Jeudi 11 février 2016

- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -

Audition de M. Bruno Delsol, directeur général des collectivités locales

M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous recevons le directeur général des collectivités locales, accompagné de Mme Cécile Raquin, son adjointe, de la sous-directrice adjointe des finances locales et de l'action économique, Mme Karine Delamarche, et de Mme Anne Baretaud, cheffe du bureau des concours financiers. Bref, il est venu en force !

Nommé en août 2015, c'est la première fois qu'il s'exprime devant nous. Certains membres de son équipe nous sont déjà connus. Le format de la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) a été évoqué en commission des finances, et MM. Guéné, Mézard et Dallier préparent un rapport sur les conséquences de la baisse des dotations pour les collectivités territoriales. L'état de l'intercommunalité, les communes nouvelles, la place des services de l'État sont autant de sujets qui nous intéressent. Le président du Sénat a mis en place un groupe de travail sur la simplification des normes, notamment en matière d'urbanisme et de droit des sols.

M. Bruno Delsol, directeur général des collectivités locales. - Merci de votre accueil. Je vous parlerai surtout de la réforme de la DGF. Une baisse de 50 milliards d'euros du déficit public est prévue entre 2014 et 2017. L'enveloppe consacrée aux collectivités territoriales diminuera de 11 milliards d'euros dans la même période. Pour 2016, elle sera de 50,24 milliards d'euros, soit 3,2 milliards d'euros de moins qu'en 2015. C'est surtout la DGF qui baissera, même si un effort sera réalisé pour soutenir l'investissement local et pour renforcer la péréquation.

Les dotations de péréquation augmenteront en tout de 317 millions d'euros, et les montants de péréquation horizontale seront accrus de 240 millions d'euros, dont 20 millions d'euros pour le fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF) et 220 millions d'euros pour le fonds régional d'investissement de croissance (FRIC). Au total, la péréquation communale sera de 557 millions d'euros, un montant comparable à celui de l'an passé.

L'investissement local ne doit pas être la variable d'ajustement du redressement des finances publiques. La dotation exceptionnelle de soutien à l'investissement, ouverte dans la loi de finances pour 2016, sera gérée de manière décentralisée, par les préfets de région. Les autorisations d'engagement seront ouvertes pour 2016 afin que l'effet soit rapide. Une enveloppe de 500 millions d'euros sera consacrée aux priorités définies en loi de finances et 300 millions d'euros seront réservés aux projets des bourgs-centres.

La réforme de la DGF, inscrite à l'article 150 de la loi de finances pour 2016, est différée d'un an. Le Gouvernement rendra le 30 juin prochain un rapport sur les effets croisés de cette réforme et de celle des périmètres intercommunaux. Elle a suscité de nombreuses observations, que le Gouvernement accueille dans un esprit d'ouverture, comme l'a récemment rappelé la ministre devant la commission des finances du Sénat, où elle a fait état de la mobilisation des départements ainsi que de celle du Gouvernement. Ses objectifs, assez consensuels, sont de remédier au manque de lisibilité de l'architecture actuelle, dont la logique n'est plus apparente ; de supprimer certains effets de rente liés aux composantes figées, qui compensent des suppressions de recettes parfois anciennes et reflètent davantage les ressources du passé que les charges actuelles ; et, enfin, de réduire le saupoudrage dans la péréquation. Le comité des finances locales a tenu huit séances au printemps dernier, au cours desquelles il est apparu que ces trois problèmes faisaient l'objet d'un diagnostic largement partagé.

La dotation forfaitaire, qui remonte aux années 1960, est trop faible pour les communes les moins peuplées et ne prend pas suffisamment en compte les charges de centralité. La réforme améliore le ciblage de la péréquation et supprime les effets de seuil de la fraction cible. Il s'agit de prendre en compte les charges réelles et de rendre le dispositif plus lisible.

La nouvelle dotation forfaitaire comporte une dotation de base universelle dont le montant par habitant est fixe, une dotation de ruralité compensant la sous-densité, qui est en soi une charge, et une dotation de centralité. La centralité ne sera pas appréciée au niveau national mais à l'échelle de l'ensemble intercommunal. La dotation de centralité sera répartie entre ensembles intercommunaux, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre et communes isolées, puis distribuées à leur échelle entre les EPCI et les communes, en fonction du coefficient d'intégration fiscale (CFI) et de leur poids démographique à la puissance cinq.

Mme Catherine Troendlé. - Qu'appelez-vous une commune isolée ?

M. Bruno Delsol. - Ce sont celles qui ne sont pas liées à un EPCI. Leur nombre est marginal. Ce sont soit des communes nouvelles, soit des communes insulaires.

Pour que la réforme ne provoque pas de variations trop brutales, un mécanisme de lissage garantit que les montants ne pourront pas changer de plus de 5 % d'une année sur l'autre. Que faire pour les communes qui ne touchent pas de dotation forfaitaire ?

Un prélèvement sera effectué sur les dotations forfaitaires pour financer la péréquation : c'est l'écrêtement. Enfin, le montant final sera amputé de la contribution au redressement des finances publiques.

Pour les EPCI, la DGF comprendra une part de la dotation de centralité, donc, une dotation de péréquation et une dotation d'intégration liée au CIF. Comme pour les communes, la transition sera lissée et les variations annuelles limitées à 5 %. Le montant final fera l'objet d'un prélèvement de contribution au redressement des finances publiques.

La dotation de solidarité urbaine (DSU) sera concentrée sur deux tiers des communes de plus de 10 000 habitants, au lieu de trois quarts aujourd'hui. Le fort effet de seuil que connaît la DSU-cible sera lissé. De même, la dotation de solidarité rurale (DSR) sera concentrée sur les deux tiers des communes les plus pauvres avec un critère nouveau, celui du nombre d'enfants scolarisés.

La dotation nationale de péréquation (DNP) sera supprimée si la commune est éligible aussi à la DSR et à la DSU. Reste à statuer sur les 79 communes qui ne perçoivent que la DNP...

Nos simulations montrent que 69 % des communes gagneront à la réforme. Dans chaque strate de taille, il y aura une majorité de communes gagnantes, sauf dans la strate des communes de 15 000 à 20 000 habitants, où elles seront 48 %. Les montants globaux s'accroîtront de 1,1 % en moyenne pour les communes les plus pauvres, ils diminueront de 0,19 % en moyenne pour les plus riches. La dispersion de la dotation au sein de chaque strate diminuera de 44 %, même s'il est vrai que la réforme de la DNP accroîtra les écarts par habitant - c'est inhérent à la péréquation. Enfin, la réforme est favorable aux communes éligibles à la DSU-cible et à la DSR-cible, ainsi qu'à celles des DOM, aux communes de montagne et aux communes touristiques.

La discussion parlementaire a fait apparaître la nécessité de garanties supplémentaires. En particulier, une garantie pluriannuelle des montants est à l'étude. D'autres objections ont été formulées, concernant l'influence du montant unitaire de chaque dotation sur l'équilibre entre zones urbaines et zones rurales. Quid de la dotation de centralité si le territoire compte plusieurs centres ? Comment fixer les critères ? La garantie de 5 % suffit-elle ? Comment traiter l'écrêtement ? Les communes qui ne touchent pas la DGF ?

M. Jean-Marie Bockel, président. - Un constat de Mme Pires-Beaune était sans appel : « La DGF, premier concours de l'État aux collectivités territoriales [...], est inéquitable, illisible et ne correspond plus aux réalités locales ». L'étude que le cabinet Klopfer nous a fournie à ce sujet indique que l'architecture proposée la rend plus lisible mais laisse beaucoup de questions sans réponse. Espérons que nos échanges y répondront !

M. Charles Guené. - Ce sujet fera l'objet d'autres réunions plus spécialisées. Notre rapport doit analyser la contribution au redressement des finances publiques et ses effets. L'Association des maires de France (AMF) indique qu'entre 2013 et 2017 l'investissement sur le bloc communal aura baissé de 37 %, et que le mouvement s'amplifiera ensuite. Que faire ? L'étalement de la réforme de la DGF sur vingt, trente, voire quarante ans n'est-il pas excessif ? Pourquoi avoir refusé la DGF négative ? Pose-t-elle un problème constitutionnel ? Pourquoi avoir écarté les groupements à fiscalité additionnelle de la répartition ? Pourquoi un plafond de 40 % pour le CIF ? Êtes-vous foncièrement attaché au coefficient d'ajustement retenu, difficile à comprendre ? Mieux vaudrait une DGF d'objectifs.

M. Philippe Dallier. - Le modèle proposé au Parlement a été critiqué. Quelle marge de manoeuvre avons-nous pour le modifier d'ici le mois de juin ? Nous avons demandé à Mme Lebranchu s'il était envisageable de fusionner la DGF et le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC). Il semble que seule une adaptation minimale est possible. Le coefficient cinq, pour la dotation de centralité, pose problème. Que faire lorsqu'il n'y a pas de centralité ? La métropole du Grand Paris est la juxtaposition de douze territoires. Il faudra faire du cas par cas, ce qui n'est pas toujours équitable.

La réforme de la DSU est difficilement acceptable. Certes, l'effet de seuil actuel pose problème, mais le faire sauter figera la situation de communes qui ont considérablement remonté dans le classement, et l'iniquité sera la même. Absurde !

M. Jacques Mézard. - Les dispositions de la loi de finances dont nous parlons sont inapplicables en l'état : elles renforceraient certaines iniquités entre collectivités territoriales. Allez-vous maintenir un coefficient de cinq pour la centralité ? Cela ne laisse rien aux communes périphériques, ce qui n'est pas raisonnable. Dans certains départements ruraux, les simulations montrent une baisse générale des dotations aux communes : si les communes gagnantes sont majoritaires au niveau national, dans ces départements elles sont moins nombreuses. Où en est-on de la nationalisation du RSA ? Pourquoi un plafond de 40 % pour le CIF ?

M. Alain Richard. - Curieux terme que celui de « communes gagnantes » quand la baisse de la masse à répartir fait qu'il n'y aura, en réalité, que des communes perdantes. Peut-on effectuer une telle réforme dans un contexte de diminution substantielle de l'enveloppe globale ? D'autant qu'une incertitude politique pèse après 2017 : nul ne sait si l'effort de contribution au redressement des comptes publics se poursuivra.

La répartition des ressources entre communes et intercommunalités est un problème politique qui divise les parlementaires. Quelle est la ligne du Gouvernement ? Pour la dotation de centralité, l'objectif est de la répartir entre territoires au prorata de la population - sans coefficient, j'espère. Une information que je n'avais pas entendue au comité des finances locales, une partie ira aux intercommunalités ; cela modifiera la répartition entre communes. De combien ? Avec un coefficient cinq, l'écart sera de dix entre une commune de 25 000 habitants et une autre de 50 000. Faut-il tendre vers un CIF de 1 partout ? Auquel cas les communes n'auraient plus rien.

M. Philippe Dallier. - L'intention serait-elle de les supprimer ?

M. Alain Richard. - Je suis contre ! Le déplafonnement du CIF donnerait une prime aux intercommunalités qui ont - par consensus, espérons - privé leurs communes de toute autonomie financière. Difficile à expliquer à nos collègues maires dans les départements.

M. Jean-Marc Gabouty. - Je reprends ces questions à mon compte. L'enveloppe globale normée baisse, la DGF aussi. Pourquoi utiliser des mécanismes complexes pour réduire les écarts alors que la dotation de base par habitant demeure inchangée ? Réformerez-vous le FPIC ? Son concept est intéressant, mais son application est ubuesque : ma commune, riche, prend de l'argent à des communes pauvres !

Une dotation compense une charge nouvelle. Accentuer le rôle du CIF laisserait penser que les compétences transférées coûtent plus cher lorsqu'elles sont exercées à l'échelon communal. C'est parfois vrai... Le CIF est pernicieux, il pousse des collectivités territoriales à transférer des compétences, voire même à faire semblant d'en transférer.

M. Alain Richard. - Oui, ce sont des comportements de chasseurs de prime !

M. Charles Guené. - Pour nous, l'architecture retenue n'est pas parfaite, loin de là. Nous sommes parlementaires et pourrions la modifier...

M. Philippe Dallier. - Mme Lebranchu s'est montrée ouverte à un autre schéma, y compris à la fusion entre FPIC et DGF. Mais le délai restant est réduit...

M. Bruno Delsol. - L'investissement local a baissé de 8 % en 2014. Le rapport annuel de la Cour des comptes évalue l'impact de différents facteurs : évolution des dotations, cycle électoral ou progression des dépenses de fonctionnement. Le Gouvernement, conscient de cette tendance, a pris des mesures ciblées en faveur de l'investissement local.

Pour évaluer l'impact de la réforme, nous comparons ce que serait la DGF sans elle et ce qu'elle sera avec, ce qui fait apparaître des gagnants et des perdants.

Quelles marges de manoeuvres ? Le Gouvernement est très ouvert et souhaite que le Parlement soit entièrement saisi du sujet.

La création d'une dotation de base au montant par habitant égal dans toutes les communes est favorable aux communes rurales, mais le recentrage de la DSR entraînera des baisses dans nombre d'entre elles. J'ai beaucoup entendu dire que la réforme était trop favorable aux ruraux. Nous serons en mesure de chercher le meilleur point d'équilibre, avec la dotation de centralité.

Quarante ans, c'est le temps maximal qu'il faudra pour que la réforme s'applique pleinement. Les garanties prévues pour éviter les soubresauts dans les montants de dotation réduisent la vitesse de transition.

Certaines communes ne touchent aucune DGF.

M. Alain Richard. - Ce ne sont pas les communes les plus pauvres...

M. Bruno Delsol. - Leur contribution au redressement des finances publiques, plus forte, consomme leur dotation forfaitaire. Sans tempérament, la réforme leur rendra de la DGF. Mais le tunnel des 5 % les empêchera indéfiniment de la toucher... Cela créera une inégalité de traitement, même si certains estiment que cela n'aurait rien d'injuste. Sur ce point, la discussion reste ouverte.

Jusqu'où faut-il prendre en compte l'intercommunalité dans la répartition ? Cette question a beaucoup occupé le comité des finances locales, qui a même envisagé un temps une territorialisation intégrale de la DGF. Dans la réforme, l'EPCI ne s'interpose pas entre la commune et l'État. Où placer le point d'équilibre ? Le CIF, qui mesure le poids financier respectif de l'EPCI et des communes, peut susciter des comportements d'optimisation...

M. Alain Richard. - Il a pour objectif implicite de maximiser la part de l'intercommunalité. Quelle est la légitimité politique de ce dispositif ? Il provoque des comportements de chasseur de prime.

M. Bruno Delsol. - En pratique, il sert à connaître la répartition des dépenses entre EPCI et communes. Il incite, en effet, à l'intégration car plusieurs mécanismes récompensent le fait d'avoir un CIF élevé.

M. Alain Richard. - L'objectif est qu'il soit à 100 % !

M. Jean-Marie Bockel, président. - C'est un choix politique.

M. Alain Richard. - On veut faire des communes des arrondissements : c'est la ligne de la direction générale des collectivités locales depuis quarante ans !

M. Bruno Delsol. - Le rôle de ma direction est de vous apporter des éléments d'appréciation aussi documentés que possible.

Pourquoi un plafond de 40 % ? Pour préserver les communes : lors des débats, la réforme a semblé trop favorable aux EPCI.

Pourquoi avoir exclu les groupements à fiscalité additionnelle de dotation de centralité ? En raison d'un présupposé selon lequel ils correspondent à un degré d'intégration plus faible, ce qui peut se contester...

La répartition de cette dotation entre communes se fera en fonction du nombre d'habitants porté à la puissance cinq, ce qui a un puissant effet de concentration - qui ne touche pas les autres dotations. Le comité des finances locales a d'abord pensé comptabiliser les équipements publics, mais cela posait des problèmes de méthode. En fait, leur répartition est bien corrélée à la population portée à la puissance cinq : d'où ce critère. Certes, dans la métropole du Grand Paris, il ne fonctionne pas : Paris avalerait tout ! Là, la répartition doit se faire en proportion du chiffre simple de la population. Ailleurs, avec ce coefficient cinq, 6 800 communes seraient bénéficiaires de plus de mille euros. À la puissance deux, elles seraient 23 000...

Faut-il aller plus loin sur la DSU, comme le suggérait M. Dallier ? Dans sa forme actuelle, elle date de la réforme de 2008-2009. L'augmentation de sa masse ira aux communes les plus défavorisées, les autres ont la garantie de percevoir le montant de l'année précédente...

M. Philippe Dallier. - corrigé de l'inflation...

M. Bruno Delsol. - ... à moins qu'elles ne soient plus éligibles. Selon certains, on aurait « congelé » la DSU-cible. Attention aux effets d'une réforme de grande envergure et d'une révision des critères, pesons bien le pour et le contre. Corriger les effets de seuil de la DSU-cible sera déjà un progrès dans le sens que souhaite M. Dallier.

Monsieur Mézard, le Premier ministre s'est dit ouvert sur la nationalisation du RSA. Plusieurs réflexions sont en cours avec l'Assemblée des départements de France (ADF). Deux points de désaccord subsistent : la recentralisation du RSA supposerait de prendre aux départements des ressources équivalentes. Selon quelle année de référence alors que la dépense augmente chaque année ? Quels types de ressources ? À une dépense dynamique doit correspondre à une ressource dynamique.

La discussion se poursuit.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie pour vos réponses. Au Sénat, qui représente les territoires, notre approche sur ces sujets est transpartisane, vous l'aurez senti. Les communes nouvelles et l'accompagnement méritent plus que cinq minutes à la hussarde ; nous en débattrons, si vous le voulez bien, lors d'une audition ultérieure.

M. Georges Labazée. - Monsieur le directeur général, les commissions départementales de coopération intercommunale reformatent les périmètres des EPCI. Quel est votre avis sur l'attitude de certains préfets qui passent outre leur vote ?

M. Jean-Marie Bockel, président. - C'est au ministre de répondre à cette question. Pour ma part, mais je suis minoritaire, je crois que l'État doit garder une capacité de décision...

M. Alain Richard. - La réponse est simple : la loi de 2010 s'applique, personne ne l'a changée.