Jeudi 3 novembre 2016

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Normes en matière de construction, d'équipement et d'urbanisme dans les outre-mer - Audition de représentants de grandes entreprises du bâtiment

M. Michel Magras, président. - L'étude de la délégation vise à repérer les points d'achoppement en identifiant les normes qui ne correspondent pas aux conditions concrètes d'activité dans les outre-mer, et qui font ainsi obstacle à la croissance du secteur de la construction. En effet, le climat, le relief, la structuration économique, l'exposition aux risques naturels et les conditions d'approvisionnement en matériaux en outre-mer diffèrent largement de ceux de l'Hexagone. L'étude doit mettre en lumière les réglementations inadaptées qui pénalisent particulièrement les entreprises du bâtiment et des travaux publics (BTP) des outre-mer et freinent la réalisation de logements et de grands équipements structurants à des coûts soutenables.

À la suite des auditions d'ouverture de nos travaux, tenues le 13 octobre, au cours desquelles nous avons entendu la Fédération des entreprises d'outre-mer et la Fédération française du bâtiment, nous procédons aujourd'hui à l'audition de représentants de grandes entreprises qui interviennent outre-mer.

Avant d'aborder le sujet du jour, je vous rappelle que le mois de novembre est jalonné de nombreux rendez-vous. Sur la question des normes applicables au BTP, nous aurons deux autres réunions, les 17 et 22 novembre : nous voyagerons, grâce à la visioconférence, en Nouvelle-Calédonie et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Sur la question des conflits d'usage et des outils de planification en matière foncière, nous tiendrons également deux visioconférences, les 23 et 24 novembre, avec la Guyane et La Réunion. Enfin, nous nous retrouverons en séance publique le 22 novembre au soir pour l'examen de notre proposition de résolution européenne sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques.

Je rappelle que, pour notre étude sur les normes, Éric Doligé, sénateur du Loiret, est rapporteur coordonnateur, Karine Claireaux et Vivette Lopez, respectivement sénatrices de Saint-Pierre-et-Miquelon et du Gard, étant co-rapporteurs pour les normes applicables au BTP.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Je remercie les deux intervenants d'avoir accepté notre invitation. La question des normes en matière de construction nous préoccupe beaucoup. Peut-être nous diront-ils que les normes présentent des avantages ou qu'au contraire elles sont des freins, notamment pour la compétitivité. Nos collègues élus de l'outre-mer connaissent bien la problématique de la contrainte des normes, tout comme ceux de l'Hexagone - même si elle est, en métropole, moins importante. Nous souhaitons savoir si les outre-mer sont particulièrement pénalisés.

M. Philippe Raffin, directeur technique recherche et développement de Colas. - Je suis directeur technique recherche et développement chez Colas, après avoir passé plus de dix-sept ans à La Réunion, en tant que directeur technique bâtiment et génie civil. Je connais donc bien ce territoire, tout comme Mayotte et la Nouvelle-Calédonie, qui relevaient également de mon secteur d'intervention. Cela fait six ans que je suis rentré en métropole, mais les problématiques n'ont pas changé.

M. Christophe Vaslin, directeur technique de Bouygues Construction. - J'exerce mes fonctions dans les Antilles et en Guyane. L'activité de Bouygues Construction en outre-mer est assurée par Bouygues Bâtiment Outre-mer, basé en Guyane, qui intervient aussi dans les Antilles, et par Bouygues Travaux Publics. Bouygues Bâtiment International intervient, en dehors du périmètre strict des départements et collectivités d'outre-mer, dans les pays avoisinants - nous avons ainsi un retour d'expérience intéressant des pays de la Caraïbe. Dans le domaine de l'énergie, Bouygues Énergies et Services a récemment été chargé de la construction de la centrale thermique de Saint-Martin.

Bouygues Bâtiment Outre-mer est une structure créée en 2012. Notre activité dans les Antilles et en Guyane est donc assez récente : si nous ne pouvons pas apporter toutes les réponses, nous avons du moins un oeil neuf !

Il est difficile de comparer les textes, qui sont très nombreux, pour déterminer lesquels sont les plus contraignants pour le secteur du BTP dans les outre-mer. Beaucoup d'entre eux comportent des dispositions de bon sens, mais aussi des exigences intrinsèques pénalisantes qui pèsent sur le coût de construction. Une analyse poussée des textes permettrait néanmoins leur adaptation fine aux problématiques de l'outre-mer.

Nous avons identifié des difficultés d'application des normes relatives au logement des personnes à mobilité réduite (PMR), à la production d'eau chaude sanitaire et à l'énergie solaire. Je mentionne également pour mémoire les difficultés d'application des dispositions fiscales de la loi Girardin.

Nous n'avons pas d'exemple concret de chantier dont la réalisation aurait achoppé sur des questions d'inadaptation des normes aux outre-mer. Néanmoins, certains projets d'équipements importants ont été reportés. La complexité de la conception liée au respect des textes applicables et au coût financier qu'il représente en est-elle à l'origine ? On peut l'imaginer. Je pense au CHU de Pointe-à-Pitre et à la maison d'arrêt de Basse-Terre.

Il est intéressant d'observer le fonctionnement des pays proches des régions françaises d'outre-mer. Beaucoup d'entre eux ne disposent pas de la structure administrative adéquate pour rédiger et faire appliquer des normes et des textes réglementaires. C'est la raison pour laquelle ils choisissent souvent d'appliquer soit les normes françaises, soit les normes anglo-saxonnes. Au-delà de ce fil rouge que constitue la réglementation choisie, ils font souvent preuve de pragmatisme, en excluant l'application de certaines normes. Pour ce qui concerne les textes relatifs à la structure et à la réglementation en matière de sécurité incendie, peu d'adaptations sont faites, peu de dérogations sont acceptées, si ce n'est au travers d'un dialogue avec les organismes de secours locaux. Pour ce qui est des règles de construction en matière d'accessibilité pour les PMR et d'acoustique, les adaptations sont beaucoup plus nombreuses.

Concernant la réglementation en matière de sécurité incendie, le choix des règles a un impact important sur le coût de la construction. Le modèle français est fondé sur un principe passif, l'objectif étant d'éviter la propagation du feu et des gaz toxiques grâce à des barrières physiques pré-résistantes ; le modèle anglo-saxon privilégie un principe actif, avec un recours généralisé à des systèmes de type sprinkler. Choisir le modèle français impose d'utiliser des matériels certifiés NF, plus coûteux que leurs équivalents américains, de provenance certes plus proche, mais ne répondant pas aux normes de qualité françaises. Le surcoût de construction est à mettre en balance avec le coût de maintenance, assez faible dans notre modèle, non négligeable dans le modèle anglo-saxon.

M. Philippe Raffin. - Les normes en elles-mêmes ne posent pas de difficultés majeures. En l'absence de normes, nous serions confrontés à des situations comme celles que connaissent les États-Unis : alors qu'il s'agit d'un pays développé, le moindre cyclone y provoque des dégâts importants.

On constate plutôt des antagonismes entre normes dans certains domaines. En matière d'accessibilité pour les PMR, la hauteur des seuils est limitée à 2 centimètres maximum ; Cela n'est pas compatible avec les règles d'étanchéité qui imposent un seuil de 15 centimètres minimum pour les voies d'accès extérieures. La conciliation des normes nécessite alors de créer une rampe. Cette petite contrainte, appliquée à tout un programme de logements, produit des surcoûts monstrueux !

Un autre problème tient au fait que la réglementation est appliquée à l'identique en métropole et outre-mer. Par exemple, on exige que la température d'utilisation du béton ne dépasse pas 32 degrés : en métropole, cela ne pose pas de problème ; dans les zones ultramarines, c'est un véritable sujet ! Certes, on sait refroidir le béton mais, avant l'entrée en vigueur de cette norme, nous faisions du béton à des températures supérieures sans que cela pose de difficulté. Colas est présent dans l'océan Indien depuis soixante ans : nous avons toute l'expérience nécessaire.

Autre exemple, nous intervenons dans le projet de route du littoral à La Réunion. C'est un projet gigantesque par sa taille, son coût et ses problématiques. Aux termes du cahier des charges, les méthodes de dimensionnement des caractéristiques du béton doivent respecter des prescriptions qui viennent tout juste d'être adoptées. Contrairement à ce qui s'est toujours fait en matière de dimensionnement des ouvrages, plutôt que de prévoir les dosages de ciment et la hauteur des protections des armatures, une approche beaucoup plus scientifique a été mise en oeuvre. Le problème vient de ce que les matériaux disponibles à La Réunion ne sont pas systématiquement compatibles avec le cahier des charges ! On a dû en faire venir d'Oman et de Madagascar...

M. Jeanny Lorgeoux. - Ceux qui bâtissent les cahiers des charges sont hors sol !

M. Philippe Raffin. - Cela peut arriver.

M. Charles Revet. - Votre remarque sur l'outre-mer vaut aussi pour l'Hexagone. Certains cherchent à imposer des normes à des régions qu'ils ne connaissent pas. On parle de simplification, mais on ajoute de nouvelles normes tous les jours ! Ne faudrait-il pas regrouper l'ensemble des procédures dans un document, et fixer un délai ?

J'ai été président de conseil général pendant plus de dix ans. Nous essayions de faire venir des entreprises en Normandie. Des investisseurs étrangers nous ont expliqué que, à Rotterdam, on leur imposait des règles tout aussi contraignantes que les nôtres, mais que, une fois le dossier rempli, il n'y avait plus de modifications. En France, de nouvelles normes pouvaient leur être opposées une fois le chantier lancé, ce qui pouvait les conduire à démolir en partie ce qu'ils avaient déjà construit.

M. Philippe Raffin. - Je fais partie de plusieurs commissions de normalisation. On relève des évolutions des caractéristiques des matériaux : il faut donc procéder à des révisions. Faut-il pour autant tout changer ? C'est un autre débat. Le problème est plutôt celui de l'applicabilité des normes en outre-mer, qui exigerait une relecture ou une adaptation locale.

En matière thermique, il est maintenant prévu que les logements soient naturellement ventilés. Outre-mer, nous n'avons pas attendu qu'une norme l'impose pour le faire ! Mais le cadre est devenu tellement rigide que cela conduit à des situations absurdes. Si l'on veut réaliser une ventilation transversale pour des chambres d'hôtel, il faut diviser en deux le couloir central et faire deux corps de bâtiments...

En matière d'orientation, les textes prescrivent que les bâtiments soient perpendiculaires aux vents dominants : à La Réunion, où les pentes sont importantes, parfois supérieures à 45°, si l'on dispose les bâtiments en fonction du vent et non de la topographie, les surcoûts d'infrastructures seront faramineux, sans parler des problèmes techniques.

Pour éviter que l'on applique à l'identique, de manière irréfléchie, les normes métropolitaines aux territoires ultramarins, il faudrait qu'une commission d'experts locaux - au sens large du terme, ce ne seraient pas forcément des ingénieurs - soit chargée d'apprécier leur pertinence et de proposer, le cas échéant, des adaptations.

M. Jeanny Lorgeoux. - Il faut dire aux préfets de contextualiser l'application prudentielle de la réglementation.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Vos entreprises sont importantes : elles peuvent toujours surmonter les difficultés et s'adapter pour respecter les cahiers des charges. Il ne faut pas continuer à contraindre les entreprises si cela conduit à des résultats aberrants, en termes de coûts, de concurrence... Des améliorations sont possibles. Nous entendons faire des propositions réalistes. Vos contributions, parmi d'autres, doivent nous permettre de trouver des solutions pour obtenir les mêmes résultats, mais par des moyens différents, plus rapides et moins coûteux.

Mme Karine Claireaux, rapporteur. - Dans le cadre de la Fédération des entreprises publiques locales, j'ai participé à un atelier sur l'inflation des normes et sur les solutions qui pourraient être mises en place dans le domaine de la construction. Nous avons défendu le droit à l'expérimentation zone par zone, outre-mer par outre-mer, pour permettre une adaptation au contexte local, au climat, aux matériaux disponibles. Il faut aussi faire confiance au bon sens des entreprises et à celui des élus. Cette souplesse nous permettrait de proposer des solutions concrètes, tout en respectant les réglementations en matière de sécurité incendie, de sécurité des personnes...

Mme Odette Herviaux. - Nous n'arriverons jamais à nous attaquer à toutes les normes « imbéciles ». Il faut plutôt définir des principes qui ménagent des possibilités d'adaptation en outre-mer : l'expérimentation, la proportionnalité des décisions et la dérogation.

On peut accuser le législateur d'établir trop de normes - nous devons faire notre mea culpa ! - et l'administration de vouloir tout prévoir et anticiper, mais il ne faut pas oublier les professionnels, qui définissent les normes techniques. Vos instances professionnelles comptent-elles des représentants des outre-mer ? Il serait préférable de régler les problèmes en amont.

M. Michel Magras, président. - En bout de chaîne se pose le problème de la responsabilité du maître d'ouvrage, du maître d'oeuvre, de l'élu qui risque d'être condamné pour non-respect de telle ou telle norme. L'adaptation doit avoir un caractère opposable.

M. Christophe Vaslin. - Les normes françaises ont été directement transposées aux outre-mer, ce qui les rend quelquefois difficilement applicables. Néanmoins, il est nécessaire de prévoir un encadrement.

La réglementation thermique, acoustique et aération (RTAA) offre l'exemple d'un texte écrit directement en vue d'une adaptation à l'outre-mer. La ventilation naturelle était habituellement pratiquée dans les habitats des îles tropicales. Construit il y a quinze ans selon des normes métropolitaines, un bâtiment de logements a été récemment détruit en Guyane en raison de problèmes sanitaires liés à l'humidité et à la mauvaise ventilation. C'est une bonne chose de revenir à la ventilation naturelle et de retrouver ainsi les pratiques traditionnelles. On peut s'adapter en faisant effectuer des simulations de ventilation, afin d'être sûr d'atteindre le résultat recherché.

Comment définir des normes spécifiques dérogatoires ? L'idée d'un engagement sur les résultats plutôt qu'une prescription de moyens est intéressante. Le marché public global de performance pourrait être utilisé : cela nous permettrait de faire une expérimentation en incitant les maîtres d'oeuvre à atteindre un objectif. Ce retour d'expérience pourrait faire jurisprudence et permettre de dégager de nouvelles normes dérogatoires plus adaptées.

M. Philippe Raffin. - L'expérimentation est fondamentale, car les ouvrages sont de plus en plus complexes et la modélisation n'est pas forcément suffisante. Étant chargé de l'innovation chez Colas, je dis toujours : « Démarrons petit, rêvons grand ! » Il ne sert à rien de débuter par de grands projets, il faut d'abord tester. Il faut être capable d'assumer le fait que cela ne fonctionne pas, de démolir et de refaire. Le grand perdant est alors le maître d'ouvrage qui supporte le risque financier et assume la responsabilité.

N'oublions pas le passé ! Bien des solutions qui donnaient satisfaction ont été écartées à la suite de l'adoption de normes. C'est le cas pour la ventilation naturelle. Si l'on généralisait les toitures-terrasses sans pente, le résultat outre-mer serait catastrophique : le débit des pluies y est tel que l'on constaterait une multiplication des sinistres.

Il faudrait constituer une équipe d'experts réunissant l'ensemble des acteurs de la profession - ingénieurs, architectes, maîtres d'ouvrage, bureaux de contrôle. Quand les documents techniques unifiés (DTU) n'étaient pas applicables outre-mer, des documents de référence sur différents sujets - étanchéité, acoustique, gros oeuvre... - avaient été élaborés localement.

Plutôt que des dérogations, je préfère envisager des transpositions adaptées aux usages locaux.

M. Jeanny Lorgeoux. - Créolisons la norme !

M. Philippe Raffin. - Le classement de La Réunion en zone sismique est un exemple flagrant de non-sens. On y a enregistré des phénomènes sismiques, mais c'est logique pour un territoire qui compte un volcan actif ! Les assureurs comme SMABTP n'ont ainsi relevé aucun sinistre lié à des événements d'origine sismique. Les surcoûts liés à ce classement sont énormes, et les délais de réalisation des projets se trouvent allongés.

Les pays avoisinants, comme Madagascar et Maurice, appliquent d'autres normes souvent moins exigeantes, mais cela ne fonctionne pas forcément plus mal. La durabilité est peut-être moindre, mais c'est un choix à faire. La construction en briques est satisfaisante, même si elle demande davantage de maintenance au maître d'ouvrage. La France est quasiment le seul pays où l'on a prescrit avec autant de détails pour chaque type de bâtiment ou d'ouvrage, les matériaux et les méthodes de construction. C'est sans doute aussi cette approche très normative et très prescriptive qui a permis aux entreprises françaises de devenir des leaders mondiaux de la construction et de l'ingénierie des travaux publics.

M. Charles Revet. - Nos aînés avaient beaucoup de bon sens. Avez-vous transmis vos réflexions aux administrations concernées ? Comment vos propos sont-ils reçus par ceux qui font les réglementations ?

M. Christophe Vaslin. - L'information remonte via la Fédération française du bâtiment, dont vous avez auditionné les représentants. Le classement en zone sismique de La Réunion est emblématique de la crainte de se voir reprocher de ne pas avoir pris les dispositions nécessaires en cas de secousses. La question de la responsabilité est centrale. Le problème est le même en métropole, avec la nouvelle carte sismique, qui a conduit à une augmentation des coûts de construction dans nombre de départements où l'on n'a jamais ressenti de secousses.

M. Michel Magras, président. - Une différence doit être faite entre la sismicité tectonique et la sismicité locale liée à la présence d'un volcan sur le territoire. La première est extrêmement dangereuse : elle correspond au mouvement des plaques, que l'on connaît et qui impose de fixer des normes sismiques. Que la Fournaise à La Réunion tremble de temps en temps ne présente pratiquement aucun risque. En revanche, les Antilles connaissent une véritable activité sismique et le risque y est réel.

M. Philippe Raffin. - Quand les études sont conduites par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), une fédération régionale du bâtiment ne peut pas faire le poids face à lui ! Une fois les règles établies, il est trop tard. Le maître d'ouvrage ne peut pas y déroger, pas plus que le maître d'oeuvre. L'entreprise n'est pas audible. On comprend que les assurances ne veuillent pas fermer les yeux sur une dérogation aux normes. Comme nous intervenons très en aval de ce processus, il est difficile pour nous d'obtenir des résultats.

Pour réaliser la route des Tamarins, à La Réunion, nous avons dû construire des viaducs de 200 mètres de hauteur. Nous avons été confrontés à un refus d'assurance parce que nous n'avions pas apporté la preuve que les ouvrages résisteraient à un tsunami...

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Il faudrait comparer les coûts de construction d'un immeuble de logements dans l'Hexagone, en Guyane et au Brésil. En Guyane, des matériaux conformes aux normes européennes doivent être utilisés, alors que, de l'autre côté du fleuve Oyapock, des matériaux locaux suffisent. En métropole, les frais d'acheminement des matériaux sont moins importants. Au final, le prix de revient n'est pas le même. L'application des mêmes règles en Guyane et dans l'Hexagone pose problème. Les surcoûts pourraient être évités en Guyane s'il était possible d'y utiliser des matériaux brésiliens. Cette piste est-elle explorée ? Ou n'est-il absolument pas possible de déroger aux normes sur les matériaux de construction ?

Mme Vivette Lopez, rapporteure. - Il faut se mettre tous ensemble autour d'une table - bureaux d'étude, ingénieurs, élus locaux. Quand vous faites des propositions, êtes-vous entendus ?

M. Maurice Antiste. - Je vous remercie de votre franchise. Après avoir entendu vos propos, il est de notre responsabilité d'aller plus loin. C'est tout le sens de notre engagement politique. Lors de la dernière campagne pour les élections sénatoriales, j'avais annoncé que je ferais preuve de la plus grande vigilance quant à l'adaptation de tous les textes - pas seulement les normes dans le domaine de la construction. Tout est pensé ici, selon des normes métropolitaines, qui sont elles-mêmes élaborées sous le regard de l'Europe. Le résultat peut être catastrophique. En Martinique et en Guadeloupe, nous sommes beaucoup plus exposés au risque sismique. Nous attendons le grand méchant tremblement de terre...

M. Michel Magras, président. - Pour la plupart, nous sommes à la fois des producteurs de normes, en tant que parlementaires, et des élus locaux tenus de respecter les normes nationales.

Tantôt les élus locaux ont peur d'être mis en cause sur le plan civil ou pénal pour ne pas avoir appliqué les normes, tantôt ils ont la volonté de passer outre certaines d'entre elles. Dans mon territoire, quand il s'est agi de réaliser des travaux au col de la Tourmente, nous ne pouvions pas respecter deux normes : la limitation de la pente à 8 % et le rayon de 35 mètres pour un rond-point, deux règles totalement absurdes à Saint-Barthélemy. Résultat : le département a été contraint de passer outre, la collectivité apportant sa garantie en matière de responsabilité. Voilà un bel exemple d'inadaptation des normes.

Reste que les élus locaux ne peuvent pas sans cesse passer outre. C'est pourquoi notre délégation entend veiller à l'adaptation des normes européennes comme nationales. À cet égard, je rappelle que la proposition de résolution européenne sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques sera examinée en séance publique, à la demande de notre délégation, le 22 novembre prochain.

M. Philippe Raffin. - Il faut bien mesurer que, dans un projet comme celui de la route du littoral à La Réunion, qui a mis plusieurs années à mûrir, nous intervenons très en aval. C'est seulement lorsque le choix du maître d'oeuvre et toutes les études préalables ont été faits et les appels d'offres lancés que nous entrons en jeu. Ce qu'il faut, c'est constituer un groupe de réflexion composé d'experts, qui réunisse l'ensemble des acteurs de la construction mais soit déconnecté de tout projet particulier. Cela n'empêchera pas les maîtres d'ouvrage, qui sont les donneurs d'ordres, de s'appuyer sur cette commission au cas par cas, par exemple pour savoir quelles innovations peuvent être testées - pour que l'on puisse innover, il faut d'abord que le maître d'ouvrage en ait la volonté.

En outre, il faut mesurer combien les normes environnementales, à l'instar de la loi sur l'eau, sont lourdes. Tous ces éléments doivent être considérés en amont de la décision de construire et, même quand on s'y prend en amont, le travail est très long. Si l'on est obligé de traverser l'océan pour aller chercher des cailloux adaptés, ce n'est pas parce qu'il n'existe pas de carrières potentielles à proximité des chantiers ; c'est parce que les études nécessaires en matière d'impact environnemental pour savoir si on peut ou non les ouvrir n'ont pas été menées.

M. Charles Revet. - La présence de quelques chauves-souris suffit pour qu'il soit impossible d'exploiter une carrière...

M. Philippe Raffin. - Une disposition récente oblige, quand on construit sur une friche, même abandonnée depuis des décennies, à trouver une surface équivalente dans un certain périmètre afin de permettre à tel ou tel animal de se déplacer... De telles règles sont totalement délirantes ! Or elles entraînent le blocage de certains projets.

M. Michel Magras, président. - Permettez-moi de vous poser une question un peu directe. Lorsque nous avons auditionné la Fédération française du bâtiment, nous avons eu le sentiment d'une certaine frilosité à l'égard de la différenciation des normes en outre-mer. Appliquer le principe de précaution, c'est très bien, mais jusqu'à un certain point seulement ! Les instances professionnelles ne devraient-elles pas au contraire inciter le législateur à agir et formuler des propositions d'adaptation ?

M. Philippe Raffin. - Il n'y a pas que des représentants des entreprises qui siègent dans les commissions de normalisation. L'administration, au sens le plus large du terme, y est également représentée. On ne peut donc pas dire que telle ou telle norme serait issue d'une réflexion menée au sein du monde de l'entreprise. À la vérité, il manque un gros maillon dans la chaîne de la transposition. En métropole, l'outre-mer, ce sont de lointaines cartes postales... Je ne pense pas que les sujets ultramarins puissent être traités par des entités nationales - je parle ici des entreprises, car ce sont les acteurs que je connais.

M. Christophe Vaslin. - Quand il s'agit de faire des choix en matière de nouvelles normes ou de nouveaux produits, par exemple pour privilégier le recours à des matériaux locaux, j'ai le sentiment qu'un acteur manque encore autour de la table : le secteur des assurances. Il faut en effet se préoccuper de l'assurabilité de ce que l'on construit.

En outre-mer sont pratiquées des surprimes d'assurance, liées notamment à l'existence de risques naturels, à toutes les étapes du processus : la phase de réalisation des travaux, pendant laquelle les entreprises restent propriétaires des équipements, puis la phase où la responsabilité passe au maître d'ouvrage. Globalement, le surcoût est de l'ordre de 30 % à 40 %.

Par ailleurs, les assurances ne couvrent un bien que s'il a été réalisé conformément aux règles applicables. On retrouve la question de la responsabilité qui peut bloquer le recours à un mode de construction traditionnel dont on sait pourtant qu'il fonctionne et qui n'entraîne pas de surcoût.

Il est sans doute incongru de s'interroger sur la résistance à un tsunami d'un ouvrage construit à 200 mètres d'altitude... Pourtant, même dans un cas aussi flagrant, les discussions sont très longues pour arriver à faire accepter à l'assureur qu'il n'y a pas de risque !

Mme Karine Claireaux, rapporteur. - J'entends bien qu'il y a des normes et qu'il faut les respecter. Seulement, nous sommes là pour faire bouger les choses, et nous avons besoin pour cela de votre expertise.

Dans toutes les réunions auxquelles j'ai participé, dans le cadre de notre délégation mais aussi, par exemple, dans celui de la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer (CNEPEOM), on se contente de constater qu'il y a des normes nuisibles sans prendre aucune mesure. Il nous appartient de saisir cette occasion de changer les choses, et nous ne le ferons pas sans vous !

Si l'on se préoccupe assez peu de l'outre-mer en général en métropole, on s'y préoccupe encore moins de Saint-Pierre-et-Miquelon où, pourtant, on fait preuve de pragmatisme : alors que les personnes construisent souvent leur propre maison, réalisant elles-mêmes l'installation électrique, par exemple, les assurances ne demandent jamais de certificat garantissant la conformité de celle-ci. Dans certains endroits, on sait donc faire preuve de bon sens pour éviter des surcoûts qui ne pourraient pas être absorbés. Une telle attitude joue un peu avec les lignes mais, si des adaptations de bon sens étaient autorisées, cela nous simplifierait la vie et permettrait aux entreprises de mener des expérimentations. Les coûts resteraient raisonnables, sans pour autant que les constructions soient moins sûres ou moins propres à répondre aux besoins.

Au-delà de notre délégation, nous devons agir tous ensemble pour promouvoir la notion d'adaptation des textes auprès du Gouvernement, puis auprès de l'Union européenne.

M. Michel Magras, président. - C'est ce que nous sommes en train d'essayer de faire dans le domaine phytosanitaire, avec la proposition de résolution européenne dont j'ai parlé, il y a quelques instants.

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Nous ne devons pas écrire dans notre rapport : « il serait intéressant... », « il serait souhaitable... ». Si nous en restons à ce registre, on s'assoira sur notre travail ! Il faut que nous soyons très pragmatiques, très précis et très directifs, en expliquant au moyen d'exemples concrets qu'on ne peut pas continuer comme aujourd'hui et qu'il faut changer de système.

On juge les partenariats public-privé scandaleux parce qu'ils coûtent plus cher et engagent nos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, alors que, avec la loi MOP, il n'y a pas d'engagement sur le futur. Seulement, si l'on prenait la peine de comparer deux projets identiques réalisés selon chacun des modèles, on pourrait faire des projections sur trente ans très instructives. Nous sommes devant un problème analogue. Importer à La Réunion des matériaux provenant de Madagascar paraît aberrant a priori, mais il faut parvenir à montrer de façon extrêmement pragmatique pour quelles raisons la situation doit changer.

C'est pourquoi je vous ai demandé tout à l'heure de nous donner des exemples concrets. Imaginez que l'on vous commande un immeuble en Guyane et le même vingt kilomètres plus loin, au Brésil. Pour les construire, vous procédez de deux manières tout à fait différentes, avec des résultats financiers différents, tout en ayant les mêmes objectifs en matière d'accessibilité et de sécurité. Bref, il faudrait arriver à démontrer qu'il existe des solutions pour obtenir les résultats voulus à des coûts inférieurs. Car si les coûts ne posent aucun problème, non plus que les délais et la complexité des normes, il n'y a aucune raison de faire le moindre changement !

Chacun est conscient qu'il est idiot et ridicule qu'un ouvrage situé à 200 mètres de hauteur soit soumis à des normes anti-tsunami ; mais ce qui importe, c'est que, si un chantier du même type est lancé demain, les choses se passent différemment. Nous ne voulons pas que, si on doit construire une nouvelle route des Tamarins, on vous impose le même cahier des charges que pour la précédente, comportant les mêmes aberrations !

M. Jeanny Lorgeoux. - En un mot, enrichissez notre argumentaire !

M. Michel Magras, président. - Vous serait-il possible de nous transmettre, avant la publication de notre rapport, les exemples concrets que notre rapporteur coordonnateur vous demande ? On peut penser, par exemple, à deux projets menés dans deux îles voisines des Caraïbes, l'une soumise aux normes françaises et l'autre aux normes anglo-saxonnes. Je présume que la différence de coût sera évidente sur la facture finale.

M. Christophe Vaslin. - C'est tout à fait possible.

Mme Vivette Lopez, rapporteure. - Nous voulons que notre rapport débouche sur des modifications législatives, car, comme l'a signalé Maurice Antiste, l'affaire est grave.

Je m'étonne que des organismes comme Socotec, l'Apave et les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), qui sont pointilleux sur nombre de sujets, ne disent pas que les choses ne vont pas.

M. Raffin a dit que les territoires ultramarins, vus de métropole, se résument encore à des décors de cartes postales. Comment changer ce regard ?

M. Charles Revet. - M. Raffin a souligné tout à l'heure que des méthodes plus traditionnelles pourraient être réactivées pour mieux prendre en compte les réalités locales. J'ai toujours pensé qu'il y avait plus de matière grise dans dix cerveaux que dans un seul. Or, aujourd'hui, dans les collectivités territoriales, on fait très souvent appel à un bureau d'études, donc à un seul cerveau. Pour ma part, je suis partisan de la formule de la conception-réalisation, qui permet que plusieurs projets soient présentés. C'est ce que j'avais proposé quand j'étais rapporteur du projet de loi portant réforme portuaire. Cette démarche ne favoriserait-elle pas une meilleure prise en compte des spécificités locales ?

M. Christophe Vaslin. - J'ai parlé tout à l'heure des marchés globaux de performance - c'est la nouvelle appellation de la démarche de conception-réalisation.

Dans le cas d'un partenariat public-privé, parce qu'on raisonne en termes de coûts globaux en se projetant à trente ans, on construit de manière beaucoup plus pérenne qu'on ne le fait autrement aujourd'hui.

La formule de conception-réalisation dont vous parlez, est en effet un bon moyen de faire des expérimentations. Elle peut s'appliquer à des marchés d'envergure, mais il faut arriver à mettre au point des normes et un processus qui vaillent aussi pour la construction d'une maison individuelle, ce qui n'est pas évident.

L'idée a été émise d'instaurer une commission d'experts dans chaque territoire ultramarin. Je me demande si une telle commission ne pourrait pas jouer un rôle d'audit des projets d'envergure, pour promouvoir un point de vue local. Aujourd'hui, les projets que nous réalisons aux Antilles et en Guyane sont conçus en métropole, sans prise en compte des particularités locales. Ce système permettrait peut-être de développer l'emploi de certaines ressources - je pense au bois - et de promouvoir de nouvelles pratiques.

Agir de manière globale sur toutes les normes est difficile ; mais faire procéder à un audit des projets par une commission qui en tirerait des enseignements en vue de les transposer dans les documents techniques unifiés ou les règles professionnelles locales pourrait être un moyen d'aboutir.

M. Philippe Raffin. - Il ne faut pas perdre de vue que le problème du chômage est particulièrement grave dans les territoires ultramarins. Il y a donc toute une dimension sociale à prendre en considération. Si l'on bascule vers la conception-construction, les marchés seront dévolus à de grandes entreprises, ce qui n'est pas forcément l'objectif d'un maître d'ouvrage public. Remarquez que je ne prêche pas pour ma paroisse...

On peut redescendre d'un cran et parler d'allotissement. Un conseil départemental peut confier la construction d'un collège à une seule entreprise, ou à plusieurs en faisant des lots séparés. La seconde formule est plus coûteuse en argent et en temps, mais elle est préférée pour des raisons sociales. Le premier système mène à la mort du tissu de PME locales, dont les grandes entreprises ont elles-mêmes besoin.

Pour de gros projets, la conception-réalisation est un atout fort ; mais il vaut sans doute mieux ne pas la généraliser de manière aveugle pour de simples raisons de coût.

Penser que les normes européennes et françaises vont être écartées et que l'on va définir des normes locales est un non-sens. Les territoires ultramarins font partie de la France et de l'Europe. La base normative existe, avec ses qualités et ses défauts. Il faut maintenant qu'elle puisse être adaptée aux conditions locales. De ce point de vue, une commission locale serait utile pour valider ou amender les « normes chapeaux », nationales et européennes, avant leur application en outre-mer. Les décisions d'adaptation pourraient être différentes d'un territoire ultramarin à l'autre. À ma connaissance, il n'y a pas de cyclones à Saint-Pierre-et-Miquelon...

Mme Karine Claireaux, rapporteur. - Nous pouvons avoir des queues de cyclone.

M. Philippe Raffin. - Pour un même projet, on n'installera pas la même fenêtre à Saint-Pierre-et-Miquelon et aux Antilles !

Cette commission devra comprendre des représentants de tous les acteurs de la construction. Elle ne saurait être composée seulement de représentants des entreprises ou des maîtres d'ouvrage. Il existe de nombreuses expertises locales, appuyons-nous sur elles pour trouver des solutions aux problèmes locaux ! Constituer une équipe locale chargée d'adapter les normes me paraît vraiment fondamental. Il faut que la loi prévoie cette ouverture.

M. Michel Magras, président. - Je suis content que vous ayez employé le mot « différenciation ». La différenciation territoriale est une clé, particulièrement en outre-mer, mais aussi en métropole. Il s'agit de laisser aux collectivités territoriales le pouvoir d'adapter les règles à leur territoire.

Il faut seulement mesurer que toutes les règles sont liées entre elles. Ainsi, lorsque, à Saint-Barthélemy, nous décidons des règles applicables sur notre territoire en matière d'urbanisme, de construction et de logement, parce que la compétence nous en a été transférée, nous n'en restons pas moins soumis au respect des règles édictées dans tous les autres domaines, en particulier la santé, l'hygiène ou le droit du travail.

Il faut que le législateur puisse autoriser les collectivités territoriales, en fonction de leur statut propre, à adapter les règles aux réalités locales dans un certain nombre de domaines, tout en maintenant l'unité de la République. Tel est l'exercice que nous devons réussir, en décidant où placer le curseur.

M. Philippe Raffin. - Il faudrait que les rapporteurs chargés du suivi d'une norme au sein des commissions locales soient associés à l'élaboration de celle-ci, pour qu'ils puissent signaler les répercussions d'une décision mais aussi comprendre dans quel esprit la norme est conçue.

M. Jeanny Lorgeoux. - Il faut une possibilité d'amodiation souple du canevas général.

M. Philippe Raffin. - Absolument : davantage que de dérogation, je préfère parler de transposition adaptée. Les bureaux de contrôle, qui s'inscrivent dans la même démarche, ont une vraie expertise, sur laquelle il faut s'appuyer. Dans l'organisation actuelle, ce sont certainement eux qui voient le plus grand nombre de sinistres, ce qui leur donne une vision extrêmement large de toutes les pathologies. C'est bien l'analyse des erreurs commises qui permet de mettre au point des solutions. Ces bureaux pourraient jouer un rôle de rapporteur au sein des commissions locales, en tout cas sur la partie technique, d'autant qu'ils sont neutres, à la différence d'un maître d'oeuvre ou d'une entreprise. Leur contribution serait utile aussi en matière d'innovation.

Mme Karine Claireaux, rapporteur. - L'exemple des menuiseries m'a rappelé un fait qui s'est produit chez nous. À Saint-Pierre-et-Miquelon, la pluie tombe à l'horizontale ; l'affirmation fait sourire, mais certains ont payé pour savoir qu'ils auraient mieux fait de nous écouter. Ainsi, un bâtiment public conçu par des ingénieurs de l'État comportait des menuiseries non adaptées au contexte local. Lorsque je l'ai fait remarquer, j'ai eu droit à un sourire condescendant. Résultat : deux ans plus tard, il a fallu changer toutes les menuiseries. N'oublions pas d'écouter de temps en temps les locaux !

M. Philippe Raffin. - Un ingénieur est là pour trouver des solutions adaptées au contexte local. Au besoin, de nombreux tests peuvent être menés. Il suffit de commander une menuiserie et de la soumettre à des tests de résistance, sur place ou, par exemple, au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - Je m'interroge sur la création d'une commission locale qui adapterait les « normes chapeaux », dans la mesure où prévaut la logique du parapluie : il faut se protéger et prendre le moins de risques possible. Il faudrait que la commission locale ait une légitimité et que les solutions qu'elle propose soient reconnues comme pouvant être mises en oeuvre sans mise en cause de sa responsabilité ou de celle de ses membres. À défaut, si la commission locale recommande l'emploi d'un certain type d'huisseries, on la tiendra responsable d'éventuels dégâts. Dans l'exemple de Saint-Pierre-et-Miquelon, si une commission avait préconisé une solution qui s'était ensuite révélée médiocre, elle aurait été considérée comme responsable. Les assurances couvriraient-elles une commission locale, si celle-ci n'a pas la légitimité d'une instance centrale ? Il faut trouver une formule qui permette la reconnaissance du pouvoir de la commission locale, afin que ses décisions soient respectées.

Comment peut-on faire passer le message qu'il faut abandonner la mise en oeuvre des normes sismiques à La Réunion, où elle n'a pas de sens ? Qui prendra la responsabilité de mettre fin à leur application ? Ces questions se traduisent en chiffres : si l'application d'une norme augmente les coûts de 20 %, on pourra, en l'abandonnant, construire six collèges pour le prix de cinq, et fournir ainsi plus de travail. Ainsi donc, une application assouplie et réaliste des normes peut permettre de réduire les coûts, d'augmenter les volumes de construction et, partant, de répondre en partie au problème du chômage. Notez bien que je ne parle ni d'une suppression ni d'un contournement de la norme, mais d'une adaptation ne sortant pas du cadre légal.

M. Philippe Raffin. - Ce n'est pas parce qu'une norme est nationale ou européenne qu'elle ne comporte pas d'erreur manifeste. Une norme à périmètre national ou européen n'offre pas une garantie meilleure qu'une norme locale ! Elle offrira même une garantie moindre si la norme locale est définie par une commission composée d'experts implantés localement et expérimentés. Si j'étais assureur et qu'une telle commission existait, je lui ferais davantage confiance qu'à une commission nationale ou internationale.

De plus en plus, les normes européennes sont édictées non par des experts, mais par des scientifiques issus du monde académique. On ne peut pas définir des normes sur la seule base d'équations !

M. Éric Doligé, rapporteur coordonnateur. - En cas d'accident, celui qui a respecté la norme, même si celle-ci est erronée, ne verra pas sa responsabilité mise en cause. Respecter la norme permet d'être couvert.

M. Philippe Raffin. - Les assureurs sont très attachés aux retours d'expérience. Quand on leur explique qu'il n'y a aucun problème depuis des années, ils sont très à l'écoute, d'autant qu'ils peuvent le vérifier dans leurs statistiques.

Quel est le problème si un système de ventilation de type naco, qui n'est pas satisfaisant du point de vue de l'étanchéité, est installé dans une salle de bain ? Quand bien même, sous l'action d'un cyclone, un peu d'eau entrerait dans une pièce humide, où serait le problème ? Un assureur peut entendre ce discours de bon sens.

Il serait intéressant de consulter les assureurs, qui disposent de leviers d'action très importants. La notion de chantier expérimental n'est pas nouvelle...

M. Christophe Vaslin. - Les compagnies d'assurances travaillent en effet beaucoup sur la sinistralité, car les primes dépendent des risques constatés. Elles doivent être associées aux expérimentations, pour pouvoir constater ce qui fonctionne.

M. Michel Magras, président. - Messieurs, nous souhaiterions pouvoir bénéficier de réponses écrites au questionnaire que nous vous avons transmis.

Notre objectif est de partir des constats, de poser un diagnostic et de formuler des préconisations, mais pas seulement : nous voulons, ensuite, transformer ces préconisations en mesures concrètes.

Adopter une démarche de différenciation territoriale est une nécessité pour permettre l'adaptation des règles aux réalités locales.

Mme Vivette Lopez, rapporteure. - J'aimerais connaître votre sentiment sur le rôle des normes dans la compétition internationale. Sont-elles des protections des marchés ultramarins pour les entreprises françaises ? Sont-elles des freins à l'export dans les marchés de l'environnement régional ?

M. Philippe Raffin. - Les normes protègent l'emploi local. La Réunion est voisine de l'île Maurice, qui est un peu moins riche, et de Madagascar, l'un des pays les plus pauvres au monde. Or les entreprises de ces deux pays n'interviennent pas sur le marché réunionnais, du fait notamment des normes applicables. Là où il n'y a pas de normes, ou des normes peu nombreuses et inadaptées, comme en Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest, on peut voir des entrepreneurs chinois, par exemple, débarquer du jour au lendemain et faire des propositions de prix inférieures de 50 % aux nôtres, qui sont déjà très basses. Les normes jouent incontestablement un rôle protecteur des territoires. À l'inverse, elles n'empêchent pas nos entreprises d'aller travailler ailleurs.

Quant aux normes ASTM, pourquoi ne pas s'inspirer de certaines d'entre elles, sans les appliquer telles quelles ? Nous devons non pas être étanches à toute influence extérieure, mais raisonner en termes de bonnes pratiques, dans un esprit pragmatique et en tenant compte des contextes locaux.

M. Christophe Vaslin. - Les normes françaises sont clairement protectrices à l'égard de la concurrence. Au sein de Bouygues Construction, ce sont des équipes de la métropole qui étudient les projets et appuient leur réalisation aux Antilles et en Guyane. Dans les pays environnants, c'est Bouygues Bâtiment International qui opère, avec sa capacité à s'adapter aux normes de chaque pays ; mais cette dernière structure a beaucoup de mal à s'intéresser aux territoires français ultramarins, parce que s'adapter à nos normes est trop compliqué pour elle ! Ce sont plutôt des équipes de la métropole qui maîtrisent les normes françaises. Au sein d'un même groupe, cette différenciation est nécessaire pour permettre une meilleure adaptation.

M. Maurice Antiste. - Il faudrait nous communiquer non pas un exemple de coûts liés aux contraintes normatives, mais plusieurs, afin d'être plus rigoureux.

M. Philippe Raffin. - Nous en donnerons chacun un. J'ajoute qu'il faudrait s'intéresser aussi aux différentiels d'octroi de mer.

M. Michel Magras, président. - Messieurs, vos explications nous ont été précieuses. Je suis confiant sur la qualité du travail que nous effectuons et j'espère qu'il contribuera à l'amélioration de la situation réelle de nos territoires.