Jeudi 28 avril 2016

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Problématique des normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'agriculture dans les outre-mer - audition de l'Institut national de l'origine et de la qualité

M. Michel Magras, président. - Après deux semaines de suspension de nos travaux en réunion plénière, nous reprenons aujourd'hui le fil des auditions sur les normes sanitaires et phytosanitaires applicables aux secteurs de l'agriculture dans les outre-mer.

Nos réflexions sur les perspectives de développement de l'agriculture biologique outre-mer ont conduit nos rapporteurs à vouloir examiner de plus près les processus de labellisation et de certification. Ces processus, au coeur de la problématique normative puisqu'ils attestent officiellement de certaines qualités et origines, sont tout à fait stratégiques pour la valorisation des productions car ils permettent d'accéder au marché européen et peuvent générer des avantages compétitifs. Cependant, selon les témoignages délivrés lors de nos précédentes auditions, les procédures sont parfois longues et onéreuses, tout particulièrement dans notre pays, et peu adaptées à de petites productions comme celles des outre-mer. Il nous faut donc examiner quelles sont les possibilités d'évolution et de meilleure prise en compte des intérêts de nos territoires.

À cet effet, nous recevons ce matin Monsieur Jean-Luc Dairien, directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité, l'INAO ; puis nous entendrons Madame Valérie Sassé, responsable des opérations de certification d'ECOCERT France.

Je dois excuser notre collègue Catherine Procaccia, co-rapporteur sur le dossier des normes agricoles avec Jacques Gillot, sénateur de la Guadeloupe, ici présent.

M. Jean-Luc Dairien, directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité. - L'INAO est un établissement public sous tutelle du ministre de l'agriculture ; il existe depuis plus de 80 ans. Par délégation du ministre de l'agriculture, il conduit la politique nationale en matière de qualité de la production alimentaire. À ce titre, il gère les signes officiels de qualité et d'origine. À part un signe spécial sur les moules de bouchot du Mont Saint-Michel, il en existe quatre types :

- les appellations d'origine contrôlée (AOC) qui deviennent des appellations d'origine protégée (AOP) dans le cadre européen ;

- les indications géographiques protégées (IGP) ;

- les labels rouges ;

- et le signe de reconnaissance de l'agriculture biologique « AB ».

À l'exception des labels rouges, ces signes officiels sont gérés dans un cadre régi par le droit communautaire.

L'Institut accompagne les porteurs de projet, c'est-à-dire des producteurs qui veulent faire reconnaître les spécificités d'un produit. Il les aide à définir un cahier des charges qui comprend la définition d'un produit, ses conditions propres de production ainsi que son périmètre de production. L'INAO assure les étapes de la procédure administrative d'enregistrement. Il revient en propre au ministre de l'agriculture sur le rapport de l'Institut d'homologuer un produit par arrêté et éventuellement de le porter au niveau européen pour obtenir une assise de protection plus large.

L'INAO accompagne également les producteurs organisés dans des syndicats de gestion et de défense de l'appellation. Il en existe plus de 1 000 en France. Il gère toutes les modifications ultérieures du cahier des charges d'un signe officiel de qualité, chaque modification suivant la même procédure de validation que le cahier des charges initial. L'Institut contrôle de plus la mise en oeuvre du cahier des charges et le bon fonctionnement de l'appellation. Il n'exerce pas cette mission directement mais par l'intermédiaire d'organismes certificateurs indépendants.

Nous assumons également une mission de défense des appellations en France et dans le monde. Lorsqu'est porté à notre connaissance qu'un producteur qui prétend bénéficier d'un signe officiel de qualité n'en respecte pas le cahier des charges, nous prenons l'initiative d'une action en justice si nos mises en demeure sont restées lettre morte. Dans certains pays que je ne citerai pas, les usurpations sont fréquentes. C'est pourquoi nous avons mis au point un système de surveillance ciblé sur les pays à risques qui nous permet d'engager le plus efficacement possible les procédures amiables et judiciaires nécessaires.

Nous sommes également actifs en matière de coopération pour prévenir les fraudes aux dénominations. Il s'agit préventivement d'expliquer aux producteurs étrangers l'intérêt qu'ils auraient à développer eux-mêmes un système d'appellations protégées que nous serions les premiers à défendre sur notre territoire. Dans le cadre des discussions sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP), nous dialoguons avec les filières agroalimentaires américaines pour leur faire comprendre les systèmes français et européens d'AOP et d'IGP. En effet, ils ne sont pas familiers de ces concepts et privilégient d'ordinaire le droit des marques d'origine anglo-saxonne.

En termes de politique agricole, nous considérons que les appellations et les indications géographiques constituent un instrument utile et efficace qui part de l'initiative des producteurs pour répondre aux attentes des consommateurs, sensibles notamment à l'indication du lieu de production des produits agroalimentaires. L'avantage de notre système est de ne pas être délocalisable, les AOP et les IGP n'étant pas, par principe, reproductibles. Ainsi, si l'on produit du vin dans de très nombreux endroits, on ne peut pas produire du Bordeaux, du Corbières ou du Champagne ailleurs que dans leurs terroirs d'origine. C'est la raison pour laquelle les signes officiels de qualité constituent un atout important pour la politique d'aménagement du territoire en facilitant le maintien des populations agricoles et le développement de l'activité périphérique comme le tourisme dans les espaces ruraux. Autre élément qui les distingue des marques proprement dites : les signes officiels ne peuvent pas se vendre et ne sont donc pas soumis à une quelconque spéculation.

Le système d'appellation d'origine et de reconnaissance de qualité fut inventé en France puis reconnu par les autorités européennes. L'INAO n'a de cesse de le promouvoir dans le monde entier.

Nous nous appuyons sur le travail de 260 agents dont les deux tiers travaillent directement dans les territoires. L'Institut n'a pas d'implantation directe dans les outre-mer même s'il a compétence sur les départements d'outre-mer. Dans les territoires d'outre-mer, il n'est pas proprement compétent mais il peut mener des actions de coopération comme dans un pays tiers.

M. Jacques Gillot, rapporteur. - Je suis proprement abasourdi. Vous n'êtes pas implantés dans nos territoires et vous les traitez comme des pays tiers ! Êtes-vous en train de nous dire que les producteurs ultramarins ne sont pas accompagnés et que nos productions ne sont pas protégées par des signes officiels d'origine et de qualité ?

M. Jean-Luc Dairien. - Veuillez pardonner l'imprécision de mes propos. Dans les départements et régions d'outre-mer, nos pratiques d'accompagnement et nos missions ne diffèrent pas de celles que nous exerçons en France métropolitaine. Notre organisation est toutefois un peu différente puisque nous utilisons le relais des directions de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (DAAF). En revanche, dans ce qu'il était coutume d'appeler les territoires d'outre-mer (TOM), nous n'avons reçu aucune compétence du législateur. Cela ne nous interdit pas d'intervenir mais nous devons recourir à des procédures administratives particulières.

M. Thierry Fabian, coordonnateur des productions ultramarines à l'INAO. - Nous pouvons vous rassurer : nous ne faisons aucune différence entre les DOM et les départements de l'Hexagone. En revanche, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, du fait de leur statut d'autonomie, ont adopté des réglementations spécifiques qui définissent leur propre politique d'origine et de qualité.

M. Michel Magras, président. - Il n'est pas surprenant en effet que des collectivités ultramarines autonomes exercent cette compétence.

M. Jean-Luc Dairien. - Permettez-moi de prendre l'exemple du monoï de Tahiti. Nous avons reçu une demande de collaboration de l'organisme homologue de Polynésie française qui relayait le souhait des professionnels locaux. L'INAO a donc mené un travail d'expertise pour les aider à mettre au point leur cahier des charges.

De nombreux textes communautaires existent en matière de reconnaissance de l'origine et de la qualité. Ils concernent aussi les DOM et ils sont importants, en particulier pour la production de rhum. Nous les tenons à votre disposition sous forme d'une note récapitulative.

M. Michel Magras, président. - Constatez-vous des difficultés d'application de ces normes européennes dans les outre-mer ?

M. Jean-Luc Dairien. - Il faut tout d'abord rappeler qu'un signe de qualité ne peut pas être une alternative viable à des conditions favorables au développement d'une production agricole ; celles-ci doivent exister préalablement. Il ne peut pas non plus pallier les contraintes structurelles qui pèseraient sur une activité agroalimentaire. Autrement dit, le signe de qualité n'est pas une solution miracle mais plutôt un atout qui permet de consolider l'image d'une production. Pour reprendre l'exemple du vin, il est indispensable de disposer au préalable de structures de vinification performantes, de stratégies marketing et de réseaux de commercialisation adaptés. L'AOC vient par surcroît. C'est ce que nous rappelons constamment aux porteurs de projet : « ne vous faites pas d'illusion, on ne règle pas des problèmes de structuration des filières, de formation des producteurs, de rentabilité économique grâce à un signe de qualité ». Néanmoins, il ne faut pas non plus sous-estimer le potentiel de résilience que peut conférer l'octroi d'une appellation. Si nous considérons la crise actuelle de la filière laitière, un producteur de lait apportant sa production à une coopérative fabriquant du comté AOC est payé cinq fois plus cher qu'un autre producteur fournissant une usine de fabrication d'emmental industriel. Autre exemple : un éleveur de volailles label rouge bénéficiant de l'indication géographique « Loué » vend deux fois plus cher qu'un producteur de poulets surgelés exportés vers le Moyen-Orient. Grâce à une meilleure identification de leurs produits, les agriculteurs et les éleveurs protégés par une appellation sont relativement moins touchés en cas de crise. Il faut donc au préalable que les producteurs disposent du savoir-faire, de la formation et de l'organisation économique. L'AO ou l'IP apporteront ensuite l'image permettant de catalyser le développement de l'activité.

Une fois ce principe de base rappelé, il faut convenir qu'il n'est ni plus difficile, ni plus facile de construire une AO ou une IP dans un territoire ultramarin que dans l'Hexagone. C'est une démarche qui peut être intéressante à mener outre-mer, en particulier, pour des productions « exportées » vers le marché européen. Lorsqu'il s'agit de productions destinées au marché local, en distinguant sans doute entre la cible des habitants et la cible des touristes, il faut plutôt procéder au cas par cas, car la dénomination géographique locale n'apportera pas forcément d'avantages suffisants sur le marché local pour compenser la charge et le coût que représentent l'enregistrement initial et le fonctionnement d'un signe de qualité.

Aucune différence de procédure n'est à relever entre l'outre-mer et l'Hexagone. Dans tous les cas, nous créons des commissions d'enquête avec des professionnels déjà engagés dans un signe de qualité proche de celui qui est en projet mais qui viennent d'une autre région. Les services techniques et juridiques de l'INAO apportent leur soutien à la commission qui produit un rapport porté à la connaissance du ministre de l'agriculture. C'est à ce dernier que revient de prendre la décision finale de reconnaissance officielle. Les procédures administratives sont-elles trop longues ? Éternelle question. Sans doute sont-elles toujours trop longues pour les producteurs. Je tiens à dire cependant que les délais ne varient pas entre l'outre-mer et l'Hexagone. En outre, dans l'appréciation du délai, nous ne pouvons pas le faire courir à partir du moment très incertain où germe une idée dans l'esprit d'un agriculteur ou d'un éleveur. Notre travail d'instruction ne peut commencer que lorsqu'un certain nombre de préalables sont remplis. Il faut pouvoir nous apporter la preuve qu'il existe bien un projet collectif porté par les professionnels locaux. Il ne servirait à rien de plaquer une AO ou une IP sur un milieu agricole qui ne la fait pas vivre. C'est d'ailleurs pourquoi le ministre de l'agriculture n'a pas la faculté de proposer une nouvelle appellation. La loi ne donne le pouvoir d'initiative qu'aux seuls professionnels.

Notre philosophie est de ne pas identifier un produit seulement du niveau chimique et organoleptique mais de relier les qualités du produit à un terroir géographique et un savoir-faire particulier. C'est ce triptyque qui nous distingue très nettement des conceptions anglo-saxonnes qui tendent davantage à ne se référer qu'à des analyses chimiques considérées seules comme objectives.

La démarche de reconnaissance de l'origine et de la qualité d'un produit ne vient pas d'une décision administrative, elle est simplement soutenue par l'administration. Le coût d'une telle politique est très faible à la fois par rapport à ses avantages pour les filières et en comparaison des fonds investis dans la politique agricole commune. Aujourd'hui, une exploitation sur cinq est concernée en tout ou partie par un signe officiel. Pour développer davantage cette politique outre-mer, nous devons gérer le problème de la distance. C'est ce qui nous a amenés à choisir une autre organisation déconcentrée.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Pour les productions ultramarines emblématiques comme la banane, le sucre et le rhum, quels labels avez-vous reconnus ? Quelle est la fréquence de recours à des appellations dans les DOM ? Le made in France peut-il être considéré comme une appellation d'origine au sens large ?

M. Jean-Luc Dairien. - Le made in France, voulu par les consommateurs français, n'est pas un signe de qualité. C'est une dénomination de provenance qui ne constitue pas une appellation d'origine. L'AO requiert des indications plus précises sur l'origine géographique, la nature du produit, l'identité des producteurs, les modes de production... La mention made in France s'apparente plus à une stratégie marketing qu'à une information du consommateur et à un étiquetage utile. Les bannières régionales peuvent aussi être légitimes pour valoriser les produits des régions mais ce ne sont pas non plus des signes de qualité, simplement la mention d'une provenance. Ces deux dispositifs, l'un sur la provenance au sens large et l'autre sur la qualité, sont de nature différente. Chacun a son utilité et il faut savoir les articuler. Il en est de même pour un certain nombre de mentions comme celle « circuit court » qui n'a rien à voir avec le produit lui-même ou sa qualité.

Pour ce qui est de la banane, il faut poser en amont certaines questions telles que : qui commercialise la banane ? Est-il besoin de l'identifier sur le marché européen ? La mention « banane de Guadeloupe » ou « banane de Martinique » présente-t-elle un intérêt qui en compense le coût ? Faut-il défendre le produit en utilisant une appellation d'origine qui imposera aux producteurs un certain mode de production, un certain cahier des charges et les contrôles afférents ? C'est à toutes ces questions qu'il faut répondre avant d'engager la démarche de reconnaissance par un signe officiel. Le produit ultramarin qui a bénéficié le plus d'une politique développée en la matière demeure le rhum, un produit transformé qui est en concurrence sur le marché des spiritueux avec d'autres produits qui sont eux-mêmes structurés par le recours aux AO et IP.

M. Thierry Fabian. - La filière rhum est, en effet, celle qui est la plus impliquée outre-mer dans les signes officiels de qualité. C'est aussi la première à avoir bénéficié d'une AOC. Cela concernait le rhum de Martinique en 1996. C'est d'ailleurs le travail sur la protection du rhum qui a motivé l'extension de la compétence de l'INAO aux outre-mer. Plus récemment, six indications géographiques ont été reconnues il y a quelques mois pour protéger les rhums de Guadeloupe, de Guyane, de La Réunion, de la Baie du Galion, c'est-à-dire le rhum industriel de sucrerie de Martinique, et des assemblages qui peuvent être réalisés à partir de ces rhums. Plus de 90 % de la production de rhum est aujourd'hui intégrée dans un système structuré d'AOC et d'IGP. Il s'agit d'une stratégie de filière. La profession a clairement fait le choix de placer ses produits sous reconnaissance de l'origine et de la qualité. Ce choix a été en partie guidé par le contexte fiscal : une AO ou une IG étant nécessaire pour bénéficier de la fiscalité privilégiée sur le marché métropolitain.

En dehors du rhum, nous pouvons citer une IGP sur le melon de la Guadeloupe et deux labels rouge sur l'ananas et le litchi de La Réunion, qui malheureusement ne donnent plus lieu à production. Le monoï de Tahiti constitue un cas particulier qui est à la fois protégé par une AO polynésienne et par une AO nationale.

Plusieurs autres demandes sont en cours d'instruction. La vanille de La Réunion ainsi que le vin de Cilaos en sont au stade de la commission d'enquête. D'autres dossiers sont moins avancés tout en ayant déjà donné lieu à un travail d'expertise comme la vanille de Tahiti et le café bourbon pointu de La Réunion. Des contacts ont été noués avec les professionnels dans la perspective d'une reconnaissance communautaire de la vanille de Tahiti. Les PTOM ont accès aux AOP et IGP européennes au même titre que les pays tiers, ce qui leur permet de trouver une reconnaissance et une défense internationales de leurs produits plus fortes.

En ce qui concerne la banane, le recours à une IGP demeure une voie d'évolution possible. Les professionnels y réfléchissent mais le lancement du label « banane française » avec bandeau tricolore répond davantage à une logique de provenance, de même que l'identification de productions régionales sous le sceau « banane de Guadeloupe » ou « banane de Martinique ». Les textes communautaires laissent la possibilité aux RUP de mettre en avant ce type d'identité régionale.

La réflexion est moins avancée sur l'ylang-ylang de Mayotte et sur le café de Guadeloupe puisque l'INAO n'a pas encore été sollicité par un groupement de professionnels.

M. Michel Vergoz. - Sur 260 agents de l'INAO, aucun n'officie donc outre-mer ? Combien d'agents disposez-vous dans les territoires et combien dans vos services administratifs centraux ?

M. Jean-Luc Dairien - Effectivement tous nos agents se trouvent en métropole : 75 d'entre eux travaillent à notre siège de Montreuil, tous les autres en région. Certains de nos agents sont spécialisés sur des programmes spécifiques comme Thierry Fabian qui coordonne tous les dossiers ultramarins. Au-delà des spécialisations géographiques, nous disposons également de spécialistes sectoriels qui peuvent être missionnés autant que de besoin y compris en outre-mer.

M. Michel Vergoz. - Je retiens de vos propos que vous restez dans l'attente des initiatives locales et des projets portés par les producteurs. Quelles garanties pouvez-vous apporter aux territoires dès lors qu'ils s'engagent auprès de vous dans une démarche de reconnaissance de l'origine et de la qualité ? Revenons sur le cas de l'ananas et du litchi de La Réunion à la saveur incomparable qui témoigne du savoir-faire exceptionnel des arboriculteurs de notre île. Ils étaient protégés par un label rouge et pourtant toute la production a quitté La Réunion au profit de Maurice pour l'ananas et de Madagascar pour le litchi. Qu'a fait l'INAO pour les protéger ? Qu'allez-vous faire demain pour la vanille de La Réunion ou le café bourbon pointu, qui est porté par une initiative du conseil régional. Nos territoires ultramarins sont soumis à la concurrence parfois franchement louche de pays tiers. Que vaut la protection de l'INAO lorsque sont conclus par l'Union européenne des accords de partenariat et de libre-échange avec les pays de l'Océan indien ou de la Caraïbe ? Nous n'avons pas du tout l'impression d'être protégés, y compris dans nos productions de qualité.

M. Jean-Luc Dairien. - Nous ne pouvons que prendre acte de votre perception des choses qui est sans doute partagée sur votre territoire et à laquelle nous portons la plus grande attention. À chaque fois que le syndicat de gestion et de défense de l'appellation ou de l'indication protégée nous saisit d'un cas de concurrence déloyale nous portons le dossier devant les tribunaux nationaux ou internationaux compétents, mais notre compétence ne couvre que l'usurpation de dénomination et non pas un éventuel déséquilibre dans les conditions économiques de production. Nos quatre-vingts avocats défendent dans le monde entier les mille signes officiels de qualité enregistrés en France. Nous engageons 250 contentieux dans le monde chaque année.

Dans le cas de l'ananas et du litchi, les difficultés qui ont perturbé la filière de La Réunion...

M. Michel Vergoz. - ... qui l'ont fait quasiment disparaître !

M. Jean-Luc Dairien. - Ces difficultés extrêmes, je le reconnais, proviennent-elles d'une carence dans notre travail de protection de l'appellation ou plutôt d'un défaut de structuration de la filière et d'une stratégie économique et commerciale inaboutie ? Nous avons de fréquents contacts avec nos collègues de l'ODEADOM qui gèrent précisément le soutien économique aux filières agricoles ultramarines. Ils partagent notre analyse. Toutefois, je dois admettre mon étonnement : nous n'avons pas réussi à faire vivre la filière litchi de La Réunion alors même que ces produits commençaient à être spontanément reconnus et recherchés par le consommateur métropolitain. Il n'en demeure pas moins que les producteurs de litchi réunionnais n'ont pas demandé à utiliser le label depuis cinq ans. Or, aux termes de la loi, après cinq ans sans y avoir recours, le label tombe en désuétude. C'est sans doute le signe que le label rouge n'était pas la bonne solution mais l'INAO reste disponible pour travailler avec les producteurs pour trouver de nouvelles stratégies, qui s'appuient nécessairement sur une expertise technique et commerciale.

M. Michel Magras, président. - Les appellations et les indications géographiques me paraissent surtout intéressantes pour le marché à l'exportation. Je comprends de vos propos que l'INAO n'a pas de politique d'incitation mais remplit uniquement une mission d'accompagnement du processus d'obtention du signe officiel et une mission de protection. Il n'en reste pas moins que le cadre normatif dans lequel vous agissez est fixé au niveau européen. De votre expérience, jugez-vous que les normes communautaires sont adaptées aux productions agricoles ultramarines ?

M. Jean-Luc Dairien. - Il me semble que le problème d'application des normes communautaires se pose aussi bien en métropole qu'en outre-mer. Le droit européen supra-national est décliné par la réglementation nationale. L'INAO ne peut y déroger. Il ne peut qu'agir dans ce cadre fixe pour définir les spécificités d'un produit et les valoriser dans le respect plein et entier du droit européen. Nos cahiers des charges ne comprennent aucune prescription sanitaire ou phytosanitaire dans la mesure précisément où ce type de normes s'impose de toute façon quel que soit le mode de production, qu'il soit protégé par un signe officiel ou non. Nous n'avons aucune marge de manoeuvre et aucune appréciation à porter sur la réglementation sanitaire européenne. Nous n'avons de latitude qu'en matière de définition du produit labellisé.

M. Jacques Gillot, rapporteur. - Vous nous dites que vous êtes tenus d'appliquer les normes européennes. Précisément, notre mission est d'évaluer ces normes pour pouvoir éventuellement les faire évoluer, y compris en matière de certification. Est-ce qu'une labellisation ou une certification protégée par l'INAO peut être contestée ? Si c'est le cas, par qui ? Existe-t-il une autorité supérieure à la vôtre ou concurrente de la vôtre qui serait responsable d'arbitrer ou de juger ces contentieux ?

M. Jean-Luc Dairien. - En termes de signes de qualité agroalimentaire, le ministre de l'agriculture dispose du monopole de la compétence qu'il délègue en gestion à l'INAO, ce qui garantit l'homogénéité de traitement des dossiers. En revanche, un autre établissement public est responsable des signes de qualité pour les produits artisanaux et industriels qui peuvent bénéficier depuis deux ans d'une indication géographique, pas d'une IGP ; cependant je dois avouer que nous sommes inquiets de constater que, dans ce domaine, la logique de marques commence à s'imposer. L'affaire des couteaux Laguiole, qui s'est heureusement bien terminée, en témoigne.

Les normes sanitaires et phytosanitaires sont quant à elles transversales et l'on ne peut y déroger au plan national qu'en étant plus exigeant encore que la norme européenne dès lors qu'il s'agit de santé publique, mais il n'appartient pas à l'INAO de vérifier ou de contrôler le respect de la réglementation de sécurité alimentaire. Nos collègues de la DGAL ont compétence sur les normes sanitaires et siègent également dans les comités européens qui préparent et participent à la construction du cadre communautaire.

M. Thierry Fabian. - La force du système français réside dans la capacité de l'INAO d'identifier adéquatement les produits en lien étroit avec la profession. Certaines contraintes qui peuvent être vues comme des handicaps, en particulier le fait pour les outre-mer de ne pas se trouver dans les conditions de production standard sur le plan international, peuvent devenir des atouts pour les producteurs qui veulent se différencier de la concurrence. C'est au moment de la construction du cahier des charges de l'AO ou de l'IG que l'on prend conscience de ce retournement. Par exemple, 98 % du rhum mondial est fabriqué à partir de mélasse. Or, le rhum agricole est fait à partir du jus de canne. C'est cette particularité qui est mise en valeur et devient un élément d'identification des rhums antillais sur le marché mondial.

M. Michel Magras, président. - En milieu insulaire, nous n'avons pas d'autre choix que de transformer nos handicaps en atouts. Les planteurs martiniquais ont su utiliser depuis longtemps l'AOC comme un outil performant de promotion internationale de leur rhum et s'installer sur des niches haut de gamme. Quel est l'avantage d'une protection par une AOC plutôt que par le droit classique des marques ?

M. Jean-Luc Dairien. - Une des différences majeures est que dans le cas d'une appellation ou d'une indication géographique, c'est la France et l'Union européenne qui se portent, comme puissance publique, à la défense des entreprises devant les tribunaux. Une entreprise qui défend sa marque doit en assumer seule la charge.

M. Michel Vergoz. - Qui peut vous solliciter ? Des producteurs particuliers ? Des coopératives ? Des chambres d'agriculture ? Des collectivités territoriales ? Votre institut est un lieu précieux que nous devons mobiliser davantage.

M. Jeanny Lorgeoux. - Êtes-vous consultés par la Commission européenne au cours des négociations d'accords de libre-échange qui peuvent toucher des productions sensibles des outre-mer ? Je pense, par exemple, aux sucres spéciaux qui étaient menacés par le traité commercial avec le Vietnam.

M. Jean-Luc Dairien. - Nous menons des expertises en tant qu'autorité compétente pour le compte de la représentation française à Bruxelles et nous sommes indirectement associés à la construction de la réglementation et aux négociations en participant à des comités techniques européens.

Nous sommes à l'écoute de tous les porteurs de projet qu'ils soient montés par des producteurs ou des coopératives. Bien souvent, nous sommes aussi approchés en amont par les chambres d'agriculture, par les acteurs économiques et politiques territoriaux, par les collectivités locales ou encore par les administrations déconcentrées qui peuvent tous nous signaler des produits intéressants qui mériteraient d'être protégés. Nous menons d'ailleurs de larges opérations de communication sur les concepts de signe de qualité pour que cette notion soit clairement comprise et que les parties prenantes puissent pleinement se les approprier.

Problématique des normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'agriculture dans les outre-mer - audition de ECOCERT France

M. Michel Magras, président. - Mme Sassé, vous êtes responsable des opérations de certification à ECOCERT France. Je vous laisse la parole pour une présentation de l'action de votre organisme, sur la base de la trame qui vous a été transmise.

Mme Valérie Sassé, responsable des opérations de certification d'ECOCERT France. - Nous avons été très honorés par votre invitation et vous en remercions. Personnellement, c'est la première fois que je viens au Sénat et je suis un peu impressionnée.

Créée en 1991 dans la région de Toulouse, l'entreprise privée ECOCERT est issue d'une association qui agissait en faveur de la sauvegarde de l'environnement et des générations futures. Nous avons fait nos premiers pas dans le cadre de la pépinière d'entreprises de l'école d'ingénieurs d'agriculture de Purpan. Nous nous sommes développés progressivement, en profitant du mouvement en faveur du bio. Puis nous avons diversifié nos activités en créant des référentiels comme le « commerce équitable ».

En 2013, nous avons acquis l'entreprise IMOswiss AG (Suisse). Désormais, ECOCERT est un groupe subdivisé en plusieurs sociétés. Autour d'ECOCERT SA, il y a différentes filiales dont ECOCERT France SAS, filiale dédiée à la certification de l'agriculture biologique en France, ECOCERT Greenlife SAS, filiale dédiée à la certification des écoproduits (cosmétiques, textiles, détergents,...), ECOCERT Environnement SAS, filiale dédiée à l'activité de contrôle et de certification en matière de systèmes de management environnementaux et ECOCERT Expert Consulting pour le conseil et la formation. Cette dernière filiale a été créée en 2014 pour répondre à des demandes en respectant la règle qui ne permet pas à une entreprise qui fait de l'audit et de la certification de faire également du conseil.

ECOCERT est devenu le leader mondial de la certification en agriculture biologique. Nous sommes très spécialisés et ne travaillons que dans ce domaine ou sur des sujets connexes.

Le chiffre d'affaires du groupe ECOCERT, en constante augmentation depuis sa création, suit le développement du marché du bio. En 2014, il était de 43 millions d'euros, avec plus de 110 pays d'intervention. Le groupe emploie 800 collaborateurs. Il certifie 65 % du marché français du bio et 90 % pour ce qui relève des cosmétiques.

ECOCERT France emploie 200 salariés. 26 000 opérateurs ont été contrôlés en 2015. Chaque année, nous effectuons environ 2 000 prélèvements pour analyses. Nous avons le souci de garantir les filières. Un certificat ECOCERT doit apporter une garantie à celui qui achète à son fournisseur.

Le bureau Véritas, notre principal concurrent en France, a environ 60 000 collaborateurs mais certifie également des bâtiments, des cargaisons et bien d'autres choses encore.

Nous certifions des référentiels comme le référentiel bio européen. Nous faisons également de la certification de produits bio aux États-Unis, dans le cadre du National Organic Program (NOP), le programme de la Food and Drug Administration (FDA), en Chine, au Japon, au Canada ou au Brésil.

Nous créons des référentiels quand cela est nécessaire. Nous avons créé récemment le référentiel « en cuisine » qui certifie les bonnes pratiques dans les cantines ou les restaurants d'entreprises. Nous nous sommes également intéressés aux référentiels pour les cosmétiques biologiques, les textiles biologiques, les écoproduits, le commerce équitable, le climat, tout ce qui concerne la qualité/sécurité avec International Food Standard (IFS), British Retail Consortium (BRC) ou Global Gap.

Nous contrôlons également des cahiers des charges privés. Pour pouvoir vendre en bio, il faut au minimum respecter la réglementation européenne. Il y a de nombreux mouvements dans le domaine de l'agriculture biologique : les biodynamiques, ceux qui mettent l'accent sur la faible quantité de résidus de pesticides,... Tous ces courants cherchent à se démarquer du bio traditionnel en ajoutant une marque privée comme Déméter, Bioland, Naturland. Comme nous sommes très spécialisés, nous sommes au coeur de toutes les évolutions et les entreprises s'appuient sur notre compétence réglementaire.

Nous sommes un organisme de formation agréé pour faire des présentations, notamment dans les écoles.

Nous certifions également les papiers au travers de la certification PEFC, des espaces verts écologiques comme des golfs écodurables.

Nous sommes implantés dans 24 pays dont l'Afrique du Sud, l'Allemagne, le Brésil. La société est implantée en France mais quand un client français a eu besoin de certifications aux États-Unis, nous l'avons accompagné puis nous avons trouvé d'autres clients sur place. Il en a été de même au Canada ou à Madagascar.

Nous intervenons dans de nombreuses commissions. Nous faisons partie de l'International Federation of Organic Agriculture Movements (IFOAM), de l'International Orthodox Christian Charities (IOCC), de SeBio. Nous portons la voix de l'agriculture biologique à chaque fois que cela est possible.

En France, nous entretenons des relations étroites avec l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) qui est, en quelque sorte, notre organisme de tutelle et nous agrée chaque année. Par ailleurs, le Comité français d'accréditation (Cofrac) nous accrédite. Nous avons besoin de cet agrément et de cette accréditation pour pouvoir faire du contrôle et de la certification biologique.

Nous avons construit dans le Gers un bâtiment à énergie positive, en paille et en bois, complètement écologique, qui doit être le plus grand d'Europe.

Nous portons des valeurs d'honnêteté, d'intégrité, d'impartialité et de transparence, de respect de l'individu. Nous sommes une petite entreprise, avec un esprit d'équipe, qui a fait le choix d'innover sans arrêt pour être compétitive.

Les textes de référence sont le règlement (CE) n° 834/2007 qui définit les principes généraux, le règlement (CE) n° 889/2008 d'application qui détaille les produits, les densités autorisées,... et nous est le plus utile, et un dernier règlement relatif aux importations. À cela s'ajoutent parfois des cahiers des charges français pour certains animaux non couverts par la règlementation européenne (lapins, escargots, autruches).

Dans le cadre de la règlementation européenne, nous certifions les produits bruts végétaux, les produits animaux de certaines espèces, les semences, les algues marines, les produits transformés, les levures et l'aquaculture.

Comme pour la chaîne du froid, il ne faut pas de rupture de certification entre le producteur, le distributeur, le transformateur et le grossiste. Ils doivent tous être contrôlés par un organisme tel que le nôtre. Les deux seules dispenses de contrôle et de notification concernent les magasins qui vendent des produits pré-emballés au consommateur final et les distributeurs de vrac qui ne dépassent pas les 10 000 euros d'achat en bio.

Vous nous avez interrogés sur le processus de certification. La personne qui souhaite faire du bio doit au préalable prendre contact avec un organisme de certification. Avant de lui faire une proposition de tarif, nous étudions sa demande car nous devons être sûrs, au préalable, de pouvoir proposer une prestation de certification. Les cailles ou les insectes pour l'alimentation humaine, par exemple, ne sont ni couverts par la réglementation européenne ni par la règlementation française. Ils ne peuvent pas être certifiés en bio. Une fois que la personne nous a renvoyé son devis signé, avec le contrat et l'engagement, un auditeur va évaluer, sur le terrain, l'entreprise ou le producteur pour vérifier s'il respecte bien tous les points de la règlementation. Cette étape est très importante. Nous allons sur le terrain une ou deux fois par an. En évaluation, ce sont les blancs éventuels ou les incohérences du dossier qui sont recherchés. Le fait qu'un producteur qui a semé du blé ne puisse pas produire de facture pour les semences est considéré comme un manquement.

En audit, on vérifie que nous avons bien tous les éléments. La procédure est simple : une réunion d'ouverture nous permet d'expliquer ce que nous allons faire ; une évaluation documentaire est réalisée à partir de la comptabilité, des factures, des contrôles des flux ; suit une visite sur site. En réunion de clôture, nous relevons les éventuels manquements. La grille des manquements, commune à tous les organismes français de certification, est établie par l'INAO. Depuis 2011, pour chaque manquement, la mesure prise chez nous, chez Véritas ou Agrocert sera identique.

Quand l'audit a eu lieu, le rapport est transmis au siège d'ECOCERT au sein duquel d'autres personnes revoient le dossier. Les personnes qui effectuent la certification doivent être différentes de celles qui effectuent les contrôles. Elles ne refont pas l'audit mais vérifient que tout a été pris en compte, qu'il n'y a pas d'erreurs ou d'incohérences. Le certificat émis est consultable en ligne sur notre site internet.

Vous avez souhaité que nous vous donnions des précisions sur les différences éventuelles entre les produits importés certifiés en Europe ou dans les pays tiers. Je peux vous rassurer sur ce point car les procédures sont bien encadrées par le règlement (CE) n° 1235/2008.

Deux cas de figures peuvent se produire. Quand le pays tiers est reconnu équivalent par l'Union européenne, nous n'intervenons pas. Nous avons une liste positive de pays qui comprend notamment l'Argentine, l'Australie, le Canada, le Costa-Rica ou les États-Unis. L'Europe a considéré que leurs cahiers des charges et le nôtre étaient équivalents et que nous pouvions importer ou exporter mutuellement. À chaque pays correspondent des organismes de certification accrédités qui possèdent leurs propres référentiels. Il y en a assez peu. Quand le produit arrive en Europe, nous vérifions qu'il possède bien le certificat d'inspection. Ce certificat est valable pour la transaction, par exemple X kilogrammes de bananes, pour tel jour, tel bateau, tel conteneur. Il est tamponné par l'organisme de certification et doit être cohérent avec les factures. Il n'y a pas d'importation sans contrôle. L'opérateur qui importe en Europe doit être contrôlé et certifié. C'est obligatoire et non rétroactif. La certification d'un produit importé il y a six mois est impossible.

L'autre cas est celui des organismes de contrôle dont le cahier des charges privé est reconnu équivalent au cahier des charges européen. Une liste de ces organismes, dont nous faisons partie, a été définie. Là aussi, c'est l'Europe qui décide.

La certification n'est pas directement issue de la règlementation européenne car celle-ci fait référence aux « autorités compétentes ». En France, l'autorité compétente, identifiée, est l'INAO. Quand nous recevons des demandes de dérogations de nos opérateurs, et même si nous donnons notre avis au préalable, nous nous retournons vers l'INAO qui délivre l'autorisation. Dans certains pays tiers, il n'y a pas d'autorité compétente. Le règlement européen ne peut donc pas s'appliquer littéralement. La solution trouvée a consisté à demander aux organismes de produire un cahier des charges. Celui-ci est alors reconnu équivalent aux cahiers des charges européens.

Notre cahier des charges privé, intitulé EOS (Ecocert Organic Standard), est reconnu par environ 80 pays. On peut importer de 80 pays si les contrôles ont été faits localement avec des certificats validés.

Pareillement, lors de l'exportation, il faut que nous ayons tamponné le certificat d'inspection avec tous les éléments. Ce certificat est valable pour une seule transaction ; il doit être demandé à chaque fois.

Si un produit importé d'un pays tiers est certifié en France, c'est qu'il a été produit de la même façon. Il peut toutefois y avoir de petits décalages qui ne sont pas dus à la règlementation européenne mais à l'entrechoquement de deux réglementations différentes, la bio et la générale. La problématique du banol est typique de la distorsion de concurrence. La règlementation européenne autorise les huiles minérales comme pratique bio mais la règlementation française interdit l'épandage de ce produit sur les cultures, qu'elles soient bio ou classiques. Si cette interdiction n'existe pas dans un autre pays, la certification bio y sera accordée ! Il en est de même pour l'utilisation du sulfate de cuivre, utilisé en agriculture biologique. Comme la réglementation générale est différente entre les pays, des produits peuvent être autorisés dans l'un et interdits dans l'autre.

M. Michel Magras, président. - Vous avez évoqué le fait que vous étiez impressionnée d'être accueillie au Sénat. De petite taille au départ, l'entreprise que vous représentez est devenue très grande en sachant diversifier ses compétences, ses moyens et domaines d'intervention. Nous sommes à notre tour impressionnés par l'étendue géographique de vos prestations et sommes fiers de vous accueillir et de vous écouter parler de votre implication et des valeurs que vous portez.

J'aimerais vous entendre sur l'outre-mer français. Les textes européens s'appliquent de manière systématique dans les régions ultrapériphériques. Ce n'est pas le cas dans les collectivités d'outre-mer, dotées de l'autonomie. Pourriez-vous nous préciser vos interventions selon la nature des territoires ?

Mme Valérie Sassé. - Pour la certification, il n'y a pas de différence entre la métropole et les départements d'outre-mer. Nous certifions environ 230 clients dans les départements d'outre-mer. Ce chiffre est relativement faible au regard de nos 25 500 à 26 000 clients. Ce n'est pas facile car la réglementation européenne n'a pas été rédigée par des gens qui produisent de la banane ou de la canne à sucre. Il manque sans doute des éléments pour que le système soit viable sur le terrain.

Les collectivités d'outre-mer sont considérées comme des pays tiers. Cependant, l'importation est parfois facilitée. Les documents douaniers peuvent ne pas être les mêmes. Mais cela n'est pas spécifique au bio. Nos clients dans les collectivités d'outre-mer sont moins nombreux encore que dans les départements d'outre-mer. C'est une petite activité chez nous qui a du mal à se faire entendre au niveau des instances ou des associations. Le cahier des charges n'est pas très adapté à des cultures qui auraient peut-être eu besoin d'autres produits que ceux qui sont listés.

Nous regardons sous quel cahier des charges nous allons procéder au contrôle et à la certification. Si le produit arrive des départements d'outre-mer, la règlementation européenne s'applique et ECOCERT France intervient. S'il arrive des collectivités d'outre-mer, EOS s'applique et c'est ECOCERT SA qui intervient.

Vous aviez posé la question de la pollution des sols par le chlordécone. Nous travaillons beaucoup en analyse de risque. Outre-mer, le chlordécone est un risque majeur. On ne peut pas certifier des cultures racines sur des sols qui auraient été pollués. Cela s'applique également à l'agriculture conventionnelle. On le vérifie doublement. Nous sommes obligés d'attendre que la personne nous ait envoyé ses analyses de terre avant d'envisager une certification.

M. Jacques Gillot, rapporteur. - Y a-t-il un cahier des charges particulier pour les sols ?

Mme Valérie Sassé. - Non. Le principe est de respecter la règlementation générale. Il faut vérifier, c'est notre rôle, mais nous n'allons pas plus loin. Ensuite, nous faisons des analyses sur les substances à risque pour vérifier qu'il n'y en a pas.

M. Michel Magras, président. - La dépollution d'un sol peut prendre un grand nombre d'années. La terre est-elle condamnée pour toute cette période ? Une analyse fine du produit cultivé sur ce sol ne permet-elle pas d'affirmer que le produit ne présente aucun danger pour la santé humaine et que, de ce fait, il peut être certifié ?

Mme Valérie Sassé. - Le chlordécone est un exemple de pollution mais, en France, il y a des sols pollués par d'autres produits. En dehors des Antilles où nous l'exigeons au départ, nous faisons assez peu d'analyse de terre. Ce qui est significatif, c'est l'analyse du produit afin de vérifier s'il est sain pour le consommateur. Le contaminant peut ne pas passer dans le produit, les pollutions être diverses et variées. C'est la réglementation générale qui définit si le sol est cultivable. On ne certifie pas les décharges publiques. Nos analyses, environ 2 000 par an, privilégient les analyses de produits finis, sauf pour vérifier la présence d'un éventuel traitement. Dans ce cas, nous effectuons des analyses sur des rameaux ou des adventices afin de contrôler la présence d'un herbicide ou d'un traitement assez peu rémanent et pour lequel il faut intervenir au bon moment.

M. Serge Larcher. - Autrement dit, sur une terre polluée des Antilles, on procédera à des vérifications pour les cucurbitacées mais les bananes pourraient être certifiées.

Mme Valérie Sassé. - Tout à fait. Aux Antilles, tout ce qui est légume racine est très encadré.

M. Maurice Antiste. - Disposez-vous un pouvoir de coercition ou de sanction ? Avez-vous déjà commis des erreurs ?

Mme Valérie Sassé. - Nous avons un pouvoir de sanction au travers de la grille de l'INAO qui prévoit, pour chaque manquement, une mesure. Elle peut être une demande d'action corrective, un avertissement, un déclassement de lot ou de parcelle, une suspension de certification ou d'habilitation, ou un retrait d'habilitation. Cette sanction est la plus grave. La personne ne peut plus vendre en bio, ne sera plus jamais certifiée. Le contrat avec nous est rompu.

Comme tout le monde, nous pouvons commettre des erreurs. Nous changeons régulièrement nos pratiques pour nous adapter à de nouvelles contraintes et nous améliorer. Dernièrement, le scandale des abattoirs nous a conduits à revoir notre façon de faire des audits. Nous serons plus présents et ferons plus de contrôle. L'analyse est un domaine dans lequel des erreurs peuvent être commises car elle donne lieu à interprétation. Nous avons pu déclasser ou certifier à tort, mais nous essayons de faire en sorte que cela se produise le moins possible.

M. Michel Magras, président. - L'Union européenne favorise la signature d'accords de libre-échange avec le monde entier. Des accords sur la banane ont été signés avec l'Amérique centrale, l'Amérique du Sud et l'Afrique du Sud, d'autres, sur le sucre, avec le Vietnam. Êtes-vous associés aux études d'impact qui devraient précéder la signature de ces accords ?

Mme Valérie Sassé. - Nous ne sommes partie prenante que si cela concerne le bio. Le futur règlement européen est au stade du trilogue. Des choses vont se négocier au niveau de ce nouveau règlement européen. Par le biais des instances où nous siégeons, l'IFOAM, l'IOCC, nous avons pris position, par exemple sur le fait qu'un seul contrôle tous les trois ans nous semblait dangereux.

M. Michel Magras, président. - Avez-vous des indicateurs sur l'avenir du bio dans les outre-mer ?

Mme Valérie Sassé. - Le phénomène de progression du bio est assez généralisé. Le marché est tiré par la consommation. En outre-mer, il y a eu tellement de scandales de pollution que les gens sont attentifs à leur consommation. Cependant, il y a peu de filières très organisées. En métropole, un auditeur est présent en permanence dans chaque région. Dans les outre-mer, nous n'avons pas quelqu'un sur place tout le temps car il n'y a pas assez de clients à certifier. Il peut se passer deux ou trois mois sans que nous soyons présents. Dès qu'il y aura suffisamment de clients, nous mettrons quelqu'un à demeure sur place. Je suis optimiste.

M. Jacques Gillot, rapporteur  - Quel est votre regard sur le bio français ou européen par rapport à celui des pays tiers ?

Mme Valérie Sassé. - Comme je vous l'ai indiqué précédemment, il y a une équivalence pour les importations. Il n'y a pas de différence. Il peut y avoir des cahiers des charges nationaux qui ne sont pas reconnus. Là, nous n'avons pas de jugement à donner.

M. Jacques Gillot, rapporteur  - Nous avons entendu dire que le bio de certains pays tiers ne correspondait pas à nos normes.

Mme Valérie Sassé. - Si le produit rentre en Europe, il devrait être de même qualité. Nous sommes en relations étroites avec les autres organismes de certification. Quand nous avons un doute sur un produit, nous nous adressons à l'organisme chargé du contrôle sur place et qui l'a certifié. S'il ne répond pas dans les trois mois, le produit est déclassé. Nous savons que si un organisme de contrôle n'est pas aussi performant qu'un autre, c'est toute la filière qui en pâtira.

Mme Gisèle Jourda. - Je souhaitais vous demander s'il y avait une corrélation entre les différents organismes certificateurs dans le domaine du bio mais vous avez répondu par anticipation à ma question.

Vos premiers clients aux États-Unis vous ont amenés à essaimer dans ce pays. En outre-mer, vous avez indiqué que vous aviez 230 clients. Avez-vous la même politique offensive de développement pour susciter une demande de votre clientèle potentielle ?

Mme Valérie Sassé. - Nous sommes partagés dans notre démarche car nous sommes attentifs à ne pas casser la dynamique des organismes de développement agricole avec lesquels nous avons noué des partenariats. Nous ne prenons pas l'initiative mais quand il est utile de proposer du temps humain pour monter une filière, nous montrons notre disponibilité. Enfin, il nous faut également tenir compte de la petite taille de ce marché. Une intervention est gourmande en énergie et, si nous disposons de nombreux collaborateurs, ils sont déjà bien occupés par la croissance qui nous tire et nous oblige à recruter.

M. Michel Magras, président. - On ne décide pas de faire du bio tout seul et on ne peut pas se passer de la certification. Avez-vous un système d'alerte pour vous prévenir en cas d'anomalie ?

Mme Valérie Sassé. - Nous avons une procédure de dénonciation des faux producteurs bio. Nous pouvons être alertés par des personnes du voisinage. Nous pouvons également dénoncer de nous-mêmes ces producteurs auprès du service des fraudes. Si les producteurs sont certifiés par nous, nous lançons une investigation. Si le fraudeur n'est pas certifié, nous ne pouvons rien faire à notre niveau et nous prévenons les autorités.

M. Maurice Antiste. - Pourriez-vous nous adresser de la documentation ?

Mme Valérie Sassé. - Comme nous sommes attentifs à l'environnement, je suis venue sans document imprimé mais je vous ferai parvenir ma présentation et des guides sous une forme informatique.

Vous m'aviez demandé des précisions sur les perspectives de développement du label équitable. Je me suis renseignée auprès de mon collègue de la Fédération Européenne des Associations de Conseil en Ingénierie (EFCA). Il m'a indiqué qu'il n'y avait pas aujourd'hui de filière sur l'équitable en outre-mer. Par contre, chaque fois qu'il y a un enjeu de territoire de culture et de bio, l'équitable est intéressant. Quand la banane de Guadeloupe est plus chère que celle de la République dominicaine pour des raisons de coût de la main d'oeuvre, le référentiel ESR (Équitable, Solidaire et Responsable) vient témoigner du respect de l'homme et de ses conditions de travail, ce qui s'ajoute au fait que ce soit un produit bio. Bio, ESR et outre-mer sont compatibles.

Je suis enchantée d'avoir participé à cette audition et j'espère qu'elle contribuera à faire avancer la cause des outre-mer.

M. Michel Magras, président. - Il me reste à vous remercier pour ce moment d'échange fort intéressant. Votre audition nourrira le rapport d'information qui devrait être publié avant la fin du mois de juillet et nous espérons que nos recommandations permettront d'avancer, y compris dans le domaine du bio. Vous serez bien évidemment destinataire d'un exemplaire de ce rapport.