauté et d'efficacité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Vous le voyez : c'est à un grand débat que le Gouvernement vous appelle ; il ne doute pas que la Haute Assemblée saura être au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 24 mars 1968, à Lyon, le général de Gaulle s'exprimait de façon prémonitoire en ces termes :

« L'évolution générale porte, en effet, notre pays vers un équilibre nouveau. L'effort multiséculaire de centralisation, qui fut longtemps nécessaire pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s'impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain. »

Faisant écho à ces propos, le projet de loi relatif aux responsabilités locales, déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat, en application du deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution, tend à opérer une profonde redistribution des pouvoirs au sein de nos institutions.

Il prévoit de confier aux collectivités territoriales des compétences étendues dans les domaines du développement économique, de la formation professionnelle, du tourisme, des infrastructures, de l'environnement, de l'action sociale, de la santé, de l'éducation et de la culture.

Le montant des compensations financières, estimé à au moins 11 milliards d'euros, et l'importance des transferts de personnels, qui devraient concerner 130 000 agents de l'Etat, témoignent de l'ampleur de la réforme.

En complément de l'approfondissement de la décentralisation, le projet de loi prévoit une restructuration des services déconcentrés de l'Etat, à travers l'affirmation du rôle du préfet de région et la rénovation des conditions d'exercice du contrôle de légalité.

Enfin, il comporte de nombreuses dispositions destinées à conforter l'essor de la coopération intercommunale, qui, ajoutées à plusieurs mesures concernant directement les communes, répondent largement aux préoccupations exprimées, ici ou là, quant au rôle de ces dernières.

Les réformes proposées sont le fruit d'une longue concertation avec les élus locaux et les représentants de la société civile, engagée dès le mois d'octobre 2002 dans le cadre d'assises des libertés locales organisées dans toute la France.

Elles s'inscrivent dans une démarche cohérente et ambitieuse, qui a permis d'offrir des garanties constitutionnelles aux collectivités territoriales avant de leur confier de nouvelles responsabilités.

Elles s'inspirent, enfin, dans la méthode comme dans le contenu, des initiatives prises par le Sénat au cours des dernières années avec l'organisation d'états généraux des élus locaux et la mise en place d'une mission commune d'information sur la décentralisation, présidée par notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye. Le rapporteur en était notre collègue Michel Mercier, dont plusieurs propositions sont reprises dans le texte qui nous est soumis.

Je ne reviendrai pas sur les quelque 126 articles que compte ce projet de loi, puisqu'ils ont été excellemment présentés par le Gouvernement. J'insisterai davantage sur les trois orientations retenues par la commission des lois à l'occasion de l'examen de ce texte : apaiser les craintes que l'annonce de l'acte II de la décentralisation a suscitées ; clarifier, quand il en était besoin, les responsabilités de chaque niveau de collectivités territoriales ; donner à celles-ci les moyens de les assumer.

Qu'il me soit permis, auparavant, de remercier nos collègues Annick Bocandé, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Philippe Richert, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, Georges Gruillot, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, et Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des finances, pour leur compétence, leur capacité d'écoute et la qualité de l'important travail effectué en commun.

Dans le cadre de la préparation de mon rapport, j'ai bien entendu procédé à de nombreuses auditions et participé à plusieurs réunions de concertation, notamment avec les différentes associations d'élus, afin de prendre en compte les attentes et les inquiétudes de chacun.

J'ai ainsi pu prendre la mesure de l'inanité des discours appelant à simplifier radicalement notre organisation territoriale et à trancher le noeud gordien de l'enchevêtrement des compétences. Chaque échelon de collectivités territoriales joue un rôle essentiel auprès de nos concitoyens et, au titre de la compétence générale, aucun d'entre eux ne peut se désintéresser de leurs préoccupations. Dès lors, toutefois, chacun se sent fondé à exercer telle ou telle responsabilité, ce qui ne contribue pas toujours à la lisibilité des politiques publiques.

J'ai également pu constater, avec satisfaction, que la décentralisation recevait désormais l'entier soutien des membres du corps préfectoral, à la différence de ce qui s'était passé en 1982. Ces derniers ont compris que, déchargés des tâches d'administration les plus lourdes, les services déconcentrés de l'Etat pourraient mieux exercer les missions régaliennes et de solidarité qui leur reviennent en propre.

Enfin, j'ai évidemment pris note des inquiétudes que suscite encore la décentralisation : celles de nos concitoyens, qui éprouvent parfois le sentiment qu'il s'agit d'une réforme faite par les élus à leur seul profit, alors qu'ils peuvent chaque jour en apprécier les bienfaits dans leur vie quotidienne ; celles des personnels de l'Etat, qu'effraie naturellement la perspective du changement ; celles enfin des élus locaux, qui redoutent de ne pas disposer des moyens nécessaires pour répondre aux besoins de la population.

Ces craintes portent principalement sur l'aggravation des inégalités, l'augmentation de la fiscalité locale ou encore la dégradation de la situation des personnels transférés. Le bilan des vingt dernières années montre pourtant qu'elles sont largement infondées.

A ceux qui craignent une aggravation des inégalités, je répondrai, en droit, que le principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant la loi et le principe d'égalité des usagers devant le service public s'imposent aussi bien à l'Etat et aux collectivités territoriales qu'aux personnes privées chargées d'un service public. Il appartiendra à la loi, le cas échéant, de fixer des règles minimales prévalant sur l'ensemble du territoire, en matière de revenu minimum d'insertion, de bourses étudiantes, de prime d'apprentissage... Encore faut-il rappeler que l'égalité ne signifie pas l'uniformité.

Quant aux faits, ils attestent que, loin d'aggraver les inégalités, la décentralisation a permis de les réduire. Il suffit à cet égard de citer les exemples des collèges et des lycées, de l'action sociale ou encore de la régionalisation ferroviaire. A l'inverse, la centralisation ne constitue pas la meilleure garantie de l'égalité. Le plus court chemin pour se rendre à Marseille depuis Bordeaux n'est-il pas encore de passer par Paris ?

A ceux qui craignent une augmentation des impôts, je répondrai que la décentralisation n'a pas entraîné d'alourdissement des prélèvements obligatoires, alors que les services rendus à la population se sont nettement améliorés depuis qu'ils ont été confiés aux collectivités territoriales.

M. Paul Blanc. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Les hausses récentes de la fiscalité locale sont davantage liées à des transferts de charges mal compensés par l'Etat.

En effet, faute d'un transfert de ressources suffisant, les départements ont été contraints d'augmenter les impôts locaux, à hauteur de 3,4 % en 2002 et de 3,7 % en 2003, pour financer l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, mise en place à partir du 1er janvier 2002. Leurs dépenses d'aide sociale ont, de ce fait, augmenté de 10 % en 2002 et de 14 % en 2003. A cela s'est ajouté le coût croissant des services d'incendie et de secours, également supporté par les départements.

Par ailleurs, toutes les collectivités locales ont eu à faire face aux conséquences financières de la réduction du temps de travail, qui a conduit à embaucher davantage de personnel pour rendre le même service. De même, elles ont dû engager des dépenses pour assurer la sortie du dispositif des emplois-jeunes, qui, elle non plus, n'avait pas été prévue. L'augmentation des dépenses de personnel a été de 5,9 % en 2002. On comprend dès lors qu'une inquiétude se manifeste. Chat échaudé craint l'eau froide !

M. Alain Gournac. Eh oui !

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Toutefois - j'insiste sur ce point, car c'est une grande innovation -, l'article 72-2 de la Constitution interdit désormais de transférer aux collectivités locales des dépenses nouvelles sans les assortir des financements correspondants.

Cet article dispose que les transferts de charges seront compensés par l'attribution de ressources équivalentes à celles que l'Etat consacrait à l'exercice desdites responsabilités, ce qui signifie qu'ils devraient être neutres pour les contribuables.

Chacun sait cependant que les compétences transférées aux collectivités étaient mal exercées par l'Etat. En conséquence, pour assurer un meilleur service à la population, celles-ci devront réaliser des gains de productivité, ce qui ne semble pas hors de leur portée, et auront besoin de ressources fiscales. A la différence des dotations, ces dernières présentent le double avantage de permettre aux élus locaux d'effectuer de véritables choix de gestion et de renforcer leur responsabilité vis-à-vis de leurs électeurs, qui sont également contribuables.

Telles sont les raisons pour lesquelles le Sénat avait tant plaidé en faveur de l'insertion dans la Constitution d'une disposition garantissant l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.

Désormais, les transferts de charges entre l'Etat et les collectivités territoriales seront réalisés sous le contrôle du Conseil constitutionnel, qui vérifiera que le montant de ces transferts correspond à l'intégralité des moyens mis en oeuvre par l'Etat, d'une part, et que leurs modalités n'aboutissent pas à dégrader le taux d'autonomie fiscale des collectivités, d'autre part.

Faut-il rappeler, mes chers collègues, que, sous la précédente législature, les recettes fiscales des collectivités territoriales ont été amputées de près de 15 milliards d'euros, en raison de la suppression de la part salaires des bases de la taxe professionnelle, de la part régionale de la taxe d'habitation,...

M. Louis de Broissia. Eh oui !

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. ... de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur pour les particuliers,...

M. Louis de Broissia. Eh oui !

M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. ... de la taxe régionale additionnelle aux droits de mutation à titre onéreux, ainsi qu'en raison de l'abaissement, puis du plafonnement, du tarif du droit de mutation à titre onéreux ?

Par ailleurs, la part de la péréquation dans les concours de l'Etat devra être augmentée, afin de permettre aux collectivités territoriales les plus pauvres de faire face à leurs charges. A cet égard, le commission des lois se félicite des avancées présentées dans le projet de loi de finances pour 2004.

La décentralisation ne devrait donc pas entraîner automatiquement une augmentation des impôts locaux. En revanche, elle permettra d'améliorer la qualité du service public, en le rendant plus proche des citoyens et mieux adapté à leurs attentes.

Enfin, les craintes éprouvées par les personnels de l'Etat à la perspective d'être placés sous l'autorité des maires et des présidents de conseil général ou de conseil régional semblent excessives.

En effet, la fonction publique territoriale, dont le statut est aussi protecteur que celui de la fonction publique d'Etat, a fait la preuve de son attrait depuis 1983.

En outre, un certain nombre de garanties sont reconnues dans le projet de loi aux agents des services transférés.

En premier lieu, ils pourront, s'ils le souhaitent, conserver un lien statutaire avec leur administration d'origine, en étant placés en position de détachement sans limitation de durée.

En deuxième lieu, l'appartenance à la « communauté éducative » des personnels de l'éducation nationale sera affirmée solennellement, et leurs missions seront maintenues dans les établissements.

En troisième lieu, les agents des services transférés auront droit au maintien du service actif après leur intégration dans la fonction publique territoriale, notamment dans les directions départementales de l'équipement.

Enfin, il est précisé que l'Etat continuera à se porter garant du régime de retraite de la RATP après le transfert à la région de la responsabilité du syndicat des transports en Ile-de-France.

Pour que les craintes se dissipent, il convient de donner aux collectivités territoriales les moyens d'assumer leurs responsabilités.

Pour y parvenir, la commission des lois s'est attachée, tout d'abord, à clarifier les compétences de chaque niveau de collectivités.

Ainsi, en matière d'interventions économiques, elle propose au Sénat de confirmer le rôle de chef de file des régions s'agissant des principales aides aux entreprises et de permettre aux départements et aux communes de continuer à accorder, seuls ou conjointement, dans le respect, bien sûr, du droit communautaire de la concurrence et en tenant compte du schéma régional de développement économique, des aides essentiellement destinées aux petites entreprises, au commerce et à l'artisanat.

Dans le domaine du tourisme, la commission des lois préconise, d'une part, de confier à la région, plutôt qu'au département, le classement des équipements et organismes de tourisme, les agents de l'Etat affectés à ces tâches étant mis à sa disposition, et, d'autre part, d'opérer, par la loi et non par ordonnance, la réforme du régime des offices de tourisme. Il s'agit de donner à l'ensemble des communes et des établissements publics de coopération intercommunale la faculté de créer ces organismes sous la forme d'établissements publics industriels et commerciaux ou sous toute autre forme juridique de leur choix. La commission des affaires économiques, sous l'impulsion de notre collègue Georges Gruillot, a beaucoup travaillé sur cette réforme. Elle saura bien mieux que moi vous la présenter, mes chers collègues.

Dans le domaine de la formation professionnelle, la commission des lois propose notamment de transférer aux régions la responsabilité des stages d'accès à l'emploi, les SAE, et des stages individuels et collectifs d'insertion et de formation à l'emploi, les SIFE. Ce transfert ne figure pas dans le projet de loi, au motif que ces stages relèveraient non pas de la formation professionnelle, confiée aux régions, mais de la politique de l'emploi, qui incombe à l'Etat. La question mérite débat.

Dans le domaine des infrastructures, la commission des lois propose, d'une part, de prévoir le maintien des financements affectés aux contrats de plan, et, d'autre part, d'imposer au préfet de communiquer aux collectivités et aux groupements de collectivités territoriales sollicitant le transfert des aérodromes, des ports et des biens concédés aux sociétés d'aménagement régional toutes les informations permettant ce transfert en parfaite connaissance de cause.

Dans le domaine de l'action sociale, la commission des lois prévoit de permettre aux départements d'être associés par les régions, dans l'optique de l'élaboration du schéma prévisionnel des formations, au recensement des besoins en formation des travailleurs sociaux, dans la mesure où ils constituent les premiers employeurs de ces derniers. Je sais que la commission des affaires sociales, plus particulièrement notre collègue Annick Bocandé, s'est attachée à conforter le rôle de chef de file du département dans ce domaine.

Dans le domaine du logement, la commission des lois préconise d'abord de transférer au maire ou, par délégation du maire, au président d'un établissement public de coopération intercommunale le contingent préfectoral de réservation de logements au profit des personnes prioriaires, notamment les personnes mal logées ou défavorisées.

Elle préconise ensuite de supprimer les conditions de seuil démographique imposées aux communautés de communes pour pouvoir solliciter une délégation de compétences en matière d'attribution d'aides à la pierre.

Elle préconise enfin de prévoir la signature de conventions entre, d'une part, les établissements publics de coopération intercommunale et les départements bénéficiant d'une délégation de compétences en matière d'attribution d'aides à la pierre, et, d'autre part, l'Agence nationale de rénovation urbaine, pour l'affectation des crédits de cet établissement. Il s'agit en fait de mettre en cohérence les dispositions du présent projet de loi et celles de la loi dite « Borloo », adoptée au mois de juillet dernier. Notre collègue Georges Gruillot vous l'expliquera bien mieux que moi, puisque la commission des affaires économiques avait été saisie au fond de ce dernier texte.