Jeudi 15 mai 2014

- Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente -

Stéréotypes dans les manuels scolaires - Table ronde

La délégation auditionne, dans le cadre de la table ronde « Former les enseignants à la problématique de l'égalité entre les femmes et les hommes », Mme Nicole Abar, chargée de mission « suivi de la mise en oeuvre des ABCD de l'égalité » au ministère des droits des femmes ; Mme Virginie Gohin, cheffe du Bureau de la formation des enseignants à la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) du ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; Mmes Claire Pontais et Nathalie François, enseignantes d'éducation physique et sportive (EPS) et formatrices à l'égalité dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) ; Mme Gisèle Jean, professeure de sciences économiques et sociales, co-créatrice de Corpus, groupe inter-associatif et intersyndical travaillant sur les programmes scolaires ; Mme Virginie Houadec, conseillère pédagogique auprès de l'Inspection de l'Éducation nationale (IEN) Toulouse rive-gauche et chargée de formation dans les ABCD de l'égalité, ainsi que Mme Fanny Lignon, enseignante-chercheure, maîtresse de conférences « cinéma audiovisuel » à l'Université Lyon I.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Après avoir entendu les conclusions des travaux du Centre Hubertine Auclert puis nous être entretenus avec la sociologue Sylvie Cromer et après avoir entendu, lors de deux tables rondes, des représentants de la conception et de l'édition des programmes scolaires, nous poursuivons aujourd'hui, avec vous, notre étude consacrée à la lutte contre les stéréotypes dans les manuels scolaires, confiée à notre collègue rapporteur Roland Courteau.

Nous sommes heureux d'accueillir dans le cadre de cette table ronde : Mme Nicole Abar, chargée de mission au titre du « suivi de la mise en oeuvre des ABCD de l'égalité » au ministère des droits des femmes, et Mme Virginie Gohin, cheffe du Bureau de la formation des enseignants à la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) du ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Afin d'engager une véritable discussion sur la question de la sensibilisation des professeurs - et donc des élèves - aux valeurs d'égalité et de respect entre les filles et les garçons, nous avons réuni ce matin : Mmes Claire Pontais et Nathalie François, enseignantes d'éducation physique et sportive (EPS) et formatrices à l'égalité dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) ; Mme Gisèle Jean, professeure de sciences économiques et sociales, et l'une des créatrices de Corpus, groupe inter-associatif et intersyndical qui donne des pistes pour une refonte ambitieuse des programmes scolaires ; Mme Virginie Houadec, conseillère pédagogique auprès de l'Inspection de l'Éducation nationale (IEN) Toulouse rive-gauche et chargée de formation dans les ABCD de l'égalité, ainsi que Mme Fanny Lignon, enseignante-chercheure, maîtresse de conférences « cinéma audiovisuel » à l'Université Lyon I.

Mesdames, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Comme nous le rappelait récemment une représentante du ministère des droits des femmes, l'école d'aujourd'hui a vécu 40 ans de mixité, 30 ans de politiques en faveur de l'égalité et 10 ans de conventions interministérielles pour l'égalité entre les filles et les garçons. Les travaux, guides et séquences pédagogiques sur ce thème sont nombreux. Alors, comment expliquer une telle permanence dans la reproduction des stéréotypes de genre dans les manuels scolaires ?

Si l'une des missions essentielles de l'école réside bien dans la transmission des valeurs d'égalité et de respect entre les filles et les garçons, comment arriver à mobiliser l'ensemble de la communauté éducative sur le sujet ?

Le programme des ABCD de l'égalité permet une prise de conscience, dès le plus jeune âge, des enjeux de la transmission et de l'acquisition des valeurs d'égalité à l'école.

Mais sa généralisation sera-t-elle accompagnée d'un programme de formation initiale et continue des professeurs, dans le cadre des écoles supérieures du professorat et de l'éducation ?

Pour tenter d'apporter des réponses et afin de structurer nos débats, je laisse Roland Courteau, notre collègue rapporteur, nous présenter un ordre de questions qui vous permettra d'organiser la circulation de la parole.

M. Roland Courteau, rapporteur. - Je vous remercie, Madame la Présidente, d'avoir rappelé le cadre dans lequel se situe notre étude.

Comme vous venez de le dire, nous avons tous été surpris de ce qu'ont pu nous apprendre les études annuelles du Centre Hubertine Auclert, qui passe chaque année au crible des stéréotypes masculins et féminins une série de manuels scolaires dans chaque discipline.

Plus encore sommes-nous surpris d'entendre que la formation des professeurs à ces questions est loin d'être considérée comme essentielle.

Quand on sait que nos représentations se construisent dès l'enfance, et que l'enjeu de l'égalité est la capacité de chacun à s'en émanciper pour choisir sa vie, on ne peut que regretter que cette question ne fasse pas partie de la grille de lecture comme de chaque enseignant, dans toutes les disciplines.

C'est l'ambition des ABCD de l'égalité. Peut-être Mme Nicole Abar pourra-t-elle nous faire un premier bilan de l'impact des séquences pédagogiques dispensées dans ce cadre sur le comportement, notamment pédagogique, des enseignants ?

Mais d'abord, je souhaiterais que nous revenions sur les fondamentaux, en vous proposant de commencer par répondre aux questions suivantes.

- Tous les professeurs sont-ils aujourd'hui formés à la transmission des valeurs d'égalité entre hommes et femmes dans le cadre de leur formation initiale et continue ? Si oui, sous quelle forme et selon quel format ? Ces enseignements seront-ils obligatoires dans les maquettes des ESPE ? Je m'adresse ici plus particulièrement à Mme Virginie Gohin, mais chacune d'entre vous peut, évidemment, apporter sa contribution à notre réflexion.

- Dans un second temps, j'aimerais que, par les témoignages des formatrices que vous êtes, vous nous aidiez à comprendre quelle méthode est la plus appropriée pour aider les professeurs à prendre du recul par rapport à leurs propres réflexes et leurs propres préjugés : les outils existants sont-ils adaptés ? Ceux qui ont été élaborés dans le cadre des ABCD vous paraissent-ils pertinents et généralisables ? Enfin, nous sommes désireux d'entendre toutes les pistes que vous pourriez envisager pour renforcer la mobilisation de toute la communauté éducative sur le sujet. Comment, notamment, responsabiliser les professeurs sur le choix des manuels qu'ils prescrivent aux familles ? Comment engager un dialogue entre inspecteurs, responsables d'académie et professeurs à ce sujet ?

Je laisse la parole à Mme Virginie Gohin.

Mme Virginie Gohin, cheffe du Bureau de la formation des enseignants à la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) du ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Le bureau dont j'ai la charge au sein de la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) s'occupe de la formation des personnels d'enseignement et d'éducation qui relève désormais d'une mission dite d'accompagnement et de formation. Les missions du bureau se décomposent en deux grands volets. Il intervient sur la formation initiale, en contribuant, avec la direction de l'enseignement supérieur, au cadrage réglementaire - par exemple nous travaillons actuellement sur les École supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE). Il intervient aussi sur la formation continue des personnels, à travers la mise en oeuvre du plan national de formation des corps d'inspection. J'insiste sur le fait que nous ne touchons pas les enseignants. Au niveau national, nous proposons des actions en direction des personnels relais, à qui il revient ensuite de déployer, dans le cadre des plans académiques, les dispositifs au niveau des académies, en fonction des priorités locales.

Je vais vous présenter notre cahier des charges, à la fois en formation initiale et en formation continue, et essayer d'évoquer un certain nombre d'exemples.

Comme vous l'avez indiqué, de manière peut-être un peu négative, dans vos propos liminaires, la formation sur le thème de l'égalité entre hommes et femmes n'existe pas en tant que telle. Pour autant, nous nous sommes attachés, dans un ensemble de textes réglementaires, à poser des invariants en formation concernant ces thématiques.

C'est dans ce cadre que le nouveau référentiel des compétences professionnelles pour les métiers du professorat et de l'éducation a fait l'objet d'un très long dialogue entre le ministère et les organisations syndicales, car nous souhaitions tous y inscrire un certain nombre de valeurs.

À ce titre, ce référentiel a été intégré dans le cadre national des formations aux gestes professionnels, dont fait partie la transmission des valeurs par les enseignants et formateurs. Le référentiel des compétences professionnelles « métiers » est toutefois beaucoup plus précis. Il prévoit un ensemble de quatorze compétences communes à tous les enseignants, au sein desquelles se trouve la transmission des valeurs de la République. Il existe ensuite un référentiel plus précis pour les professeurs, documentalistes et conseillers principaux d'éducation.

Pour être concrète, je peux vous citer la compétence 1, qui s'intitule « faire partager les valeurs de la République » et inclut la lutte contre toute forme de discrimination. Quant à la compétence 6, « agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques », elle valorise la capacité à se mobiliser et à mobiliser les élèves contre les stéréotypes et les discriminations de tout ordre, à promouvoir l'égalité entre les filles et les garçons et à identifier toute forme d'exclusion et de discrimination.

Le référentiel est un cahier des charges commun à l'ensemble des personnels, mais nous voudrions aussi en faire un outil de dialogue avec ceux qui définiront les actions mises en oeuvre dans les ESPE. Je reconnais que les volumes de formation aux enjeux qui sont les vôtres ne sont pas considérables. Ayant fait partie de l'équipe qui a analysé toutes les maquettes de projets des ESPE, je ne peux pas vous dire le contraire. Il existe, malgré tout, des initiatives et je considère qu'avec le nouveau référentiel dont je viens de vous parler des actions restent à construire.

Dans les ESPE, pour être très concrète, ces valeurs sont travaillées selon deux axes, à la fois comme objet de formation et comme recherche et analyse des pratiques professionnelles.

En ce qui concerne les valeurs, l'ESPE de Nice propose un parcours en M1 et en M2 pour savoir se situer dans son environnement professionnel, connaître les principes et les valeurs qui fondent l'école (laïcité, égalité entre les femmes et les hommes, lutte contre les discriminations, etc.). En M1, le sujet est abordé à travers la philosophie politique, la sociologie ou l'histoire de l'éducation, encadré par des professionnels. En M2, l'accent est mis sur l'analyse des pratiques, dans le cadre du stage professionnel.

Pour le second axe que j'évoquais, l'ESPE de Rennes propose une approche réflexive sur le métier, au travers de recherches-actions menées avec des laboratoires de recherche. Il s'agit de contrevenir aux stéréotypes et de travailler sur de la documentation concernant les problématiques du métier, en les mettant en regard des pratiques professionnelles dans une approche critique. Cette démarche n'est qu'un exemple mais me semble particulièrement intéressante, car elle permet de créer une véritable dynamique.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Vous me rassurez, car nous n'avions pas une vision aussi fine de ce qui se passe sur le terrain. Nous ne savions pas si cette question constituait effectivement une préoccupation majeure, susceptible d'irriguer la mise en place des ESPE.

Mme Virginie Gohin. - Lors de la désignation des directeurs d'ESPE - dont la charge est, reconnaissons-le, un vrai défi -, nous avons essayé de vérifier qu'il s'agissait bien d'une de leurs préoccupations. J'avais réalisé un grand tableau récapitulant tous les axes de la culture professionnelle, dont celui de l'égalité, de manière à vérifier que cette thématique faisait bien partie de leurs préoccupations.

En termes de ressources, nous sommes prêts à les accompagner. Le niveau national dispose d'un certain nombre de moyens que nous pouvons mettre en oeuvre. Nous avons donc été à l'écoute des demandes. Les directeurs d'ESPE ont reconnu qu'ils n'avaient pas forcément la possibilité de créer des modules sur cette thématique dans leur offre de formation.

La formation continue est également essentielle, car nous savons bien que l'arrivée de quelques milliers de nouveaux enseignants ne sera pas suffisante pour que cette question irrigue l'ensemble du système. Nous devons sensibiliser des centaines de millions de professionnels en poste et les amener à conduire une réflexion sur leurs propres pratiques.

Le plan national de formation prévoit une centaine d'actions impulsées par l'échelon national à l'échelle de l'année et qui sont concrétisées dans les plans d'académies. Elles sont destinées aux corps d'inspection pédagogique du premier et du second degré et aux personnels relais, dont les chefs d'établissements. Il est essentiel que ces derniers, qui accueillent les nouveaux enseignants et travaillent avec ceux qui sont déjà en poste, soient intégrés dans le processus.

Pour 2014, je peux notamment vous citer des exemples d'actions, issus du plan national de formation, dont je vous rappelle qu'il est renouvelé chaque année en fonction des priorités. L'une d'elles, intitulée « Parcours scolaire différencié des filles et des garçons et stéréotypes - Quelles analyses ? Quelles politiques publiques ? » concernera 150 personnes. Je vous accorde que ce nombre est faible, mais il s'agit des corps d'inspection du premier et du second degré, des infirmières, des proviseurs vie scolaire (PVS), des chargés de mission égalité, etc. Ils sont à la fois au contact des élèves et des autres personnels, ce qui permet de s'assurer qu'il s'agit bien d'une approche globale, dépassant le seul cadre de la classe.

Un autre point intéressant est l'entrée par la culture juridique, qui n'existait pas jusqu'à présent dans le plan national de formation. Nous avons travaillé avec l'association InitiaDROIT, qui rassemble des avocats et des juristes de l'Université, ainsi qu'avec la Mutuelle d'assurance des instituteurs de France (MAIF), qui a élaboré un ensemble de modules de sensibilisation sur les droits et les devoirs, la transmission des valeurs républicaines, etc. Cette action est en cours de construction et sera probablement disponible à la rentrée prochaine.

Nous avons une autre manière d'impulser des axes nationaux. Chaque année, à l'automne, nous publions dix priorités de formation en direction des académies pour le premier et le second degré. Certaines sont déclinées sur trois ans pour leur permettre de produire des résultats concrets ; d'autres sont renouvelées pour tenir compte de l'évolution du contexte. Les priorités sont fixées pour les formations commençant à la rentrée de l'année suivante.

Depuis plusieurs années, l'une de ces priorités concerne la formation à la laïcité, la lutte contre les discriminations et l'égalité entre les filles et les garçons. Elle concerne à la fois le premier et le second degré. Des instruments de mesure sont prévus pour s'assurer de l'effectivité de sa prise en compte. Nous avons fait beaucoup évoluer une application nationale, surnommée « GAIA », qui est un outil de gestion, auquel nous avons ajouté une base de données nationale. Vous pouvez désormais disposer d'une photographie, en temps réel, de l'activité de formation sur chacune des priorités que nous avons définies. Les résultats peuvent porter sur le réalisé et sur le prévisionnel de l'année en cours, ce qui permet d'évaluer les formations réalisées et de connaître les intentions de formation. Le dispositif est sûrement à améliorer mais il constitue déjà une avancée.

La thématique est ensuite mise en oeuvre dans le cadre des plans académiques, qu'il s'agisse des plans stratégiques ou des plans de formation. Je vais vous citer quelques exemples de ce qui est mis en place.

Le rectorat de Rouen a signé une convention, pour les années 2013-2018, pour l'égalité entre les filles et les garçons et les femmes et les hommes dans le système éducatif. Elle prend en compte plusieurs axes, dont l'orientation scolaire et professionnelle, l'éducation des jeunes à l'égalité et l'intégration de l'égalité dans les pratiques professionnelles. Le dispositif repose sur des actions de formation, du dialogue et l'accompagnement des établissements et des centres d'information et d'orientation (CIO) notamment.

Dans l'académie de Grenoble, le plan de formation a pris en compte cette thématique de l'égalité hommes-femmes en s'appuyant sur des candidatures collectives. Les inscriptions ne concernent pas des individus isolés mais des équipes, ce qui me semble très intéressant. Nous savons que le défaut de la formation continue est parfois de favoriser une attitude consumériste, sans réel impact sur le fonctionnement de l'établissement. En l'occurrence, l'approche retenue permet d'éviter cet écueil et de créer une véritable dynamique, en travaillant sur la sensibilisation de tous et en montrant comment devenir acteur du changement. Cette action s'adresse aux enseignants de collège.

Pour terminer, je voudrais juste revenir sur un point. Dans le cadre du dialogue que nous construisons au niveau national avec les organisations syndicales et les directeurs d'ESPE, nous devons être à l'écoute et impulser la mise en oeuvre de ressources, éventuellement avec l'aide des outils numériques. Je reconnais néanmoins qu'il reste beaucoup de travail à accomplir.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je vous remercie.

Mme Gisèle Jean, professeure de sciences économiques et sociales, co-créatrice de « Corpus ». - Je suis professeur de sciences économiques et sociales. Dans le cadre d'un travail mené sur les programmes, j'ai contribué à mettre en place un groupe interassociatif et intersyndical dénommé « Corpus » et dont l'ambition est de réfléchir à l'évolution des programmes et des formations. J'ai également été directrice d'un institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) à Poitiers et formatrice depuis de très nombreuses années.

Avec Claire Pontais, nous avons essayé de dresser un bilan de ce qui existe actuellement dans les ESPE, par rapport à ce qui existait précédemment. Le référentiel des compétences professionnelles auquel vous avez fait allusion est certes nouveau, mais nous en avions déjà établi un en 2007, de façon moins concertée, mais dont la première compétence portait également sur les valeurs : outre la laïcité, le thème principal était celui de l'égalité.

La question de l'égalité était traitée de manière très satisfaisante, sous un angle plus philosophique que sociologique. Elle est restée présente dans la formation, de manière transversale. Sa place était toutefois marginale en termes de temps. Elle était en outre difficilement intégrée dans le reste du dispositif.

L'enquête que nous avons menée auprès des académies permet, selon le point de vue que l'on adopte, d'être optimiste ou pessimiste.

Nous sommes plutôt pessimistes en ce qui concerne la formation initiale, car nous sommes dans un « entre-deux ». Tout le monde sait que les heures de formation sont extrêmement réduites. Cela ne fait plus l'objet de débats. Or, les actions considérées comme les moins importantes pour le concours ont été les premières à en subir les conséquences. C'est ainsi que la question des valeurs a été limitée à la portion congrue. Il s'agit souvent d'une simple « récitation », sans réelle approche réflexive.

En ce qui concerne la formation continue, les retours de nos collègues traduisent globalement une ignorance de ce qui existe. L'écart entre les consignes venant du ministère de l'Éducation nationale et leur traduction sur le terrain est extrêmement important. Le non-remplacement des enseignants, en particulier dans le second degré, est notamment un frein pour la réalisation d'actions de qualité.

En ce qui concerne la formation, nous avons noté une très grande disparité dans la manière dont les ESPE prenaient en compte cette question. À Bordeaux, elle semble très bien intégrée en M1 et en M2. Vous avez cité Rennes en ce qui concerne l'analyse de pratiques mais je voudrais ajouter Nantes, qui a toujours joué un rôle de fer de lance dans ce domaine. J'ai été formatrice à Poitiers et nous avons beaucoup travaillé avec Nantes sur le sujet. La capacité à s'auto-observer et à réfléchir avec des outils d'analyse théorique y est vraiment mise en avant. Les collègues nous ont indiqué que cette dimension était également prise en compte dans les mémoires.

Sur le sujet de la transmission des valeurs aux élèves du secondaire, des actions très intéressantes étaient mises en oeuvre par le passé sur les stéréotypes. En tant qu'enseignante, j'ai abordé ce sujet pendant des années, en classe de seconde par le biais des heures du programme de sciences économiques et sociales dédiées à la socialisation et les adolescents y étaient très réceptifs. Initialement, le cours sur les stéréotypes durait trois heures. Il a été ramené à deux heures, puis à une heure et quart, non obligatoire, aujourd'hui. Il apportait pourtant beaucoup aux élèves. Ceci nous rappelle que nous ne sommes malheureusement pas toujours dans une dynamique de progrès et que, même dans ce domaine, nous observons plutôt une régression. C'est pour cela que nous devons être très vigilants car, par quelques coupes sombres, le moindre changement dans un dispositif peut entraîner des conséquences énormes que nous n'avions pas anticipées, d'autant plus que cette thématique peut encore être considérée comme marginale.

Je souhaiterais évoquer l'exemple de Bordeaux, car il me paraît particulièrement regrettable. L'application de la parité dans les élections aux ESPE a conduit à une moindre représentation des femmes, les formateurs étant souvent des formatrices. La parité par collège a donc abouti à faire élire davantage d'hommes. Certains se sont retrouvés d'office élus, car ils étaient seuls. Les conséquences ont été très violentes au niveau des directions. La situation à Bordeaux a même donné lieu à des auditions au ministère. La loi, qui se voulait progressiste, a engendré une configuration inédite, avec uniquement des hommes aux postes de directeur et de directeur-adjoint de l'ESPE, de président des universités et de recteur. Nous n'avions jamais connu une telle disproportion. Tout cela pour dire qu'une chose est de faire des lois, une autre est d'en mesurer les conséquences concrètes !

Pour en revenir à la formation, le bilan est mitigé. Les horaires constituent un frein. Je ne pense pas que certains fassent preuve de mauvaise volonté mais il faut avant tout former les étudiants aux exigences du concours. Si celui-ci ne repose que sur le français et les mathématiques, l'effort portera moins sur les valeurs.

Nous devons accompagner les enseignants sur le terrain. L'analyse des pratiques est une question fondamentale. Si les formateurs, quelle que soit leur discipline, ne sont pas formés à une approche théorique, nous ne progresserons pas. Il faut que cette dimension soit réellement intégrée, de manière profonde, dans leur parcours. Nous ne pouvons pas nous contenter d'un saupoudrage de quelques connaissances acquises à droite et à gauche.

Lorsque nous analysons les pratiques des enseignants dans la classe, nous décryptons leur attitude et leurs réponses vis-à-vis des filles et des garçons. Cette démarche permet ensuite de mieux aborder la question de l'orientation sexuée des élèves. Il faut montrer concrètement à chacun comment il se comporte, y compris après 20 ou 25 ans d'expérience d'enseignement. Nous ne devons pas nous focaliser uniquement sur les jeunes. Nos formateurs doivent être suffisamment solides pour remettre en cause, avec douceur et tact, les pratiques de tous les enseignants. Même s'il faut une impulsion qui vienne d'en haut, je crois que c'est avec ce travail de terrain que nous pourrons réellement faire évoluer les choses.

À ce sujet, le logiciel GAIA ne peut pas évaluer l'ensemble du travail effectué : il est possible de compter des journées de formation mais l'impact des interactions entre les formateurs et les enseignants est beaucoup plus difficile à appréhender.

M. Roland Courteau, rapporteur. - Comment devient-on formateur ? Pouvez-vous nous donner quelques précisions à ce sujet ?

Mme Gisèle Jean. - En ESPE, certains formateurs sont recrutés à temps partagé, sur la base de leurs qualités pédagogiques. Il peut aussi s'agir d'une reconnaissance institutionnelle. J'ai travaillé ainsi pendant plus de quinze ans, à la fois en classe et, à l'époque, en IUFM.

Ces formateurs peuvent se former à la formation, de manière théorique, mais ce n'est pas une obligation. Ils sont généralement qualifiés de formateurs de « terrain », même si les autres le sont aussi.

Des formateurs, souvent des maîtres de conférences en sociologie, en psychologie, en sciences de l'éducation ou en communication, entrent aussi directement en ESPE. Ils sont recrutés par des commissions, selon les modalités propres à l'Université. Ils travaillent à temps plein.

Cette configuration devrait perdurer. La formation des formateurs sur des questions comme celle de l'égalité entre hommes et femmes est souvent faible ou inexistante. Pour les autres, elle dépend fortement des ESPE.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Mme Gohin semble vouloir réagir.

Mme Virginie Gohin. - Merci, Madame la Présidente. Je voudrais évoquer, pour compléter les propos de Mme Jean, un chantier crucial engagé par l'ancien ministre et poursuivi aujourd'hui. Nous sommes en train d'encadrer l'accès à la formation dans le second degré, la réglementation ne concernait que le premier degré. Ces personnes, à temps partagé, bénéficieront d'une décharge de trois à six heures pour se former.

Par ailleurs, le statut de formateur n'existe pas. Nous sommes en train de le créer. Le répertoire interministériel des métiers ne prévoit pas le métier de formateur. Nous souhaitons avancer sur le sujet pour consolider les formateurs et constituer un « vivier » pour la formation continue.

Il existe une certification pour les formateurs du premier degré, le certificat d'aptitude aux fonctions d'instituteur ou de professeur des écoles maître formateur (CAFIPEMF). Nous travaillons à la création d'un dispositif similaire pour les formateurs du second degré. Elle n'existait évidemment pas, puisque ceux-ci n'étaient pas statutairement reconnus.

Nous avons créé un réseau national depuis deux ans. Notre objectif est désormais de constituer un référentiel des formateurs, afin d'asseoir leur professionnalité. Cet exercice n'est toutefois pas évident à réaliser, car le métier est difficile à définir.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Ces précisions étaient importantes.

Mme Virginie Houadec, conseillère pédagogique auprès de l'Inspection de l'Éducation nationale (IEN) Toulouse rive-gauche et chargée de formation dans les ABCD de l'égalité. - Rappelons que, pour le premier degré, les professeurs des écoles passent un examen : le certificat d'aptitude aux fonctions de maître formateur. La procédure est très complète et s'étale sur toute une année.

Les enseignants doivent d'abord faire preuve de leurs compétences au sein de leur classe. Ils sont inspectés par un jury de cinq personnes, dont l'inspecteur départemental, et doivent obtenir une note minimale de 15. Ils doivent également être capables de réaliser une critique de leçon, c'est-à-dire de s'adresser à un collègue pour le faire avancer dans ses pratiques professionnelles. La procédure s'achève par la soutenance d'un mémoire.

Le « vivier » se sépare ensuite en deux groupes. Le premier a en charge la formation initiale des jeunes qui viennent d'être reçus au concours. Les maîtres formateurs délivrent des enseignements à l'ESPE et interviennent en classe trois jours par semaine. Ceux qui appartiennent au second groupe, dont je fais partie, deviennent conseillers pédagogiques et assurent la formation continue des enseignants en poste.

Mme Fanny Lignon, enseignante-chercheure, maîtresse de conférences en « cinéma-audiovisuel » à l'Université Lyon I. - Étant formatrice à l'ESPE de Lyon, cette présence sur le terrain m'a permis de constater ce que je peux qualifier de « dégringolade » des formations à l'égalité entre les femmes et les hommes. Il y a quelques années, dix heures y étaient consacrées. Aujourd'hui, plus rien n'est prévu en M1 et les actions mises en oeuvre en M2 ne sont pas obligatoires. Nous prêchons donc face à un auditoire déjà convaincu.

Pourtant, nous avons de la matière ! Des mémoires sont réalisés sur le sujet, qui donne également lieu à des séminaires. Néanmoins, la réduction du temps consacré à cette problématique est patente. Ceci tient au fait que, depuis la « masterisation », nous devons faire la même chose qu'avant, en beaucoup moins de temps. Les thématiques transversales sont les premières à en avoir pâti. Le numérique a pu être préservé grâce à l'attribution de trois crédits ECTS (European Credit Transfer System) dans les nouvelles maquettes. Il reste donc enseigné à tous, par des spécialistes.

Quant à l'éducation à l'égalité entre hommes et femmes, malheureusement elle dépend avant tout des personnes : si elles sont très impliquées, des actions parviennent à se mettre en place.

En M1, les étudiants sont concentrés sur le concours. En revanche, en M2, la place existerait pour traiter le sujet. Il est toutefois nécessaire d'avoir une impulsion. Il faut que la question de l'égalité soit présente en permanence dans les esprits. Pour y parvenir, nous devons cependant nous appuyer sur un socle solide, à partir duquel l'irrigation sera possible.

La formation continue a également largement disparu. En outre, lorsque des actions sont mises en oeuvre, elles s'adressent à des personnes volontaires. Or ce sont les autres, celles qui ne se sentent pas concernées par le sujet, qu'il faudrait toucher.

Dans les ESPE, nous disposons de formateurs à temps partagé et à temps plein. Ils sont de tous les niveaux, ce qui fait aussi la richesse du dispositif. Nous regrettons toutefois de ne pas pouvoir faire intervenir suffisamment les maîtres formateurs titulaires du CAFIPEMF. Nous attendons, avec une grande impatience, qu'ils puissent revenir à la rentrée prochaine. Nous espérons que le système sera étendu au second degré.

Mme Nicole Abar, chargée de mission « suivi de la mise en oeuvre des ABCD de l'égalité » au ministère des droits des femmes. - Une mission m'a été confiée conjointement par M. Vincent Peillon, alors ministre de l'Éducation nationale, et Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes.

Je suis actuellement détachée au ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais je n'en suis pas issue. Je peux donc avoir un regard libre. Un rapport de l'Inspection générale était paru juste avant ma prise de fonctions mais je n'ai pas voulu en prendre connaissance, pour conserver un regard sur le sujet. Je souhaite traiter la question de l'égalité entre les filles et les garçons de façon pragmatique et simple, comme je le faisais auparavant dans le cadre associatif.

En prenant mes fonctions, j'ai découvert des personnels très investis et dotés d'une passion incroyable pour leur métier.

Dans le cadre du suivi de la mise en oeuvre des ABCD de l'égalité, j'ai parcouru 15 000 kilomètres depuis le mois de septembre, visité 34 écoles depuis le mois de janvier et participé à énormément d'actions sur le terrain. Je peux, par cette expérience, témoigner que la formation sur la thématique de l'égalité entre les filles et les garçons n'existe pas vraiment. Ceux qui répondent qu'ils ont bénéficié d'une formation sur ce thème, c'est-à-dire 5 %, sont ceux qui ont été touchés par le dispositif « Le foot est princesse », organisé par la Fédération française de football. Ce sont en général des professeurs d'éducation physique et sportive (EPS). Le déficit concerne à la fois la formation initiale et la formation continue.

Je le savais déjà mais j'ai pu à nouveau constater que, sur une thématique comme celle-ci, il faut du temps pour discuter. J'ai osé le dire à M. Vincent Peillon, même si ce constat va à l'encontre des contraintes économiques actuelles. Il n'est pas possible de former des personnels à la va-vite et uniquement sur la base du volontariat.

L'école de la République doit travailler sur le vivre ensemble et sur la construction de l'estime de soi, avec ce qu'elle inclut en termes de respect, de partage, etc. En partant de ce postulat, il n'est pas possible de réduire la question de l'égalité à quelques enseignements disséminés ici ou là. Elle doit faire partie du socle de base et y occuper une place majeure.

Je conçois que le concours est une épreuve stressante mais ce n'est pas une raison suffisante pour écarter cette question du programme de formation ou reporter cet enseignement. Si elle est importante, elle doit être abordée sans attendre, avec un nombre d'heures suffisant.

L'effort doit être engagé dès le plus jeune âge. J'ai principalement travaillé en collège. L'adolescence n'est probablement pas la période la plus propice. Les jeunes sont confrontés à beaucoup de changements, qui se traduisent plutôt par un besoin des filles et des garçons de se séparer. Je pense que l'essentiel doit être réalisé chez les tout-petits.

Les enfants ont besoin de marcher, de courir, de découvrir ce qui les entoure. La motricité doit être une préoccupation majeure. Les jeux doivent être adaptés pour permettre à tous, filles et garçons, d'explorer tous les espaces.

J'ai découvert un document très intéressant issu du ministère de l'Éducation nationale qui précise toutes les normes de mètres carrés en fonction du nombre de classes, d'élèves, etc. Or en découvrant nos établissements, on constate qu'il est parfois impossible de courir dans la cour de récréation tellement elle est petite.

Les garçons conservent généralement cette aptitude à courir mais, dès l'âge de trois ans, les filles commencent à la perdre. Des enseignants ont montré que pendant le premier cycle, garçons et filles jouaient encore ensemble. En revanche, dès le deuxième cycle, la motricité des filles et celle des garçons commencent à évoluer différemment. Au troisième cycle, la séparation entre filles et garçons s'est réalisée. Les enseignants constatent que les garçons et les filles ont du mal à se donner la main pour faire la ronde.

La question de l'égalité doit être prise en compte sans attendre, de manière à travailler aussi sur les conséquences violentes que peut entraîner son non-respect. Je reste persuadée que la mise en oeuvre d'une telle démarche - qu'on l'appelle ABCD ou autrement - de la petite section au CM2 permettra de pacifier les relations entre les filles et les garçons au collège et d'avoir plus de tolérance sur la différence. Les violences conjugales en seront peut-être réduites. Nous travaillons sur la construction de la société de demain, ce qui justifie des investissements d'aujourd'hui.

L'égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans les textes depuis trente ans mais elle n'est pas totalement une réalité. La formation des enseignants, des formateurs et des cadres de l'Éducation nationale est fondamentale. Elle est une condition pour avancer. Nous ne devons pas considérer que les inégalités qui demeurent dans notre société ne seraient finalement pas très graves, car certaines femmes parviennent à faire des carrières, de la politique, etc. Quelques indicateurs peuvent effectivement laisser penser que des progrès ont été réalisés. Néanmoins, la perte pour la Nation, au-delà de quelques destins individuels, reste majeure du fait de ces inégalités persistantes.

Nous ne devons pas nous focaliser sur l'orientation. Celle-ci intervient trop tard. Comme dans les tableaux impressionnistes, les enfants reçoivent de multiples petits coups de pinceau depuis qu'ils sont nés. De manière inconsciente, nous contribuons ainsi à fabriquer des petites filles et des petits garçons.

La lutte contre les stéréotypes est justifiée en tant qu'ils produisent du handicap. Au-delà de la problématique que nous abordons ce matin, l'étude PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) a montré que le niveau social des élèves déterminait leur parcours scolaire et leur intégration future dans la société.

Nous mettons beaucoup de moyens dans l'école. Pendant le premier degré, celle-ci doit être centrée sur les valeurs de la République. Ainsi, nous pourrons optimiser tous les autres dispositifs, notamment dans le domaine de l'orientation. Les élèves pourront tirer parti de tous les possibles et enfin choisir leur destin.

Pour atteindre ces objectifs, il est indispensable de réunir les personnes autour d'une table et de leur demander de remettre en question leurs propres convictions. Cet exercice est complexe et demande de la délicatesse et de la diplomatie. L'histoire personnelle de chaque enseignant doit être respectée. Chacun a envie de bien faire, mais il faut comprendre que nous sommes aussi le résultat de cette construction sociétale que nous avons connue lorsque nous étions jeunes.

Il est essentiel de permettre aux enseignants de prendre conscience de la situation. S'ils se sentent personnellement touchés par la formation, je pense que nous aurons gagné. À partir du moment où cette prise de conscience existe, il est plus facile de faire évoluer ses pratiques professionnelles. Évidemment, ce travail est progressif. Il nécessite un investissement de long terme. Puisque nous nous adressons à des fonctionnaires, qui sont engagés dans leur métier pour de nombreuses années, prenons le risque de consacrer à ce projet tous les moyens nécessaires.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je vous remercie pour ce moment d'optimisme.

Mme Claire Pontais, enseignante d'éducation physique et sportive (EPS) et formatrice à l'égalité dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE). - Je suis professeure d'éducation physique et formatrice dans un ESPE. Je réalise un certain nombre de formations à l'égalité, mais pas dans le cadre de mon ESPE, puisqu'il n'y a plus d'heures consacrées à ce thème.

Nous sommes confrontés à une importante baisse des horaires de formation à l'égalité. Celle-ci est liée au passage à des masters. Avec 30 % d'heures en moins, il n'est pas possible de travailler comme avant. La question de l'égalité entre les filles et les garçons n'est d'ailleurs pas la seule à avoir disparu. Le paradoxe, c'est que, alors que nous organisions des modules de plusieurs jours, nous étions très peu de formateurs. Aujourd'hui, les études sur le genre ont connu un certain essor. Nous avons donc potentiellement des ressources plus nombreuses pour travailler sur le sujet, mais moins d'heures !

La question de l'égalité entre les hommes et les femmes est toujours présentée comme très importante mais elle n'est plus prise en compte en tant que telle et doit souvent se contenter d'être intégrée dans les enseignements. Comme pour tous les sujets transversaux, il est souhaitable de la placer au coeur des apprentissages, à condition toutefois de savoir comment le faire.

La formation disciplinaire est, selon moi, une voie d'entrée essentielle, même si elle ne doit pas être exclusive. Il faut partir du contenu des enseignements et y intégrer la question de l'égalité.

En éducation physique, il est facile de constater que les filles sont moins sportives que les garçons. On dit l'inverse d'elles dans des matières plus intellectuelles, comme la littérature.... Nous entendons régulièrement des discours d'acceptation de cet état de fait. En éducation physique, certains proposent aux filles de faire du « step », puisqu'elles n'aiment pas la compétition. Au final, nous risquons d'aboutir à des résultats totalement opposés à ceux que nous recherchions.

Certaines dimensions du sujet sont minimisées. Je ne suis pas opposée à l'organisation de conférences mais celles-ci ne parviendront pas à faire profondément changer les choses. Souvent, à l'issue de ces interventions, les personnes qui étaient convaincues le sont davantage et celles qui ne l'étaient pas les vivent comme une leçon de morale féministe.

Je plaide pour qu'il y ait au moins trois entrées différentes, qui pourraient être développées dans les ESPE. Il faut partir des valeurs, avec leurs apports théoriques, mais s'appuyer aussi sur des approches didactiques et professionnelles. Des outils sont essentiels pour éviter que les actions mises en oeuvre soient perçues comme des leçons de morale. La formation doit s'étendre de la licence à l'entrée dans le métier. Certains stéréotypes sont tellement enracinés en nous, même si nous n'en avons pas totalement conscience, qu'ils ne pourront évoluer que progressivement. Il n'est pas possible de travailler sur un tel thème, comme d'autres d'ailleurs, en quelques mois.

Mme Virginie Houadec. - Je suis conseillère pédagogique à Toulouse et j'appartiens à une équipe de recherche de l'ESPE Midi-Pyrénées.

A l'ESPE Midi-Pyrénées, un module de douze heures sur l'enseignant et son métier est prévu. Il intègre les questions de laïcité, d'égalité entre les filles et les garçons, etc. Ce dernier sujet représente trois heures, pour l'ensemble des étudiants de M1. Rien n'est, en revanche, prévu en M2.

Je sais que lorsque le sujet a été abordé au ministère, il a été indiqué que l'ESPE de Toulouse accordait douze heures à la question de l'égalité. Or ce temps comporte également le traitement d'autres problématiques. Ces petits glissements faussent la perception de l'effort réellement engagé. Il est dommage de ne pas avoir une vision claire de ce qui est effectivement fait sur le terrain.

Les enseignants sont, dans leur majorité, très « essentialistes ». Ils considèrent qu'il existe des natures différentes de l'homme et de la femme qu'il faut respecter. Il faut parfois un peu de temps pour leur faire prendre conscience des problématiques liées à l'égalité et à la liberté de choix des élèves.

Pour ma part, je ne crois pas à l'intérêt de l'organisation de débats sur ce sujet. Tout le monde donne son point de vue dans la salle, y compris les enseignants. Je suis persuadée que nous obtiendrons de meilleurs résultats en intégrant la question de l'égalité entre les filles et les garçons dans toutes les disciplines. Les programmes de l'Éducation nationale, qui sont en cours de révision, doivent la prendre en compte et la mettre en avant. Le sujet devrait irradier tous les champs et les trois paliers du socle obligatoire.

L'inégalité entre filles et garçons est la cause, pour notre pays, d'une perte d'intelligence, celle des filles. Il est crucial de ne pas laisser cette situation perdurer.

Il est extrêmement important aussi de former les inspecteurs, pour qu'une déclinaison soit possible au plus près du terrain. Nous ne pourrons pas former tous les enseignants en poste. Il paraît nécessaire également de former les cadres, notamment les principaux et proviseurs. Cela peut nous permettre de franchir une étape.

Les textes actuels sont de véritables supports, dont nous devons nous saisir.

À Toulouse, sept écoles sont engagées dans les ABCD de l'égalité. Les enseignants ont reconnu que la formation qui leur avait été dispensée leur avait permis d'identifier le problème. La mise en oeuvre de l'expérimentation sur le terrain a toutefois nécessité beaucoup d'accompagnement. Les premiers bilans sont en cours de réalisation. Apparemment, la violence aurait diminué dans les cours de récréation. Ce retour est extrêmement intéressant, même s'il ne s'agit, pour le moment, que de « ressenti ». Le fait que les enfants parviennent à échanger et à verbaliser un certain nombre de choses semble faire baisser la pression.

Plusieurs écoles de ZEP (zones prioritaires d'éducation) sont engagées dans le processus. Les ABCD de l'égalité ont permis une ouverture culturelle aux enfants issus de milieux populaires, grâce à la qualité des fiches pédagogiques présentées.

Mme Corinne Bouchoux. - Je voudrais tout d'abord vous remercier pour votre engagement. Le sujet est en effet extrêmement difficile. Je fonde de grands espoirs dans le rapport de notre collègue mais je pense que nous allons nous heurter à de plus en plus de difficultés.

Je vais brièvement vous résumer la situation dans l'académie de Nantes au cours des derniers jours. En 2006, un établissement privé agricole a organisé, à l'initiative du conseiller principal d'éducation (CPE), une journée de la jupe et du respect. L'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur se sont saisis du dossier en 2009. Le dispositif fonctionnait. Le conseil général a apporté son soutien et financé un certain nombre d'actions. Une évaluation a été menée par des chercheurs.

La journée de la jupe et du respect est symbolique. Elle est le point d'orgue d'une opération menée, pendant un an, dans vingt lycées. Elle n'a donné lieu à aucun incident. La Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) a constaté le professionnalisme de l'organisation et aucun dérapage ne s'est produit. Il en a été de même avec la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE).

Malheureusement, nous sommes aujourd'hui confrontés à une entreprise de démolition systématique de la part d'un groupuscule minoritaire, qui n'hésite pas à saper le travail effectué par tous les acteurs de ces manifestations. Il est à craindre que les propositions que nous ferons donneront également lieu à des analyses caricaturales et souvent malveillantes.

Mme Fanny Lignon. - Il s'agit effectivement d'un vrai risque. Nous sommes parfois confrontés à des étudiants choqués ou qui s'opposent à nos actions, même si ce n'est heureusement pas la majorité. Nous avons donc réfléchi à des solutions, d'autant que j'appartiens également à une association qui oeuvre sur le thème du genre dans la formation. Nous pouvons aborder le sujet de front, comme dans les ABCD de l'égalité ou dans les conférences, ou, pour emprunter la formule de Spinoza, « avancer masqués ».

Nous pouvons travailler à partir d'exemples concrets et peu discutables, comme le sexisme dans les catalogues de jouets. Le débat pourra être productif, car il est impossible de nier la réalité des images. Celles-ci sont un support commode pour initier des discussions.

Pour pouvoir déconstruire les stéréotypes, il faut préalablement les identifier. Il faut ensuite savoir ce que l'on veut reconstruire à la place. Le problème n'est pas que des petits garçons jouent au football mais que les petites filles ne puissent pas le faire également. Évidemment, l'objectif n'est pas que toutes les petites filles jouent au football mais qu'elles en aient la possibilité si elles le souhaitent. A l'inverse, les petits garçons doivent avoir le choix de faire de la danse. Tout le monde doit pouvoir accéder à tout, ce qui me semble être une parfaite valeur républicaine.

Mme Nicole Abar. - L'école républicaine accueille les enfants pendant de nombreuses années. Nous avons donc tout le temps d'aborder ce sujet, qui fait partie des programmes, et de nous doter d'outils pour le traiter. Ces derniers sont déjà très nombreux.

Nous n'attendons pas un nombre d'heures passées sur les ABCD de l'égalité mais une prise de conscience. L'objectif est de permettre aux enseignants et aux formateurs de prendre du recul par rapport à leurs propres représentations, de manière à pouvoir faire évoluer leurs pratiques pédagogiques.

J'ai pris par hasard le livre « Ma Maman » d'Anthony Browne dans une bibliothèque. En le feuilletant, j'ai constaté que cette maman pouvait être danseuse mais aussi grand patron. Néanmoins, quand elle exerçait cette fonction, elle était représentée habillée en homme, avec un costume et une cravate. Je l'ai immédiatement repéré, par habitude, mais la plupart des personnes avec lesquelles j'ai évoqué le sujet ne voyaient pas les choses comme cela.

Une collègue m'a indiqué qu'il existait également « Mon Papa » d'Anthony Browne. Lui aussi peut être danseur mais il ne change pas pour autant de costume.

Ces deux livres sont de qualité dans le fond mais traduisent que les femmes doivent encore trop souvent, lorsqu'elles sortent de leur sphère traditionnelle, endosser le costume de l'homme.

Beaucoup d'enseignants qui ont suivi des formations pensaient qu'ils n'en avaient pas besoin. Leur opinion a ensuite radicalement changé. La vidéo de Pascal Huguet sur les mathématiques et le dessin les a laissés muets et atterrés. Tous les ESPE devraient la diffuser.

Nous devons cependant savoir où l'Éducation nationale doit s'arrêter. Je voudrais vous citer l'exemple d'une enseignante travaillant sur des images avec des tout-petits. Celles-ci représentent un homme faisant la vaisselle, une femme qui essuie la vaisselle et les deux qui essuient la vaisselle ensemble. La présentation est très neutre, sans jugement de valeur. Malheureusement, l'enseignante a terminé l'exercice en interrogeant chacun sur ce qui se passait chez lui. Je ne pense pas que ce soit notre rôle.

À ceux qui nous reprocheraient de nous immiscer dans la sphère privée, je répondrais que les femmes réalisent dix-huit heures de tâches ménagères de plus que les hommes chaque semaine, ce qui les empêche de faire du sport ou de prendre des postes à responsabilités. Nous devons donc retravailler cet équilibre domestique, afin de leur permettre de s'épanouir dans tous les champs de la vie et également de permettre aux hommes de s'impliquer davantage dans leur foyer. Nous construisons la société de demain.

Mme Claire Pontais. - Nous avons évoqué tout à l'heure le concours mais il me semble que nous pourrions intégrer ce sujet dans les épreuves. En éducation physique, nous ne pouvons pas ignorer la question de l'égalité entre les filles et les garçons. Je tiens ce discours à mes étudiants, même si je ne suis pas certaine que les jurys soient formés.

Nous pourrions également valoriser les travaux menés par les étudiants sur certaines thématiques, en remettant des prix, à des mémoires par exemple.

La formation des cadres est importante mais nous ne parviendrons pas à la réaliser à grande échelle. Il serait déjà souhaitable qu'un inspecteur par département porte ce sujet de l'égalité entre filles et garçons. J'ai fait référence à un inspecteur volontairement, car il faut aussi que des hommes se mobilisent.

M. Roland Courteau, rapporteur. - A quoi les enfants sont-ils le plus réceptifs dans les ABCD de l'égalité ?

Mme Nicole Abar. - Dès que vous arrivez à leur faire comprendre que « ce n'est pas juste », vous avez gagné. Je peux vous citer l'exemple d'un enseignant de Fécamp qui travaille sur les sagas familiales. Lorsqu'il raconte qu'à une époque, les petites filles n'allaient pas à l'école, tous les élèves trouvent cette situation injuste. Les situations peuvent évoluer relativement vite.

Pour les élèves comme pour les enseignants, l'objectif est uniquement d'ouvrir le regard et de donner la possibilité de remettre en question l'ordre établi.

Les enseignants ne sont pas formés pour faire des activités physiques et sportives avec les enfants. Ils ne savent pas développer les schémas moteurs qui permettent aux filles de devenir également compétentes avec un ballon au pied et d'expérimenter des activités diversifiées. Les enfants ne sont pas sexistes : ils rejettent l'incompétence. Notre rôle est de leur permettre de devenir multi-compétents, pour ensuite choisir des activités en fonction de leurs envies, de leurs copains, etc. Les équilibres pourront enfin changer.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente. - Je vous remercie pour ces échanges passionnants.