Jeudi 9 février 2017

- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -

Audition de M. Alain Lambert, président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), sur le bilan et les perspectives de la simplification normative

M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous sommes heureux de vous accueillir, après une première audition par visioconférence où nous avions constaté que la santé vous revenait peu à peu. Vous avez été le premier président de cette délégation, et nous avons continué à travailler avec vous après votre départ. Répondre à l'inflation normative était en effet l'un des engagements du président Larcher au début de son mandat. Une convention de coopération a été signée en juin dernier, en présence de M. Larcher, avec le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Il est temps, à présent, de faire le point.

M. Alain Lambert, président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). - Merci de votre accueil. Je me réjouis de vous voir si nombreux. Le partenariat avec le Sénat a été très précieux pour le CNEN. Ce matin encore, au cours d'une réunion de trois heures, j'ai constaté combien le pouvoir réglementaire, à ses échelons les plus modestes, prenait de liberté avec l'intention du législateur : à partir d'un texte sur la protection de l'ouïe des jeunes, il était question de faire distribuer par les maires, avant tout concert, des bouchons d'oreille ! Lorsque je leur ai lu le texte de la loi, les membres du Conseil ont été stupéfaits. Hélas, notre avis défavorable risque de n'avoir guère de poids. En tous cas, nous trouvons en vous un soutien indispensable qui nous autorise à mettre en exergue l'intention du législateur.

La destruction des grands principes de notre droit à laquelle aboutissent les excès du pouvoir réglementaire est-elle une fatalité ? Le combat est-il perdu d'avance ? Répondre « oui » à cette question, c'est accepter que l'élaboration de notre droit échappe aux représentants du peuple français. Ce serait, si je puis dire, faillir à votre devoir.

L'intention du législateur est souvent déformée par l'administration au motif que le droit devrait être d'application uniforme sur notre territoire. Mais la proportionnalité n'est pas l'inégalité ! Et le principe d'égalité n'empêche aucunement d'introduire une dose de proportionnalité ; ce point a été tranché à de multiples reprises par la jurisprudence. La diversité de notre pays est une chance, et vous-mêmes adoptez chaque année des dispositions adaptées à l'outre-mer ou aux différentes tailles de collectivités territoriales.

Cela dit, le Conseil d'État a clairement indiqué que le principe de proportionnalité devrait figurer soit dans notre Constitution, soit au moins dans un texte législatif. À vous de guetter l'opportunité, soit de l'introduire par voie d'amendement, soit de profiter d'une révision constitutionnelle pour insérer dans un alinéa de l'article 72 les mots « selon le principe de proportionnalité ».

Parfois, c'est la transposition du droit communautaire qui produit des textes incompréhensibles. Dans celui que nous examinions ce matin, l'administration avait repris le dispositif d'une décision de la Cour de Justice, mais celle-ci tranchait un contentieux bien précis, qui n'avait pas vocation à être généralisé !

Vous pouvez faire évoluer ces pratiques, plus que vous ne l'imaginez. D'abord, en travaillant sur les exposés des motifs de vos amendements - même si je sais bien que le Gouvernement ne les accueille pas tous. Ainsi, le pouvoir réglementaire connaîtra vraiment l'intention du législateur. À cet égard, la formule à laquelle il est souvent fait recours : « l'amendement s'explique par son texte même », est évidemment insuffisante... Je sais le président Larcher attaché à l'application de l'article 41 de notre Constitution, et je l'en approuve. Nous ne pouvons pas morigéner les administrations lorsqu'elles rédigent un texte réglementaire trop complexe, et ne pas respecter le domaine qui nous est imparti.

Nous devons aussi convaincre l'ENA et les instituts d'études politiques d'intégrer à leurs programmes l'enseignement de la légistique. Je voyais bien ce matin que les fonctionnaires en cause poursuivaient consciencieusement le bien public, mais on ne leur avait pas appris à écrire le droit de manière efficace.

Je comprends que vous soyez attachés à ce que les études d'impact soient travaillées, mais elles sont souvent faites au doigt mouillé. Il faudrait surtout systématiser les études ex post, qui sont la seule manière de vérifier l'exactitude des prévisions et la proportionnalité entre le coût et l'objectif. Et, même après expérimentation, je ne trouve pas choquant d'avoir une clause de réexamen après trois ou cinq ans.

Le droit pénal inhibe parfois les agents publics et les élus. Certes, la sanction pénale doit exister. Mais la pénalisation de certains domaines de l'action publique est contestable. Ainsi, je préside un établissement public composé pour moitié de fonctionnaires et pour moitié d'élus. Nous avons fonctionné une année entière sans que notre budget ait été adopté, faute d'accord entre nos tutelles. C'est-à-dire que nous avons manié des fonds publics en toute illégalité ! Il le fallait pourtant !

Vous avez aussi plus de pouvoir que vous ne le pensez dans vos fonctions de contrôle. Quand on vous a forcé la main, car le fait majoritaire existe au Parlement, vous pouvez obliger le ministre ou son administration, un ou deux ans après, à venir vous rendre compte des effets des mesures qu'ils ont fait adopter. C'est important, pour que la loi ne soit pas qu'un acte de communication.

Je ne suis pas résigné. La prolifération du droit peut être contenue. C'est affaire de volonté politique, et le Sénat a une forte légitimité en la matière, donc une lourde responsabilité !

M. Rémy Pointereau. - Les efforts de simplification ont été nombreux, depuis des années, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, car ce sujet nous préoccupe beaucoup. Divers travaux ont été conduits par MM. Doligé, Vial, Mouiller, Calvet et Daunis, sans oublier M. Richard. Et les ministres successifs chargés de la simplification ont agi, parfois même en lançant un choc de simplification.

Chaque jour, nous vidons l'océan avec une petite cuiller. Mais il se gonfle aussi en permanence de nouveaux textes : au Journal officiel d'hier, pas moins de 86 textes réglementaires - mais aucune loi, remarquons-le. On ne peut pas continuer comme cela, et nos concitoyens ne comprendraient pas que nous n'accélérions pas le mouvement. Il nous faut passer d'avancées ponctuelles à une évolution générale de notre culture politique et administrative. Comment limiter le poids des normes et du droit alors que nos écoles de hauts fonctionnaires forment essentiellement des juristes ? Ceux-ci devraient surtout savoir évaluer le coût d'un texte, et son efficacité. Aussi conviendrait-il de renforcer le volet économique de leur formation. Nous pourrions aussi réfléchir à des manières d'évaluer la sobriété normative d'un fonctionnaire, voire d'en faire un paramètre de sa rémunération.

Le groupe de travail sur la simplification de l'urbanisme a déploré l'effet cocktail des normes. Hélas, le président de l'Assemblée nationale a signifié hier au président du Sénat que notre proposition de loi sur les règles d'urbanisme ne pourrait pas être examinée avant la fin de la session. Ce n'est même pas avec une cuiller, mais avec un dé à coudre que nous vidons l'océan...

Comme pour les trains, une norme peut en cacher une autre. Les textes pris par des administrations qui ne communiquent pas entre elles font peser un fardeau épuisant sur les épaules des élus. Une action interministérielle s'impose pour limiter cette prolifération. À cet égard, je soutiens la proposition d'installer dans chaque ministère un référent sur ce sujet. Et nous devrions créer pour cela un programme spécifique dans le budget, assorti d'indicateurs, auquel le CNEN serait associé. Je souhaite aussi que la proportionnalité soit introduite dans la Constitution, au besoin en utilisant le mot « adaptabilité ».

Et le processus de production des normes doit évoluer. Pour réduire le stock, il faut à la fois fermer le robinet et ouvrir la bonde. Autrement dit, nous devons systématiser les études d'impact, et celles-ci doivent évaluer la simplicité du texte, son coût et toute éventuelle surtransposition. Déjà, nous avons adopté récemment un projet de loi constitutionnelle contre la surtransposition, il prévoit qu'une norme soit supprimée pour toute norme créée. Comme l'a rappelé M. Placé le 26 janvier dernier, la qualité des études d'impact croîtra lorsque leur examen sera confié à une instance indépendante du pouvoir exécutif, comme cela se fait en Angleterre ou en Allemagne. Le Sénat a aussi son rôle à jouer, notamment en diffusant une culture de la sobriété, et d'abord dans la production des amendements.

Ouvrir la bonde, c'est généraliser l'expérimentation et accepter de ne pas retenir les textes lorsque celle-ci n'est pas concluante. C'est aussi insérer dans les textes des clauses de réexamen, ou d'abrogation automatique après quatre ou cinq ans si la loi n'est pas entrée en vigueur, comme au Canada, en Angleterre ou en Allemagne. C'est enfin évaluer l'adéquation de chaque texte avec les intentions du législateur. Le vrai choc de simplification serait de déclasser massivement, en mobilisant l'article 37 de la Constitution.

L'importance du stock de normes justifie un vaste programme d'évaluation a posteriori des dispositifs dans des secteurs prioritaires pour les collectivités locales. Ainsi, la commission de révision des lois du Canada réexamine régulièrement leur contenu. Notre délégation pourrait se positionner sur ce sujet ; les élus locaux nous en seraient reconnaissants. Sinon, le choc de simplification du Sénat ne fonctionnera pas non plus !

M. François Calvet, rapporteur. - Vous m'apprenez que le président de l'Assemblée nationale a refusé l'examen de notre proposition de loi avant la fin de la session parlementaire, alors que nous avions travaillé dans un esprit transpartisan avec M. Daunis. Tous les membres de notre groupe de travail seront extrêmement déçus. Nous avions communiqué auprès des élus locaux pour leur montrer que le Sénat était à l'écoute de leurs préoccupations. Nous avions recueilli plus de 10 000 réponses à notre questionnaire ; le Congrès des maires en avait été averti ; le Président de la République s'était montré intéressé. Depuis quatre mois, nous avons mené 99 auditions.

J'ai beaucoup apprécié l'exposé d'Alain Lambert. Nous vivons quotidiennement les 400 000 normes imposées aux collectivités territoriales, qui sont insupportables. On fait dépenser de l'argent aux communes pour des mesures qui ne sont pas de bon sens...

Vous pensez qu'il faut privilégier les études d'évaluation après la promulgation de la loi, tandis que je suis favorable à la création d'un groupe d'études pour réaliser des études d'impact en amont de la proposition de loi. Sinon, nous rajoutons des normes en permanence. Le Sénat devrait jouer un rôle original avec un tel service, grâce à l'expérience de nos collègues sénateurs, accumulée durant leurs mandats locaux. Nous sommes l'institution adéquate pour répondre à ce besoin.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Le président Larcher est vraiment très engagé dans cette démarche, et très favorable à renforcer le rôle de notre délégation.

M. Jean-Pierre Vial. - Nous réalisons un travail au long cours. Ce sont les mécanismes décidés aujourd'hui qui seront importants. Il est difficile de mettre en place les principes d'adaptation ou de proportionnalité avec le rôle joué par les hauts fonctionnaires dans cette machinerie. Je me souviens de l'excellent exposé de représentants du Conseil d'État sur le droit souple. N'est-ce pas le support juridique adéquat pour sortir de cette situation ?

J'entends les réserves du président Lambert et du rapporteur sur les études d'impact. À cet égard, je relève que le Conseil constitutionnel n'a pas sanctionné la déficience d'étude d'impact en ce qui concerne la loi NOTRe, faute de temps pour y répondre en raison du trop grand nombre de textes qu'il a à traiter.

Il y a un blocage culturel sur l'expérimentation. Mon modeste rapport, voté unanimement par notre délégation, a été rejeté lors du vote de l'adaptation de la loi de 2005 sur l'accessibilité aux handicapés. Nous avions prévu, dans la dernière loi montagne, une expérimentation sur la loi de 2005, acceptée par le rapporteur et la commission des affaires sociales, mais finalement rejetée. On refuse de toucher à l'article 4 de la loi de 2005.

La délégation aux entreprises, dont je suis membre, s'est déplacée dans plusieurs pays sur le thème de l'assouplissement des normes applicables aux entreprises. Les Allemands et d'autres travaillent depuis longtemps avec des procédures extrêmement rigoureuses sur les études d'impact, grâce à une autorité indépendante. Avez-vous ce regard comparatif ?

M. Antoine Lefèvre. - J'ai été très intéressé par vos exemples sur le dévoiement des textes réglementaires ou de la loi, qui sollicitent en permanence les élus. Il est difficile d'évaluer le poids du réglementaire par rapport au législatif. Faisons oeuvre de pédagogie. Le Parlement doit rappeler ses prérogatives. Ainsi, on rajoute toujours plus de normes sur le sport, pas forcément à l'initiative de textes réglementaires ou du ministre des sports, mais des fédérations. Attention au lobbying de la norme réalisé par des fabricants de matériel ou des installateurs. Le Grenelle de l'environnement a rajouté de nombreuses normes, auxquelles se rajoute parfois une double interprétation. La loi doit être lisible. Ainsi, je connais un jeune bureau d'études qui, par peur des conséquences juridiques des conseils qu'il donne - par exemple sur les plans locaux d'urbanisme -, a préféré arrêter son activité.

M. René Vandierendonck. - Je salue le chemin parcouru. Hier, lors d'une remise de décorations au Conseil d'État, le président de la section sociale avait le même ton que vous. Il y a une inflation de textes réglementaires qui souvent méconnaissent la volonté du législateur. Depuis que les pouvoirs de la Cour des comptes sont renforcés depuis la loi NOTRe, et compte tenu de la volonté du président du Sénat, le Sénat est capable de mettre en pleine lumière le phénomène de l'inflation normative. Nous sommes quelques-uns à crier stop. Je suis favorable à ce que, préventivement, aucune proposition de loi ne soit déposée sans étude d'impact. Sinon, tout le monde y recourt, y compris le Gouvernement, qui prend cette voie parallèle. Il est aussi bon de sortir des rapports d'évaluation ex post. Ainsi, sur le projet de loi relatif à la sécurité publique - qui fera probablement consensus en commission mixte paritaire -, il serait passionnant de voir combien de circulaires ou d'instructions de formation auront été réalisées entre le vote de la loi et la formation effective des policiers sur les nouveaux modes d'usage des armes...

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - J'ai grand plaisir à profiter de votre hauteur de vue. Avec Éric Doligé, nous avons repris in extenso dans notre rapport sur les administrations déconcentrées de l'État la note que vous nous avez transmise lorsque nous vous avons auditionné : « il n'existe qu'une seule bonne réforme : celle justifiée par les besoins du terrain ». Au Parlement, nous sommes de grands prescripteurs de normes, notamment en raison d'une sorte de tutelle des médias comptant le nombre d'amendements que nous signons, le nombre de propositions de loi que nous déposons...

M. Jean-Marie Bockel, président. - Lorsqu'ils s'y intéressent...

M. François Grosdidier. - Nous pouvons aussi déposer des amendements de suppression !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Pensez-vous qu'il faille encadrer la capacité de production d'amendement des parlementaires ?

M. Jean-Marie Bockel, président. - Françoise Gatel est une responsable importante de l'Association des maires de France...

Mme Françoise Gatel. - Merci de vos encouragements pour notre persévérance à vouloir maîtriser le flux de normes. Que pensez-vous de la nécessité d'une expérimentation avant la généralisation d'un dispositif législatif ? Ne faut-il pas être plus exigeant sur l'évaluation ? J'apprécie beaucoup votre proposition d'inscrire le principe de proportionnalité dans la Constitution, au même titre que le principe de précaution - même si je préfère le principe de proportionnalité... Nous devons canaliser l'écriture réglementaire grâce à une meilleure coordination avec les ministères pour éviter des incompatibilités de normes entre elles - j'ai pu en constater entre des normes sur la sécurité et des normes sur l'accessibilité.

J'apprécierais que la loi fixe un cap général, qui puisse être adapté aux réalités locales. Mais cela risque de renforcer l'écriture réglementaire par des fonctionnaires obsédés par la sécurité juridique et la protection des responsables - et ce n'est pas une critique. Comment faire lorsque des services de l'État échappent à toute tutelle - comme la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) - et empoisonnent la vie des élus locaux, alors que les préfets ont peu de poids sur eux ?

M. Jean-Marc Gabouty. - Ne faisons pas porter à l'Union européenne toutes nos turpitudes sur les règlements et les normes. En Allemagne, des skate parks sont construits par des jeunes : la normalisation ne pèse pas sur la construction, mais sur le contrôle a posteriori.

La plupart des normes ne s'appliquent pas seulement aux collectivités locales, mais également au secteur privé - entreprises ou particuliers. Il en est ainsi pour les établissements recevant du public. Comment simplifier ou supprimer des normes ?

Certaines administrations sont en apesanteur, et le préfet s'en remet souvent à ses services pour éviter tout problème. L'interprétation des services est souvent maximaliste, alignée vers le haut. Le principe de proportionnalité est intéressant s'il n'est pas fondé sur des seuils trop larges. Ainsi, les normes incendies ne doivent pas être les mêmes en Provence-Alpes-Côte d'Azur et en Normandie ; l'adaptation au territoire ne peut relever que du domaine réglementaire. Chacun a sa responsabilité. Parfois, le réglementaire rigidifie encore plus la loi.

M. Jean-Marie Bockel, président. - En Alsace, on applique souvent la loi avec beaucoup de zèle...

M. François Grosdidier. - Nous croulons sous des normes contradictoires et peu souples. Elles sont aussi complexes, car le législateur essaie d'anticiper le maximum de situations possibles. Plus on prétend répondre à des cas - y compris non posés - plus on génère de la complexité. Plus une norme est simple, plus elle peut être brutale et éloignée de la réalité. Souvent, c'est sa mise en oeuvre qui la rend insupportable. Il faut pouvoir l'adapter. Ainsi, un colonel de l'armée de l'air m'indiquait, lors de la Foire expo de Metz, que son simulateur de vol pour Rafale était accessible aux personnes à mobilité réduite, selon une obligation de la Direction générale de l'armement envisageant - hypothèse qui ne s'était jamais présentée - le cas où un personnel de maintenance à mobilité réduite travaillerait dessus...

Le principe de proportionnalité diffère de celui d'adaptabilité. Il faut s'adapter aux configurations particulières. Ainsi, ma commune rejette les eaux usées directement dans la Moselle, tandis que des petites communes très rurales le font avec des kilomètres de lagunage naturel avant, dont on ne tient pas compte. Cela consiste à faire, comme le juge, un bilan des coûts et avantages. Adaptabilité et proportionnalité sont des principes devant être mis en oeuvre dans toute production des normes.

Mme Catherine Troendlé. - Concentrons-nous sur l'adaptabilité, principe pris en compte à l'article 1er de la proposition de loi de simplification que M. Doligé avait présentée il y a près de cinq ans. Il est fondé sur la confiance aux élus locaux. Malheureusement, le message n'a pas été entendu et cet article a été supprimé, supprimant du coup toute l'ossature du texte.

Prenons en considération la dimension transfrontalière. Nous assistons parfois à des situations aberrantes avec des pays limitrophes ayant une autre conception de l'application de certaines normes, avec plus de proportionnalité. Pourquoi ne pas appliquer en France ce qui fonctionne bien ailleurs ? Ainsi, certaines entreprises sont tentées de s'implanter plutôt en Allemagne où leur installation en ville est plus rapide qu'en France.

M. Jean-Marie Bockel, président. - La dimension transfrontalière fait aussi partie du problème.

M. Alain Lambert. - Je ne peux pas opposer l'évaluation ex ante et l'évaluation ex post : toutes deux ont leur utilité. Je m'arc-boute sur des études ex post, car lorsque nous avons construit la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) avec Didier Migaud, dans les années 1998-2000, nous avions visité de nombreux pays comme la Norvège, le Canada ou le Royaume-Uni, afin d'améliorer la prévisibilité budgétaire - sujet que connaît bien Alain Richard, ancien rapporteur général des finances à l'Assemblée nationale. L'évaluation ex ante est améliorée grâce aux évaluations ex post. Selon nos interlocuteurs, les Français sont meilleurs dans l'évaluation ex ante avec un réel talent pour prédire l'avenir, tandis qu'eux-mêmes excelleraient dans l'évaluation ex post. C'est pourquoi je doute toujours de l'évaluation ex ante, qui trouve sa justification dans l'évaluation ex post. Je me suis ainsi trompé de 20 milliards d'euros sur l'évaluation d'une recette budgétaire, une année dans un sens, une année dans l'autre. Désormais, je suis prudent.

La proportionnalité et le droit souple sont un même concept juridique. À travers la proportionnalité, le Conseil d'État a défini un principe, repris par le Conseil constitutionnel. Ce vocable est utilisé grâce à ces deux institutions. L'an dernier, un rapport du Conseil d'État démontrait que le droit souple était une voie à emprunter. Il est extrêmement difficile, pour le Conseil constitutionnel, de censurer un texte à partir d'une étude d'impact imprécise : il risquerait sinon de censurer un budget en raison des prévisions de croissance, alors qu'il n'est peut-être pas le plus qualifié pour le faire.

Le CNEN a un partenariat avec l'Afnor, association un peu tatillonne, mais qui a une grande expérience et est une bonne référence. Nous réalisons un travail comparatif avec d'autres pays, notamment sur le degré de transposition des directives communautaires. La France se distingue en rajoutant des normes aux directives transposées.

Il est choquant que le sport soit le seul domaine dans lequel il n'existe pas de voies de recours sur les décisions des fédérations sportives, avec une sorte de souveraineté transnationale.

Nous avons conscience, avec le Conseil d'État, que notre droit devient inapplicable. Il n'est pas facile de s'en sortir comme cela.

Il est difficile d'exercer des responsabilités avec la pression médiatique. Il n'est pas nécessaire que le Parlement choisisse la loi comme vecteur : des résolutions peuvent traduire la volonté du législateur sans passer par la loi.

M. Jean-Pierre Vial. - Je m'en souviendrai...

M. Alain Lambert. - Oui, il faut encadrer le droit d'amendement. Cela nous simplifierait la vie. En tant que rapporteur, je recevais parfois des amendements qu'on ne pouvait que rejeter ! Je n'ai jamais été un grand amateur de l'expérimentation, même si j'étais au Gouvernement au moment du vote de la loi. Mais nous n'avons pas réussi à donner plus de plasticité à notre droit ; j'en suis donc devenu un adepte.

Le Secrétariat général du Gouvernement est chargé de l'horizontalité entre écritures parlementaire et réglementaire, mais il est embourbé dans la masse des textes. Il faut renforcer ses effectifs.

Devant la pression médiatique, la technostructure étatique risque de multiplier les textes réglementaires pour responsabiliser les élus ; ainsi le texte sur les bouchons d'oreille ou la signalisation interdisant à un véhicule de franchir un passage à niveau s'il ne peut le faire en moins de 7 secondes...

L'indépendance des services de l'État est due à l'affaiblissement de l'autorité préfectorale, malgré la dernière modification de l'article 72 de la Constitution qui précise que le préfet représente l'ensemble des ministères. Dans la pratique, il représente surtout le ministre de l'Intérieur.

Contrôler est plus efficace que réglementer trop en amont, ce qui inhibe la capacité de l'opérateur à faire ce qu'il fait de mieux. Cela reviendrait à considérer que la meilleure façon de conduire serait de lire le code de la route en conduisant !

Appliquons le principe de libre administration des collectivités locales, chacun appréciant au mieux. Les préfets sont souvent pétrifiés par leur responsabilité.

S'agissant de la proportionnalité, inspirons-nous du droit comptable. On parle de référentiel comptable. Dans le secteur privé, le commissaire aux comptes certifie avec des réserves ou des observations. Au moment du contrôle, on pourrait ainsi certifier et montrer les marges de progrès de la loi. Cela éviterait la situation binaire : soit on viole la loi, soit on la respecte.

L'adaptabilité est un vocabulaire que le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel n'aiment pas beaucoup. Je ne confonds pas adaptabilité et proportionnalité, mais engouffrons-nous dans ce dernier terme pour réussir. La dimension transfrontalière est l'occasion de vérifier que le droit français n'est pas plus pénalisant pour notre économie.

Cette période au CNEN a été un grand bonheur et m'a permis de réfléchir sur la vie en général. Quelles que soient les précautions prises, nous pouvons mourir. Et tout règlement ou prestation visant à l'absence totale de victime est une chimère à laquelle il ne faut pas céder. La seule chose à prévoir, c'est un droit qui soit responsabilisant à la fois pour les citoyens et les autorités. Se défausser de sa responsabilité ne renforce pas la démocratie, mais peut la détruire.

M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie de votre venue.

Nous vous avons fait distribuer un projet de communiqué de presse cosigné. La délégation est-elle d'accord pour qu'il soit publié ? Je constate son accord.