Jeudi 9 avril 2015

- Présidence de M. Francis Delattre, président -

Audition de Mme Laure Reinhart, directrice des partenariats et écosystèmes - innovation de Bpifrance

La réunion est ouverte à 13 h 50.

M. Francis Delattre, président. - Je souhaite la bienvenue à Mme Laure Reinhart, directrice des partenariats et des écosystèmes-innovation de Bpifrance. Vous connaissez bien les questions liées à la création et au développement des entreprises, et les problèmes de liquidités auxquels les PME peuvent avoir à faire face. Les entreprises qui se tournent vers vous sont aussi des entreprises qui sollicitent le CIR. Nous aimerions connaître votre sentiment sur ce dispositif et savoir si vous estimez qu'il doit évoluer, notamment dans son ciblage.

Je vous rappelle que notre commission d'enquête, composée à la proportionnelle des groupes, a été diligentée à la demande du groupe CRC, dans le cadre du droit de tirage que notre règlement reconnaît aux groupes politiques. Mme Brigitte Gonthier-Morin, membre du groupe CRC, en a été désignée rapporteure.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Laure Reinhart prête serment.

Mme Laure Reinhart, directrice des partenariats et écosystèmes - innovation de Bpifrance. - Je m'attacherai d'abord à préciser de quelle manière Bpifrance intervient dans le CIR via les dispositifs qu'elle propose aux entreprises et qui lui sont liés, avant de proposer quelques pistes de réflexion sur de possibles évolutions.

M. Francis Delattre, président. - Il faudra nous indiquer précisément ce qui doit, à votre sens, évoluer.

Mme Laure Reinhart. - Je le ferai.

BPIfrance, comme vous le savez, résulte de la fusion de CDC Entreprises, du Fonds de soutien à l'investissement (FSI) et d'Oséo - elle-même fruit de la fusion de l'Anvar, l'Agence nationale de valorisation de la recherche, et de la Banque de développement des PME (BDPME). Le rapprochement de l'expertise scientifique et technique de l'Anvar et de l'expertise financière de la BDPME avait déjà permis à Oséo de proposer des dispositifs très nouveaux pour les entreprises, qui s'appuyaient sur cette double expertise. A été ainsi mise en place ce que nous appelons la mobilisation du CIR, qui assure aux entreprises la trésorerie du CIR une fois établie la créance de l'État. Ce dispositif était assorti d'une expertise externe, pour s'assurer de la légitimité des dépenses. Cette activité de financement de court terme, qui était partagée avec des banques, a reculé à partir du moment où des mesures ont été mises en place pour rembourser les PME dès l'année de leur déclaration. Seule une vingtaine d'entreprises de taille intermédiaire bénéficie encore de ce dispositif.

À partir de 2009, à la suite du vote de la loi de modernisation de l'économie de 2008, nous avons reçu délégation de l'État pour instruire, avec le ministère de la recherche et l'Agence nationale de la recherche, le rescrit fiscal au bénéfice des entreprises qui le demandaient. C'est une activité qui ne prend que lentement de l'ampleur. En 2013, nous avons instruit entre 150 et 200 rescrits, sur un total qui ne dépasse pas 250. Cela peut paraître peu au regard du nombre des entreprises déclarantes - 13 578 PME ont bénéficié en 2012 du CIR.

Le rescrit est pourtant intéressant pour les PME, car il les aide à s'engager dans leurs projets de recherche, en sécurisant le bénéfice du CIR. Il soulève pour elles, cependant, deux difficultés. Quand l'instruction d'une demande de rescrit débouche sur une réponse négative, nous communiquons ce résultat à la direction de la législation fiscale, ce qui revient à rendre le projet tout ou partie inéligible. Si bien qu'un certain nombre d'entreprises préfèrent tenter de passer à travers les mailles du filet. La deuxième difficulté tient au fait que le rescrit était, jusqu'en 2014, accordé sur le fondement d'un programme de recherche. Or, on sait bien qu'en la matière, le parcours n'est jamais conforme au programme initial, il se modifie au fur et à mesure de son déroulement, si bien que le rescrit ne correspond plus au programme effectivement réalisé.

La troisième difficulté tient, enfin, à notre budget de fonctionnement, qui, depuis 2014, n'est plus en rien alimenté par l'État. Nous souhaitions donc qu'il nous soit permis de demander une compensation financière aux entreprises sollicitant un rescrit, ce qui nous a été refusé. J'ajoute que la Cour des Comptes, dans son rapport de 2013, recommande que Bpifrance cesse l'activité de rescrit, qu'elle ne juge pas compatible avec le préfinancement du CIR.

Ce préfinancement du CIR est une opération assez nouvelle et que nous sommes les seuls à mener. Elle consiste, en somme, à financer une entreprise sur le fondement d'une créance qui n'est pas encore née. Ce dispositif a été mis en place en 2013. Il a représenté, dès la première année, un volume de 36 millions d'euros, pour 177 entreprises, puis 37 millions d'euros l'an dernier pour 200 entreprises. Ce n'est pas énorme au regard du volume global du CIR, mais c'est un dispositif qui fonctionne bien. Les prêts ainsi octroyés sont garantis à 60 % par des fonds de garantie alimentés par l'État, et nous supportons les 40 % restants sur nos fonds propres.

Nous avons été attentifs aux réflexions qui ont été conduites sur le CIR, et souvent sollicités pour des auditions. Nous avons trois pistes d'amélioration à suggérer.

Il s'agirait, en premier lieu, d'ouvrir la possibilité de cumuler le CIR avec l'aide à l'innovation, créée en 1979 à l'initiative de Raymond Barre avec deux objectifs : fournir un apport de trésorerie à l'entreprise au moment du démarrage de son projet et partager les risques, puisque les entreprises ne remboursent qu'en cas de succès. Jusqu'en 2007, les entreprises pouvaient inclure dans l'assiette du CIR l'ensemble de leurs dépenses de recherche, à l'exception de celles qui étaient financées par subvention. À partir de 2007, on leur a demandé de déduire les avances remboursables, au motif que les inclure revenait à solliciter une deuxième fois une aide qu'elles avaient déjà obtenue. Nous demandons sans succès depuis plusieurs années que l'on revienne sur cette restriction. Le cumul de l'avance remboursable et du CIR est pourtant parfaitement vertueux. Le CIR n'intervenant qu'une fois la dépense réalisée, l'avance remboursable permet de faire la soudure. Il en va de même pour le prêt à taux zéro en faveur de l'innovation que nous avons mis en place en 2010.

Nous avons, ensuite, deux interrogations. Le CIR peut induire une concurrence déloyale entre entreprises. Entre les sociétés de R&D privées et les laboratoires publics, tout d'abord. Vous savez que les entreprises peuvent doubler leurs dépenses de sous-traitance en R&D lorsqu'elles s'adressent à des laboratoires publics. Cela pose un vrai problème de concurrence, en particulier dans le domaine médical, où les dépenses de sous-traitance sont énormes, les études cliniques étant généralement sous-traitées à des laboratoires.

L'autre interrogation est suscitée par les abus des sociétés de conseil, qui, au moment de l'élargissement du CIR, se sont empressées de proposer leurs services aux PME en contrepartie d'un pourcentage du CIR, voire des dépenses figurant dans la déclaration.

M. Francis Delattre, président. - N'y a-t-il pas eu des tentatives d'encadrement ?

Mme Laure Reinhart. - J'ai participé, pour la Médiation de l'innovation, placée sous la responsabilité de Pierre Pelouzet, médiateur des relations inter-entreprises, à un groupe de travail qui a établi une charte des bonnes pratiques. Cette charte, qui n'a pas encore été rendue publique, doit servir d'instrument à la Médiation de l'innovation pour la labellisation des sociétés de conseil. Elle sera motivante pour les cabinets de conseil - qui restent fort utiles aux entreprises tant la demande de CIR est une procédure complexe -, et nous permettra de les encadrer positivement.

M. Francis Delattre, président. - Quelle rémunération reçoivent ces cabinets ?

Mme Laure Reinhart. - C'est très variable. Il peut s'agir d'un pourcentage du CIR, ce qui ne me choque pas en soi, mais aussi d'un pourcentage des dépenses déclarées, ce qui peut poser problème si l'entreprise se fait redresser. Or, dès lors qu'ils sont rémunérés sur les dépenses déclarées, les cabinets de conseil peuvent avoir tendance à pousser à la roue...

M. Francis Delattre, président. - Et à disparaître dans la nature quand les choses se gâtent...

Mme Laure Reinhart. - En matière d'innovation, les difficultés sont identifiées. La première tient à la complexité des procédures. Entre les dispositifs de l'État, ceux de l'Union européenne et ceux des collectivités locales, nombreux, l'enchevêtrement est effroyable. Et le CIR vient ajouter une complexité supplémentaire. Je ne veux pas dire par là qu'il faudrait y mettre fin, car il occupe désormais une place importante dans le financement de la recherche des entreprises, mais qu'il serait bon de simplifier la déclaration.

La deuxième difficulté tient à l'accompagnement, indispensable pour les entreprises, et qui manque encore d'étoffe. Nous travaillons, à Bpifrance, à rechercher des solutions. La troisième difficulté, enfin, se rapporte au financement. Le CIR opère sur un périmètre bien délimité par le manuel de Frascati et strictement encadré par les instructions du ministère de la recherche, ce qui est une bonne chose. Mais il faudrait l'accompagner d'autres dispositifs, d'aide à la phase de mise sur le marché et à l'international.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Le temps nous étant compté, nous vous saurions gré de nous adresser, le cas échéant, des éléments d'information plus complets sur les questions que nous serons amenés à aborder dans le cadre de ce bref échange.

Nous aurions souhaité connaître votre point de vue sur le potentiel de R&D français, ainsi que sur l'articulation entre la recherche localisée en France et celle qui est localisée à l'étranger.

Le CIR peut-il avoir, à votre sens, une utilité dans la relance industrielle en France ?

Nous aimerions connaître la nature des financements que Bpifrance mobilise et savoir quelles conditions vous mettez à votre intervention.

Il nous serait utile, enfin, de disposer de quelques éléments sur l'accidentologie du dispositif. Avez-vous été conduits à alerter le fisc sur des situations troubles ou, inversement, le fisc est-il amené à vous faire des recommandations pour anticiper des problèmes qu'il aurait identifiés ?

Vous appelez de vos voeux une harmonisation entre les dispositifs. Une harmonisation entre le CIR et le CICE vous paraît-elle souhaitable ?

Mme Laure Reinhart. - Je manque des compétences qui me permettraient de vous livrer une analyse sur le potentiel de la R&D française et son environnement international. Nous disposons en revanche, grâce aux études de l'Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), de données essentielles sur le coût des chercheurs, et le poids du CIR dans ce coût. L'objectif premier est de faire baisser le coût du chercheur en France.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - La question se pose, néanmoins, des contreparties.

Mme Laure Reinhart. - Nous avons, en France, d'excellents chercheurs, dans des domaines très divers. La recherche industrielle menée en entreprise est d'excellent niveau. Pour avoir travaillé chez Thales et chez Safran, j'ai pu constater que les équipes de R&D y sont de premier ordre. S'il arrive que Thales externalise sa recherche, c'est essentiellement avec l'objectif de gagner des marchés à l'international. La contrepartie se calcule aussi, aujourd'hui, en termes de transfert de connaissances et de savoir-faire. Il en va de même chez Safran, groupe installé dans le monde entier, mais dont la plupart des activités de recherche sont localisées en France. Il peut arriver qu'un pays ait une attractivité forte sur certains sujets, il peut exister des légitimités liées au caractère confidentiel de certaines recherches, je pense en particulier à la sécurité, pour les États-Unis, mais il reste que la France dispose, probablement grâce au CIR, d'un potentiel public et privé de recherche excellent.

Cela suffit-il à mener jusqu'à la mise en production et à la commercialisation ? C'est là un vaste sujet. Les petites entreprises, en particulier dans les domaines émergents à marché mondial, sont attirées vers d'autres pays, pour des raisons de proximité avec le client ou d'attractivité du capital développement. De ce point de vue, nous avons encore du chemin à faire. Les États-Unis sont beaucoup plus attractifs que la France, parce que les financements accessibles sont cinq à dix fois plus importants.

La nature de nos financements ? Elle dépend de l'état de maturité du projet. Très en amont, quand les risques sont encore importants, nous préférons accompagner l'entreprise sous forme de subventions, qui restent modestes. Le montant maximum que nous avons consenti, dans le cadre du concours mondial de l'innovation ou du programme d'investissements d'avenir, s'élève à 200 000 euros pour chaque entreprise lauréate - 110 en 2014.

Quand il s'agit de développer le prototype, notre aide prend la forme d'une avance remboursable en cas de succès ou de prêt à taux zéro pour l'innovation. Le montant peut aller jusqu'à 2 millions. L'avance remboursable en cas de succès, qui existe depuis 1979, présente, comme je l'ai dit, deux avantages : apport en trésorerie et partage du risque. Quant au prêt à taux zéro, il présente le même avantage de trésorerie et peut être cumulé avec le CIR.

En phase d'industrialisation et de mise sur le marché, enfin, notre financement prend la forme de prêts. C'est une procédure que l'État nous a autorisés à mettre en place en 2013. Le montant du prêt peut aller jusqu'à 1,5 million, et la garantie est assurée par le Fonds européen d'investissement, ce qui représente, pour l'État, une économie.

M. Francis Delattre, président. - Voyez-vous les aides à l'innovation comme un prolongement du CIR, ou considérez-vous qu'elles s'y superposent ?

Mme Laure Reinhart. -Le CIR recouvre à la fois nos subventions en phase d'amorçage et nos avances remboursables et prêts à taux zéro. Nous avons comparé, en 2009, les dépenses éligibles au CIR et celles qui le sont à l'avance remboursable.

M. Francis Delattre, président. - Nous serions intéressés par ces données, même si elles sont anciennes. Vous avez fait référence à plusieurs phases du cycle ; qu'en est-il de la phase d'amorçage ? Combien de temps dure-t-elle ?

Mme Laure Reinhart. - La durée en est très variable ; elle peut aller de six mois à deux ans.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Il n'y a pas de cumul avec le CIR, à ce stade.

M. Francis Delattre, président. - Si. En réalité, le CIR ne joue pas sur une année, mais sur une moyenne de trois à quatre ans.

Mme Laure Reinhart. - Les projets d'innovation significatifs peuvent durer de deux à cinq ans, voire plus. Dans le cas des biothechs, la phase de développement peut durer dix ans.

M. Francis Delattre, président. - A combien estimez-vous les montants que vous introduisez ?

Mme Laure Reinhart. - En 2014, l'aide à l'innovation individuelle des entreprises, soit les subventions, les avances remboursables et les prêts à taux zéro, s'est élevée à 443 millions d'euros.

M. Francis Delattre, président. - Pour sécuriser les process, vous utilisez beaucoup le rescrit ?

Mme Laure Reinhart. - Nous n'en établissons guère plus de 150 par an. Ce n'est rien au regard du nombre d'entreprises concernées. Les entreprises, ainsi que je le disais, redoutent le rescrit. Si elles ne sont pas sûres d'elles, elles préfèrent prendre le risque de déposer une déclaration sans demande de rescrit que de s'entendre dire que leur projet n'est pas éligible. On constate, sur l'ensemble des rescrits, qu'un bon tiers des projets ne sont pas éligibles en tant que tels, et ne le sont que pour une partie des dépenses.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - L'harmonisation du CIR et du CICE ?

Mme Laure Reinhart. - Ces deux dispositifs n'ont, à mon sens, rien de commun. Le CIR est fait pour accompagner la R&D, le CICE pour baisser le coût du travail d'une manière générale. Il y a certes une intersection, mais nous ne sommes pas en mesure de la circonscrire, parce que nous n'avons pas les données du CIR. Je le répète depuis quatre ans, il serait bon que la puissance publique s'en soucie, car nous n'avons aucun moyen, à l'heure actuelle, de croiser les données, pour savoir ce qui se cumule.

Le CICE peut être utile pour la recherche, mais il est de conception beaucoup plus large. J'ajoute que les chercheurs ou techniciens éligibles au CIR ne le sont pas au CICE, étant donné leur niveau de salaire. Il ne peut y avoir, d'après moi, cumul.

M. Francis Delattre, président. - Leur seul point commun est qu'ils sont l'un et l'autre une dépense fiscale. Ce sont des trous dans le fromage...

Mme Laure Reinhart. - Nous avons des liens avec la direction des impôts. Lors de la mise en place du dispositif du rescrit, un comité de pilotage avait été créé, qui se réunissait tous les trimestres.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Cela reste limité au rescrit.

Mme Laure Reinhart. - Mais cela nous a permis de travailler en bonne intelligence avec la direction des impôts et de leur communiquer des cas - je parle de cas de figure et non de cas individuels.

J'ajoute que la direction des impôts reçoit tous les rescrits que nous instruisons, qu'ils soient positifs ou négatifs, et nous n'avons pas eu de remontées sur d'éventuelles situations troubles.

Mme Corinne Bouchoux. - Quelle est la proportion respective du secteur civil, du secteur militaire et du secteur dual pour l'ensemble des entreprises dont vous avez à connaître ? D'après des sources de la direction générale de l'armement (DGA), les secteurs qui ont le mieux compris et saisi l'opportunité du CIR sont l'aéronautique et le militaire au sens large.

Mme Laure Reinhart. - Nous ne finançons pas d'entreprises dont le projet serait exclusivement militaire. La DGA a ses propres dispositifs, qui, soit dit en passant, peuvent être redondants avec les nôtres. Nous avons certes passé un accord avec elle, mais il ne concerne que les technologies duales. Nous abondons, pour quelques milliers d'euros par an, ces programmes.

L'aéronautique est, depuis toujours - de même, je suppose, que des secteurs analogues, comme le ferroviaire - très bien organisée, par projet, et compte de grandes entreprises. Chaque projet est très bien défini sur l'échelle des TRL (Technology Readiness Level) et des critères sont établis, depuis le TRL 0 jusqu'au TRL 5, qui aident à savoir si un projet est éligible. Qu'ils aient été les premiers à monter dans le train n'a donc rien pour étonner, mais les autres secteurs sont tout à fait en mesure de suivre, s'ils s'en donnent les moyens.

M. Bernard Lalande. - Vous dites que vous avez engagé pour 443 millions de CIR.

Mme Laure Reinhart. - Je ne parlais pas du CIR mais de nos aides à l'innovation - subventions, avances remboursables et prêt à taux zéro - qui ont concerné, en 2014, quelque 3700 entreprises.

M. Bernard Lalande. - Avez-vous évalué les retombées de ces financements ? Combien un euro de financement génère-t-il d'investissement de la part de l'entreprise ?

Mme Laure Reinhart. - Sur l'ensemble de notre dispositif, nous estimons qu'un euro engagé par l'État représente pour l'entreprise, par l'effet de levier qu'il induit, une aide de trois euros, qui représentent 40 % de la dépense. Ce qui veut dire, si l'on prend en compte l'ensemble de la dépense, que le ratio est de huit pour un.

M. Francis Delattre, président. - C'est beaucoup plus que ce que l'on nous a dit jusqu'à présent.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Plus que ce que dit la Cour des Comptes.

Mme Laure Reinhart. - Je fonde mon calcul sur le montant total investi par l'entreprise dans un projet de recherche.

M. Francis Delattre, président. - Mais le ratio que vous nous indiquez ne concerne pas le CIR, dont le ratio est plutôt de trois pour un.

Mme Laure Reinhart. - La part de l'investissement éligible au CIR donne lieu à un crédit d'impôt de 30 %. Je suppose que c'est à quoi vous vous référez. Mais sur l'ensemble de l'investissement, quand l'État met un euro, l'entreprise investit en R&D pour huit euros. Il y a un effet de levier.

M. Jean-Pierre Vial. - Vous avez insisté sur l'accompagnement des PME et sa labellisation. Les grands groupes, dans leur partenariat avec les PMI et les start up, assurent une part de cet accompagnement. L'effet en est-il significatif ? La piste pourrait-elle être approfondie pour établir des partenariats plus solides ?

Mme Laure Reinhart. - Cette question est un serpent de mer. Cela fait des années que l'on essaie de se persuader que faire travailler ensemble les grandes et les petites entreprises en amont leur fera continuer la route ensemble. C'est une idée fausse. Si les grandes entreprises peuvent apprécier de travailler, dans le cadre de la R&D, avec de petites entreprises, qui leur apportent agilité, approche et idées nouvelles, cela ne se transforme pas, in fine, en échange commercial en aval. Cela dit, les petites entreprises peuvent trouver chez les grandes une plate-forme d'intégration de leurs technologies.

Lorsque je parlais de labellisation de l'accompagnement, je pensais plutôt aux cabinets de conseil. Je ne pense pas que les grandes entreprises soient prêtes à jouer les mentors en aidant les PME à remplir leur déclaration. Elles peuvent en revanche les aider à définir l'enveloppe éligible dans le cadre d'un programme mené avec elles.

M. Francis Delattre, président. - On rejoint là le problème du donneur d'ordre. A qui faut-il attribuer le CIR quand il est fait appel à des sous-traitants ? Nous avons cru comprendre que dans la logique du fisc, c'est au donneur d'ordre de déclarer la dépense.

Mme Laure Reinhart. - Ce qui peut poser problème.

M. Francis Delattre, président. - Peut-être, mais il faut, en tout état de cause, que les règles d'attribution soient claires.

Mme Laure Reinhart. - Il faut d'évidence clarifier, simplifier, mais en restant précis. Il y a aussi des dépenses, dans les grandes entreprises, qui ne sont pas sous-traitées.

M. Francis Delattre, président. - Lors des contrôles, l'inspecteur des impôts doit être accompagné d'un expert. En avez-vous rencontré ? On entend dire tout et son contraire à leur sujet.

Mme Laure Reinhart. - Je n'ai pas eu de rencontre directe. Ce que je sais, c'est que la plupart de ces experts viennent de la recherche, et sont donc capables de dire si le périmètre envisagé est bien du domaine de la recherche. Mais sont-ils suffisamment disponibles pour ces expertises ? Là-dessus, nous sommes davantage partagés. Nous mesurons, au travers de l'instruction des rescrits, combien le travail d'expertise exige de précision. Or, je ne suis pas sûre que les experts mandatés par le ministère de la recherche, étant donné les moyens limités qu'il accorde, puissent faire un travail approfondi.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Vous disposez également, en effet, d'une expertise propre. Comment s'articule-t-elle avec le CIR ?

Mme Laure Reinhart. - Nos experts en interne ne se penchent que sur le rescrit. Notre direction de l'expertise compte une quarantaine d'experts, plus quelques experts spécialisés en propriété industrielle. Ils ne consacrent pas moins de trois à quatre jours pour l'instruction de chaque rescrit.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Le temps nous manque pour approfondir. Nous pourrons être amenés à vous renvoyer un questionnaire écrit.

Quel taux d'intérêt pratiquez-vous lorsque vous décidez d'accompagner un projet par un prêt ? Que se passe-t-il en cas de créance irrécouvrable : quelles sont les prérogatives de BPIfrance en cas de liquidation de l'entreprise ?

Mme Laure Reinhart. - Dans le cadre du préfinancement du CIR, le coût de garantie est de quelque 0,8 %. Quand une entreprise disparaît, la garantie de l'État joue, pour 60 %, les 40 % restants étant pris en charge sur nos fonds propres. Ce qui induit, de fait, une politique de risque assez prudente. Nous ne pouvons pas accorder de préfinancement à n'importe quel type d'entreprise.

M. Jean-Pierre Vial. - On se félicite partout du succès de Bpifrance. Cette réussite tient-elle au fait que vous ne prenez que des risques modestes ? La R&D n'exige-t-elle pas, pourtant, que l'on sache prendre des risques ?

Mme Laure Reinhart. - Dans le domaine de l'innovation, on prend des risques sur tous les dossiers. Nous travaillons sur des fonds de l'État, et nous les dépensons intégralement. J'ajoute que nous agissons en complémentarité avec les banques.

S'agissant des autres volets d'intervention de Bpifrance, nous avons une politique de risques modérée, qui n'en a pas moins permis d'accompagner nombre d'entreprises dans des projets ambitieux. Choisir les bonnes entreprises, c'est aussi garantir que les moyens qui nous sont alloués sont bien utilisés.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Une question de déontologie, pour finir. Est-il acceptable, d'après vous, d'être à la fois le PDG d'un grand groupe coté et l'actionnaire dirigeant d'une société de gestion de patrimoine qui propose des fonds intervenant dans le périmètre économique de la société cotée en question ?

Mme Laure Reinhart. - Nous faisons tout, à BPIfrance, pour essayer de bien délimiter les secteurs, et chacun sait s'en tenir à sa propre activité. Mais nous n'avons pas de muraille de Chine au milieu de nos couloirs...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Vous n'avez pas connaissance de conflits d'intérêt ?

Mme Laure Reinhart. - Il ne m'en vient pas à l'esprit.

La réunion est suspendue à 14 h 50.

Audition de M. Didier Roux, directeur de la recherche, du développement et de l'innovation de Saint-Gobain

La réunion est reprise à 16 h 05.

M. Francis Delattre, président. - En introduction, vous nous présenterez l'appréciation que fait votre entreprise du crédit d'impôt recherche (CIR) et vous nous préciserez si vous estimez que des améliorations peuvent être apportées au dispositif, notamment en ce qui concerne les contrôles fiscaux. Nous vous écoutons.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Didier Roux et Lucien Figuié prêtent successivement serment.

M. Didier Roux, directeur de la recherche, du développement et de l'innovation de Saint-Gobain. - D'abord, quelques mots sur mon parcours, un peu atypique pour une grande entreprise. Je suis avant tout un chercheur, j'ai passé 25 ans au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) au sein duquel j'ai été directeur de recherche d'un grand laboratoire pendant un certain temps. J'ai aussi créé des start-ups dans les années 1990 et je suis désormais directeur de la recherche d'un grand groupe international.

M. Francis Delattre, président. - Vous avez vendu votre start-up ?

M. Didier Roux, directeur de la recherche, du développement et de l'innovation de Saint-Gobain. - Non, j'ai créé deux start-ups, dont une a été fermée parce qu'elle n'a pas très bien réussi, et une autre a plutôt bien réussi. J'en reste un actionnaire éloigné et je ne m'en occupe plus.

Bien qu'ici pour représenter Saint-Gobain, je crois comprendre assez bien le monde public de la recherche et le milieu des start-ups, des petites et moyennes industries (PMI) et des petites et moyennes entreprises (PME), de même que celui des grands groupes puisque je suis maintenant membre de cette honorable institution qu'est Saint-Gobain.

Comment, en tant que directeur de la recherche, du développement et de l'innovation d'un groupe industriel international, mais de management et statut juridique français, j'envisage et j'utilise le CIR ?

Nous avons bien évidemment une stratégie de développement de la recherche au niveau international qui comporte deux éléments déterminants : d'une part, puisque notre société a été créée il y a 350 ans en France, l'histoire nous porte à y demeurer très présents (nous réalisons, dans l'Hexagone, 9 % de notre chiffre d'affaires industriel et 40 % de notre recherche)...

M. Francis Delattre, président. - Et le CIR n'y est pour rien ?

M. Didier Roux. - Dans quelle mesure l'existence d'un CIR peut-elle influencer mon jugement ? Compte tenu de notre développement international, nous devons effectuer une recherche internationale. À Saint-Gobain, nous sommes présents sur des marchés locaux. Une grande partie de nos produits industriels (la plaque de plâtre, le verre, la laine de verre, le mortier...) sont vendus dans les pays où nous les fabriquons. Nos usines sont localisées là où sont nos marchés, pour la simple raison qu'il s'agit de produits qui ne voyagent pas.

Même si 40 % de notre recherche se situe en France, il nous faut répondre à des spécificités d'innovation, à des méthodes de construction des bâtiments propres aux marchés locaux dans lesquels nous sommes présents. Même entre le Sud et le Nord de la France, les méthodes de construction peuvent varier. Nous avons l'obligation de nous adapter au marché mondial. Une de mes responsabilités en tant que directeur de la recherche consiste précisément à adapter notre innovation aux évolutions de nos marchés. Puisque nous allons là où les marchés sont en croissance, c'est-à-dire d'abord aux États-Unis puis en Asie, la part de notre recherche dans ces pays a nécessairement augmenté. Il y a 100 ou 50 ans, 70 %, voire plus de 80 % de notre recherche devait se situer en France. Il faut accepter le fait qu'un groupe international module sa recherche en fonction de ses marchés et des compétences disponibles. Nous devons aller chercher les compétences là où elles sont les meilleures et, de ce point de vue, la France n'est pas si mal placée.

Nous conservons 40 % de notre recherche en France pour des raisons non seulement historiques mais également objectives : la France est un pays où il fait bon faire de la recherche. C'est un pays qui forme des gens de haut niveau, au meilleur niveau international, qui offre des qualités de personnes et d'organisation propices à la recherche dont le CIR fait partie, mais ce n'est pas le seul élément. Si 40 % de notre recherche est localisée en France, ce n'est pas le seul fait du CIR, c'est qu'historiquement nos centres de recherche ont été créés et se sont développés en France.

M. Francis Delattre, président. - Est-ce à dire que si nous le supprimions...

M. Didier Roux. - Lorsque nous devons réaliser des développements et compte tenu du contexte international, nous avons à prendre des décisions. À titre d'exemple, nous avons ouvert des centres de recherche en Chine en 2005, en Inde en 2012 et nous sommes en train d'en ouvrir un au Brésil en 2015, pour répondre à un besoin d'innovation dans les pays émergents dont les économies sont en croissance. Nous avons eu la chance, à Saint-Gobain, de le faire dans un contexte global de croissance de la recherche : nous avons augmenté nos budgets de recherche, si bien que la création de ces centres de recherche à l'étranger n'a pas pénalisé une augmentation en France, en Europe et aux États-Unis.

Le CIR ne joue pas sur la stratégie globale de la recherche. Il n'influe pas sur ma décision d'ouvrir un centre de recherche dans un pays émergent où j'ai clairement identifié un besoin. En revanche, nous recherchons, dans un centre de recherche, deux qualités importantes : la première, servir nos marchés, c'est-à-dire qu'un centre de recherche sera ouvert là où l'innovation doit répondre à un marché en croissance ; la deuxième, les talents, c'est-à-dire que l'ouverture d'un centre de recherche est subordonnée à la présence de personnes de haut niveau, d'autant plus que Saint-Gobain a la tradition de recruter des chercheurs qui sont destinés à faire carrière dans ses autres départements (production, marketing, management...).

Là encore, l'élément déterminant, c'est l'évolution de notre production industrielle et de nos marchés. Pour autant, à la marge, aux côtés des deux critères précités, un troisième est examiné : le coût. Un directeur de la recherche d'un groupe comme Saint-Gobain n'appréhende pas la France en tant que pays mais plutôt l'Europe en tant que région, au même titre que les États-Unis, l'Asie et l'Amérique du Sud.

Prenons l'exemple de notre centre de recherche en Allemagne à Herzogenrath. Lorsqu'il s'agit d'affecter des moyens ou d'abonder les projets, se pose la question du marché, des talents et du coût. Le marché et les talents, c'est à peu près la même chose en France et en Allemagne : les gens sont bien formés, les marchés sont intéressants. Le coût devient alors un critère, en troisième position certes, à examiner. J'ai constaté vers la fin des années 2000, puisque j'ai pris ma position à Saint-Gobain en 2005, que le coût « environné » d'un chercheur (son salaire plus le coût réuni de tout ce qu'il dépense) était de l'ordre de 10 % plus cher en Allemagne. Aujourd'hui, sans le CIR, c'est l'inverse : un centre en France coûterait 10 % plus cher qu'en Allemagne. Les personnes que je recrute à Cavaillon ou à Aubervilliers coûtent, tous frais compris, 10 % plus cher que les personnes que j'embauche à Herzogenrath. Au cours de ces dix dernières années, le différentiel de coût du chercheur s'est donc inversé entre l'Allemagne et la France. Et, vous le verrez dans les réponses écrites que nous communiquerons à votre questionnaire, c'est essentiellement ce critère là que nous retenons. Toutes choses égales par ailleurs, s'il s'agit de renforcer des moyens de recherche et si c'est équivalent de le faire en Allemagne ou en France du point de vue des talents et du marché, dans ces conditions, le coût devient un argument.

M. Francis Delattre, président. - Quid des aides en Allemagne ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Le taux d'imposition joue...

M. Didier Roux. - En Allemagne, vous n'avez pas l'équivalent du CIR. Vous avez essentiellement des aides sur projet, de trois sortes : les aides européennes, les aides fédérales et les aides des Länder. L'Allemagne a fait le choix de soutenir son industrie et sa recherche au travers de projets, la France a décidé d'intervenir par la voie d'un crédit d'impôt. Je n'ai pas à me prononcer sur ce choix politique, il appartient au législateur.

M. Francis Delattre, président. - Il existe bien en Allemagne un système d'agrément des projets ?

M. Didier Roux. - Absolument.

M. Francis Delattre, président. - Leur ministère de la recherche est-il à la manoeuvre ?

M. Didier Roux. - Je ne connais pas les mécanismes de décision en matière d'attribution des financements publics. Au niveau des Länder, je pense qu'ils se sont dotés d'outils d'évaluation de ces projets, au niveau fédéral, je pense qu'il s'agit plutôt du ministère de l'industrie ou de son équivalent, et au niveau européen, ce sont les autorités chargées de la gestion d'Horizon 2020 ou des programmes spécifiques.

En Allemagne, le poids des Länder est tout à fait important, mais l'État fédéral a mis en place de grands programmes sur des sujets stratégiques, dont l'énergie.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Nous sommes soucieux de l'articulation entre R&D et réindustrialisation. De votre point de vue, quelle est la stratégie, selon vous, la plus pertinente ? La France et son dispositif indifférencié de soutien fiscal ou l'Allemagne et son dispositif ciblé sur projet ? Comment faire pour se réinscrire dans la reconquête de grands projets structurants pour permettre à notre pays de se repositionner sur des axes industriels ?

M. Didier Roux. - Je vais répondre par un tout petit peu d'histoire, l'ayant vécue depuis que je suis rentré à Saint-Gobain.

Il y a onze ans je crois, le Gouvernement, sous la présidence de la République de M. Jacques Chirac, avait demandé un rapport au président de Saint-Gobain de l'époque, M. Jean-Louis Beffa, sur cette question : comment relancer la France et pourquoi fait-elle moins d'innovation que d'autres pays, en particulier l'Allemagne ? Il avait mis en place une commission réunissant des industriels, des universitaires... Sa conclusion était que les secteurs économiques sur lesquels nous étions présents étaient des secteurs qui donnaient moins lieu à faire de la recherche, parce que nous avions manqué les grands virages dans deux secteurs à forte intensité de recherche : les biotechnologies et les technologies de l'information et de la communication (TIC). En revanche, dans les secteurs où nous étions présents, nous avions des niveaux de dépenses de recherche comparables aux autres pays du monde, voire dans certains cas meilleurs que les Allemands.

Cette réflexion avait débouché sur la création de l'Agence de l'innovation industrielle (A2I) qui avait pour objectif de sélectionner des projets pour faire monter en puissance les ambitions industrielles françaises. À la suite des changements de Président de la République et de Gouvernement, l'A2I a été abandonnée et nous avons fait le choix d'un autre levier : le CIR. Une fois que ces choix politiques sont faits par le Gouvernement et le législateur, sur lesquels je n'ai pas à me prononcer, l'industriel exerce ses activités dans le cadre qu'on lui donne.

Ce qui a fondamentalement changé, c'est effectivement d'asseoir totalement le crédit d'impôt sur le volume des dépenses de R&D, après l'avoir auparavant assis, d'abord, sur leur seule augmentation, ensuite sur une base fixe et une base incrémentale. C'est la raison principale pour laquelle ce crédit d'impôt a fortement augmenté.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Je ne cherche pas à faire de la politique, mais quel est le système, de votre point de vue, le plus efficace ? La disparition de l'A2I m'interroge aussi. Est-ce que ce ne serait pas une meilleure voie pour renouer avec la réindustrialisation ?

M. Didier Roux. - S'il s'agit de soutenir les efforts de recherche des entreprises françaises, je pense que les deux sont possibles. Je ne suis pas sûr qu'il soit important de dire qu'un système est mieux que l'autre.

En revanche, quand on a fait des choix, la chose importante est de les faire sur la durée. Le pire pour un industriel est de changer les règles au fur et à mesure. Par pitié, si un système est choisi, qu'il le soit durablement pour nous donner le temps d'entreprendre des investissements sur le temps long.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. -Mais on a le sentiment en France d'avoir une multitude de dispositifs qui se cumulent ou pas, mais dont on ne saisit pas vraiment la cohérence stratégique. On n'a pas de lisibilité...

M. Didier Roux. - On a surtout une multitude de structures publiques, ça je ne le nie pas. Venant du monde de la recherche publique, j'ai vécu la création des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), les pôles de compétitivité, les initiatives d'excellence (Idex), les instituts de recherche technologique (IRT)... Une partie de ces instruments sont liés au transfert de technologies, ils sont à la fois nombreux et importants.

M. Francis Delattre, président. - La pertinence du système n'est pas la même pour le grand groupe ou la PME. Le grand groupe peut s'inscrire dans une planification en ciblant son secteur d'intervention. Les PME ne se mettront jamais dans un système de planification qui est contraire à ce qu'elles sont.

M. Didier Roux. - Nous n'avons pas de problème de principe à nous adapter à des grands projets. Historiquement, la France a soutenu sa recherche par des projets et continue à le faire dans une certaine mesure, et quand vous observez les secteurs soutenus, la stratégie est très claire : l'aérospatial et la défense. En comparaison, dans le domaine des matériaux et de la chimie, les soutiens sur projet ont été beaucoup plus faibles.

M. Francis Delattre, président. - Prenons l'exemple du plâtre. Dans nombre de pays nordiques, le plâtre est produit à 80 % à partir de rejets de céréales, et le reste est constitué de gypse.

M. Didier Roux. - Nous sommes un grand fabricant de plâtre dans les pays nordiques, probablement le numéro un.

Selon la méthode de calcul, nous dépensons entre 400 et 500 millions d'euros de recherche par an et nous avons environ 3 700 personnels de recherche partout dans le monde. Dans les pays nordiques, nous avons besoin d'innover. Ces pays se caractérisent par des normes assez contraignantes concernant le poids maximum que peut porter un ouvrier. Dans ces pays, nos plaques dépassaient ce poids réglementaire, si bien que celles qui y étaient déposées n'avaient pas la hauteur nécessaire pour atteindre le plafond, leurs dimensions étant aménagées pour permettre leur manipulation. Nous avons introduit une technologie nouvelle qui nous permet de concevoir des plaques de plâtre allégées montant jusqu'au plafond. Tout en conservant les mêmes propriétés mécaniques et acoustiques, ces plaques plus légères nous ont permis de mieux nous positionner par rapport à nos concurrents.

M. Francis Delattre, président. - Votre nouveau produit est-il aussi constitué à 80 % de rejets de céréales ?

M. Didier Roux. - Je parle de plâtre fait à partir de gypse qui est un matériau recyclable...

M. Francis Delattre, président. - Justement, je trouve qu'on devrait en économiser, et on me présente, vos concurrents ou peut-être vous-mêmes, des produits constitués au moins à 80 % de recyclables de céréales (tiges de blé, de maïs...). Cela s'inscrit-il dans vos recherches ?

M. Didier Roux. - Oui, bien sûr, nous disposons d'un programme de recherche transversal sur la chimie verte dans les produits pour la construction. Mais le juge de paix dans ce type de produits, ce n'est pas que l'origine du produit, c'est aussi l'analyse de son cycle de vie complet. Bio-sourcé ou pas, c'est intéressant ou ça ne l'est pas, ce qui compte c'est l'impact sur l'environnement. Nous promouvons de plus en plus l'idée que tous les produits dans le monde de la construction doivent faire l'objet d'une analyse de leur cycle de vie complet et c'est l'impact sur l'environnement global (quantité d'eau nécessaire, usage de pesticides...) qui permettra de différencier les solutions à faible impact environnemental des autres. Le gypse, s'il est recyclé, est un matériau magnifique.

M. Francis Delattre, président. - Mais la ressource se tarit...

M. Didier Roux. - Si le matériau est recyclé, il se tarira moins vite.

Sur la courbe que je vous présente, vous pouvez voir que nous avons globalement augmenté depuis 2005 nos dépenses de recherche, en France et dans le monde. De 2005 à 2008, vous pouvez constater que les dépenses mondiales ont progressé plus vite que les dépenses en France. De 2008 à 2014, la situation s'inverse. Le pic que vous observez s'explique par notre incursion dans le photovoltaïque qui s'est révélée infructueuse, en raison de la surcapacité chinoise. L'impact financier de l'épisode du photovoltaïque s'est plus fait ressentir sur les dépenses de recherche dans le monde qu'en France où elles se sont stabilisées. Cela me permet d'illustrer mon propos sur le CIR. Le CIR n'a évidemment pas d'effet sur l'augmentation des courbes, ni sur la décision de localiser un centre de recherche. En revanche, lorsque nous devons procéder à des réorganisations et que nous sommes confrontés à des problèmes de coûts, le comparatif d'un pays par rapport à un autre peut jouer sur les décisions d'allocation des dépenses de recherche.

Bien sûr le CIR n'est pas la panacée, mais il influence les décisions d'un grand groupe comme Saint-Gobain qui continue d'augmenter son budget de recherche, malgré le contexte difficile de la construction et du bâtiment.

M. Francis Delattre, président. - Si je comprends bien, le photovoltaïque, vous avez abandonné...

M. Didier Roux. - Pour des raisons historiques, Saint-Gobain n'aime pas perdre de l'argent dans un business où, du reste, tout le monde a perdu beaucoup d'argent. Je vous rappelle la situation mondiale : il n'y a quasiment plus que des producteurs chinois, à l'exception de deux, First Solar et Sunpower, fabricants américains dont les business-models ont changé pour produire de l'électricité, seule activité engendrant du revenu, et ne plus se limiter à la seule fabrication de panneaux photovoltaïques. Ils sont allés vers l'aval pour retrouver de la valeur. Ils fabriquent, installent et font fonctionner des centrales électriques. Sunpower a été racheté par Total et est l'une des rares sociétés non chinoises qui actuellement parviennent à vivre dans le domaine du photovoltaïque.

M. Francis Delattre, président. - Nous avons voté gaillardement un plan pour le photovoltaïque jusqu'en 2025... Je ne suis pas sûr que le secteur soit définitivement condamné.

M. Didier Roux. - Ceux qui fabriquaient des modules photovoltaïques ont perdu de l'argent, la production d'électricité est devenue plus rentable. Il faut viser les retours sur investissement sur du temps long.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Je voulais vous réinterroger sur les montants annuels perçus par Saint-Gobain au titre du CIR.

Avez-vous fait l'objet de contrôles fiscaux ? Si oui, quelles en ont été les suites ?

Avez-vous été amenés à abandonner des projets de recherche qui ont donné lieu à l'attribution de CIR dans les proches années suivant cette attribution ?

Avez-vous été confrontés à des changements d'affectation ou de propriété de bâtiments éligibles au CIR ?

J'ai cru comprendre que vous aviez demandé le retrait d'agrément de deux entités prestataires de services de R&D qui se situaient dans votre galaxie. Pourquoi ?

La question n° 7 du questionnaire nous intéresse particulièrement : quelle est la proportion de la R&D de l'entreprise localisée en France ? Pouvez-vous nous indiquer si cette proportion se retrouve dans les revenus perçus au titre des licences ou redevances liées à la propriété des droits incorporels constitués au terme des programmes de R&D de l'entreprise ? Pourrions-nous avoir accès à une carte illustrant ce type de revenus ?

M. Didier Roux. - Le montant de CIR perçu est de l'ordre de 50 millions d'euros, il est stable depuis quatre ou cinq ans. Il était de 15 millions d'euros avant 2007.

Ce CIR est généré par un certain nombre d'entités qui correspondent à des produits et des marchés complètement différents. Même si le montant du CIR est globalisé au niveau de la holding, chaque société touche un CIR qui correspond à la recherche qu'elle réalise dans son secteur d'activité. Nous avons ainsi des différences très fortes de retours de la recherche selon l'activité : on fait beaucoup plus de recherche dans les matériaux dits de haute performance (soit 3 % à 4 % du chiffre d'affaires), quand notre filiale dans le verre, Verallia, se situe à 0,2 % ou 0,3 % de R&D sur le chiffre d'affaires.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Le CIR est donc bien redistribué à chaque entité ?

M. Didier Roux. - Absolument. Notre situation fiscale est complètement neutre, chaque entité déclare et récupère son CIR et se comporte donc comme si elle était indépendante car elle est parfois en concurrence avec d'autres sociétés dans son secteur.

Le taux de contrôle fiscal lié au CIR ou à notre fiscalité en général est compris entre 80 % et 90 %. Tous les ans, pratiquement toutes nos déclarations fiscales sont contrôlées. L'ensemble du résultat de ce contrôle correspond à un redressement inférieur à 5 % du montant de CIR.

M. Francis Delattre, président. - L'expert scientifique et technique qui accompagne le contrôleur des impôts vous satisfait-il ?

M. Didier Roux. - Il ne nous satisfait pas du tout. Nous avons eu à la fois des contrôles effectués exclusivement par des contrôleurs des impôts, et des contrôles techniques demandés au ministère de la recherche. Nous ne pensons pas que le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche soit bien placé pour effectuer la validation technique des programmes de recherche des entreprises.

À l'époque de l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR), des experts économiques côtoyaient des experts techniques. Ces derniers étaient issus du monde industriel et se montraient très pertinents dans leurs interventions. Ce n'est plus la même chose au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche où ce sont des chercheurs habitués à travailler dans le milieu de la recherche fondamentale qui sont amenés à juger de projets industriels. Les quelques cas qui me sont revenus me laissent dire qu'il existe une distance assez grande entre leur capacité d'appréciation et la réalité de ce que nous faisons.

Vous m'avez proposé de vous soumettre quelques pistes d'amélioration : je suis tout à fait favorable aux contrôles - dès lors que l'État donne de l'argent à une entreprise, il est normal que celle-ci soit contrôlée et nous n'avons aucune récrimination à ce sujet. En revanche, nous avons besoin d'être contrôlés par des gens qui nous comprennent et qui connaissent la nature d'un programme industriel de recherche. Nous préférerions donc que les experts soient issus du ministère de l'Industrie plutôt que de celui de l'Enseignement supérieur et la recherche. Se pose ensuite la question de la disponibilité de tels experts techniques : j'ai cité l'ANVAR car, lorsque j'avais travaillé avec eux, je les avais trouvés très compétents. Ce qui est certain, c'est que ce n'est pas au ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche que l'on trouvera les meilleurs experts en matière industrielle.

Concernant l'agrément, je vais laisser Lucien Figuié répondre à cette question.

M. Lucien Figuié, directeur des relations institutionnelles de la R&D de Saint-Gobain. - Nous avons procédé l'année dernière au retrait de deux agréments de deux de nos filiales, essentiellement suite à l'instruction fiscale d'avril dernier qui avait modifié l'interprétation que l'on pouvait avoir de l'imputation du CIR entre le donneur d'ordre et le sous-traitant. Comme nos filiales étaient agréées de façon non complétement justifiée, dans la mesure où nous ne fournissions pas de prestations de recherche pour des entreprises extérieures à Saint-Gobain, et face à la difficulté d'anticiper les conséquences du changement de doctrine de l'administration fiscale, nous avons préféré prendre les devants et nous retirer d'un agrément qui était, de toutes façons, inopérant.

M. Didier Roux. - Je reviens au fait que nous travaillons sur des marchés locaux et comme vous le savez, bien que travaillant sur des marchés locaux, la proportion de recherche que nous menons en France est largement supérieure à l'activité industrielle et commerciale.

Nous avons différents modèles d'entreprises à l'intérieur de Saint-Gobain, qui chacune a son activité propre. Par exemple, Sécurit fait des pare-brise pour l'automobile et a pour clients les « grands » de l'automobile, contrairement à Isover qui fabrique de la laine de verre et qui travaille avec les distributeurs, les artisans... Ces deux entreprises ont des modèles très différents de propriété industrielle et de retour de cette propriété. Dans la partie vitrage, historiquement, la recherche est payée par l'ensemble des filiales étrangères et françaises, bien que la recherche soit principalement menée en France. En d'autres termes, tout le monde contribue en fonction de ses revenus, ce qui constitue un pot commun redistribué dans les centres de recherche, essentiellement français. Tout le monde contribue donc à générer une protection industrielle. Les brevets sont en général français car historiquement, la France est au coeur du dispositif de recherche en matière de vitrage (nous ne sommes quasiment pas présents sur le marché américain, sauf en ce qui concerne un verre très moderne : le verre électrochrome, qui change de teinte grâce à un courant électrique). Bien que ces brevets soient français, tout le monde en bénéficie.

En revanche, pour d'autres filiales, le modèle n'est pas identique : la recherche est faite plutôt par la filiale française qui donne des licences à l'étranger. Le flux est alors principalement depuis l'étranger vers la France. Il peut être utile de rappeler un chiffre : 40 % de la recherche est menée en France, mais 56 % des brevets déposés le sont dans l'hexagone. Cela provient de la structure de la recherche chez Saint-Gobain.

M. Daniel Raoul. - Vous avez évoqué les différents secteurs du groupe Saint-Gobain. La politique de recherche et développement est-elle autonome dans chacune des filiales ? Autrement dit, en quoi consiste exactement votre rôle en tant que directeur de la recherche ?

M. Didier Roux. - Deux niveaux coexistent : le premier est complétement sous le contrôle des entreprises industrielles locales, de façon à ce qu'elles puissent servir leur marché, et cela représente environ 80 % des dépenses. Les 20 % restants - et ce n'est pas négligeable - sont contrôlés par le directeur de la recherche et de l'innovation au niveau de la compagnie et permettent de mener à bien trois missions : l'exploratoire, le transversal et le stratégique.

L'exploratoire concerne essentiellement les relations avec les universités, la politique de laboratoire mixte avec le CNRS ou d'autres institutions...

M. Daniel Raoul. - Il s'agit plutôt de recherche fondamentale...

M. Didier Roux. - En effet, vous avez raison.

Le transversal, c'est se rendre compte qu'il y a des technologies clés utiles pour plusieurs de nos activités. Je prends l'exemple de l'acoustique : elle est très importante pour les pare-brise, mais également pour les plaques de plâtre, les fenêtres... Les programmes transversaux servent à faire profiter plusieurs de nos activités de la compétence du groupe.

Le stratégique consiste à explorer de nouveaux secteurs d'activité pour ouvrir nos marchés. Par exemple, l'arrivée de l'éclairage électronique, alors même que Saint-Gobain n'est pas dans l'éclairage, est une opportunité pour le groupe en intégrant l'éclairage électronique à nos matériaux de construction (plafonds, plaques de plâtre...).

M. Daniel Raoul. - Quel regard portez-vous sur le brevet unique européen ?

M. Didier Roux. - Je ne suis pas un spécialiste de la question mais je m'en préoccupe. Dans mes discussions avec les responsables des brevets, je leur pose la même question. La réponse qu'ils me font est qu'aujourd'hui, Saint-Gobain a l'habitude de déposer ses brevets pour la moitié en France, pour l'autre moitié dans le reste du monde. Nous avons déjà déposé quelques brevets européens. Ce qui nous préoccupe essentiellement, c'est la question du coût : sera-t-il plus bas, comme espéré, lorsque le système sera bien en place ? Aujourd'hui, mes interlocuteurs ne s'engagent pas sur ce point. Ils ne sont pas encore complétement convaincus que l'objectif de baisse des coûts, en comparatif notamment avec les États-Unis, sera tenu.

Soyons clairs : si le brevet européen est moins cher et plus opérant, je pousserai fortement en ce sens.

M. Daniel Raoul. - Pourriez-vous développer la comparaison que vous faites entre le brevet des États-Unis et le brevet européen ?

M. Didier Roux. - On me parle de frais de traduction, de nécessaire re-dépôt dans les différents pays... Je suis, comme vous, plutôt content de voir ce projet se développer. Nos organisations ont un certain nombre d'habitudes : il faudra sans doute les pousser à aller plus vers ce brevet.

M. Daniel Raoul. - Les réticences au sujet du brevet européen dont j'ai eu l'écho ne concernaient pas tant le coût que le risque juridique et économique, en l'absence d'une jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l'Union Européenne.

M. Didier Roux. - C'est aussi une des inquiétudes de mes interlocuteurs, en effet. C'est le problème de l'oeuf et de la poule...

M. Daniel Raoul. - Quid du photovoltaïque ? Il y a un créneau relativement important sur les capteurs à base de composants organiques - et non plus de silicium et de ses dérivés. Il me semble que l'enjeu, en termes de rendement et de performance, est crucial. Le groupe Saint-Gobain ne dispose-t-il pas d'atouts pour mener un tel projet ?

M. Didier Roux. - Nous sommes très attentifs à ce domaine et avons mené nombre de travaux exploratoires autour de ce sujet, y compris au Japon, où nous avons mis en place un laboratoire mixte car dans ces domaines la recherche nippone est très en avance au niveau technologique et fondamentale. Nous travaillons notamment avec le Nims, un des meilleurs laboratoires au monde. De façon peut-être un peu caricaturale, je dirais que la baisse rapide du coût du module photovoltaïque de silicium, lié à la surcapacité chinoise, a quelque part ralenti la pénétration des nouvelles technologies. Je partage votre intérêt et votre vision que ce seront des technologies intéressantes mais, sur le terrain, l'intérêt pour ces sujets a baissé car la baisse des coûts sur la technologique traditionnelle n'incite pas à l'innovation.

M. Francis Delattre, président. - Le CEA est en pointe sur ces sujets, n'est-ce pas ?

M. Didier Roux. - Le CEA est en effet un acteur important, mais aujourd'hui ces technologies sont devenues un peu lointaines.

M. Daniel Raoul. - Le calcul des coûts devrait aussi prendre en compte les conséquences environnementales - dans ce cas, les composants organiques seraient concurrentiels.

M. Didier Roux. - Quoiqu'il en soit, ils le deviendront.

M. Jean-Pierre Vial. - Je vois que Daniel Raoul est pratiquement parvenu à vous convaincre que vous reviendriez aux technologies photovoltaïques...

M. Didier Roux. - Pourquoi pas ?

M. Jean-Pierre Vial. - La maison est particulièrement bien placée pour ce faire...

M. Didier Roux. - En effet.

M. Jean-Pierre Vial. - Vous avez fait état de votre passé. Concernant la recherche et développement, mobilisez-vous les capacités des universités et quelles sont les expériences que vous avez dans des pays voisins ? On sait qu'en Allemagne, les relations entre l'industrie et les universités sont beaucoup plus étroites.

Travaillez-vous de façon fréquente avec les PME, et comment la recherche peut-elle permettre de lier PME et grands groupes ?

M. Didier Roux. - Nous avons fortement augmenté dans les dix dernières années, pour partie du fait du CIR, nos relations avec le monde universitaire. C'est pour nous une source constante à la fois d'inspiration et de développement de compétences, mais aussi de recrutement de gens de talents. Nous recrutons, au centre de recherche d'Aubervilliers, le plus amont, une forte majorité de docteurs. Il s'agit d'une évidence aux États-Unis ou en Allemagne, moins en France.

Avant 2005, nous recrutions environ 14 docteurs par an, après 2007, nous en recrutons environ 27.

M. Francis Delattre, président. - Monsieur le Directeur de la recherche et de l'innovation, nous vous remercions : vous êtes clair, tonique, vous croyez à votre affaire. C'est parfait. Monsieur Figuié, vous reviendrez certainement pour d'autres occasions. Merci encore de vous être dérangés.

Audition de M. Loïc Rivière, délégué général de l'AFDEL, de M. Stéphane Lacrampe, président d'OBEO et de Mme Diane Dufoix, responsable senior des affaires publiques de l'AFDEL

M. Francis Delattre, président. - Nous recevons aujourd'hui Monsieur Loïc Rivière, délégué général de l'Association française des éditeurs de logiciels, l'AFDEL, Monsieur Stéphane Lacrampe, président d'OBEO, entreprise éditant et développant des logiciels et Madame Diane Dufoix, responsable senior des affaires publiques de l'AFDEL. Monsieur Thibault de Tersant, Vice-Président de l'AFDEL et senior executive VP de Dassault Systèmes aurait également dû être présent, mais il ne pourra finalement pas se joindre à nous.

L'AFDEL représente la profession d'éditeur de logiciels et de solutions Internet en France. Elle compte aujourd'hui plus de 350 membres, pour un chiffre d'affaires global de 8 milliards d'euros. Nous avions rencontré, au début de nos travaux, le Syntec numérique, syndicat patronal des entreprises du numérique.

Nous avions rencontré, au début de nos travaux, le Syntec numérique, syndicat patronal des entreprises du numérique. Nous poursuivons le dialogue avec vous, car nous pensons que vous pouvez peut-être nous éclairer, non seulement sur l'intérêt que votre secteur porte au CIR - et nous ne doutons pas de l'existence de cet intérêt - mais aussi sur vos relations avec l'administration fiscale. Nous souhaiterions également que vous nous disiez un mot des cabinets de consultants pour l'obtention du CIR. Ils sont depuis très longtemps critiqués : nous faisons des notes, des questions écrites, et rien ne change.

La commission d'enquête est constituée de vingt-et-un membres, à la proportionnelle des groupes du Sénat. Il existe un droit de tirage qui permet à chaque groupe politique représenté au Sénat de demander la création d'une commission d'enquête une fois par an. Cette commission d'enquête a été créée à l'initiative du groupe CRC auquel appartient Brigitte Gonthier-Maurin, notre rapporteure.

L'ambition de cette commission n'est pas, il me semble, de supprimer le dispositif, mais avant tout de l'améliorer. Nous recevrons bientôt des économistes dont les travaux nous permettront certainement d'apprécier l'efficacité de ce crédit d'impôt.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Loïc Rivière, Stéphane Lacrampe et Mme Diane Dufoix prêtent successivement serment.

M. Loïc Rivière, délégué général de l'AFDEL. - Je commencerai par présenter l'AFDEL, puis le rôle du crédit d'impôt recherche pour nos adhérents, avant de rentrer dans le détail des sujets que vous avez évoqués. Merci de nous recevoir ; nous en avions fait la demande car le sujet du CIR est très important pour les éditeurs que nous représentons.

Nous comptons, vous l'avez rappelé, environ 350 entreprises, qui présentent une hétérogénéité assez forte : nous avons de grands groupes nationaux, des « champions » comme Dassault systèmes, mais aussi un grand nombre de PME et de start-ups innovantes et enfin des plates-formes internationales que tout un chacun connaît dans le domaine du logiciel et d'internet.

Vous avez rencontré d'autres représentants de la profession ; peut-être faut-il rappeler ce qui différencie les éditeurs de logiciels, que nous représentons, des sociétés de service en ingénierie informatique (SSII) : les éditeurs de logiciels sont des acteurs innovants qui fabriquent un produit sur la base d'efforts de recherche et développement puis le mettent sur le marché - ils assument donc une part de risque liée à l'innovation - tandis qu'une société de service réalise un développement spécifique, sur la base d'un cahier des charges, pour un client. Cette différence est importante, car le positionnement est très différent par rapport à l'innovation, à la propriété intellectuelle donc par rapport à la recherche et développement.

Les éditeurs investissent en général entre 20 % et 30 % de leur chiffre d'affaires en recherche et développement. Deux à trois ans sont nécessaires avant de mettre en produit sur le marché : cela exige un investissement très important en amont, avec un risque élevé lié à l'innovation. Nous touchons parfois à des usages qui n'existent pas encore, et que nous anticipons.

Il faut également indiquer que les banques ne suivent pas cet effort de recherche et développement. Le modèle de financement est donc particulier et s'appuie sur les aides publiques : statut de la jeune entreprise innovante (JEI), crédit impôt recherche (CIR), et sur tout un écosystème qui va des « business angels » aux « venture capitalists », investisseurs en capital-risque, qui ont une place très importante dans notre modèle de croissance. Aujourd'hui émergent des modèles économiques nouveaux qui fragilisent encore davantage le financement de la croissance : on vend de plus en plus des logiciels par abonnement. Un certain nombre d'années est alors nécessaire avant de rentabiliser la recherche et développement. Auparavant étaient surtout vendues des licences perpétuelles, permettant de financer beaucoup plus aisément l'innovation.

La commission d'enquête s'est donnée pour objet de travail un éventuel « détournement » du CIR, c'est-à-dire un détournement par rapport à ses objectifs initiaux. Il est nécessaire de s'entendre préalablement sur les finalités du dispositif. D'ailleurs, lors de nos recherches sur la nature des objectifs, nous avons observé une certaine diversité des documents les uns par rapport aux autres.

D'un point de vue micro-économique, le CIR vise avant tout le soutien à l'effort de recherche des entreprises et vise à pallier les défaillances du marché en matière de risque et de financement de l'innovation. Mais existe également un objectif macro-économique voire politique : soutenir la compétitivité des entreprises soulève un enjeu d'indépendance technologique pour le pays, voire de souveraineté nationale. Quand on touche à ce dispositif, on atteint également ses finalités. Pourquoi, aujourd'hui, la France est-elle le champion du soutien à la recherche et développement en Europe ? Parce que nous ne sommes pas les champions de la recherche et développement privée. Le rapport de l'IGF de 2010 montrait qu' « avec une dépense intérieure de R&D exécutée par les entreprises (DIRDE) de 1,32 % du PIB en 2008 (sur 2,08 % de dépense totale de R&D), la France se situe légèrement au-dessus de la moyenne de l'Europe des 15 (1,22 %), mais au-dessous de la moyenne de l'OCDE (1,55 %). Elle est largement devancée par le Japon (2,68 %), l'Allemagne (1,83 %) et les États-Unis (2,01 %) ». Il faut avoir cette réalité à l'esprit : le CIR s'inscrit dans une stratégie nationale de maintien des capacités d'innovation au rang des grandes puissances. Le contexte est celui d'une concurrence des écosystèmes sur le plan international, y compris en matière de recherche et développement. Le secteur du jeu vidéo a ainsi vu une grande partie de ses cerveaux, en raison de dispositifs fiscaux attractifs, partir au Canada. Le CIR a le mérite de maintenir notre attractivité vis-à-vis des autres territoires. Un pays qui perd ses cerveaux perd sa capacité d'innover, ce qui l'empêche de rivaliser avec les grandes puissances économiques. La France est dotée d'une excellente recherche mais, au regard des besoins de notre industrie en matière de recrutements, encore trop rare. Notre secteur a beaucoup de mal à recruter. Puisque cette main-d'oeuvre est rare, elle est aussi chère. Le CIR permet de pallier cette déficience du marché en rendant la recherche française, déjà très qualitative grâce à notre excellent outil de formation, attractive en termes de coût pour les entreprises.

Le CIR n'est évidemment pas perçu de la même façon par les PME ou les grands groupes présents à l'international. Pour les PME, Stéphane Lacrampe en témoignera, le CIR est décisif : en matière d'emplois, il arrive souvent que les embauches soient rendues possibles par le CIR.

Le CIR est-il aussi important pour les grands groupes ? On touche là un sujet sensible. Je dirais qu'il est important que les grands groupes localisent leurs efforts de recherche en France. Le CIR, s'il n'est pas forcément démontré qu'il crée, en solde, des emplois en matière de recherche et développement, il est en revanche établi qu'il permet de maintenir le niveau d'emploi en recherche. Nous avons perdu beaucoup de centres de production qui ont été relocalisés dans des pays attractifs, mais nous avons encore aujourd'hui les centres de recherche et développement.

Quant aux grands groupes internationaux, ils localisent depuis quelques années un certain nombre de centres de recherche en France dans le domaine du numérique, ils nouent des partenariats public-privé avec des laboratoires et là aussi, de notre point de vue, nous devons nous en réjouir, car ce sont ces grands groupes qui tirent l'innovation dans le monde et le fait que notre recherche publique ou privée soit reliée par des partenariat est essentiel pour notre capacité d'innovation et notre tissu productif.

Pour finir, faut-il réformer le CIR ? Que faire face à la fraude ?

Oui, un certain nombre d'entreprises peuvent détourner le CIR, mais le solde global est positif pour l'économie. Il est donc indispensable de préserver le dispositif. Je ferai référence à Christine Lagarde, très investie sur le sujet quand elle était ministre des finances : « ma préférence absolue est qu'on ne touche pas au système, qu'on ne le déstabilise pas, ni au motif qu'il privilégierait de grandes entreprises, ni au motif qu'il privilégierait des entreprises qui ont à dessein ?saucissonné? leurs investissements en créant des filiales ici ou là, ni même au motif que, peut-être, à la marge, il y a un peu de fraude. Introduire des variations, déséquilibrer un système enfin équilibré me paraît dangereux pour l'innovation dans notre pays, laquelle est déterminante pour sa compétitivité ».

Effectivement, les entreprises investissent en recherche et développement sur des projets de long terme. Le CIR a été maintes fois réformé. Nous nous réjouissons de la « sanctuarisation » annoncée par le président de la République et nous pensons que la priorité doit aller à la stabilisation.

Pour autant, puisque votre perspective est celle de la réforme, nous avons quelques pistes d'amélioration, à la marge, que nous vous soumettrons.

M. Francis Delattre, président. - Je vous remercie. La parole est à Stéphane Lacrampe.

M. Stéphane Lacrampe, président de l'entreprise OBEO. - Je suis ici pour apporter un témoignage : que fait-on, dans une PME, avec le crédit d'impôt recherche ?

Je suis président de la société OBEO, que j'ai fondée en 2005. Nous comptons 65 collaborateurs. Nous réalisons 30 % de notre chiffre d'affaires à l'international et nous adressons essentiellement aux « grands comptes », c'est-à-dire aux grands groupes. Notre métier n'est pas très facile à expliquer : nous développons des logiciels permettant à nos clients de maîtriser la conception ou l'opération de systèmes complexes. Par exemple, dans le domaine spatial, nos technologies sont utilisées quand on doit passer d'une expression de besoins à un cahier des charges détaillé qui doit pouvoir être remis à des sous-traitants pour fabriquer le système. Cette phase de définition des spécifications détaillées nécessite la collaboration d'équipes larges et pluridisciplinaires. Pour faire collaborer toutes ces personnes, construire un système cohérent et optimal par rapport à l'ensemble des contraintes existantes, qui peuvent être de coût, réglementaires, physiques, des technologies avancées sont nécessaires : nous les développons et les déployons auprès de nos clients dans plusieurs domaines dont l'aéronautique, la défense et l'énergie.

Développer ces technologies demande un effort de R&D très conséquent : nous y consacrons 30 % de notre chiffre d'affaires depuis notre création. Nos collaborateurs sont quasiment tous de niveau bac +5 à bac +8. Ces investissements nous permettent de nous développer sur un marché dont les concurrents sont de grands éditeurs internationaux, américains notamment, tels qu'IBM. Nos clients recherchent, dans notre offre, des facteurs différenciateurs en termes d'innovation, de technologie et de savoir-faire.

Pour financer cet effort de R&D, nous recourons au bénéfice de notre activité commerciale. Le CIR, couplé à des subventions à travers des projets collaboratifs, vient jouer un rôle de démultiplicateur dans notre capacité à investir en R&D, de l'ordre d'un facteur deux. Développer des logiciels coûte très cher et nécessite d'être perpétuellement innovant.

Le CIR est un enjeu important pour une start up comme la nôtre. Non pas pour faire de l'optimisation fiscale, mais pour bénéficier d'un effet de levier direct, l'argent qui nous est reversé nous permettant d'embaucher du personnel de recherche. Tout changement de son cadre législatif est donc susceptible d'affecter notre trésorerie.

Ainsi, un Bulletin officiel des finances publiques-impôts (Bofip) du 4 avril 2014 est venu modifier la façon dont la sous-traitance est comptabilisée dans la déclaration du CIR. S'il était sans doute motivé par un désir louable d'éviter une double déduction, il fait peser sur le sous-traitant le risque d'un crédit d'impôt négatif, c'est-à-dire finalement d'imposer la R&D. Le Bofip nous oblige en effet à déclarer le chiffre d'affaires réalisé dans le cadre de la sous-traitance. Or, une société vend une prestation avec un objectif de marge. Ainsi, le chiffre d'affaires réalisé est par définition supérieur aux coûts, si bien que le crédit d'impôt, qui fait la différence entre le produit de la vente et les coûts, va être négatif. Certaines sociétés, dont la nôtre, ont donc décidé de se retirer de l'agrément du CIR pour éviter ce risque.

M. Francis Delattre, président. - Nous touchons là à un point sensible, que nous voulons bien comprendre. Vous êtes une société de services ...

M. Loïc Rivière. - Nous sommes éditeurs, donc nous vendons des produits, mais également des services d'accompagnement de la clientèle dans leur mise en oeuvre.

M. Francis Delattre, président. - La règle est que, dans les relations avec les sous-traitants, ce soit le donneur d'ordre qui récupère le CIR. Comment vous situez-vous à cet égard ?

M. Loïc Rivière. - La règle à l'origine, en fait, était que le donneur d'ordre déclare le CIR, à défaut de quoi le sous-traitant peut le faire, en fournissant alors à l'administration un justificatif en ce sens. Le Bofip est venu retirer du CIR le chiffre d'affaires réalisé dans le cadre de la sous-traitance, ce qui n'était pas prévu dans la loi. Le bulletin va jusqu'à indiquer que si le donneur d'ordre fait du CIR, le sous-traitant qui n'en fait pas devra malgré tout retirer ce chiffre d'affaires.

M. Francis Delattre, président. - Cela fait partie de nos préoccupations : clarifier, uniformiser et sécuriser les procédures de déclaration.

M. Loïc Rivière. - Le dispositif était fiable, pour nous, avant ce Bofip : nous faisions attention à ce que nos activités soient éligibles, et à obtenir dans ce cas un justificatif ...

M. Francis Delattre, président. - Depuis quand le système a-t-il changé ?

M. Loïc Rivière. - Depuis le 4 avril 2014 donc, et de façon rétroactive trois ans avant, ce qui fait peser un risque très important.

Mme Diane Dufoix. - A l'Afdel, nous avons la particularité de représenter des donneurs d'ordre et des sous-traitants. Nous avions à coeur de vous présenter l'impact d'un texte comme ce Bofip, qui nous a pris par surprise et a eu des conséquences sur nos entreprises.

Certains proposent la suppression de l'agrément, suggérant que les dépenses soient prises en compte au niveau du sous-traitant. Nous considérons pour notre part que l'agrément est plutôt un bon système, et qu'il faut en revanche s'assurer que le donneur d'ordre communique les dépenses qu'il déclare comme éligibles au sous-traitant pour éviter ce problème de double prise en compte.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Je souhaiterais que l'on s'attarde sur les problématiques que vous pouvez rencontrer, liées à votre spécificité. L'un des sujets récurrents semble être la difficulté à distinguer ce qui relève de la R&D de ce qui relève de l'innovation ; quelle est votre analyse de ce point de vue ? Comment percevez-vous les contrôles effectués par l'administration fiscale ?

Vous avez cité les objectifs de notre commission d'enquête, dont fait partie la question de l'indépendance nationale. Nous cherchons à savoir s'il y a bien, via la mobilisation du CIR, une progression de l'effort de R&D et de l'emploi scientifique dans notre pays, et si nous en tirons réellement les bénéfices. Pouvez-vous nous donner votre analyse à cet égard ?

Mme Diane Dufoix. - C'est lors des contrôles que l'on découvre des problèmes d'éligibilité. Nous avons réalisé une petite enquête, d'où il ressort que les deux-tiers de nos adhérents en ont subi un au cours des cinq dernières années. Il n'y a pas pour autant de tendance à l'augmentation des contrôles sur le long terme.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Ont-ils lieu sur pièces ?

Mme Diane Dufoix. - Oui. Nos adhérents nous font part de leur caractère douloureux, du fait qu'ils mobilisent en général le président de l'entreprise et qu'ils s'étalent sur plusieurs mois parfois. D'après une estimation qualitative que nous avons faite, 5% du montant du CIR est absorbé dans la gestion par l'entreprise de ces contrôles.

Les expériences sont très disparates, en réalité. Une moitié des entreprises sondées fait état de bonnes relations avec l'expert, l'autre moitié de relations difficiles. De plus, le traitement par l'administration est assez différent selon les territoires. Nous reconnaissons la légitimité de tels contrôles, mais souhaitons sécuriser nos entreprises pour que celles de bonne foi ne soient pas mises en difficulté à cette occasion.

Nous avons constaté une variabilité dans l'interprétation des textes par les experts. Afin de la réduire, nous intervenons, avec le Syntec et aux côtés de l'administration et d'experts référents, dans la commission nationale tripartite sur le CIR. Nous y discutons des notions scientifiques appliquées au champ du numérique pour la mise en oeuvre du CIR, en vue de l'élaboration d'un référentiel spécifique à notre secteur d'activité.

M. Francis Delattre, président. - Combien avez-vous de rescrits chaque année parmi vos membres ?

Mme Diane Dufoix. - Peu. C'est un bon dispositif, que nous soutenons pleinement. Le rescrit « jeune entreprise innovante » (JEI) fonctionne mieux car il est très sécurisant. La question de la rétroactivité pose aujourd'hui problème dans le rescrit CIR, une entreprise pouvant se voir opposer après coup l'inéligibilité de ses dépenses déclarées.

M. Daniel Raoul. - La difficulté vient de la progression de la recherche par rapport au rescrit initial : il faudrait créer un rescrit évolutif ou glissant ...

M. Loïc Rivière. - C'est ce qui existe sur le rescrit JEI.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Où sont basées les entités qui exploitent les logiciels développés en France ? En d'autres termes, existe-t-il en ce domaine des « GAFA à la française », c'est-à-dire des entreprises transférant à l'étranger les revenus des logiciels développés en France ?

M. Loïc Rivière. - C'est difficile de répondre pour l'ensemble des entreprises ... Ces mécanismes d'optimisation sont généralement impossibles à monter pour les PME.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Cela dépend si elles sont rattachées ou non à un grand groupe ...

M. Loïc Rivière. - Celles que nous fédérons à l'Afdel sont indépendantes, à l'instar de la société Obeo. Il est plutôt positif que les entreprises localisent la recherche et l'emploi sur notre territoire, avec les externalités positives que cela induit ; le CIR est, à cet égard, un élément d'attractivité.

M. Francis Delattre, président. - L'objectif n'est pas que d'avoir des emplois de R&D, mais d'en créer de nouveaux sur le territoire et d'embaucher davantage de doctorants. Dans certains secteurs, il ne faut pas que ces emplois s'expatrient au Canada ! Nous aurons là une réflexion à avoir.

M. Loïc Rivière. - C'est vrai que bon nombre de développeurs français font les beaux jours d'entreprises de la Silicon Valley. Cet élément d'attractivité est assez important en effet ; certains secteurs industriels - je citais le cas des jeux vidéo tout à l'heure - ont subi des départs de chercheurs à l'étranger. Pour ce qui est des docteurs, et plus largement des scientifiques, le CIR est l'un des facteurs d'attractivité de ces emplois. Mais il y a en France une forme de défiance entre le monde de la recherche publique et celui de l'entreprise, sur laquelle nous devons travailler. Le CIR n'est qu'un élément de réponse à cet égard.

La limite entre R&D et innovation est en effet source de difficultés dans notre domaine, beaucoup d'éditeurs de logiciels n'en n'ayant pas la même appréciation que l'administration. Le secteur numérique, très innovant, tire la croissance ; lorsque l'on regarde l'évolution de son éligibilité au CIR, on constate qu'elle n'est pas au diapason de ces changements technologiques. Cela parce que de nombreuses innovations relèvent de l'usage, du modèle économique ou du marketing, et ne sont donc pas prises en compte par le CIR. D'où la création du crédit d'impôt innovation, qui laisse cependant beaucoup d'entreprises sceptiques.

M. Stéphane Lacrampe. - Cela rejoint la problématique des contrôles ...

M. Francis Delattre, président. - Il n'y a que très peu de contrôles en matière de CIR !

M. Stéphane Lacrampe. - En tout cas, nous sommes bien prévenus qu'il y a un risque de contrôle fort.

M. Loïc Rivière. - Le principe du contrôle n'est pas discutable. Dans le CIR, il est quasi systématique, sur plusieurs années. Si le périmètre était clair et bien défini, il n'y aurait pas de problème ; or, il y a une mésentente sur ce point entre l'administration et les entreprises. Dans la commission tripartite précédemment évoquée, nous avons beaucoup de mal à avancer sur ce point. Les entreprises souhaitent de la clarification.

M. Francis Delattre, président. - Quel est l'intérêt de développer la R&D si c'est pour fournir des emplois de production dans d'autres pays ? Avons-nous des retours sur investissement des dépenses engagées au titre du CIR à cet égard. Par ailleurs, y-a-t 'il corrélation entre la montée en puissance du CIR et l'évolution de la R&D dans notre pays.

M. Loïc Rivière. - Une entreprise crée un emploi parce qu'elle en a besoin, et pas uniquement parce qu'il existe un dispositif fiscal incitatif. S'agissant de l'implantation des centres de R&D, nous avons de grandes entreprises ayant des processus de production intégrés dans différents pays ; le CIR, qui ne concerne que la R&D, ne peut remettre en cause une telle logique, pensée en fonction d'autres paramètres.

S'il peut avoir un impact sur la localisation de la R&D, le CIR n'en n'aura pas forcément sur celle de la production. Mais pour les entreprises continuant de produire sur notre territoire, il est indispensable qu'elles y localisent également l'amont du processus. Le CIR ne remettra donc pas en question l'organisation de l'économie à l'international ; en revanche, il permettra de maintenir sur notre territoire ce qui peut encore l'être.

M. Daniel Raoul. - Si l'on prend l'exemple des jeux vidéo, secteur soutenu par un crédit d'impôt, et les pratiques de dumping fiscal existant au Québec, il y a bien une problématique de non-retour sur investissement ...

M. Loïc Rivière. - Ce secteur a été affecté par la fuite, non pas seulement des distributeurs et exploitants, mais surtout des créateurs de jeux vidéo, c'est-à-dire des studios de création. Il y a un crédit d'impôt spécifique aux jeux vidéo, mais l'exemple est en effet assez illustratif.

M. Francis Delattre, président. - Il commence en fait à y avoir un mouvement de retour dans le pays d'origine : Apple vient d'implanter sa première usine d'assemblage aux États-Unis. Nous voulons aller en ce sens pour notre pays.

M. Loïc Rivière. - L'entreprise Dassault Systèmes conçoit, développe et produit l'ensemble de ses produits en France ; donc c'est possible dans le logiciel.

M. Francis Delattre, président. - Puisque les économistes nous expliquent que les entreprises mondialisées finissent par s'implanter dans les pays où elles ont un marché, on peut espérer que ce sera le cas dans notre pays. Merci en tout cas pour votre contribution à nos travaux.

La réunion est levée à 18 h 00.