Mardi 24 janvier 2017

- Présidence de M. Jean-François Longeot -

Audition de M. Pierre Dartout, préfet de la région Nouvelle- Aquitaine, et de M. Patrice Guyot, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Nouvelle-Aquitaine

La réunion est ouverte à 15 h 05.

M. Jean-François Longeot, président. - Nous poursuivons cet après-midi les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.

Nous commençons par entendre M. Pierre Dartout, préfet de la région Nouvelle-Aquitaine et M. Patrice Guyot, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Nouvelle-Aquitaine.

En effet, parmi les quatre cas que notre commission d'enquête examine en particulier figurent d'une part, l'autoroute A65, réalisée juste après le Grenelle de l'environnement et objet de mesures compensatoires dont nous souhaitons évaluer le contrôle et le suivi, et d'autre part, le projet de ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, pour lequel des mesures compensatoires sont en cours de réalisation.

À travers ces deux exemples, nous souhaitons apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant, et identifier les difficultés et obstacles éventuels empêchant la bonne application et le bon suivi de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo et d'un compte rendu en sera publié.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Pierre Dartout et Patrice Guyot prêtent successivement serment.

Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête, soit l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau ?

M. Pierre Dartout, préfet de la région Nouvelle-Aquitaine. - Je n'ai pas de lien d'intérêt avec les projets que vous avez mentionnés autres que l'autoroute A65 et la LGV Tours-Bordeaux. J'ai été en poste en Loire-Atlantique, mais à une date ancienne.

La mise en oeuvre de la séquence ERC est désormais un principe fondamental qui anime l'action des services de l'État, chargés d'en assurer la diffusion auprès de leurs partenaires : la séquence est mise en oeuvre que le maître d'ouvrage soit l'État, une collectivité territoriale ou un acteur privé. C'est un point important, notamment au regard de la délivrance des autorisations au titre de la loi sur l'eau, des dérogations à l'interdiction de détruire des espèces protégées et, demain, de l'autorisation unique qui simplifiera les procédures sans pour autant en réduire le niveau d'exigence.

Les DREAL suivent attentivement la mise en oeuvre de la compensation des atteintes à la biodiversité, au vu des difficultés que celle-ci peut présenter. Elles s'appuient sur leur très bonne connaissance des procédures, mais aussi des milieux naturels où des installations sont envisagées. Il est important de veiller à ce que les autres partenaires, collectivités territoriales et opérateurs économiques, prennent eux aussi en compte les enjeux environnementaux. L'objectif est de rechercher l'acceptabilité globale du projet par le public concerné et en prenant soin de faire respecter la séance ERC.

Les services de l'État interviennent à toutes les phases de l'élaboration du projet ; et lorsqu'ils ne sont pas le maître d'ouvrage, il convient qu'ils le fassent aussi en amont que possible : ils garantissent la bonne application des textes, mais aident aussi le porteur de projet à identifier les solutions les mieux appropriées.

La bonne connaissance par les services de l'État de l'état initial de l'environnement concerné est une condition essentielle de la mise en oeuvre de la séquence ERC ; elle doit reposer sur des inventaires, des rapports et des études précis, objectifs et approfondis. Dans le cas des infrastructures linéaires notamment, le choix du meilleur fuseau doit également intégrer d'autres critères que la protection de la biodiversité, d'ordre technique, financier, économique et social.

L'application de la réglementation sur les espèces protégées relève normalement du préfet de département, sauf pour certaines espèces menacées, où elle est exercée au niveau ministériel. Le préfet de région que je suis a un rôle de coordination lorsque le projet concerné présente une dimension interdépartementale. En tant que service instructeur, la DREAL veille à la bonne application de la séquence ERC dans la prise des arrêtés de dérogation, notamment à l'interdiction de destruction d'espèces ou d'habitats d'espèces protégées. Au-delà du plan réglementaire, les services de l'État ont aussi une fonction de conseil voire d'assistance à maîtrise d'ouvrage, en veillant à la bonne intégration des enjeux de la biodiversité par les bureaux d'étude sollicités.

Ainsi, dans le projet de LGV Sud-Europe Atlantique (SEA), la DREAL est d'abord intervenue pour l'instruction des demandes de dérogation relatives aux espèces protégées au stade du défrichement et des opérations d'archéologie préventive, puis dans le cadre du projet lui-même, porté par le concessionnaire LISEA.

Quel est le déroulement classique de la procédure ? Au stade de la conception, jusqu'à la déclaration d'utilité publique (DUP), il convient d'intégrer la séquence ERC à travers l'identification des enjeux environnementaux, notamment dans les différentes variantes retenues. Il faut alors mobiliser des acteurs locaux, notamment les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), pour la recherche de solutions foncières de compensation. Dans cette phase, qui dure environ trois ans, le projet n'est pas assez mûr pour la mise en oeuvre précise de mesures d'évitement.

Après la DUP commence la conception détaillée. L'élaboration des dossiers réglementaires intègre la séquence ERC ; les acteurs locaux sont mobilisés pour la recherche de foncier dans le cadre de la compensation. Une fois le dossier déposé auprès du préfet de département, l'instruction est conduite par la direction départementale du territoire (DDT) pour les autorisations prises dans le cadre de la loi sur l'eau, par la DREAL pour les dérogations relatives aux espèces protégées.

Les éventuelles mesures de compensation sont conçues et réalisées indépendamment du chantier routier ou ferroviaire. La durée de conception et de réalisation est sensiblement égale à celle du projet lui-même.

Les relations entre les services déconcentrés et les collectivités ou communes dont les territoires vont accueillir les mesures de compensation commencent avec la recherche du foncier. S'il incombe aux services de l'État de contrôler le respect par le maître d'ouvrage des mesures de compensation prescrites, ils n'ont pas de relations directes avec les collectivités. En revanche, sous maîtrise d'ouvrage de l'État, la mobilisation des collectivités est assurée par un prestataire ensemblier qui assiste le maître d'ouvrage dans la conception, la mise en oeuvre et la gestion des mesures compensatoires.

La première phase de la mise en oeuvre de la compensation est l'évaluation de la dette compensatoire, conduite par les services de l'État sur la base d'éléments méthodologiques et d'expertises scientifiques réalisées par les conservatoires botaniques, le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel et le Conseil national de la protection de la nature (CNPN). Enfin, certains fonctionnaires ont une connaissance approfondie des milieux naturels, en particulier dans notre région.

Il faut ensuite définir les ratios de compensation pour déterminer le montant de la dette compensatoire surfacique ou linéaire. La qualification est reprise dans l'arrêté de dérogation et accompagnée de prescriptions sur les conditions de mise en oeuvre.

Dans la troisième phase, celle de l'exécution de l'arrêté, le porteur de projet présente des propositions de sites et de mesures de compensation. Une attention particulière est portée aux potentialités du site retenu pour l'implantation d'une espèce. Lorsque, dans l'état initial, le milieu offre un habitat pour l'espèce considérée, le site de compensation ne sera retenu que si sa plus-value dans la restauration de l'espèce ou de son habitat naturel est avérée.

À titre d'exemple, le projet de l'autoroute A65 s'est déroulé selon la séquence suivante : définition des mesures de compensation, définition des référentiels habitat cible par espèce ciblée, définition d'une enveloppe cible de surface, prospection foncière sur 8 000 hectares, validation par la DREAL des sites potentiels, choix des gestionnaires de site, évaluation de l'état écologique initial des sites, validation de ceux-ci, élaboration de plans de restauration-gestion sur cinq ans, nouvelle validation par la DREAL et mise en oeuvre, mise en place d'une gouvernance dans le cadre d'un comité de suivi, définition d'indicateurs pour le bon suivi des espèces, et enfin définition des conditions d'un suivi annuel. Le fort investissement des services de l'État a abouti à la définition d'un cadre particulièrement précis pour le porteur de projet dès l'adoption des arrêtés de dérogation.

Des adaptations de la dette compensatoire peuvent être consenties lorsque le porteur de projet fait état de contraintes de disponibilité foncière de nature à perturber la compensation. La qualité de l'animation foncière est essentielle : pour l'A65, l'animateur a su trouver plus de 1 600 hectares de surfaces écologiquement pertinentes. Enfin, il appartient aux services de l'État de suivre l'exécution des mesures de compensation dans le temps.

Les mesures de compensation sont naturellement étudiées projet par projet : c'est la responsabilité de chaque maître d'ouvrage. Les effets cumulés ne sont pris en compte que depuis une date récente, et de manière insuffisante. Un exemple : pour le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) - le projet de LGV Bordeaux-Toulouse, avec un embranchement conduisant à Dax -, l'un des principaux enjeux résidera dans l'articulation avec les mesures de compensation prises dans le cadre du projet de l'A65. Les fuseaux sont en effet très proches.

Les projets d'infrastructures linéaires doivent garantir la mise en oeuvre de la séquence ERC à tous les stades, avec la limite évoquée précédemment pour la phase en amont de la DUP. Le principal enjeu est l'appropriation par tous les acteurs des orientations et modalités de la doctrine ERC. Elle progresse nettement dans les bureaux d'études spécialisés dans l'environnement, moins dans les bureaux plus généralistes ; mais l'effort majeur doit porter sur les collectivités territoriales et les acteurs économiques. Notons que pour certains projets, en particulier les projets d'infrastructures linéaires, il est plus difficile de trouver des zones d'évitement.

Existe-t-il des différences de traitement significatives entre les grands projets et les projets de moindre ampleur ? En droit, tous les projets doivent faire l'objet d'un traitement équivalent au regard du code de l'environnement ; mais dans les faits aussi, il n'y a pas de grand ou de petit projet. Même un « petit » projet peut soulever des questionnements et des contestations. Les paramètres les plus décisifs dans la prise en compte des enjeux relatifs à la biodiversité sont la plasticité du projet, c'est-à-dire la possibilité ou non d'y ménager des adaptations ; lorsque l'État n'est pas maître d'ouvrage, la qualité et l'efficacité de l'accompagnement par ses services en amont et dans le suivi ; le suivi et la disponibilité en moyens humains pour infléchir les mesures d'évitement dans le cadre des grands projets ; et enfin les capacités financières pour absorber les études et mesures de compensation.

La cohérence juridique des mesures de compensation autorisées par les services déconcentrés de l'État sur l'ensemble du territoire national repose sur la définition, par l'autorité environnementale, de directives harmonisées et sur le rapport annuel relatif à l'exercice de l'autorité environnementale établi par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). La cohérence scientifique est notamment assurée grâce à l'expertise et la connaissance du terrain du CNPN, qui nous donnent une vision plus large de la qualité des mesures de compensation mises en oeuvre et de leur cohérence à l'échelon national.

Le contrôle de la mise en oeuvre et de l'efficacité des mesures de compensation nécessite, en particulier dans la phase d'instruction des demandes de dérogation, des moyens humains importants. Les services de l'État procèdent à un contrôle administratif sur pièces, mais aussi à des visites de terrain sur les secteurs les plus sensibles, en collaboration avec les établissements publics chargés de la police de l'environnement - l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) jusqu'à la création de l'Agence française pour la biodiversité (AFB). Environ 50 % des sites sont visités par les services de l'État. Pour la LGV Tours-Bordeaux, le taux atteint 100 % en Gironde, mais il est bien moindre en Charente-Maritime, en Charente et dans la Vienne, compte tenu de la bonne connaissance des territoires concernés par les services.

Le contrôle nécessite naturellement des effectifs adaptés en nombre et en compétence.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Les avez-vous ?

M. Pierre Dartout. - La DREAL de Nouvelle-Aquitaine est issue du regroupement des DREAL des trois régions fusionnées. Dans ce contexte de réforme territoriale et de réduction régulière des moyens de l'État, et en particulier des services déconcentrés, les mutualisations et la spécialisation des DREAL sur des tâches précises doivent nous permettre de mieux conduire nos missions. Pour répondre plus précisément, même si leurs moyens ont été réduits, les DREAL restent des services consistants et à même de travailler pour chacun des douze départements de la région.

Nos services ont relevé plusieurs infractions dans le cadre du projet de LGV, parmi lesquelles la destruction d'habitats naturels à l'occasion du franchissement de cours d'eau aux abords de la Dordogne ; la cause constatée était l'insuffisante matérialisation de la mise en défens du chantier. Nous cherchons à déterminer si les sanctions administratives prévues par la récente loi sur la biodiversité sont applicables aux manquements constatés, en particulier en termes de calendrier.

La planification des zones de compensation en amont des projets a davantage de sens en zone urbaine, où la tension foncière est forte. Les schémas de cohérence territoriale (SCoT), là où ils existent, donnent une visibilité de la consommation des espaces naturels et zones ouvertes à l'urbanisation. À l'inverse, la planification est moins adaptée aux infrastructures linéaires ; la compensation est plutôt conçue, suivant la nature de l'ouvrage, sur la base des principes de proximité écologique et de rétablissement des continuités. Dans ce cas, intégrer les mesures de compensation dès le stade de la DUP raccourcirait les délais de réalisation.

Le projet de LGV Tours-Bordeaux a donné lieu à un travail de restauration ou d'amélioration des continuités écologiques pour l'espèce emblématique qu'est le vison d'Europe. Un dispositif dynamique a été conçu, appuyé sur des compensations surfaciques et linéaires. Ainsi, des passerelles sont ménagées au bord de l'eau à destination des visons.

Une planification de la compensation peut-elle être envisagée à l'échelle régionale ? Il incombe aux porteurs de projet de désigner des tiers en capacité d'assurer la mobilisation des acteurs locaux, la recherche foncière, la conception-réalisation des actions de compensation, voire la gestion compensatoire. Nous n'avons pas encore pu identifier ces tiers : les conservatoires du littoral, par exemple, sont contraints par leur spécialisation territoriale.

Il nous faudra beaucoup de pédagogie pour expliquer les enjeux de la biodiversité. En dépit de son caractère d'intérêt public et des engagements internationaux de notre pays en la matière, la mise en oeuvre des mesures de compensation est parfois mal comprise.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Estimez-vous que les inventaires de la biodiversité ont été conduits de manière satisfaisante sur le tracé de la LGV Tours-Bordeaux ? Ce sont des territoires très étendus. Quel a été le coût de la réalisation de ces inventaires ?

M. Patrice Guyot, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Nouvelle-Aquitaine. - Tout d'abord, je déclare n'avoir aucun lien d'intérêt avec les projets, autres que l'autoroute A65 et la LGV Tours-Bordeaux, que vous avez évoqués en préambule.

J'en viens à votre question. L'emprise du projet de LGV est considérable, si bien qu'identifier en amont l'ensemble des espèces est une tâche difficile. Il est d'ailleurs fréquent que l'on soit amené à revoir les arrêtés portant dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées parce que l'on découvre des espèces en cours de projet - certaines s'installant même sur le chantier pour peu que les mesures de mise en défens soient imparfaites.

Nous avons consacré beaucoup de temps, en revanche, à nous mettre d'accord sur la qualité des dossiers destinés à l'estimation des compensations.

Quant au coût des inventaires associés à ce projet, je ne dispose pas d'estimation.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pourriez-vous nous faire parvenir cette information par écrit, afin de nous donner une idée de ce que serait un ratio coût-surface raisonnable ?

Le CNPN a rendu, en 2012, un avis négatif, estimant que le projet avait subi d'importantes modifications, pour environ 1 000 hectares, ce qui n'est pas rien, et qu'il ne disposait pas des éléments d'inventaire nouveaux, notamment pour la flore. Comment en est-on venu là ?

M. Patrice Guyot. - Dans la phase d'amont, lorsque l'on en est encore à un fuseau de 1 000 mètres, la surface à prendre en compte, s'agissant d'un projet d'infrastructure de 300 kilomètres de long, est considérable : il est très difficile de disposer d'un panorama exhaustif. Le travail d'inventaire se poursuit à mesure que l'on avance. Depuis les études de projet qui font suite à la DUP jusqu'à la phase de chantier, il faut continuer de l'affiner. C'est pourquoi il est essentiel que le maître d'ouvrage s'entoure des compétences requises, notamment en matière écologique, durant toute la conduite du projet.

Cela dit, le versement du contenu de l'ensemble des études à un registre national, tel que le prévoit la loi pour la reconquête de la biodiversité, améliorera, à terme, notre connaissance naturaliste du terrain.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Il faut donc considérer que le dossier soumis au CNPN vient trop tôt. Comment expliquer ce problème de calendrier ?

M. Patrice Guyot. - Il est indispensable, comme je l'ai dit, que le maître d'ouvrage s'entoure des compétences requises. Peut-être y avait-il, sur ce point, une marge d'amélioration.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Le rôle de la puissance publique n'aurait-il pas été de l'alerter ?

M. Patrice Guyot. - L'État entretient un dialogue permanent, qui se déroule avec plus ou moins de fluidité, avec le maître d'ouvrage, dès le début du projet. Pour le passage ou CNPN, nous l'accompagnons même, pour améliorer son dossier, et pouvons être amenés à l'appeler à la vigilance sur certains points. À lui, ensuite, d'en tenir compte.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Quelles conséquences concrètes avez-vous tirées de cet avis négatif quant à la stratégie de l'Etat et à l'action du maître d'ouvrage ?

M. Patrice Guyot. - Nous avons eu, sur ce projet, un dialogue très nourri avec le maître d'ouvrage, sur l'exigence de connaissance du terrain, d'identification et de caractérisation précise des surfaces de compensation. Ce travail a été long, car il a fallu, pour parvenir à un ensemble validé de mesures compensatoires, se mettre d'accord sur un cadre commun, afin de parler le même langage sur la nature des dossiers à fournir, ce qui explique une partie des retards constatés dans la mise en oeuvre de ces mesures. Un travail énorme a été conduit, et ce sont pas moins de 195 dossiers qui ont été à ce jour validés.

Il est pour nous important, en dépit du fait que les délais courent, de mener ce dialogue, afin de ne céder en rien sur les critères d'appréciation. À tel point que nous avons, depuis plus de six mois, mis en place une instance conjointe de travail avec COSEA pour mener un dialogue technique approfondi aux fins de validation des surfaces de compensation. Nous sommes à présent dans une phase d'accélération, grâce à la fluidification du dialogue.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pour l'hirondelle en Vienne, on sait que le maître d'ouvrage n'a pas respecté l'arrêté préfectoral du 24 février 2012. Quelle est votre position à ce sujet ?

M. Patrice Guyot. - Je vous apporterai, sur ce cas particulier, des précisions écrites.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous avez compris notre souci des inventaires : si vous pouviez nous préciser concrètement, par écrit, les réponses apportées à l'avis du CNPN, nous vous en serons reconnaissants.

Une autre de nos interrogations concerne la condamnation judiciaire de Cosea et les autres procédures en cours d'instruction. Je n'oublie pas ce que nous a dit M. le Préfet des moyens, mais faut-il en déduire que l'État a failli dans sa capacité de contrôle ? Quels enseignements avez-vous tiré de ces procédures ? Et le maître d'ouvrage a-t-il fait ce qu'il fallait, depuis, pour réparer les dégâts environnementaux et revenir au bon état écologique des sites ?

M. Patrice Guyot. - Comme le disait M. le Préfet, les services amenés à exercer un contrôle - la DREAL, l'ONCFS, bientôt l'AFB - procèdent à leurs contrôles par sondages. Nous ne pouvons être présents sur l'ensemble du chantier, mais certains faits nous sont rapportés par les associations ou par des particuliers mobilisés. On ne peut pas considérer que nous sommes en défaut si une difficulté est constatée, mais il est évident que la répétition de tels constats peut être révélatrice, et nous en tenons compte dans nos rapports avec le maître d'ouvrage, pour qu'il y soit remédié.

Cela dit, nous sommes amenés à arbitrer entre l'instruction des dossiers et le contrôle, étant entendu que nous devons avancer, le plus en amont possible de la mise en service de l'infrastructure, sur la validation des sites de compensation, qui est pour nous une priorité.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Quid du retour au bon état écologique des sites ?

M. Patrice Guyot. - Je vous apporterai la réponse par écrit.

M. Pierre Dartout. - Je ne considère pas que les condamnations prononcées signent un échec de l'État, dès lors qu'il n'a pas les moyens d'exercer un contrôle sur l'ensemble du terrain, mais il reste que de telles condamnations ont valeur pédagogique : c'est un signal fort adressé au porteur de projet, pour qu'il veille à ce que les opérations de compensation soient établies dans les cadres requis et selon un calendrier satisfaisant.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - On entend beaucoup insister, en effet, sur la valeur pédagogique, pour le maître d'ouvrage, d'une condamnation. Considérez-vous que le niveau des amendes - quelques dizaines de milliers d'euros sur chaque dossier - contrebalance les avantages que retire le maître d'ouvrage d'un non-respect des arrêtés ?

M. Pierre Dartout. - Cela pourrait être plus élevé, en effet, si l'on veut être pédagogique.

M. Patrice Guyot. - Au-delà de l'aspect dissuasif de l'amende, compte aussi l'effet d'image. Le maître d'ouvrage est très attaché à mettre en avant la qualité de son chantier en matière de préservation de l'environnement. On a pu le constater sur le chantier de l'A65.

Ce qui est déterminant, c'est la prise en compte, très en amont des travaux, de l'exigence de préservation de l'environnement. Si les bonnes options sont prises dès le départ, tant dans le dimensionnement des équipes que dans le choix des prestataires, durant tout le déroulé du projet, depuis les études jusqu'au chantier, les choses se passent bien. C'est pourquoi nous insistons toujours auprès des maîtres d'ouvrage sur la nécessité de se doter, dès l'amont, des compétences requises, y compris en matière foncière, afin d'identifier le foncier nécessaire à la compensation, avant même le stade de la DUP.

M. Alain Vasselle. - Vous n'avez guère évoqué les fédérations départementales de la chasse ou de la pêche, les chambres d'agriculture, la fédération des exploitants agricoles. Or la réalisation de tels ouvrages a un impact foncier : la concertation a-t-elle bien lieu, en amont, avec tous les acteurs touchés par les mesures de compensation ? On sait les règles qui s'imposent aux collectivités territoriales, en matière d'urbanisme, pour assurer la préservation des terres agricoles. Comment parvenez-vous, pour votre part, à maîtriser l'impact sur le foncier agricole des projets qui vous sont soumis?

M. Patrice Guyot. - La concertation est bien menée en amont, dans toutes les phases préalables. Ainsi que l'a rappelé M. le Préfet, dans la conduite d'un projet d'infrastructure de transport, la concertation a lieu à toutes les étapes : celle, très en amont, de l'étude d'opportunité, qui vise à se prononcer sur le principe même du projet et à définir le fuseau des 1 000 mètres, suivie par celle des études préalables à la DUP, qui vise à définir le fuseau des 300 mètres. Et l'environnement n'est que l'un des multiples paramètres pris en compte.

Dans la maîtrise d'ouvrage sur les projets touchant aux routes du réseau national, qu'assure la DREAL pour le compte du préfet, nous prenons ainsi en compte toute une série de paramètres - présence d'une urbanisation, impact sur le monde agricole, sur la sécurité routière, en termes de temps gagné, coût des différentes options, impact sur le milieu naturel. Tous ces paramètres donnent lieu à des comparatifs, soumis à la concertation, dont il est évidemment tenu compte, à travers les bilans de concertation.

Lorsque l'on en vient à la définition des mesures surfaciques de compensation, ce sont les opérateurs fonciers, qui, intervenant pour le compte du maître d'ouvrage, se trouvent au contact de la profession agricole, des collectivités territoriales et des acteurs de terrain, et ont charge de mener la concertation pour éviter les effets négatifs tels que la spéculation.

Qu'en est-il de l'impact des mesures de compensation sur le milieu agricole ? Ses représentants disent souvent qu'ils sont soumis à une double peine, étant à la fois victimes des prélèvements opérés par l'emprise de l'infrastructure projetée et par la compensation. Mais toutes les surfaces destinées à la compensation ne font pas nécessairement l'objet d'une acquisition : nous avons la faculté de passer des conventions - sur des périodes longues, afin de ne pas mettre en cause la pérennité de la compensation - avec les agriculteurs, lesquels s'engagent à user d'un certain nombre de pratiques respectueuses du milieu naturel et de la biodiversité. C'est un moyen d'éviter de priver le monde agricole de ces surfaces.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Rechercher la compensation à proximité n'est peut-être pas toujours la bonne solution, dès lors que l'on peut trouver, non pas à l'autre bout de la France mais à 20 ou 50 kilomètres, des surfaces dont l'équivalence écologique peut même être meilleure. Estimez-vous que dans certains cas, procéder ainsi eût été plus satisfaisant, en cohérence avec la trame verte et bleue et le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) ?

De même, pour éviter ce sentiment de double peine, ne serait-il pas judicieux de réévaluer les faibles sommes allouées dans le cadre du conventionnement ?

M. Alain Vasselle. - Bonne question du rapporteur.

M. Gérard César. - Je remercie nos invités pour leurs réponses. Vous n'avez pas évoqué l'aménagement foncier : n'y aurait-il pas là une solution pour le monde agricole ?

Les SAFER ont-elle les moyens financiers d'intervenir sur la totalité du territoire ? Pour ce qui concerne le monde urbain, avez-vous des relations avec les offices fonciers et sont-ils prêts à intervenir ?

Enfin, l'estimation des domaines vous semble-t-elle suffisante ?

M. Patrice Guyot. - Si nous privilégions la recherche de surfaces de compensation dans la même entité biogéographique, afin d'y limiter au maximum l'impact du projet, il convient néanmoins d'apprécier au cas par cas. Si le choix de la proximité doit se faire au détriment d'une vision à long terme, sans prendre en compte la nécessité d'inclure la compensation dans le cadre d'une trame verte et bleue, mieux vaut l'éviter, car la compensation ne sera pas optimale. Sur des projets d'une telle durée, les effets du changement climatique sont devenus une préoccupation croissante. Car ils commencent à se faire ressentir et peuvent laisser penser que certaines espèces, d'ici quelques décennies, devront migrer. C'est pourquoi il importe d'inscrire les surfaces de compensation dans la trame verte et bleue, qui facilitera ces déplacements. Ceci pour dire que l'inclusion dans un réseau est aussi pour nous un critère, au même titre que la proximité, qui n'en reste pas moins un objectif important : prenons garde, en ouvrant à l'excès la possibilité de retenir des surfaces éloignées, de laisser penser que l'on peut s'exonérer de certaines pratiques vertueuses en acquérant des surfaces ailleurs.

La question de la rémunération du conventionnement rejoint celle des moyens que le maître d'ouvrage doit consacrer, sur la durée, aux mesures de compensation. Ces coûts doivent être intégrés dès la conception du projet, afin que le renouvellement des conventions, qui portent sur une durée de quelque neuf années, quand la concession court sur cinquante ans, ne soit pas mis en cause. Et il y faut, en effet, une juste rémunération : je vous apporterai des précisions sur ce point.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Entre les quelques centaines d'euros attachés aux mesures de type agro-environnementales et l'estimation de 1 000 à 2 000 euros à l'hectare que retiennent les syndicats agricole, la marge est énorme. Où en sont les débats ? Il est pour nous important d'avoir une idée de cette juste rémunération.

M. Patrice Guyot. - L'aménagement foncier intervient bien souvent dans le cadre de la DUP. A ce stade, les mesures de compensation surfacique ne sont pas encore précisément définies, par espèce et par ratio. M. le Préfet a indiqué tout à l'heure que les DUP pourraient aussi porter sur les surfaces de compensation. Si le travail a été bien mené en amont, il est vrai que l'on peut déjà en identifier un certain nombre et prévoir, dans le cadre des opérations foncières liées à l'infrastructure, des aménagements fonciers liés à la compensation.

L'estimation des domaines ? Mon expérience de certains projets routiers m'invite à considérer qu'il faut absolument veiller à se prémunir contre la spéculation. Y compris lorsque nous acquérons à l'amiable, nous y sommes attentifs, pour éviter des effets négatifs sur le monde agricole.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - J'y insiste, nous avons besoin de comprendre comment on en est venu à un avis négatif du CNPN et à des procédures judiciaires.

Votre grande région accueille deux projets d'envergure. N'avez-vous pas le sentiment que le projet autoroutier a bénéficié de la dynamique du Grenelle - il fallait en faire une vitrine et le maître d'ouvrage était soucieux de se montrer exemplaire - tandis que pour la LGV, quelques années plus tard, une part de cette exigence s'est perdue, si bien que la qualité des travaux s'en ressent et que le maître d'ouvrage est moins allant ? Autrement dit, le contexte politique n'est-il pas aujourd'hui un peu moins favorable à la qualité environnementale des projets ?

M. Pierre Dartout. - Je ne crois pas. Il est vrai que le projet de l'autoroute A65 a été mis en oeuvre au moment du Grenelle, et a certainement servi d'exemple : on ne relève pas de contestation et les comités de suivi se passent dans de bonnes conditions.

Pour la LGV, il est incontestable qu'il y a eu plus de difficultés. Le territoire concerné était-il plus sensible dans un cas que dans l'autre ? Je ne puis l'affirmer, mais j'observe que l'opération a été beaucoup plus délicate et qu'il reste du travail à faire pour s'assurer que toutes les mesures de compensation ont bien été prises.

Je n'ai pas le sentiment que la portée du Grenelle se soit usée. L'Etat n'est pas seul à exercer sa vigilance : les juridictions, les associations veillent, et restent très inspirées par les principes du Grenelle, qui ont apporté des novations importantes sur lesquelles on ne reviendra pas.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - En tant que représentant de l'État, votre approche est-elle également économique ? Considérez-vous que la séquence ERC ne doit pas dépasser tel pourcentage d'un projet, pour ne pas le remettre en cause. Il semble que pour l'État, ce pourcentage se situe entre 10 % et 15 %, tandis que certains opérateurs retiennent plutôt une fourchette de 5 % à 10 %. Ce ratio implicite pèse-t-il dans votre stratégie, lors des discussions avec les opérateurs ?

M. Pierre Dartout. - Ce n'est pas une question de ratio. Quand une décision est prise sur le tracé et les modalités de réalisation d'une infrastructure, un certain nombre de critères sont, comme je l'ai dit, pris en compte : environnementaux, mais aussi financiers, techniques et économiques. Face à un dossier environnemental sensible, comme par exemple une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées, notre position doit être équilibrée. Pour justifier une dérogation, il faut que l'intérêt économique soit extrêmement important et que des compensations soient prises.

Il est juste d'ajouter que nous sommes régulièrement confrontés à une double contrainte. La France affiche une ambition forte sur la part de production énergétique issue du renouvelable. Il est donc de notre devoir de faciliter l'éclosion de projets de cette nature - éolienne, solaire, méthanisation. Or, sur certains de ces dossiers, on peut se trouver face à des exigences contradictoires. Je pense aux éoliennes, en nombre restreint dans les anciennes régions Poitou-Charentes et Limousin, et inexistantes dans l'ancienne région Aquitaine. Quand un tel projet se monte, nous sommes parfois pris entre le souci de développer les énergies renouvelables et celui de protéger certaines espèces, comme la chauve-souris. En tant que signataire de l'avis rendu par l'autorité environnementale, je suis très régulièrement confronté à cette situation. Surmonter cette contradiction exige beaucoup de doigté. Y compris pour des projets locaux, plus modestes que ceux dont il est aujourd'hui question. En Gironde, pour le contournement d'un village au nord de Bordeaux par une voie départementale, l'autorisation de dérogation a été annulée par la juridiction administrative, alors qu'il s'agit de réaliser une déviation extrêmement importante pour une partie de la population.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Le motif de l'annulation tient-il à l'insuffisance des mesures compensatoires ?

M. Pierre Dartout. - En effet, des mesures compensatoires étaient requises pour la protection d'une espèce de papillon, l'azurée de la sanguisorbe, au Taillan-en-Médoc, un village où beaucoup d'habitants de Bordeaux ont élu domicile pour accéder à un habitat de qualité à un prix acceptable, et qui se trouve confronté à un problème de congestion routière - comme cela est le cas dans bien d'autres agglomérations. La demande d'une voie de contournement est très forte, car nombreux sont les habitants qui travaillent à Bordeaux. La DUP a été assortie, à juste titre, par mon prédécesseur, de plusieurs autorisations, l'une relative à la loi sur l'eau, l'autre portant dérogation à la destruction d'espèces protégées. La première a été confirmée, l'autre infirmée par le tribunal administratif puis par la cour d'appel. Loin de moi l'idée de contester le bien-fondé de la décision de la justice administrative, mais j'observe que nous avons à tenir compte de cette difficulté, qu'une partie de la population comprend mal...

M. Ronan Dantec, rapporteur. - J'entends bien la difficulté, mais quelles analyses en tirez-vous ? Doit-on comprendre que les mesures compensatoires ont d'abord été sous-estimées, ce qui a conduit le tribunal à sa décision, ou faut-il penser que nous manquons de l'ingénierie environnementale qui permettrait de répondre à un tel problème, très technique ? A-t-on manqué d'une trame verte et bleue à proximité, pour assurer la compensation ?

Dire que la population est demandeuse d'un projet bloqué par un papillon, sur lequel on lance la vindicte, c'est faire bon marché de tous nos engagements écologiques, depuis le protocole de Nagoya jusqu'à la législation européenne et nationale. D'où ma question.

M. Pierre Dartout. - Je pense, objectivement, que le problème de la compensation a été insuffisamment pris en compte. Je ne conteste pas le bien-fondé des mesures de protection de cette espèce, je dis simplement que nous pouvons nous trouver face à une contradiction, parce que la population peut ne pas comprendre. C'est pourquoi j'ai insisté, tout à l'heure, sur l'exigence de pédagogie.

En l'espèce, l'administration de l'État a suivi la demande d'une collectivité territoriale avec laquelle elle a entretenu un dialogue constant : l'intérêt public et l'urgence de l'opération étaient si évidents que l'on a peut-être sous-estimé les mesures de compensation à prendre. Une nouvelle demande de dérogation va d'ailleurs être introduite.

M. Gérard Bailly. - Je pourrais citer moi aussi de tels exemples, pris dans mon département ; tel champ de panneaux photovoltaïque qui n'a pas pu voir le jour, pour les mêmes raisons. Les maires, la population comprennent mal, alors qu'il nous faut trouver de nouvelles sources d'énergie, qu'un papillon puisse faire obstacle à de tels projets. On veut protéger les terres agricoles, mais quand des terrains sont propices à de telles installations, n'ayant ni vocation agricole ni vocation forestière, et se trouvant à proximité du réseau, comment comprendre qu'on interdise leur utilisation ? Encore pourrait-on le comprendre s'il s'agissait d'une espèce rare, qui ne se retrouve pas ailleurs, mais est-ce bien le cas ? Dispose-t-on d'une cartographie des espèces sur le territoire ? Loin de moi l'idée de contester l'exigence de protection de la biodiversité, mais une espèce comme la chauve-souris, par exemple, se retrouve dans bien des coins de France. Qu'un projet énergétique ou qu'une voie de contournement routier se trouvent bloqués quand on sait que telle espèce existe à 10 ou 15 kilomètres de distance est difficile à admettre.

M. Patrice Guyot. - On dispose d'une connaissance partielle de la localisation des espèces, grâce au réseau des zones naturelles d'intérêt floristique et faunistique, des zones Natura 2000 et des réserves naturelles. Mais dans bien des cas, on trouve des espèces protégées dans des zones qui ne bénéficient pas d'une protection particulière, et que l'on ne découvre parfois, au reste, qu'au moment où l'on prospecte. Sans compter que les choses évoluent assez vite. Ne serait-ce que du fait de la présence d'un chantier : des amphibiens peuvent s'installer dans ses ornières, dans ses mares, d'où l'importance d'une mise en défens efficace.

Approfondir notre connaissance cartographique est important, et c'est d'ailleurs l'un des objectifs de la loi pour la reconquête de la biodiversité, qui prévoit le versement du contenu de l'ensemble des études d'impact à un registre national.

Importent aussi les demandes de l'autorité environnementale qui, dans son avis sur la qualité de l'étude d'impact, peut être amenée à recommander des investigations complémentaires sur les caractéristiques du terrain, pour éviter des problèmes ultérieurs.

La conciliation des enjeux est dans l'ADN de la DREAL. Si bien que lorsque nous voyons mettre en exergue une espèce, au motif qu'elle bloquerait des projets, nous le vivons mal : c'est un peu l'arbre qui cache la forêt. Protéger tel papillon peut sembler anecdotique, mais il faut bien comprendre que c'est préserver tout un écosystème, avec ses interactions. On est d'ailleurs capables de monétiser les services rendus à la collectivité par de tels écosystèmes, et cela représente des sommes considérables.

Pour revenir à votre question, je précise que nous dressons des listes d'espèces, qualifiées selon leur localisation - certaines espèces, très rares dans certaines zones, pouvant l'être beaucoup moins dans d'autres. Mes services apprécient ce caractère patrimonial pour mesurer les enjeux attachés à un projet.

La compensation est une science en construction. Nous progressons en permanence, y compris dans le choix des termes figurant dans nos arrêtés, afin de rendre nos prescriptions contrôlables. Il y a un travail d'acculturation collective à mener, incluant les maîtres d'ouvrage, les collectivités territoriales, les services de l'État, pour progresser dans cet immense chantier. Parfaire nos connaissances grâce aux dispositions de la loi pour la reconquête de la biodiversité et à la géolocalisation des surfaces de compensation nous y aidera.

M. Jean-François Longeot, président. - Il me reste à vous remercier, en vous priant de nous faire parvenir les documents complémentaires évoqués.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Lors de son audition, le maître d'ouvrage de l'A65 A'liénor Ingénierie, a parlé d'une enveloppe d'un million et demi d'euros supplémentaires par rapport à l'enveloppe globale de compensation qui devrait être utilisée pour relancer la dynamique de biodiversité, avec le sentiment que l'argent était un peu gaspillé. Votre analyse écrite sur ce point nous serait profitable.

La réunion est close à 16 h 40.

Audition de M. Marc Bouchery, directeur général du syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest et de M. Jean-Claude Lemasson, maire de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, vice-président de Nantes Métropole et élu du syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest

La réunion est ouverte à 17 heures.

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, en entendant aujourd'hui les représentants du syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest. Cette audition s'inscrit dans le cadre des auditions spécialisées que nous menons sur le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui constitue l'un des quatre projets principaux étudiés par notre commission d'enquête. Nous nous déplacerons à Notre-Dame-des-Landes, le vendredi 17 février prochain. Nous souhaitons apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant aujourd'hui et identifier les difficultés et les obstacles éventuels empêchant une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser ».

Nous allons entendre M. Marc Bouchery, directeur général du syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest, et M. Jean-Claude Lemasson, élu du syndicat mixte, maire de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu et vice-président de Nantes Métropole.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fait l'objet d'une captation vidéo et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander aux personnes que nous entendons aujourd'hui de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Marc Bouchery et M. Jean-Claude Lemasson prêtent successivement serment.

M. Jean-François Longeot, président. - Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêt que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête, à savoir l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux et la réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau ?

M. Jean-Claude Lemasson, maire de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu et vice-président de Nantes Métropole. - Je n'entretiens aucun lien particulier avec ces autres projets.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier d'avoir sollicité le syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest (AGO) pour qu'il vous fasse part de son analyse sur le transfert de l'aéroport de Nantes-Atlantique à Notre-Dame-des-Landes, s'agissant en particulier de l'environnement et de la biodiversité.

Nous vous proposerons un propos introductif à deux voix. Marc Bouchery vous présentera les éléments essentiels du projet ; j'interviendrai sur les aspects liés à l'environnement, à la biodiversité et à l'agriculture.

M. Marc Bouchery, directeur général du syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest. - Aucun lien d'intérêt non plus avec les autres projets étudiés par votre commission.

Je m'associe aux remerciements de Jean-Claude Lemasson. Je voudrais, à titre de préambule, dire un mot sur le syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest, qui fédère une vingtaine de collectivités de Bretagne et des Pays de la Loire, dont les deux régions - elles sont, parmi les collectivités, les principaux financeurs du projet -, Nantes Métropole, le conseil départemental de Loire-Atlantique et les communautés d'agglomération de Saint-Nazaire et de La Baule.

Le syndicat mixte a quatre missions principales : assurer le suivi du financement des collectivités et préserver leur intérêt dans le cadre du contrat de concession et des conventions de financement qui ont été signées - elles apportent 115,5 millions d'euros dans le projet ; piloter les études sur les dessertes, notamment en transports en commun, du futur aéroport ; accompagner les territoires qui connaîtront, avec la construction de cet aéroport, un afflux de population ; assurer la promotion du projet et l'information des citoyens, c'est-à-dire expliquer pour quelles raisons ce transfert nous semble indispensable, tant sur le plan économique que sur le plan environnemental.

Je commence par un petit retour en arrière sur l'aéroport de Nantes-Atlantique, construit dans les années 1930, très proche de la ville, dont la piste se trouve dans l'alignement du centre-ville. Très vite, le développement de l'agglomération, corrélé avec la croissance du trafic aérien, a entraîné des contraintes très fortes liées au survol de la ville. C'est pourquoi, dès 1965, le préfet de Loire-Atlantique, en lien avec les élus du territoire, a lancé la recherche d'un nouveau site et mandaté, en 1967, le service technique des bases aériennes, qui a comparé dix-huit sites et choisi celui de Notre-Dame-des-Landes ; d'où la création de la zone d'aménagement différé en 1974.

Ce site a été confirmé, en 1992, par une étude de la chambre de commerce, puis par la commission particulière du débat public. Cette dernière a demandé, en 2003, une étude complémentaire visant à comparer neuf sites de Bretagne et des Pays de la Loire, qui a confirmé que Notre-Dame-des-Landes est le site le plus adapté. Ceci est rappelé dans le rapport de la commission du dialogue demandé en 2012 par le Premier ministre.

Dans le cadre de la démarche « éviter-réduire-compenser », nous devons montrer comment nous avons cherché à éviter le transfert de l'aéroport en étudiant toutes les solutions alternatives. Il nous faut donc expliquer pourquoi, en définitive, l'aéroport est transféré.

Une étude a été menée sur l'optimisation des aéroports existants, toujours par la commission du dialogue ; plus récemment, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a également rappelé que la commission particulière avait ordonné une tierce expertise des études initiales. Le débat public, qui a eu lieu fin 2002 et début 2003, avait déjà soulevé un certain nombre d'enjeux environnementaux et agricoles, notamment en termes de compensation. Avait été décidée la mise en place d'un plan de gestion agro-environnemental visant à apporter une réponse cohérente et transversale auxdits enjeux, par des mesures liées à la compensation de la destruction des zones humides et des espèces protégées, une indemnisation des exploitants agricoles et une redynamisation de l'agriculture. Ce plan a été d'ailleurs validé le 3 juillet 2006 en comité de pilotage.

Ces questions ont donc été abordées dès le stade du débat public. La commission d'enquête publique, qui a donné, le 13 avril 2007, un avis favorable au projet, avait proposé quatre recommandations, dont la création d'un observatoire unique de l'environnement.

Cette question de l'environnement et de l'impact sur l'eau et la biodiversité a imprégné l'ensemble du projet, via la démarche « éviter-réduire-compenser ». Des études ont été menées pour examiner la possibilité de ne pas réaliser ce projet et la viabilité d'autres sites que Notre-Dame-des-Landes. En outre, toujours au chapitre du volet « éviter », sur les 1 239 hectares de l'emprise aéroportuaire, seuls 537 hectares seront aménagés à la mise en service, et 147 hectares artificialisés, soit à peine plus de 10 % de l'ensemble de la concession, bien loin des 2 000 hectares de terre bétonnés parfois évoqués dans les médias, et ceci malgré la mise en place d'un projet à deux pistes. Le CGEDD avait souligné ce dernier élément ; mais un projet à une piste nécessite la création d'un taxiway en parallèle de la piste, consommateur de surface foncière.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous disposons de nombreux chiffres différents ; le chiffrage ne devrait pourtant pas être matière à polémique. Sur les 1 239 hectares, ne seront artificialisés, au total, une fois la construction achevée, que 537 hectares ?

M. Marc Bouchery. - 537 hectares seront aménagés à la mise en service.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - 702 hectares resteront donc en zone naturelle ?

M. Marc Bouchery. - Sur l'ensemble de la concession, 463 hectares sont dédiés à des compensations environnementales.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Ce n'est déjà plus 702 hectares !

M. Marc Bouchery. - Les autres surfaces resteront à l'état d'espaces verts ou d'espaces agricoles.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - On parle généralement de 800 hectares aménagés, avec modification de l'espace naturel.

M. Marc Bouchery. - Il faut distinguer hectares aménagés et hectares artificialisés. 537 hectares seront aménagés à la mise en service du projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Combien d'hectares à la fin du projet ? Le chiffre généralement donné est de 800 hectares.

M. Marc Bouchery. - Aux 537 hectares initiaux, il faut en ajouter 200 environ.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Ceci donnerait, à la fin du projet, 439 hectares non aménagés et à peu près 800 aménagés ?

M. Marc Bouchery. - Un peu moins. Nous pourrons vous communiquer les chiffres précis.

Dans son rapport, le CGEDD tempérait son propos s'agissant de la construction d'une seule piste. Je cite : « Ce dimensionnement paraît suffisant jusqu'au-delà de l'objectif de 9 millions de passagers envisagé par l'enquête publique. Toutefois, réserver autant que possible l'espace pour pouvoir faire évoluer l'infrastructure selon les besoins non identifiés à ce jour est prudent », sachant que tous les aéroports de cette taille, en France, ont aujourd'hui deux pistes.

D'ailleurs, la construction d'une deuxième piste n'a pas tant été décidée pour des raisons de trafic que pour des raisons environnementales : il s'agit d'éviter le survol des bourgs situés dans les principales zones du plan d'exposition au bruit. Ainsi, à Notre-Dame-des-Landes, seules 900 personnes seront concernées par le survol des avions, contre 42 000 actuellement à Nantes-Atlantique, et 80 000, à terme, si l'aéroport est maintenu, avec un avion à basse altitude toutes les 3 minutes aux heures de pointe.

Je précise qu'afin de diminuer ces nuisances, l'aéroport actuel bénéficie d'une dérogation exceptionnelle permettant une approche décalée de 13 degrés, effectuée manuellement, exigeant donc une visibilité de 3 000 mètres, ce qui explique pourquoi les avions vont parfois atterrir à Bordeaux ou à Rennes, lorsque la visibilité est mauvaise. Il s'agit d'un cas unique en France.

Par ailleurs, si l'aéroport était maintenu à Nantes, il faudrait une nouvelle enquête publique pour modifier une trajectoire aérienne inférieure à 2 000 mètres, conformément à la loi - le rapport du CGEDD l'avait très bien mis en évidence - ; en outre, l'extension d'une aérogare doit faire l'objet d'une étude d'impact et d'une enquête publique.

D'ailleurs, ceux qui se plaignaient des nuisances sonores liées à la croissance du trafic à Nantes-Atlantique dans les années 1990 et se battaient pour l'insonorisation des maisons affectées par le survol de l'agglomération nantaise sont parfois les mêmes qui s'opposent aujourd'hui au transfert, alors que le trafic a été multiplié par quatre. Je pense notamment à certains maires qui militaient contre le troisième aéroport parisien et prônaient la décentralisation sur les plateformes régionales, dont Notre-Dame-des-Landes.

J'illustrerai mon propos en citant un rapport intitulé « Analyse des alternatives à la construction d'un troisième aéroport dans le Bassin parisien », datant de juillet 2007, dans lequel Les Amis de la Terre et France Nature Environnement, notamment, écrivaient : « Il n'est certes pas question de trouver dans le projet de Notre-Dame-des-Landes la solution du troisième aéroport parisien. Toutefois, il semble évident que ce projet contribuera d'une manière appréciable à la décentralisation du trafic parisien. Il évitera à des provinciaux une inutile et nuisante correspondance à Paris. »

La ministre écologiste de l'environnement déclarait d'ailleurs elle-même, le 30 octobre 2000 à l'Assemblée nationale, en réponse à un député de Loire-Atlantique : « Vous serez d'accord avec moi pour reconnaître que nous avons un effort particulier à réaliser en faveur du rééquilibrage de la localisation des équipements vers l'ouest de notre pays. C'est pourquoi il a semblé nécessaire, compte tenu des nuisances qui pesaient sur les habitants de Nantes, de déplacer l'aéroport actuel sur le nouveau site de Notre-Dame-des-Landes, à une douzaine de kilomètres au nord de Nantes. »

Vous le voyez, lorsque les opposants affirment qu'aucune étude n'a été effectuée pour éviter le transfert et que la question de l'environnement a été peu traitée, leur lecture du sujet est pour le moins partielle.

M. Jean-Claude Lemasson. - S'agissant des surfaces, l'emprise s'étend sur 1 650 hectares, comprenant à la fois la plateforme et la desserte routière ; 723 hectares aménagés, 176 imperméabilisés - concernant la plateforme proprement dite, ces chiffres s'élèvent respectivement à 545 et à 147 hectares.

En ce qui concerne le volet « éviter » de la stratégie ERC, l'un des sujets, dont on trouve l'écho dans le nom de ma commune, est celui de Grand-Lieu : Nantes-Atlantique est en contact avec la zone Natura 2000 du lac de Grand-Lieu, protégée par la convention internationale de Ramsar relative aux zones humides et deuxième réserve ornithologique de France derrière la Camargue. Il est d'autant plus important de le préciser que les avions en approche, notamment à l'atterrissage, s'ils ne survolent pas la réserve nationale naturelle, survolent bel et bien la réserve régionale naturelle, à moins de 300 mètres. Certains avions, les plus gros porteurs, les A330 par exemple, dont certains commencent à atterrir à Nantes-Atlantique, circulent environ 121 mètres, 400 pieds, au-dessus des marais de Grand-Lieu.

S'agissant de l'évitement, ce sujet est incontournable : comment éviter que nos milieux naturels spécifiques, demain, soient détruits ?

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Monsieur Lemasson, je vous propose de verser au dossier l'enquête scientifique confirmant la réalité, à Grand-Lieu, des atteintes à la biodiversité liées à l'emprise de l'actuel aéroport. Beaucoup de scientifiques, notamment l'ancien directeur de la réserve, soutiennent que l'impact est nul.

M. Jean-Claude Lemasson. - L'ancien directeur de la réserve, qui le fut pendant 24 ans, a en effet étudié le comportement de la faune aviaire eu égard aux survols de la réserve naturelle nationale. Je répète que les avions ne survolent pas la réserve naturelle nationale, mais bien la réserve naturelle régionale ! Il suffit, pour le constater, d'examiner les trajectoires au-dessus de Grand-Lieu. Je produirai les éléments dont nous disposons, monsieur le rapporteur.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous annexerons volontiers l'étude scientifique au dossier.

M. Jean-Claude Lemasson. - Je vous transmettrai les études de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) sur les trajectoires.

La biodiversité est extrêmement présente à Nantes-Atlantique ; ceci est rappelé dans le rapport du CGEDD de mars 2016 sur les alternatives aéroportuaires. Il est même précisé que « du point de vue des habitats identifiés par la directive 92/43 CE, le secteur de Notre-Dame-des-Landes ne présente que peu d'espaces d'intérêt européen en proportion de la surface inventoriée et en valeur absolue. De ce fait, et dans l'optique de la constitution d'un réseau d'espaces significatifs à l'échelle européenne, l'absence de désignation est cohérente. ». Il est aussi précisé que « le site de Notre-Dame-des-Landes s'avère d'une réelle richesse [...], tant par la présence d'espèces menacées que par la taille des populations », et que « cet espace est sensiblement plus riche que d'autres sites évoqués. »

Les auteurs de ce rapport concluent : « Pour autant, ce n'est pas un ensemble d'exception. Ainsi, dans le périmètre de la réserve naturelle de Grand-Lieu, qui ne comprend qu'une partie du lac et des surfaces terrestres peu étendues, on relève pas moins de 10 espèces végétales protégées et 240 espèces animales protégées. »

« Si la quasi-totalité du plateau de Notre-Dame-des-Landes a finalement été classée en zone humide, il est possible de pressentir qu'il en sera de même pour l'espace qu'il serait nécessaire de maîtriser pour moderniser l'aéroport de Nantes-Atlantique en se rapprochant du lac de Grand-Lieu. » L'extension de Nantes-Atlantique se ferait sur le même type de sol ; les problématiques sont donc similaires.

Les auteurs de ce même rapport précisent que Nantes-Atlantique bénéficie d'une dérogation exceptionnelle. Dans l'attente du transfert, « il faudrait allonger la piste d'une centaine de mètres vers le sud pour construire les dégagements de sécurité de bout de piste. Des surfaces devront être acquises, à hauteur de 32 hectares, essentiellement sur des sols pédologiquement humides. »

Tout ceci conduit à la conclusion suivante : « Parmi les sites envisageables, celui de Notre-Dame-des-Landes apparaît encore aujourd'hui comme un compromis acceptable, malgré des difficultés à ne pas sous-estimer. »

Les éléments mis en lumière dans ce rapport du CGEDD, datant de mars 2016, le sont également dans l'étude réalisée pour la chambre de commerce des Pays de la Loire, en avril 2015, sur les capacités d'extension de Nantes-Atlantique. Cet aéroport est situé dans une zone géographique regroupant de nombreux enjeux environnementaux : zone humide, espèces protégées, zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), réserve naturelle, site classé, site inscrit, espace boisé classé, loi Littoral - cette loi s'applique à l'ensemble du territoire de ma commune - et site Natura 2000. Le projet d'extension de Nantes-Atlantique sera soumis à étude d'impact, au titre de l'article R. 122-2 du code de l'environnement, mais également, par voie de conséquence, à évaluation d'incidences Natura 2000, au titre de l'article R. 414-19 du code de l'environnement.

Les contraintes très fortes sur la biodiversité ont donc, selon nous, été clairement posées ; il est apparu que le bilan environnemental était meilleur avec le transfert de Nantes-Atlantique vers Notre-Dame-des-Landes, en incluant dans l'addition la construction du nouvel aéroport, la préservation du lac de Grand-Lieu et la diminution des nuisances sonores.

Nous avons été extrêmement soucieux que le projet soit en phase avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Loire-Bretagne, lui-même approuvé le 18 novembre 2009, ainsi qu'avec le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) de la Vilaine, approuvé le 1er avril 2003, et le SAGE de l'estuaire de la Loire, approuvé, lui, le 9 septembre 2009. Ces schémas recommandent d'ailleurs la méthode fonctionnelle plutôt que la méthode surfacique. Les choix faits par les deux maîtres d'ouvrage sont conformes à ces schémas, mais aussi en phase avec ce que demande la profession agricole, à savoir que la perte de surface soit la plus faible possible. La réalisation des mesures compensatoires par contractualisation répond ainsi à sa demande de concilier protection de l'environnement et exploitation agricole.

La méthode de compensation n'est pas de la responsabilité des collectivités ; celles-ci ont en revanche le devoir de veiller à ce que les dossiers soient élaborés dans la concertation, selon les règles en vigueur et conformément à la loi.

Rappelons quelques dates clés qui ont jalonné ce parcours : en 2006, deux courriers sont versés au dossier d'enquête publique, l'un, du ministre des transports, confirmant que la conception du tracé de l'infrastructure routière a permis de minimiser les impacts sur le territoire concerné, notamment sur l'habitat d'intérêt communautaire, l'autre, du ministre de l'écologie, rappelant que « le traitement des impacts sur la faune et la flore s'est amélioré tout au long de l'élaboration du projet, avec des études sérieuses et des propositions intéressantes. »

La méthodologie du principe de compensation fonctionnelle s'est ensuite concrétisée par un courrier de la ministre en charge de l'environnement, en décembre 2011. L'instruction des dossiers « loi sur l'eau » a en outre donné lieu à des avis favorables des commissions locales des SAGE Vilaine et Estuaire, avant que la commission d'enquête, au terme de l'enquête publique organisée de juin à août 2012, n'émette elle-même un avis favorable, assorti malgré tout de deux réserves sous forme de conditions : la définition d'un cadre juridique, technique et financier avec la profession agricole - c'est en cours - et la mise en place d'une expertise scientifique sur la méthode de compensation.

Par ailleurs, le Gouvernement, en novembre 2012, a créé une commission du dialogue. À l'issue de ses travaux, auxquels j'ai participé, un comité d'experts scientifiques a été installé ; il a analysé la méthode de compensation des maîtres d'ouvrage sur les zones humides et émis 12 réserves, instruites par la direction des territoires et de la mer, permettant l'introduction de garanties supplémentaires dans les projets d'arrêtés présentés au conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques, en novembre 2013. Ledit conseil a lui-même émis un avis favorable.

Le président de ce comité d'experts scientifiques, Ghislain de Marsily, également membre de l'Académie des sciences, a ensuite déclaré, dans Le Monde du 6 février 2016, qu'il n'était pas question de remettre en cause l'accroissement du trafic et le développement économique, ni même de réétudier les qualités du site de Notre-Dame-des-Landes. Je le cite : « La nécessité de déplacer l'actuel aéroport est raisonnable. Il est dangereux, car il oblige à survoler Nantes, et le centre-ville est handicapé par la présence de l'aéroport. »

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous le recevrons et lui poserons nos questions. L'avis scientifique émis en la matière me semble quand même globalement négatif !

M. Marc Bouchery. - L'avis rendu le 5 juillet 2012 par le Conseil national de la protection de la nature était positif.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous parlons de la commission scientifique évoquée par M. Lemasson !

M. Jean-Claude Lemasson. - Elle a en effet émis 12 réserves, ce qui ne vaut pas nécessairement avis défavorable.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous lui reposerons la question, mais je vous invite à relire la synthèse !

M. Jean-Claude Lemasson. - Marc Bouchery le disait à l'instant : le Conseil national de la protection de la nature a émis un avis favorable le 5 juillet 2012. Un protocole sur la réalisation des mesures compensatoires a été conclu le 23 décembre 2013 entre l'État, AGO, porteur du projet, et la chambre d'agriculture.

La chambre avait elle-même conclu, dès 2008, un protocole avec la profession, permettant d'accompagner la relocalisation des exploitants ; sur 40 exploitations concernées, plus de 30, soit environ 80 % d'entre eux, ont accepté une relocalisation ou une éviction à l'amiable. La profession agricole a en outre été directement associée à la mise en place d'un périmètre de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PEAN), de 17 000 hectares, situé entre l'agglomération nantaise et le site même de l'aéroport, représentant 3 fois la surface de la ville de Nantes et 100 fois la surface artificialisée de l'aéroport.

M. Marc Bouchery. - Je dis quelques mots du volet européen. La Commission européenne s'est prononcée, le 13 septembre 2013, lors de la réunion de la commission des pétitions ; le représentant de la Direction générale de l'environnement, saisi par les opposants et par les partisans du projet d'aéroport, avait rappelé la conformité du projet avec le droit européen, indiquant : « La Commission a fondé son avis en constatant, s'agissant tant de la loi sur l'eau que des directives « Habitats » ou des espèces protégées, qu'aucune infraction n'avait été commise par l'État français. Elle a fondé sa décision sur le respect des législations réglementaires européennes et une évaluation jugée satisfaisante des mesures de compensation. Le site, situé en dehors de toute zone Natura 2000, abrite des espèces protégées, mais qui sont présentes dans beaucoup d'autres endroits en France. Ces espèces seront déplacées avant les travaux, qui ne porteront donc pas atteinte à leur survie. »

Pour les collectivités, ce parcours réglementaire et judiciaire est évidemment essentiel ; il a fondé notre conviction que ce projet était indispensable pour les territoires mais aussi parfaitement conforme aux règles en vigueur, sur le plan national et sur le plan européen. D'ailleurs, l'ensemble des recours intentés par les opposants, au premier rang desquels ceux sur les arrêtés environnementaux relatifs à la loi sur l'eau et aux espèces protégées, jugés par le tribunal administratif de Nantes le 17 juillet 2015 et par la cour d'appel de Nantes le 14 novembre 2016, ont conforté ce projet.

En matière de protection de l'environnement, je rappelle quelques éléments donnés par la cour d'appel. La cour a relevé que les projets en cause étaient certes « susceptibles d'avoir des incidences sur les masses d'eau des bassins versants », mais que les masses d'eau affectées par la plateforme aéroportuaire représentaient 1,83 % de la masse d'eau de l'Isac, 0,98 % de celle du Gesvres et 0,03 % de celle de l'Hocmard ; elle a ainsi estimé, compte tenu de la faible surface des masses d'eau impactées, que les autorisations pouvaient être délivrées sans procédure dérogatoire.

Sur la compatibilité des projets avec le SDAGE du bassin Loire-Bretagne, au vu des rapports de la commission du dialogue de 2012 et de la DGAC et du CGEDD de mars 2016, la cour a rappelé que le réaménagement ne constituait pas « une solution alternative présentant un caractère avéré », ainsi que l'exige le SDAGE. S'agissant de la compatibilité des arrêtés avec deux dispositions du plan de gestion et d'aménagement durable du SAGE du bassin de la Vilaine, la Cour a estimé, après analyse des mesures prises, qu'aucune incompatibilité n'avait été constatée.

Enfin, concernant les arrêtés pris au titre des espèces protégées, la cour a estimé que ce transfert répondait bien à une raison impérative d'intérêt public majeur, sans alternative avérée - nous retrouvons la question de l'évitement - et que si les opérations avaient un impact important sur certaines espèces naturelles protégées, elles n'étaient pas de nature à nuire au maintien de chaque espèce dans son aire de répartition naturelle, laquelle s'apprécie aux échelles locale et supralocale.

Pour les collectivités, ces 178 décisions de justice sont essentielles ; elles fondent la parfaite légalité du projet. Jean-Claude Lemasson l'a dit : la mise en place des mesures compensatoires n'est pas de la responsabilité des collectivités, mais du maître d'ouvrage. Leur suivi semestriel et annuel fera l'objet d'une centralisation dans le cadre d'un observatoire de l'environnement. Un comité scientifique indépendant, créé en 2013, sera chargé d'expertiser les travaux. Les collectivités participeront à ce contrôle au sein du comité de suivi des engagements de l'État.

Pour conclure, je souhaite dire un mot sur le démarrage des travaux. Rien, aujourd'hui, à l'exception du blocage illégal et violent du site, n'empêche le début des travaux, ni sur le plan judiciaire ni sur le plan environnemental. Le périmètre de la concession, dont la superficie s'élève à 1 239 hectares, comprend 463 hectares non aménagés qui pourront accueillir les premières compensations environnementales, soit environ 40 % de l'ensemble de la surface.

En outre, en vertu de la loi biodiversité de 2016, les mesures compensatoires peuvent être mises en oeuvre sur des terrains n'appartenant pas au maître d'ouvrage, lequel doit alors conclure des contrats avec les propriétaires, les locataires ou les exploitants. Contrairement à ce que disent certains opposants, notamment, supposé-je, ceux que vous avez auditionnés, des propriétaires et des exploitants sont d'accord pour dédier une partie de leurs terres à ces compensations environnementales ; mais ceux-ci sont aujourd'hui menacés par les occupants illégaux de la ZAD.

Ces occupants interdisent l'accès au site aux maîtres d'ouvrage ou à leurs sous-traitants, dégradent les instruments de mesure, par exemple les piézomètres, saccagent les bureaux d'études, comme celui de Biotope, agressent les scientifiques, comme ceux de l'université d'Angers le 29 avril 2015. Les mesures de compensation ne peuvent donc être engagées. Une ancienne élue du CéDpa, que vous avez auditionné, appelle, dans un de ses livres sur le projet d'aéroport, « à résister, fût-ce en s'opposant à la loi et aux forces de l'ordre ». Dans un tel contexte, où plus de 200 exactions ont été commises à l'encontre des riverains et des exploitants, où les gens sont rackettés, les juges caillassés, beaucoup d'exploitants attendent que la réalisation du projet s'avère irréversible pour se faire connaître officiellement et dédier une partie de leurs terres aux compensations.

C'est d'ailleurs pourquoi les collectivités demandent, notamment depuis le 26 juin et le référendum décidé par le président de la République, l'évacuation du site et le début des travaux, afin de pouvoir respecter le choix démocratique des citoyens, exécuter les décisions de justice, mais aussi engager les compensations environnementales, qui constituent un préalable au projet et ne peuvent pour le moment être effectuées.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Tout d'abord, les instances agricoles départementales soutiennent le projet. Une commission agricole statue sur les questions de surface. Quelle position a-t-elle prise ?

M. Marc Bouchery. - Les chambres d'agriculture participent à la réalisation du projet dans le cadre d'un protocole conclu avec les maîtres d'ouvrage. La concertation est totale.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Aucun avis négatif n'a été émis par les commissions où siègent les organisations agricoles ?

M. Marc Bouchery. - Ces organisations ont pris acte du projet et y participent de manière constructive. Vous pouvez interroger leurs instances.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La question financière intéresse particulièrement le syndicat mixte. À quel niveau estimez-vous le montant des mesures compensatoires à Notre-Dame-des-Landes ?

M. Marc Bouchery. - Le chiffre était, à l'origine du projet, de 40 millions d'euros environ. Cela dit, il faut attendre que les travaux commencent et que les premières mesures compensatoires soient mises en place pour pouvoir donner une estimation précise. La réponse à cette question est du ressort des maîtres d'ouvrage davantage que des collectivités.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pour les collectivités de Loire-Atlantique, les mesures compensatoires représentent-elles un enjeu financier important ? Sur de nombreux projets d'aménagement, les ratios s'élèvent à 10 ou 15 % des projets - c'est ce que nous a dit l'État. Sachant qu'une renégociation va avoir lieu, les collectivités seraient-elles prêtes à participer plus fortement aux mesures compensatoires, si leur montant devait augmenter ?

M. Jean-Claude Lemasson. - Une identification des unités de compensation a été réalisée, à l'issue d'un travail d'inventaire et de fléchage des hectares destinés à la compensation, dans la concession elle-même mais également au-delà. Le concessionnaire a ensuite calculé la valeur économique d'un tel travail de compensation.

Depuis lors, un certain nombre de dispositions environnementales ont vu le jour, avec la loi biodiversité notamment ; des espèces ont été découvertes sur place, ou le seront - je pense par exemple au campagnol amphibie, qui ne figurait pas sur la carte de la Société nationale de protection de la nature (SNPN), en novembre 2012. Il faudra donc faire évoluer l'enveloppe financière dédiée aux compensations. Sur ce type de projets, il y a lieu de répondre aux règles en vigueur au temps T de l'organisation et de la mise en place ; si la part financière destinée à la compensation doit ensuite augmenter, elle augmentera ! Dans quelle proportion ? Je ne saurais le dire aujourd'hui.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Eu égard au vote de la nouvelle loi pour la reconquête de la biodiversité, avec l'idée d'une obligation de résultats et d'un « zéro perte nette » de biodiversité, sachant que la commission scientifique a émis un avis extrêmement réservé - nous entendrons ses représentants lors d'une autre audition -, ne craignez-vous pas que les collectivités se retrouvent, demain, face à une facture bien plus importante ?

Tant que les résultats ne seront pas à la hauteur de l'enjeu de reconquête de la biodiversité, le montant des investissements nécessaires augmentera. La responsabilité du concessionnaire sera-t-elle seule engagée, ou envisagez-vous que celui-ci puisse se retourner vers vous ? Un risque financier pèse-t-il sur les collectivités ?

M. Marc Bouchery. - Les collectivités investissent sous forme d'avances remboursables, qui sont certes actualisées en fonction des taux d'intérêt, mais forfaitaires et non révisables. Les compensations environnementales n'interviennent pas dans le calcul de la contribution des collectivités.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Un éventuel problème, en termes de compensations, se réglerait donc plutôt entre l'État et le concessionnaire ?

M. Marc Bouchery. - Oui. Il nous importe simplement que les mesures de compensation soient mises en oeuvre conformément à la législation en vigueur.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - J'insiste : une éventuelle réévaluation, faute de résultats, du montant des mesures compensatoires, ne saurait vous affecter ?

M. Marc Bouchery. - Cette question n'a pas été prise en compte dans la participation des collectivités, laquelle, je le répète, est forfaitaire et non révisable.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous parliez du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), que nous avons auditionné, citant l'avis de 2012. Entretemps, un avis négatif a été émis sur le campagnol amphibie. Le CNPN s'est également étonné du non-dépôt d'un certain nombre de demandes dérogatoires concernant les plantes, arguant que tant que cette situation perdurait, les travaux ne pouvaient commencer.

Suivez-vous attentivement ce dossier ? Quel est votre avis ? Certes, des espèces sont sans cesse découvertes ; mais pensez-vous que les inventaires initiaux ont fait l'objet de moyens suffisants ?

M. Marc Bouchery. - Aucun dossier, en France, n'a été aussi étudié, analysé, instruit par des commissions d'experts, que celui de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Il a toujours été validé par les différentes juridictions administratives. Le débat public date de 2002 et 2003 : il n'est pas vieux de 50 ans ! Une durée de 15 ans entre le débat public et la réalisation opérationnelle, c'est assez classique. Ce projet, depuis 2002, a été adapté, chaque fois que nécessaire, à la mise en place de nouvelles dispositions législatives.

M. Jean-Claude Lemasson. - Comme dans tout chantier d'infrastructure d'envergure, nous découvrirons des espèces végétales et animales qui n'existent pas ailleurs ou doivent être protégées, et des dispositions seront prises pour organiser leur protection ou leur déplacement : le circuit de fonctionnement n'est pas verrouillé ! L'appel à projet date d'une dizaine d'années, et le dossier retenu est optimisé sur les plans économique, technique et environnemental, mais toutes les mesures nécessaires ne pouvaient être prévues dès le début. Aussi a-t-il été amendé au fil du temps, et continuera-t-il à l'être.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous êtes en charge des dessertes, et ce projet implique des mesures compensatoires importantes : en tout, 16 000 hectares autour du site seront mobilisés, ce qui suscite une forte résistance du monde agricole. Ne pensez-vous pas qu'il aura un effet stérilisant sur le département, où les élus locaux ne pourront plus trouver de terres pour les mesures compensatoires des projets suivants ?

M. Jean-Claude Lemasson. - C'est le sort de tout projet d'infrastructure majeur. Celui-ci est lié à un projet de liaison ferroviaire, dont le maître d'ouvrage est toutefois différent. Sur les 16 000 hectares que vous évoquez, 8 000 hectares ne pourront pas servir puisque leurs exploitants le refusent. Étant donné les compensations prévues à l'intérieur du périmètre, nous n'avons pas besoin de tant de surface. Tous les projets d'intérêt général doivent pouvoir se réaliser. Heureusement, la réserve de terres est largement suffisante, y compris sur les bassins versants. Et les compensations fonctionnelles peuvent se substituer aux compensations surfaciques.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Les propositions financières faites aux agriculteurs vous paraissent-elles suffisantes ? Ne pensez-vous pas que le concessionnaire et l'État devront aller beaucoup plus loin ?

M. Marc Bouchery. - Ce n'est pas à nous d'en juger.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous êtes des élus en lien avec le monde agricole...

M. Marc Bouchery. - Ce n'est pas aux collectivités territoriales de se prononcer sur ce point. L'indemnisation proposée est calculée sur la base de la valeur à neuf des bâtiments - ce qui est bien légitime. Pour la liaison ferroviaire, comment produire une étude d'impact global sans connaître le tracé ni les diagnostics environnementaux ?

M. André Trillard. - Un remembrement est nécessaire, puisque les surfaces mises à disposition d'AGO ne correspondent pas exactement au tracé prévu. Pourquoi l'opération initiée il y a plusieurs années n'a-t-elle pas été conduite à son terme ?

Après sept ans, les titulaires de l'autorisation de construction et d'exploitation ne sont évidemment plus à jour du point de vue de la réglementation. Nous devons certes exiger qu'ils s'y conforment, mais notre droit n'est pas rétroactif !

Certains des agriculteurs que nous avons entendus la semaine dernière ont demandé l'annulation de leur vente parce que le projet a été bloqué pendant plus de cinq ans. Ubuesque : ceux qui sont cause de ce retard s'en présentent aujourd'hui comme les victimes. Déjà 170 jugements ont été rendus dans le même sens. C'est un bon début.

M. Marc Bouchery. - Les 1 247 hectares de l'emprise aéroportuaire sont possédés par AGO, qui pourrait démarrer le chantier s'il était possible d'y accéder...

M. Gérard Bailly. - Sur la quarantaine d'exploitants agricoles présents sur le site, environ trente ont accepté le processus qui leur a été proposé par la chambre d'agriculture. Ont-ils été indemnisés ? Il semble qu'ils attendaient encore des compensations en termes de biodiversité. D'après vous, quels motifs leur reste-t-il de s'opposer au projet ?

Les jugements ont tous donné raison au maître d'ouvrage. Quelles compensations mettra-t-il en place en matière de biodiversité ? Certes, tous les agriculteurs n'ont pas signé, sans doute par peur de représailles...

M. Marc Bouchery. - En effet, plus de trente agriculteurs ont accepté un accord à l'amiable d'éviction et de relocalisation. Ils sont évidemment prioritaires pour retrouver des terres. Sur les quarante que vous évoquiez, quatre s'opposent encore au projet et n'ont pas encaissé les indemnisations, qui sont donc bloquées à la Caisse des dépôts et consignations.

M. Gérard Bailly. - Avaient-ils donné leur accord au protocole de la chambre d'agriculture ?

M. Marc Bouchery. - Je vous suggère de poser la question à la chambre d'agriculture. Parfois, leurs parents avaient vendu les terres, et ils les exploitent dans le cadre d'un bail avec le conseil départemental, repris par le concessionnaire.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), au sein de laquelle la chambre d'agriculture est représentée, s'est prononcée contre le projet en juillet 2016. Serait-ce aussi par crainte de représailles ?

M. Marc Bouchery. - Certes, les agriculteurs ne se réjouissent pas de perdre des terres agricoles. Mais ils respectent la loi, et ont agi de manière constructive.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - En quoi consiste l'accord avec le monde agricole ?

M. Marc Bouchery. - C'est un protocole fixant le montant des indemnisations et reconnaissant un droit prioritaire à la relocalisation à proximité.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Et pour les autres agriculteurs du département ?

M. Marc Bouchery. - Des protocoles ont été signés en 2008 et en 2013. La chambre d'agriculture pourra vous les communiquer.

M. Gérard Bailly. - L'indemnisation individuelle est une chose. Mon expérience d'élu local m'a appris qu'en général une compensation est également versée pour financer la modernisation des équipements et préserver l'économie agricole, afin de compenser la perte d'hectares agricoles. Nous poserons la question à la chambre d'agriculture.

M. Jean-Claude Lemasson. - En matière de compensation, nous avons, pour l'heure, 735 unités de compensation, dont 560 au titre de la concession, c'est-à-dire AGO et 175 par la DREAL, au titre du barreau routier en zone humide ; 1 260 unités sont prévues pour les espèces protégées, dont 823 pour AGO et 446 via la DREAL. Ces unités sont localisées dans les mêmes bassins versants et à proximité. AGO devra construire 104 mares - certaines, déjà réalisées, ont été bouchées par les opposants vivant sur le site - et la DREAL, 42. Deux hectares de boisement devront compenser la destruction d'un hectare de landes. La restauration d'habitats naturels devra s'effectuer sur 47 hectares pour AGO, et sur 23 hectares pour la desserte. AGO devra aussi planter 51,8 kilomètres de haies bocagères, et 17,5 kilomètres pour la desserte. Enfin, nous devrons restaurer 1 650 mètres linéaires de cours d'eau.

M. Alain Vasselle. - La compensation sera-t-elle intégrale ou partielle ? Je me rappelle que, si les deux tiers ou les trois quarts d'une exploitation sont touchés par un projet, le concessionnaire doit l'acheter en totalité pour que l'agriculteur puisse en reconstituer une autre, de même surface, dans le département. Cette règle sera-t-elle appliquée ? La chambre d'agriculture a-t-elle annexé au protocole une étude d'impact économique pour la profession agricole ? Y a-t-il, sur ce plan, une compensation intégrale ? Quid des fédérations de chasseurs et de pêcheurs concernées ?

M. Jean-Claude Lemasson. - La compensation est intégrale, mais essentiellement fonctionnelle - ce qui est une méthode innovante. Je suppose que la chambre d'agriculture a réalisé une étude d'impact économique. Il faut effectivement donner à chaque agriculteur touché les moyens de reconstituer à proximité une exploitation équivalente. Je ne sais pas ce qui est prévu pour les chasseurs, mais les discussions avec leur fédération ont abouti - et je ne crois pas qu'il s'agisse d'une zone de pêche. Ces landes n'ont pas été remembrées depuis les années 1960, car le projet était en attente.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - L'essentiel des compensations seront effectuées sur les 460 hectares qui sont à l'intérieur de l'emprise. Elles consisteront à densifier le réseau de mares et de haies. Nous sommes loin d'une équivalence en termes de surface. Hors du périmètre, combien d'hectares seront mobilisés ?

M. Marc Bouchery. - Il est possible que les 463 hectares situés dans le périmètre suffisent. En tous cas, nous ignorons quelle surface serait mobilisée hors du périmètre.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La maître d'ouvrage ne vous a-t-il pas fourni d'informations plus précises, alors que le chantier peut commencer demain ?

M. Marc Bouchery. - Non.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Cela ne vous semble-t-il pas étonnant ?

M. Marc Bouchery. - Le maître d'ouvrage appréciera, dans le cadre du comité de suivi, si des surfaces complémentaires sont nécessaires. Si c'est le cas, une négociation s'ouvrira avec les exploitants.

M. Jean-Claude Lemasson. - Ce n'est pas demain que le chantier est censé débuter, mais ... hier ! Voire même avant-hier.

M. André Trillard. - On ne peut pas accéder au site !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous verrons cela le 17 février...

M. Gérard Bailly. - Le projet n'est-il bloqué que par la difficulté d'accès au site, ou également par des procédures en cours ?

M. Marc Bouchery. - Il n'y a plus aucun obstacle administratif. Les derniers recours sur les espèces protégées et la loi sur l'eau, qui n'étaient pas suspensifs, ont été rejetés par le tribunal administratif de Nantes le 17 juillet 2015, puis par la cour d'appel le 14 novembre 2016. Un arrêté complémentaire sur le campagnol amphibie est attaqué mais, là encore, de manière non suspensive.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Il manque encore, tout de même, l'avis de l'Union européenne.

M. Marc Bouchery. - Le principe de subsidiarité veut que son absence n'ait pas d'effet suspensif. D'ailleurs, l'Union européenne s'était prononcée plutôt favorablement. Le SCoT de Nantes Saint-Nazaire a été voté le 19 décembre 2016, et sert à résoudre le précontentieux.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Les 40 millions d'euros prévus correspondent-ils au bon prix de la compensation ?

M. Marc Bouchery. - Je n'ai pas dit qu'il s'agissait du bon prix, mais de l'enveloppe dédiée à ces mesures. Notre convention de financement avec les maîtres d'ouvrage prévoit des avances forfaitaires, non révisables mais actualisables.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Porte-t-elle le détail des mesures de compensation ?

M. Marc Bouchery. - Non.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Alors, à quoi correspondent les 40 millions d'euros ?

M. Marc Bouchery. - A une estimation de la part du budget global qui devrait être consacrée aux mesures compensatoires.

M. André Trillard. - M. Dantec sait bien que l'aéroport est construit par un concessionnaire, et que le syndicat mixte s'occupe des accès. Ce dernier n'a pas à connaître l'accord entre l'État et le concessionnaire.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pourtant, l'information sur le projet fait partie des quatre missions du syndicat mixte. Comment l'exercer sans connaître le détail des mesures de compensation ?

M. Marc Bouchery. - Celles-ci ne relèvent pas des collectivités territoriales, mais bien de l'État et du maître d'ouvrage. À eux de les détailler au public.

M. Gérard Bailly. - Avez-vous une estimation des dépenses déjà engagées, ne serait-ce qu'en frais de justice ? Qui les a assumées ?

M. Marc Bouchery. - Le contrat de concession signé en 2011 porte sur Notre-Dame des Landes, mais aussi sur l'exploitation de l'aéroport actuel de Nantes-Atlantique et de celui de Saint-Nazaire-Montoir. Des investissements ont été effectués par AGO pour adapter ces deux aéroports, en l'absence de progrès à Notre-Dame des Landes. Les collectivités territoriales ont cessé de participer à ces dépenses depuis 2013, puisque ce sont elles qui devront verser les premiers fonds à Notre-Dame des Landes.

M. Jean-Claude Lemasson. - À défaut d'une estimation du coût des mesures de compensation, nous connaissons leur nombre : 104 mares, par exemple. Cela permet d'informer sommairement le grand public sur les mesures prévues à ce jour.

M. André Trillard. - En effet, AGO doit construire l'aéroport, en être concessionnaire pendant 55 ans, gérer celui de Saint-Nazaire - purement industriel - ainsi que, jusqu'à sa fermeture, celui de Nantes-Atlantique. Pour l'heure, cet aéroport voit passer plus de quatre millions de passagers par an. Cela fait au moins une ressource financière !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Merci à vous. Je renouvelle mon souhait de pouvoir obtenir l'analyse scientifique de l'impact de l'aéroport actuel sur le site de Grand-Lieu.

M. Jean-Claude Lemasson. - La réserve naturelle de Grand-Lieu fait l'objet d'un contrat de gestion avec la société nationale de protection de la nature. Les rapports d'activité annuels qui en découlent sont une source d'information, mais je ne suis pas compétent pour déterminer s'ils peuvent être considérés comme autant de rapports scientifiques. En tous cas, le directeur de la réserve a fait état dès 1975 d'un fort risque que des gênes soient occasionnées aux oiseaux par l'accroissement des mouvements et l'extension des pistes de l'aéroport.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci.

La réunion est close à 18 h 25.

Audition de M. Bernard Godinot, directeur de projet, M. David Bécart, directeur environnement et développement durable, et Mme Amandine Szurpicki, responsable des mesures compensatoires de COSEA, concepteur-constructeur de la LGV SEA

La réunion est ouverte à 18h30.

M. Jean-François Longeot, président. - Nous recevons pour notre dernière audition de la journée COSEA, concepteur et constructeur de la LGV Sud Europe Atlantique (SEA). Cette audition s'inscrit dans le cadre des auditions spécialisées que nous menons sur la LGV SEA, l'un des quatre projets étudiés plus particulièrement par notre commission d'enquête. Nous souhaitons, pour chacun de ces projets, analyser en détail la définition, la mise en oeuvre, le contrôle et le suivi des mesures compensatoires des atteintes à la biodiversité. Je précise que nous entendrons la semaine prochaine LISEA, société concessionnaire et maître d'ouvrage de la LGV SEA.

Notre réunion d'aujourd'hui est ouverte au public et à la presse. Elle fait l'objet d'une captation vidéo et un compte rendu en sera publié.

M. Bernard Godinot, directeur de projet, M. David Becart, directeur environnement et développement durable, et Mme Amandine Szurpicki, responsable des mesures compensatoires, représentent COSEA auprès de notre commission d'enquête. Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment, en rappelant que tout faux témoignage et toute subornation de témoin sont passibles des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Bernard Godinot et David Bécart et Mme Amandine Szurpicki prêtent successivement serment.

En préalable de votre propos introductif, pouvez-vous nous indiquer les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête - A 65, réserve d'actifs naturels de Cossure en plaine de la Crau, projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes ?

M. Bernard Godinot, directeur de projet de COSEA. - Etant salarié de Vinci, j'ai également un lien avec le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes puisque Vinci en est le concessionnaire.

M. David Bécart et Mme Amandine Szurpicki déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.

M. Bernard Godinot. - Longue de 340 kilomètres dont 38 kilomètres de raccordements, la LGV Tours-Bordeaux s'étend sur 113 communes - de Saint-Avertin en Indre-et-Loire à Ambarès en Gironde - et traverse six départements et deux régions. A partir de juillet 2017, elle assurera une liaison à grande vitesse en continu permettant de relier Paris à Bordeaux en deux heures et cinq minutes, grâce à une vitesse commerciale de 320 kilomètres par heure. Sa construction a nécessité le terrassement de 68 millions de mètres cube, la construction de 500 ouvrages de franchissement dont 19 viaducs et la pose de 1 320 kilomètres de rails. En charge de la conception et de la construction de la LGV, COSEA agit pour le compte de LISEA, qui est la société concessionnaire.

L'action de COSEA concernant l'environnement s'inscrit dans la continuité des procédures menées par SNCF Réseau, notamment des études d'impact du projet présentées dans le cadre des procédures préalables aux déclarations d'utilité publique (DUP) dites SEA 1 et SEA 2. Cette première phase a permis de définir la bande de passage du projet ainsi que les principales caractéristiques techniques de l'infrastructure. C'est à ce moment qu'a été mis en oeuvre, pour l'essentiel, le volet évitement de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC).

Les études de conception et d'avant-projet détaillé ont permis à LISEA et COSEA de travailler en amont à la réduction des impacts du projet, d'abord dans le cadre de l'établissement de leur réponse à l'appel à projets, puis après avoir été retenus. Durant cette deuxième phase, des inventaires et des études complémentaires ont été menés afin de renforcer la connaissance des milieux naturels traversés. La conception des ouvrages a fait l'objet d'un soin particulier afin de maintenir les possibilités de circulation de la faune sauvage - terrestre et aquatique - de part et d'autre de l'infrastructure. Des viaducs ont permis de préserver les fonctionnalités des principaux corridors. De nombreuses études ont également été menées pour assurer la transparence hydraulique de la ligne ainsi que son insertion paysagère et environnementale.

L'exploitation des données d'état initial a conduit à une définition fine des emprises nécessaires à la réalisation de l'infrastructure, dans un objectif permanent de moindre impact. En concertation avec les services de l'Etat, ces éléments ont permis de faire aboutir les dossiers administratifs de demandes d'autorisations et de dérogations nécessaires à l'engagement des travaux. Début 2012, COSEA a ainsi obtenu pour le compte de LISEA deux arrêtés de dérogation au titre des espèces protégées - un arrêté ministériel et un arrêté inter-préfectoral -, quatre arrêtés au titre de la loi sur l'eau incluant des prescriptions au titre des sites Natura 2000 et six arrêtés départementaux au titre du code forestier. Ces arrêtés ont permis de déterminer les mesures d'évitement encore possibles, les mesures de réduction à mettre en oeuvre au moment de la réalisation des travaux ainsi que les impacts résiduels devant être compensés par COSEA.

Les arrêtés ont évalué la dette surfacique au titre des espèces protégées à 25 000 hectares. En mutualisant les mesures compensatoires, COSEA a pu circonscrire cette dette sur 3 500 hectares. Etait également prévue l'élaboration de documents cadres en concertation avec les professions agricole et sylvicole et les associations de protection de la nature ainsi que la validation de chaque site de compensation sur la base de dossiers justifiant de la plus-value écologique apportée. S'agissant du calendrier, les arrêtés prévoient que les sites protégés fassent l'objet d'une protection sur la durée de la concession.

Les arrêtés loi sur l'eau prévoient une compensation surfacique de 600 hectares de zones humides, une compensation linéaire de 44 kilomètres de berges et un calendrier de mise en oeuvre à échéance de la mise en service de la ligne.

Les arrêtés défrichement prévoient quant à eux un boisement compensatoire sur une surface de 1 350 hectares. Ce boisement est aujourd'hui en cours de finalisation.

COSEA a travaillé en concertation et en partenariat avec un large panel d'acteurs locaux : chambres d'agriculture, associations dont la Ligue de protection des oiseaux (LPO), Poitou-Charentes Nature et la Société d'étude, de protection et d'aménagement de la nature en Touraine (SEPANT), centres régionaux de la propriété forestière, sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), fédérations départementales de la pêche et, plus ponctuellement, syndicats de rivières, fédérations de chasse et experts indépendants.

Dans chaque région, un protocole a été construit, en concertation avec les structures partenaires, et signé par l'ensemble des parties prenantes. Des conventions bipartites ont également été signées par chacune des parties prenantes avec COSEA et LISEA : d'une durée de 25 ans, ces conventions permettent de clarifier leurs missions propres et de rémunérer les prestations correspondantes.

Le partenariat avec les acteurs locaux a permis, en premier lieu, de réduire l'impact du projet, en particulier au moment du démarrage des travaux. COSEA a consacré 72 000 jours à la réduction des impacts et mobilisé à cette fin une centaine d'ingénieurs, accompagnés d'une centaine d'experts issus de 20 structures différentes. Les enjeux et les actions de réduction à mettre en oeuvre ont ainsi pu être définis finement. Le bilan dressé par COSEA fin 2015, c'est-à-dire à la fin de la phase de génie civil et de terrassement, permet de constater que l'impact résiduel du projet sur les espèces protégées a pu être diminué de 12 % grâce à la mise en oeuvre des mesures de réduction. S'agissant des zones humides, le taux de réduction atteint 22 %.

En second lieu, le partenariat a été consacré à la mise en oeuvre des différentes étapes de la compensation. La première étape consistait en la définition d'un cadre commun de solutions équilibrées pour chacune des parties prenantes. Des négociations amiables ont été menées s'agissant des 3 500 hectares de dette surfacique, pour leur cession ou leur conventionnement. Des diagnostics écologiques ont été réalisés pour confirmer le potentiel écologique des sites, notamment au regard du critère d'additionnalité. Une fois les plans de gestion des sites élaborés, l'Etat a apporté sa validation finale.

Le cadrage exigé par les arrêtés a été réalisé de 2012 à 2013. Ce cadrage a notamment donné lieu à la rédaction d'une quarantaine de cahiers des charges relatifs à la restauration de différents milieux naturels, la délimitation des zones de prospection prioritaire, la définition du contenu des diagnostics écologiques, la définition d'une méthodologie d'évaluation des surfaces compensatoires et la préparation de conventions types pour la préparation des mesures. Il s'agit là d'une étape préparatoire essentielle pour répondre au mieux aux exigences de l'administration en matière de compensation mais également pour assurer l'acceptabilité des mesures sur les territoires ainsi que leur mise en oeuvre à grande échelle et sur le long terme. Notons que la doctrine ERC a été formalisée en parallèle de ce travail mené par COSEA.

Chaque année, un comité de suivi, qui regroupe notamment les élus locaux, les associations, les chambres d'agriculture, les services de l'Etat et trois représentants du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), dresse le bilan des actions menées. Le premier comité s'est tenu le 17 septembre 2012 et le dernier date du 12 décembre 2016. S'y ajoutent des réunions régulières avec les services de l'Etat.

A ce jour, 1 697 hectares de compensation ont été formellement validés par les services de l'Etat. En 2017, 79 sites identifiés comme présentant des risques de collision pour le vison et la loutre doivent être aménagés en remplacement de 313 hectares de compensation surfacique. Il s'agit là d'un projet de compensation innovant, lancé avec les associations de protection de la nature et qui a reçu un avis favorable du CNPN fin 2016. L'arrêté ministériel correspondant est attendu pour fin janvier. Par ailleurs, 317 hectares de compensation sont en cours d'instruction par les services de l'Etat et 1 200 sont en train d'être étudiés par COSEA et ses partenaires. Toutes ces mesures font l'objet de conventions dont la durée varie en fonction du type de milieu concerné. Elles seront maintenues par LISEA et au besoin renouvelées tout au long de la concession.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Le but de notre commission d'enquête est de rendre plus fluide la mise en oeuvre de la séquence ERC et vous pourrez, en complément de votre audition, nous fournir par écrit des éléments de réflexion sur la façon dont pourrait être atteint cet objectif global.

J'aurai trois questions plus précises. Quel est le coût des mesures de réduction et de compensation pour le projet dont vous avez la charge et, au sein de cette enveloppe globale, celui des inventaires ? Quelles ont été les suites données à l'avis négatif du CNPN en 2012 ? Quelles conséquences avez-vous tirées de la condamnation intervenue en décembre 2016 sur des difficultés liées au chantier lui-même ?

M. David Bécart, directeur environnement et développement durable de COSEA. - Nous ne pouvons pas vous donner le coût global des inventaires. Pour leur majeure partie, ces inventaires proviennent d'études qui avaient été menées préalablement par RFF pour alimenter les études d'impact SEA 1 et SEA 2. Ces inventaires ont ensuite été complétés sur des points précis.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Avez-vous malgré tout des ordres de grandeur auxquels vous rattacher lorsque vous négociez avec un bureau d'études par exemple ?

M. David Bécart. - Nous suivons des protocoles qui varient fortement selon le type de milieu et dépendent également d'analyses bibliographiques et cartographiques.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Existe-t-il aujourd'hui une forte concurrence entre bureaux d'études sur ces questions ? Notre question, in fine, est de savoir s'il faut envisager de labelliser ou certifier les bureaux d'études afin de renforcer la qualité des inventaires initiaux dont nous constatons qu'ils souffrent de manques pour certains.

M. David Bécart. - Les bureaux d'études avec lesquels nous avons travaillé étaient intégrés dans notre groupement d'entreprises. En parallèle, nous avons fait appel à des spécialistes sur certaines questions. Dans ce cas, les protocoles sont suffisamment bien établis pour que les écarts d'offres entre bureaux d'études restent limités.

Mme Amandine Szurpicki, responsable des mesures compensatoires de COSEA. - S'agissant du coût des mesures compensatoires, la fourchette qui vous a été indiquée au cours d'auditions précédentes, de 5 % à 10 % du coût total d'un projet, nous paraît cohérente. En ce qui concerne la LGV, COSEA est en charge de la mise en place des mesures compensatoires tandis que LISEA est responsable de leur maintien et de leur suivi.

S'agissant de la mise en place, les coûts sont très variables selon le type de mesure, en raison de la nature différente des milieux d'intervention. En moyenne, l'animation foncière représente 10 % du coût global de mise en place des mesures de compensation. Les études, au sein desquelles figure la réalisation des inventaires, en représentent 35 %.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pouvez-vous me rappeler le budget total de la concession ?

M. Bernard Godinot. - La conception-construction représente environ 6 milliards d'euros. Le budget de la concession dans son ensemble s'élève à 8 milliards d'euros.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Si l'on considère que les mesures de compensation représentent environ 5 % de cette enveloppe de 6 milliards d'euros, soit 300 millions d'euros, et que les études représentent 35 % de ces 5 %, cela veut dire que vous y avez consacré plus de 100 millions d'euros ?

Mme Amandine Szurpicki. - L'enveloppe de 5 % correspond à la fois à la mise en place des mesures et à leur maintien dans le temps. Or nous ne calculons les 35 % qu'à partir de l'enveloppe consacrée à la mise en place des mesures.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Quel a donc été le budget consacré aux études ?

Mme Amandine Szurpicki. - La mise en place des mesures étant encore en cours, il nous est plus facile de vous donner des moyennes et de vous indiquer que 35 % du budget devrait être consacré aux études.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Si 35 % du budget va aux études, cela laisse peu de place pour la mise en oeuvre des mesures en tant que telle. Comment l'expliquer ?

M. Bernard Godinot. - Par définition, nous ne pouvons vous répondre que sur le volet consacré à la mise en place des mesures.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous parlons bien de l'enveloppe de 6 milliards d'euros et, au sein de celle-ci, de 5% à 10 % destinés à la compensation ?

Mme Amandine Szurpicki. - Les 5 % ne se rapportent pas aux 6 milliards d'euros puisqu'ils concernent également le suivi et le maintien des mesures compensatoires sur la durée de la concession.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Quand bien même nous parlons de 8 milliards d'euros, si je refais les calculs, j'arrive à un budget d'études aberrant.

Mme Amandine Szurpicki. - Entendons-nous bien : l'enveloppe de 5 % concerne aussi le suivi et le maintien des mesures compensatoires.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Les sommes consacrées aux études n'en demeurent pas moins considérables.

Mme Amandine Szurpicki. - Il faut bien distinguer la phase de mise en place des mesures et celle, plus longue, de leur suivi et de leur maintien, qui s'étendra de la mise en service à la fin de la concession. Nous ne pouvons nous exprimer que sur la mise en place. Au sein des sommes qui, aujourd'hui, sont allouées à la mise en place des mesures, 35 % sont en moyenne consacrés aux études.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pourrez-vous nous détailler ces éléments par écrit ?

Mme Amandine Szurpicki. - Les études représentent une part significative du coût de mise en place des mesures de compensation. Les frais liés aux acquisitions de terrains et aux indemnités versées aux propriétaires et exploitants de terrains qui conventionnent avec nous représentent 15 % de ce coût de mise en place et ceux liés aux opérations de restauration, 30 %. Tous ces coûts sont très variables d'un site à l'autre. Enfin, 10 % sont consacrés à l'encadrement et au pilotage de COSEA.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je suppose que vos négociations avec RFF ont porté sur le détail des coûts environnementaux du projet ?

M. Bernard Godinot. - La négociation a été globale.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous n'avez donc pas à rendre de compte à RFF sur le détail chiffré des mesures compensatoires que vous mettez en oeuvre ?

M. Bernard Godinot. - L'annexe 3 de notre contrat de conception-construction porte un échéancier sur lequel sont basées nos factures. Un contrôle sur cette base est opéré par le Lender's technical advisor (LTA) qui est le conseiller des banquiers.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - C'est donc, comme nous l'avons parfois déjà entendu, le conseiller des banquiers qui contrôle la mise en oeuvre de vos mesures compensatoires.

M. Bernard Godinot. - Vis-à-vis de l'État, des justificatifs sont également envoyés en parallèle au moment des financements opérés par RFF.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Puisque vous possédez les ratios assez précis que vous venez de nous donner, le détail financier des mesures environnementales mises en oeuvre chaque année est-il disponible ?

M. Bernard Godinot. - Le seul document financier détaillé est l'annexe 3 que j'évoquais. Elle prévoit, dès la signature du contrat, les différentes phases d'avancement des travaux qui portent notamment sur ces sujets-là. Je n'ai cependant pas les chiffres qui y sont indiqués en tête à propos des mesures environnementales. Nous vous le transmettrons par écrit.

M. David Bécart. - S'ils ne sont pas financiers, des détails supplémentaires sont néanmoins donnés dans les arrêtés.

M. Gérard Bailly. - Je suppose que les 340 kilomètres de ligne à grande vitesse traversent des champs et des bois. Pourriez-vous nous indiquer les proportions de chacun ? Le passage a-t-il engendré un conflit entre les agriculteurs et les forestiers, chacun d'eux préférant que le tracé passe en priorité chez l'autre ?

Vous précisez avoir reconstitué 1 350 hectares de forêt. Pouvez-vous nous préciser quelle était la taille de l'impact qui a nécessité cette reconstitution afin que nous puissions juger de son ampleur ? Cette reconstitution est-elle passée par de la plantation et, le cas échéant, sur quels terrains ?

En matière d'agriculture, avez-vous procédé au remembrement des parcelles sur l'ensemble des communes traversées ? Contrairement aux autoroutes, les voies de chemin de fer possèdent peu de ponts et il est souvent nécessaire de faire un détour important pour joindre deux parcelles lorsqu'elles ont été séparées par une ligne de TGV.

Dans mon département, nous avons connu des difficultés pour le rétablissement des ponts sur les routes départementales. Il n'est aujourd'hui plus possible de faire passer une moissonneuse-batteuse sur un pont de 4 mètres. Pour la LGV, avez-vous rétabli les ponts en fonction de leurs dimensions initiales ou des nouveaux besoins ? Ces questions peuvent sembler secondaires mais leur prise en compte est la garantie de bonnes conditions de dialogue avec le monde agricole.

Les agriculteurs ont-ils, dans leur ensemble, signé les protocoles d'accord proposés par l'intermédiaire des chambres de l'agriculture ou un certain nombre d'expropriations ont été nécessaires ?

M. David Bécart. - Je ne possède pas en tête le ratio correspondant aux surfaces boisées et aux surfaces cultivées traversées par la ligne. Cette information pourra être transmise par écrit.

Le déboisement qui a donné lieu à la mise en oeuvre de mesures compensatoires correspond à une surface de 1200 hectares. Liées au maintien de la production forestière, ces mesures compensatoires sont à bien distinguer de celles relatives à la biodiversité. Ces 1 350 hectares de mesures compensatoires forestières peuvent prendre place dans tout le département concerné par le déboisement. La contrainte de proximité est donc plus faible que pour les compensations d'atteinte à la biodiversité qui doivent, le plus souvent, être mises en oeuvre dans une bande de 10 à 20 kilomètres de la ligne ferroviaire. Les terrains sont donc plus simples à trouver en matière de compensation forestière. Il s'agit de terrains non boisés, soit parce qu'ils le sont naturellement, soit parce qu'initialement boisés ils ont subi une tempête. Des conventions ont donc été passées afin de les boiser ou les reboiser.

M. Bernard Godinot. - En ce qui concerne le remembrement, une moitié des communes est en inclusion et l'autre est en exclusion. Ces deux options sont laissées aux communes elles-mêmes. Les remembrements par inclusion sont quasiment terminés alors que les remembrements par exclusion nécessitent un peu plus de temps. Il est dans notre intérêt que le processus aille le plus vite possible. Si nous les finançons, je précise néanmoins que les remembrements sont gérés par les conseils départementaux.

En ce qui concerne le rétablissement des ponts, un certain nombre d'engagements avaient été pris par RFF. Nous avons, par la suite, mis en place une concertation avec l'ensemble des maires des 114 communes concernées afin de traiter ce type de sujets et définir les largeurs des ouvrages. Le fruit de cette concertation a donné lieu à des conventions dont 90% sont aujourd'hui signées. Seul le problème de l'application de la taxe des autoroutes aux TGV entraîne quelques résistances.

Les négociations avec le monde agricole ont été initiées par RFF avant que nous en prenions la suite. Des protocoles nous liant avec les chambres de l'agriculture sur les 6 départements ont été signés. Si quelques cas posent problème, ces protocoles sont le plus souvent appliqués.

M. Gérard Bailly. - Lorsqu'une convention est passée avec l'agriculteur, quels types d'actions lui sont proposés pour la mise en oeuvre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité ? Quel est le niveau du dédommagement qui y est associé ?

Mme Amandine Szurpicky. - Ces mesures sont relativement variées puisqu'il existe une quarantaine de cahiers des charges qui ont été élaborés avec les chambres d'agriculture, les associations de protection de la nature, les représentants des propriétaires forestiers, les conservatoires régionaux, les fédérations de pêche et encore bien d'autres parties prenantes.

Deux grands milieux de type agricole sont à distinguer. Le premier concerne les grandes plaines ouvertes puisque le tracé traverse 3 zones de protection spéciale (ZPS) avec des enjeux prioritaires pour la faune de plaine, dont l'outarde canepetière. Les mesures prévues permettent ici de convertir des terres cultivées ou en gel, en prairies afin de favoriser la nidification des espèces avifaunes. Certains cahiers des charges de type « mosaïque de cultures » allient à la fois productivité agricole et enjeux de biodiversité.

Nous indemnisons les agriculteurs en proportion de la perte qui est engendrée par rapport au maintien d'une agriculture productive classique. Les durées des conventions que nous passons avec les agriculteurs sont limitées dans le temps mais ces contrats peuvent être reconduits.

L'autre grande catégorie de milieux est de type humide, qu'il s'agisse de prairies humides ou de milieux intermédiaires. Les reconversions de cultures en prairies, bien qu'existantes, sont assez rares. La majorité des conventions porte sur l'évolution des pratiques agricoles dites « conventionnelles ». Il peut, par exemple, s'agir de supprimer tout traitement chimique et d'encadrer la fauche d'une prairie pour la rendre compatible avec la présence des espèces visées par les mesures.

M. Gérard Bailly. - Ces cahiers des charges ont-ils été fixés par des spécialistes ?

En matière de compensation forestière, la replantation fait-elle obstacle au paiement des taxes de défrichement ou de déboisement ?

M. David Bécart. - La taxe de déboisement est due en l'absence de solution de compensation, or nos déboisements ont été totalement compensés.

M. Daniel Gremillet. - Du fait de la compensation forestière inhérente au projet, quelle surface initialement agricole est devenue boisée par la suite ?

Avez-vous estimé la perte de biodiversité sur la fonction de production agricole sur ce même périmètre ? Quel est l'équivalent du chiffre d'affaires que représente le transfert des surfaces anciennement agricoles avant de devenir forestières ?

M. David Bécart. - Nous vous transmettrons ces chiffres dès que nous aurons effectué les calculs nécessaires pour les obtenir.

M. Roland Courteau. - Combien y a-t-il de passages pour le franchissement de la faune sauvage existent-ils sur les 340 kilomètres du tracé ? Quelles autres mesures avez-vous prises pour réduire l'impact de cette infrastructure à son égard ?

M. David Bécart. - 850 passages pour la faune sont présents le long du tracé dont certains passages « grande faune » (PGF) qui traversent les infrastructures par le dessus. Parmi ces 850 passages, 19 viaducs améliorent également la transparence de l'ouvrage dans les vallées. Des ouvrages équipés de banquettes ont également été mis en oeuvre pour le franchissement des cours d'eau. Les banquettes sont de petits escaliers latéraux qui permettent le passage de la faune quel que soit le niveau du cours d'eau. Des dalots ou des buses jalonnent l'ensemble de la ligne. Il s'agit d'ouvrages de petite dimension, de section rectangulaire pour les dalots et circulaire pour les buses, qui traversent le remblai de la ligne de part en part afin d'en assurer la transparence pour la petite faune. Un détail de ces 850 ouvrages pourra vous être transmis.

Ces mesures favorisant la transparence ne sont pas les seules mesures de réduction mises en place puisqu'il en existe 3 grandes catégories. La première, à laquelle sont rattachées les mesures déjà évoquées, vise le maintien de corridors de déplacement pour la faune. La deuxième vise à limiter les atteintes aux habitats aux abords de la ligne. Des mesures de réduction sont également appliquées à l'intérieur des emprises temporairement mobilisées et remises en état à l'issue du chantier. Les pistes nécessaires à la construction des viaducs de la ligne en sont un exemple puisque, recouvertes de géotextiles, elles permettent de retrouver le terrain naturel après démontage.

Des mesures de réductions sont également prises pour la protection des spécimens d'une espèce présents sur les emprises au début des travaux. Des arrêtés « espèces protégées » nous permettent de déplacer ces individus vers des zones refuges situées aux abords des emprises. Des protocoles de pêche, en ce qui concerne les batraciens ou les poissons, ont été mis en place. D'autres protocoles spécifiques aux boisements ont, par exemple, permis la fuite progressive du vison d'Europe présent au sud du tracé. Les emprises ont, par la suite, été fermées de manière hermétique pour éviter que les spécimens ne reviennent sur le chantier. Cette précaution nous permet par la suite d'artificialiser les milieux sans porter atteinte aux espèces.

M. Gérard Bailly. - La partie du pays concernée par la ligne Tours-Bordeaux est relativement agricole. Quelle est l'ordre de grandeur des flux financiers nécessaires à la compensation des atteintes à la biodiversité en comparaison de ceux nécessaires à la compensation agricole induite par le projet ? Votre dossier est, en effet, un exemple assez représentatif et nous permettrait d'avoir un point de vue sur ces proportions qui font souvent débat, afin de savoir quel type de compensation prend le dessus sur l'autre.

M. Jean-François Longeot, président. - Il s'agirait pour nous d'un moyen d'information et non de contrôle. Il nous permettrait d'établir les proportions respectives des différents types de compensations agricole, forestière ou en lien avec la biodiversité, qui sont attachées à un projet comme le vôtre.

M. Bernard Godinot. - Ces montants relèvent du secret des entreprises. Nous sommes très prudents quant à leur divulgation car décrocher un chantier de 6 milliards d'euros est un véritable combat.

M. Jean-François Longeot, président. - Je comprends le problème que peut vous poser la divulgation des sommes en cause. Vous pouvez néanmoins nous indiquer leurs proportions sous forme de pourcentages.

M. Daniel Gremillet. - Votre propos me surprend. Je ne comprends pas en quoi relèvent du secret les proportions respectives des différents types de compensations mises en oeuvre sur un territoire donné à l'occasion de la construction d'un ouvrage puisque la mise en oeuvre de ces compensations relève de votre responsabilité.

M. Bernard Godinot. - Ces données prises dans leur ensemble constituent un élément en lien avec le prix que nous sommes susceptibles de proposer à l'occasion d'un appel d'offre. Or le prix est précisément l'élément déterminant d'une réponse à un appel d'offre.

M. Daniel Gremillet. - Je souhaiterais poser deux questions en espérant que leurs réponses ne soient pas, elles, des secrets...

Les délaissés du tracé sont-ils mis à profit pour la conservation de la biodiversité aux abords de la ligne ? Les précautions mises en oeuvre lors des travaux ont-elles également épargné ces délaissés ?

Enfin, on constate fréquemment que les ouvrages d'art, souvent très couteux, mis en oeuvre pour favoriser le passage du grand gibier ont une efficacité relativement limitée au regard du peu d'animaux qui y passent effectivement. Avez-vous des chiffres concernant les dispositifs similaires que vous avez mis en place ?

M. David Bécart. - Lors de l'achat amiable de terrains en vue de la construction de la ligne, il peut ouvrir que des parcelles situées à l'extérieur de l'emprise mais appartenant à un lot soient acquises en même temps que le reste du lot. Nous avons effectivement regardé si ces délaissés pouvaient être des sites de compensation et certains ont pu l'être. Dans certains cas, les mesures mises en place sur les zones temporaires de chantier sont allées au-delà de la seule remise en l'état initial du terrain et ont donné lieu à des mesures compensatoires. Ce processus a pu nous éviter d'utiliser des terres agricoles pour la mise en oeuvre de ces mesures.

Les guides existants sur les grandes infrastructures linéaires préconisent un ouvrage tous les 300 mètres. Il s'agit d'un certain nombre d'ouvrages de référence, qui peuvent être des viaducs ou des ouvrages de plus petite taille et qui nous sont imposés lors de l'instruction des dossiers. Je pense néanmoins qu'il faudrait une approche beaucoup plus qualitative. Nous nous sommes, en ce sens, concertés en amont du projet avec les fédérations de chasse pour déterminer l'emplacement des corridors. Nous y avons ensuite installé des ouvrages adéquats afin qu'ils soient bien utilisés. Les autres ouvrages de transparence sont plus communs et, il est vrai, moins utilisés. LISEA procède au suivi de l'utilisation de ces dispositifs et sera en mesure de vous fournir des informations à ce sujet.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour ces informations. Je compte sur l'envoi des développements écrits proposés en réponse à certaines questions qui vous ont été posées.

La réunion est close à 19 h 40.