Mardi 17 mai 2011

- Présidence de M. Pierre-Yves Collombat, secrétaire -

Avant-projet de schéma national des infrastructures de transport - Audition de M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, au ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement

La délégation procède à l'audition de M. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, au ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, sur l'avant-projet de schéma national des infrastructures de transport (SNIT).

M. Daniel Bursaux. - Les orientations stratégiques de l'avant-projet de SNIT ont été présentées au Sénat le 15 février dernier, par Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, et M. Thierry Mariani, secrétaire d'Etat chargé des transports.

En ce qui concerne la préparation du dossier et le calendrier prévu, comme vous le savez, nous avons eu un premier avant-projet puis un deuxième avant-projet dit « consolidé », qui est celui actuellement discuté par l'ensemble des acteurs concernés, que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Nous recueillons actuellement toutes les observations et les suggestions qui ont été formulées sur ces documents, afin de mettre au point le projet de SNIT. L'avant-projet a également été soumis au Conseil national du développement durable et du Grenelle de l'environnement (CNDDGE), qui a publié un avis reprenant positivement les points fondamentaux du dossier. Nous avons également demandé aux préfets de nous faire remonter les avis des régions et des départements sur cet avant-projet. Le processus est donc en cours et il reste désormais à finaliser le travail interministériel. Je suis d'ailleurs actuellement en discussion avec le délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) et j'attends la position des ministères concernés, notamment celui de l'économie. A l'issue de ce processus, un débat plus solennel pourra être engagé, d'une part, au Conseil économique, social et environnemental (CESE) et, d'autre part, au Parlement, normalement avant la fin de l'été.

En ce qui concerne l'aspect financier, sujet qui a été évoqué dans tous les travaux, un chiffrage a certes été établi, mais je tiens à réaffirmer qu'il s'agit d'un schéma de principe sur les grandes infrastructures de transport dont le pays veut se doter à l'horizon d'une trentaine d'années, tant en matière de constructions neuves qu'en matière d'entretien du patrimoine et de régénération du réseau. Le SNIT est donc bien un document d'orientation politique et non pas un instrument de programmation.

Nous avons chiffré les financements nécessaires pour répondre aux besoins tant en développement qu'en entretien et régénération et nous les avons comparés aux moyens financiers dont nous disposons aujourd'hui. Nous avons constaté un écart entre ces moyens et le volume total des travaux qui sont proposés ; mais cet écart n'est pas insurmontable, notamment si on tient compte du fait que tous les chantiers envisagés ne seront pas forcément engagés, en particulier en raison des obstacles liés aux procédures ou à l'acceptabilité sociale des projets.

Voilà les grandes lignes du projet tel qu'il est envisagé aujourd'hui.

M. Pierre-Yves Collombat, président. - Certes, nous sommes conscients qu'il ne s'agit pas d'un document de programmation, mais on a bien un volume global chiffré en milliards. Sur cette base, pouvez-vous nous indiquer les parts respectives de l'Etat et des collectivités territoriales ? Pouvez-vous aussi nous dire s'il y a d'autres intervenants dans le financement, comme par exemple les gestionnaires des sociétés d'autoroutes pour le routier ou la SNCF pour le ferroviaire ? En clair, l'Etat va-t-il abonder seul les plans de financements dont nous parlons ?

M. Daniel Bursaux. - Sur les modalités de financement, il y a en réalité plusieurs types de projets. D'abord, tous les financements qui concernent la régénération, l'entretien, la modernisation tant des routes nationales que du réseau ferré, sont très majoritairement pris en charge par l'Etat, exception faite du financement de la modernisation qui relève des collectivités au titre des contrats de projets.

M. Pierre-Yves Collombat, président. - Certes, mais nous voudrions disposer des chiffres précis.

M. Daniel Bursaux. - Les montants et leur répartition sont disponibles dans le tableau figurant dans le projet de SNIT. Les dépenses d'investissement de développement, par mode de transport, sont programmées à hauteur de 166 milliards d'euros, celles d'investissement de modernisation à hauteur de 60 milliards d'euros, celles de régénération à hauteur de 30 milliards d'euros.

Je mets à votre disposition, également, une décomposition par mode de transport. En matière ferroviaire sont programmés 103 milliards d'euros pour le développement, 15 milliards d'euros pour la modernisation, 25 milliards d'euros pour la régénération, 2 milliards d'euros pour l'accroissement des charges d'exploitation. En matière de voie d'eau, sont programmés 16 milliards d'euros pour le développement, 2,5 milliards d'euros pour la modernisation, 4 milliards d'euros pour la régénération, 500 millions pour l'accroissement des charges d'exploitation. En ce qui concerne les transports collectifs, qui est une nouvelle politique pour l'Etat reprise à la suite du Grenelle, 30 milliards d'euros d'investissements de développement et 17 milliards d'euros d'investissements de modernisation sont prévus. La route concentre 13 milliards d'euros d'investissements de développement et 22 milliards d'euros d'investissements de modernisation.

J'insiste sur le fait qu'il s'agit de chiffres globaux, les modalités de répartition étant évidemment très différentes en fonction des projets. En matière de transports collectifs en milieu urbain, la règle générale veut que ce soient les autorités organisatrices de transport (AOT) qui financent l'investissement, la contribution de l'Etat représentant environ 20 % ; l'action des collectivités territoriales est par conséquent prépondérante dans ce domaine.

En matière de développement du transport ferroviaire, en revanche, la règle actuellement retenue par le Gouvernement est que les collectivités contribuent à part égale avec l'Etat, déduction faite de la participation de Réseau ferré de France (RFF) et des subventions éventuelles de l'Union européenne sur certains projets. C'est d'ailleurs la pratique que nous avons suivie pour la ligne à grande vitesse (LGV) Est, la LGV Rhin-Rhône, la LGV Bretagne-Pays-de-la-Loire, et pour la LGV Sud-Europe-Atlantique, actuellement en cours de finalisation malgré des difficultés constatées en Poitou-Charentes. Au total, cela représente la somme considérable de 103 milliards d'euros d'investissements, qui dépend d'ailleurs très directement de la loi relative au Grenelle de l'environnement puisque la liste des investissements dans les LGV y figure. Nous avons estimé, compte tenu de la rentabilité de ces lignes, que 55 milliards sur les 103 milliards prévus devront être financés par l'Etat, soit près de la moitié.

En ce qui concerne les routes, qui constituent le troisième type prépondérant d'investissement après les transports collectifs et le ferroviaire, les modalités sont très différentes d'une voie à l'autre. Des projets de routes sont ainsi financés en maîtrise d'ouvrage de l'Etat qui peut assumer parfois jusqu'à 100 % de la réalisation, avec ou sans contribution des collectivités territoriales. D'autres routes, selon l'importance du trafic et du coût d'investissement, peuvent être mises en concession, auquel cas la contribution de l'Etat peut se limiter à une subvention d'équilibre qui peut être partagée avec les collectivités territoriales.

Vous voyez donc qu'il n'y a pas de règle générale concernant les modalités de financement, puisque cela dépend des partenaires impliqués.

M. Pierre-Yves Collombat, président. - Globalement, cela nous donne quel ratio ?

M. Daniel Bursaux. - Globalement, on se situe dans une répartition de l'ordre de 50 % pour l'Etat, neutralisation faite des transports en commun en site propre (TCSP), et 50 % pour les collectivités territoriales.

M. Pierre-Yves Collombat, président. - Ces chiffres correspondent à quelles masses financières ?

M. Daniel Bursaux. - Sur les 260 milliards programmés au total, la part de l'Etat s'élève à 85 milliards d'euros, celle des collectivités territoriales à 97 milliards d'euros inclusion faite des TCSP, et 78 milliards pour les autres contributeurs. J'attire votre attention sur le fait qu'un certain nombre de projets qui figurent dans le SNIT sont encore à l'état d'ébauche, ce qui ne nous permet pas, dans ces cas, de disposer d'estimations vraiment précises. Ainsi, en ce qui concerne l'opération LGV Paris-Le Havre, dont le lancement a été annoncé par le Président de la République, les estimations vont de 8 à 14 milliards d'euros, suivant les options retenues à l'issue du débat public.

Pour finir, le message que je voudrais faire passer vis-à-vis de ce document - le SNIT - c'est que sa vocation est d'asseoir des objectifs que l'on peut avoir pour la France dans les trente ans à venir. Toutes les procédures et toute l'ingénierie financière restent à conduire ensuite.

M. Pierre-Yves Collombat, président. - En gros, le financement de l'Etat représente bien un tiers ?

M. Daniel Bursaux. - Oui, en gros c'est un tiers pour l'Etat, un tiers pour les collectivités territoriales et un tiers pour les opérateurs.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je voudrais évoquer trois points.

Le premier concerne l'intégration de cette réflexion dans l'espace européen. Je n'ai pas trouvé beaucoup d'allusions aux communications européennes et à la façon dont on avait conçu l'articulation entre le SNIT et l'état des communications en Europe. Je crois qu'il serait intéressant d'avoir un développement sur ce point et sans doute aussi des comparaisons, puisque nous savons qu'un grand tunnel entre l'Autriche et l'Italie vient d'être définitivement percé et sera en fonction en 2016 et que le tunnel du Brenner va commencer tandis que nous sommes encore dans l'inconnu en ce qui concerne le tunnel Lyon-Turin, comme pour celui du Montgenèvre dans les Hautes-Alpes.

Ma deuxième question concerne le calendrier, pour lequel je souhaiterais avoir des précisions.

En théorie, ce schéma doit être achevé à la fin du mois de juin, ce qui me paraît difficile puisque le Conseil économique, social et environnemental (CESE) n'a pas été saisi et qu'il serait souhaitable de lui laisser le temps suffisant pour étudier le dossier. Par ailleurs, si l'on souhaite tenir compte de façon satisfaisante du débat qui aura lieu à l'Assemblée nationale et au Sénat, je vois mal comment nous pouvons boucler cela avant la fin de l'été, mais sans doute suis-je trop pessimiste ? Pouvez-vous nous dire comment vous compter organiser ce calendrier pour assurer la réalité de cette concertation que vous avez rappelée ?

Vous ne serez pas surpris que j'évoque en troisième point la question de l'A51. Sans faire un exposé général, je voulais vous dire une fois de plus que nous récusons totalement les mesures de compensation que vous articulez et qui sont de deux ordres :

- prolonger l'autoroute actuelle qui vient de Marseille d'une vingtaine de kilomètres, c'est-à-dire finalement reporter les bouchons de 20 kilomètres en pénalisant une vallée qui acceptait de voir passer l'autoroute à condition qu'elle aille jusqu'à Grenoble, et qui s'interroge sur la nécessité d'être ainsi traversée pour ne faire que 20 kilomètres de plus en direction de Briançon ;

- surtout, l'essentiel des compensations que vous proposez concerne l'amélioration de la RN 85, c'est-à-dire la route Napoléon, qui se trouve à peu près dans l'état où l'a laissé l'empereur. Quand j'étais étudiant à Grenoble, je faisais le trajet entre Gap et Grenoble toutes les semaines et, déjà, à l'époque, on essayait d'améliorer cette route, depuis lors, celle-ci n'a pratiquement pas changé. On est même obligé de mettre des portiques dans la descente de Laffrey pour éviter que les cars ne s'écrasent en contrebas de la côte, cette dernière ayant tout de même causé 103 victimes en 5 accidents de cars.

Lorsqu'il y a eu le débat public, toutes les options étaient ouvertes, y compris l'amélioration de la RN 85, et on avait demandé à la direction départementale de l'équipement (DDE) de l'Isère de réaliser une étude sur la possibilité d'améliorer sensiblement cette route Napoléon. Permettez-moi de lire un extrait du résultat de cette étude : « sur la base du diagnostic effectué, aucune hypothèse d'aménagement lourd de la RN 85 ne peut raisonnablement être envisagé, compte tenu des caractéristiques de la RN 85 et notamment de la complexité géotechnique de certains secteurs, aucune hypothèse d'aménagement lourd de la RN 85 n'a donc été étudié ». Pour une hypothèse plus ambitieuse, l'étude notait aussi : « une continuité de l'A51 par une mise à deux fois deux voies de la RN 85 est donc exclue. En termes de trafic, la RN 85 est pénalisée par des points singuliers de l'itinéraire que constituent la montée du col Bayard, la côte de Laffrey (...). La congestion prévisible de la RN 75 ne saurait donc être résorbée par un aménagement de la RN 85. Les exigences de sécurité dans un premier temps, de confort et de fluidité dans un second temps conduisent par étapes successives à imaginer à terme la réalisation d'une deux fois deux voies. En effet, dans les hypothèses considérées il s'agit de la seule solution capable d'assurer l'écoulement du trafic dans des conditions satisfaisantes pour la sécurité, le confort des usagers et des riverains ». Or, comme il est mentionné plus haut, cela n'est pas possible. Enfin, « les gains en termes de temps de parcours seront faibles, voire nuls. Aussi la simple amélioration des routes nationales actuelles constitue-t-elle vraiment un levier suffisant pour attirer les entreprises et permettre un développement économique durable. L'aménagement de la RN 85 n'entraîne aucun report de trafic significatif ». Je n'ai fait que citer quelques lignes de ce rapport, mais elles en expriment l'esprit général.

D'ailleurs, il suffit d'aller sur le terrain pour s'en rendre compte, et je regrette beaucoup que, depuis le 13 avril 1987, date à laquelle le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire (CIADT) a décidé la réalisation de cette autoroute, aucun ministre de l'équipement, de droite ou de gauche, ne soit venu sur place pour voir la RN 85. Un seul a daigné se déplacer, M. Gilles de Robien, mais ses services se sont débrouillés pour lui montrer le tracé de la future autoroute et faire en sorte qu'il ne voie pas la route. En revanche, M. Louis Nègre, notre rapporteur au Sénat, a, lui, accepté de faire le déplacement, en faisant la route Grenoble - Gap. Cela me pose tout de même un problème au regard du fonctionnement de l'Etat, et même de la démocratie, que de voir que l'on décide, depuis des bureaux parisiens et sans se rendre sur place, de la manière dont on va améliorer cette route. Et il s'agit bien de cela ! Car un ministre qui prend une telle décision, appelée à bloquer le développement économique de toute une région pendant plusieurs générations, peut-il se prononcer depuis son bureau sans avoir vu de quoi il s'agissait ? Cela me paraît impensable.

C'est pourquoi je récuse totalement les solutions que vous préconisez et je considère que seule l'autoroute est en mesure de résoudre le problème du désenclavement. C'est logique car quand on fait le trajet entre Genève et Marseille ou entre Lyon et Nice, qui ne sont pas des métropoles négligeables, on fait du 130 kilomètres par heure en moyenne sur autoroute mais seulement du 50 kilomètres depuis Grenoble, quand il n'y a pas de neige l'hiver et quand il n'y a pas un poids lourd ou une caravane qui réduit la vitesse de circulation en été ! Tout le monde comprend aisément qu'il faut finir ce tronçon manquant. D'autant que, contrairement à ce qui a été souvent avancé, il n'y a pas de problème technique pour le réaliser, comme l'a confirmé le comité international installé par le ministre Bernard Bosson et présidé par un professeur de l'école polytechnique de Lausanne. Par ailleurs, ce tronçon est conforme au Grenelle de l'environnement, puisqu'il est clairement mentionné à l'article 10 de la loi Grenelle I que « les grands itinéraires autoroutiers qui ne sont pas complètement terminés devront l'être le plus rapidement possible dans le respect des normes du développement durable ». C'est donc clair que le dossier de l'A51 correspond parfaitement à l'article 10 du Grenelle de l'environnement.

J'ajoute que vous avez retenu trois critères pour faire exception au positionnement général à l'égard des autoroutes dans le Grenelle de l'environnement :

- l'engorgement. Or vous savez très bien que cette autoroute a été décidée pour alléger l'engorgement de la vallée du Rhône ;

- la sécurité. Je viens justement de faire allusion aux 103 victimes de la côte de Laffrey, et je signale que l'amélioration de cette route de montagne incite malheureusement les poids lourds à aller plus vite, comme en témoigne le décès d'un chauffeur de poids lourd, encore cet été ;

- les besoins locaux. Il suffit d'aller sur place pour constater à quel point le besoin est essentiel. Aujourd'hui il est de bon ton de parler d'auto-développement, de considérer que le désenclavement se fait à partir de la fibre optique et du haut débit, mais sans y être hostile, je voudrais vous rappeler que l'économie du département des Hautes-Alpes repose à 80 % sur le tourisme et que 93 % des touristes viennent en automobile. Est-ce qu'on compte faire venir les touristes « à cheval sur la fibre optique » ?

Dès lors, dans ce dossier, les trois critères que vous avez retenus pour faire exception aux blocages de constructions autoroutières sont remplis. Personnellement, je considère donc que ce qui nous est proposé en compensation est un marché de dupes. J'ajoute que vous n'avez plus d'argent, que vous ne pourrez pas tenir toutes les promesses que vous faites, et, de toute façon, ce n'est pas avec 150 millions d'euros que vous allez améliorer sensiblement cette route de montagne pour en faire une route qui pourrait, éventuellement, être acceptée par les usagers de l'autoroute.

Par ailleurs, du point de vue de la circulation, ce serait très dommageable, car, quand on réalise une autoroute, on la fait en site propre sans gêner la circulation sur la route nationale à coté, et, le jour où l'autoroute est inaugurée, le report de trafic s'opère sans problème. En revanche, si on a des travaux sur cette route nationale pendant encore trente ans, je crains qu'elle soit encore plus désertée et que toute la circulation se reporte sur la départementale RD 1075 qui encombre déjà les villages y causant l'exaspération des populations (surtout en plein été, lorsque les bouchons s'accumulent). Donc, quels que soient les prismes d'analyse, à l'exception des critères financiers, cette autoroute est indispensable, logique, raisonnable et conforme au développement durable.

Sur l'aspect financier, nous ne sommes pas d'accord. J'ai entendu dire que le privé ne serait prêt à mettre que 10 %. Prouvons-le ! Allez jusqu'à l'appel d'offres, et démontrons que les crédits publics qui sont demandés par les sociétés privées sont trop importants et que nous n'avons pas les moyens, alors là je changerais d'avis. Mais pour l'instant, personne ne peut dire aujourd'hui ce que donnerait un appel d'offres. Des grandes sociétés, comme Vinci ou Eiffage, ont dit, devant Louis Nègre, qu'elles étaient prêtes à participer à l'appel d'offres. Je ne conteste pas le fait que nous ne pouvons pas faire d'adossement en raison de la législation européenne ; mais nous pouvons faire preuve de volontarisme : quand, pour finir la deuxième ceinture de Paris, a fallu réaliser un tunnel de 3 kilomètres, on a accordé une concession de 75 ans à la société qui conduisait les travaux. Cela démontre que nous disposons d'outils pour la réalisation de cette autoroute et c'est pourquoi je demande son inscription au SNIT, la déclaration d'utilité publique, et le lancement de l'appel d'offres. Nous verrons bien à quelle hauteur les entreprises seront prêtes à financer ce projet dont elles ont grand intérêt, je le répète, puisqu'elles gèrent les autoroutes qui sont de chaque coté de ce tronçon, avec Eiffage et AREA au nord, et Vinci au sud.

Pardonnez-moi d'être très long, Monsieur le Président, mais je voudrais à cette occasion, et afin d'aborder le sujet des compensations ou des travaux sur les routes nationales, évoquer un article du Dauphiné libéré du 16 mai 2011 qui traite du dossier du désenclavement routier de Digne-les-Bains. Jean-Louis Bianco, président du conseil général, y affirme « la région ne financera pas les aménagements sur place d'une route nationale, c'est à l'Etat de financer ces routes. Alors que le projet de l'A 585 a été déclaré d'utilité publique en septembre 1996 on y substitue aujourd'hui une modernisation sur place de la RN 85 (...) il y a un mensonge d'Etat, les études sont engagées depuis 2010 et on nous en parle pour la première fois en 2011 (...) et contrairement à ce qui est mentionné dans le SNIT, jamais nous n'avons donné notre accord, c'est de l'enfumage et un mépris des élus ». Voilà ce que dit l'ancien secrétaire général de l'Elysée, député et président du conseil général des Alpes-de-Haute-Provence.

S'il s'agit de faire la même chose pour les propositions qui vont nous être faites au mois de juin par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) pour améliorer la route Napoléon, alors là je ne suis absolument pas d'accord. Personnellement j'en fais une question de principe, comme les Verts en font une question de principe de leur coté, et les pouvoirs publics devront choisir et savoir s'ils veulent aménager le pays ou s'ils veulent faire des accords électoraux. J'ajoute, Monsieur le Directeur général, et sans vous mettre en cause personnellement, que je ne suis pas dupe car je sais très bien que votre administration ne veut pas de ce dossier, et cela dure depuis 24 ans ! Il faudrait savoir qui dirige en France, les élus ou l'administration ? L'autoroute a été décidée le 21 avril 1987 et, comme je suis tenace, tous les 21 avril, j'écris aux treize ministres de l'équipement qui se sont succédé pour les tenir informés de ce dossier. Et cette année, un de ceux-ci, socialiste d'ailleurs, ce qui prouve que cela n'a rien à voir avec l'appartenance politique, m'a répondu. Je vous livre un extrait de sa lettre : « je me souviens bien de la relance de ce dossier sous le Gouvernement Juppé, et je n'ai pas oublié la discordance des points de vue exprimés par les ministres Bernard Pons à l'équipement et Corinne Lepage à l'environnement. Rencontrant tout à fait inopinément un collaborateur de premier plan du Premier ministre, je m'étais autorisé à l'interroger sur l'orientation qu'il privilégiait sur l'arbitrage à rendre sur les positions contrastées de ces deux ministères à propos des tracés entre la route Napoléon et l'autre. Je me souviens très bien de sa réponse que je traduirais fidèlement : ``on soutiendra la position de Bernard Pons puisqu'elle fait plaisir à nos amis des Hautes-Alpes, mais on le fera d'autant plus facilement qu'on sait qu'on ne réalisera pas cet ouvrage''. Même avec l'expérience qui était alors la mienne j'avais trouvé ce propos quelque peu désolant ».

M. Pierre-Yves Collombat, président. - Il se trouve que c'est une route que je connais bien et que je fréquente. Monsieur le Directeur général, est-ce que vous pourriez nous donner des éléments de réponse sur ce dossier ?

M. Daniel Bursaux. - Sur l'A 51, je voudrais simplement renvoyer à la réponse que Mme la ministre a eu l'occasion de faire à M. Bernard-Reymond. Je crois qu'il n'y a pas lieu de rouvrir le débat ici : ce n'est plus à mon niveau que l'opération se joue et tous les arguments ont été échangés à ce sujet. Je fais néanmoins remonter le contenu de votre intervention, qui témoigne de la persistance de vos intentions à ce sujet.

Venons-en aux autres points que vous avez évoqués. En ce qui concerne le calendrier, les ministres ont toujours exprimé la volonté que le débat soit clos avant l'été. Après le changement de Gouvernement, la nouvelle ministre et le nouveau secrétaire d'Etat se sont, à leur tour, emparés de ce dossier suffisamment important pour que tout le temps nécessaire y soit consacré. Nous faisons tout notre possible pour qu'une décision interministérielle soit prise autour du 15 juin, afin que le SNIT soit mis en débat devant chaque assemblée à cette période. Il n'est d'ailleurs pas forcément exclu qu'une instruction parallèle ait lieu en même temps au Conseil économique, social et environnemental. S'il reste encore des créneaux parlementaires pour ce débat, ce calendrier sera tenu. Dans le cas contraire, l'examen du SNIT aura lieu plus tard.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Le décret sera signé vers le 15 août, quand tous les parlementaires seront en vacances...

M. Daniel Bursaux. - Pour l'instant, et c'est l'un des sujets qui restent à traiter au mois de juin, il n'est pas écrit dans l'Histoire que c'est un décret qui arrêtera le SNIT. Cela peut aussi, par exemple, être une décision prise en CIADT ou une décision gouvernementale. Toutes les formules sont à l'étude, en l'absence de précision de la loi à ce sujet. L'idéal serait que tout cela soit réglé avant le 31 juillet.

Je rebondis à présent sur l'inscription européenne. En matière d'investissements neufs, il y a beaucoup de choses inscrites au Livre blanc de la Commission, sur les transports collectifs notamment, avec lesquelles nous sommes en pleine adéquation. En ce qui concerne les transports ferroviaires, également très présents dans le Livre blanc, nos schémas sont dans la droite ligne des orientations de ce dernier, tant en matière de lignes à grande vitesse qu'en matière de fret (vous avez vu les cartes extrêmement détaillées sur ce point). Les projets que nous avons inscrits au SNIT sont en concordance totale avec le réseau de transport transeuropéen (RTE). Je pense vraiment que sur ce sujet, le travail d'harmonisation avec les objectifs de l'Union a eu lieu. Je rappelle que les objectifs du Livre blanc sont fixés à l'horizon de cinquante ans, ce qui donne bien évidemment l'occasion de rêver encore plus qu'à un horizon de trente ans. Il suffit, pour en être convaincu, de regarder nos projets, sans que je refasse ici le tour de France depuis Calais jusqu'à Hendaye. Des projets de jonction des LGV ont été inscrits au schéma, notamment avec l'Espagne, à l'est et à l'ouest du massif pyrénéen mais aussi au moyen d'une traversée centrale. La prolongation de la ligne PACA au-delà de Nice vers l'Italie est également inscrite, malgré toutes les difficultés que l'on connaît pour sa réalisation. Une allusion au tunnel de Montgenèvre a également été faite, et des études socioéconomiques complémentaires doivent être faites notamment avec l'Italie. C'est également une mention qui doit être notée.

M. Pierre Bernard-Reymond- C'est une mention ou une allusion ?

M. Daniel Bursaux. - C'est une mention. Le Lyon-Turin est également inscrit, et un débat a lieu en ce moment avec les Italiens au sujet de son financement. Pour aller toujours du Nord au Sud, le TGV Rhin-Rhône a bien évidemment aussi une vocation européenne, avec des jonctions prévues vers l'Allemagne à partir de Mulhouse (vers Fribourg), Strasbourg (via le pont de Kehl tout juste refait, qui vient d'être inauguré) et Metz (vers Sarrebruck), tandis que la jonction avec la Belgique est déjà assurée par le Thalys. Vous voyez donc qu'à presque chaque angle de l'hexagone, des projets de connexions ferroviaires sont prévus.

M. Pierre Bernard-Reymond  - Pourquoi ne pas construire de LGV en site propre entre Lyon et Grenoble ? Grenoble est quand même une métropole des Alpes, qui ne demande qu'à se développer et, pour toutes les Alpes du Sud, ce serait la gare TGV la plus appropriée pour tous les trajets en direction de Paris, même si on est obligé d'y aller à 50 km/h. Aujourd'hui, de Paris, il faut deux heures quinze pour rejoindre Valence et trois heures et quelque pour rejoindre Grenoble. Pourquoi ne fait-on pas une ligne TGV en site propre entre Lyon et Grenoble ?

M. Daniel Bursaux. - Sans vouloir répondre trop hâtivement à cette question, il me semble que dans les accords qui avaient été trouvés pour les accès au Mont Turin, et qui sont en cours de négociation, un aménagement ferroviaire spécifique est prévu près de Rives, qui permettrait de gagner au moins dix minutes pour aller à Grenoble. Je vous referai un point plus précis à ce sujet.

M. Pierre Bernard-Reymond- Une fois de plus, Rives est au-delà de Grenoble par rapport aux Alpes du Sud. La seule façon de désenclaver correctement les Hautes-Alpes, c'est de faire l'autoroute A51 et d'avoir un TGV, un vrai TGV, à Grenoble.

M. Daniel Bursaux. - Je vous ferai un point précis sur les conséquences de l'axe Lyon-Turin sur l'accès à Grenoble. Voilà pour les transports de voyageurs.

En ce qui concerne les transports de fret, nous avons évidemment les mêmes logiques, avec les corridors internationaux, qui sont en parfaite adéquation avec la Commission, sauf que nous nous battons pour l'inscription des dessertes de nos ports dans ces corridors internationaux, en particulier Le Havre et Dunkerque.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Nous sommes ravis, en Languedoc-Roussillon, d'avoir une ligne à grande vitesse qui va maintenant, enfin, desservir Nîmes, Perpignan et l'Espagne, ce qui est important pour la région, et même au-delà.

En revanche, concernant l'autoroute, j'ai le souhait contraire de celui de M. Bernard-Reymond, puisque je n'en veux pas de nouvelle : nous avons déjà une autoroute, l'A 9, que Montpellier souhaite doubler, parce que la commune n'a pas créé de rocade en temps voulu. Mais le territoire alentour est très agricole, avec énormément de terres d'AOC, jusqu'aux aux portes mêmes de Montpellier. La LGV va le défigurer sensiblement, avec des infrastructures qui montent jusqu'à six mètres de hauteur.

Nous pensons très sincèrement que l'autoroute actuelle doit être améliorée pour des raisons de sécurité. Le matin et le soir, les habitants de la périphérie l'empruntent, parce qu'elle est gratuite, pour aller travailler à Montpellier. A la sortie, lorsqu'on arrive dans Montpellier, il y a un anneau de vitesse, c'est-à-dire un rond-point, qui oblige les voitures à s'arrêter, et qui en conduit certaines à se retrouver en stationnement sur l'autoroute. C'est évidemment dangereux. Il faut donc sécuriser sans tarder, par un élargissement in situ, et en séparant les flux ; l'ASF a des réserves foncières pour cela. Je ne suis pas la seule à défendre cette position : des associations, des élus cherchent également à préserver ce territoire de la LGV, de l'autoroute, de son doublement, mais aussi de la déviation Est-Montpellier qui atterrit dans les terres aujourd'hui, mais qui, demain, avec l'élargissement de l'autoroute, irait se raccorder à l'autoroute. Je voudrais savoir qui va payer ce raccordement, et combien d'hectares cela va détruire.

Je suis surprise, au moment où l'on nous parle du Grenelle de l'environnement, où l'on nous demande d'économiser l'espace, où l'on nous demande de prendre en compte les problèmes de pollution, que la déclaration d'utilité publique concernant le doublement de l'autoroute ait été signée contre l'avis de cinq commissaires enquêteurs et des associations de défense du territoire.

Au mois d'août, M. Borloo a déclaré qu'en l'absence d'avancées en matière de sécurité et de décongestion, l'Etat engagerait un déplacement court compatible avec la déclaration d'utilité publique (DUP). Tout le monde a applaudi, comme en témoignent des articles issus de la presse locale. Aujourd'hui, il n'est plus question de ce déplacement court ; on ne parle que d'un déplacement long qui ferait 22 kilomètres. J'ai le sentiment que l'on veut faire travailler les ASF. Ce n'est pas normal. De plus, nous sommes dans des endroits très marécageux ; il est évident qu'en mettant du béton pour doubler l'autoroute, en plus d'une LGV, nous allons avoir des inondations.

M. Daniel Bursaux. - Le secrétaire d'Etat, qui était sur place il y a quelques jours, a très officiellement ouvert une nouvelle phase de concertation, qui doit être l'occasion pour chacun de s'exprimer. Plusieurs réunions publiques sont prévues, et c'est à l'issue de cette période de concertation que les choix définitifs seront faits.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Qui va payer ?

M. Daniel Bursaux. - Une provision pour réaliser l'élargissement de l'autoroute était inscrite « depuis la nuit des temps » dans la concession des ASF. Cet argent est en train d'être réuni, donc un certain montant est disponible. Il faudra bien évidemment que l'on refasse le point une fois que le projet sera retenu.

M. Raymond Vall. - Je voudrais tout d'abord vous remercier, comme je l'ai fait à la tribune, d'avoir accepté de créer une fiche « ROU 6 » pour renforcer l'accessibilité des territoires dont les populations souffrent d'un enclavement. Au cours de ce débat, nous avions insisté auprès de M. Thierry Mariani, secrétaire d'Etat, pour savoir si cette fiche serait suivie concrètement d'un budget, au moins d'études, pour un certain nombre de ces routes nationales qui ont été reconnues d'intérêt plus que général et prioritaire. Depuis, pas de nouvelles.

J'ai rencontré Mme la ministre le 26 avril dernier, et nous lui avons suggéré, comme cela avait été fait en 2003, de réfléchir à la possibilité de donner à concession des deux fois deux voies express, sans adossement, pour certains territoires. Mme la ministre m'a répondu que c'était intéressant, qu'un certain nombre de cas pourraient être réglés avec cette solution. Il y a trois jours, j'ai fait mon stage d'immersion dans la gendarmerie, dans la région Midi-Pyrénées, et j'ai constaté que sur les 120 kilomètres de la RN 21, les choses s'aggravent : il y a depuis dix ans un mort tous les deux kilomètres. Peut-on donc espérer avoir une réponse concrète sur cette nouvelle formulation technique pour résoudre un certain nombre de problèmes des routes qui sont mentionnées dans cette fiche « ROU 6 » ? Verbalement, il n'y a pas eu de refus de Mme la ministre. Est-ce que vous pouvez me confirmer qu'au moins, les budgets nécessaires à l'étude d'un cahier des charges, qui n'existe pas à notre connaissance, pourraient être engagés pour que nous puissions explorer cette solution ?

M. Daniel Bursaux. - Mme la ministre s'est engagée à dégager des crédits pour lancer des débuts d'études sur ce projet. Nous sommes en train de regarder ce qu'il est éventuellement possible de dégager en 2011 mais, en tout cas en 2012, il y en aura, je vous le confirme très clairement. L'autre sujet est un sujet effectivement très compliqué, nous sommes en train de regarder les avantages et les inconvénients qu'il y aurait à changer la législation sur ce point précis.

M. Raymond Vall. - Votre sentiment est-il que cette solution, proposée dès 2003, trouve une justification dans la situation économique et financière ? Représente-t-elle un problème technique ?

M. Daniel Bursaux. - C'est un problème technique assez lourd, parce qu'il s'agit d'un changement complet des pratiques et des orientations concernant les concessions, que nous suivons depuis maintenant une trentaine d'années. Cela n'empêche pas, et c'est un engagement que nous avions pris, de réactualiser les études qui avaient été faites pour voir s'il est possible de mettre une concession autoroutière sur la RN21. Les chiffres que nous avons ne sont pas très optimistes, mais là aussi dans le cadre des études qui vont être menées, nous allons regarder à nouveau cet aspect des choses. Quant au premier aspect, encore une fois, nous sommes en train de mener une étude un peu approfondie pour voir si, oui ou non, il est possible de faire évoluer la législation sur ce point.

M. Francis Grignon. - D'abord, je dois excuser M. Nègre, qui m'a demandé de poser une question d'ordre général, en rapport avec le groupe de travail qu'il préside. Il s'agit du problème de la hiérarchisation des projets. Je rappelle la déclaration qu'il avait faite lorsque nous avions auditionné M. Perben, prochain président de l'Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF). A un moment donné, il y aura tellement de projets que je me demande si vous envisagez, et il faut avoir le courage de le faire, de fixer des critères économiques, sociaux, environnementaux etc. Il va falloir faire des choix. Est-ce que cela est envisagé ? Comment ? En liaison ou pas avec l'AFITF ? C'est à mon avis une question qui deviendra très importante à un moment donné.

Je rebondis aussi sur le grand contournement de Strasbourg, puisque vous l'avez évoqué rapidement. Vous parlez de 250 millions d'euros et de 80 millions d'euros venant du public. Par « public », vous entendez Etat plus collectivités ?

M. Daniel Bursaux. - Oui c'est cela. Néanmoins, encore une fois, c'est une estimation. Il y a parfois des bonnes et parfois des mauvaises surprises au moment des mises en concession. Cela ne dépend pas tellement du coût estimé des travaux, que l'on arrive à déterminer assez justement, mais cela dépend énormément du coût de l'argent au moment où les concessions entrent en vigueur. A ce moment là, il y a des coûts très erratiques qu'il est extrêmement difficile de prévoir. Un plafond est actuellement estimé à 80 millions d'euros pour le public ; j'espère que ce ne sera pas plus, mais ça peut être moins effectivement.

En ce qui concerne la hiérarchisation, elle doit être reliée à la question du financement que vous évoquiez précédemment, Monsieur le Président. Il aurait été difficile de mener de pair le tracé des orientations à long terme, à l'horizon d'une trentaine d'années, et le classement des projets. Déjà, le premier exercice a été assez difficile, comme en témoignent les nombreuses interventions à ce sujet. Je pense que par la suite, une étape supplémentaire devra effectivement être menée, d'une part avec les gestionnaires de réseau, d'autre part éventuellement avec l'AFITF renouvelée, pour essayer de faire des évaluations un peu plus précises, non seulement socioéconomiques, mais aussi environnementales, concernant l'aménagement du territoire et le développement économique. Plusieurs critères doivent être pris en compte pour hiérarchiser les projets, en sachant en outre que le SNIT a vocation à être révisé au moins une fois par législature. Le débat sera donc un peu permanent, mais je considère effectivement qu'une fois l'étape de l'adoption de ce document franchie, il faudra se poser la question de la hiérarchisation. La mise en place des plans de financement est aussi plus rapide sur certains dossiers que sur d'autres, ce qui peut entraîner un décalage, une fois la hiérarchisation faite, de certains projets par rapport à d'autres. Il est clair qu'il faut se préparer, je suis en train d'y réfléchir, à une étape supérieure un peu plus affinée, qui ressemblerait un peu, mais sans le devenir, à de la programmation.

Mme Mireille Schurch. - J'entends votre réponse sur la hiérarchisation, et je souhaiterais que, outre les critères économiques, les critères d'aménagement du territoire soient effectivement également précisés, dans la mesure où ils me paraissent parfois aussi importants, voire plus.

Vous avez dit que le SNIT est un document très important, je le considère comme tel, et c'est pour cela que je déplore un « grand blanc » dans le Massif Central. Je crains que ce dernier ne se vide encore un peu plus, avec ces réseaux qui le bordent mais qui ne le desservent pas.

Ma première question porte sur la LGV Paris-Orléans-Clermont-Lyon (POCL). Ne faudrait-il pas raccorder Limoges via Vierzon ou Orléans, plutôt que via Poitiers ? Vous savez très bien que deux capitales régionales ne sont pas raccordées par la grande vitesse à ce jour, Limoges et Clermont-Ferrand. Or, en ce qui concerne Clermont-Ferrand, et d'après le texte du Grenelle que vous avez repris, les projets sont hiérarchisés dans le temps, puisqu'il n'est pas envisagé de réaliser la LGV Paris-Clermont-Orléans avant 2020. Était-il nécessaire d'en rester à ce calendrier ? La LGV est certes la première de celles prévues après 2020, comme me l'a indiqué la ministre. Mais on peut craindre qu'avec 75 milliards d'euros prévus jusqu'en 2020, les premiers projets prennent beaucoup de retard. Puisque vous dites qu'on peut encore évoluer jusqu'au schéma définitif, il faudrait prévoir que la LGV Paris-Clermont-Orléans soit réalisée avant 2020, même si le tracé n'est pas encore établi aujourd'hui. Il s'agit simplement de répondre à une exigence d'équité entre les capitales régionales, notamment en ce qui concerne Clermont-Ferrand.

Ma deuxième question porte sur le fret, et va dans le même sens. La route Centre-Europe-Atlantique (RCEA) fait partie des quatre points accidentogènes que vous avez très clairement pointés dans le schéma. Il y en a deux dans l'Allier, un sur la RN7 et un sur la RCEA, ce qui représente la moitié des points accidentogènes dans un seul département. La ministre a clairement indiqué que pour la RN 7, le financement serait assuré par l'Etat. Pour la RCEA, en revanche, tous les élus de l'Allier se sont bien évidemment prononcés pour la mise en concession, et la ministre ne va pas tarder à se prononcer sur ce point. Cependant, et je le redis, nous pensons que les Bourbonnais ne doivent pas être soumis à la double peine et qu'il doit y avoir des aménagements sur les points de péage et la gratuité de certains tronçons. Est-ce possible techniquement ? C'est une demande très impérieuse, qui subordonne l'acceptation de la concession.

Pour la RCEA, nous avons fait le débat public sur la deux fois deux voies. Vous connaissez le nombre de camions excessivement important qui y circulent quotidiennement. Ne pourrait-on pas faire figurer dans ce schéma une ligne de fret qui traverserait ce Massif Central, ce qui n'est quand même pas très compliqué quand j'entends parler des Alpes et des Pyrénées. Elle allégerait la circulation, ce qui est important : je crains que, dans dix ans, on nous demande de faire une deux fois trois voies, avec une ligne de camions ; la succession d'un camion après l'autre est justement la source accidentogène la plus importante. Des amorces sont visibles : vous avez débuté, en matière de fret ferroviaire, le Lyon-Saint-Germain-des-Fossés, ou le Nevers un peu vers Châlon. Cela s'arrête là néanmoins. Les camions vont toujours transiter de l'Espagne, du Sud-Ouest, vers l'Europe centrale. Donc nous avons de plus en plus de camions sur ce tronçon Ouest-Est au-delà du Massif Central. Il s'agit véritablement d'une percée transeuropéenne.

Je me fais enfin le porte-parole du maire et du président de la communauté d'agglomération de Vichy. Vous avez bien inscrit dans le SNIT l'antenne de Vichy A 719, mais vous refusez toujours d'inscrire le contournement qui vous revient, que vous renvoyez au programme de modernisation des infrastructures routières (PDMI). Les travaux, financés par la région et le conseil général, vont commencer pour le contournement. Par souci de cohérence, il serait malin, excusez-moi, de tout faire en même temps, pour avoir un tronçon entier. Il serait en outre relativement peu onéreux de terminer autour de Vichy.

M. Daniel Bursaux. - La ligne Paris-Orléans-Clermont est inscrite dans le schéma et en constitue l'un des gros enjeux.

En ce qui concerne le calendrier, encore une fois, ce sont des intentions qui sont affichées là : vous savez comme moi que le sujet fait l'objet d'un traitement particulièrement accéléré, puisque c'est un projet qui a été initié en 2008, je crois, et que la commission du débat public a été saisie pour que le débat ait lieu à la fin de l'année. Pour l'instant, nous pouvons donc difficilement aller plus vite. Je regrette d'ailleurs l'absence de participation des collectivités territoriales, tout à fait exceptionnelle pour un débat public. Si nous voulons aller un petit peu plus vite, il faudra bien que les collectivités territoriales acceptent de monter dans le train, si je puis ainsi dire, comme la ministre n'a pas manqué de le préciser à plusieurs reprises. C'est un sujet très lié à l'aménagement du territoire, comme vous l'avez souligné. Il fait donc partie des projets que nous suivons de très près et que nous ferons avancer aussi vite que possible, au rythme des crédits disponibles. Je prends bonne note de votre demande d'une rédaction différente. Nous avons cependant pris soin, pour éviter toute polémique, de reprendre les termes précis de la loi Grenelle, comme nous l'avons fait aussi pour les canaux. Nous sommes en train de discuter des calendriers qui pourraient être inscrits dans le SNIT. Il s'agit donc de points qui restent en discussion.

En ce qui concerne la RCEA, une décision doit être prise au mois de juin. Le problème, c'est qu'il n'y a pas accord entre les deux départements concernés. La ministre est donc en train de mener toutes les consultations nécessaires à l'émergence d'une solution qui soit la plus acceptable possible, en sachant qu'elle ne pourra pas être unanime. Nous avons pris bonne note du consensus autour de l'idée d'une concession dans l'Allier. Il s'agit désormais de voir où seront placées les barrières de péage, s'il est possible d'avoir des courts itinéraires libres de péage. J'ai le sentiment que le problème est moins compliqué qu'en Saône-et-Loire, parce qu'il existe ici un itinéraire alternatif qui est déjà très pratiqué par les riverains. Soyez assurée que les consultations se poursuivent, et qu'une décision devrait être prise d'ici à la fin de l'année. Une chose est sûre, c'est que nous devons effectivement trouver une solution pour l'aménager compte tenu de sa situation critique en matière d'accidentologie, bien pire que l'A 85 (parce qu'il y a plus de circulation aussi). Je crains que ce ne soit pas uniquement avec l'argent public que nous arrivions à l'aménager correctement.

Mme Mireille Schurch. - Si nous voulons que la concession soit acceptée politiquement, nous ne pouvons pas dissuader aujourd'hui les habitants de prendre la RCEA parce qu'elle est trop dangereuse, et les dissuader de la prendre demain en raison du coût de son utilisation.

M. Daniel Bursaux. - Il y a effectivement un vrai sujet, dont nous avons saisi l'enjeu. Si nous mettons effectivement les camions sur une route à péage, et que des voies parallèles existent pour les riverains, cela peut aussi être un compromis.

Mme Mireille Schurch. - Le fret, c'est bien aussi.

M. Daniel Bursaux. - Deux mesures doivent être abordées à ce sujet. L'électrification tout d'abord, qui figure sous le numéro 3 A de l'avant-projet du SNIT, et qui est en fait une fin d'électrification. Ensuite, et contrairement à votre sentiment de « grand blanc », un axe nouveau Est-Ouest a été inscrit au SNIT. S'il fait certes partie des projets dont nous n'avons qu'une idée très imprécise, le principe de relier la façade Atlantique avec la vallée du Rhône est bel et bien acté par le schéma : il est certain que cet itinéraire passera par le Massif Central, même s'il reste à savoir si ce sera plutôt au nord de celui-ci, assez proche de la Loire, si nous nous appuierons sur la voie nouvelle entre Poitiers et Limoges pour la prolonger jusque vers Vichy, ou si nous passerons plus du côté de Bordeaux, ce qui semble peu probable pour des raisons techniques liées au relief. Une fois ce projet réalisé, il ne s'agira donc plus d'un « grand blanc », mais d'une étoile ferroviaire.

Mme Mireille Schurch. - Dans très longtemps...

M. Daniel Bursaux. - Si nous sommes d'accord sur les principes d'aménagement, après nous déclinerons les opérations. C'est vrai qu'il y a des procédures complexes, des financements à trouver...

Enfin, à propos de votre dernière question sur Vichy, là aussi, la ministre a répondu politiquement sur le sujet. Je rajoute simplement que des crédits d'étude ont été programmés pour la déviation Nord-Ouest de Vichy. De mémoire, une première tranche de 200 000 euros a été dégagée, qui devrait être doublée, ce qui fait un total de 400 000 euros de crédits d'études.

Mme Mireille Schurch. - Il s'agit d'études et non de réalisations...

M. Daniel Bursaux. - Oui, mais les réalisations sont inscrites dans le cadre du SNIT.

M. Antoine Lefèvre. - Le département de l'Aisne a la particularité d'avoir deux représentants au sein de notre délégation, et je me ferai aussi le porte-parole de mon collègue Yves Daudigny pour aborder la question de la RN 2, dite route Charlemagne. Certes, celle-ci n'est pas dans le même état qu'à l'époque carolingienne mais il y a des problèmes qui demeurent. Elle a fait l'objet d'une déclaration de mise en deux fois deux voies il y a déjà fort longtemps, en liaison expresse de la frontière belge jusqu'à Paris, et les travaux se poursuivent, avec l'engagement très fort des collectivités locales dont le département de l'Aisne. Nous avons bon espoir grâce à la mobilisation des élus et je souhaite que cette route reste au coeur des préoccupations politiques, notamment en ce qui concerne les crédits d'études pour la réalisation des travaux entre le nord de Lens et jusqu'à la frontière belge. Cette route Charlemagne, qui était la route Paris-Bruxelles, est aussi un axe qui permettrait de désengorger l'autoroute A 1 et d'irriguer tout le département de l'Aisne et tout le nord de la Picardie.

Sur le fret ferroviaire, je voudrais relayer les préoccupations des élus locaux auprès de la SNCF, car nous aménageons actuellement beaucoup de zones d'activités avec un embranchement ferroviaire. Certes, on nous incite à être « grenello-compatible », on injecte beaucoup de crédits pour cela, mais on se rend compte que malgré les investissements conséquents, la réforme en cours du wagon isolé à la SNCF pénalise les entreprises qui ne parviennent pas à constituer des trains complets, ce qui conduit vite à un retour des camions malgré l'embranchement ferroviaire. Cela montre qu'il y a encore des efforts à faire ; les collectivités sont en première ligne.

M. Daniel Bursaux. - Sur la RN 2, les ministres avaient commandé un rapport au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), qui est désormais public sur le site du ministère de l'écologie. Je vous propose dans un premier temps de le consulter et si vous le souhaitez nous pourrons ensuite avoir un échange sur son contenu et les suites qui pourront y être données.

M. Eric Doligé. - Je rappellerai simplement, en préambule, qu'Orléans est la troisième capitale régionale non reliée par une voie à grande vitesse ; il ne faudrait pas l'oublier.

En ce qui concerne les autoroutes, vous savez qu'on parle des grands embouteillages à Orléans pratiquement tous les weekends, et que cette situation s'aggrave. C'est pourquoi je souhaiterais savoir si vous comptez proposer une solution pour apporter un avenant au niveau de la société autoroutière Cofiroute afin de porter à deux fois quatre voies ce secteur d'Orléans, car je pense qu'on ne verra jamais le corridor qui devait être lancé et qui a échoué. Les financements existent, les possibilités techniques aussi, mais je crois savoir qu'à l'époque, le précédent ministre était systématiquement opposé à une autoroute à deux fois quatre voies.

M. Daniel Bursaux. - En réalité les financements n'existent pas.

M. Eric Doligé. - Ils existent à condition d'allonger la concession.

M. Daniel Bursaux. - Il y a un vrai sujet autour des allongements des concessions autoroutières car on ne peut pas considérer que celles-ci ont vocation à devenir perpétuelles. Il y a selon moi deux sujets : sur le principe, je ne peux que m'aligner sur les décisions qui avaient été prises à l'époque par le ministre d'Etat ; ensuite, si une décision d'élargir l'axe est effectivement prise, il faudra rediscuter avec Cofiroute des voies et des moyens de le réaliser. Je crois que cela ne passe pas nécessairement par des allégements de concession : une telle solution signifie que l'Etat se prive lui-même de recette de concession et donc de moyens pour investir le moment venu sur d'autres projets. Il y a là un vrai débat entre équilibre et financement public, allongement de concession et péage.

M. Eric Doligé- J'entends bien ce que vous dites, mais la concession va durer encore une vingtaine d'années pendant lesquelles on va devoir supporter des embouteillages insupportables à 60 000 véhicules par jour en périodes de pointe. Je rappelle que cela fait très longtemps que nous discutons de ce dossier. Nous avions d'ailleurs commencé à le faire il y a une trentaine d'années avec M. Kosciusko-Morizet, qui était alors directeur départemental de l'équipement (DDE) du Loiret, et on prévoyait à l'époque, déjà, que d'ici dix ans nous serions saturés. Trente ans après c'est insupportable.

M. Daniel Bursaux. - Il y a une décision politique qui est ce qu'elle est. La question sera de nouveau posée et si la décision est révisée il faudra regarder la manière dont on financera ce projet.

M. Eric Doligé. - C'est quand même un problème qui pollue les débats locaux depuis trente ans et une solution devra être trouvée.

Le deuxième point que je voulais aborder concerne le ferroutage. Il y avait des choses qui étaient avancées il y a encore deux ans sur la ligne Brétigny qui nous intéressaient, et aujourd'hui nous n'entendons plus parler de rien. J'aimerais savoir où on en est dans le cadre des négociations avec des candidats éventuels ?

Le troisième point est relatif au problème de l'écotaxe, car, pour notre département, c'est capital. Je rappelle qu'il ne s'agit pas seulement de faire payer des véhicules pour qu'ils aillent se reporter si possible sur les voies autoroutières, mais c'est aussi un problème d'équilibre des financements des collectivités dans le contexte actuel. On ne l'avait pas prévu en 2011, cela a été reporté en 2012 puis maintenant en 2013. Or, cela nous fait perdre des années de recettes et nous met dans une situation extrêmement difficile. C'est pourquoi j'aimerais connaître l'étendue du décalage dans le temps de cette mise en oeuvre de l'écotaxe. Lorsque vous aviez été auditionné, avec le directeur des douanes et votre collègue de Bercy, conjointement par nos commissions des finances, et de l'économie, réunies au Sénat, nous avions exprimé nos vives inquiétudes sur l'attribution du marché qui risquait de poser problème, c'est ce qui est arrivé.

M. Daniel Bursaux. - Sur l'autoroute ferroviaire Atlantique, une entreprise a remis une offre qui est en cours d'examen. Nos perspectives d'ouverture de la ligne se situent à l'horizon 2013, avec néanmoins une vraie difficulté pour trouver aujourd'hui des sillons sur l'axe Atlantique, compte tenu de trois éléments :

- l'état actuel de saturation de la voie, en attente effectivement de la réalisation de la LGV Atlantique ;

- l'état physique de la voie, qui nécessite d'importants travaux de régénération qui prennent du coup des créneaux horaires pendant lesquels on ne peut pas faire circuler les trains ;

- un point positif dont l'impact est toutefois négatif à court terme : le fait qu'il faudra réaliser des embranchements pour la LGV Sud-Europe-Atlantique, et là aussi cela neutralisera des créneaux de disponibilité horaire.

Donc, nous travaillons actuellement sur la disponibilité d'un nombre de sillons suffisants pour que les conditions du lancement soient optimales, notamment pour assurer une grande régularité des lignes afin de convaincre les transporteurs.

Sur la question de l'écotaxe, comme vous l'avez souligné, il existe actuellement un contentieux dû au recours déposé par SANEF et jugé par le tribunal administratif qui a annulé la procédure. L'Etat s'est pourvu en cassation devant le Conseil d'Etat (CE) et deux hypothèses sont possibles : soit le CE valide la procédure, auquel cas seulement quelques mois auront été perdus, soit il l'annule totalement et il faudra alors lancer une nouvelle procédure.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Je voudrais évoquer la liaison en gestation entre Toulouse et le bassin de Castres-Mazamet. Telle qu'annoncée dans le SNIT, elle prendra la forme d'une autoroute. Or, au moment où je vous parle, il existe toujours un clivage très fort entre les tenants d'une autoroute, plutôt situés dans le Tarn, d'une part, et le conseil général et un grand nombre d'associations de Haute-Garonne, d'autre part, qui contestent ce choix, pour au moins deux raisons. La première est que cette infrastructure va justifier des ouvrages coûteux en raison du caractère inondable de certains territoires traversés. La seconde, plus importante encore, est qu'une autoroute est par définition dévoreuse d'espace. Or l'espace concerné, le Lauragais, est le territoire le plus fertile du département. S'y surajoute le problème du financement. In fine, l'utilisateur serait assujetti à la double peine puisqu'il serait à la fois le payeur-usager et le contribuable. Pour toutes ces raisons, un clivage exprimé il y a maintenant quelques semaines et quelques mois perdure. Au-delà du financement que j'évoquais, il y a peu de chance que la collectivité locale à laquelle j'appartiens apporte sa contribution. Je prends bien sûr la précaution oratoire de dire que personne ne saurait contester l'utilité de moyens de transports qui puissent effectivement désenclaver le bassin Castres-Mazamet. Mais si l'on met en regard l'aménagement existant, qui a justifié d'ailleurs des investissements très importants de la part du conseil général, et l'estimation du temps de trajet gagné grâce à la réalisation de cette nouvelle infrastructure, je me demande si le jeu en vaut vraiment la chandelle.

M. Daniel Bursaux. - De mémoire, la commission du débat public a conclu à un très large consensus sur la nécessité de réaliser l'opération telle qu'elle lui avait été présentée. La décision prise à l'époque par le Gouvernement avait donc été de la poursuivre. Actuellement, la concertation continue, comme vous le soulignez. Ma conviction personnelle est que le bassin de Castres doit être désenclavé, de manière urgente.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Je partage ce diagnostic.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Notre collègue M. Jacques Mézard, qui aurait souhaité être présent, est retenu en séance. Il s'est inquiété, au cours des son intervention du 15 février 2011, de la diminution des crédits de la DATAR consacrés aux lignes aériennes déficitaires, d'une part, et du problème du désenclavement d'Aurillac, d'autre part. Pour le principe je ne lis que sa conclusion, qui est en fait une invitation à Mme la ministre à venir constater la réalité des choses à Aurillac : « Madame la ministre, maintenant que le chef de l'Etat vous fait obligation de rester en France, venez passer quelques jours de vacances à Aurillac. (...) Mais, de grâce, faites l'aller Paris-Aurillac en voiture, sans chauffeur, et le retour Aurillac-Paris en train. Après, je ne doute pas que vous appréhenderez différemment ce schéma national qui nous tient tant à coeur. »

Puisque nous en sommes aux invitations, je joins la mienne, j'invite Mme la ministre à faire le train de nuit Paris-Briançon pour expérimenter les sacs de couchage de la SNCF, comme je le fais deux fois par semaine.

M. Pierre-Yves Collombat, président. - Merci, Monsieur le Directeur général, d'être venu jusqu'à nous. Vous avez vu que le SNIT n'est pas la moindre des préoccupations des sénateurs. La seule chose que nous puissions vraiment souhaiter, c'est que ce qui est prévu puisse trouver une réalisation dans les vingt ou trente ans qui viennent, même si nous n'en sommes pas à la programmation. Encore une fois, si les chiffres paraissent impressionnants, une fois divisés par trente, puis par trois, la participation de l'Etat n'a rien de colossal.

- Présidence de M. Yves Krattinger, vice-président -

Rôle des collectivités territoriales en matière de santé - Audition du Docteur Elisabeth Hubert, ancien ministre, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (FNEHAD)

La délégation procède à l'audition du Docteur Elisabeth Hubert, ancien ministre, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (FNEHAD).

Dr Elisabeth Hubert, ancien ministre, présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile. - Le rapport que j'ai remis au Président de la République il y a quelques mois a abordé nombre de questions relatives à la santé, dont plusieurs sont directement liées à la réflexion que vous avez engagée sur le rôle des collectivités territoriales en la matière.

Vous êtes tous parfaitement informés des données du problème de la démographie médicale et, s'il y avait un doute, votre décision de vous emparer de ce sujet suffirait à le lever. Aussi ne vais-je pas m'attarder sur le constat que vous avez déjà fait vous-mêmes. Je me limiterai simplement à rappeler, car ceci a des incidences sur les mesures à prendre, l'appétence déclinante des jeunes médecins pour l'exercice de leur métier sous la forme libérale et, plus largement, pour s'installer en dehors des grands centres urbains, sous quelque forme d'exercice que ce soit.

J'ai volontairement inscrit ma réflexion dans une échelle de temps qui n'était pas celle de l'immédiat. J'ai fait le choix de me placer dans la durée : la formation d'un médecin demande une dizaine d'années et c'est donc cette durée qu'il faut prévoir pour que les mesures que nous prendrions donnent leur pleine efficacité. J'ai donc conçu mon rapport en distinguant les solutions perceptibles à long terme (mais bien entendu à prendre maintenant), à moyen terme (c'est-à-dire dont les effets se feraient pleinement sentir dans les trois à cinq ans) et à court terme.

Je voudrais, aujourd'hui, insister surtout sur les mesures à long et à moyen termes.

Les premières portent, d'une part, sur la formation et, d'autre part, sur l'utilisation des systèmes d'information et de ce que nous appelons la télésanté.

Le message le plus important que je veux faire passer concernant la formation est le suivant : il faut aujourd'hui cesser de former les étudiants en médecine uniquement dans les CHU. Nous devons leur faire prendre la mesure de toute la richesse de l'exercice médical, sa très grande diversité. C'est donc une grave erreur que d'orienter 100 % des étudiants vers des stages uniquement en CHU alors que 99 % d'entre eux sont appelés à exercer leur métier en dehors d'un CHU. Malheureusement, cette erreur n'est pas encore en voie de correction. Entendons-nous bien : je ne préconise pas l'abandon de toute formation en CHU ; je considère que les futurs médecins doivent avoir un double regard et que, à cette fin, il est essentiel de développer, durant le deuxième cycle, les stages de proximité.

Je précise que mon analyse s'applique à tout le monde médical : à toutes les spécialités, au libéral comme à l'hospitalier dans ses différents volets, à la médecine du travail, à la médecine scolaire, à la recherche... La médecine doit être montrée dans toute sa diversité aux étudiants en médecine.

Sur ce premier point, je crois qu'il y a un véritable rôle à jouer pour les collectivités territoriales. Je le vois comme un rôle d'accompagnement, plus que de conception, consistant à aider à surmonter les obstacles qui empêchent les étudiants d'effectuer leurs stages en dehors de la zone, par hypothèse urbaine, où ils suivent leurs études : la distance, le logement sur place... tous ces problèmes pratiques qui font que, par exemple, un étudiant à Dijon choisira généralement d'effectuer ses stages dans cette ville plutôt qu'en Haute-Marne. Cet accompagnement par les collectivités territoriales peut prendre des formes diverses et complémentaires : aide au transport depuis la ville universitaire, aide à l'hébergement...

Cela me paraît d'autant plus nécessaire qu'il y a aujourd'hui bien moins de mixité sociale parmi les étudiants en médecine qu'il n'y en avait dans les générations précédentes : leurs aînés étaient issus de filières plus diverses (et pas exclusivement scientifiques), ils provenaient bien plus souvent qu'aujourd'hui de milieux ruraux et reflétaient davantage la diversité sociale. Il y a là une situation qui me conduit d'ailleurs à une certaine réserve à l'égard du système des bourses ; je ne suis pas pour leur suppression, mais je considère qu'il faut se méfier des effets d'aubaine, consistant à inciter financièrement à des choix qui auraient de toute manière été faits, et qu'il faut s'assurer que les bénéficiaires confirment, des années après et alors que bien des modifications auront pu se produire dans leur vie, leur engagement dans la voie médicale.

J'ajoute, même si cela ne relève pas des collectivités territoriales elles-mêmes, que l'amélioration de la formation des étudiants, en particulier au niveau de l'internat, est un moyen de limiter le choix pour l'exercice de leur métier sous forme de remplacements : s'ils sont de plus en plus nombreux à faire ce choix, en partie aux dépens de l'ouverture d'un cabinet, c'est parce que beaucoup voient dans les remplacements un moyen d'achever une formation qu'ils estiment incomplète.

Je pense qu'il pourrait y avoir une véritable utilité à créer une quatrième année d'internat, qui s'effectuerait en large autonomie dans des lieux désertifiés, sous le tutorat d'un médecin qui serait peut-être à quelques dizaines de kilomètres, et qui se rapprocherait d'une forme de remplacement. Cette piste suppose bien entendu des conditions de rémunération suffisamment attractives, davantage que celles de l'internat, et devrait s'inscrire dans une réflexion d'ensemble sur les études de médecine, dont je ne suis pas partisane d'allonger la durée globale. Outre qu'elle apporterait un complément de formation fort utile, cette quatrième année d'internat familiariserait les jeunes médecins avec le milieu rural ; cela leur permettrait de s'en faire une juste idée et de lever les craintes qu'ils émettent souvent, faute de visualiser la réalité des choses, sur le maillage de ces zones en termes de services tels que les écoles, les bureaux de poste...

Le second point sur les solutions à long terme que je préconise porte sur le système d'information et la télésanté. En ces domaines, les collectivités territoriales ont également un rôle à jouer.

A propos des systèmes d'information, il est faux de croire que l'on peut accéder partout en France à des moyens de communication permettant par exemple une relation à distance entre un patient et un médecin. Nous nous heurtons en outre à un problème d'interopérabilité entre les différents systèmes, qu'il s'agisse de ceux existant entre les professionnels libéraux ou de ceux existant entre le monde hospitalier et le monde libéral ; il y a là un vrai handicap pour le développement des systèmes d'information dans le domaine de la santé et je regrette que notre pays ne se soit pas engagé dans une véritable politique volontariste sur ce point.

Quant à la télésanté, qui est bien sûr liée à la question du développement des systèmes d'information, elle change profondément la manière dont on doit aborder la question de la désertification médicale. Il est évident que la perspective de pouvoir faire un diagnostic à distance, avec la possibilité de transmettre des images, des tracés cardiologiques ou autres supports, conduit à relativiser l'affirmation selon laquelle la médecine libérale doit pouvoir s'appuyer physiquement sur un plateau technique impliquant diverses spécialités (radiologie, cardiologie...). La télésanté permet par exemple que l'interprétation des radios soit faite à distance. Nous sommes ainsi à la veille d'un bouleversement technologique et il ne tient pas à grand-chose d'en faire bénéficier notre pays : cela tient notamment à des normes, qui devraient permettre de faire en sorte que tout le monde « parle la même langue », et à un minimum de volontarisme et donc de moyens financiers. C'est un cap que nous devons franchir, car nous ne pouvons en rester à des systèmes, tels que ceux que l'on rencontre le plus souvent dans les maisons de santé, où, faute d'interopérabilité, les données ne sont accessibles qu'aux médecins et ne le sont pas à d'autres professionnels tels que les infirmières, les kinésithérapeutes... Cette situation est un obstacle essentiel à la réussite, que nous espérons tous, du DMP (dossier médical personnel).

Je considère que les collectivités territoriales ont un véritable rôle d'impulsion à jouer dans ce domaine de la télésanté. Certaines, en particulier des régions, se sont fort opportunément engagées dans une politique volontariste en la matière. Ces initiatives doivent cependant trouver un soutien du côté de l'Etat, car on ne saurait concevoir que des progrès s'arrêtent à la frontière d'une région.

J'en viens maintenant aux mesures qui se feraient ressentir à moyen terme. Elles doivent, selon moi, former un ensemble inséparable constitué de trois éléments. Ce « trépied » est constitué de la coopération entre les professionnels de santé, des regroupements et des rémunérations. J'insiste sur le fait que ces trois points sont inséparables : ne travailler que sur les rémunérations, comme il me semble qu'on a tendance à le faire, serait une solution boiteuse ; ne chercher qu'à développer les regroupements ne servirait à rien... Les trois enjeux doivent être liés et avancer en même temps.

Paradoxalement, en ce qui concerne les coopérations, la démographie médicale peut être une chance. Elle peut, en effet, amener les uns et les autres à se concentrer sur ce qui constitue véritablement leur valeur ajoutée et à moins se disperser dans leurs tâches qui, chez certains professionnels, ne sont pas à la hauteur de leur formation, de leur rémunération et de ce que l'on attend d'eux. Quand un médecin passe un tiers de son temps à faire de l'administratif, je considère que c'est du gâchis ; quand une infirmière consacre son activité à dispenser des toilettes, c'est du gâchis.

Nous avons, en France, bon nombre de médecins spécialistes qui accomplissent des tâches qu'ils ne font pas ou plus ailleurs. Il en résulte le sentiment d'un manque de spécialistes, mais c'est un sentiment erroné : quand on dit que l'on manque d'ophtalmologistes, ce n'est pas vrai ; le problème ne vient pas de l'insuffisance quantitative, même si leur répartition sur le territoire n'est pas optimale, mais du fait qu'ils consacrent une part trop importante de leur temps à des activités qui ne devraient pas être accomplies par eux. On a trop transféré aux spécialistes des tâches sans lien avec la fonction d'expertise qui est la leur. Cette situation se fait d'autant plus ressentir que nous sommes le seul pays au monde, avec les Etats-Unis (qu'on peut difficilement considérer comme un modèle en matière de santé), où le nombre de spécialistes est supérieur au nombre de généralistes.

Au final, c'est l'ensemble des acteurs de la chaîne médicale qui accomplissent des tâches ne correspondant pas à leur niveau. C'est en ce sens que je dis que la situation démographique dans laquelle nous nous trouvons peut, paradoxalement, être une chance : elle peut amener à un développement bienvenu de la coopération. D'ailleurs, on le voit bien sur le terrain, les médecins sont prêts à jouer le jeu de la coopération : par exemple, sur des problèmes de plaies, de douleurs ou de soins palliatifs, ils acceptent volontiers de s'en remettre à des infirmières qu'ils savent parfaitement formées et d'autant plus performantes qu'elles y consacrent l'essentiel de leur activité quotidienne.

Sans ces coopérations entre professionnels, nous n'aurons pas de regroupements. Nous aurons simplement, dans les maisons de santé ou dans les pôles de santé, une coexistence de professionnels ; nous n'aurons pas ce partage optimal des tâches et donc cette économie du temps médical qu'il nous faudra pourtant bien trouver.

Quant à la forme des regroupements, je crois beaucoup en la souplesse des pôles de santé. Je n'ai bien sûr rien contre le principe des maisons de santé, mais à condition qu'elles soient mises en place sur la base d'un projet mûr. Or, il faut plusieurs années, je dirais quatre à six pour que mûrisse vraiment un projet : les professionnels qui s'y consacrent ne peuvent généralement y travailler que le soir, en dehors de leurs heures de consultation ; le montage d'un projet n'est jamais simple et correspond d'ailleurs à un véritable métier en lui-même ; la définition du contenu du projet et la recherche des financements nécessitent de frapper à bien des portes et à s'y retrouver dans les nombreux arcanes et papiers administratifs... C'est pour cette raison que je plaide pour la mise en place, au sein de chaque ARS (agence régionale de santé), d'un spécialiste de l'ingénierie de projet.

J'ai été très étonnée, au cours de ma mission, de constater à quel point les professionnels, y compris ceux de plus de cinquante ans, étaient prêts à se regrouper. Ils le sont beaucoup plus que ce qu'on ne le dit. D'où ma question : pourquoi ne le font-ils pas ? Il y a bien sûr la complexité des dossiers. Mais il y a aussi le fait que les regroupements nécessitent des investissements ; c'est un point auquel sont particulièrement sensibles les plus âgés qui, à leurs débuts, ont dû racheter une clientèle, laquelle, aujourd'hui, n'est plus revendable : avec la pénurie de médecins, il suffit de s'installer pour avoir immédiatement des clients, sans avoir à racheter une clientèle. Les médecins relativement proches de la retraite ne veulent donc pas se lancer dans une entreprise de regroupement car ils ne sont pas sûrs de récupérer leur investissement.

Partant de ce constat, j'ai proposé une forme de portage, consistant à garantir les investissements consacrés à un regroupement, sous réserve de rester en place un minimum de temps (cinq ans pour les plus jeunes et jusqu'à l'âge de la retraite pour les plus anciens) : ou bien, lors de son départ, l'intéressé trouve un successeur et le problème est réglé ; ou bien il n'en trouve pas, et un « fonds-tampon » prend à sa charge la recherche du professionnel susceptible de lui succéder. Cet accompagnement dans le risque serait un véritable accélérateur d'initiatives.

Par ailleurs, il faut être précis sur ce que l'on entend par « maison de santé ». Il ne suffit pas d'avoir deux médecins et une infirmière pour mériter cette appellation. Une maison de santé, cela doit être véritablement pluri professionnel, cela doit avoir de véritables obligations de continuité des soins, cela doit être capable d'accueillir des stagiaires pour une bonne formation...

En ce qui concerne les rémunérations, j'estime qu'elles vont continuer à reposer, dans une très large mesure, sur le système actuel de paiement à l'acte, ne serait-ce que parce que nous n'avons pas vraiment les moyens de passer à la forfaitisation de la médecine : les pouvoirs publics ne peuvent pas assurer aux médecins salariés, sur la base de 35 heures par semaine, une rémunération analogue à celle des médecins libéraux. Néanmoins, le forfait doit être envisagé pour développer les soins coordonnés, ce qui est nécessaire pour un partage optimal des compétences notamment dans des domaines tels que l'accueil de personnes âgées ou la prise en charge de femmes à la sortie de la maternité.

En ce qui concerne les mesures à court terme que je préconise, je vous renvoie à mon rapport écrit.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Il est incontestable que nous sommes à une période charnière et qu'il nous faut prendre des mesures sans tarder. C'est devenu extrêmement urgent, mais je crois que l'on peut y parvenir.

Un point auquel nous devons nous atteler porte sur l'installation du conjoint ou de la conjointe du médecin, qu'il faut aussi chercher à faciliter. Nous ne sommes plus à l'époque où le conjoint du médecin ne travaillait pas ou travaillait dans le cabinet de son mari, notamment à des tâches de secrétariat. Nous aurons toujours le plus grand mal à attirer des médecins si nous n'offrons pas, sur place, du travail à leurs conjoints. A cet égard, les territoires ne sont pas à égalité car, y compris au sein d'une même région, certaines zones sont mieux placées que d'autres : il est évident que l'agglomération de Montpellier rencontre moins de difficultés que le département de la Lozère.

Dr Elisabeth Hubert. - En effet... néanmoins, à ce jour, la Lozère n'est pas encore frappée par la désertification. C'est plus tard qu'elle le sera, si rien n'est fait, alors que d'autres départements sont d'ores et déjà touchés.

Mme Marie-Thérèse Bruguière- Tout à fait, mais je me plaçais dans le futur et, sous cet angle, il n'est pas douteux que les perspectives sont moins inquiétantes pour Montpellier que pour la Lozère. Je suis en plein accord avec vous dès lors que l'on observe la situation actuelle : certaines zones souffrent bel et bien déjà d'une pénurie de médecins. Il me semble d'ailleurs qu'il y a une véritable fracture entre le nord et le sud : à Lille, où je me suis rendue dans le cadre de mon rapport, il faut compter au minimum six mois pour avoir un rendez-vous avec un ophtalmologiste, contre seulement (si j'ose dire car c'est déjà beaucoup) trois mois à Montpellier.

Il faut indiscutablement accompagner les médecins, en particulier les jeunes diplômés, dans leur installation et je trouve très intéressantes les propositions que vous formulez à cette fin, en particulier sur les stages des étudiants auprès des médecins libéraux (qui doivent être formés à cet accueil).

Il y a une évolution qui m'a frappée concernant la relation du patient avec le médecin. Les clients sont de plus en plus impatients : ils veulent qu'il leur prescrive le remède qui guérira leur mal de gorge en 24 heures, ils attendent qu'il soit nuit et jour disponible pour les recevoir, ils se plaignent s'ils n'arrivent pas à le joindre... Il en résulte chez beaucoup de médecins un sentiment de dévalorisation, l'impression de ne plus être respectés autant que l'étaient leurs anciens.

En ce qui concerne les maisons de santé, elles doivent en effet être pluridisciplinaires. Je pense qu'elles doivent aussi comprendre un professeur de médecine.

Dr Elisabeth Hubert. - Tout à fait, et c'est une politique que certaines maisons de santé ont déjà mise en application.

M. Charles Guené. - Je souscris, Madame le Ministre, à tout ce que vous avez dit. Je voudrais faire observer que, sur le terrain, nous nous heurtons à certains paradoxes. J'en citerai deux.

Je suis maire d'un village de 700 habitants, voisin d'un bourg de 500 habitants, et nous avons seize professionnels de santé, qui plus est dans des domaines variés : généraliste, ophtalmologiste, sage-femme, gynécologue, infirmières, dentiste... Cela est dû à une politique volontariste de notre part. Mais nous avons, non loin de nous, des zones désertifiées où les élus prennent à leur tour des initiatives qui, si elles attiraient chez eux certains de ces professionnels, pourraient (c'est mon premier paradoxe) remettre en question l'équilibre auquel nous sommes parvenus. La solution serait que nous travaillions ensemble, que nous nous associions, mais cela suppose que les professionnels y soient disposés, ce qui n'est pas évident puisque, pour plusieurs d'entre eux, cela impliquerait des déplacements sur une zone géographique beaucoup plus large.

Mon second exemple porte sur la rémunération. Le canton voisin du mien est quasi désertique. La toubib qui y est installée vient régulièrement en renfort dans notre canton, situé en zone déficitaire. Mais, comme elle n'y consacre qu'un tiers de son temps, elle ne peut pas prétendre à la majoration sur ses consultations, qui suppose de consacrer deux tiers au moins de son activité à un canton déficitaire. C'est un peu paradoxal car le médecin du canton, lui, perçoit cette majoration alors qu'il n'a pas à effectuer les mêmes déplacements. L'ARS, à qui j'ai signalé cette situation curieuse, m'a opposé la réglementation nationale pour me dire qu'elle ne pouvait rien y faire.

Je pense donc qu'il faut prendre garde aux règles que nous édictons, qu'il conviendrait de leur conférer une certaine souplesse et qu'il faudrait une cohérence d'ensemble des initiatives car celles qui sont prises d'un côté peuvent désarticuler un système qui marche bien ailleurs. C'est toute la complexité du problème de la démographie médicale.

M. Yves Krattinger, président. - Les initiatives locales ont connu des destins divers. Les unes ont très bien réussi, d'autres beaucoup moins. Désormais, nous avons les ARS et l'heure est peut-être venue de s'appuyer sur elles pour mettre de l'ordre dans tout cela. Nous pourrions planifier les choses : on sait comment vont évoluer la démographie médicale et les populations des différents territoires ; les tendances sont bien identifiées et elles ne vont pas s'inverser du jour au lendemain. Dans la mesure où, comme vous l'avez dit, il faut du temps pour donner de l'effet aux mesures qui seront prises, n'est-il pas urgent de clarifier les choses pour une bonne planification ?

M. Charles Guené. - Une planification qui doit porter aussi sur la qualité des projets et pas seulement sur leur nombre. J'ai été frappé d'entendre le délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), que nous recevions ici-même il y a deux semaines, nous présenter ses objectifs en termes de nombre de maisons de santé à construire sur une période donnée.

M. Yves Krattinger, président. - Le DATAR est en effet tenu à des objectifs chiffrés : il doit obtenir la construction d'un certain nombre de maisons santé. Or, ce n'est pas les chiffres qui comptent, mais la cohérence de l'ensemble.

Dr Elisabeth Hubert. - Vous avez, Monsieur Guené et Monsieur Krattinger, parfaitement raison.

C'est précisément pour ne pas conduire à des déséquilibres que je prends soin de ne pas raisonner qu'en termes de maisons de santé, mais aussi en termes de pôles de santé. Il faut que les regroupements que j'appelle de mes voeux ne consistent pas en des déplacements d'un lieu à un autre qui ne feraient qu'accentuer la désertification. Le problème, que vous soulignez à juste titre, c'est qu'il y a des objectifs chiffrés pour la construction de maisons de santé qui finissent par devenir le seul but à atteindre. Il est aberrant de raisonner ainsi, de dire que l'on fera tant de maisons de santé par an dans une région. Cela peut d'ailleurs conduire à stériliser des initiatives, dans la mesure où l'on refuserait d'aller au-delà du chiffre fixé dans des régions où cela serait nécessaire... sans parler des effets d'aubaine, puisque l'argent risque d'aller aux plus malins plutôt qu'à ceux qui en ont le plus besoin.

Votre observation sur la rémunération en zone déficitaire, Monsieur Guené, renvoie à l'avenant n° 20 à la convention nationale des médecins généralistes et des médecins spécialistes. La Caisse nationale d'assurance maladie a eu tellement peur de ses conséquences financières qu'elle n'a eu de cesse d'en réduire la portée, si bien qu'aujourd'hui nous n'avons que quelques dizaines de médecins qui touchent la majoration prévue. J'ai moi-même rencontré une situation analogue à celle que vous décrivez et je connais d'autres exemples, qui ont donné lieu d'ailleurs à des solutions différentes selon les endroits. Tout cela, en effet, n'a pas beaucoup de sens. Si l'on mettait en place des dispositifs plus simples, plus lisibles, on aurait très certainement une déperdition beaucoup moins forte des aides.

Nous sommes à la veille d'une étape d'une particulière importance avec l'adoption des schémas régionaux d'organisation des soins, les SROS. C'est une occasion à ne pas manquer de mixer les secteurs hospitalier, libéral et médico-social. Je suis loin d'être une planificatrice, mais j'estime, comme vous, Monsieur Krattinger, qu'il faut avoir une claire vision des choses. J'ai vu bien des initiatives de maisons de santé dans des endroits où, pourtant, il n'y avait pas de fragilité le justifiant. On ne peut pas se permettre de financer de telles initiatives ; il faut vraiment cibler les zones fragiles. Comme on ne sème pas sur du sable, il est inutile de chercher à faire quoi que ce soit dans les zones où il n'y a plus rien du tout. Nos efforts doivent d'abord porter sur les zones menacées et je vous rejoins, Madame Bruguière, sur la Lozère qui, bien que n'ayant pas de problèmes aujourd'hui, est menacée d'en avoir d'ici quelques années ; c'est pour cela que je pense que nous avons intérêt à accompagner la Lozère, comme d'autres territoires, dans leur politique en matière de maisons de santé.

En ce qui concerne les ARS, je fais partie de ceux qui défendent leur action. Je pense néanmoins qu'elles n'ont pas assez de marge de manoeuvre et qu'elles manquent de moyens pour faire certaines choses qu'elles pourraient pourtant faire très bien. On ferait mieux d'utiliser au renforcement de leurs moyens l'argent que l'on consacre, en application de la convention nationale, à des questions d'organisation ou de rémunération. Inversement, je trouve aberrant que les ARS soient censées donner les financements pour les actes de télésanté ou de télémédecine car, pour le coup, il s'agit là de points qui devraient relever de la convention.

Quant au zonage, nous sommes incapables de le faire de manière efficace : nous n'avons aucun outil nous permettant de définir une zone fragile de façon identique d'une région à une autre. Nous devons à l'évidence nous doter d'un outil qui, sur la base de critères simples, fournisse une grille de lecture identique aux différentes ARS.

M. Yves Krattinger, président. - Je voudrais appuyer vos propos sur la nécessité d'une ingénierie de projet qui fait cruellement défaut aujourd'hui. Il faut absolument que les moyens en soient donnés aux ARS.

Mme Muguette Dini. - Les ARS ont reçu, depuis leur création, en moyenne une directive par jour. Elles ont donc aujourd'hui plus de quatre cents directives à mettre en oeuvre. Dans ces conditions, on peut se demander comment elles peuvent continuer sur ce rythme avec les moyens qui sont les leurs.