Mardi 20 octobre 2009

- Présidence de Mme Muguette Dini, Présidente -

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 - Audition de MM. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration, et Hervé Drouet, directeur général, de la caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf)

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de MM. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration, et Hervé Drouet, directeur général de la caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.

A titre liminaire, M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration de la Cnaf, a indiqué que le déficit de la branche famille atteindra 3,1 milliards d'euros au terme de cette année et 4,4 milliards à la fin de l'exercice suivant. Cette dégradation continue des comptes est une configuration nouvelle pour une caisse qui connaissait, par le passé, une situation excédentaire. Dans ce contexte, il est essentiel de préserver les ressources existantes de la branche, sauf à assumer le choix d'une remise en cause de certaines prestations.

M. André Lardeux, rapporteur pour la branche famille, a considéré que le maintien des prestations familiales à leur niveau actuel implique non seulement la préservation des recettes présentes mais aussi la création de nouvelles ressources. En effet, le déficit cumulé de la branche dépasserait 15 milliards d'euros en 2012, ce qui entraînera mécaniquement une baisse des prestations, sauf à augmenter les prélèvements obligatoires affectés à la politique familiale.

Appréhendant plus globalement la situation financière du système de protection sociale tout entier, à l'occasion de l'analyse particulière des comptes de la branche famille, M. René Teulade a plaidé pour l'engagement rapide d'une réforme fondée sur le principe de justice sociale.

Mme Raymonde Le Texier a jugé lapidaire la présentation introductive du président Deroussen, qui semble ne pas s'émouvoir de l'éventualité d'une baisse des prestations familiales.

Partageant ce sentiment, M. Claude Jeannerot a souhaité savoir quelles pourraient être les nouvelles recettes à affecter à la branche, à défaut desquelles certaines dépenses devront être réduites.

M. Guy Fischer a regretté que les prestations familiales ne soient pas revalorisées en 2010. Il a jugé trop faible le montant du prêt à l'amélioration de l'habitat que le texte prévoit d'accorder aux assistantes maternelles. Il s'est par ailleurs étonné de la baisse de 5 milliards d'euros des dépenses de la branche entre 2008 et 2009 qui apparaît lorsqu'on compare les tableaux respectifs qui figurent dans la loi de financement votée pour 2009 et dans le projet de loi de financement déposé pour 2010.

M. Alain Vasselle, rapporteur général, a souhaité savoir dans quelle mesure le revenu de solidarité active (RSA) pèse sur l'équilibre financier de la Cnaf. Par ailleurs, dans la perspective d'une gestion plus rigoureuse d'une ressource qui devient rare, existe-t-il encore des gisements de productivité à exploiter dans l'organisation du réseau des caisses et si oui lesquels ? Dans un autre registre, faut-il considérer la majoration de pension pour enfants comme une dépense de solidarité, ce qui justifierait de la remettre à la charge du fonds de solidarité vieillesse (FSV), ou comme un avantage familial légitimé par le fait que les familles nombreuses contribuent plus que les autres au financement des régimes de retraite, ce qui plaide pour une prise en charge par la branche famille ? Enfin, la fiscalisation des recettes de la branche famille permettrait-elle de sécuriser ses ressources ou les rendrait-elle dépendantes des arbitrages budgétaires de l'Etat?

M. Jean-Louis Deroussen a rappelé l'attachement des partenaires sociaux à la gestion paritaire de la Cnaf, qu'une fiscalisation des recettes rendrait impossible. Il est par ailleurs délicat de réclamer l'augmentation des ressources de la branche famille au moment où d'autres caisses nationales, et notamment la Cnav, connaissent une situation déficitaire autrement plus importante. Il faudrait sans doute commencer par contraindre l'Etat à compenser systématiquement à la branche famille l'ensemble des exonérations de cotisations patronales qu'il décide unilatéralement. En effet, ces cotisations représentent la recette principale de la Cnaf et les différentes exonérations pèsent lourdement sur son budget. Enfin, la majoration de pension pour enfants constitue bien un avantage familial, ce qui justifie sa prise en charge par la branche famille.

En ce qui concerne la baisse des dépenses de la branche entre 2008 et 2009, M. Hervé Drouet, directeur général de la Cnaf, a indiqué qu'elle n'est qu'apparente et s'explique simplement par une modification des règles comptables des caisses de sécurité sociale : les prestations versées pour compte de tiers sont désormais exclues du compte du résultat des caisses, ce qui a conduit la branche famille à exclure le RSA de son compte de résultat, entraînant du même coup une baisse de 5 milliards d'euros de ses dépenses par rapport à celles de l'année précédente. Cette diminution n'est donc qu'un effet d'optique comptable et ne traduit pas de réduction du niveau des prestations familiales.

M. Guy Fischer a voulu savoir s'il est exact que les bénéficiaires du RSA se voient appliquer une réduction des allocations logement auxquelles ils pouvaient précédemment prétendre.

M. Hervé Drouet a expliqué que les allocations logement ne sont pas comptabilisées dans les ressources qui déterminent le montant du RSA versé, et que le bénéfice de cette prestation ne doit donc pas entraîner, en théorie, une diminution des allocations logement.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur pour le secteur médico-social, a attiré l'attention sur le cas du conseil général du Nord, dont le président a annoncé son intention de ne plus rembourser les caisses d'allocations familiales (Caf) qui versent le RSA pour le compte du département. Elle a souhaité connaître, à ce propos, l'état d'avancement du regroupement des huit caisses du département.

M. Jean-Louis Deroussen a répondu que le rapprochement des Caf du Nord est en bonne voie et que son principe a été accepté par les acteurs concernés, sous réserve que le mode de gouvernance de la future caisse unique permette de représenter la totalité des territoires du département. En ce qui concerne la décision du président du conseil général du Nord, elle devrait être sans effet, puisque la Cnaf a saisi le préfet du département afin qu'il procède, si nécessaire, à l'inscription obligatoire du remboursement des Caf sur le budget du conseil général.

M. André Lardeux, rapporteur pour la branche famille, a ensuite fait part du vif mécontentement de l'ensemble des parlementaires vis-à-vis de la très longue convention-type concernant les regroupements d'assistantes maternelles, envoyée par la Cnaf à son réseau de caisses locales le 29 juillet dernier. Cette convention a en effet pour conséquence de rendre inapplicable l'article 108 voté dans la loi de financement de sécurité sociale pour 2009 pour autoriser les regroupements d'assistantes maternelles, et qui se trouve dès facto privé d'effet, en contradiction avec la volonté du législateur.

M. Jean-Louis Deroussen a fait valoir que la convention-type a été préparée par la Cnaf avec de nombreux partenaires, parmi lesquels l'association des maires de France (AMF), l'assemblée des départements de France (ADF), la direction générale du travail ainsi que des représentants des services de protection maternelle et infantile (PMI). L'ampleur du texte et la rigueur des conditions qu'il pose se justifient par la nécessité d'encadrer l'ensemble des problèmes que soulève le regroupement des assistantes maternelles, qui s'apparente en réalité à la création d'une entreprise. Il est indispensable de régler un certain nombre de questions pratiques qui ne manqueront pas de se poser : qui planifie les horaires d'accueil ? Qui prépare les repas ? Qui assure l'entretien des locaux et les réparations en cas de dégradations ?

Mme Isabelle Debré a fait remarquer que les crèches familiales sont susceptibles de rencontrer au moins autant de problèmes d'organisation, de sécurité et de responsabilité que les regroupements d'assistantes maternelles, et qu'elles n'ont pourtant pas subi des règles d'encadrement aussi lourdes de la part de la Cnaf.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur pour le secteur médico-social, a déclaré comprendre la nécessité d'encadrement défendue par la Cnaf : certains exemples locaux auxquels elle a été confrontée illustrent les difficultés pratiques rencontrées par des assistantes maternelles candidates au regroupement, notamment du fait de l'absence de réglementation. En ce sens, la convention vient, peut-être maladroitement, répondre pour partie à leurs préoccupations.

M. André Lardeux, rapporteur pour la branche famille, s'est demandé si la convention-type en cause, composée de onze pages et renvoyant à sept annexes, est compatible avec le principe d'action revendiqué par la Cnaf selon lequel « Faire garder mon enfant devient plus simple » ?

M. Jean-Marc Juilhard a jugé que la convention-type rend impossibles les regroupements alors même qu'ils constituent un mode de garde souple, plébiscité par les parents et soutenable financièrement pour les collectivités territoriales, comme l'a montré depuis plusieurs années leur expérimentation en Mayenne.

Mme Muguette Dini, présidente, a considéré que non seulement la convention-type empêche tout nouveau regroupement, mais qu'elle déstabilise aussi ceux qui existent déjà. Il est donc impératif qu'elle soit très rapidement révisée et la commission des affaires sociales y veillera.

Mme Marie-Thérèse Hermange a regretté la tendance actuelle des pouvoirs publics à favoriser l'accueil collectif des jeunes enfants, qui a pour conséquence de réserver aux parents disposant des revenus les plus élevés le libre choix du mode de garde.

M. Jean-Louis Deroussen a rappelé que les crèches collectives ont fait l'objet d'un encadrement par décret, ce qui explique que la Cnaf n'ait pas eu besoin de recourir à une convention pour les réglementer. Par ailleurs, la convention-type contestée a été validée par le cabinet de Nadine Morano, secrétaire d'Etat chargée de la famille et de la solidarité.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 - Audition de Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav)

Elle a ensuite procédé à l'audition de Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnav), sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, en présence de Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et de deux de ses membres.

Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Cnav, a indiqué que, pour la première fois depuis 2005, l'augmentation des prestations de retraite servies par la caisse, qui était de 6 % par an, s'infléchirait en 2009 pour s'établir à 4,9 %, soit 0,8 point de moins qu'en 2008. Ce ralentissement tiendrait principalement à la forte diminution du nombre de départs en retraite anticipée, marquant un début de déclin du dispositif « longue carrière » : après avoir contribué à accroître les dépenses de 0,3 point en 2008, celui-ci modérerait la croissance des prestations à hauteur de - 0,4 point en 2009. La Cnav avait estimé le nombre de départs anticipés à 34 000 en 2009, alors que la direction de la sécurité sociale en avait projeté 51 000. En fait, le niveau devrait ne correspondre qu'à environ 25 000 départs sur 675 000, soit 3,6 % de l'ensemble des départs en retraite en 2009, en raison :

- de la modification des critères de durées validées et cotisées pour un départ anticipé, parallèlement à l'allongement au 1er janvier 2009 de la durée d'assurance requise pour le taux plein ;

- du resserrement, par voie réglementaire, des conditions de régularisation de cotisations arriérées qui étaient jusqu'alors majoritairement utilisées pour remplir les critères d'éligibilité à la mesure.

En conséquence, le coût de la retraite anticipée pour carrière longue serait ramené de 2,4 milliards d'euros en 2008 à 2,2 milliards en 2009, puis à 1,6 milliard en 2010. Après avoir connu une montée en charge entre 2004 et 2008, pour un coût de l'ordre de 2 milliards d'euros par an, le dispositif amorce donc son déclin en 2009. A l'avenir, les dépenses associées devraient être de l'ordre de 300 à 350 millions d'euros par an.

M. Dominique Leclerc, rapporteur pour la branche vieillesse, a rappelé que la branche vieillesse, excédentaire jusqu'en 2004, connaît depuis lors une aggravation continue de son déficit. Elle est même devenue en 2008 la plus déficitaire des quatre branches de la sécurité sociale. En 2009, le déficit se dégraderait encore fortement puisqu'il atteindrait 5,6 milliards d'euros. Cette situation déficitaire chronique a pour principale cause la progression continue de la masse des pensions, elle-même due aux facteurs démographiques que sont le « papy-boom » et l'augmentation de l'espérance de vie. Ces mutations démographiques obligent à dresser le constat que la branche vieillesse est confrontée à un besoin structurel de financement. Or, jusqu'à présent, aucune réponse pérenne n'a été apportée pour y faire face. Le redéploiement des cotisations chômage au bénéfice des cotisations vieillesse, prévu par la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, a été reporté sine die. La crise économique a en effet conduit le Gouvernement à poser un moratoire sur l'augmentation annoncée de la part patronale déplafonnée des cotisations retraite de 0,3 % en 2009.

Mme Danièle Karniewicz a reconnu que la dégradation du contexte économique amplifie les difficultés financières structurelles de la branche. La hausse du nombre de chômeurs réduit d'autant le nombre de cotisants, et donc les cotisations sociales qui représentent les deux tiers des recettes de la caisse. L'agrégat « cotisations sociales » diminuerait ainsi de 0,4 % en 2009 (après avoir augmenté de 4,1 % en 2008) compte tenu de la baisse prévue de la masse salariale, ce qui équivaut à une perte de recettes de l'ordre de 2 milliards d'euros. Toutefois, l'incidence négative de la crise est partiellement compensée par l'effet positif sur les cotisations de la forte revalorisation du plafond de sécurité sociale en 2009 (3,1 %), ainsi que par la hausse de 18,4 % des transferts en provenance du fonds de solidarité vieillesse (FSV) au titre du chômage. Ces deux facteurs expliquent pourquoi la branche vieillesse est moins affectée par la crise que ne le sont les autres branches.

En ce qui concerne le financement à moyen et long terme du système de retraite toutefois, la combinaison d'un relèvement de l'âge légal de départ en retraite et d'une augmentation de la durée de cotisation ne suffira pas à combler les besoins. Selon les projections de la Cnav, le report de l'âge de départ à soixante-deux ans et le passage à 43,5 annuités de cotisation rapporteraient 8 milliards d'euros au régime général en 2020 et 28 milliards en 2050. Or, le besoin de financement de la caisse a été évalué, sur ces mêmes échéances, par le conseil d'orientation des retraites (Cor), respectivement à 12,9 milliards et 44,5 milliards d'euros.

Jouer sur ces seuls paramètres ne permettra donc pas de résoudre le problème du déficit de la branche vieillesse. Dès lors, il est indispensable d'activer également le levier « cotisations », soit en augmentant leur taux, soit en procédant à un redéploiement des cotisations au sein de la protection sociale. La baisse du niveau des pensions est, quant à elle, exclue dans la mesure où le taux de remplacement ne cesse de se dégrader depuis plusieurs années. Le rendez-vous prévu en 2010 est l'occasion d'engager un véritable débat sur le niveau de vie qui doit être garanti aux retraités. Il en va de la crédibilité et de la pérennité du système de retraite. Seule l'assurance d'un certain taux de remplacement rendra acceptables aux yeux des Français des efforts supplémentaires en termes de durée de cotisation, de relèvement de l'âge de la retraite ou de hausse des cotisations.

Enfin, Mme Danièle Karniewicz s'est déclarée hostile à une solution consistant à réformer le système de retraite seulement pour les jeunes générations, qui ne ferait qu'accentuer l'iniquité intergénérationnelle qui caractérise déjà le pacte social.

M. Dominique Leclerc, rapporteur pour l'assurance vieillesse, a souhaité connaître la position de la Cnav sur la disposition du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 réformant la majoration de durée d'assurance (MDA) que la législation réserve actuellement aux mères. Afin d'assurer la compatibilité du dispositif avec les nouvelles contraintes jurisprudentielles qui ont étendu le bénéfice de la majoration aux pères, il est prévu, d'une part, une majoration de durée d'assurance au titre de l'accouchement, attribuée à la mère, d'autre part, une majoration de durée d'assurance au titre de l'éducation de l'enfant, accordée au couple. Pour cette seconde majoration, les règles d'attribution seront différentes selon la date de naissance de l'enfant. Pour les enfants nés avant le 1er janvier 2010, la mère en sera automatiquement bénéficiaire. Pour les enfants nés après cette date, les parents auront la faculté de la répartir librement entre eux. Ils devront alors en informer leur caisse d'assurance vieillesse dans les six mois suivant le quatrième anniversaire de l'enfant. Si cette formule paraît équilibrée, ne peut-on pas craindre la survenance de litiges en cas de désaccord entre les parents ?

Mme Danièle Karniewicz a rappelé que la majoration de durée d'assurance constitue un avantage essentiel pour les femmes. La supprimer aboutirait à abaisser de 19 % leurs pensions de retraite. Sur cette question, la Cnav poursuit trois objectifs : trouver une solution juridiquement acceptable, réformer à budget constant et maintenir le maximum de garanties pour les mères. Pour ce qui est du passé, la solution proposée est satisfaisante puisque la mère conservera ses huit trimestres de majoration, quatre au titre de la majoration pour accouchement et quatre au titre de la majoration pour éducation. Pour l'avenir, le dispositif privilégie le libre choix au sein du couple. C'est une solution moderne, déjà adoptée par plusieurs pays européens, mais qui comporte des risques inévitables de conflit. Il est prévu qu'en cas de désaccord entre les parents, la majoration sera attribuée à celui des deux qui établira avoir contribué à titre principal à l'éducation de l'enfant ou, en cas d'équivalence, partagée par moitié entre eux. Il est donc indispensable de préciser la notion, particulièrement vague, d'« éducation à titre principal ». Afin d'éviter que la majoration pour éducation ne soit attribuée de manière subjective par les agents de la caisse de retraite chargés d'instruire les dossiers, il faudra que les parents apportent des preuves formelles.

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, a déclaré ne pas se satisfaire de la réforme proposée par le Gouvernement. L'instauration de la majoration de durée d'assurance dans les années soixante-dix avait pour objectif de compenser à la fois les conséquences de la présence des enfants sur les carrières professionnelles des mères et les inégalités de fait entre hommes et femmes. Cette mesure représentait donc une avancée majeure pour les droits des femmes, ce qui conduit à se demander si toutes les pistes de réforme ont été réellement envisagées pour garantir cette compensation. En outre, force est de constater qu'aujourd'hui, le partage des tâches au sein des couples est encore loin d'être satisfaisant. Les mères continuent à sacrifier leur carrière professionnelle pour s'occuper des enfants. Tant que les femmes renonceront à certains choix professionnels et percevront des salaires moins élevés que les hommes, on peut trouver légitime de maintenir à leur profit la majoration de durée d'assurance actuelle. Par ailleurs, la réforme de la MDA n'incite-t-elle pas à réfléchir sur celle, plus globale, des droits familiaux et conjugaux ?

Sur cette dernière question, Mme Danièle Karniewicz a considéré qu'il faudra sans doute du temps pour réformer les droits familiaux et conjugaux, mais que ce sujet devra être abordé lors du rendez-vous « retraites » de 2010. En ce qui concerne la majoration de durée d'assurance, elle a réitéré son soutien au nouveau dispositif qui avait d'ailleurs été proposé par le conseil d'administration de la Cnav. Il est urgent de réformer le droit actuel dans la mesure où l'arrêt de la Cour de cassation du 19 février 2009 conduira les juges à donner raison aux pères qui demandent à bénéficier de la même majoration que les mères. Pour ce qui est des inégalités entre hommes et femmes, il est évident que les inégalités dans le monde du travail sont à l'origine de celles constatées en matière de retraite.

M. Guy Fischer a fait observer que cette réforme a le mérite de porter le débat sur la place publique. La majoration de durée d'assurance était, à l'origine, une mesure sociale destinée à compenser les écarts de carrière entre hommes et femmes. Or, plus de trente ans après sa mise en oeuvre, ces inégalités persistent. La meilleure solution n'aurait-t-elle donc pas été de maintenir les huit trimestres pour les femmes et de créer un nouveau droit pour les hommes ? Par ailleurs, il faut noter, pour s'en réjouir, que le nouveau dispositif s'applique aussi aux parents adoptants.

A son tour, Mme Annie David a rappelé que la majoration de durée d'assurance est un droit obtenu par les femmes dans le but de lutter contre les inégalités professionnelles. Aujourd'hui, elle constitue une part non négligeable du montant des retraites des mères qu'il convient de préserver. Certes, il est légitime que les pères qui participent activement à l'éducation de leurs enfants revendiquent une égalité de traitement dans l'attribution de la majoration de durée d'assurance. Mais il faut également reconnaître, d'une part, que les pères n'y sacrifient pas aussi souvent leur carrière que les mères, d'autre part, qu'ils reçoivent des salaires plus élevés. L'inégalité n'est donc pas du côté des pères mais des mères.

Mme Isabelle Debré s'est dite très préoccupée par l'augmentation du nombre de femmes, notamment les veuves, vivant dans une situation de grande précarité. Non seulement les femmes seules ont souvent une petite retraite mais elles ne bénéficient de surcroît que d'une pension de réversion particulièrement modeste. Il serait souhaitable que la commission, qui a déjà travaillé par le passé sur la question de la réversion, se penche à nouveau sur le sujet.

Partageant ces analyses, Mme Danièle Karniewicz a rappelé que le niveau de vie des femmes veuves ou séparées constitue un véritable problème auquel les pouvoirs publics devront s'attaquer. Sur la question de la majoration de la durée d'assurance, l'extension pure et simple du dispositif aux pères aurait été à la fois inéquitable et inenvisageable compte tenu de la situation financière de la branche vieillesse. La solution trouvée est la plus juste et la plus satisfaisante possible mais elle n'exonère pas d'une réflexion sur une réforme plus complète des droits familiaux et conjugaux.

A M. Guy Fischer qui lui demandait si elle s'opposait à la création d'un droit à majoration de durée d'assurance pour les pères, Mme Danièle Karniewicz a répondu y être défavorable, sauf lorsque le père a élevé seul ses enfants. Dans ce cas précis, il est normal qu'il puisse bénéficier d'une majoration.

M. Alain Vasselle, rapporteur général, a tout d'abord attiré l'attention sur le fait que la dégradation des comptes du fonds de solidarité vieillesse (FSV) en 2009, en raison de la crise, ne lui permettra pas d'honorer ses engagements de trésorerie vis-à-vis de la Cnav : à ce jour, le FSV évalue son insuffisance de trésorerie à 660 millions d'euros. Par ailleurs, il faut rappeler que le redéploiement de cotisations sociales au bénéfice de l'assurance vieillesse, pour garantir son financement, n'est pas une idée nouvelle : l'exposé des motifs de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites envisageait en effet des hausses de cotisations vieillesse compensées à due concurrence par des baisses de cotisations d'assurance chômage afin de ne pas peser sur la compétitivité des entreprises et l'emploi. Ce scénario reposait toutefois sur deux préalables : d'une part, la baisse du chômage, d'autre part, l'accord des partenaires sociaux gestionnaires de l'Unedic sur le principe du redéploiement et la réduction des cotisations chômage. Or, ces deux conditions n'ont jamais été remplies. A quel horizon ce redéploiement pourrait-il avoir lieu ? Existe-t-il d'autres possibilités de transferts de cotisations au sein de la protection sociale ? Enfin, s'agissant de la majoration de durée d'assurance, comment justifier que les règles pour les salariés du privé soient différentes de celles, moins favorables, applicables aux fonctionnaires ?

Mme Danièle Karniewicz s'est étonnée de cette dernière question : il est rare qu'on demande que les règles du secteur public soient rapprochées de celles appliquées au secteur privé en matière de retraite ! Pourquoi ne pas revendiquer également l'harmonisation du salaire de référence valable dans le privé (les vingt-cinq meilleures années) sur la règle des six derniers mois applicable dans le public, ou celle du niveau de remplacement des salariés sur celui des fonctionnaires ?

En ce qui concerne la situation financière des régimes de retraite, une réflexion doit être menée sur l'assiette du financement. Alors que les ressources des branches maladie et famille proviennent d'une combinaison entre cotisations et impôts, la branche retraite n'est financée que par des cotisations. Cette particularité doit être préservée car elle explique en quoi le système de retraite repose sur le principe de contributivité. Mais le maintien de ce financement par les cotisations n'empêche pas d'envisager un élargissement de l'assiette des cotisations qui est actuellement concentrée sur la masse salariale. La notion de contributivité - prestations acquises en contrepartie de cotisations versées - devra d'ailleurs être au coeur des débats de l'an prochain sur la réforme du système. Ceux-ci devront répondre à deux questions : quel niveau de contributivité vise-t-on en matière de retraite (logique d'assurance) et quels droits non contributifs accorde-t-on (logique de solidarité) ?

La réflexion sur les régimes de retraite doit par ailleurs s'inscrire dans une approche globale du financement de la protection sociale, incluant la répartition des ressources entre les différentes branches de la sécurité sociale. La question des majorations de pensions pour enfant pourrait ainsi légitimement soulever celle de leur plus exacte prise en charge, entre la branche vieillesse ou la branche famille.

Enfin, s'agissant des relations financières entre le FSV et la Cnav, l'année 2009 verra l'augmentation des transferts en provenance de la Cnav au titre des périodes de chômage validées gratuitement. Ce mécanisme joue ainsi le rôle d'amortisseur sur les produits de la caisse en cas de dégradation du marché du travail. Plus globalement, il faudra que le rendez-vous 2010 débouche sur des réponses durables au problème du financement des retraites. On ne peut plus tolérer de procéder par petites touches à chaque nouveau rendez-vous. Toutes les solutions possibles devront être mises sur la table et discutées afin que soit garantie la viabilité des régimes de retraites.

Revenant sur la réforme de la majoration de durée d'assurance, Mme Raymonde Le Texier s'est déclarée sensible aux arguments exposés par la présidente de la Cnav. Il s'agit d'un véritable problème de société. Les femmes sont désavantagées par rapport aux hommes car elles sont potentiellement appelées à devenir des mères de famille. Celles d'entre elles qui travaillent subissent une pression très forte, si bien que la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale est de plus en plus difficile. Avant de s'attaquer aux avantages retraite des femmes, mieux vaudrait régler le problème des inégalités de carrière et des inégalités salariales. Par ailleurs, il est important que la prochaine réforme des retraites garantisse l'équité entre les générations et redonne confiance aux jeunes dans le système de retraite.

M. René Teulade a estimé que le pilotage du système de retraite par rendez-vous successifs relève du bricolage et qu'il ne permet pas de répondre aux véritables questions, d'autant que les projections à cinquante ans des besoins de financement du système sont incertaines sur le plan du taux de fécondité, de l'espérance de vie ou de la situation économique à cet horizon.

Mme Danièle Karniewicz a confirmé la réalité des inégalités hommes-femmes dans le monde du travail, les partenaires sociaux ayant une véritable responsabilité dans l'échec de la politique menée en matière d'égalité salariale. Ceci étant, même s'il reste à faire, on constate que le partage des tâches au sein des couples évolue dans le bon sens avec les jeunes générations. S'agissant des projections financières, il est vrai que celles-ci doivent être considérées avec prudence dès lors qu'il est particulièrement délicat d'évaluer les données économiques et le niveau d'emploi à long terme.

Mme Muguette Dini, présidente, a voulu savoir si la Cnav dispose d'un premier bilan des mesures de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 relatives à l'emploi des seniors.

Mme Danièle Karniewicz a répondu que s'il est encore trop tôt pour dresser un bilan complet de la mise en oeuvre de ces mesures, certains résultats sont d'ores et déjà disponibles. Ainsi, la revalorisation du taux de surcote (de 3 % à 5 % par année cotisée au-delà de la durée d'assurance ouvrant droit à taux plein) a un réel effet incitatif puisque la proportion de nouveaux bénéficiaires s'établit à 12,5 % au premier trimestre 2009 contre 9,5 % en 2008. Ceci étant, il n'est pas inutile de préciser que le gain mensuel moyen qui en résulte s'élève à 35 euros seulement en 2008. Pour commencer à apprécier les effets de la libéralisation du cumul emploi-retraite en vigueur depuis janvier 2009, la Cnav a mené une enquête en juillet-août sur un échantillon de 5 700 nouveaux retraités portant sur les possibilités de cumuler un emploi et une retraite. Les données recueillies montrent que le dispositif semble bien connu des personnes interrogées (67 % des personnes n'ayant jamais pratiqué ce cumul déclarent néanmoins connaître cette faculté) et que le cumul concerne davantage les catégories socioprofessionnelles des cadres et des employés (16 % des cadres et 12 % des employés déclarent cumuler, contre 5 % des ouvriers).

M. Alain Gournac s'est enquis de l'état d'avancement des dossiers d'adossement des régimes de retraite de la Poste, de la SNCF et de la RATP aux caisses de retraite du secteur privé.

S'agissant de la Poste, Mme Danièle Karniewicz a indiqué qu'une étude de projection a été élaborée par la Cnav, dans le cadre d'un groupe de travail réunissant la Poste, la direction du budget et la caisse. Le groupe s'est réuni pour la dernière fois en juillet 2008. Depuis cette date, le dossier est au point mort. Les négociations ont notamment achoppé sur la question du montant de la soulte que devra verser le régime adossé au régime d'accueil. Pour la RATP, la date d'adossement prévue était le 1er janvier 2006. Si le principe de l'adossement n'a pas été remis en cause, celui-ci n'est toujours pas effectif, les discussions se heurtant là aussi au problème de la soulte. Enfin, sur la SNCF, la Cnav n'a jamais été sollicitée sur un quelconque adossement.

Prélèvements obligatoires - Examen du rapport d'information

Enfin, la commission a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Alain Vasselle, rapporteur général, en vue de la tenue du débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution.

M. Alain Vasselle, rapporteur général, a d'abord rappelé que ce débat, spécifique au Sénat, intervient, comme chaque année, à la veille de l'examen des deux grands textes financiers que sont le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et le projet de loi de finances (PLF). Il a un double avantage, celui de permettre une vision d'ensemble des finances de l'Etat et de la sécurité sociale et celui de se situer dans une perspective pluriannuelle, aussi bien rétrospective que prospective, ce que n'autorisent pas suffisamment les examens du PLF et du PLFSS pendant lesquels l'attention est plus portée sur les mesures ponctuelles qu'ils contiennent que sur les équilibres d'ensemble. L'année dernière, le débat sur les prélèvements obligatoires était couplé avec l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques, dans le contexte très incertain du début de la crise économique. Cette année, il intervient dans des circonstances très différentes. D'une part, le vent de la crise est passé et il convient de faire le constat des dégâts. D'autre part, les réflexions sur la sortie de crise ont commencé et, même si le moment exact et l'ampleur du redressement restent à ce jour inconnus, il n'est plus possible de procrastiner : il est de la responsabilité des parlementaires, comme de celle du Gouvernement, de commencer à anticiper les décisions qui ne pourront être esquivées.

Deux idées force peuvent servir de cadre général au débat : la première est que l'ampleur inédite des déficits constitue une menace avérée pour le système de protection sociale ; la seconde est que les limites du report des difficultés actuelles sur les générations futures sont atteintes.

M. Alain Vasselle, rapporteur général, est alors revenu sur l'évolution récente des prélèvements obligatoires. Ceux-ci ont dépassé le seuil de 40 % du Pib en 1980 ; ils ont ensuite régulièrement progressé et atteint un niveau record entre 1998 et 2000, à plus de 44 % de la richesse nationale ; ils ont baissé depuis lors et s'élèvent au taux de 42,8 % du Pib en 2008. Pour 2009 et 2010, on attend une chute sans précédent du niveau de ces prélèvements qui pourraient s'établir à 40,7 % du Pib, soit une baisse de plus de deux points de Pib en une seule année. Selon le Gouvernement, environ deux tiers de cette baisse sont liés à l'évolution spontanée des recettes, notamment fiscales, la chute de l'impôt sur les sociétés contribuant à elle seule pour un point à cette baisse ; le tiers restant est dû aux mesures nouvelles prises dans le cadre du plan de relance pour lutter contre la crise (baisses d'impôt sur le revenu, d'impôt sur les sociétés et de TVA). Sur la partie « sociale » de ces prélèvements qui en représente plus de la moitié, 54 % exactement, les évolutions sont moins prononcées, en raison d'un ralentissement légèrement moindre des assiettes taxables - et notamment de la masse salariale - par rapport au Pib. Les prélèvements obligatoires des administrations de sécurité sociale seraient donc stables en 2008 et 2009 à 22,2 % du Pib mais pourraient baisser en 2010 à 21,8 % du Pib du fait d'une progression cette fois-ci moindre de la masse salariale par rapport au Pib.

Ces résultats sont directement liés à l'évolution économique, notamment à la croissance qui est en recul de 2,25 % en 2009, tendance qui pourrait s'inverser en 2010, avec une légère progression du Pib, de 0,75 %. Ils sont également affectés par l'évolution de la masse salariale qui baisse de 2 % en 2009 et serait toujours en retrait en 2010, de 0,4 % selon les prévisions gouvernementales ; c'est la première fois qu'on observe deux années de suite une baisse de la masse salariale. Si l'on compare ces données avec celles observées en moyenne au cours des dix années précédentes, ce sont plus de 21 milliards de recettes qui ne sont pas au rendez-vous en 2009 et 2010, au seul titre des produits sur les revenus d'activité, c'est-à-dire des cotisations sociales et d'une très large part de la contribution sociale généralisée (CSG). Les prélèvements sur les revenus du capital sont également en forte baisse, de près de 20 %, soit une perte de 3,4 milliards d'euros. Seules les recettes fiscales affectées à la sécurité sociale augmentent légèrement. Le panier de recettes qui finance les allégements généraux de charges sociales devrait dégager un excédent de 600 millions d'euros en 2009 et, peut-être, de plus d'un milliard d'euros en 2010. Le recul des allégements du fait de la baisse de la masse salariale est en effet plus prononcé que celui du panier qui comporte un certain nombre de taxes dites comportementales, comme les droits sur les tabacs, ou la TVA sur les produits pharmaceutiques, qui ne sont pas affectées par la mauvaise conjoncture.

Au total, le ratio de couverture des dépenses par les recettes se réduit considérablement puisqu'il passe, pour le régime général, de près de 97 % en 2008 à 90,4 % en 2010, ce qui est une situation totalement inédite et très éloignée du principe, inscrit dans le code de la sécurité sociale, de l'équilibre de chacune des branches de la sécurité sociale. Cette aggravation rapide du déficit a conduit la commission des comptes de la sécurité sociale à vouloir analyser plus avant la nature de ce déficit et à chercher à en distinguer la part conjoncturelle et la part structurelle. D'après ses estimations, plus des deux tiers du déficit du régime général en 2010 seront d'origine conjoncturelle, essentiellement au titre des pertes de recettes. Cela signifie aussi que le déficit structurel de la sécurité sociale se situe à environ 10 milliards d'euros, soit le niveau de déficit enregistré chaque année depuis 2004. A l'avenir toutefois, la distinction entre déficit structurel et déficit conjoncturel présentera peu d'intérêt. En effet, même en retenant l'hypothèse d'une croissance forte et régulière assortie d'une bonne maîtrise des dépenses de santé, le déficit annuel du régime général restera fixé aux alentours de 30 milliards d'euros jusqu'en 2013, ainsi que le montre l'annexe B du PLFSS pour 2010, bâtie, comme chaque année, sur des hypothèses particulièrement volontaristes, à savoir une croissance annuelle du Pib de 2,5 % et de la masse salariale de 5 % à partir de 2011. Seules des mesures nouvelles significatives permettront donc une réduction du déficit, le retour de la croissance étant tout juste suffisant pour stabiliser le solde actuel.

Dans l'immédiat, les déficits sans précédent de 2009 et 2010, soit au total 56,3 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter un déficit cumulé du fonds de solidarité vieillesse (FSV) de l'ordre de 7,5 milliards d'euros, ont un corollaire : l'aggravation de la dette sociale. Pour l'instant, cette dette est portée par l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et le restera tout au long de l'année 2010, comme l'a confirmé le ministre des comptes publics. C'est pourquoi le PLFSS prévoit un plafond d'emprunt de 65 milliards d'euros pour l'Acoss en 2010. Or, au-delà même des risques financiers que cela comporte, le simple report du traitement de la dette risque de le rendre plus coûteux et douloureux. En effet, la reprise par la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), au 1er janvier 2011, des déficits sociaux de 2009 et 2010 exigera, conformément à la règle organique d'un transfert simultané de ressources à la Cades pour faire face à la charge de la dette transférée, une augmentation de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) de 0,54 point, soit plus du doublement de son taux actuel de 0,5 %. Si l'on attend une année supplémentaire, la reprise de dette devrait avoisiner les 100 milliards d'euros et il faudra alors porter la CRDS au taux de 1,44 %. Ces chiffres démontrent de façon évidente la nécessité d'envisager sans plus tarder le traitement de la dette sociale en cours d'accumulation. Aussi, en dépit du contexte actuel, il paraîtrait normal qu'une reprise de dette par la Cades soit d'ores et déjà mise en oeuvre et que les ressources nécessaires lui soient transférées. La hausse de la CRDS qui devrait dans ces conditions être votée pourrait éventuellement être atténuée par un léger desserrement de la contrainte liée à la durée de vie de la Cades, mais cela nécessite une modification de la loi organique et exige, en tout état de cause, un engagement fort du Gouvernement de ne pas à nouveau reporter la dette sur les générations suivantes.

M. Alain Vasselle, rapporteur général, a ensuite indiqué qu'une fois l'étape du traitement des déficits en cours franchie, reste la question cruciale de la réduction des déficits des années à venir, c'est-à-dire la recherche des moyens de financer le maintien d'un haut niveau de protection sociale, tout en tenant compte du montant déjà élevé des prélèvements obligatoires et des contraintes de compétitivité d'une économie ouverte.

La maîtrise des dépenses est évidemment essentielle mais ce n'est pas l'objet du débat sur les prélèvements obligatoires. Sur le plan des recettes, rares sont ceux qui aujourd'hui excluent une hausse des prélèvements pour faire face aux dépenses supplémentaires, notamment liées au vieillissement de la population. Les décisions sur les prélèvements de la sortie de crise et de l'après-crise doivent donc être préparées dès à présent.

La priorité est de poursuivre l'élargissement et la préservation de l'assiette des prélèvements sociaux. Comme le rappelle régulièrement la Cour des comptes, les meilleurs prélèvements sont ceux qui ont une assiette large et des taux bas. Cela signifie qu'en plus des mesures prévues par le PLFSS pour 2010, il faut continuer à réduire les « niches sociales » et poursuivre l'idée d'un élargissement de l'assiette du forfait social, créé l'année dernière et doublé cette année, car plusieurs dispositifs en sont encore exemptés. De même, des marges de manoeuvre peuvent sans doute être trouvées dans la taxation des stock-options. Enfin, un alignement au moins partiel de l'assiette de la CSG sur celle de la CRDS pourrait rapporter plusieurs dizaines de millions d'euros.

Pour mobiliser de nouvelles ressources, plusieurs pistes peuvent être retenues. La première est un meilleur ciblage des allégements de charges sociales dont le coût avoisine aujourd'hui les 28 milliards d'euros ; de nombreuses propositions ont été avancées et une réflexion est engagée par le Gouvernement sur le sujet ; il pourrait d'ores et déjà être judicieux de mettre en oeuvre ce que propose la Cour des comptes, à savoir une annualisation du calcul des allégements pour éviter certains contournements. La deuxième piste est celle du développement des taxes comportementales, que ce soient les droits sur les tabacs, qui n'ont pas été augmentés depuis plus de deux ans ou les droits sur les alcools, en particulier sur les alcools forts, en grande partie importés et dont la consommation progresse fortement chez les jeunes. De même, la création sans cesse repoussée d'une taxe nutritionnelle aurait pourtant une grande utilité, tant en matière de prévention que pour renforcer le financement de l'assurance maladie : bien ciblée sur des produits néfastes sur le plan diététique et n'étant pas de première nécessité, elle pourrait avoir un rendement appréciable.

Dans le contexte à la fois inédit mais aussi très préoccupant des finances publiques et sociales, la commission pourrait faire siens deux principes essentiels : l'interdiction de continuer à transférer des prélèvements sociaux aux générations futures par le maintien de déficits structurels élevés et le biais d'une gestion différée de la dette sociale ; la nécessité de mobiliser sans tarder les prélèvements d'après-crise en exploitant toutes les marges de manoeuvre et d'efficience encore disponibles afin de préserver un modèle de protection sociale qui ne pourra survivre qu'avec une volonté très affirmée de poursuivre la politique de maîtrise des dépenses et de sauvegarde des recettes de la sécurité sociale.

M. François Autain a déploré l'absence de règlement des déficits de 2009 et 2010 ainsi que le choix fait par le Gouvernement d'une « politique au fil de l'eau maîtrisée ». Il est paradoxal de constater le maintien d'un déficit annuel supérieur à 30 milliards d'euros jusqu'en 2013 au moment où les prélèvements obligatoires accusent une forte baisse. Celle-ci témoigne de l'absence de volonté du Gouvernement de lutter contre les déficits et de son souci de privilégier la promesse présidentielle d'une baisse des prélèvements obligatoires de quatre points d'ici à 2012. Il n'est plus acceptable de continuer à reporter au lendemain des déficits qui devraient être traités dès aujourd'hui. Par ailleurs, le crédit d'impôt recherche dont bénéficient largement les laboratoires pharmaceutiques n'a pas atteint ses objectifs puisque la part de la recherche-développement dans le Pib français a baissé au cours des dernières années. Enfin, il a souhaité connaître l'avis du rapporteur général sur le bouclier fiscal et la proposition émise à l'Assemblée nationale d'une fiscalisation des indemnités journalières d'accidents du travail.

M. Guy Fischer s'est interrogé sur l'évolution des dépenses de protection sociale. Il a fait état d'un accroissement des charges toujours plus important pesant sur les ménages et demandé des précisions sur la répartition actuelle des prélèvements entre les entreprises et les ménages.

M. Yves Daudigny a relevé l'absence de cohérence entre le principe régulièrement affirmé par le Président de la République d'une opposition à toute augmentation d'impôt et les propositions faites par le rapporteur général pour mobiliser de nouvelles ressources au profit de la sécurité sociale.

M. Marc Laménie est convenu de la très grande difficulté de trouver des solutions adaptées pour réduire les déficits et faire face aux dépenses liées à l'accroissement de l'espérance de vie. La proposition du rapporteur général de créer une taxe nutritionnelle est une piste intéressante.

Mme Annie David a une nouvelle fois regretté la brièveté de l'audition des ministres concernés par le PLFSS. Elle a demandé des précisions sur la taxation des retraites chapeau et des stock-options.

Mme Muguette Dini, présidente, a également fait état du caractère insatisfaisant de l'audition commune des ministres responsables du PLFSS et indiqué son souhait de procéder à des auditions individuelles des ministres l'année prochaine.

M. René Teulade a estimé qu'il serait préférable de parler d'investissements plutôt que de charges en matière de sécurité sociale. Il a jugé indispensable de revenir sur le nombre excessivement élevé de niches fiscales. En tout état de cause, aucune réforme ne pourra se faire sans l'accord de l'ensemble des acteurs concernés. La principale difficulté résulte de la nécessité de concilier deux démarches contradictoires : celles d'un système dont les prescriptions sont libérales mais les prestations socialisées. Il est regrettable que les lois qui ont tenté cette conciliation n'aient jamais été appliquées.

M. Jacky Le Menn a considéré que les solutions préconisées ne sont pas à la hauteur des enjeux. Face à l'importance du déficit, il faut aujourd'hui revoir le compromis de 1945, se poser les questions essentielles et refonder le mode de financement de la sécurité sociale, notamment en cherchant à spécialiser certaines ressources selon les branches. Il est impératif d'épargner les générations futures, ce qui peut signifier une augmentation de la CSG et la mobilisation d'un impôt complémentaire pour apurer le passé. La maîtrise médicalisée des dépenses doit être poursuivie mais à bon escient. Or, à titre d'exemple, ramener le taux de remboursement d'un certain nombre de médicaments de 35 % à 15 % n'a pas de sens car, si les médicaments n'apportent aucun service médical, il n'y a pas lieu de les rembourser du tout.

M. Alain Vasselle, rapporteur général, a d'abord insisté sur le rôle du Sénat, dont l'expertise est reconnue, dans l'analyse et les propositions en matière de finances sociales. Certes, ses propos sont parfois différents de ceux du ministre des comptes publics mais, en adoptant un comportement cohérent et responsable, il a permis au Sénat d'être à l'initiative de plusieurs mesures importantes au cours des dernières années, même si, lors de leur première présentation, elles ont souvent été écartées par le Gouvernement ou l'Assemblée nationale.

Il a ensuite souligné l'effet purement mécanique de la crise sur l'accroissement actuel des déficits et la baisse des prélèvements obligatoires. Le déficit structurel de 10 milliards d'euros aurait sans doute été bien plus élevé si tous les gouvernements qui se sont succédé depuis une quinzaine d'années n'avaient pas agi pour maîtriser les dépenses. Des marges de progrès sont d'ailleurs encore possibles, par exemple à l'hôpital. L'idée d'extraire du bouclier fiscal la CSG et la CRDS peut certainement se défendre mais cela doit se faire dans le cadre d'une réflexion plus globale sur les prélèvements fiscaux et sociaux. La question de la fiscalisation des indemnités journalières d'accidents du travail doit être examinée en fonction de la situation du salarié : s'il touche la totalité de son salaire, il n'y a pas de raison qu'il ne soit pas fiscalisé, si ce n'est pas le cas, une réflexion plus approfondie est nécessaire. Le crédit impôt recherche est du domaine de la loi de finances. Les conclusions du rapport demandé par le Gouvernement sur la taxe nutritionnelle étaient mitigées mais il serait certainement utile de se pencher à nouveau sur le sujet. Dans le PLFSS, les taux de prélèvement applicables à la contribution employeur aux retraites chapeau sont doublés ; il est sans doute possible d'aller un peu plus loin dans l'aménagement de ce régime, ainsi que dans la taxation des stock-options. Une augmentation des prélèvements sera inévitable si l'on veut maintenir le niveau actuel de protection sociale, sauf à déplacer les curseurs entre les différentes parties prenantes.

M. Nicolas About a rappelé que le crédit d'impôt recherche a été créé en 1983 et que la loi de finances pour 2008 l'a réformé. Revenir sur le pacte social de 1945 est sans doute une nécessité de même que l'évolution vers la mise en oeuvre d'un bouclier sanitaire et l'acceptation de restes à charge liés au niveau des revenus.

M. François Autain a fait état de sa totale opposition à la remise en cause du pacte social de 1945.

La commission a alors adopté les conclusions du rapporteur général et autorisé la publication du présent rapport d'information.