PRÉSIDENCE

DE M. ADRIEN GOUTEYRON

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à M. Jack Ralite, pour un rappel au règlement.

M. Jack Ralite. Dans quelques minutes, nous allons commencer l'examen d'un projet de loi concernant notamment le dialogue social. Or, en ce moment même, se déroule un conflit social à Radio France. Il dure depuis déjà huit jours et semble, pour ne pas dire qu'il est bloqué au niveau gouvernemental par les déclarations de M. Aillagon, ministre de la culture et de la communication, refusant un médiateur.

Que se passe-t-il exactement à Radio France, qui est le premier groupe de radiodiffusion de notre pays et dont la qualité est très appréciée ?

Il existe depuis longtemps une disparité salariale, à fonction semblable, avec la télévision. A la suite d'un mouvement, en 1994, et du plan de M. Servin, qui avait été nommé comme médiateur, la disparité avait été reconnue par la tutelle et un plan de résorption de trois ans avait été mis debout, avec l'engagement qu'à son issue, à partir d'un état des lieux, des dispositions seraient prises pour rattraper les inégalités qui subsisteraient. De fait, ce plan avait été mentionné dans deux autres accords, en 1997 et en 2000. Mais depuis, malgré les engagements de la direction, cela n'a pas été fait.

Par ailleurs, le point d'indice de référence est bloqué depuis sept ans, et il est question, du point de vue de la tutelle, de maintenir le statu quo une huitième année.

On mesure bien ainsi les raisons légitimes du conflit, on mesure bien qu'il faut négocier au niveau de la tutelle. Autrement, cela veut dire que l'on délégitime la démarche ouverte par le plan Servin et que l'on vide de son sens la convention collective.

Ajoutons que, même si ce n'est pas écrit, il se murmure que le projet existe de créer un pôle télévisuel et un pôle radio, ce qui pose la question du devenir du service public. Un éclatement du pôle audiovisuel public français ne serait-il pas envisagé, qui serait comme un rappel de l'éclatement de l'ORTF, avec les conséquences que l'on sait ?

Vraiment, ce mouvement au sein de Radio France illustre bien les limites du projet de loi dont nous allons débattre ! Il faut négocier avec les journalistes de Radio France, leur intersyndicale, et bien entendre la sympathie naturelle qui les entoure et qui s'exprime, notamment, parmi les chercheurs et les médecins des hôpitaux. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Claude Estier.

M. Claude Estier. Je tiens à associer le groupe socialiste aux paroles que vient de prononcer M. Ralite.

Nous souhaitons, nous aussi, qu'une véritable négociation s'engage très rapidement et se conclue favorablement avec les journalistes de Radio France qui sont en grève depuis plusieurs jours. Leurs revendications sont légitimes. Il serait temps d'en tenir compte afin que Radio France puisse retrouver sa capacité d'écoute et d'audience, qui est très importante pour l'ensemble du pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Acte est donné de ces déclarations.

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FORMATION PROFESSIONNELLE

ET DIALOGUE SOCIAL

Discussion d'un projet

de loi déclaré d'urgence

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social
Exception d'irrecevabilité

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 133, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. [Rapport n° 179 (2003-2004).]

Dans la discussion générale la parole est à M. le ministre.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, madame, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis plus de vingt mois maintenant, le Parlement a eu l'occasion de débattre d'un nombre important de réformes sociales.

M. Gilbert Chabroux. Hélas !

M. François Fillon, ministre. Mais en vous présentant aujourd'hui ce projet de loi, j'ai plus que jamais la conviction que nous sommes ici au coeur de la nécessaire modernisation de notre pacte économique et social.

Les deux volets du projet de loi illustrent une même philosophie. En transposant deux accords conclus par les partenaires sociaux, ils témoignent de la responsabilité des acteurs sociaux et font la promotion d'une démocratie plus participative.

Ils illustrent aussi une conscience partagée des défis à relever : développer la formation, relancer la promotion sociale et augmenter le niveau de qualification de tous les salariés, en particulier de ceux qui sont les plus vulnérables face aux restructurations et aux licenciements.

Notre pays a besoin de réformes. Procéder aux ajustements nécessaires dans l'organisation de nos relations sociales, de notre droit du travail et de notre protection sociale est une condition du maintien de notre niveau de développement économique et social au sein des pays de l'Union européenne et dans une économie ouverte sur le monde.

Le deuxième titre du projet de loi porte sur le dialogue social. Comme vous le savez, il s'appuie sur la Position commune sur les voies et moyens de la négociation collective établie par tous les partenaires sociaux, à l'exception de la CGT, le 16 juillet 2001.

Cette réforme est sans doute la plus importante dans le domaine des relations sociales qu'ait connue notre pays depuis trente ans. Son ambition est de moderniser notre système de négociation collective en adaptant les « règles du jeu » pour les mettre au niveau d'une démocratie sociale moderne.

Cette réforme, bien entendu, bouscule quelques habitudes bien ancrées et remet en cause un certain nombre de positions acquises. Elle n'en est pas moins nécessaire si nous voulons dynamiser le dialogue social dans notre pays et lui donner des règles adaptées aux enjeux du siècle nouveau, à l'image de ce qu'ont fait nos voisins européens.

Chacun doit bien mesurer la portée de ce projet de loi : il s'agit de repenser un système qui date de plus de trente ans et qui, aujourd'hui, est proche de l'essoufflement ! Le taux de syndicalisation n'a jamais atteint des seuils aussi bas, et la faiblesse des corps intermédiaires essouffle et affaiblit notre démocratie sociale.

La culture de la protestation sociale demeure plus prégnante que celle du réformisme social, dont dépend pourtant la sauvegarde et le développement de notre modèle social. L'éclatement des liens sociaux qui affecte notre société nourrit les extrémismes et les comportements poujadistes. A l'évidence, comme la démocratie politique, la démocratie sociale doit tendre vers de nouveaux modes de fonctionnement afin d'être plus participative, plus solidaire et plus cohésive.

Je souhaite par conséquent un dialogue social ouvert et constructif, rassemblant des partenaires sociaux responsables et capables d'assumer, à tous les niveaux de la négociation, des décisions parfois difficiles. Cela passe par un renforcement de la légitimité des accords collectifs négociés ; cela passe aussi par un nouvel équilibre dans les rôles respectifs de l'Etat et des partenaires sociaux, et par la promotion de la négociation collective.

En effet, la négociation collective porte en elle des valeurs qui sont la marque d'une société moderne : la reconnaissance et le respect de l'interlocuteur, même s'il est issu d'une autre culture et porteur d'intérêts différents ; la pratique de concessions au bénéfice de la recherche du compromis et au service de l'intérêt général ; le souci de promouvoir une société de dialogue créatrice de lien social entre les citoyens grâce à des corps intermédiaires représentatifs et légitimes.

Notre démocratie sociale n'en sera que plus apaisée et renforcée. Elle n'en relèvera que mieux les défis de l'avenir, tout en restant fidèle aux valeurs de notre pacte social : la solidarité, l'égalité des chances et de traitement, ou encore un égal accès aux droits et à la promotion sociale.

A travers ces valeurs, la négociation collective porte aussi en elle l'esprit de responsabilité. Parce que les partenaires sociaux représentent ceux qui les mandatent et parce qu'ils agissent en leur nom, ils doivent rendre des comptes sur leurs choix et sur leurs décisions, sur les solutions qu'ils auront su trouver pour régler les problèmes d'emploi dans les entreprises et dans les branches. C'est pourquoi, dans l'exposé des motifs du projet de loi, le Gouvernement s'est engagé, avant toute réforme de nature législative touchant les relations du travail, à donner la priorité à la négociation collective. Nous proposons en quelque sorte aux partenaires sociaux de prendre leurs responsabilités avant que ne soit entreprise une démarche législative.

Une telle démarche peut être rapprochée des mécanismes du traité de l'Union européenne : la Commission européenne, en effet, avant d'adresser toute proposition de directive au Conseil et au Parlement européen, saisit les partenaires sociaux européens et leur laisse, le cas échéant, l'initiative de l'action. Cette pratique n'est d'ailleurs pas totalement étrangère à notre propre tradition. Il n'y a pas si longtemps encore, l'Etat, le législateur et les partenaires sociaux joignaient leurs efforts pour, chacun dans son rôle, forger et mettre en oeuvre les grandes réformes qui ont façonné notre modèle social.

Je ne citerai ici qu'un seul exemple : l'accord interprofessionnel de 1970, suivi par la loi de 1971 sur la formation professionnelle. Cet exemple nous renvoie à l'accord de 2003 sur la formation professionnelle et au projet de loi dont nous allons discuter ces prochains jours.

Des contre-exemples existent également. Ainsi, la réduction autoritaire de la durée du travail, qui a suivi la « journée des dupes » du 10 octobre 1997, illustre ce qu'il faut éviter à l'avenir ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. François Fillon, ministre. L'engagement pris par le Gouvernement ne signifie pas que l'Etat, donc le législateur, abdique ses responsabilités ; au contraire, seul le législateur a la légitimité démocratique. Il signifie simplement une meilleure répartition des rôles entre les acteurs politiques et les acteurs sociaux. Elle est dans l'intérêt des deux parties, car elle devrait permettre d'aboutir à des lois qui soient recentrées sur l'essentiel, c'est-à-dire sur la fixation des principes fondamentaux, et qui soient facilement applicables dans les entreprises.

Comme vous le savez, le Gouvernement entend poursuivre la réforme en ce domaine. J'ai ainsi demandé aux partenaires sociaux de se saisir du rapport Virville, qui va faire l'objet, dans les prochaines semaines, de concertations approfondies. Ce rapport ouvre des pistes intéressantes, si l'on veut bien se donner la peine de le lire sans isoler telle ou telle proposition à des fins polémiques.

La responsabilité de tous les acteurs sociaux, voilà ce qu'il est de notre devoir d'encourager. Donner aux partenaires sociaux les moyens de trouver les compromis légitimes susceptibles de garantir le progrès social et le développement économique, tel est l'enjeu de ce projet de loi !

Mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme qui vous est proposée afin de renforcer le syndicalisme dans notre pays et de lui faire prendre toutes ses responsabilités est à la fois ambitieuse et équilibrée. Elle vise d'abord à inscrire le principe majoritaire comme condition de validité des accords collectifs et à en affirmer ainsi la légitimité ; elle vise ensuite à tirer la conséquence de ce principe en renforçant l'autonomie des niveaux de négociation et en permettant à un accord d'entreprise majoritaire de déroger aux accords de rang supérieur.

Le principe de l'accord majoritaire - quelle qu'en soit la forme : majorité d'adhésion ou majorité d'opposition - est donc posé au niveau de l'entreprise. Au niveau de la branche, le principe d'une élection de représentativité est affirmé.

La loi pose le principe de l'autonomie de l'accord d'entreprise par rapport à l'accord de branche. Concrètement, cela signifie que les marges de négociation sont accrues à tous les niveaux : au niveau de l'entreprise, pour définir ses propres équilibres, mais aussi au niveau de la branche, en permettant des accords-cadres et des accords supplétifs prenant en compte la diversité des entreprises.

L'accord de branche reste toutefois impératif dans trois domaines : la fixation des salaires minima, les grilles de classification et les mécanismes de mutualisation des financements, par exemple celui de la formation professionnelle. Bien évidemment, l'accord de branche pourra maintenir dans d'autres domaines également un caractère impératif à ses dispositions si tel est le souhait des négociateurs.

Enfin, j'ajoute que ces nouvelles dispositions sur l'articulation des niveaux de négociation n'ont pas de caractère rétroactif. Ainsi se trouve respectée la valeur hiérarchique que les négociateurs avaient entendu conférer à leurs accords.

Le projet de loi correspond donc à un double équilibre : équilibre, d'abord, entre la validité nouvelle des accords liée à l'accord majoritaire, d'une part, et l'autonomie des niveaux de négociation, d'autre part ; équilibre, encore, mais qui reste à trouver au niveau des branches et des entreprises, par la négociation, dans le degré d'autonomie à donner aux accords d'entreprise.

Ce double équilibre correspond pour l'essentiel à la Position commune, n'en déplaise à ses détracteurs, qui semblent avoir oublié ce qu'ils ont signé...

L'ouverture de nouveaux espaces à une négociation collective dont la légitimité se trouve ainsi renforcée a pourtant fait couler beaucoup d'encre. Sur ce sujet, il faut sortir des faux débats et des mauvais procès.

Donner à la négociation d'entreprise la possibilité de développer des équilibres nouveaux et différents, sur tel ou tel aspect, des dispositions prévues par la branche ne va pas à l'encontre des droits des salariés. Affirmer le contraire, c'est méconnaître la responsabilité des partenaires sociaux, c'est mésestimer la maturité des salariés, des entreprises et de leurs représentants, ainsi que leur capacité à régler au plus près du terrain les problèmes d'organisation du travail et de l'emploi... C'est tout simplement faire preuve d'un profond archaïsme. (M. Roland Muzeau s'exclame.)

La réforme des règles de la négociation collective ne peut qu'être progressive. Elle donnera lieu à une véritable évaluation d'ici à 2007.

Dans ce domaine - comme dans d'autres, d'ailleurs -, le Gouvernement a fait preuve de courage et a su dégager une position équitable. Tout en refusant de céder à la tentation du statu quo, nous avons évité la dérive d'un grand bouleversement - qui aurait sans doute été, du reste, le meilleur moyen pour ne rien changer.

Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, les bonnes réformes s'inscrivent dans la durée. C'est ce que le Gouvernement vous propose de faire, en ayant confiance dans le dialogue social, conformément aux engagements du Président de la République.

Le projet de loi contient également d'autres propositions, reprises pour l'essentiel de la Position commune, visant à favoriser le développement de la négociation collective : ainsi, dans des conditions strictement encadrées par la branche, des accords pourront être conclus avec les élus du personnel dans les entreprises où il n'y a pas de délégué syndical.

D'autres dispositions visent à faciliter le développement de la négociation dans les groupes d'entreprises ou au niveau territorial.

Les moyens donnés au dialogue social seront renforcés : droit de saisine des organisations syndicales, utilisation des nouvelles technologies de l'information, organisation des carrières des militants syndicaux.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions de ce titre sur le dialogue social. Si elles sont si diversement critiquées, c'est sans doute qu'elles remettent en question bien des habitudes, bonnes ou mauvaises ; c'est aussi sans doute qu'elles froissent bien des intérêts.

Mais ce texte novateur est équilibré. Il constitue la condition d'un renouveau de la démocratie sociale dans notre pays. Il va permettre un essor de la négociation, et cela à tous les niveaux, sans contrainte, contrairement aux accords qui ont suivi les lois Aubry, mais en faisant confiance aux partenaires sociaux.

Car tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, le mot clé de cette réforme : la confiance !

Ce texte fait en effet confiance aux acteurs sociaux, qui sauront, j'en suis persuadé, le mettre en oeuvre et en dégager toutes les potentialités.

L'accord du 20 septembre dernier, sur la formation professionnelle, constitue en cela un signe encourageant. Au terme d'un dialogue social ouvert et constructif, les partenaires sociaux ont conclu à l'unanimité un accord interprofessionnel sur la formation professionnelle, qu'il appartient désormais au Parlement de traduire dans la loi.

Gage d'épanouissement professionnel pour le salarié, la formation est un outil essentiel du dynamisme économique. Je suis en effet convaincu que, face aux fluctuations accélérées du marché de l'emploi et aux évolutions technologiques qui affectent les méthodes de travail, la compétitivité des entreprises et la protection des salariés dépendront moins d'un foisonnement de textes que de leurs possibilités d'adaptation et d'évolution.

Par ailleurs, la formation professionnelle doit s'inscrire au coeur de notre politique de l'emploi. La possibilité donnée à chacun de se former, c'est la meilleure arme contre le chômage ! C'est la capacité pour chaque salarié de progresser dans son parcours ou de rebondir professionnellement.

A cet égard, les mutations démographiques qui affectent notre pays obligent à inscrire la formation professionnelle dans le cadre de l'allongement des durées d'activité. C'est un enjeu que nous devons relever collectivement. J'ai déjà eu l'occasion de dire combien la responsabilité des entreprises est engagée sur ce sujet. Il faut mettre fin à l'éviction des seniors du marché du travail par une meilleure gestion des âges dans les entreprises.

Enfin, devant les difficultés de recrutement rencontrées aujourd'hui dans certains secteurs d'activité et les pénuries sectorielles et locales que nous rencontrerons probablement demain, nous n'aurons pas d'autres choix que de prendre en compte l'ensemble des ressources en main-d'oeuvre mobilisables : les jeunes et les travailleurs en seconde partie de carrière, en veillant à l'adaptation de leurs compétences aux besoins futurs.

Face à ces enjeux, le dispositif actuel peinait à trouver toute son efficacité. De nombreux travaux conduits ces dernières années ont mis en évidence les lacunes de notre système de formation.

D'abord, l'accès à la formation continue demeure très inégal. Bien souvent, le projet de se former est le propre des personnes déjà formées ou de celles qui travaillent dans les grandes entreprises. Par ailleurs, la formation continue n'a pas su toujours apporter une qualification complémentaire à celle qui a été acquise au cours de la formation initiale. Enfin, le système de formation apparaît cloisonné, peu lisible et particulièrement complexe.

Dès lors, malgré les sommes consacrées annuellement à la formation professionnelle, qui sont de l'ordre de 22 milliards d'euros, les résultats sont parfois, pour ne pas dire souvent, décevants pour les salariés.

Face à ces constats, il était urgent de réagir. Sur la base de l'accord signé par tous les partenaires sociaux, le 20 septembre dernier, le projet de loi prévoit la création d'un droit individuel à la formation de vingt heures par an, cumulable pendant six ans, utilisable avec l'accord du chef d'entreprise. Ce droit individuel sera utilisable en cas de licenciement, sauf s'il y a faute grave et, sous certaines conditions, en cas de démission. Ce nouveau droit, lié à l'individu, permet la mise en oeuvre d'une assurance formation à son bénéficiaire. L'engagement du Président de la République est ainsi respecté !

La deuxième innovation du texte concerne le partage du temps de formation entre le temps de travail et le temps libre. L'accord interprofessionnel, que nous avons repris, prévoit une coresponsabilité entre le salarié, qui pourra développer ses compétences en utilisant une partie de son temps à se former, et l'entreprise, qui lui versera une allocation de formation s'il se forme partiellement en dehors de son temps de travail.

A cet égard, le projet de loi distingue trois catégories d'actions de formation : la formation pour s'adapter à son poste de travail ; la formation pour évoluer ou se maintenir dans son emploi ; enfin, la formation pour développer ses compétences.

Cette nouvelle typologie renvoie à des modalités spécifiques de mise en oeuvre, qui traitent, notamment, de leur déroulement pendant ou en dehors du temps du travail.

Une troisième innovation figure dans ce projet de loi avec la création des contrats de professionnalisation, qui se substitueront aux actuels contrats de formation en alternance. Leur objectif est de favoriser l'insertion ou la réinsertion professionnelle en permettant d'acquérir un diplôme, un titre ou une qualification. Ils comporteront une période de formation et une autre de travail en entreprise. Ce dispositif modulable relancera la formation en alternance. Afin de permettre aux différents acteurs de s'adapter aux nouvelles exigences posées par la loi, l'Assemblée nationale a décalé du 1er juillet au 1er octobre 2004 la mise en oeuvre de ces contrats.

Le quatrième point important de la réforme est financier : la part de la masse salariale consacrée à la formation passera de 0,15 % à 0,55 % dans les entreprises de moins de dix salariés, et de 1,5 % à 1,6 % dans celles qui comptent plus de dix salariés. Même si, en pratique, beaucoup d'entreprises font davantage que le minimum légal, il résultera de cet effort financier supplémentaire un progrès significatif, en particulier dans les petites et moyennes entreprises.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales innovations relatives à la formation.

Pour accompagner cette réforme, l'effort financier consenti par l'Etat en faveur de la formation sera renforcé. Ainsi, les contrats de professionnalisation bénéficieront d'une exonération de cotisations. De même, l'allocation formation ne sera pas soumise à cotisations.

Par ailleurs, le Gouvernement travaille, dans le cadre de la préparation de la loi de mobilisation pour l'emploi, à la « deuxième chance » ; je veux parler de la formation qualifiante différée pour ceux qui sont sortis sans qualification du système scolaire. Celle-ci sera définie en phase avec les régions - qui disposent, désormais, de nouvelles compétences dans le cadre de l'approfondissement de la décentralisation -, avec l'éducation nationale et avec les partenaires sociaux.

L'un des grands enjeux des prochaines années sera d'ailleurs de développer la coopération entre les branches professionnelles et les régions. Il conviendra de promouvoir et de structurer la concertation sociale à l'échelon territorial, comme il convient de la rénover à l'échelon national pour l'adapter aux réformes en cours.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales orientations du projet de loi qui est soumis à votre assemblée et auquel votre commission des affaires sociales propose, grâce à un travail en profondeur de vos deux rapporteurs, des améliorations justifiées.

J'ai eu à plusieurs reprises l'occasion de dire combien ce texte n'est pas le fruit d'un choix partisan décidé « d'en haut ». Il intervient au terme d'une longue maturation collective, une maturation révélatrice de certains des blocages de la société française : blocage des corps intermédiaires, blocage du débat qui oppose de manière stérile sociaux et libéraux, blocage des gouvernants devant la réforme.

Je suis fier de vous présenter ce texte tant il est conforme à l'idée que je me fais de ma mission : donner à la France, pour le long terme, les outils structurels de son développement et de son adaptation à la modernité.

Il est, par ailleurs, porteur d'une philosophie politique à laquelle je crois : les solutions pour notre avenir sont dans l'alliance entre la liberté d'entreprendre et l'am-bition sociale, une alliance qui repose sur la confiance faite aux acteurs sociaux tant ils savent prendre leurs responsabilités.

Au-delà même de nos clivages respectifs, ce sont les Français eux-mêmes qui contribueront à forger cette alliance, grâce aux instruments que peut leur donner ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Bocandé, rapporteur.

Mme Annick Bocandé, rapporteur de la commission des affaires sociales. Durant l'été 2002, lors du lancement des nouveaux contrats jeunes en entreprise, certains partenaires sociaux vous avaient reproché, monsieur le ministre, de ne pas prêter une attention suffisante à la formation professionnelle. Vous les aviez alors invités à reprendre les négociations sur la formation, avec l'objectif d'aboutir dans un délai de dix-huit mois, à défaut de quoi vous vous engagiez à déposer un projet de loi. Ce délai n'a finalement pas été nécessaire : le 20 septembre 2003, au terme d'une ultime séance de vingt heures, et après une négociation - un marathon de trois années - souvent âpre, les partenaires sociaux se sont enfin entendus sur la réforme de la formation professionnelle continue.

Cet accord a été signé par l'ensemble des partenaires sociaux, le fait est assez rare pour que l'on ait parlé d'un accord historique.

Certes, depuis la transposition de l'accord national interprofessionnel, l'ANI, en projet de loi, on a pu entendre ici ou là des réserves, des remords ou des inquiétudes, mais sans qu'ils conduisent à sa remise en cause.

Les réactions les plus marquées proviennent des organismes de formation, qui contestent la création des nouveaux contrats de professionnalisation. Depuis le passage du projet de loi à l'Assemblée nationale, on avait pu croire leurs inquiétudes apaisées. Mais elles continuent à dénoncer « la mort annoncée de l'alternance », ce qui doit nous conduire à faire preuve de clarté et de pédagogie pour mieux expliquer nos intentions.

Car, après la signature de l'ANI, il appartient désormais au Parlement d'organiser la transposition législative de l'accord. La méthode nous a paru convaincante. On aurait pu craindre que les progrès du dialogue social n'empiètent sur le champ des compétences sociales que la Constitution donne au Parlement. Je constate qu'il n'en est rien. Pour preuve, l'Assemblée nationale a adopté soixante-cinq amendements à ce projet de loi et a enrichi son volet « formation » de trois articles.

Nous pouvons encore l'améliorer. Mais je crois qu'il nous faut avoir en permanence le souci de préserver l'équilibre du texte signé par les partenaires sociaux qui se sont quittés, au soir du 20 septembre, avec la ferme intention de se réunir, une fois la loi adoptée, pour vérifier sa conformité avec leur accord. C'est en ce sens qu'il faut comprendre la lettre paritaire qu'ils vous ont envoyée, monsieur le ministre, le 13 janvier dernier pour contester certaines évolutions du projet de loi après son examen par l'Assemblée nationale. Nous avons entendu leur appel.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'en viens à présent au contenu des dispositions du volet « formation » qui figurent au titre Ier du projet de loi.

Sa philosophie se résume en un seul mot : responsabilité. Tous les acteurs de la formation professionnelle doivent, en effet, assumer les responsabilités qui leur incombent, dans les limites de leurs compétences respectives et avec un triple objectif : faire de la formation un droit réel, et non plus théorique, pour les salariés ; rompre avec une tendance, vieille de trente ans, qui a vu les inégalités d'accès à la formation se creuser entre les moins qualifiés et les cadres, les hommes et les femmes, les jeunes et les seniors, les petites et moyennes entreprises et les grandes structures ; enfin, favoriser la compétitivité de nos entreprises.

Tout d'abord, les salariés et les employeurs sont fortement incités à mobiliser les nombreux dispositifs de formation professionnelle qui existent et à les mettre au service de leur employabilité pour les uns, de leur compétitivité pour les autres. Les partenaires sociaux y sont parvenus à travers la procédure de la codécision qu'illustrent deux dispositions essentielles de l'ANI : la création d'un droit individuel à la formation, le DIF, et la révision du plan de formation.

Dans le cas du DIF, la codécision joue surtout en faveur des salariés. Certes, les salariés devront désormais accepter de se former plus souvent en dehors du temps de travail et l'employeur se prononcera sur le choix de la formation. Mais, en contrepartie, l'initiative du DIF reviendra exclusivement aux salariés afin qu'ils s'impliquent dans ce dispositif. S'ils se forment pendant le temps de travail, ils continueront de percevoir leur salaire, et s'ils se forment hors du temps de travail, ils se verront attribuer une allocation égale à 50 % dudit salaire.

En conséquence, les entreprises ont accepté de relever leur contribution au financement de la formation de leur personnel. La formation sera désormais un réel investissement, et non une simple dépense obligatoire. Le DIF permettra aux salariés de concrétiser un droit à la formation, trop longtemps resté théorique. On peut en attendre une réduction des inégalités de formation que notre commission a dénoncées à plusieurs reprises, en rappelant qu'aujourd'hui une femme non qualifiée employée dans une entreprise de moins de dix salariés a statistiquement vingt-cinq fois moins de chance de se former qu'un homme ingénieur dans une entreprise de plus de cinq cents salariés.

D'une manière symétrique, la codécision jouera en faveur de l'employeur dès lors que celui-ci mettra en oeuvre un plan de formation. Or, la préservation de ce dispositif a été profondément modifiée à l'Assemblée nationale par rapport au fragile équilibre précédemment défini par les partenaires sociaux. Les députés ont supprimé l'obligation générale de formation qui incombe à l'employeur en vertu du code du travail, au motif que ce plan a désormais été élargi à des formations se déroulant en dehors du temps de travail. Je crois pouvoir dire, mes chers collègues, que supprimer les obligations de l'employeur à l'égard de ses salariés revient à amputer sérieusement le principe de responsabilité que j'évoquais tout à l'heure. C'est la raison pour laquelle les syndicats de salariés en ont demandé le rétablissement, et je crois légitime de répondre favorablement à cette requête ; nous y reviendrons dans un instant.

A côté de la responsabilité des salariés et des employeurs, le Gouvernement a souhaité impliquer davantage les partenaires sociaux dans la gestion de la formation professionnelle, dans la droite ligne de l'accord national du 20 septembre.

Deux dispositions du projet de loi illustrent le principe de responsabilité appliqué aux partenaires sociaux : la rénovation des contrats en alternance et le renforcement de la fongibilité des fonds de la formation professionnelle.

On a longtemps reproché aux partenaires sociaux d'avoir laissé notre système de formation devenir de plus en plus complexe, voire incompréhensible, même pour les plus initiés. L'opacité réside déjà dans les mots : formation continue, formation professionnelle initiale, éducation permanente. Les hésitations du vocabulaire révèlent les incertitudes tenant à la finalité de la formation professionnelle en France : au fil des ans, on a tour à tour mis l'accent sur sa fonction d'intégration dans l'emploi des chômeurs ou sur la nécessité de sa persistance au-delà de l'école, sans jamais trancher définitivement entre ces deux objectifs.

Avec la consécration de la « formation professionnelle tout au long de la vie », on sait enfin de quoi on veut parler, comme le montre la réforme de l'alternance, proposée dans le projet de loi. En effet, les partenaires sociaux ont souhaité créer un nouveau contrat, dit de professionnalisation, qui s'articule autour de trois principes. Il s'agit, d'abord, de simplifier les contrats en alternance, en les remplaçant par ce contrat unique. Il s'agit ensuite, de professionnaliser les formations en alternance, en les ramenant à leur vocation première, à savoir la formation des jeunes sans qualification, donc ceux qui sont les plus en difficulté. Il s'agit, enfin, de personnaliser les contrats en alternance, en autorisant la modulation des formations en fonction des besoins de l'entreprise et des attentes des candidats.

La seconde disposition qui témoigne de cette responsabilisation accrue des partenaires sociaux est la liberté d'affectation des fonds de la formation professionnelle entre l'alternance et l'apprentissage, qui leur est laissée par le Gouvernement. Il a ainsi été décidé de créer un fonds unique de péréquation des fonds de la formation. Il s'agit, là encore, d'un équilibre subtil, qu'il conviendra de ne pas remettre en cause.

En contrepartie de cette liberté nouvelle, les partenaires sociaux devront bien sûr rendre compte de leurs actes. Le projet de loi comporte ainsi de très nombreuses dispositions garantissant la transparence des comptes, des statistiques et des actions de formation menées.

L'Assemblée nationale a estimé que c'était encore insuffisant : elle a fonc alourdi le régime de sanctions applicable aux organismes collecteurs des fonds, ce qui paraît justifié, et elle a par ailleurs rétabli la Commission nationale des comptes de la formation professionnelle, ce qui me semble moins convaincant, d'autant plus que le Sénat l'avait lui-même supprimée lors de l'examen du projet de loi de modernisation sociale.

Enfin, monsieur le ministre, le Gouvernement s'est appliqué le principe de reponsabilité à lui-même, en ajoutant au texte des dispositions qui ne figuraient pas dans l'ANI et qui n'empiètent en rien sur le champ d'intervention des partenaires sociaux.

Vous avez tout d'abord rappelé que l'Etat doit contribuer à l'exercice du droit à la qualification professionnelle. L'Assemblée nationale y a d'ailleurs associé, à juste titre, la région au nom de la décentralisation actuellement en cours d'approfondissement.

Vous avez également rénové le dispositif d'aide au remplacement des salariés en formation dans les PME.

Vous avez intégré la lutte contre l'illettrisme dans le champ de la formation continue, ce qui répond aux préoccupations que j'ai exprimées lors de l'examen du projet de budget pour 2004.

Vous avez considéré la formation professionnelle des personnes handicapées comme une priorité de la négociation, bien qu'elle se limite encore à des actions « spécifiques », alors que la plupart des associations réclament une égalité de traitement avec les personnes valides. Mais j'y reviendrai.

Enfin, vous avez souhaité insérer dans le projet de loi des dispositions relatives à l'apprentissage. Cette insertion a choqué certains partenaires sociaux, qui avaient demandé l'ouverture d'une concertation sur l'apprentissage avant toute initiative législative. Il s'agit là à mon sens d'un faux débat, car les articles « incriminés » ne portent que sur des aménagements techniques, souhaités d'ailleurs de longue date par le Sénat.

Responsabilité des salariés, des employeurs, des partenaires sociaux, de l'Etat : telle est donc la philosophie du premier volet de ce texte ; je la crois satisfaisante.

Cependant, d'autres acteurs sont plus réservés : je pense aux régions, qui s'estiment oubliées, et il est vrai, à cet égard, que la commission des affaires sociales du Sénat déplore l'absence d'articulation entre ce projet de loi et celui tendant à décentraliser la formation au profit des régions, dont l'examen est aussi en cours ; je pense également aux représentants de la filière interprofessionnelle qui ont critiqué la « consécration des branches » ; je pense enfin aux organismes de formation qui demandent sinon un moratoire de plusieurs années, du moins un report à 2005 de la date d'entrée en vigueur des nouveaux contrats en alternance.

C'est pour répondre à ces inquiétudes que je propose de compléter le travail accompli par l'Assemblée nationale. Nous préserverons les grands équilibres du texte signé par les partenaires sociaux, mais, sur certains points dont la lecture ne paraît pas claire, il nous faudra parfois trancher. En effet, pour être applicable, le droit doit être précis, sous peine d'actions contentieuses en série. Notre mission est d'y veiller.

Au travers de la quarantaine d'amendements que je soumettrai à l'approbation du Sénat, six objectifs apparaissent.

Premièrement, nous avons souhaité clarifier les dispositions du projet de loi que nous avons jugées obscures, par exemple pour ce qui concerne la durée de formation des titulaires de contrat de professionnalisation ou la date d'entrée en vigueur du relèvement de la contribution financière des entreprises.

Deuxièmement, nous pensons qu'il est indispensable de rapprocher autant que possible les termes du projet de loi du contenu de l'accord qu'il vise à transposer. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons revenir sur la suppression, par l'Assemblée nationale, de l'obligation de formation des salariés par l'employeur.

Les partenaires sociaux ont souhaité redéfinir les actions de formation qui composent le plan de formation autour d'une typologie ternaire : les actions d'adaptation au poste de travail ; les actions de formation liées à l'évolution des emplois et contribuant au maintien dans l'emploi ; enfin, les actions de formation ayant pour objet le développement des compétences des salariés.

Comme je l'indiquais, l'Assemblée nationale a considéré que, dès lors que certaines des formations pouvaient être effectuées hors du temps de travail, cela imposait ipso facto de supprimer l'affirmation de l'obligation générale de formation à la charge de l'employeur.

Il y a là, je le crois, un malentendu, monsieur le ministre. Vous vous êtes déclaré favorable à cette suppression, mais, dans le même temps, vous avez précisé que cette suppression « ne remet nullement en cause les obligations de l'employeur en matière de formation. Celui-ci a l'obligation d'assurer l'adaptation de ses salariés à l'évolution de leurs emplois. Il lui incombe en effet, dans l'intérêt de l'entreprise, d'entretenir leurs qualifications au titre de l'exécution loyale du contrat de travail. Sur cette base, et grâce à la loi qui permet d'effectuer certaines formations en dehors du temps de travail, par le mécanisme intelligent de la coresponsabilité défini par les partenaires sociaux, l'accès réel à la formation des salariés sera facilité et démultiplié. »

Or cette explication n'a pas rassuré les syndicats de salariés, qui y ont vu un déséquilibre grave par rapport à l'ANI et une remise en cause d'un principe qu'ils souhaitaient ne pas voir contester.

C'est la raison pour laquelle nous proposerons le rétablissement de l'obligation de formation des salariés par l'entreprise, tout en adaptant cette obligation à la nouvelle typologie des actions qui composent le plan de formation. C'est là une solution intermédiaire qui, je le crois, satisfera les partenaires sociaux.

Troisièmement, la commission des affaires sociales du Sénat s'est montrée soucieuse de donner un contenu effectif au principe de l'égalité d'accès à la formation professionnelle. Elle a donc souhaité ouvrir ces dispositifs à des publics peu ou pas intégrés dans le champ de l'ANI. Nous n'avons voulu oublier ni les personnes inactives, femmes ou hommes, qui ont cessé leur activité pour s'occuper de leurs enfants ou de leur conjoint ou ascendants en situation de dépendance, ni les salariés employés sous contrat à durée déterminée, ni les professions agricoles, ni les personnes illettrées, ni les travailleurs handicapés. Il nous est apparu légitime qu'ils soient associés à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Quatrièmement, la commission s'est attachée à préserver les PME, qui ont déjà consenti un effort financier important pour la formation, afin qu'elles puissent surmonter les nouvelles formalités administratives prévues dans ce projet de loi. Nous proposerons donc de créer un « titre-formation », sur le modèle du ticket-restaurant, qui leur permettra de s'acquitter des frais de formation de manière simplifiée.

Cinquièmement, la commission s'est préoccupée de la manière dont notre système de formation professionnelle est aujourd'hui organisé. Nous avons observé qu'il était en grande partie financé par les branches professionnelles, en particulier dans l'industrie, au détriment de la voie interprofessionnelle et avec une prise en compte insuffisante du secteur des services. Certains ont même parlé d'une « consécration des branches » dans l'ANI. Il s'agit non pas ici de remettre en cause la légitimité ou l'action des branches, mais de redonner un espace à la négociation interprofessionnelle dans la mise en oeuvre et le financement des actions de formation.

Enfin, la commission a souhaité renforcer le contrôle des prestataires de formation. Nous présenterons donc des amendements tendant à permettre une application plus stricte du principe de transparence et à renforcer le régime des sanctions prévues en cas d'infraction aux règles de droit.

Toutefois, nous avons été unanimes pour refuser le rétablissement de la commission nationale des comptes de la formation professionnelle, proposé par l'Assemblée nationale. Il ne s'agit pas de nier la nécessité de contrôler un système qui brasse aujourd'hui 22 milliards d'euros chaque année, mais cette solution, déjà envisagée par le passé sans résultat, ne nous a pas convaincus. Nous avions déjà supprimé cette commission lors de l'examen du projet de loi de modernisation sociale parce qu'elle ne s'était réunie qu'une seule fois en sept ans d'existence : à quoi servirait de l'instituer à nouveau dans les termes qui ont provoqué son échec ? Son rétablissement symboliserait une certaine défiance vis-à-vis des partenaires sociaux et irait de surcroît, me semble-t-il, à contre-courant du mouvement historique de décentralisation qui est en marche. En revanche, nous vous demandons, monsieur le ministre, de renforcer les effectifs et les moyens alloués à la sous-direction de contrôle qui fait partie des services de votre ministère et dont la mission est précisément de remplir cette fonction de contrôle.

Monsieur le ministre, en enrichissant l'accord conclu par les organisations syndicales et patronales le 20 septembre dernier, la commission a voulu n'oublier personne et concilier des exigences en apparence contradictoires, mais pas toujours incompatibles. Je pense que c'est à cette condition que le dialogue social et la démocratie parlementaire se compléteront efficacement. Les représentants des syndicats que nous avons reçus nous ont tenu les propos suivants : « Aussi supérieure que puisse être la légitimité du législateur à celle du négociateur, il ne faut pas qu'il décourage le négociateur. » Qu'ils sachent bien que, pour notre part, nous avons entendu ce message.

Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur notre soutien à ce projet de loi ambitieux et novateur, dont nous préconisons l'adoption sous réserve de celle des amendements que nous présenterons. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux, rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Chérioux, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le second volet de ce texte concerne, vous le savez, le dialogue social.

Il s'inscrit dans la continuité d'un mouvement qui remonte à plus de trente-cinq ans et qui a été inauguré par le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas. La mise en place de la « nouvelle société » que celui-ci appelait alors de ses voeux passait, en effet, par l'émergence d'une nouvelle autonomie des acteurs sociaux.

M. René-Pierre Signé. C'est Delors !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Ce mouvement a été marqué par l'adoption de deux lois fondamentales pour l'approfondissement du dialogue social : la loi du 13 juillet 1971 et la loi « Auroux » du 13 novembre 1982. Elles correspondaient à une même ambition : il s'agissait de favoriser le développement de la négociation collective en élargissant sa place, en permettant sa décentralisation au plus près du terrain et en renforçant la légitimité des accords.

Le présent projet de loi constitue une nouvelle étape de ce mouvement, car si l'on ne peut nier que le dialogue social se soit progressivement enrichi et étendu depuis 1971, cette évolution reste aujourd'hui encore inachevée.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est clair !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Cela tient, pour beaucoup, à la frilosité - oserais-je dire à la défiance ? - qu'ont manifestée certains gouvernements à l'égard des partenaires sociaux et de leur sens des responsabilités. Cela tient aussi à l'arrogance hautaine de certains dirigeants patronaux nostalgiques d'un ordre révolu et à l'attitude de certains responsables syndicaux, dont le discours demeure encore imprégné de la notion périmée de lutte des classes. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et sur les travées socialistes.)

M. Roland Muzeau. Non, elle n'est pas périmée !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Cependant ; il faut surtout imputer cet état de choses à une inadaptation croissante de notre droit de la négociation collective, qui reste aujourd'hui figé dans la forme qu'on lui a donnée voilà plus de vingt ans et qui a ignoré l'évolution des comportements, désormais, et c'est heureux ! plus empreints de réformisme.

Je ne reviendrai pas sur l'état actuel du dialogue social. Je rappellerai seulement que les partenaires sociaux déplorent les entraves qu'il subit et son essoufflement, ainsi que nous avons pu le constater lors des auditions auxquelles nous avons procédé.

Les facteurs de blocage sont, en effet, nombreux : poids des mutations économiques et sociales, interventions toujours plus larges et plus pointilleuses du législateur, fragilité des organisations syndicales, carence du dialogue social dans les petites entreprises.

Toutes ces évolutions soulignent, si besoin était, la nécessité de donner aujourd'hui un nouvel élan au dialogue social.

J'observe, à ce propos, que nos principaux partenaires européens ont, pour la plupart d'entre eux, d'ores et déjà engagé une réforme de leur droit de la négociation collective. La tendance est partout au renforcement et à la décentralisation de cette dernière à l'échelon de l'entreprise.

Une « nouvelle donne » n'est néanmoins possible qu'à une double condition : que la réforme en cours se fonde sur une initiative des partenaires sociaux, qui seront à l'avenir chargés de la faire vivre ; que le projet de loi vise effectivement à réduire les blocages qui ont progressivement conduit à figer le dialogue social dans notre pays.

J'ai la conviction que ces deux conditions sont aujourd'hui réunies, monsieur le ministre.

D'abord, le présent texte est lui-même le fruit du dialogue social, puisqu'il s'appuie, pour l'essentiel, sur la Position commune du 16 juillet 2001 signée par l'ensemble des organisations syndicales représentatives, à la seule exception de la CGT.

M. Roland Muzeau. Quand même !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Ensuite, il s'attaque directement aux trois principaux points de blocage identifiés : la légitimité incertaine des accords, l'articulation trop contraignante des différents niveaux de négociation et les failles de la couverture conventionnelle.

En conséquence, le premier axe du projet de loi vise à modifier les règles de conclusion des accords collectifs pour renforcer la légitimité de ceux-ci.

Il introduit, à ce titre, le « principe majoritaire » à tous les niveaux et pour tous les accords. Ce principe majoritaire peut prendre une double forme : soit la majorité d'engagement, soit le droit d'opposition, selon des modalités spécifiques pour chaque niveau de négociation. Ces nouveaux modes de validité seront déterminés par les partenaires sociaux eux-mêmes, puisque ce seront des « accords de méthode », conclus au niveau de la branche et qui préciseront le régime applicable aux accords professionnels et aux accords d'entreprise. En l'absence d'accord, c'est le droit d'opposition qui s'appliquera.

Je ferai trois observations sur ce dispositif.

D'abord, il ne concerne que la légitimité des accords et non celle des acteurs. Il ne tend à revenir ni sur le monopole syndical pour la négociation ni sur les règles de représentativité des syndicats. Ce dernier point soulève incontestablement des interrogations, comme nous avons pu le constater lors de nos auditions, et devra être étudié dans l'avenir. Pour ma part, je considère qu'il était raisonnable de ne pas ouvrir, parallèlement au projet de loi, ce second chantier, au risque d'engendrer de nouveaux blocages.

Ensuite, ce principe de légitimité renforcée ne constitue pas, il faut y insister eu égard à ce que l'on a pu lire et entendre, une nouveauté. La loi du 13 novembre 1982, dite « loi Auroux », avait déjà introduit un droit d'opposition lors de la conclusion d'accords dérogatoires, que la loi du 31 décembre 1992 a élargi aux cas de révision « à la baisse » des accords. Dès lors, le texte ne fait que généraliser cette exigence.

M. René-Pierre Signé. Eh bien voilà ! Vous aviez de bonnes bases !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Enfin, j'observe que la mise en oeuvre du principe majoritaire dépendra, en définitive, de ce qu'en feront les partenaires sociaux. En l'état actuel des choses, c'est évidemment le droit d'opposition qui sera privilégié, comme le prévoyait d'ailleurs la Position commune. Il aurait été sans doute prématuré de généraliser immédiatement la majorité d'engagement, mais le projet de loi, en posant le principe d'une élection de représentativité de branche, ouvre la voie à des évolutions plus profondes. En cela, il me paraît équilibré et constitue un juste compromis.

M. René-Pierre Signé. C'est votre point de vue !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Le second axe du projet de loi concerne la nouvelle articulation des normes du droit du travail.

Les partenaires sociaux ont souhaité, toujours au travers de la Position commune, clarifier cette articulation pour renforcer l'autonomie de chaque niveau de négociation.

Actuellement, elle est régie par le principe de faveur, qui vise à concilier deux principes pourtant contradictoires : d'une part, celui de l'autonomie de chaque échelon de négociation, puisqu'il est possible de négocier sur tout et à tous les niveaux ; d'autre part, celui d'une hiérarchisation des normes assurant la cohérence de l'ordre juridique.

Ce principe de faveur est actuellement organisé par la loi. Cependant, il s'avère, en pratique, difficile à appliquer : comment apprécier ce qui est plus favorable, compte tenu de la diversité des aspirations des salariés et des besoins des entreprises ? De fait, le législateur l'a déjà largement adapté. Ainsi, l'ordonnance du 16 janvier 1982 ...

M. René-Pierre Signé. La belle époque !

M. Jean Chérioux, rapporteur. ... a introduit la possibilité de conclure des accords dérogatoires à la loi, et donc, le cas échéant, moins favorables. Depuis lors, le champ de ces dérogations s'est sans cesse étendu.

M. René-Pierre Signé. Vous aviez voté contre !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Le projet de loi prévoit pour sa part une nouvelle articulation entre les différents types d'accords.

Les dispositions des articles 36 et 37 tendent à confier aux partenaires sociaux le soin d'aménager la portée de la règle la plus favorable en ouvrant elles aussi des possibilités de dérogation.

Le dispositif a suscité, ici ou là, certaines craintes, parfois même de vives critiques.

Selon certains, il conduirait à vider de sa substance la négociation de branche et aboutirait à faire de l'entreprise le seul échelon effectif de régulation sociale.

Selon d'autres, il mettrait à mal le principe de faveur et entraînerait de facto une systématisation de l'application de la règle la moins favorable au niveau de l'entreprise.

Ces critiques s'appuient sur une lecture erronée du projet de loi, lequel comporte plusieurs verrous de nature à prévenir de telles dérives. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles. (Murmures sur les travées du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. On va y revenir, oui !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Cela étant, je rappelle que ces nouvelles dispositions ne remettent pas en question la valeur hiérarchique des accords conclus avant l'entrée en vigueur de la loi.

M. Roland Muzeau. Mais si !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Ce principe de non-rétroactivité me paraît constituer l'un des points d'équilibre du texte. Il permet d'éviter de donner ex post à ces accords une portée qu'ils n'avaient pas dans l'esprit de leurs signataires.

M. René-Pierre Signé. C'est à voir !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Surtout, ces critiques se fondent sur une vision inexacte de la réalité du dialogue social.

M. René-Pierre Signé. Le dialogue social, vous ne le connaissez pas !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On ne peut pas dire cela à M. Chérioux, tout de même !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Vous parlerez lors de la discussion des articles, monsieur Signé, et je vous écouterai alors avec beaucoup d'intérêt !

Que constate-t-on ?

D'abord, dans un certain nombre de branches, on observe un appauvrissement progressif de la négociation de branche, au profit des accords d'entreprise. La branche n'est donc plus, aujourd'hui, toujours en mesure de jouer son rôle régulateur.

Ensuite, comme je l'ai déjà souligné, on constate des difficultés d'application du principe de faveur. Dans les faits, il est devenu possible, dans le cadre d'un accord d'entreprise, par une ingénierie juridique assez simple, d'écarter certaines clauses ponctuellement plus favorables de la convention de branche, dès lors que l'accord d'entreprise est globalement plus favorable.

En définitive, la commission a la conviction que le projet de loi apporte une réponse pragmatique aux difficultés actuelles d'articulation entre accord de branche et accord d'entreprise. La solution proposée consiste à confier aux partenaires sociaux eux-mêmes la responsabilité d'organiser les conditions d'autonomie de l'accord d'entreprise, dans les limites fixées par la loi. Ce seront les négociations de branche qui auront à décider de l'effet impératif des accords conclus à ce niveau.

Finalement, on passe donc d'une autonomie de l'accord, strictement et uniformément encadrée par la loi et difficile à mettre en oeuvre, à une autonomie régulée par les partenaires sociaux eux-mêmes.

M. René-Pierre Signé. La flexibilité !

M. Jean Chérioux, rapporteur. En posant le principe de l'autonomie de l'accord d'entreprise, cette nouvelle articulation permettra d'adapter l'accord au plus près des exigences du terrain, sans devoir forcément respecter les stipulations d'un accord de branche qui ne peuvent pas toujours apporter des solutions appropriées à la diversité des situations.

M. René-Pierre Signé. On sait ce que cela veut dire !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Nous y viendrons tout à l'heure, et vous comprendrez mieux, du moins si vous le voulez, ce qui n'est pas évident !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il n'a pas lu le texte, il ne peut pas comprendre !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Le projet de loi, en revanche, n'aborde qu'à la marge la question de l'articulation entre la loi et l'accord. Cette question est étudiée non sous l'angle de leur hiérarchie - le principe de l'ordre public étant bien entendu maintenu -, mais sous l'angle de leur complémentarité, dans le prolongement direct des propositions de la Position commune.

Cette complémentarité est nécessaire pour l'élaboration de la norme. L'expérience a d'ailleurs montré qu'une collaboration constructive entre le législateur et les partenaires sociaux permet d'améliorer la qualité et, surtout, la stabilité de la loi. A cet égard, l'idée d'une « charte de méthode », proposée dans l'exposé des motifs, me paraît de bonne politique. Il était d'ailleurs difficile d'aller plus loin dans une loi ordinaire, n'est-ce pas, monsieur le ministre ? (M. le ministre acquiesce.)

Mais une meilleure complémentarité s'impose également pour l'application de la loi. Le projet de loi répond à la demande des partenaires sociaux pour que « les modalités d'application des principes généraux fixés par la loi soient négociées, au niveau approprié, par les interlocuteurs sociaux ». L'article 38 tend alors à généraliser les possibilités existantes de mise en oeuvre des dispositions législatives par accord d'entreprise.

Le dernier axe du projet de loi s'attache à favoriser le développement du dialogue social à tous les niveaux et sous toutes ses formes.

De fait, les deux premiers axes n'auront de sens et ne permettront un réel développement de la négociation collective que si les obstacles qui freinent encore l'exercice du dialogue social à tous les niveaux sont levés.

Le projet de loi, se fondant, là encore, sur la Position commune, prévoit d'abord de renforcer les moyens donnés au dialogue social. Je pense ici notamment à la reconnaissance d'un « droit de saisine » pour les organisations syndicales, à l'organisation des carrières des militants syndicaux ou à l'accès aux nouvelles technologies de l'information.

Il ouvre aussi de nouveaux espaces à la négociation collective, par exemple lorsqu'il reconnaît l'accord de groupe ou qu'il institue des commissions paritaires territoriales. (Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste.)

C'est surtout le cas lorsqu'il introduit de nouvelles possibilités de conclure des accords dans les PME dépourvues de délégué syndical. L'article 36 prévoit ainsi que des accords pourront être conclus avec les élus du personnel ou avec des salariés mandatés, dans des conditions encadrées par la branche. Cette disposition reprend très largement les clauses de l'accord interprofessionnel de 1995, qui avaient déjà été transposées par la loi du 12 novembre 1996, mais seulement à titre expérimental.

M. René-Pierre Signé. MEDEF !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Sa généralisation favorisera utilement, à mon sens, la conclusion d'accords dans les petites entreprises.

En première lecture, l'Assemblée nationale n'a que peu modifié le texte qui lui était soumis ; il est vrai qu'il repose sur un équilibre fragile ; puisqu'il est largement issu de la Position commune, elle-même le fruit d'un compromis.

Pour sa part, la commission des affaires sociales ne vous proposera pas non plus de revenir sur l'équilibre du projet de loi.

J'ai, en effet, la conviction que cet équilibre est à la fois pragmatique et satisfaisant. Le mérite essentiel du texte est, selon moi, de favoriser la responsabilité des partenaires sociaux, notamment au niveau des branches, en leur donnant de nouvelles facultés pour organiser la négociation collective dans les limites fixées par le projet de loi.

M. René-Pierre Signé. Monsieur Chérioux, un peu de sérieux !

M. Jean Chérioux, rapporteur. C'est donc à eux qu'il appartiendra de faire vivre ce texte qui ouvre le champ des possibles.

Aussi la commission a-t-elle souhaité « coller au plus près » à la Position commune, qui est assurément un texte négocié et signé par les partenaires sociaux et qui constitue une adresse formelle aux pouvoirs publics.

Dans cet esprit, je vous présenterai essentiellement des amendements que l'on peut qualifier de « techniques ». Ils visent à permettre la mise en application de la future loi dans les meilleures conditions possibles avec un triple objectif.

Il s'agit, d'abord, de garantir la portée de la loi en s'assurant de son effectivité sur le terrain ; ensuite, de compléter le texte, parfois excessivement bref, en lui apportant certaines précisions indispensables pour sa mise en oeuvre ; enfin, de s'assurer de la sécurité juridique pour prévenir, en amont, toute difficulté d'interprétation.

Au-delà, votre commission vous proposera - mais vous n'en serez pas étonnés - de compléter le projet de loi par un volet relatif à la participation. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. René-Pierre Signé. Cela, c'est du gaullisme !

M. Jean Chérioux, rapporteur. Cela nous a paru important, compte tenu du rôle que la participation a joué, et joue encore, dans le développement du dialogue social dans notre pays. Je crois, d'ailleurs, que l'on n'insistera jamais assez sur sa fonction pédagogique.

Ces propositions ne visent pas, loin s'en faut, à engager une réforme d'ensemble de la participation. Il est, en effet, encore trop tôt pour dresser un premier bilan de la loi dite « Fabius » du 19 février 2001. J'observe, d'ailleurs, que cette loi a repris l'essentiel des propositions qu'avait formulées la commission des affaires sociales dès 1999. C'est un bel hommage du gouvernement de l'époque aux travaux du Sénat !

Les amendements viseront, plus modestement, à lever les quelques obstacles législatifs qui entravent encore le développement de la participation, en particulier dans les petites et moyennes entreprises, et à encourager plus avant la négociation collective en la matière.

1 Au total, le projet de loi constitue donc une nouvelle étape dans la constitution d'une société plus participative et plus décentralisée.

En faisant le choix du réformisme et le pari de la responsabilité des acteurs sociaux et en refusant les conflits idéologiques stériles, ce texte répond, en définitive ; à la noble exigence formulée par le général de Gaulle : « En notre temps, la seule querelle qui vaille est celle de l'homme. » Et, dans le cas présent, celle de l'homme au travail.

La commission des affaires sociales vous propose donc, mes chers collègues, d'adopter les titres II et III et les amendements qu'elle vous présentera. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 82 minutes ;

Groupe socialiste, 44 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 18 minutes.

Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 13 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Chabroux.

M. René-Pierre Signé. Ce n'est plus le MEDEF que nous allons entendre !

M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous présentez comprend deux volets, en fait deux textes qui auraient mérité un examen séparé ; vous les « couplez » pour que le premier, qui porte sur la formation professionnelle, joue un rôle de levier et permette de faire voter le second qui, lui, concerne le dialogue social.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah !

M. Gilbert Chabroux. Le texte global est hémiplégique.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ne le votez que d'une main !

M. Gilbert Chabroux. En effet, le premier volet pourrait bien fonctionner, moyennant quelques améliorations ; tandis que le second suscite une réaction de rejet unanime de la part des organisations syndicales de salariés, ce qui est un lourd handicap ; mais aussi un paradoxe, puisqu'il s'agit de rénover le dialogue social.

M. Charles Gautier. La ficelle est un peu grosse !

M. Gilbert Chabroux. Le problème, qui n'est pas nouveau, est celui du rapport entre la loi et le contrat. On prête souvent à Lacordaire la maxime selon laquelle c'est la liberté qui opprime et la loi qui protège. Avec ce projet de loi, qui met en place une « machine à découdre » le droit du travail, c'est la loi qui opprime !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !

M. Gilbert Chabroux. Vous poursuivrez ainsi, monsieur le ministre, votre oeuvre de déconstruction sociale, après la suppression des emplois-jeunes, la réduction drastique des contrats aidés, après la remise en cause des 35 heures et le coup porté au processus de réduction du temps de travail, après la suspension des articles de la loi de modernisation sociale relatifs aux licenciements économiques, après la réforme de l'allocation spécifique de solidarité, qui envoie 150 000 personnes de plus au RMI ou au RMA - ce RMA qui est un petit chef-d'oeuvre de contrat précaire quasiment gratuit pour les employeurs -,...

M. Guy Fischer. Deux pour le prix d'un !

M. Gilbert Chabroux. ... bref, après tous ces coups portés à la politique de l'emploi du gouvernement précédent, et alors que le bilan de votre action est accablant...

M. René-Pierre Signé. Et nous sommes accablés !

M. Gilbert Chabroux. ... - 138 000 chômeurs de plus en un an,...

M. René-Pierre Signé. Ouh là là !

M. Guy Fischer. Du jamais vu !

M. Robert Bret. Vraiment pas de quoi être fier !

M. Gilbert Chabroux. ... soit une augmentation de 6 %, et 100 000 emplois industriels détruits - alors que les annonces de plans sociaux se succèdent tous les jours et que les chiffres des licenciements font frémir (Exclamations sur les travées de l'UMP),...

M. Joseph Ostermann. C'est à cause des 35 heures !

M. Jean-René Lecerf. Oui, c'est le bilan à en tirer !

M. Gilbert Chabroux. ... vous poursuivez votre oeuvre de déconstruction sociale, sans relâche, j'allais dire imperturbablement, comme si de rien n'était, dans cette voie qui ne mène qu'à la régression sociale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Dites-le aux partenaires qui ont signé vos accords !

M. Gilbert Chabroux. Il est vrai que le Président de la République ne peut que vous inspirer, lui qui prône « l'allégement des procédures inutiles et des charges excessives ».

Il vous faut donc continuer le « détricotage » du code du travail et offrir de nouveaux cadeaux aux entreprises.

Nous attendons avec une certaine inquiétude la loi de mobilisation pour l'emploi qui est annoncée, car nous redoutons qu'elle ne fasse que renforcer la flexibilité et la précarité des salariés, par exemple avec la création du contrat dit « de mission ».

M. René-Pierre Signé. Très bien !

M. Gilbert Chabroux. Il est vrai que vous avez, monsieur le ministre, exprimé des réserves sur ce type de contrat.

M. Louis Souvet. Pas du tout !

M. Gilbert Chabroux. Mais il y a bien d'autres propositions dans le rapport de Virville, et le débat n'est certainement pas clos.

M. Guy Fischer. Il ne manque plus que les 35 heures !

M. Gilbert Chabroux. Que veut dire le Président de la République lorsqu'il proclame que l'année 2004 sera « l'année de l'emploi » ? Jusqu'où veut-il aller dans l'allégement des charges sociales des entreprises, sachant tout ce que vous avez déjà fait ? Sur qui se reportera l'effort financier ?

M. Simon Sutour. Ce sont des emplois fictifs !

M. Gilbert Chabroux. La politique qui se dessine et qui ne fait que prolonger celle que vous avez mise en oeuvre rejoint les voeux du MEDEF. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Chérioux, rapporteur. Ce sont les Français qui la souhaitent !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. S'il y avait plus de patrons, il y aurait plus d'employés !

M. Gilbert Chabroux. Faut-il s'en étonner, le MEDEF, lors de sa dernière assemblée générale, mardi 20 janvier, à Lille, vous a adressé ses félicitations en souhaitant évidemment que de nouvelles réformes « interviennent avant la fin du premier semestre, par exemple l'introduction du service minimum dans les transports publics ».

M. Gérard Braun. C'est bien, on en a besoin !

M. Gilbert Chabroux. L'âge d'or du MEDEF se profile !

Laurence Parisot, présidente de l'IFOP et membre du comité exécutif du MEDEF, a résumé assez bien, paraît-il, à Lille, l'état d'esprit des patrons. Elle a estimé que les chefs d'entreprise pouvaient être « pour ce siècle ce que les instituteurs ont été pour la IIIe République ». Et elle s'est exclamée : « L'école était à cette époque chargée de former le citoyen : n'est-ce pas à nous, à l'entreprise d'aujourd'hui, de lui apprendre le nouveau monde ? »

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela met en cause les enseignants !

M. Gilbert Chabroux. Après les hussards noirs de la République, les patrons ? Il faut oser !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il n'y a pas de honte à être patron ! Il faut avoir du courage, il faut prendre des risques.

M. Gilbert Chabroux. Puisque le MEDEF a des références historiques, il doit aussi se souvenir du programme qu'a défini, le 15 mars 1944, le Conseil national de la Résistance, pour la Libération. Nous allons en célébrer le soixantième anniversaire dans quelques semaines. On y trouve des objectifs d'une troublante actualité, par exemple, « l'instauration d'une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l'économie » ; on y trouve aussi le « droit au travail et au repos » et « un plan complet de sécurité sociale ».

M. Robert Bret. On en est bien loin !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Où est la formation professionnelle, là-dedans ?

M. Gilbert Chabroux. Mais je reviens à la place de la loi et à celle du contrat.

Le Président de la République a, lors de la présentation de ses voeux, rappelé son attachement au « dialogue social » et au contrat.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Quand même !

M. Gilbert Chabroux. Le Président de la République avait déjà déclaré, le 14 juillet dernier, qu'il fallait « en finir avec la vieille culture de l'affrontement ».

Le Premier ministre, dans son discours de politique générale, le 3 juillet 2002, s'était déjà engagé à « s'ouvrir à la démocratie sociale », au « dialogue social, qui est le préalable nécessaire au règlement de nos dossiers majeurs ». Que s'est-il passé sur ces grands dossiers ? L'école, les retraites ? On peut ajouter les intermittents du spectacle. Y a-t-il eu une réelle volonté de dialogue de la part du Gouvernement ?

M. René-Pierre Signé. Non !

M. Gilbert Chabroux. Qu'en sera-t-il sur le dossier de l'assurance maladie, le Gouvernement ayant annoncé par avance qu'il recourra à des ordonnances pour mettre en oeuvre sa réforme ? Il pourra même ainsi contourner l'obstacle parlementaire, qui n'est pourtant pas insurmontable !

M. René-Pierre Signé. Vive la démocratie !

M. Gilbert Chabroux. Je voudrais maintenant examiner rapidement les deux volets du projet de loi.

Le premier est censé transcrire l'accord national interprofessionnel signé le 20 septembre dernier par l'ensemble des confédérations syndicales et patronales. Cet accord, que vous avez qualifié d'« historique », représente effectivement un très grand progrès et la loi devrait avoir pour objectif de lui permettre de porter tous ses fruits.

Chacun doit pouvoir progresser dans son niveau professionnel ; la formation est un mode d'accomplissement personnel et collectif. C'est non seulement un problème de justice sociale, mais aussi un défi économique : les entreprises ont intérêt à avoir des salariés mieux formés. L'Etat doit aussi jouer pleinement son rôle, en premier lieu pour lutter contre le chômage. La formation est, nous le savons tous, la meilleure garantie contre le chômage : 35 % des personnes qui ont arrêté l'école à seize ans passent plus de deux ans au chômage, alors qu'elles sont moins de 15 % lorsqu'elles ont poursuivi leurs études jusqu'à vingt et un ans.

Or l'Etat, dans ce projet de loi, ne s'engage pas à la hauteur de ses responsabilités ; son rôle n'apparaît pas clairement, sans doute en raison du transfert prévu aux régions des compétences en matière de formation professionnelle, dans le cadre de la loi relative aux responsabilités locales, loi qui n'est pas encore votée. Y aura-t-il encore une politique nationale, un pilotage national ? (Oh non ! sur les travées du groupe CRC.) Quelle sera l'offre publique de formation ? De quel avenir peut-on augurer pour l'Association pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, qui est actuellement le bras armé de l'Etat dans ce domaine ? Ne risque-t-elle pas d'être démantelée ? Ne peut-on pas imaginer qu'au gré des convictions politiques de chaque exécutif régional la formation professionnelle pourrait être ou non entièrement déléguée à des organismes privés ?

C'est pour éviter ou pour limiter ce risque que nous insistons pour que des engagements clairs soient pris par l'Etat, notamment au niveau budgétaire. Pour être garanti, le droit à la formation tout au long de la vie ne doit pas être financé uniquement par les employeurs et par les salariés. En dehors des allégements de charges, des exonérations de cotisations dont vous avez parlé et qui ne constituent pas réellement des mesures positives, quel est l'effort de l'Etat, quelle est la réalité de sa participation financière ?

M. Roland Muzeau. Rien du tout !

M. Gilbert Chabroux. L'Etat pourrait être partie prenante, en renforçant l'accord du 20 septembre. Il pourrait le faire en inscrivant dans le texte le droit à une formation qualifiante différée, ce qu'on appelle une deuxième chance de formation. Vous avez dit, monsieur le ministre, que cette mesure viendrait plus tard, mais c'était l'occasion à saisir ! (Mme Annick Bocandé, rapporteur, proteste.)

Les partenaires sociaux, dans l'article 12 de l'accord, ont exprimé très fortement le souhait que ces formations de la deuxième chance soient mises en place avec le soutien financier de l'Etat. Ce droit à une formation de la deuxième chance, garanti par l'Etat à toute personne ayant quitté le système scolaire sans qualification, aurait dû aller de pair avec le droit individuel à la formation. Mais cette mesure suppose évidemment un abondement financier des pouvoirs publics. Or il n'y a rien ou presque rien dans votre texte, monsieur le ministre, qui permette de répondre à un besoin pourtant très largement ressenti. Votre texte est donc forcément boiteux, monsieur le ministre.

Bien d'autres points auraient pu être améliorés, par exemple la transférabilité du droit individuel à la formation, qui pourrait être étendue, mais nous y reviendrons au cours de la discussion des articles.

Puisque vous dites vouloir transcrire fidèlement l'accord du 20 septembre 2003, comment envisagez-vous de répondre aux organisations syndicales de salariés qui vous ont demandé le retrait de plusieurs dispositions du texte qui a été voté par l'Assemblée nationale, ces dispositions leur apparaissant comme non conformes à l'esprit et à la lettre de l'accord ? Mme Annick Bocandé y a d'ailleurs fait allusion. Il en est ainsi, à l'article 10, de la suppression du premier alinéa, qui précisait, et cela avait toute son importance : « L'employeur a l'obligation d'assurer l'adaptation des salariés à leur poste de travail et à l'évolution de leur emploi. Il participe en outre au développement de leurs compétences. » Cette rédaction avait le mérite d'être très claire, elle ne souffrait d'aucune ambiguïté, mais peut-être est-ce pour cela qu'elle a été supprimée. Il s'agit bien, je le répète, d'un principe essentiel. Il y a d'autres discordances encore.

Lors de votre audition par la commission des affaires sociales, vous avez parlé, monsieur le ministre, de « malentendus ». Je ne mets pas en doute vos propos, mais vous aviez, à l'Assemblée nationale, émis un avis favorable sur des amendements qui ont, aussi fâcheusement, modifié le texte.

M. Roland Muzeau. Eh oui !

M. Gilbert Chabroux. Je le répète : le rôle du législateur ne devrait-il pas être, par rapport à un tel accord "historique", d'enrichir le socle de droits qu'il constitue et non de le réduire ou de le dénaturer ?

M. Bernard Frimat. Très bien !

M. Gilbert Chabroux. Alors que le texte relatif à la formation professionnelle se réfère à l'accord national interprofessionnel, le texte relatif au dialogue social prétend s'appuyer sur la Position commune de juillet 2001 des partenaires sociaux, à l'exception notable de la CGT, sur "les voies et les moyens de la négociation collective". Il s'agit en fait d'une supercherie, car les dispositions les plus importantes que vous voulez faire voter sont contraires à l'esprit et à la lettre de la Position commune, à tel point que ce projet de loi censé s'appuyer sur l'unanimité des partenaires sociaux n'a recueilli, du côté syndical, qu'une franche et totale hostilité.

Il est vrai que ce texte ne vise rien d'autre que le renversement complet de la hiérarchie des normes en donnant la priorité aux accords d'entreprise par rapport aux accords de branche et aux accords interprofessionnels. Nous nous dirigeons ainsi vers une immense régression, dans l'esprit d'une mondialisation libérale qui ne connaît comme dialogue social que celui qui se limite à l'entreprise.

Toutes les organisations de salariés ont exprimé leur hostilité. La CFTC, syndicat pourtant modéré, parle de « folie douce ». La CFE-CGC, également modérée, a claqué la porte en s'exclamant : « Plus qu'une erreur, une faute ! » FO a dénoncé vigoureusement un « texte scandaleux » qui va permettre « la dérogation à tous les étages ». La CFDT manifeste « un désaccord de fond sur le rôle et la place de chaque niveau de négociation ». La CGT a déclaré que « le Gouvernement a clairement choisi le camp du MEDEF ». Elle a ajouté : il est temps « que le Gouvernement prenne conscience que son parti pris en faveur du MEDEF devient indécent et provocateur ». L'UNSA, la FSU, SUD ont eu également des mots très durs.

Même l'Union professionnelle artisanale s'inquiète du transfert de compétences de la branche à l'entreprise.

Seul le MEDEF est satisfait.

M. Jean-Pierre Bel. Et voilà !

M. Gilbert Chabroux. Le MEDEF, champion du « tout à l'entreprise », triomphe. Il tient sa refondation sociale. Un journal a affirmé que vous avez revu votre texte au dernier moment pour y insérer deux articles additionnels écrits « sous la dictée moins-disante du MEDEF ».

M. Roland Muzeau. Eh oui !

M. Gilbert Chabroux. Dans la nouvelle rédaction, les entreprises pourront négocier librement des accords, y compris « moins-disants », sauf en cas d'interdiction formelle des branches, autant dire très exceptionnellement, puisque cela suppose l'accord des patrons.

Le MEDEF peut se montrer satisfait, lui qui stigmatisait « la négociation de branche où les syndicats sont représentés par des permanents puissants et bien argumentés », alors que « dans l'entreprise, il y a une réalité : les commandes qui arrivent ». Cette réalité, nous la connaissons : c'est celle d'un rapport de forces bien moins favorable aux salariés. Ainsi, il sera possible de remettre en question des éléments de salaire, le treizième mois, les congés payés, les congés pour événements personnels, les durées de travail à temps partiel, le contingent d'heures supplémentaires...

M. Joseph Ostermann. N'importe quoi !

M. Gilbert Chabroux. La durée maximale hebdomadaire du travail, les dérogations au repos quotidien, sans oublier les indemnités de licenciement, les durées de préavis... Ce n'est pas rien !

M. Bernard Piras. C'est une régression sociale !

M. Gilbert Chabroux. Une étude serrée montre non seulement que ce projet de loi met à bas les règles essentielles qui régissaient la négociation collective en France, mais qu'il ouvre la voie à un éclatement du droit du travail et à son émiettement : autant d'entreprises, autant de droits !

Face à ce texte de régression sociale, le groupe socialiste présentera, au cours de la discussion, ses propositions pour renforcer la démocratie sociale.

M. François Fillon, ministre. Nous sommes curieux de les connaître !

M. Gilbert Chabroux. Je ne ferai dans l'immédiat que les citer. Nous les développerons lors de la discussion des articles.

Tout d'abord, la base de la démocratie étant l'élection, il est fondamental d'organiser dans toutes les entreprises, et au même moment, des élections permettant à tous les salariés, qu'ils travaillent dans une grande ou dans une petite entreprise, d'élire les délégués du personnel et d'affirmer leur préférence syndicale.

M. François Fillon, ministre. C'est intéressant !...

M. Gilbert Chabroux. Cela permettrait d'établir une juste évaluation de la représentativité des syndicats, qui ne peut pas rester figée indéfiniment. Le paysage syndical s'est profondément modifié depuis l'arrêté de 1966.

M. Jean Chérioux, rapporteur. C'est pourquoi le Gouvernement a déposé ce texte !

M. Roland Muzeau. Pour faire plaisir au MEDEF !

M. Gilbert Chabroux. J'en viens à ma deuxième proposition.

Il faut inscrire dans la loi le principe majoritaire sur lequel se fonde la démocratie. Il faut reconnaître les seuls accords majoritaires en précisant bien qu'il doit s'agir de l'accord des syndicats représentant une majorité des salariés concernés et non pas de l'aval de trois syndicats sur cinq jugés représentatifs.

Notre troisième proposition concerne l'exigence d'égalité. Il faut garantir à tout salarié un droit à la représentation et à la négociation. Il est grand temps de permettre aux salariés des PME et PMI d'élire des délégués du personnel inter-entreprises à l'échelon des branches ou des sites, leur assurant ainsi une égalité avec ceux des grandes entreprises.

M. Louis Souvet. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

M. Gilbert Chabroux. Enfin, l'objectif à atteindre doit être, évidemment, le progrès et l'intérêt général, ce qui est incompatible avec des accords d'entreprise dérogatoires qui pourraient être moins favorables pour les salariés que les accords de branche. La reconnaissance des accords de branche est indispensable pour la cohésion sociale. Renvoyer chacun à l'échelon de l'entreprise revient à accepter un dumping social à haut risque pour les salariés, mais aussi pour nombre de PME, en particulier les entreprises sous-traitantes qui seront encore davantage mises sous pression par leurs donneurs d'ordre.

Comme vous pouvez le constater, monsieur le ministre, si votre texte nous heurte et si nous nous y opposons, car il est lourd de conséquences pour les salariés et les entreprises de notre pays, nous ne nous contentons pas de le dénoncer. Nous faisons des propositions, qui sont pour nous autant de priorités,...

M. François Fillon, ministre. C'est tardif !

M. Gilbert Chabroux. ... afin de rénover le dialogue social et promouvoir une véritable démocratie sociale capable d'engager de nouveaux progrès collectifs. L'objectif que nous nous fixons est de développer une citoyenneté sociale, ce qui ne peut se faire qu'en accordant aux salariés des droits collectifs, facteurs d'émancipation de la personne humaine dans un univers trop largement dominé par les seuls intérêts des actionnaires. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui est un texte ambitieux du point de vue tant de la formation professionnelle que du dialogue social. Il comporte des avancées sociales certaines auxquelles nous sommes sensibles. Toutefois, celles-ci nous interpellent sur certains points, qu'il vous faudra clarifier, monsieur le ministre.

Le volet formation professionnelle du projet de loi reprend un accord que beaucoup ont pu qualifier d'historique. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail accompli par les partenaires sociaux qui, à l'issue de trois années de négociations, souvent difficiles, sont parvenus à la signature de cet accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003. Cette réussite témoigne de la vivacité d'une démocratie sociale que d'aucuns s'accordaient à juger moribonde.

L'accord national interprofessionnel n'a cependant pas pour seul mérite d'exister et de faire l'unanimité. Il porte aussi une réforme majeure de notre dispositif de formation professionnelle. Dans un contexte économique incertain et tendu, l'adoption d'un tel texte peut s'avérer une providence. Face à la nécessité d'adapter sans cesse notre outil de production aux fluctuations du marché, la formation professionnelle doit, plus que jamais, être placée au coeur de nos politiques offensives et défensives de l'emploi.

Or le présent projet de loi et l'accord qui le sous-tend transforment la formation professionnelle pour en faire un outil véritablement efficace au service de la croissance et des salariés.

La formation tout au long de la vie devient un droit réel des salariés. La création du droit individuel à la formation à l'initiative du salarié est, à cet égard, emblématique.

De même, le développement de la formation tout au long de la vie implique une simplification et un assouplissement des structures.

C'est ce que prévoit le projet de loi en matière d'alternance, avec le remplacement des contrats d'orientation, d'adaptation et de qualification par un contrat unique de professionnalisation. C'est aussi ce que prévoit le projet de loi en matière d'apprentissage, en permettant l'entrée dans un tel dispositif alors que l'intéressé est en CDI ou qu'il a dépassé l'âge de vingt-cinq ans.

Cette simplification se traduit également par la création d'un fonds unique de mutualisation des fonds affectés à la formation professionnelle, mais aussi par la création, suggérée par la commission, d'un titre spécial de paiement des formations.

L'un des grands apports du texte qui nous est soumis est aussi de permettre un accès effectif de chacun à la formation professionnelle : il répond ainsi à l'attente de personnes qui jusqu'ici souffraient d'un système qui ne leur accordait qu'une seule chance avant l'âge de vingt-cinq ans. La période de professionnalisation sera susceptible de redonner un second souffle à nombre de carrières.

Dans le même ordre d'idée, je tiens à rendre hommage au travail réalisé par Mme Annick Bocandé. Les aménagements au texte qu'elle suggère vont dans le sens d'une meilleure garantie et d'une concrétisation du principe d'égalité d'accès de tous à la formation.

Ainsi, le recours subsidiaire à la négociation interprofessionnelle qu'elle propose pour déterminer les modalités d'application du droit individuel à la formation et des contrats et périodes de professionnalisation est de nature à assurer une couverture conventionnelle de tous les salariés.

En outre, il est important, comme le propose la commission, d'ouvrir aux personnes handicapées tous les dispositifs de formation de droit commun, en plus des actions spécifiques initialement prévues par le texte.

De la même façon, il doit être possible d'augmenter le temps de formation au sein des contrats de professionnalisation pour les jeunes les plus en difficulté.

Enfin, la formation professionnelle tout au long de la vie doit aussi prendre en compte le cas des personnes qui ont interrompu leur activité pour s'occuper de leurs enfants ou de leurs ascendants. Dans l'esprit des aménagements proposés par la commission, nous vous proposerons de compléter le dispositif existant par la reconnaissance à ces personnes d'un droit spécifique à la formation.

Toujours dans la même logique, nous présenterons un amendement tendant à développer la formation professionnelle en prison afin que l'incarcération ne soit plus seulement l'école de la délinquance.

Le projet de loi qui nous est soumis emporte une véritable réforme, il est naturel qu'il soulève un grand nombre de questions relatives aux modalités de sa mise en oeuvre. Une telle réforme ne peut être appliquée qu'avec souplesse et réalisme. Il conviendrait, monsieur le ministre, de lever le flou sur un point crucial et d'assouplir le calendrier prévu pour l'entrée en vigueur des contrats de professionnalisation.

Le point crucial sur lequel la représentation nationale pourrait être éclairée concerne l'articulation qui sera faite entre le texte sur la formation professionnelle et la loi relative aux responsabilités locales, qui accorde aux régions la pleine maîtrise des politiques de formation. C'est par souci de cohérence, et à juste titre, que l'Assemblée nationale a associé la région à la mise en oeuvre du droit à la qualification professionnelle. Mais nous sommes toujours globalement dans le vague.

Par ailleurs, les organisations représentatives de l'offre de formation font légitimement valoir que la réforme ne pourra pas être appliquée facilement du jour au lendemain. C'est la raison pour laquelle nous vous proposerons que la date d'entrée en service des nouveaux contrats de professionnalisation soit déterminée ultérieurement par décret en prenant en compte la nécessaire adaptation de l'offre de formation. Nous aimerions en outre avoir l'assurance que les actions d'évaluation, d'accompagnement et les enseignements professionnels que les entreprises décideront de mettre en oeuvre elles-mêmes, le soient par des services de formation identifiés, structurés et déclarés comme organismes de formation.

En ce qui concerne le dialogue social, le texte du projet de loi, en dépit du fait qu'il repose sur un socle conventionnel moins solide que celui de la formation, n'en est pas moins novateur. Ici encore une véritable réforme structurelle est projetée.

Cette réforme s'appuie sur une véritable volonté des partenaires sociaux, exprimée dans la Position commune du 16 juillet 2001, de relancer la négociation collective. Parce que cet effort de démocratie sociale est réel, il importe plus que tout de respecter l'esprit et la lettre de la Position commune. Or si le texte du projet de loi reste globalement fidèle à la volonté des partenaires sociaux, il s'en écarte sur deux points fondamentaux.

Je tiens cependant, tout d'abord, à saluer les grandes lignes du volet dialogue social. En effet, il contient des avancées significatives propres à redonner un dynamisme certain à la négociation collective, sans laquelle le terme même de démocratie sociale ne serait qu'un vain mot. Il était important d'étendre le principe de négociation dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux. Mais l'avancée la plus significative est sans aucun doute le réaménagement complet du droit de l'opposition. Ce droit, tel qu'il est présenté dans le texte, est de nature à augmenter la légitimité des accords et conventions professionnels.

En revanche, sur deux points fondamentaux, le projet de loi me paraît en contradiction avec l'esprit de la Position commune, et l'interprétation faite de ce texte me semble des plus dangereuses. En effet, le projet de loi introduit la possibilité d'appliquer au niveau de la branche et de l'entreprise les règles de l'accord majoritaire, au détriment du principe d'opposition, pour la conclusion des conventions collectives.

D'une part, cette nouveauté n'est pas conforme à la volonté des partenaires sociaux. D'autre part, les règles de l'accord majoritaire ne sont pas réalistes, non seulement parce qu'il est illusoire de penser pouvoir consulter en même temps tous les salariés d'une même branche, mais aussi parce que l'analyse des élections au comité d'entreprise ne paraît pas pertinente.

Leur mise en oeuvre pourrait aboutir à l'effet inverse de celui qui est escompté et paralyser ainsi le dialogue social.

Par ailleurs, la subsidiarité de principe de tout accord de branche et la possibilité ouverte de droit d'y déroger par simple accord d'entreprise fait courir de gros risques à la démocratie sociale. Une telle règle, encore une fois étrangère à la Position commune, pourrait également paralyser le dialogue social et s'avérer très préjudiciable aux salariés, comme le soulignent unanimement toutes les organisations syndicales.

Alors que l'objectif affiché était la revitalisation du dialogue social, le législateur pourrait in fine apparaître comme le dernier recours des salariés. C'est pourquoi nous vous proposerons d'adopter des amendements visant à supprimer toute référence aux principes de l'accord majoritaire et à inverser le principe de subsidiarité, une convention d'entreprise ne pouvant déroger à un accord de branche que si ce dernier l'a expressément prévu.

Au demeurant, je salue la volonté qu'a manifestée le Gouvernement de ne présenter au Parlement le projet relatif à la formation professionnelle et au dialogue social qu'après la clôture des négociations entre partenaires sociaux. Toutefois, compte tenu des divergences importantes qui existent entre le présent projet de loi et la Position commune de 2001 sur le dialogue social, j'aimerais, monsieur le ministre, entendre vos explications ; elles seront essentielles au groupe de l'Union centriste pour déterminer sa position. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Joseph Ostermann.

M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez cette remarque liminaire : je fais partie des rares collègues encore engagés dans l'entreprise et les critiques sans concession émises à l'encontre des responsables d'entreprises me touchent, surtout au moment où les 35 heures et diverses contraintes administratives incitent nombre d'investisseurs à tourner leur regard vers des pays qui feront bientôt partie de l'espace européen. Des propos comme ceux qu'a tenus M. Chabroux ne peuvent qu'accélérer cette évasion économique.

Je me demande d'ailleurs pourquoi M. Chabroux ne crée pas sa propre entreprise : il pourrait ainsi mettre ses idées en conformité avec les réalités du moment ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur le banc de la commission.)

M. Gilbert Chabroux. C'est un peu facile !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais c'est bien vu !

M. Joseph Ostermann. J'en viens maintenant au projet de loi qui est aujourd'hui soumis à notre examen.

Compte tenu du temps qui m'est imparti, je ne pourrai, à mon grand regret, évoquer le volet du dialogue social, me contentant de dire, monsieur le ministre, que je partage totalement votre point de vue à ce sujet, tel que vous l'avez exposé dans votre propos introductif. Je centrerai donc mon intervention sur la situation des petites entreprises, notamment celles de l'artisanat et du commerce, secteurs que je connais bien, au regard de la formation professionnelle.

Il me semble en effet que ces entreprises sont concernées au premier chef par ce qui est ici en jeu du fait de la pénurie de main-d'oeuvre dont elles souffrent. Les chiffres sont à cet égard très éclairants : 12 millions d'emplois de niveau V et IV, soit 55 % des emplois, ne sont même pas envisagés comme perspective professionnelle par les jeunes, alors que 415 000 sont à la recherche d'un emploi.

Mme Gisèle Printz. A qui la faute ?

M. Joseph Ostermann. Ce phénomène risque encore de s'aggraver à partir de 2006 avec le départ à la retraite des générations du baby boom.

La formation professionnelle constitue une voie indispensable pour résoudre ce problème.

Or, là encore, les chiffres sont alarmants : d'une part, seuls 6 % des salariés des entreprises de moins de vingt salariés bénéficient de la formation continue, contre 32 % des salariés de l'ensemble des entreprises ; d'autre part, l'apprentissage, qui connaissait une croissance régulière depuis plusieurs années, est maintenant en repli. Ainsi entre février 2001 et février 2002, la proportion d'apprentis ayant retrouvé un emploi non aidé sept mois après avoir quitté leur centre de formation baisse de deux points.

Il paraît, par conséquent, urgent d'agir sur deux leviers : celui de la formation continue et celui de l'apprentissage.

En ce qui concerne la formation continue, les difficultés rencontrées par les petites entreprises pour favoriser l'accès de leurs salariés à la formation ne font qu'aggraver leur manque croissant d'attractivité par rapport aux grandes entreprises, notamment à la suite du passage aux 35 heures.

Par ailleurs, le très faible taux d'accès des petites entreprises à la formation est particulièrement inquiétant du fait de la mobilité des salariés de ces entreprises et de leur rôle déterminant dans la professionnalisation de très nombreux jeunes.

Le projet de loi présente à cet égard un certain nombre de mesures qui vont incontestablement dans le bon sens. Je citerai notamment la création du droit individuel à la formation et la mise en place d'une période de professionnalisation, mesures qui vont contribuer à réduire le fossé existant entre petites et grandes entreprises.

Saluons également deux dispositions visant à concilier ces droits individuels nouveaux du salarié avec les spécificités du fonctionnement de la petite entreprise : d'une part, la possibilité pour l'employeur de différer le départ en formation s'il entraîne l'absence simultanée de plus de deux personnes dans les entreprises de moins de cinquante salariés ; d'autre part, l'aide au remplacement des salariés en formation prévue à l'article 6.

Il me semble, en revanche, que, en prévoyant le versement des sommes correspondantes à un organisme collecteur, ce texte ne permettra pas de lutter contre la tendance croissante des entreprises à se libérer de leur obligation de formation par un versement à un organisme paritaire collecteur agréé, ou OPCA. La collecte de ces organismes est, en effet, en hausse de 6 % sur 2001 et de 12 % sur 2000.

En ce qui concerne l'apprentissage, il convient de réagir à la récente baisse du nombre d'apprentis et à la désaffection des jeunes pour ce type de formation. Face à cette situation, des actions doivent être menées en direction de trois catégories d'acteurs.

Elles doivent d'abord viser les entreprises artisanales elles-mêmes.

Ainsi le projet de loi prévoit un certain nombre d'assouplissements tels que le retour à huit heures, contre sept actuellement, en ce qui concerne la durée journalière de travail applicable aux apprentis et aux jeunes travailleurs de moins de dix-huit ans. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Il s'agit d'une disposition de bon sens. Les apprentis doivent, pour être véritablement impliqués dans la vie de l'entreprise, en suivre les rythmes, qui peuvent être particuliers dans certains secteurs tels que le bâtiment ou l'hôtellerie-restauration.

Le présent texte ne constitue cependant qu'une infime partie de la grande réforme annoncée de l'apprentissage.

En tant que membre du groupe de travail créé l'été dernier sur ce point par Renaud Dutreuil, j'ai pu interroger une centaine d'artisans de mon canton sur ce projet de réforme. Ils ont unanimement exprimé un grand nombre d'attentes qui me paraissent d'ailleurs recouper des actions qu'il conviendrait de mener en direction du deuxième type d'acteurs, à savoir les jeunes.

En effet, lorsqu'on les interroge sur les difficultés qu'ils rencontrent lors de l'embauche d'apprentis, les artisans mettent en avant la faiblesse du niveau de formation générale, des problèmes d'orientation, d'intérêt pour le métier et, enfin, de discipline et d'absentéisme.

S'agissait du niveau de formation générale, la tendance amorcée depuis dix ans est à l'élevation du niveau scolaire des apprentis. On observe effectivement un développement de l'apprentissage dans l'enseignement supérieur. En 1999-2000, environ 45 700 jeunes ont préparé un diplôme d'enseignement supérieur par la voie de l'apprentissage, soit une augmentation de 11 % en un an, qui faite suite à celle de 19 % enregistrée l'année précédente.

Il convient de soutenir cette tendance. C'est ce que fait le présent projet de loi en permettant des dérogations à la limite d'âge pour la signature d'un contrat d'apprentissage.

Quant aux problèmes de discipline et d'absentéisme, on peut les rapprocher des chiffres relatifs aux ruptures du contrat d'apprentissage qui font malheureusement apparaître une fréquence assez élevée : de l'ordre de 25 % en moyenne et jusqu'à 50 % dans l'hôtellerie.

La responsabilité semble partagée entre les jeunes et les entreprises. Les jeunes, pour leur part, n'ont bien souvent pas suffisamment intégré la culture du travail. Une action devrait être menée dans ce sens par l'éducation nationale.

Le Gouvernement, monsieur le ministre, en est manifestement conscient puisque votre collègue Luc Ferry a déclaré voilà quelques semaines : « Le travail est la valeur qui a été la plus mal traitée dans cette maison au cours de ces dernières années. »

M. Daniel Reiner. Oh là là !

M. Joseph Ostermann. Il ajoutait : « Il faut réhabiliter la pédagogie du travail chez les élèves. »

M. Jean Chérioux, rapporteur. Très bien !

M. Daniel Reiner. On se croirait à un meeting !

M. Joseph Ostermann. Du côté des entreprises, deux types de mesures devraient à mon sens être prises afin que des conditions de travail décentes soient offertes et que les apprentis ne soient pas cantonnés dans des tâches subalternes ou sans lien avec la formation suivie.

Tout d'abord, pour s'assurer de la qualité et des compétences des formateurs en entreprise, qui jouent un rôle précieux dans la transmission du savoir, il conviendrait de créer un statut reconnu de maître d'apprentissage. Chacun de ces maîtres d'apprentissage devrait répondre à des conditions de qualification et d'expérience professionnelle minimales dans le métier et, notamment, posséder un diplôme équivalent au métier préparé.

En contrepartie, il semblerait naturel que les entreprises formatrices soient indemnisées pour l'investissement en temps qu'elles engagent, sous forme de crédit d'impôt, par exemple.

La prévention des risques professionnels constitue, par ailleurs, un enjeu majeur. Une étude de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, sur les accidents du travail, publiée en mai 2002, montre en effet que les apprentis sont, avec les intérimaires, plus exposés que les autres travailleurs.

Enfin, une amélioration du système de rémunération devrait être mise en place. Les artisans que j'ai interrogés estiment qu'elle devrait être liée au diplôme et pas uniquement à l'âge.

Des mesures de ce type devraient être intégrées à la grande réforme tant attendue du statut de l'apprenti, afin de le mettre au même niveau que celui des étudiants. Il devient en effet urgent que l'apprentissage soit considéré pour ce qu'il est, à savoir une filière d'excellence et non une voie de garage.

Là encore, une action importante devrait être menée en direction des jeunes, mais aussi et surtout en direction du monde enseignant, qui influence bien souvent les choix professionnels des élèves. Ainsi, ne pourrait-on pas envisager, entre autres mesures, dans un contexte de départs massifs à la retraite, d'élargir le recrutement des professeurs au monde de l'entreprise ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bonne idée !

M. Joseph Ostermann. Car il faut bien avouer que l'immense majorité d'entre eux sont issus de l'université et sont donc enclins à favoriser le parcours qu'ils ont eux-mêmes suivi.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !

M. Joseph Ostermann. Le Livre blanc rédigé par votre collègue Renaud Dutreil en octobre dernier contient une série de propositions intéressantes et suscite de très vives attentes. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer le résultat des contributions qui ont suivi sa publication ainsi que le calendrier de mise en oeuvre de cette réforme de l'apprentissage ?

Même s'il constitue un pas dans la bonne direction, le présent projet de loi ne peut suffire pour répondre aux besoins des commerçants et artisans, qui sont très attachés à ce système de formation.

Sous réserve de ces éclaircissements et en remerciant nos rapporteurs de leur excellent travail, nous voterons bien entendu le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, ce projet de loi a la particularité de comporter deux volets qui auraient mérité d'être examinés séparément.

S'il n'en est pas ainsi, c'est tout simplement parce que vous avez choisi, monsieur le ministre, de profiter d'un accord national unanime des partenaires sociaux sur le volet « formation professionnelle » pour masquer les très graves dispositions contenues dans le volet « dialogue social ».

Pour ce qui concerne la formation professionnelle, mon amie Annie David exprimera notre opinion en insistant sur l'exigence du respect de cet accord national interprofessionnel et en développant les propositions d'amélioration que fera le groupe CRC.

Pour justifier les dispositions relatives au dialogue social, votre leitmotiv est qu'il faut être « moderne », prendre en compte la société et l'économie mondialisée, que ce qui se justifiait hier est obsolète aujourd'hui...

M. Jean Chérioux, rapporteur. Cela vaut mieux que d'être ringard !

M. Roland Muzeau. M. Gautier-Sauvagnac ajoute, pour le MEDEF, qu'il faut faire autrement !

Bref, tous ceux qui ne pensent pas comme la droite gouvernementale et le MEDEF sont, au mieux, taxés de ne rien comprendre, au pis, de vouloir la perte de notre économie et de notre pays !

La pensée unique a ses porte-parole : vous en êtes, monsieur le ministre, un des plus éloquents.

Ce qui a échoué avec les travaux du MEDEF sur les chantiers de la refondation sociale, vous l'imposez pas à pas, projet de loi après projet de loi.

Votre projet ne peut se comprendre hors du contexte que je viens de rappeler. Alors que la situation des salariés ne cesse de se dégrader, vous condamnez la hiérarchie des normes, vous condamnez le principe de faveur, vous balayez la règle de l'ordre public social.

Toute l'histoire du monde du travail démontre que luttes et progrès social sont inséparables. Les acquis des uns ont, à un moment donné, construit les droits de tous, qui ont eux-mêmes créé les conditions de nouveaux progrès portés par les revendications sociales.

Face aux critiques unanimes, vous avancez la « garantie » qu'offrirait l'introduction de l'accord majoritaire.

Nous sommes de ceux qui sont favorables à ce que les règles de validité des accords collectifs tout comme les critères de représentativité des organisations syndicales soient modifiés en profondeur.

Tout salarié doit pouvoir participer à l'élection de représentants syndicaux, quelle que soit la taille de son entreprise, et le principe majoritaire, fondement de notre démocratie politique, doit également s'appliquer en matière sociale. Un tel progrès permettrait que soit porté un regard nouveau sur les syndicats et, par conséquent, favoriserait une meilleure intervention des salariés.

Dans ces conditions, un accord majoritaire devrait, comme les communistes le proposent depuis 1982, pour être valide et légitime, avoir été signé par des syndicats ayant recueilli la majorité des voix aux élections.

Il y avait donc de quoi élaborer une vraie loi porteuse de progrès social ; tel n'a pas été votre choix.

Entre le dispositif actuel et un système reposant sur la signature d'organisations représentant une majorité des salariés concernés, vous avez choisi l'ambiguïté.

Au niveau interprofessionnel et de la branche, un accord pourra être validé si une majorité de syndicats ne s'y oppose pas, mais cette majorité s'appréciera en nombre d'organisations et non en voix.

Au lieu de la possibilité de n'avoir qu'une organisation minoritaire qui signe, vous donnez la possibilité à trois syndicats de signer contre deux, même si les deux représentent plus de salariés que les trois réunis. C'est une conception pour le moins curieuse de la démocratie, qui met à l'écart des milliers de salariés !

C'est un peu comme si, au moment des votes, à l'Assemblée nationale et au Sénat, on comptait le nombre de partis représentés au lieu du nombre de voix !

Certes, une branche sera libre d'organiser, pour légitimer ses accords, une élection de représentativité et permettre à ses entreprises de fonder leurs accords sur l'approbation de syndicats majoritaires aux élections professionnelles. Mais c'est une ouverture virtuelle puisqu'elle est conditionnée par le feu vert d'une majorité de syndicats, en nombre, de la branche. Or, tout le monde le sait, trois centrales, sur les cinq présentant une présomption « irréfragable » de représentativité, y sont totalement hostiles !

Sont virtuelles également les « garanties » que vous affirmez apporter concernant le caractère non rétroactif des dispositions sur l'articulation des niveaux de négociation.

Vous prétendez garantir la sécurité du système par deux garde-fous, ce qui indique bien que vous êtes conscient des risques.

D'une part, la dérogation par accord d'entreprise ne serait possible que si l'accord de branche ou interprofessionnel ne s'y oppose pas. C'est une mauvaise plaisanterie dans la mesure où ceux de ces accords qui sont actuellement en vigueur, c'est-à-dire conclus sous le régime actuel, n'ont jamais eu à prévoir - et pour cause, puisque la question ne se posait même pas ! - une telle interdiction.

D'autre part, la valeur hiérarchique des accords déjà signés ne pourrait être remise en cause. C'est encore une mauvaise plaisanterie tant il est vrai qu'un accord déjà signé peut être dénoncé à tout moment.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y a des risques !

M. Roland Muzeau. Nombre de salariés dont la convention collective a été dénoncée sont bien payés pour le savoir ! L'exemple des banques et assurances l'a demontré, et sans diaboliser le MEDEF, j'ai la conviction que celui-ci se complaira dans cet exercice.

C'est ainsi que les entreprises pourraient « négocier » sous la pression patronale la révision des 35 heures, véritable objectif de cette loi.

La possibilité d'un accord d'entreprise dérogatoire à l'accord de branche signifie incontestablement la réduction des droits des salariés, en particulier des millions d'entre eux - les plus nombreux - qui travaillent dans les TPE-PME, où la représentation syndicale est faible, voire inexistante.

Le risque d'atomisation des droits des salariés est avéré. On ne peut pas affirmer vouloir réformer le dialogue social et maintenir des règles permettant de contourner l'opinion majoritaire des salariés ou en persistant à refuser de reconnaître l'existence de nouvelles organisations syndicales qui sont pourtant incontournables.

Plus grave encore : au niveau de l'entreprise, en privilégiant un droit d'opposition élargi, vous mettez en place, monsieur le ministre, une logique de contestation et d'affrontement entre syndicats, souvent déjà divisés, plutôt qu'une logique de responsabilisation et de construction commune, permettant de leur donner la possibilité de se mettre d'accord, dans l'intérêt des salariés et avec eux.

La totalité des syndicats de salariés, pour des raisons certes quelquefois différentes, condamne votre projet de loi, monsieur le ministre.

Lorsque, en commission des affaires sociales, je vous ai interpellé sur ce rejet unanime, vous m'avez répondu que les syndicats CFDT, FO, CGC et CFTC, signataires de la Position commune, approuvaient votre texte... « lorsqu'ils sont en tête-à-tête avec moi », avez-vous ajouté.

Cette réponse est pour le moins surprenante ! Car, que vous le vouliez ou non, tous, sans aucune exception, ont désapprouvé votre projet. Les comptes rendus officiels de la commission en témoignent. Ils témoignent également, s'agissant de la trop fameuse Position commune, texte adopté en 2001 par le patronat et quatre syndicats et dont vous répétez que votre projet est la fidèle reprise, que les mêmes signataires syndicaux vous accusent d'en avoir détourné le sens, au profit de l'interprétation qu'en fait le MEDEF !

M. François Fillon, ministre. Il faut le prouver !

M. Roland Muzeau. Monsieur le ministre, faire de cette déclaration la pierre angulaire, l'alpha et l'oméga d'une nouvelle construction sociale ne résiste pas à l'examen attentif des défis auxquels des millions de salariés sont confrontés, pas plus qu'aux immenses dégâts consécutifs à la mise en place de la politique économique que mène le gouvernement auquel vous appartenez.

En matière de dialogue social, vous manquez un peu de crédibilité : je me souviens qu'un de vos premiers actes à la tête de ce ministère a été, en décembre 2002, de casser un accord majoritaire dans la restauration sur les 35 heures, lésant du même coup 750 000 salariés !

Vous avez également piétiné un vote et une opposition majoritaires à EDF, conclu un accord ultraminoritaire sur les retraites, entériné l'accord minoritaire sur les intermittents du spectacle, pris un décret affaiblissant encore la médecine du travail contre l'avis majoritaire des syndicats.

Bref, monsieur le ministre, ce gouvernement n'a de cesse, depuis qu'il est en place, de réduire les droits des travailleurs et de donner satisfaction aux exigences du patronat.

Vous voulez faire disparaître l'idée qui s'est peu à peu imposée dans notre droit, idée de bon sens, selon laquelle la liberté contractuelle devrait être encadrée par une loi protectrice.

Monsieur le ministre, jusqu'à votre nomination, je pensais naïvement que tout le monde estimait juste la célèbre phrase du père Henri Lacordaire, catholique libéral, élu à l'Académie française au fauteuil du comte Alexis de Tocqueville : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »

Demain, la politique des accords d'entreprise dérogatoires deviendra la règle, ce qui plongera les négociateurs syndicaux, confrontés à plus de quatre cents branches professionnelles, dans les plus grandes difficultés.

Vous ouvrez ainsi une nouvelle porte à la concurrence entre les entreprises qui auront obtenu un maximum de reculs sur la seule variable d'ajustement reconnue par l'actionnaire : la valeur travail.

Réformer le dialogue social est indispensable. Mais, je le rappelle, cela suppose de prendre en compte plusieurs éléments, dont la représentativité des organisations, la garantie d'un exercice du droit syndical sans entrave. Il faut également mettre un terme à la chasse aux délégués du personnel, garantir le droit à l'expression syndicale sur le lieu de travail et créer les conditions d'une représentation syndicale dans les entreprises de moins de cinquante salariés, y compris dans celles de moins de onze salariés.

Enfin, monsieur le ministre, nos débats se déroulent quelques jours après la publication du rapport que vous avez commandé à M. Michel de Virville et qui, au travers d'une cinquantaine de propositions, s'attaque à un siècle de conquêtes sociales, tout en suggérant de refondre le code du travail par voie d'ordonnances !

Vous comprendrez, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, toute l'attention que le groupe CRC porte au projet qui nous est soumis et, compte tenu du contexte dans lequel il nous parvient, notre totale opposition au volet « dialogue social », une opposition que nous manifesterons tout à l'heure en défendant, par la voix de mon ami Guy Fischer, la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.

M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite à la fois souligner dans le projet de loi que nous allons examiner la volonté courageuse de faire du droit du travail un droit vivant au service du progrès de nos sociétés, et rappeler les objectifs à atteindre pour qu'il en soit bien ainsi.

Appuyé sur des piliers incontestables que sont le principe majoritaire, la liberté contractuelle et le principe de participation, le droit du travail doit affermir son ancrage dans l'aspiration de tout un chacun à jouer un rôle positif dans l'organisation de son propre travail.

Lors de la dernière conférence internationale du travail, le directeur général du Bureau international du travail a intitulé son rapport : S'affranchir de la pauvreté par le travail.

Qui ne voit que cette finalité fonde toutes les autres et constitue la valeur originelle du travail humain ? La réforme de nos pratiques et de notre législation en ces matières n'aura toute sa légitimité que si elle peut favoriser la réalisation de cet objectif universel.

Ce rapport présenté à Genève fait référence aux documents stratégiques de réduction de la pauvreté qui ont été proposés aux Etats du monde entier et qui ont déjà été adoptés par soixante pays émergents.

Il conclut à la nécessité de mobiliser la communauté de travail pour vaincre la pauvreté.

Je me plais à constater que les différents volets identifiés par le BIT dans le programme pilote sur le travail décent sont en phase avec la philosophie du projet de loi qui nous est soumis.

Le premier d'entre eux est celui de l'emploi et de la promotion de l'entreprise. Il s'agit, pour le BIT, d'encourager les intiatives locales, les possibilités de développement endogène. Pour cela, l'entreprise doit être le siège d'une capacité d'adaptation à la réalité locale, que ses caractéristiques soient sociales, technologiques, institutionnelles, financières, humaines. Le siège de la vitalité est enraciné dans le terrain, dans l'entreprise. Les grandes entreprises nationales et des investisseurs étrangers doivent être appelés à y contribuer, en respectant cette logique territoriale.

Le deuxième volet concerne la protection sociale. Je le cite pour mémoire, car le texte d'aujourd'hui ne se situe pas à proprement parler sur ce plan de la solidarité nationale. Il n'y est cependant pas étranger puisque ce volet est indissociable des accords partenariaux, ne serait-ce qu'à travers les questions de sécurité et de santé au travail.

Le troisième volet souligné par le BIT est celui de la modernisation du code du travail et de la promotion de la négociation collective. Il se trouve au coeur de la réforme d'aujourd'hui. Derrière la redistribution des compétences entre les différents niveaux d'accord et la nécessaire souplesse génératice d'innovation, se fait clairement jour le besoin de dégager des principes et des droits fondamentaux du travail humain. Pour y parvenir - et c'est une nécessité mondiale -, il faut articuler deux catégories de mécanismes juridiques : d'une part, ceux, qui, tels des interdits, doivent constituer une protection absolue pour tous les hommes à la surface de la planète, et, d'autre part, ceux qui, à l'inverse, libèrent les initiatives à la base, permettant à chacun de participer concrètement à la construction de sa propre vie.

Mal synchronisées ou mal régulées dans leur logique propre, ces deux dimensions peuvent soit se retourner contre ceux qui pensaient y trouver protection, soit accentuer le dramatique fossé qui existe entre les pauvres et ceux qui ne le sont pas. Mais il est impossible de ne recourir qu'à une seule des deux logiques. Elles doivent être combinées.

Le quatrième volet identifié par le BIT est relatif au dialogue social. Le champ qu'il lui assigne est très vaste et dépasse le simple dialogue entre organisations professionnelles et syndicales classiquement appelées « partenaires sociaux ». Il doit inclure d'autres organisations collectives représentatives, notamment dans l'optique du développement économique local. Les organisations présentes dans l'économie solidaire, et même dans l'économie informelle, selon le BIT, doivent y trouver leur place. Il est bon d'avoir une telle perspective à l'esprit pour élargir notre horizon hexagonal.

L'enjeu est considérable. La stabilité des économies locales et mondiale en dépend, et bien sûr la paix.

« Le travail décent est une aspiration fondamentale des individus, des familles, des collectivités et des nations, quelles que soient leur histoire et leur culture », écrit le directeur général du BIT.

C'est bien cet horizon qui justifie à mes yeux l'intérêt le plus profond du texte que nous allons examiner, mais qui doit également servir, à l'avenir, de critère pour mesurer son efficacité et son utilité.

Grâce à l'architecture qu'il contribue à clarifier entre les différentes autorités sources du droit du travail, grâce à la voie participative qu'il confirme comme la seule qui corresponde à l'aspiration humaniste, il doit permettre de progresser de manière significative vers la mobilisation de la communauté de travail tout entière pour vaincre la pauvreté, sur le plan tant national qu'international.

Je veux, en conclusion, rendre hommage aux acteurs de ce projet de loi : d'abord aux partenaires sociaux qui, par la position commune du 16 juillet 2001, comme par leur accord « historique » de 2003, ont mis le sujet de l'approfondissement de la négociation collective et de la revitalisation de la formation professionnelle à l'ordre du jour ; ensuite, au Gouvernement, qui a eu le courage d'engager sans tarder les moyens des indispensables rénovations sociales au dialogue social ; enfin, à nos rapporteurs, Annick Bocandé et Jean Chérioux, qui ont réalisé un travail de grande qualité où il m'a plu de retrouver la trace de cette voie participative inséparable de la dignité de la personne humaine, à travers tant la formation professionnelle que le dialogue social.

Je soutiendrai donc avec conviction ce texte assorti des amendements adoptés par la commission, parce qu'il doit permettre au monde du travail, s'il le veut bien, de se mobiliser pour faire reculer les situations d'exclusion ou d'indécence dans le travail et pour vaincre la pauvreté. Soyez assuré, monsieur le ministre, de mon soutien déterminé dans ce combat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de dire à M. Ostermann que, moi aussi, je suis un modeste patron. J'ai appliqué les 35 heures sans états d'âme, et mes entreprises ont néanmoins poursuivi leur bonhomme de chemin, leurs effectifs augmentant même. Voilà peut-être ce qui fait la différence entre un patron ancré à gauche et un autre qui l'est sans doute un peu moins. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste).

M. Jean Chérioux, rapporteur. Cela dépend aussi du domaine !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela dépend du secteur !

M. Bernard Murat. Un compte d'exploitation reste un compte d'exploitation !

M. François Fortassin. On en discutera quand vous voudrez !

« Dialogue social », « concertation », « confiance », « relance syndicale » : dans un premier temps, je me suis demandé, monsieur le ministre, dans quel courant d'air de gauche vous étiez passé ce matin ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Puis, vous vous êtes ravisé, taxant d'« archaïsme » ceux qui sont en désaccord avec les orientations du projet de loi.

M. Jean Chérioux, rapporteur. C'est seulement la constatation d'un fait !

M. François Fortassin. Ce qui m'intéresse le plus, monsieur le ministre, c'est ce dont vous n'avez pas parlé dans votre intervention, que j'ai écoutée avec beaucoup d'attention. En particulier, il n'échappe à personne que la formation professionnelle coûte cher. Si l'on ne peut regretter l'argent que l'on y consacre, je souhaiterais néanmoins que l'on s'interroge sur son efficacité.

Par ailleurs, ne serait-il pas judicieux d'associer le plus étroitement possible la formation initiale, la formation professionnelle et la formation continue ?

Enfin, monsieur le ministre, vous n'avez rien dit sur le problème de la taxe d'apprentissage. On peut certes être amnésique ; néanmoins, si on ne l'est pas, on sait que, la perception de cette taxe d'apprentissage donne lieu à des situations tout à fait anormales : elle est perçue par des organismes qui ne subissent que des contrôles fluctuants, pour ne pas dire extrêmement épisodiques, des organismes qui jouent les banquiers en percevant la taxe en début d'année pour la réutiliser à compter du mois d'octobre ou de novembre.

Quant au contrôle de son utilisation, s'il est peut-être très important, il n'est cependant pas démocratique ; en effet, mes chers collègues, je mets au défi les élus que vous êtes de recueillir des données exactes à cet égard.

S'agissant des organismes de formation, il en est d'excellents, et d'autres qui le sont moins... Sur quels critères les formateurs sont-ils recrutés ? Pour ma part, je ne le sais pas.

Est-il judicieux que la majeure partie de ces organismes de formation dépendent des chambres de commerce et d'industrie ? Sans porter nécessairement un jugement négatif sur ce point, je pose tout de même la question.

Par ailleurs, l'oubli principal de ce texte concerne les jeunes sortant du système scolaire sans aucune formation, à la suite d'un échec ou du dépassement de la limite d'âge. Or, c'est bien de ceux-là dont il faut se soucier !

Enfin, il me semble que l'Etat doit être garant de ces équilibres et non pas choisir son camp. Monsieur le ministre, vous aviez la possibilité de donner véritablement du souffle à ce projet de loi. Mais, pour cela, il aurait fallu être totalement impartial et ne pas faire un arbitrage à la maison. Chacun sait d'ailleurs qu'un tel arbitrage ne satisfait personne : ceux qui perdent la partie à cause de l'arbitre sont mécontents, et les vainqueurs trouvent que l'on n'en a pas fait assez ! Je crains que telle soit la position du MEDEF ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, vous avez situé les responsabilités. Encore faudrait-il rappeler celle qui incombe aux employeurs : on ne peut en effet demander à un salarié d'être performant dès la première semaine !

En conclusion, votre projet de loi ne me paraît pas bon ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est à désespérer des formateurs !

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la formation professionnelle et le dialogue social sont deux volets essentiels de notre droit du travail, et leur adaptation à l'évolution de la société est une nécessité que nul ne conteste. Pour cela, monsieur le ministre, vous nous proposez un texte unique, fondé sur deux accords conclus entre les partenaires sociaux, et nous ne pouvons que regretter que ces deux volets n'aient pas fait l'objet d'un projet de loi séparé et d'une discussion autonome.

Ce sont en effet deux sujets bien distincts, issus de deux accords différents.

L'accord du 20 septembre dernier relatif à la formation professionnelle a fait l'unanimité des organisations syndicales représentatives des salariés et du patronat. Cet effort mérite d'ailleurs d'être salué.

Quant à la Position commune du 16 juillet 2001 sur « les voies et les moyens de la négociation collective », elle n'a pas fait l'unanimité, et plusieurs de ses points nécessitaient encore une clarification.

M. le ministre, nous sommes assez déçus par le volet formation de votre projet de loi, qui ne reprend pas tout à fait les termes de l'accord, plusieurs points méritant, à notre avis, un engagement plus fort de la part du Gouvernement. J'aurai l'occasion d'y revenir, car mon intervention portera essentiellement sur la formation professionnelle.

En revanche, nous sommes consternés par le volet dialogue social, nous demandant comment vous pouvez encore faire référence à un quelconque accord tant ce texte est inacceptable et contesté par toutes les organisations syndicales. Il est l'émanation pure et simple des voeux du MEDEF !

Ce texte est dangereux et revient sur des acquis fondamentaux : alors que, jusqu'à présent, les partenaires sociaux ne pouvaient négocier dans une entreprise que des dispositions plus favorables aux conventions collectives de branche, désormais, les résultats de leur négociation pourront être moins favorables. Que va-t-il advenir des horaires de travail, des congés, des modalités de licenciement, du treizième mois ? Les salariés ont du souci à se faire, surtout dans les petites entreprises où il n'y a pas de délégués syndicaux. En fait, ce texte s'inscrit tout à fait dans l'ère du temps du gouvernement Raffarin, caractérisée par de nombreux licenciements, des droits sociaux en régression permanente et l'amorce d'une nouvelle tendance, celle du salarié serviable et corvéable à merci, traité comme quantité négligeable.

De même, nous ne sommes pas persuadés que la fin de l'accord minoritaire tel que vous nous le proposez change quoi que ce soit à la situation actuelle. Nous approuvons une révision des règles de la négociation collective, mais nous aurions préféré que la représentativité réelle des syndicats soit prise en compte, plutôt que le nombre de signataires.

Etant moi-même une ancienne salariée de la sidérurgie lorraine, n'ayant jamais pu bénéficier d'une quelconque formation professionnelle,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous avez pourtant plutôt réussi !

Mme Gisèle Printz. ... je suis particulièrement attentive à ce volet, et, malgré mon désaccord sur certains points que je vais maintenant expliciter, je tiens à rendre hommage, pour leur travail, aux deux rapporteurs, et tout particulièrement à Mme Annick Bocandé, chargée de la formation professionnelle.

Les mesures issues de l'accord apporteront sans doute des améliorations, mais il ne faut pas en rester là. Tout d'abord, le droit individuel de formation, principale innovation de l'accord, est une bonne chose ; mais vingt heures par an constituent un minimum, et nous aurions aimé que le Gouvernement s'engage pour aller plus loin. C'est un droit qui doit profiter à tous les salariés, qu'ils travaillent dans une grande ou dans une petite entreprise.

Il faudra donc veiller à la bonne application de ce droit sur le terrain. Monsieur le ministre, nous souhaiterions connaître les mesures que vous allez prendre pour inciter les salariés, notamment ceux des petites entreprises, à faire valoir ce droit. En effet, nous savons que le patronat compte beaucoup sur le fait que ce crédit d'heures ne soit pas demandé par les salariés dans les petites entreprises, par méconnaissance ou par peur d'être mal considérés par le patron.

M. François Fillon, ministre. C'est faux !

Mme Gisèle Printz. C'est donc au Gouvernement qu'il incombera de faire connaître ce nouveau droit aux salariés et de les déculpabiliser. Avez-vous prévu de lancer une campagne de communication à ce sujet ?

Le DIF étant cumulable sur cinq ans, il nous paraît indispensable de tenir compte de la mobilité des salariés car aujourd'hui, comme vous le savez, au moins 20 % des salariés changent d'emploi en cinq ans. Le salarié doit pouvoir continuer de bénéficier des droits et avantages acquis en matière de formation et ce, quel que soit le nombre d'employeurs qu'il a eus au cours de cette période. Nous pensons donc que, pour perdurer, le DIF doit absolument être transférable, et nous proposerons un amendement en ce sens.

Par ailleurs, il est important que l'offre de formation réponde au surcroît de demande prévisible et, à cet égard, monsieur le ministre, nous ne pouvons que regretter que les régions, qui jouent un rôle essentiel et ont une expérience concrète dans le domaine de la formation, n'aient pas été associées à la préparation de ce projet de loi : à l'heure de la décentralisation, cela paraît incroyable ! Beaucoup d'interrogations persistent ; c'est pourquoi nous souhaiterions savoir comment les régions seront associées au nouveau dispositif.

Sur le terrain, des problèmes sont à attendre dans la mise en oeuvre de ce dispositif et nous savons que tout ne sera pas généralisé en quelques jours, ni même en quelques mois. Il sera donc nécessaire d'évaluer régulièrement cette mise en oeuvre pour obtenir une généralisation du dispositif, afin que chacun bénéficie d'une formation adaptée à ses besoins.

La formation doit aussi être un vecteur d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, et nous souhaitons que l'évaluation qui sera faite ne soit pas uniquement quantitative mais qu'elle tienne compte de la place réservée aux femmes dans le nouveau dispositif. Les femmes ont trop souvent été écartées de la formation professionnelle ; c'est pourquoi la parité doit être prise en compte dès la mise en place du DIF, afin de partir sur de bonnes bases et de ne pas reproduire les erreurs du passé.

S'agissant des salariés les plus précaires, nous regrettons qu'ils soient traités avec si peu d'égard par votre projet de loi. Je pense notamment aux salariés sous contrat à durée déterminée ou à temps partiel, qui bénéficieront d'un crédit de formation calculé au prorata de leur temps de travail. Vingt heures annuelles, ce n'est déjà pas grand-chose ; alors, que leur restera-t-il ? C'est un comble quand on sait que ce public aurait besoin davantage d'heures de formation pour être compétitif sur le marché du travail. Nous proposerons donc des amendements contre le prorata temporis, particulièrement discriminant.

Plus le public est précaire, moins il semble concerné par ce projet de loi. A aucun moment, par exemple, il n'est question des populations bénéficiaires du RMI ou du RMA. Pour des cas aussi précis, le projet de loi aurait dû aller plus loin que l'accord et le Gouvernement aurait dû s'engager financièrement, plutôt que de s'en remettre uniquement aux entreprises.

En ce qui concerne le contrat de professionnalisation, ce n'est pas une mauvaise chose, car il remplace les multiples contrats existants et simplifie un dispositif très complexe. Il pourra aussi profiter à des salariés plus âgés ou à des femmes ayant interrompu leur carrière, ce qui leur sera bénéfique.

Toutefois, ce contrat comporte aussi des dispositions inquiétantes.

En effet, le projet de loi indique que la durée de ce contrat sera de six à douze mois avec une possibilité d'allongement à vingt-quatre mois, alors que cette durée est de droit commun actuellement. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter la garantie que tout jeune désireux de suivre une formation de deux ans pourra le faire ? Nous n'en sommes pas persuadés et nous y reviendrons dans la discussion des articles.

Un autre aspect de ce contrat nous préoccupe, puisque le plancher du temps passé en formation passera de 25 % à 15 %, sauf dérogation par accord de branche. Selon nous, cette disposition revient à dévaloriser la formation au profit du travail en entreprises et à donner à ces dernières une main-d'oeuvre bon marché, même si une augmentation des salaires est prévue par rapport aux actuels contrats d'alternance. Nous aurions donc préféré que ce plancher reste fixé à 25 %, afin que le contrat de professionnalisation, qui se veut formateur, le soit véritablement.

Dans ce texte fixant des règles pour la formation professionnelle tout au long de la vie, nous regrettons qu'il n'y ait pas plus de mesures en faveur de la seconde chance. Alors que l'accord contenait des mesures concrètes, vous ne faites que mentionner un droit à une qualification différée, sans en fixer ni le contenu, ni les objectifs, ni le financement, ce qui revient éventuellement à y renoncer.

En effet, alors que les partenaires sociaux vous invitaient à définir, en concertation avec eux, les conditions de la participation financière des pouvoirs publics à la formation différée, vous auriez pu prévoir des mesures concrètes et cohérentes. Vous avez cependant choisi de reporter la question sine die et de la renvoyer à une négociation ultérieure entre les partenaires sociaux, les régions et l'éducation nationale, ce qui s'avérera long et difficile. On peut donc s'interroger, monsieur le ministre, sur votre volonté de voir ce dispositif aboutir un jour. C'est pour nous une grosse déception.

Au chapitre des dispositions de l'accord qui n'ont pas été reprises dans le projet de loi figure aussi le « passeport formation », sorte de document personnalisé qui devrait recenser les diplômes obtenus par le salarié au cours de sa formation initiale, ses expériences professionnelles, ses actions de formations ultérieures, les évaluations, les bilans et les validations dont il a pu bénéficier. Pouvez-vous nous dire de quelle manière vous souhaitez intégrer ce dispositif dans le droit du travail ?

Nos interrogations portent aussi sur le devenir de l'AFPA, qui remplit une mission essentielle, et dont la qualité des programmes et la compétence des formateurs sont reconnues sur tout le territoire. Il s'agit d'une des organisations les mieux structurées dans l'offre publique de formation actuelle. Nous souhaiterions avoir des garanties quant à l'avenir de son personnel, de son fonctionnement et de ses missions en faveur du public à « bas niveau de qualifications ».

Nous aimerions également avoir des garanties précises sur d'autres points très importants.

Tout d'abord, en ce qui concerne le contrôle des organismes de formation, comment procédera-t-on afin d'empêcher toute dérive sectaire ?

Ensuite, sur l'accès de la formation aux handicapés, ceux-ci devront avoir accès comme l'ensemble des personnes aux dispositifs du droit commun de formation. Avez-vous prévu, pour tenir compte de leur situation, des actions spécifiques qui pourront leur être proposées ?

Enfin, nous souhaitons que la formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux soit assurée, au même titre que celle de tous les autres salariés.

Légiférer sur la formation professionnelle, c'est apporter une réponse concrète à toutes celles et à tous ceux qui, au cours de leur carrière, désirent acquérir de nouvelles compétences, valoriser leurs acquis, rattraper leur retard de qualification, progresser dans leur parcours et même accéder à un nouveau métier. A cet égard, l'accord interprofessionnel du 20 septembre 2003 était un excellent compromis, mais la retranscription que vous en avez faite, monsieur le ministre, demeure incomplète.

Comme je l'ai dit au début de mon intervention, il est regrettable que formation et dialogue social aient été englobés dans un seul projet de loi. Le premier volet, bien qu'incomplet, reste toutefois acceptable, mais le second est tout à fait inacceptable. Il est dangereux pour les salariés, voire pour les entreprises.

Nous vivons dans une société où une partie des gens qui travaillent sont dans une situation de précarité telle qu'ils ne peuvent pas vivre décemment de leur activité. Ce projet de loi n'est pas fait pour arranger leur situation. Les salariés doivent être traités avec respect, comme des collaborateurs, des partenaires à part entière, car c'est avec eux que les entreprises créent des richesses, ce que l'on a tendance à oublier.

M. Jean Chérioux, rapporteur. C'est la participation !

Mme Gisèle Printz. Le général de Gaulle lui-même l'avait bien compris en instaurant la participation des salariés aux bénéfices, ce qui était un réel progrès social. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Jean Chérioux, rapporteur. Merci de le rappeler, madame Printz !

Mme Gisèle Printz. Avec le gouvernement Raffarin, c'est surtout de recul social qu'il est question. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. André Lejeune. Malheureusement !

M. Guy Fischer. C'est la réalité !

Mme Gisèle Printz. Ce texte en est une belle illustration, ce que nous refusons de cautionner. Une loi est bonne lorsqu'elle favorise l'intérêt général, ce qui n'est pas le cas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.

M. Bernard Murat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le manque évident d'un lien entre la formation et l'insertion professionnelle et l'échec de la politique de développement continu des compétences appelaient à différentes réformes en matière de politique d'apprentissage, d'orientation et de formation tout au long de sa vie afin, tout simplement, de favoriser le progrès social au sein de l'entreprise.

C'est dans ce cadre que la réalité de votre projet de loi s'est imposée, monsieur le ministre : le dispositif de formation professionnelle, qui avait besoin d'un second souffle, y a trouvé une nouvelle dimension, avec notamment l'objectif de « casser » la précarité.

En effet, si les moyens consacrés à la formation professionnelle sont considérables - près de 22 milliards d'euros -, les systèmes légaux et conventionnels ainsi que les dispositifs publics et professionnels créés jusqu'à présent n'ont pas atteint pleinement leurs objectifs et ne sont pas encore à la hauteur des espérances nées.

J'en veux pour preuve le paradoxe existant entre le nombre considérable de chômeurs et celui des emplois non pourvus.

En trente ans, les dépenses dans ce domaine n'ont pourtant pas cessé d'augmenter. La majorité des entreprises dépassent d'ailleurs largement les taux minima fixés par la loi. Mais les nouvelles donnes imposées par la mondialisation et l'évolution des technologies rendent obsolète notre dispositif. Son fonctionnement ne permet plus de mettre en adéquation les attentes actuelles des salariés et celles des entrepreneurs en matière de qualification.

Pourtant, le plein emploi, nous le savons tous, ne pourra être atteint qu'avec des salariés mieux formés, et ce tout au long de leur carrière. Une rénovation des processus de formation continue s'avère donc indispensable.

Il est évident, aujourd'hui, que la formation professionnelle n'est, en aucun cas, une fin en soi. Elle est un outil, un investissement essentiel permettant à un actif de maintenir et de développer ses compétences pour devenir plus performant dans son emploi ou pour préparer une reconversion réussie, mais aussi - et je crois que cela n'a pas été suffisamment souligné dans cet hémicycle - tout simplement pour avoir le droit de vivre heureux au sein d'une famille.

La formation professionnelle constitue donc un enjeu majeur pour les actifs, mais également pour les entreprises qui doivent valoriser leurs ressources humaines afin de se développer économiquement et de devenir de plus en plus rentables. Je le disais tout à l'heure à notre collègue, que l'on soit un patron de gauche ou un patron de droite, le chiffre d'affaires et le compte d'exploitation, eux, ne sont ni de gauche ni de droite.

M. Jean Chérioux, rapporteur. Très bien !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout le monde ne vend pas du vin de Gascogne ! (Sourires.)

M. Bernard Murat. Notre collègue étant, lui aussi, d'un pays de rugby, je lui pardonne ! De fait, l'investissement formation sera bien, au xxie siècle, un levier central du progrès : progrès de l'entreprise, mais aussi progrès social.

M. Roland Muzeau. Parlez-en au MEDEF !

M. Bernard Murat. J'ai entendu à plusieurs reprises, dans cet hémicycle, évoquer le nom du général de Gaulle. Le gaullisme, en effet, c'est d'abord une idée libérale en matière de développement économique, mais avec une forte conscience sociale.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !

M. Henri Weber. Le gaullisme, c'est aussi le Plan !

M. Bernard Murat. Monsieur le ministre, c'est par référence à ce principe que vous avez délivré votre message. Il ne peut y avoir, aujourd'hui, de développement harmonieux de l'entreprise s'il n'y a pas, en même temps, le progrès social et l'épanouissement des employés.

Partant de ces constats, dans le projet de loi que vous nous présentez ce soir, monsieur le ministre, qui est la transposition législative de l'accord signé en septembre dernier par l'ensemble des partenaires sociaux, vous nous proposez une rénovation complète de notre dispositif de formation professionnelle.

S'inscrivant pleinement dans la démarche de mobilisation pour l'emploi engagée par le Gouvernement, ce projet de loi répond à une double exigence : se projeter vers l'avenir en adaptant notre système de formation professionnelle à une économie en mutation et assurer la solidarité en se concentrant sur les salariés ayant le plus besoin de formation, c'est-à-dire les plus fragilisés.

Lutter contre les inégalités d'accès à la formation qui touchent les salariés les moins qualifiés et ceux qui travaillent dans les petites et moyennes entreprises est l'un des objectifs de ce texte. Nous ne pouvons que saluer cette initiative.

Trop nombreux sont encore ceux qui n'ont pas acquis le noyau de compétences fondamentales leur permettant de devenir des professionnels qualifiés et aptes à évoluer, et pour qui obtenir une deuxième, une troisième, voire une quatrième chance reste illusoire tant l'accès à la formation professionnelle dépend, entre autres choses, du niveau de formation initiale, de la taille de l'entreprise, de la culture familiale, du secteur professionnel dans lequel ces personnes exercent leurs activités ou, tout simplement, de la nature de leur contrat de travail.

Mme Bocandé l'a déjà dit, statistiquement, une femme non qualifiée dans une TPE avait, en 2001, vingt-cinq fois moins de possibilités d'accéder à une action de formation continue qu'un homme ingénieur travaillant dans un entreprise de plus de cinq cents salariés.

Au-delà du constat qui veut que « la formation aille à la formation », la déperdition énorme qu'entraînent inévitablement ces inégalités en termes de motivation et d'efficacité ne peut qu'être préoccupante.

Il était donc nécessaire de s'intéresser aux plus fragiles et de les aider en leur donnant les outils afin qu'ils puissent bénéficier de l'ascenseur social.

Les dispositions inscrites au titre Ier du présent projet de loi sont, à ce titre, fondamentales et innovantes.

Tout d'abord, la mise en place d'un droit individuel à la formation permettra aux salariés de concrétiser un droit à la formation trop longtemps resté théorique, véritable premier pas de la mise en place d'une « assurance-formation » individualisée. Un nouvel employé à peine sorti de formation ne sera pas performant à 100 % quand il arrivera dans l'entreprise. Aussi faut-il lui laisser le temps de s'adapter. Mais il faut en contrepartie que la formation soit vraiment adaptée aux besoins de l'entreprise. Il est prévu, ensuite, la modernisation du plan de formation précisant les obligations de l'employeur et, enfin, la rénovation des contrats en alternance afin d'accroître le nombre des bénéficiaires et de professionnaliser le dispositif.

Je n'entrerai pas dans les détails, mais je souhaitais simplement souligner, monsieur le ministre, que les dispositions proposées permettront de créer les conditions d'une modification profonde de certains comportements en matière de formation continue, avec la responsabilité comme philosophie générale : responsabilité de l'employeur quant à l'adaptation et l'élévation des compétences de leurs collaborateurs ; responsabilité des salariés quant au maintien ou au développement de leur niveau de qualification.

Pour conclure, je tenais à saluer la présence dans ce texte de quelques dispositions, prémices d'une réforme de l'apprentissage que nous attendons tous et que le Gouvernement devrait nous présenter prochainement. En effet, malgré un bilan positif, le système de l'apprentissage semble toujours marquer le pas en France. La mise en place d'une série de mesures est donc envisagée.

Personnellement, il me semble primordial d'encourager les jeunes à s'orienter davantage vers les filières de formation en alternance, d'en assouplir le dispositif actuel tout en améliorant les conditions matérielles des apprentis. Ces actions devraient permettre d'accroître sensiblement le nombre des apprentis au cours des prochaines années. N'oublions pas que l'apprentissage peut devenir dans certains cas la voie royale pour les jeunes qui veulent s'en sortir, une voie choisie, un investissement individuel pour leur avenir au sein de l'entreprise. Par l'apprentissage, ces jeunes pourront être incités à devenir des chefs d'entreprise, voire à créer leur propre entreprise.

Le jeune, la famille, l'éducation nationale et les chefs d'entreprise doivent être les acteurs d'un apprentissage à la française, moderne, compétitif et surtout décomplexé.

Permettez à l'ancien chef d'entreprise issu de l'apprentissage que je fus, monsieur le ministre, d'affirmer que ce projet de loi aidera les employeurs et les salariés à prendre l'initiative de la formation. Il libérera les énergies et favorisera les créativités par sa méthode de mise en oeuvre au niveau de l'entreprise. Il ouvrira enfin des espaces nouveaux à la formation, en replaçant l'homme au centre de l'entreprise, et des horizons probablement insoupçonnés pour la compétitivité de l'entreprise France et pour un meilleur accomplissement personnel des hommes et des femmes qui la font vivre.

Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur le soutien de l'UMP, car votre projet de loi représente une avancée significative de la politique contractuelle que nous appelons de nos voeux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la représentation nationale est saisie pour examiner un projet de loi comportant deux parties distinctes dont les appréciations ne sont en aucun cas équivalentes, comme l'a déjà dénoncé mon ami Roland Muzeau.

Le Gouvernement peut se prévaloir du fait que le texte, en ce qui concerne la formation professionnelle, émane d'un accord national interprofessionnel signé entre les représentants du patronat et toutes les confédérations syndicales. Nous savons tous ici que les négociations ont duré trois années, que l'ANI, l'Accord national, interprofessionnel, qui a été signé, est un accord normatif, qui constitue un socle commun à tous les salariés, mais qu'il est un texte plancher, non pas un plafond, et qu'il a fait l'objet de quelques désaccords importants dont témoigne l'insatisfaction des acteurs du terrain.

Par ailleurs, les députés de la majorité ont modifié, avec votre assentiment, le contenu et l'esprit de cet accord. L'engagement gouvernemental de transférer intégralement dans la loi un accord ayant recueilli l'approbation de l'ensemble des partenaires sociaux aurait-il fait long feu pour qu'une lettre vous soit adressée, monsieur le ministre, à ce sujet, par les organisations syndicales ?

Aussi, par le dépôt d'amendements, mon groupe tentera de revenir au plus près de l'ANI et avancera des propositions pouvant d'ores et déjà l'améliorer, notamment en ce qui concerne le travail à temps partiel et l'aspect discriminant qui en découle, comme l'a expliqué Gisèle Printz.

Les applications de la recherche entrent aujourd'hui dans nos vies à des rythmes bien plus rapides que celui du renouvellement des générations. Ainsi, la transmission des savoirs et des savoir-faire ne s'opère plus par les seules imprégnation et transmission familiale ou corporatiste. La nécessité de s'adapter aux avancées scientifiques et techniques s'impose à tous, en permanence, et tout au long de la vie. C'est à mes yeux tout le sens de la proposition du parti communiste, à savoir la création d'une sécurité sociale de la formation professionnelle.

Le patronat, et notamment le MEDEF, répond à cette nécessité et à cette obligation contemporaines par un principe opportuniste selon lequel la productivité et la rentabilité des entreprises passent par une main-d'oeuvre formée et qualifiée. Il lui faut promouvoir la qualification des salariés et la fidéliser pour mieux la rentabiliser dans les secteurs porteurs, sans pour autant donner à ces derniers la possibilité de connaître une réelle évolution professionnelle, et encore moins une évolution personnelle.

Pour notre part, nous défendons une vision humaniste et à long terme de la formation professionnelle tout au long de la vie : un droit individuel, attaché à la personne, quel que soit son contrat de travail, qu'il s'agisse d'un temps plein ou d'un temps partiel, un droit garanti collectivement, transférable et opposable - c'est ce que j'appelle une sécurité sociale de la formation professionnelle - accompagné d'un nouveau statut progressiste du travailleur, permettant à chaque salarié ayant suivi une formation d'obtenir une promotion professionnelle et sociale et une reconnaissance par l'employeur, en termes de qualification, de classification, de rémunération ou de conditions de travail.

La concentration sur l'adaptation au poste de travail et la difficulté de s'inscrire plus largement dans des logiques de développement professionnel et personnel, deux aspects présents dans votre texte, sont autant de dérives qu'il faut aujourd'hui combattre, s'agissant notamment des salariés les moins stables ou les plus vulnérables, des salariés privés d'emploi, des plus de cinquante ans, des femmes, des jeunes sans qualification, des saisonniers, ou encore des intermittents.

C'est ainsi que la formation professionnelle tout au long de la vie, mise en avant lors du Conseil européen de Feira, a été définie comme « toute activité d'apprentissage entreprise à tout moment de la vie, dans le but d'améliorer les connaissances, les qualifications et les compétences, dans une perspective personnelle, civique, sociale et/ou liée à l'emploi ».

Les pratiques consécutives à l'Accord national interprofessionnel de juillet 1970 et à la loi de 1971 ont révélé le constat suivant : « La formation va à la formation », comme vient de le souligner M. Murat. En outre, elle n'est pas vecteur de réinsertion professionnelle et de productivité, et elle aurait trop tendance à se réduire, sur le court terme, à l'adaptation du salarié à l'évolution de son poste de travail.

Le Livre blanc diffusé par le secrétariat d'Etat à la formation professionnelle au mois de mars 1999 tire les enseignements de l'évolution d'un système qui ne répondait plus à ses objectifs initiaux. Aussi, ce Livre blanc avait défini quatre axes majeurs pour le refonder : le développement de la validation des acquis de l'expérience, la mise en place d'un droit individuel à la formation, la reconfiguration des dispositifs de professionnalisation des jeunes et la clarification du rôle des acteurs de la formation continue.

Après l'adoption de la loi de janvier 2002 relative à la validation des acquis de l'expérience, l'accord interprofessionnel et ce projet de loi constituent une étape importante de la concrétisation de la réforme.

Le compromis ne saurait malgré tout cacher la stratégie du patronat français : d'un côté, l'individualisation des relations de travail et des parcours de travail ; de l'autre, l'inversion de la hiérarchie des normes. Cette stratégie doit servir à donner à chaque employeur toute latitude pour gérer son entreprise et son personnel, selon les orientations qu'il aura lui-même définies, en faisant porter au salarié la responsabilité, sous prétexte du droit à la formation, de son « employabilité » ou de son « inemployabilité », termes très souvent utilisés par le MEDEF, c'est-à-dire la culpabilité de son inadaptation au marché du travail et de l'emploi.

Il faut que l'individu devienne acteur de sa progression professionnelle. Et notre philosophie, je vous l'annonçais voilà un instant est celle d'un droit inscrit dans le cadre d'une sécurité sociale de la formation sociale professionnelle et d'un statut progressiste du salarié.

Or, sur ce point, notre position diffère de celle des auteurs du projet de loi. La formation ne deviendra un véritable droit que si elle est effectuée pendant le temps de travail et si elle débouche sur une véritable qualification choisie en toute lucidité.

Nous tenons à défendre avec force le critère de la libre initiative du salarié, qui doit être renforcé par la loi. Comment ne pas percevoir que cette initiative renverra inéluctablement à une opposition entre l'intérêt à court terme de l'entrepreneur et l'intérêt à long terme du salarié ? Pourtant, le double impératif de perfectionnement professionnel et social de l'individu par la formation et de contribution collective au développement économique, à la croissance et à l'équilibre social par la mise en oeuvre de nouvelles compétences ne devrait pas être contradictoire.

Enfin, l'engagement actif des salariés dans la formation tout au long de la vie n'est possible que si le marché de l'emploi cesse de se « destructurer » et si le capital se risque à des politiques de production ambitieuses pour notre pays.

La conciliation était déjà au coeur du consensus idéologique qui avait permis à la loi de 1971 de voir le jour. Il s'agit aujourd'hui de ne pas annuler les valeurs inscrites dans notre Constitution et de respecter pleinement l'Accord national interprofessionnel dans ce nouveau texte de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Joly.

M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la formation professionnelle et au dialogue social constitue un nouveau départ pour la démocratie sociale.

On trouvera toujours quelques esprits chagrins, rétifs à toute réforme. Il n'en demeure pas moins que ce projet revitalise une démocratie sociale menacée d'essoufflement.

En vérité, ce texte demeure un mouvement d'équilibre, qui doit permettre de relancer une dynamique de négociation. Or le parlementaire - et qui pourrait le lui reprocher ? - entend apporter sa pierre à l'édifice. C'est sa légitimité, sa raison d'être. Mais il doit aussi savoir, me semble-t-il, se montrer sage, afin que l'équilibre trouvé par les partenaires sociaux ne soit pas mis à mal.

Le grand juriste René Capitant, s'inspirant de Léon Blum, avait déclaré en 1948 : « Mais que le Parlement soit souverain, cela ne signifie pas qu'il ne puisse pas se limiter lui-même. Cela signifie que, dans tout domaine, il peut intervenir, que dans toute matière il peut légiférer [...] mais également que, dans tout domaine et dans toute matière, il doit se limiter aux principes et, dans sa pleine souveraineté, renoncer pour lui-même aux mesures d'application. »

Bref, il nous faut, mes chers collègues, nous montrer très attentifs au point d'équilibre trouvé par les partenaires sociaux, qui ont longuement travaillé et, finalement, signé un compromis qui est devenu la « Position commune » du 16 juillet 2001 sur le développement de la négociation collective.

Du reste, monsieur le ministre, votre projet de loi est une assez fidèle transposition de cet accord qui, faut-il le souligner, a été signé par la quasi-totalité des partenaires sociaux : le MEDEF, la CGPME et l'UPA pour les organisations patronales ; la CFDT, FO et la CFTC pour les organisations syndicales.

Je dis « assez fidèle », car, sur certains points, il s'écarte de la « Position commune ». A titre personnel, j'aurais souhaité que l'on clarifiât davantage le domaine de la loi et celui de la négociation collective.

Pour autant, cette fidélité à l'accord de juillet 2001 est exemplaire d'une démarche qui doit être poursuivie : respect de la signature des partenaires sociaux, action concrète qui redonne du sens au dialogue social en modifiant l'espace, à l'évidence trop étroit, réservé jusqu'alors à la négociation collective.

Mais il existe aussi, monsieur le ministre, dans cette attitude, une dimension politique à laquelle le groupe du RDSE reste extrêmement sensible : il s'agit de bâtir une démocratie de proximité. Vous avez parlé vous-même de « refonder la démocratie sociale », c'est-à-dire de revitaliser la négociation collective, en s'appuyant sur des acteurs sociaux responsables. Cette réforme nous paraît d'autant plus urgente que les sirènes de l'extrémisme se font une nouvelle fois entendre. Faire confiance aux Français, préserver le champ social, bref faire naître une société plus participative et plus solidaire, constituent autant de principes qui devraient contribuer à limiter les tentations poujadistes.

S'agissant du volet « formation professionnelle », votre texte est respectueux et responsable. Il est respectueux de l'accord signé le 20 septembre 2003 par la totalité des organisations patronales et syndicales et qui réforme un système instauré il y a trente-trois ans. Il est responsable, car la mise en place d'un droit individuel à la formation concilie la possibilité pour chaque salarié d'être acteur de son évolution professionnelle et la nécessité pour l'entreprise de développer sa compétitivité. Ce jugement est partagé par la commission des affaires sociales du Sénat, qui soulignait avec raison que la réforme « répondait aux engagements du Chef de l'Etat pendant la campagne présidentielle en posant le principe du droit à la formation professionnelle tout au long de la vie ».

S'agissant du volet « dialogue social », nous venons de le voir, votre projet de loi constitue une très utile adaptation de notre droit à l'évolution économique et sociale. Pour être clair, il modifie les « règles du jeu » de la négociation collective, pour assurer une meilleure efficacité sociale. D'une part, les rôles respectifs de l'Etat et des partenaires sociaux seront mieux délimités. D'autre part, l'autonomie des niveaux de négociation sera affirmée. Enfin, la légitimité des accords sera renforcée, puisqu'ils seront soumis à l'obligation majoritaire. Il n'y a donc pas lieu de s'inquiéter, vous nous le confirmerez sans doute, monsieur le ministre, de ce que certains présentent déjà comme une dérogation généralisée au droit du travail, et donc comme un affaiblissement des garanties offertes aux salariés.

Le champ de la négociation collective dans l'entreprise s'est certes élargi. C'est une bonne chose, car c'est dans la réalité du terrain que l'on pourra retrouver la diversité et les modalités qui conviendront à chacun. Mais, dans le même temps, les branches conservent en certaines matières des compétences exclusives qui ne peuvent faire l'objet d'une dérogation ; c'est le cas par exemple de la fixation des salaires minima de branches.

Bref, c'est un texte équilibré, largement négocié en amont par les partenaires sociaux. C'est là, monsieur le ministre, une grande différence avec les lois sur les 35 heures, dont les résultats sont diversement appréciés, ou avec la loi dite de modernisation sociale, à peu près impensable dans la plupart des pays de l'Union européenne dans lesquels les relations du travail sont réglées, non pas par la loi, mais par la négociation collective, avec des conséquences heureuses sur la richesse du dialogue social, la vitalité des syndicats et la paix sociale.

Il n'en demeure pas moins, monsieur le ministre, que ce projet reste une marche, certes considérable, vers un modèle économique et social que vous appelez et que nous appelons tous de nos voeux. Ce modèle vers lequel nous tendons suppose, là encore, un équilibre réussi entre la nécessaire protection des salariés et la non moins nécessaire compétitivité des entreprises, gage de l'emploi.

A cet égard, un rapport, que vous avez cité, ouvre des pistes intéressantes pour moderniser notre code du travail. Or, moderniser ce dernier, c'est faire « sauter les verrous » à l'embauche, tuer dans l'entreprise la peur de l'embauche. J'espère que le fameux « contrat de projet » dont on parle tant pourra trouver place parmi les propositions que vous soumettez au Parlement. Il s'agit non pas, bien évidemment, de remettre en cause le contrat à durée indéterminée, mais de trouver une solution adaptée pour tous ceux qui pourraient en avoir besoin.

Pour ces derniers, nécessairement limités en nombre, préfère-t-on les voir en contrat de projet ou tous au chômage ? En l'occurrence, c'est non pas l'idéologie qui doit nous guider, mais le pragmatisme. Si le contrat de projet peut utilement contribuer à résoudre ces problèmes d'adaptation, pourquoi s'en priver ?

Faut-il rappeler qu'au 31 décembre dernier on comptait 2 446 500 chômeurs dans notre pays ? N'avons-nous pas l'obligation de faire oeuvre d'imagination, sans a priori aucun, pour remédier à cette situation ?

En somme, monsieur le ministre, ce contrat de projet doit être l'inverse du traité de Versailles, dont Bainville avait souligné à juste titre « qu'il était trop dur pour ce qu'il avait de mou, trop mou pour ce qu'il avait de dur ». Il doit donc être dur - je parle du contrat de projet - quant à ses effets et à sa durée liée à l'exécution d'une mission, et mou tout à la fois, c'est-à-dire flexible, utile pour lutter contre ce mal du siècle, mal français, qui se nomme le chômage. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. François Fillon, ministre Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais remercier le Sénat pour ce débat riche et finalement relativement serein, en particulier grâce à l'excellent travail qui a été accompli par les deux rapporteurs.

Je souhaiterais tout spécialement remercier Mme Bocandé, dont le rapport est très convaincant. Avec beaucoup de finesse, elle propose des ajustements au projet, qui tiennent compte des échanges qu'elle a pu développer avec les partenaires sociaux. Ses suggestions, en particulier sur les obligations de l'employeur en matière de formation, respectent l'équilibre voulu par les partenaires sociaux et j'y souscrirai, pour l'essentiel, bien volontiers.

Je la remercie également d'avoir souligné la dimension et l'importance d'une telle réforme de la formation professionnelle, dont le Gouvernement attend beaucoup, pour la qualité des emplois futurs et pour la compétitivité de nos entreprises.

Je voudrais rendre hommage à M. Chérioux pour la qualité de son rapport, qui est clair, argumenté et nourri d'une très grande expérience. Non seulement il a résumé en termes simples et compréhensibles des questions juridiques extrêmement complexes, mais il a aussi souligné que les audaces du texte en matière de dialogue social sont bien encadrées et, j'ose le dire, calculées.

A juste titre, il a mis en évidence les possibilités offertes par le texte pour que le dialogue social occupe tout l'espace que lui donne la loi, dans les entreprises par exemple, y compris dans les entreprises de taille modeste. J'ai la conviction que l'avenir confirmera ce pari en faveur de la démocratie sociale.

Par ailleurs, il a rappelé la force de son engagement en faveur de la grande idée de la participation, à laquelle je suis, tout comme lui, extrêmement attaché. Je veux lui dire que le Gouvernement examinera avec beaucoup d'intérêt, dans le cours de la discussion, les suggestions qui lui seront faites à ce propos.

J'en viens à la première intervention de l'opposition, celle de M. Chabroux, à qui je rappellerai d'abord que les douze derniers mois du gouvernement de M. Jospin s'étaient soldés par 156 000 chômeurs supplémentaires, et ce malgré les emplois-jeunes et les 35 heures.

Nous n'avons bien entendu pas l'intention, monsieur Chabroux, de nous contenter du retour de la croissance, car nous savons qu'il ne nous permettra pas de rattraper le retard que nous avons pris depuis des années en matière d'emplois par rapport à nos voisins européens. J'ai donc engagé avec les partenaires sociaux la semaine dernière une concertation qui me permettra de vous présenter au printemps un projet de loi relatif à la mobilisation pour l'emploi.

Ce texte a pour objectif à la fois d' assurer une meilleure formation des salariés, en poursuivant le travail que nous entamons ici avec ce texte sur la formation professionnelle, et de lever toute une série de freins à l'emploi, constatés au cours de ces dernières années par de nombreux rapports, quels qu'ils soient, mais qui se sont toujours heurtés finalement à l'immobilisme des gouvernements.

En fait, le parti socialiste semble avoir si peu à dire sur le projet de loi dont nous discutons... (M. le président de la commission s'exclame) que M. Gilbert Chabroux a consacré l'essentiel de son temps de parole à des considérations polémiques sans rapport avec le sujet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !

M. Henri de Raincourt. Il a raison. M. Chabroux est coutumier du fait.

M. François Fillon, ministre. Je vais néanmoins répondre aux quelques questions précises qu'il a posées.

L'AFPA, je le répète, gardera son statut, mais la commande publique sera décentralisée, comme le Sénat l'a d'ailleurs décidé lors de l'examen de la loi relative aux responsabilités locales. Je m'étonne que le parti socialiste s'en inquiète, alors que ce sont des gouvernements socialistes qui ont fait les premiers pas en matière de décentralisation (M. Gilbert Chabroux s'exclame)...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !

M. François Fillon, ministre. Ne vous exclamez pas quand je vous rends hommage, monsieur Chabroux !

... notamment en matière de formation professionnelle qui, je vous le rappelle, a été attribuée, par des textes votés par la majorité de l'époque, en grande partie aux régions.

S'agissant de la lettre des syndicats et de la transposition de l'accord sur la formation professionnelle, monsieur Chabroux, ne vous inquiétez pas : les ajustements rédactionnels souhaités seront examinés lors de la discussion des articles.

Quant à la Position commune transposée par le titre II du projet de loi, il est regrettable que M. Chabroux ait nourri son propos de citations reprises ici ou là dans les journaux sans vraiment s'intéresser au fond du débat.

L'expression « régression sociale » est utilisée pour tenir lieu d'argumentation. Elle sera appréciée par les partenaires sociaux qui ont signé la Position commune et dont les termes sont ici transposés. (M. René-Pierre Signé s'exclame.)

Quant aux propositions esquissées par le parti socialiste, elles ne peuvent pas ne pas être rapprochées du souvenir que nous avons de son inaction au temps où il était aux affaires. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gilbert Chabroux. Un million de chômeurs en moins !

M. François Fillon, ministre. M. Chabroux nous parle d'accord majoritaire, mais sous le règne du gouvernement de M. Jospin, les accords étaient minoritaires ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Il nous parle d'élections de représentativité, mais avez-vous vu un seul projet du parti socialiste permettant de mettre en place des élections de représentativité ?

M. René-Pierre Signé. On verra les régionales !

M. François Fillon, ministre. Il nous parle de modification des équilibres en matière de dialogue social, alors même qu'aucune initiative n'a été prise dans ce domaine.

M. Vanlerenberghe a eu raison de souligner que, depuis plus de dix-huit mois, la négociation a repris de la vigueur et que le pari du dialogue social est justifié par les résultats déjà obtenus. Je citerai l'accord sur la formation professionnelle, naturellement, l'accord sur les retraites complémentaires, mais aussi les discussions déjà très avancées sur l'égalité professionnelle ou encore sur les restructurations.

Nous voyons bien que l'appel à la négociation et à la responsabilité que le Gouvernement a lancé en direction des partenaires sociaux donne aujourd'hui ses premiers résultats.

S'agissant de la date d'entrée en vigueur des dispositions législatives relatives au contrat de professionnalisation, je ne pourrai pas répondre aux souhaits émis par certains organismes privés de formation professionnelle. En effet, l'accord dont nous discutons date du mois de septembre 2003 et son entrée en vigueur est désormais fixée, à la suite d'un amendement voté par l'Assemblée nationale, au 1er octobre 2004. Un an s'écoulera donc entre la conclusion de l'accord et sa mise en oeuvre, ce qui me paraît suffisant pour préparer l'adaptation de l'offre de formation. Entre le moment où la loi pourrait être promulguée et le 1er octobre, il s'écoulera plus de six mois et les organismes de formation professionnelle sont naturellement informés, depuis plusieurs mois déjà, des orientations de l'accord signé par les partenaires sociaux.

Enfin, j'entends respecter le plus possible la volonté des partenaires sociaux, qui avaient choisi la date du 1er juillet 2004. L'idée était que la nouvelle année scolaire puisse se dérouler sous le nouveau régime. Si l'on repoussait au-delà du mois d'octobre la date d'entrée en vigueur de la loi, cela signifierait que l'on vise en réalité la rentrée scolaire de 2005 et que deux ans s'écouleraient entre la signature de l'accord et sa mise en oeuvre.

S'en remettre au bon vouloir des organismes de formation reviendrait à différer sans justification l'application de la réforme, ce qui desservirait leurs intérêts. En effet, la formation en alternance, tels les contrats de qualification, n'est plus aussi attractive, la décroissance enregistrée d'une année sur l'autre dépassant 12 %. Or la mise en oeuvre de la réforme relancera, j'en suis convaincu, les formations en alternance et, par là-même, le chiffre d'affaires des organismes privés qui sont aujourd'hui si inquiets. Tout le monde y gagnera, à commencer - et c'est bien l'essentiel - par les jeunes qui auront reçu une formation.

M. Ostermann a eu raison de souligner l'importance de l'apprentissage. Le Gouvernement entend bien aller au-delà des premières dispositions qui vous sont soumises dans ce texte. Le travail de réflexion auquel M. Ostermann a bien voulu contribuer doit déboucher sur une réforme ambitieuse. Nous avons engagé à ce propos une concertation approfondie avec les partenaires sociaux pour faire de l'apprentissage une filière d'excellence.

La conception classique développée par M. Muzeau reprend l'idée selon laquelle le progrès social est indissociable de la lutte et du conflit. C'est justement le contraire de ce que croit le Gouvernement, qui estime qu'il faut fonder le progrès social sur le dialogue social. (M. Roland Muzeau s'exclame.) Il est temps, de notre point de vue, monsieur Muzeau, de rompre avec une conception de la politique sociale héritée du xixe siècle.

M. Guy Fischer. Vous poussez un peu loin !

M. François Fillon, ministre. Nous avons besoin de réconcilier l'économique et le social ; nous avons besoin de sortir de fausses antinomies et d'accepter l'idée qu'un bon accord peut résulter d'un vrai dialogue dans lequel l'intérêt général se compose d'avantages réciproques.

M. Seillier, de par son expérience en matière de lutte contre l'exclusion, a apporté un témoignage très utile sur l'importance du travail dans le progrès social. Ses références aux travaux du Bureau international du travail élargissent la réflexion en rappelant les références internationales, dont nous ne tenons jamais suffisamment compte.

La formation, le dialogue social sont ainsi reconnus comme des outils de lutte contre la pauvreté.

Je m'associe, monsieur Fortassin, à votre exigence d'efficacité à l'égard du système de formation. Un meilleur contrôle est en effet toujours souhaitable, et ce texte y contribuera.

Quant au terme d'arbitrage, j'y souscris volontiers : le rôle de l'Etat est bien d'arbitrer. Mais je reconnais qu'au travers de ce texte l'Etat se fixe pour objectif premier de respecter l'équilibre trouvé par les partenaires sociaux. Il m'a semblé, en effet, qu'un accord unanime valait considération et qu'en renonçant à l'équilibre de l'accord on rendrait un très mauvais service à la démocratie sociale, ainsi que finalement à l'efficacité sociale. Je fais le pari - et je vous invite à le faire avec moi - que ce texte tiendra ses promesses. Je me permets d'ajouter que l'incitation forte que nous avons donnée, avec le Président de la République, à la conclusion de la négociation, a compté pour beaucoup dans son issue. Sans doute le Gouvernement précédent n'avait-il pas fait le même choix, puisque en 2001 cette même négociation avait échoué.

Madame Printz, s'agissant du DIF, je vous rassure : ce droit a bien vocation à bénéficier autant aux salariés des PME qu'à ceux des grandes entreprises. Le texte prévoit que le salarié sera informé de ses droits régulièrement, chaque année. Contrairement à ce que juge Mme Printz, le DIF est un outil permettant de promouvoir l'égalité réelle des salariés dans l'accès à la formation.

Quant au « passeport formation », cet aspect de l'accord n'est évidemment pas abandonné, madame Printz. Simplement, le sujet ne peut pas être traité au niveau de la loi. Il fera l'objet d'un nouvel accord, que les partenaires sociaux ont prévu de conclure d'ici au mois de juin 2004.

M. Murat a souligné avec raison les grandes inégalités qui existent aujourd'hui en termes d'accès à la formation. De ce point de vue aussi, il serait bon qu'à la suite de tous les syndicats l'opposition reconnaisse que le projet du Gouvernement représente un authentique progrès social.

Mme David se plaît, comme d'autres, à présenter une vision archaïque du patronat. Il me semble que ce n'est pas à propos de l'accord sur la formation ni à l'occasion de ce texte qui le transpose que la démonstration est le mieux fondée. Si un consensus s'est dessiné au sein des partenaires sociaux, ce n'est pas un hasard, madame David. Cela traduit une conception humaniste de l'entreprise dans laquelle l'intérêt de l'entreprise rapproche l'employeur et les salariés. De fait, nous ressentirons toujours plus à l'avenir que la principale richesse de l'entreprise c'est la qualité des hommes et des femmes qui y travaillent. L'investissement dans la formation est donc bien le plus rentable et le plus nécessaire. Nous devons l'accompagner par ce texte.

Enfin, M. Joly a souligné, à juste titre, l'intérêt d'un bon équilibre entre la loi et l'accord collectif. L'un et l'autre se confortent, mais l'un doit aussi respecter la compétence de l'autre. Tel est le sens de l'exposé des motifs du projet de loi. Telle est bien la signification d'un champ largement ouvert à l'accord collectif. C'est une nécessité en matière sociale, comme en témoigne la rédaction de l'article 34 de la Constitution : elle invite le législateur à inscrire dans la loi les principes fondamentaux et à laisser à l'accord collectif la souplesse et la capacité d'adaptation nécessaires.

Au-delà de ces réponses à quelques-unes des questions qui ont été soulevées par les orateurs au cours de la discussion générale et avant d'en venir, après les motions de procédure, à l'examen des articles, je voudrais faire deux commentaires.

Le premier concerne nombre d'interventions émanant notamment de l'opposition qui, d'une part, reproche au Gouvernement certaines incohérences dans la transposition du texte, liées en particulier à des amendements votés à l'Assemblée nationale - je m'en suis expliqué et celles-ci feront l'objet de corrections - et, d'autre part, propose à chaque instant de modifier profondément l'équilibre trouvé par les partenaires sociaux. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Roland Muzeau. Il s'agit de l'enrichir !

M. François Fillon, ministre. Cela n'existe pas ! Un équilibre a été trouvé ! Ou bien l'on transcrit cet équilibre dans la loi, ou bien l'on ne considère pas le travail des partenaires sociaux comme essentiel et le législateur assume alors ses responsabilités. C'est une question très importante, car si nous voulons à l'avenir, avant chaque décision en matière sociale, demander aux partenaires sociaux de se mettre d'accord sur des équilibres, il faudra naturellement que le Parlement apprenne à les respecter.

M. Roland Muzeau. Absolument !

M. François Fillon, ministre. En effet, dans le cas contraire, pourquoi les partenaires sociaux prendraient-ils le risque de faire naître une certaine incompréhension au sein même de leurs propres organisations, lors de la signature d'un accord entre le patronat et les syndicats de salariés ? A l'évidence, nous adresserions un message très négatif aux partenaires sociaux si nous leur disions que tous les efforts qu'ils ont accomplis pour trouver un équilibre ne valent rien, puisque, au motif d'enrichir l'accord, c'est-à-dire en réalité afin de répondre à une partie des demandes formulées par ailleurs, nous allons remettre profondément en cause les équilibres.

M. Henri Weber. C'est ce que vous avez fait !

M. François Fillon, ministre. Absolument pas, vous le savez très bien !

D'ailleurs, si vous le souhaitez, je pourrai vous lire les commentaires qui ont été faits par les partenaires sociaux dans les réunions qui ont permis la retranscription de l'accord.

M. Roland Muzeau. Vous en avez rajouté !

M. Henri Weber. Et le deuxième texte ?

M. François Fillon, ministre. Quant au deuxième texte, nous aurons l'occasion, tout au long des débats, de reprendre mot à mot le texte de la Position commune. Du reste - et je réponds là à M. Vanlerenberghe -, vous constaterez que, sur chaque point de la Position commune, le projet de loi qui vous est proposé reprend les équilibres, souvent ambigus, souvent difficiles, je le reconnais...

M. Roland Muzeau. Ah, quand même !

M. François Fillon, ministre. ... mais qui étaient le fruit d'un travail mené par les partenaires sociaux.

M. René-Pierre Signé. Pas tous !

M. François Fillon, ministre. Ce texte permet aujourd'hui de progresser en matière de dialogue social.

On nous dit que la gauche, notamment le parti socialiste, est favorable à l'accord majoritaire. Nous nous dirigeons vers cet accord majoritaire, en totalité dans les entreprises et avec une étape s'agissant des accords de branche. Comme je le disais tout à l'heure, je n'ai pas eu connaissance, dans le passé, du moindre projet du gouvernement précédent pour aller dans le sens d'un accord majoritaire.

Nous proposons des élections de représentativité dans les branches.

M. Roland Muzeau. Non !

M. François Fillon, ministre. Je reconnais qu'il aurait fallu aller plus loin en imposant ces élections de représentativité,...

M. Roland Muzeau. Absolument !

M. François Fillon, ministre. ... mais, cette mesure ne figurait pas dans la Position commune. En outre, cette question ne faisait pas l'objet d'un accord suffisamment large entre les syndicats de salariés, qui sont loin d'être unanimes à cet égard, et les syndicats patronaux. Néanmoins, nous montrons le chemin. Pour ma part, j'appelle de mes voeux des élections de représentativité (M. Roland Muzeau s'exclame), car elles fonderont, à l'avenir, la légitimité des organisations syndicales. Là encore, on ne peut pas trouver dans l'histoire récente, voire ancienne, la moindre trace d'un projet de l'actuelle opposition visant à mettre en place des élections de représentativité.

Enfin, si vous aviez eu envie de reconnaître de nouvelles organisations syndicales, vous aviez tout loisir de le faire. Tel n'a pas été le cas ! Il est vrai que la question se pose aujourd'hui pour plusieurs d'entre elles. D'ailleurs, certaines organisations syndicales ont porté cette question devant les juridictions compétentes et nous verrons comment faire évoluer notre droit.

En réalité, avec ce texte, nous faisons faire un progrès considérable à la formation professionnelle en créant un nouveau droit pour les salariés : le droit individuel à la formation. Il faudra le compléter par la « deuxième chance », dans le cadre du texte relatif à l'emploi qui viendra en discussion au printemps prochain.

Quant au dialogue social, je reconnais bien volontiers que nous ne sommes pas allés aussi loin que je l'aurais voulu, mais nous mettons en mouvement des règles qui étaient figées depuis la Libération. L'embarras de l'opposition vient, pour une large part,...

M. René-Pierre Signé. Nous ne sommes pas embarrassés !

M. François Fillon, ministre. ... du fait que c'est la majorité actuelle qui met en mouvement ces règles en matière de dialogue social. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Gilbert Chabroux. C'est une marche arrière !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Serge Vinçon.)