Mercredi 15 février 2017

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 14 h 10.

Audition de M. Nacer Meddah, préfet de région, et M. Stéphane Lelièvre, chargé de mission à la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de la région Centre-Val de Loire

M. Jean-François Longeot, président. - Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures.

Notre commission travaille sur les conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets spécifiques : l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ainsi que la réserve d'actifs naturels de Cossure, en plaine de la Crau.

Cet après-midi, c'est au projet de LGV Tours-Bordeaux que nous allons nous intéresser, puisque nous recevons M. Nacer Meddah, préfet de la région Centre-Val de Loire, et M. Stéphane Lelièvre, chargé de mission à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).

Nous avons entendu le mois dernier vos homologues, le préfet et le directeur régional de la région Nouvelle Aquitaine. Nous nous rendrons sur le terrain le 24 février prochain.

Notre objectif, je vous le rappelle, est d'identifier, à partir d'exemples concrets, les principaux obstacles qui empêchent aujourd'hui une bonne application de la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC), et de faire des propositions pour améliorer la mise en oeuvre concrète, l'efficacité et le suivi des mesures compensatoires en France.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse. Elle fait l'objet d'une captation vidéo, et elle est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.

Messieurs, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

MM. Nacer Meddah et Stéphane Lelièvre prêtent successivement serment.

Messieurs, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. À l'issue de vos réponses, les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Avant de vous donner la parole, pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire si vous avez des liens d'intérêts avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ?

M. Nacer Meddah, préfet de région. - Aucun, monsieur le président.

M. Stéphane Lelièvre, chargé de mission à la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement. - Aucun, monsieur le président.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci. Je vous cède la parole.

M. Nacer Meddah. - À titre d'élément introductif, je tiens à rappeler que le projet de LGV concerne, pour la région Centre-Val de Loire, uniquement le département d'Indre-et-Loire. La ligne traverse ce département sur cinquante-six kilomètres, soit 19 % du linéaire du projet.

La LGV intersecte dans ce département des milieux anthropisés dans la partie nord, et des zones plus sensibles d'un point de vue environnemental dans la partie sud, s'agissant notamment des franchissements des cours d'eau. Elle n'a pas de conséquence sur des sites classés Natura 2000.

Quarante-sept dossiers de compensation ont été instruits, représentant huit hectares d'acquisition et deux cent quatorze hectares de conventionnement.

D'autres dossiers sont par ailleurs en cours d'instruction. La situation de l'Indre-et-Loire est maintenant satisfaisante pour ce qui est du dépôt des dossiers de compensation.

Une des spécificités de ce dossier, sur le volet relatif aux dérogations concernant les espèces protégées, porte sur la mutualisation des mesures compensatoires, à la fois sur le plan inter-espèces entre les réglementations relatives à la loi sur l'eau et aux espèces protégées.

Le montage des dossiers est donc relativement exigeant en termes de technicité afin de garantir la qualité des mesures mises en place et leur proportionnalité par rapport aux enjeux.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Lors de leur audition par notre commission d'enquête, la chambre d'agriculture et les syndicats agricoles d'Indre-et-Loire ont été relativement sévères s'agissant de la conduite des travaux.

Je cite : « On sait très bien que la société ne respecte pas la loi sur l'eau mais qu'on ne peut rien faire, même la DDT. Ils bétonnent tous les fossés. Du coup, on a des arrivées d'eau énormes. On a plein d'exemples. Ils ont fait des talus avec deux mètres de terre arable et la mauvaise terre a été mise dans les champs à côté. Ils faisaient au plus pratique. C'est compliqué. Il y a un rapport de force, mais on a fait remonter. On a essayé de bloquer les sites de COSEA. On a des parcelles coupées. C'est un gros chantier, donc compliqué pour les exploitations en bordure de chantier. »

C'est un avis assez rude s'agissant de la conduite des travaux. Nous reviendrons ensuite sur la question des compensations, sur laquelle la commission d'enquête était plutôt centrée. Les différentes auditions ont montré que le désordre environnemental porte peut-être d'abord sur la question des travaux.

COSEA et un certain nombre d'autres sociétés intervenant sur le chantier, ont fait l'objet de condamnations pénales dans la région voisine.

Partagez-vous le constat assez sévère de la chambre d'agriculture ?

Quelles ont été les interventions de l'État en amont pour vérifier la manière de conduire les travaux et, en aval, pour dresser un procès-verbal et essayer de restaurer les milieux ?

M. Nacer Meddah. - Je laisserai sur ce point particulier M. Lelièvre, qui connaît exactement les critiques formulées à propos du bétonnage que vous évoquez, vous apporter des éléments pour vous dire si ce constat est partagé ou non, et vous fournir des précisions sur les mesures qui ont pu être prises pour essayer de corriger la situation.

M. Stéphane Lelièvre. - Les services de l'État sont à même de partager le constat dressé par la chambre d'agriculture, qui peut fort heureusement s'expliquer.

Deux difficultés majeures sont apparues en Indre-et-Loire, mais également dans d'autres secteurs, sur la partie sud du tracé. Il s'agit d'une part des difficultés pour assurer les continuités d'accès aux exploitations et les rétablissements en phase de terrassement, mais également du bétonnage des fossés, qui n'avait pas été identifié comme aussi conséquent au début des études.

Ceci s'explique par l'application des référentiels ferroviaires, qui imposent ce bétonnage dans un certain nombre de cas. Ce n'est qu'au moment des études détaillées du projet que ces critères ont pu être mis en oeuvre et que le bétonnage a pu être quantifié.

Un fort bétonnage des fossés peut avoir des conséquences sur l'accélération des eaux de ruissellement et sur les dispositifs de raquettes de diffusion des eaux. Ce problème a été accru par le fait que les années 2013 et 2014 ont été des périodes de fortes précipitations, d'où des quantités d'eau relativement importantes sur les terrains agricoles.

Le constructeur, COSEA, a essayé d'apporter le plus d'éléments de réponse possible à travers la mise en oeuvre de dispositifs provisoires, afin d'empêcher le ravinement des terrains agricoles, et a revu les dispositifs initialement dimensionnés.

M. Nacer Meddah. - Pour répondre encore plus directement à votre interpellation, monsieur le rapporteur, on peut dire qu'il aurait sans nul doute fallu anticiper davantage les impacts du chantier sur l'activité agricole.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Est-on aujourd'hui dans une situation satisfaisante ? Les difficultés ont-elles été résorbées globalement et constate-t-on un retour à un bon état écologique, ou la question continue-t-elle à se poser en matière de débit des cours d'eau ?

Si les choses ne sont pas réglées, que prévoit l'État pour revenir au bon état écologique ?

M. Nacer Meddah. - On peut aujourd'hui considérer que les corrections ont été apportées. Je répète que l'on ne peut que regretter que les choses ne soient intervenues qu'après coup, la profession agricole ayant vivement réagi par rapport aux difficultés rencontrées. Aujourd'hui, la situation est toutefois satisfaisante.

M. Stéphane Lelièvre. - J'ajoute que, dans le cadre du suivi des engagements de l'État, un comité s'est tenu au mois de décembre. Les élus locaux se sont exprimés sur cette problématique lors des précédents comités. Aujourd'hui, selon les comptes rendus dont je suis destinataire, cette problématique n'est pas réapparue.

M. Nacer Meddah. - Ce comité s'est tenu le 12 décembre dernier. Ces difficultés ont bien existé mais elles ont été résolues.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La DREAL peut-elle décrire la manière dont l'État suit ces projets dans la durée et assure la vérification des mesures de compensation ?

M. Nacer Meddah. - Le comité de suivi interdépartemental se réunit de manière régulière pour faire un point sur le sujet. Il s'agit de réunions techniques entre DREAL et directions départementales des territoires (DDT) afin de s'assurer que les difficultés rencontrées, surtout sur certains cours d'eau, ne se reproduisent pas.

Ce suivi est réalisé en liaison avec le constructeur. On ne considère donc pas que les problèmes sont résolus une fois la ligne achevée. Le travail de veille continue.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La DREAL dépêche-t-elle aussi des moyens humains sur le terrain ou, par l'intermédiaire de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), pour contrôler la mise en oeuvre de la compensation ? Nous devons quantifier les moyens que l'État consacre, de manière raisonnable et rationnelle, au suivi de ce type de projet sur une longue durée.

M. Stéphane Lelièvre. - En premier lieu, il convient de distinguer deux cadres réglementaires, celui de la loi sur l'eau et celui des espèces protégées. La DDT d'Indre-et-Loire instruit tout ce qui concerne les arrêtés relatifs à la loi sur l'eau, la DREAL Centre s'occupant des arrêtés relatifs aux espèces protégées.

S'agissant des moyens humains de la DDT, un agent a été recruté de façon spécifique pour assurer le suivi de ce chantier. Un poste a été créé pour s'occuper des dossiers transversaux liés aux infrastructures dans le cadre de la création de la DREAL Centre, intervenue fin 2009. C'est moi qui assure cette mission. Des moyens spécifiques ont été identifiés au préalable.

Enfin, on s'appuie sur des établissements publics comme l'ONEMA, désormais intégré à l'Agence française pour la biodiversité, et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (OFCFS) pour assurer les contrôles de terrain.

Des visites interservices de l'État sont régulièrement organisées avec le porteur du projet dans le cadre des mesures compensatoires.

M. Nacer Meddah. - Un comité départemental se réunit trois fois dans l'année.

Tous les acteurs concernés - services de l'État et opérateurs - pourront faire régulièrement le point au titre de ces deux lois qui encadrent non seulement les mesures de compensation, mais aussi le bon achèvement du chantier par rapport à ses impacts ultérieurs.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Est-ce que ce sont plutôt les agriculteurs qui vous ont alerté quand ils ont eu de l'eau dans les champs, ou l'ONEMA l'avait-elle fait en amont ?

M. Stéphane Lelièvre. - Les deux.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Dans quel ordre ?

M. Stéphane Lelièvre. - Au départ, c'est l'ONEMA qui a attiré l'attention sur le sujet. Cette pratique du bétonnage des fossés a en effet un impact sur l'environnement, du fait de l'accélération des vitesses de ruissellement et des risques de pollution des milieux humides beaucoup plus importants.

Entre-temps, la préfecture a reçu les remarques exprimées par la chambre d'agriculture et les représentants des agriculteurs.

M. Nacer Meddah. - Soyons honnêtes : l'alerte a d'abord été donnée par ceux qui ont rencontré des difficultés dans leur activité économique. Ils ont pu constater sur le terrain les dérèglements des cours d'eau. L'ONEMA n'a pas non plus attendu. Les alertes ont donc été quasiment concomitantes, mais le monde agricole a su se faire très vite entendre auprès de la préfecture d'Indre-et-Loire.

M. Stéphane Lelièvre. - Les études avaient également identifié cette problématique. La DDT a même interpellé la SNCF pour avoir confirmation de l'obligation du bétonnage des fossés. COSEA a remis un plan, et c'est à ce titre que l'ONEMA et la DDT ont été alertés.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Comment cela s'est-il réglé ? A-t-on créé d'autres bassins tampons pour éviter les problèmes de débit et de qualité de l'eau ?

M. Stéphane Lelièvre. - COSEA a réalisé des reprises d'aménagement, notamment au niveau des raquettes de diffusion des fossés et des redimensionnements de bassins tampons s'agissant du volet agricole.

Pour ce qui est du volet environnemental, des traitements au droit des rejets sur les cours d'eau ont été mis en oeuvre.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La mise en oeuvre de mesures compensatoires au droit des projets amène parfois à consommer de la terre agricole d'excellente qualité alors qu'elles devraient être déployées un peu plus à distance. L'État a-t-il accompagné le maître d'ouvrage dans la discussion, ou vous êtes-vous sentis contraints par le principe de proximité ?

Comment dialoguez-vous avec le maître d'ouvrage pour choisir les meilleures mesures compensatoires et déterminer les terrains afin d'accompagner ces mesures ? Avez-vous une vision globale du fonctionnement naturel de la région ou du département ?

M. Stéphane Lelièvre. - Il faut distinguer plusieurs phases. La première est la phase d'identification de la dette, avec l'arrêté correspondant à la quantification des mesures compensatoires dues à hauteur de cette dette.

Pour élaborer ces arrêtés, COSEA est entrée en discussion avec les services de l'État en amont de l'attribution du marché de partenariat public-privé. Les premiers échanges sont intervenus fin 2010 et début 2011. Très rapidement, au vu de la dimension de l'infrastructure, il est apparu que la recherche de mesures compensatoire au plus près de l'infrastructure et des impacts potentiels de celle-ci serait très difficile à garantir dans tous les cas de figure.

Pour les arrêtés relatifs aux espèces protégées, une approche par petite région agricole a été mise en oeuvre. La dette est calculée sur cette base, ce qui offre au porteur du projet des marges de manoeuvre, ainsi que des possibilités de recherche et de prospection, et favorise les opportunités.

Dans la phase de mise en oeuvre, les arrêtés prévoyaient la définition de cahiers des charges et de méthodologies de prospection. Il y a eu là encore des échanges avec le porteur du projet. Celui-ci a exposé sa méthodologie, que nous avons amendée et validée, en coordination avec les autres DREAL.

Ceci a bien été mis en oeuvre dans le cahier des charges pour ce qui est de la prise en compte des trames vertes et bleues. Les corridors et les réservoirs de biodiversité ont permis d'identifier les zones de prospection.

De même, les réserves foncières qui avaient pu être dégagées dans le cadre d'aménagements fonciers ont été intégrées dans le cahier des charges. Les spécificités liées aux espèces ont permis de sérier des éloignements plus ou moins lointains par rapport à la trace du projet.

En phase de réalisation, le porteur du projet ne présente pas sa mesure compensatoire de façon sèche, mais explique comment elle s'insère dans le milieu avoisinant, et par rapport aux autres mesures compensatoires qu'il compte mettre en oeuvre sur ce territoire. Il explique également comment il en assure la cohérence.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Estimez-vous avoir une vision à peu près claire des enjeux de biodiversité à l'échelle du département et de la région, ou cela reste-t-il fragile d'un point de vue scientifique ?

M. Nacer Meddah. - Avant la loi pour la reconquête de la biodiversité, il faut bien reconnaître que nous ne disposions pas de vision nationale en la matière. Cette loi constitue une avancée très forte.

Au niveau régional, COSEA n'a pas tout réalisé seule. S'agissant par exemple de l'identification du foncier à des fins de mesures compensatoires, un travail a été réalisé avec le conservatoire des espaces naturels et des associations environnementales. Un repérage a été effectué et les critères ont été partagés. Tout ceci a fait l'objet d'une validation commune.

Il faut aussi reconnaître que toutes les mesures compensatoires ne s'accompagnent pas nécessairement d'acquisitions foncières, des pourcentages ayant été définis, notamment pour les amphibiens et la flore.

Quant aux modes d'acquisition, les services de l'État n'ont pas leur mot à dire. C'est COSEA qui décide du mode d'acquisition.

Nous sommes donc présents à plusieurs moments de la procédure pour un chantier de cette importance. Avec la loi sur la reconquête de la biodiversité, on devrait pouvoir renforcer encore l'approche régionale.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Ce suivi dans la durée constitue-t-il un nouveau métier ou une nouvelle charge pour l'administration préfectorale ? N'existe-t-il pas des enjeux de formation et de méthodologies de vérification ?

M. Nacer Meddah. - C'est sans doute un métier qui existait, mais qui n'était pas aussi structuré. Il ne concernera pas les seuls services de l'État, mais aussi le conseil régional, les relais régionaux de l'agence de biodiversité étant adossés à la collectivité régionale.

C'est un travail de coordination des services de l'État et du conseil régional, en liaison avec le niveau national, qu'il faut désormais pérenniser alors qu'il se faisait au coup par coup, en fonction des projets. C'est sans doute un métier qu'il convient de consolider.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pensez-vous avoir les moyens humains nécessaires à cette activité dans le contexte actuel de réduction des ressources publiques ?

M. Nacer Meddah. - Ce sont des priorités. Il faudra faire en sorte de redéployer nos moyens et de mutualiser. Je pense que l'on peut organiser ce travail de suivi dans la durée entre services de l'État, agence de biodiversité et région. À nous de faire en sorte qu'il soit le moins coûteux possible pour la collectivité nationale.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je reste prudent à ce stade, mais nous avons eu le sentiment que les mesures compensatoires avaient quelque peu constitué un effet d'aubaine pour le monde agricole d'Indre-et-Loire en raison de la fin d'un certain nombre de mesures agro-environnementales (MAE), alors que la gestion environnementale faisait déjà partie de la culture des agriculteurs...

M. Stéphane Lelièvre. - On peut le dire. Les mesures compensatoires ont effectivement coïncidé avec l'interruption des programmes de développement rural, en 2014. La mise en oeuvre des nouvelles mesures environnementales a pris du retard. Les exploitants ont vu une opportunité à passer convention avec COSEA. Il s'agit de mesures assez proches de celles des fonds européens, mais qui sont bien plus contraignantes en termes de durée, celle-ci étant plus longue. C'est là un premier effet.

A contrario, il ne doit pas y avoir concurrence entre les différentes mesures sur certaines zones de protection spéciale, ou un retard de conventionnement dans le cadre de l'animation du réseau Natura 2000. Certains exploitants ont attendu l'offre de COSEA. Aux services de l'État de veiller à empêcher ceci.

M. Nacer Meddah. - Ainsi qu'ils ont dû vous le dire, ils ne se sont pas plaints de ces mesures.

M. Rémy Pointereau. - Comment le dialogue entre les opérateurs, les élus locaux, l'administration et les agriculteurs s'est-il déroulé ? Y a-t-il eu un échange suffisant ?

En matière de terres agricoles, il existe toujours une perte de surface agricole utile (SAU) pour les agriculteurs. Un travail de fond a-t-il été effectué avec la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) ? C'est souvent l'opérateur qui permet des échanges et facilite les compensations, non seulement en matière de SAU, mais aussi de biodiversité.

M. Nacer Meddah. - Tous les acteurs concernés ont bien été approchés et ont participé. Une véritable concertation a été établie. C'est ce qui explique aussi qu'il existe très peu de revendications sur la mise en oeuvre des mesures compensatoires.

En revanche, un travail d'anticipation reste à réaliser par le constructeur sur l'impact d'un chantier, les agriculteurs ayant été pénalisés au début du chantier.

M. Rémy Pointereau. - C'est la double ou la triple peine !

M. Nacer Meddah. - En effet. Le constructeur et les services ont fait en sorte de réagir, mais si on avait davantage anticipé, notamment en matière de bétonnage des fossés, sans doute n'y aurait-il pas eu de préjudice pour l'activité agricole.

Par la suite, s'agissant des mesures compensatoires ou de la SAFER, chacun a été associé pour trouver les terres les plus adaptées. Je n'ai personnellement pas eu connaissance d'acteurs concernés laissés sur le bord de la route, ou insuffisamment associés. Je reconnais toutefois que la procédure est encore quelque peu expérimentale. Certains enjeux sont à intégrer en amont, notamment en matière d'impacts sur l'activité agricole.

M. Stéphane Lelièvre. - Dans le cadre de l'élaboration des cahiers des charges destinées à établir des mesures compensatoires, les représentants des chambres d'agriculture, mais aussi les syndicats, ont été associés, afin d'éviter un gel de l'activité agricole et de privilégier un maintien de l'exploitation, tout en apportant une valeur écologique en termes de biodiversité.

Deuxièmement, en Indre-et-Loire, la chambre d'agriculture est l'opérateur en charge de la prospection des sites hébergeant de telles mesures. Cela permet de trouver des opportunités et de partager les projets.

Au mois de janvier, j'étais sur le terrain pour valider un certain nombre de mesures compensatoires. Nous avons rencontré l'exploitant qui nous a dit que s'il le pouvait, il placerait l'ensemble de son exploitation sous ce régime.

M. Rémy Pointereau. - Compte tenu du contexte économique, il a bien raison !

M. Stéphane Lelièvre. - En effet, et c'est à ce titre qu'il le disait.

M. Nacer Meddah. - COSEA y est également sensible et a intégré toutes les préconisations formulées par l'État, en collaborant avec tous les partenaires capables de mener des expertises, notamment pour améliorer la transparence des ouvrages afin de préserver la petite faune ou les zones d'habitat naturel à enjeux. Cinquante-sept ouvrages ont été adaptés en faveur de la petite faune terrestre et semi-aquatique.

COSEA a bien su prendre en compte les améliorations souhaitées. Il existe donc un véritable dialogue. COSEA n'impose pas nécessairement sa loi ni sa lecture de la conduite des travaux. Tous les aménagements qu'il a fallu entreprendre sur les ouvrages ont donc bien été réalisés et pris en compte par COSEA.

M. Gérard Bailly. - Pouvez-vous citer quelques exemples de mesures concernant la biodiversité ? Qu'impliquent-elles en termes de changement de culture ?

En deuxième lieu, la production agricole diminue certes du fait de l'emprise, mais également à cause des mesures en faveur de la biodiversité. Une compensation des pertes économiques est-elle globalement prévue ?

Enfin, la construction d'un TGV entraîne également beaucoup de reconstitutions d'ouvrages. Mon département a ainsi connu certaines difficultés dans ce domaine. En Indre-et-Loire, le maître d'ouvrage a-t-il été attentif à ces problèmes ?

M. Nacer Meddah. - Seuls cinquante kilomètres sont concernés. Je rappelle qu'il y a eu huit hectares d'acquisition et deux cent quatorze hectares de conventionnement. On n'est donc pas dans la même problématique qu'en Nouvelle Aquitaine.

La compensation de l'impact économique n'était jusqu'à présent pas prise en compte. Il faudra certainement l'intégrer.

Quant à la reconstitution des ouvrages, à ma connaissance, sur le tronçon qui nous concerne, il n'en a pas été question.

M. Stéphane Lelièvre. - En Indre-et-Loire, les difficultés rencontrées par les ouvrages ont concerné la phase transitoire, la destruction de certains d'entre eux ayant généré des allongements de parcours temporaires.

Pour le reste, le dimensionnement a été correctement pris en compte par le constructeur.

S'agissant des mesures compensatoires agricoles, des solutions par placette et mosaïque de cultures variées, destinées à compenser le risque de monoculture, défavorable à la biodiversité, ont été mises en oeuvre. Il n'a donc pas été question de gel d'exploitation.

Des fauches tardives sont privilégiées pour permettre la reproduction de certaines espèces et plusieurs hectares ont été mis en défens pour permettre la nidification de certains oiseaux de plaine. La compensation financière est estimée au vu de ces contraintes. C'est COSEA qui a négocié directement avec les exploitants.

M. Gérard Bailly. - Quelle est la durée des contrats ?

M. Stéphane Lelièvre. - Les mesures compensatoires ont vocation à durer cinquante ans.

Toutefois, il est aujourd'hui réglementairement impossible de conventionner avec un exploitant sur cette durée. Ces conventions ont majoritairement des durées de vingt ans mais, dans certains cas, peuvent descendre à dix ans, à charge pour le concessionnaire de renouveler ces conventions.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - C'est ce que nous avait dit la chambre d'agriculteur, ce qui est plutôt long par rapport à d'autres projets. Pour Notre-Dame-des-Landes, on est à cinq ans, par exemple.

Comment les choses vont-elles se passer au moment du renouvellement des conventions ? On sent bien que le monde agricole attend à l'avenir le concessionnaire de pied ferme. Ceci nous a été dit très clairement lors de certaines auditions.

Le concessionnaire anticipe-t-il d'ores et déjà à des négociations plus compliquées lors du renouvellement ? Cela dépend du contexte économique, mais le coût de fonctionnement sera probablement amené à augmenter progressivement pour le concessionnaire en termes de mesures compensatoires.

M. Nacer Meddah. - En toute objectivité, il me semble prématuré de répondre à cette question, mais il faudra faire preuve de vigilance. Les services de l'État et le comité de suivi devront s'assurer qu'il existe un dialogue serein et équilibré entre le monde agricole et le constructeur. Aujourd'hui, à notre connaissance, il n'existe pas de tension particulière.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - L'État peut-il être amené à recourir à des outils plus coercitifs pour réussir à mettre en place des mesures compensatoires ? Selon la loi, le concessionnaire est astreint à une obligation de résultat. Imaginons qu'aucun agriculteur ne soit plus intéressé par les mesures compensatoires : comment les choses se dérouleraient-elles ?

M. Nacer Meddah. - La loi sur la biodiversité donne aux services de l'État des pouvoirs réels. En Indre-et-Loire, nous effectuons de nombreuses visites de sites pour s'assurer que toutes les mesures sont mises en oeuvre.

Les missions interservices de l'eau et de la nature (MISEN), au sein desquelles le parquet est d'ailleurs présent, seront extrêmement utiles et pourront être amenées à décider de mesures coercitives.

La loi nous confie par ailleurs certains pouvoirs si des écarts apparaissent par rapport à ce qu'on est en droit d'attendre.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - S'agissant de l'évitement et de la réduction, avez-vous le sentiment que des efforts plus importants avaient pu être mis en oeuvre en amont ?

M. Nacer Meddah. - Cette procédure ne s'applique pas seulement en amont, mais concerne la totalité des atteintes à l'environnement. Les services de l'État ont donc fait en sorte que ces priorités soient bien intégrées à chaque étape du projet.

Toutes les mesures d'évitement ont été très détaillées dans les différents arrêtés pris par mes prédécesseurs, notamment un arrêté inter-préfectoral du 24 février 2012. Il s'agit des articles 4 à 10. On retrouve les mesures de réduction dans les articles 11 à 16, et les mesures de compensation dans les articles 19 à 21. On continue à s'assurer que cette procédure est mobilisée en permanence.

Pour aller cependant dans votre sens, monsieur le rapporteur, je pense qu'on pourrait conduire un travail d'amélioration sensible - mais nous sommes dans l'expérimentation. Celle-ci présente beaucoup d'intérêt. La procédure ERC a en effet été bien intégrée, mais peut-être pas de manière optimale, notamment en matière d'évitement.

Il y a sans doute là un travail que nous pourrions conduire ensemble. C'est ce qui est en train d'être fait par les services de l'État afin de voir, sur un chantier de cette ampleur, comment affirmer la priorité « évitement ». On peut, sur l'ensemble des trois temps du projet, qui ont été relativement longs - deux ans à trois ans, quatre ans à cinq ans, six ans à huit ans - s'assurer que les priorités sont bien intégrées, et ne pas se contenter de les énumérer dans les arrêtés.

Le travail du comité de suivi est donc essentiel. Le retour d'expérience pourra venir, a posteriori, consolider les recommandations que vous établirez dans votre rapport.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Avez-vous un exemple d'un évitement ou d'une réduction convenablement réalisé et, à l'inverse, d'un cas où l'on aurait pu faire bien mieux ? Nous avons en effet besoin d'illustrer les choses concrètement.

M. Nacer Meddah. - On peut citer l'optimisation du rétablissement de la VC9 à Sainte-Maure-de-Touraine, qui a évité la destruction de près de six hectares d'habitat favorable au busard Saint-Martin, ou la mise en défens de milieux humides au droit du franchissement de la vallée de l'Indre.

Ce sont là deux exemples concrets de la bonne application des mesures qui ont été prises dans les arrêtés.

M. Jean-François Longeot, président. - Nous vous remercions pour ces précisions et pour l'éclairage que vous nous avez apporté cet après-midi.

La réunion est suspendue à 15 heures.

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Audition de Mme Anne Guerrero (SNCF Réseau), M. Joachim Lémeri (Eiffage Concessions), M. Jean-François Lesigne (Réseau de transport d'électricité, RTE) et Mme Laetitia Mahenc (Transports infrastructures gaz France, TIGF) et M. Bertrand Seurret, GRT Gaz), membres du Club infrastructures linéaires et diversité (CILB)

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous accueillons maintenant le Club Infrastructures linéaires et biodiversité (CILB), qui a souhaité être entendu par notre commission d'enquête.

Le CILB est un club informel qui regroupe neuf gestionnaires ou représentants de gestionnaires d'infrastructures linéaires autour des questions de préservation de la biodiversité. Il s'agit de l'ASFA, d'Eiffage Concessions, d'ENEDIS, de GRTgaz, de LISEA, de RTE, de SNCF Réseau, de TIGF et de VNF. Nous en avons déjà reçus quelques-uns sur les projets spécifiques que nous examinons.

Vous travaillez notamment sur l'amélioration des connaissances, le travail d'inventaire, la recherche en matière de biodiversité. Vous avez également organisé un séminaire en lien avec l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) : « Corridors d'infrastructures, corridors écologiques ? ».

Nous recevons donc Mme Anne Guerrero de SNCF Réseau, M. Joachim Lemeri de Eiffage Concessions, M. Jean-François Lesigne de RTE, Mme Laetitia Mahenc de TIGF et M. Bertrand Seurret, de GRT Gaz.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse. Elle fera l'objet d'une captation vidéo et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Anne Guerrero, M. Joachim Lemeri, M. Jean-François Lesigne, Mme Laetitia Mahenc et M. Bertrand Seurret prêtent successivement serment.

Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les projets concernés par notre commission d'enquête ? Je les rappelle : la LGV Tours-Bordeaux, l'autoroute A65, le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.

M. Joachim Lémeri, responsable ingénierie durable, Eiffage. - Je travaille pour la direction développement durable du groupe Eiffage qui est actionnaire majoritaire de la société A'liénor concessionnaire de l'autoroute A65. En tant que représentant de direction fonctionnelle, support, pour toutes nos filiales, j'ai joué un rôle ponctuel de conseil interne sur le projet de l'A65, notamment en ce qui concerne la compensation écologique, sans toutefois être impliqué dans les détails du projet qui relèvent de la pleine responsabilité d'A'liénor. Je n'ai, par ailleurs, aucun autre rapport avec les autres projets étudiés par votre commission d'enquête.

Mme Anne Guerrero, direction environnement et développement durable, SNCF Réseau. - Je travaille chez SNCF Réseau qui est concédant du projet de ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux. Je n'entretiens toutefois aucun lien direct avec ce projet.

M. Jean-François Lesigne, attaché Environnement, RTE. - En charge de l'environnement chez RTE je n'ai pas de liens avec les projets étudiés.

Mme Laetitia Mahenc, responsable Environnement, TIGF. - En charge de l'environnement dans une entreprise qui gère des infrastructures gazières, je n'ai aucun lien avec les projets en cause.

M. Bertrand Seurret, responsable RSE, GRT Gaz. - En charge de la responsabilité sociale et environnementale chez GRT Gaz, je souhaite seulement signaler que nous avons utilisé les services de la réserve d'actifs naturels de la Crau à l'occasion d'un projet il y a quelques années.

M. Jean-François Lesigne. - Je prends maintenant la parole en tant que coordinateur des actions du club. Je tiens en premier lieu à remercier la commission d'enquête d'avoir répondu favorablement à notre demande d'être auditionnés aujourd'hui. Nos propos vont être structurés en trois chapitres : une présentation du CILB, son objet et ses travaux, puis le lien entre infrastructures linéaires et biodiversité, notamment en ce qui concerne la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC) ainsi que la trame verte et bleue. Nous aborderons enfin spécifiquement les infrastructures linéaires et la compensation.

Le CILB compte 9 membres qui sont tous des aménageurs et des gestionnaires d'infrastructures linéaires (autoroutes, voies ferrées, voies navigables, lignes électriques et gazoducs) et qui se sont donc regroupés autour du thème de la biodiversité, avec notamment les questions de fragmentation, d'effet « barrière » et d'effet « corridor », découvert plus récemment. Cet effet fait contribuer les infrastructures, leurs dépendances vertes et leurs emprises, aux trames vertes et bleues.

Les impacts de ces infrastructures sont assez différents selon leur nature. Entre un gazoduc et une autoroute, les effets sur la nature ne sont les mêmes. Il en va de même entre des zones artificialisées et imperméabilisées et des zones où la nature est plus préservée. Au-delà de ces différences beaucoup de choses demeurent communes et c'est la raison pour laquelle nous avons décidé de travailler ensemble afin de mettre en commun nos connaissances. Cela nous permet une progression beaucoup plus rapide sur les questions liées à la biodiversité qui sont, finalement, relativement récentes par rapport à l'histoire de nos entreprises.

Le CILB s'est créé au moment du Grenelle de l'environnement, en octobre 2008, en même temps que la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). Il s'agit d'un club informel, même si, en 2011, a été signée une charte qui engage les membres à un certain nombre de travaux et à une déontologie commune.

Nos travaux sont divers. Ils comptent, en premier lieu, un investissement dans le comité opérationnel (COMOP) des trames vertes et bleues dès 2008-2009. Nous avons ainsi contribué, grâce à notre expérience, à l'élaboration d'un guide sur les grandes infrastructures de l'État. Notre expérience concernait les aspects « franchissement », mais aussi déjà « l'effet « corridor ».

Nous avons également beaucoup travaillé dans le cadre de la trame verte et bleue en région et des schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE). Nous avons participé aux travaux menés dans toutes les régions ainsi qu'à ceux du comité national.

Le CILB a également mené des travaux avec la FRB puisque plusieurs de nos membres sont présents dans son conseil d'orientation stratégique. On peut citer par exemple un groupe de travail commun au conseil d'orientation stratégique et au comité scientifique de la FRB sur la compensation et dont Joachim Lémeri, ici présent, est coanimateur.

Plusieurs de nos entreprises membres ont, dès 2012, adhéré et donné un plan d'engagements à la stratégie nationale pour la biodiversité.

En ce qui concerne la séquence ERC, nous nous sommes impliqués, au côté du ministère, sur les lignes directrices ERC en 2011-2012, puis lors des états généraux du droit de l'environnement dans le groupe de M. Romain Dubois sur l'amélioration de la séquence ERC en 2014 et 2015.

Le séminaire aux côtés de la section française de l'UICN a été un point d'orgue en 2014. L'UICN France nous a aidés à préparer ce séminaire pendant un an pour poser la question des effets « corridor » après avoir obtenu des confirmations scientifiques venant, par exemple, du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) ou d'autres organismes. Ce séminaire nous a permis de réunir tous nos partenaires sur le terrain, qu'il s'agisse des agriculteurs, des chasseurs, des associations ou des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Le but était de leur demander si les corridors créés par les infrastructures pouvaient être des corridors écologiques, dans quelles conditions ils pouvaient l'être et, le cas échéant, les actions à mettre en oeuvre pour qu'ils le deviennent. Un rapport a découlé de ce séminaire.

Nous procédons également à des échanges entre membres du CILB sur la manière de gérer les dépendances vertes de manière plus favorable à la biodiversité.

Un élément essentiel de notre charte consiste en un partage des données naturalistes. Dès 2011, nous avons eu la volonté de partager avec le MNHN ces données collectées par des cabinets naturalistes à l'occasion des études d'impact. Nous avons, dans le cadre de ce partenariat, utilisé une application appelée CardObs qui a été adaptée en conséquence. Si la loi biodiversité a maintenant imposé ce dispositif, sachez que nous l'avions déjà mis en place et que le système informatique fonctionne, ainsi que les organisations avec les bureaux d'études.

Je souhaite enfin évoquer l'appel à projets de recherche lancé en 2014 avec le programme de recherche « Infrastructures de transports terrestres, écosystèmes et paysages » (ITTECOP) du ministère de l'écologie et la FRB. Le thème central de cet appel à projets concernant l'utilité des infrastructures linéaires pour la biodiversité et l'utilisation de ces corridors. Nous avons, dans ce cadre, pu financer 16 projets de recherche dont 7 thèses et une revue systématique. Ce dernier dispositif porté par le MNHN permet de faire état de la connaissance mondiale sur un sujet donné, en l'occurrence l'effet « corridor » induit par les infrastructures. L'ensemble de ces travaux de recherche devant s'achever en 2017, nous ne disposons pas encore des conclusions. Fort du succès de ce programme, nous venons d'en lancer un similaire pour la période 2017-2020.

M. Bertrand Seurret. - Nous souhaitons insister sur la sensibilisation autour du thème de la biodiversité que l'ensemble de ces travaux a permis pour les entreprises membres du CILB. Cela nous a permis de renforcer significativement le poids de l'évitement dès la planification des projets et également de prendre conscience que la séquence ERC se pose à tout moment d'un projet. Il existe encore des possibilités d'évitement lors des travaux de réalisation des infrastructures avant, le cas échéant, de recourir à des compensations.

En résumé, nos travaux portent sur trois grands domaines. Le premier est le domaine « classique » de la fragmentation des espaces engendrée par une coupure qui a pour cause une infrastructure linéaire. Ce domaine donne lieu à des travaux de recherche ainsi que des expérimentations qui permettent aujourd'hui d'améliorer les techniques et la transparence de nos infrastructures mais aussi de mieux comprendre le comportement de certaines espèces autour de nos infrastructures.

Le deuxième domaine est celui de la contribution possible des infrastructures à un effet de corridor écologique par leurs emprises et dépendances vertes qui favorisent la continuité écologique. Il s'agit d'éléments validés par les scientifiques et des expérimentations sont en cours. On peut noter que parmi les SRCE, certains ont retenu des emprises linéaires pour la trame verte et bleue et le séminaire en lien avec l'UICN a encouragé cette démarche.

Le troisième thème est, enfin, la gestion écologique des dépendances vertes. Nos infrastructures comportent, en effet, toutes à divers degrés, des dépendances vertes. Ce thème est, en particulier relatif à la gestion de ces dépendances en lien avec le plan Écophyto II. Ces dépendances étant plus situées en milieu rural qu'urbain, nos problématiques sont singulières par rapport à celles habituellement rencontrées dans la gestion d'espaces verts.

Mme Laetitia Mahenc. - En notre qualité d'aménageur et à travers nos différents projets, si l'on prend un peu de hauteur par rapport à ce schéma global de protection de la biodiversité comprenant la séquence ERC, les trames vertes et bleues et les études d'impact, nous constatons que le dispositif réglementaire existant est cohérent. Cependant, on s'aperçoit que, lorsqu'on le regarde en détails, toutes les briques que l'on a aujourd'hui à notre disposition n'en sont pas ou même état d'avancement et que nous devons poursuivre le travail de développement et de partage d'un socle commun de connaissances et le développement de compétences liées en ce qui concerne le génie écologique ou toutes les autres filières associées.

Nous faisons le constat qu'il n'existe pas, aujourd'hui, de référentiel normalisé et opposable en ce qui concerne les méthodologies d'inventaire ce qui peut, le cas échéant, engendrer des disparités entre les projets ou des querelles d'experts. Nous constatons également des différences d'interprétation et d'appréciation, selon les territoires traversés, qui génèrent in fine des disparités à l'échelle nationale. Comme cela a été évoqué, le CILB avait travaillé à la mise en place d'un pool de données à travers le projet CardObs.

La démarche ERC, et notamment ses deux premières étapes, est aujourd'hui étudiée très en amont dans les projets. C'est également à cette étape qu'on nous demande aujourd'hui de sécuriser ou de travailler nos mesures de compensation. La compensation étant déterminée très tôt, il pourrait être intéressant de réévaluer ces mesures, une fois le projet opérationnel, afin de prendre en compte l'impact effectif sur l'environnement. Cette démarche de réévaluation est familière pour les aménageurs gaziers avec les études de danger.

Nous serions également favorables à disposer de schémas territoriaux un peu plus cohérents car nous constatons que les compensations que nous mettons en oeuvre aboutissent à des mesures extrêmement morcelées sur les territoires. Si les espaces naturels à enjeu étaient globalisés à l'échelle de schémas territoriaux prenant également en compte les aspects économiques, ils permettraient d'obtenir des points focaux de compensation ou des zones prioritaires prédéfinies. Cette vision globale permettrait d'aller en amont sur les fonctionnalités des trames vertes et bleues.

M. Joachim Lémeri. - J'aborde maintenant la dernière partie de notre exposé relative au lien entre les infrastructures linéaires de transports et la compensation en tant que telle.

Notre club n'a pas vocation à coordonner les entreprises membres dans la gestion de leurs mesures de compensation et dans le conventionnement qui peut, le cas échéant, être mis en place. Nous sommes un club qui a pour but de partager les bonnes pratiques afin qu'elles soient diffusées dans ces entreprises. Cette expérience nous permet de vous formuler quelques recommandations pour une compensation plus efficace à effort égal à la suite desquelles Anne Guerrero vous présentera certains enseignements clés en matière d'organisation dans nos structures.

En ce qui concerne nos propositions, un premier volet est relatif à la temporalité de la mise en oeuvre de la compensation. Nous pensons qu'il serait opportun de conditionner une partie de la compensation à la réalité des impacts sur le terrain. Aujourd'hui, la dette écologique est calculée en amont sur des impacts évalués, mais n'est jamais révisée en fonction de la réalité des impacts effectifs. Il arrive, dans un certain nombre de cas, que les impacts soient réduits après évaluation, notamment en phase de chantier.

La loi précise que nous devons compenser avant la survenue des impacts, alors qu'en réalité c'est extrêmement compliqué. Les projets sont, en effet, longs et complexes et les autorisations relatives à la biodiversité sont délivrées juste avant le démarrage des chantiers puisqu'il s'agit souvent des derniers visas administratifs. Pour autant, certains exemples concrets nous montrent ces dernières années que certaines compensations peuvent être anticipées. Cela fonctionne très bien par exemple pour les mares de substitution à destination des amphibiens qui sont construites avant la destruction des mares d'origine. Il pourrait être intéressant de cibler ces anticipations sur des habitats prioritaires, relevant, par exemple, du régime Natura 2000 ou sur des espèces prioritaires, comme celles présentes sur les listes rouges UICN, par exemple.

Nous constatons que, d'un point de vue spatial et biogéographique, les mesures de compensation ne sont pas toujours cohérentes avec les schémas globaux de cohérence et de continuité écologique. Nous souhaiterions que cela soit le cas pour éviter un mitage de ces mesures au gré de la disponibilité du foncier. Il faudrait insérer ces données dans une trame. L'UICN avait formulé ce souhait dans son rapport de 2014 à la suite du séminaire que nous avons évoqué afin de passer d'une logique de compensation au cas par cas à l'identification d'un projet cohérent. Il manque, pour cela, un architecte, un opérateur de la trame verte et bleue au niveau local pour organiser le processus. Si les trames vertes et bleues ont été identifiées il n'existe pas pour autant d'opérateur en charge de leurs réalisations et de la cohérence de certains projets, dont la compensation.

Sur le plan naturaliste, nous avons besoin d'objectiver la méthode de définition des équivalences écologiques, qui consiste à comparer les pertes de biodiversité et les gains que la compensation génèrera. Nous sommes, à l'heure actuelle, démunis en termes de doctrine ou de méthode et chaque bureau d'études définit la sienne comme il le souhaite. Nous mentionnons les travaux de l'IRSTEA, soutenu par EDF sur ce sujet. L'idée serait de sortir de la prédominance de la méthode surfacique, pour laquelle la prise en compte d'un facteur de risque conduit à surajouter des surfaces de compensation. Cet ajout est arbitraire d'une part, et on ne réduit pas pour autant la surface en cas de succès des mesures, d'autre part. Une telle réduction pourrait réserver les terrains finalement soustraits à d'autres mesures de compensation. Une optimisation des critères et des ratios pourrait aider à sortir de cette méthode du « tout surfacique ».

La déclaration d'utilité publique (DUP) est un outil intéressant. Notre souhait n'est pas d'y inclure tous les sites de compensation car il est souvent impossible de les définir à ce stade du projet mais il pourrait s'agir d'un vrai levier pour des sites accolés à l'infrastructure. Or c'est aujourd'hui impossible en l'état du droit, ce que nous regrettons, même si nous comprenons bien que l'expropriation ne peut pas systématiquement être utilisée à des fins de compensation environnementale.

Nous nous posons enfin la question de la maîtrise d'ouvrage réelle des mesures de compensation relatives à un projet. Est-ce véritablement à nous de devoir organiser ces mesures alors que nos compétences en la matière sont limitées ? Un transfert organisé par le législateur à un maître d'ouvrage public, comme celui en charge de la trame verte et bleue, pourrait être envisagé. C'est exactement ce qui existe pour le réaménagement foncier et agricole puisque les conseils départementaux possèdent la maîtrise d'ouvrage des aménagements qui compensent les conséquences des impacts d'un projet d'infrastructure sur le parcellaire agricole et forestier. Cette maîtrise d'ouvrage se fait sur la base d'une contribution financière du maître d'ouvrage de l'infrastructure impactant.

Mme Anne Guerrero. - Chaque entreprise met en oeuvre des moyens parfois imaginatifs pour mettre en oeuvre puis gérer les mesures compensatoires ainsi que garantir leur efficacité. Cela représente un travail significatif de la part de nos organisations, à qui cela pose beaucoup de questions. La compensation représente pour nous un projet à part entière au sein du projet global. C'est d'ailleurs une condition si l'on veut mettre en oeuvre un véritable projet de biodiversité et pas seulement juxtaposer des mesures de compensation très parcellisées. La compensation est très contextualisée et les mesures mises en oeuvre pour un projet sont différentes à chaque fois mais il existe tout de même des constantes. Il s'agit des problèmes de maîtrise du foncier, de pérennité des structures, d'évolution de la nature et des concepts portés par les naturalistes ou d'évolution des acteurs et des parties prenantes. Tout cela doit être intégré à un instant donné. On teste pour cela des réponses différentes comme le « tout acquisition » que l'on oppose à la solution mixte « acquisition - conventionnement » ou le recours à un opérateur unique en opposition à la coordination de différents opérateurs. En dépit de certains retours d'expérience, nous expérimentons en réalité encore beaucoup au profit de l'ensemble de la communauté.

Nous tentons d'anticiper de plus en plus les enjeux de biodiversité dans la conduite de nos projets. Cela prend la forme d'inventaires de plus en plus précis et complets. Ils sont réalisés plus tôt et poursuivis sur toute la durée du projet, voire de l'opération. Beaucoup d'accords sont passés avec les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) pour constituer des réserves de foncier afin de sécuriser les besoins en terres dont sont tributaires les mesures compensatoires afin que leur mise en oeuvre intervienne dans les délais requis. Beaucoup de dialogues, de concertations et de partenariats avec l'ensemble des parties prenantes sont organisés le plus tôt possible, qu'il s'agisse des associations naturalistes, de la profession agricole, des fédérations de chasse ou des parcs naturels.

Nous nous demandons finalement si nos organisations sont les plus compétentes en la matière même si nous disposons tous d'experts sur ces sujets-là. Des géographes, écologues, juristes, généralistes de l'environnement nous conseillent et font de la veille afin de capitaliser de l'information. La veille porte notamment sur les évolutions réglementaires fréquentes. Nous disposons donc de certaines compétences mais l'application de la séquence ERC en nécessite de nombreuses. Il convient de réussir à faire travailler de concert des spécialistes en ingénierie écologique, en génie écologique, en agronomie, en ingénierie foncière et en ingénierie financière. Ce n'est pas forcément simple en termes de coordination.

Se pose donc pour nous la question stratégique des compétences à internaliser ou externaliser en matière de mesures compensatoires. La réponse n'est pas encore tranchée et nous y réfléchissons beaucoup. Être en club est, en cela un avantage.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Quelles sont, aujourd'hui, les principales conséquences de la fragmentation ?

M. Joachim Lémeri. - La fragmentation est l'enjeu numéro un en ce qui concerne les infrastructures linéaires de transports. Les chiffres le montrent. Je ne les ai pas forcément en tête mais des articles récents traitent du sujet. Cela passe par les collisions avec les spécimens mais principalement par de la fragmentation à proprement parler qui a pour conséquence de créer des isolats de population végétale ou animale de part et d'autre d'une emprise. Il existe cependant des nuances comme le montre le projet de la thèse Copafaune.

Mme Anne Guerrero. - Les gaziers et les électriciens ne sont pas confrontés au même effet que les infrastructures de transport de personnes ou de marchandises. Car les réseaux ferroviaires, routiers et autoroutiers ont un véritable effet fragmentant sur les populations. Beaucoup d'écrits ont porté sur ce phénomène, c'est la raison pour laquelle la revue systématique ne porte pas sur ce sujet. Des solutions existent puisqu'il est possible d'aménager des passages pour la grande faune ou d'autres ouvrages pouvant contribuer à la transparence des infrastructures. Une distinction est faite entre les surfaces imperméabilisées sur lesquelles il y a un trafic important et les infrastructures avec un trafic plus séquentiel et du ballast, comme les voies ferrées, qui laissent passer la microfaune. Nous avons financé deux projets de recherche sur le sujet pour savoir quels types de faune étaient touchés par cet effet. La thèse Copafaune déjà évoquée portait sur un ouvrage autoroutier et un ouvrage ferroviaire et s'est basée sur des méthodes génétiques pour voir si, au bout de 20 ans d'exploitation, il existait des différences génétiques entre les populations de part et d'autre de l'ouvrage. Les conclusions de ce travail peuvent être interprétées dans un sens qui exclurait un effet de barrière au profit d'un effet de filtre pour ces ouvrages. Ces travaux ne portant que sur les tritons, nous avons eu l'envie de les développer de manière plus large au sein du projet TRANSFER. Ce projet du MNHN a porté sur un nombre large d'espèces et a conforté les conclusions de la thèse Copafaune en ce qui concerne les infrastructures ferroviaires qui ne sembleraient pas constituer une véritable barrière pour un grand nombre d'espèces qui les traversent. Le cas des lignes clôturées est, il est vrai, encore un cas particulier.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Soit il existe un effet de barrière dont il convient de tenir compte, soit il n'y en a pas et les enjeux majeurs pour la biodiversité se trouvent ailleurs. S'il s'agit du principal problème, nous ne devons pas tant nous concentrer sur les nouvelles infrastructures que sur le stock existant. Qu'avez-vous prévu pour le stock ?

M. Joachim Lémeri. - La fragmentation se gère essentiellement par des mesures de réduction adaptées à l'ouvrage. Certaines clôtures participent de ce phénomène mais permettent également de maintenir des continuités écologiques. Il existe peu d'actions de compensation quant à cet impact. L'infrastructure ne doit pas être considérée individuellement à un instant donné, mais au sein d'un système et sur le long terme car cet écosystème génère également des effets divers qui sont indissociables de celui propre à l'emprise. C'est l'ensemble qui doit être apprécié.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Faut-il intervenir sur le stock d'anciennes infrastructures ? Selon quelle stratégie ?

M. Jean-François Lesigne. - Le club n'a pas vocation à établir une stratégie pour les entreprises membres. Il est vrai que la question est souvent revenue : à quoi bon s'occuper des 200 kilomètres de ligne électrique que l'on construit et pas aux 100 000 kilomètres de ligne existantes ? Nous savons qu'il existe 400 000 hectares sous les lignes existantes sous lesquels il est possible d'entreprendre. Nous avons, jusqu'alors géré la végétation pour des problèmes techniques. Nous pouvons la gérer pour des problèmes de biodiversité si la collectivité le souhaite.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Partant de l'idée que cette fragmentation est un vrai problème, êtes-vous d'accord sur le fait qu'il ne faut pas ajouter de clôtures là où il n'y en a pas sur les lignes ferroviaires, quitte à en assumer les conséquences ? Intégrez-vous ces risques ?

Mme Anne Guerrero. - Nous les intégrons mais il est difficile d'avoir une stratégie globale. Nous avons des besoins de sécurité clairement identifiés et il serait difficilement audible par nos concitoyens que nous écartions la pose de clôtures pour favoriser la biodiversité au détriment de la sécurité des êtres humains. Nous ne pouvons pas prendre en compte les seuls intérêts naturalistes et devons tenir compte de l'ensemble des acteurs.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La majeure partie de la problématique liée à la fragmentation est-elle liée à cette nécessité de clôturer les infrastructures ferroviaires ? S'agit-il d'un point que vous avez identifié et pour lequel une compensation adéquate est mise en oeuvre ?

Mme Anne Guerrero. - Sur le total du linéaire de voies ferrées qui représente 30 000 kilomètres de lignes en France, la partie clôturée est très faible. Elle ne concerne pratiquement que les LGV, soit 2 000 à 2 500 kilomètres de linéaire. Pour le reste, les clôtures ne sont présentes que dans les zones à forte concentration de gibier. Le réseau existant est donc en grande partie perméable car il n'est pas clôturé mais il ne dispose pas de passages spécifiques pour la faune. Les LGV sont, elles, beaucoup plus récentes, beaucoup moins transparentes, mais dotées de passages pour la faune. Une étude au cas par cas est donc encore nécessaire. Il n'existe pas de solution globale et la recherche doit continuer à progresser car, ne disposant pas de la connaissance, nous nous basons sur les travaux de nos collègues chercheurs pour déterminer nos actions.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je vous rappelle que toute pièce écrite complémentaire sera la bienvenue. La question des corridors créés par les infrastructures linéaires semble complexe. Le monde agricole parait, d'ailleurs, s'en plaindre à cause des lapins et des sangliers qui ravagent les cultures. Le gain en biodiversité semble donc réduit. Possédez-vous des études scientifiques sur cet aspect ?

M. Jean-François Lesigne. - Les études générales sont celles que nous avons évoquées par le biais de l'appel à projets. Nous disposons, aujourd'hui, des inventaires effectués par le Muséum qui ont mis en évidence la rareté des espaces ouverts sauvages à cause du pastoralisme. Or, du fait de la nature de nos infrastructures, nous avons comme contrainte de laisser ouverts les espaces qui deviennent utiles à tout un cortège de faune et de flore pour qui ils sont rares. Ce phénomène est très caractérisé en Ile-de-France alors qu'il est moins vrai ailleurs. L'IRSTEA l'a aussi confirmé pour de grandes plaines agricoles ou en région Aquitaine. La connaissance n'est cependant pas complètement aboutie. Il faut continuer à chercher pour savoir à quel point doit être pris en compte cet effet positif.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Je souhaiterais que vous précisiez vos propos concernant la DUP et l'étude d'impact. Je crois comprendre que vous souhaitez que les espaces clé de compensation soient compris dans la DUP pour prévenir toute difficulté foncière. Vous avez moins abordé le rôle de l'étude d'impact et de l'enquête publique. Il pourrait être intéressant que les inventaires et la réflexion autour de la compensation interviennent dès ce moment-là pour ne pas avoir à les réaliser ou à les compléter après. Êtes-vous d'accord avec le principe ?

Mme Laetitia Mahenc. - En tant qu'aménageur gazier, il me semble que c'est déjà le cas puisque dès l'étude d'impact il nous est demandé de certifier que nous avons sécurisé notre espace de compensation. Cela nous engage à avoir réalisé nos inventaires auparavant et avoir échangé avec les administrations pour définir la nature et l'emplacement des mesures de compensation à mettre en place.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - La loi vous convient-elle en l'état ? Ce n'est pas forcément le sentiment que nous avions.

M. Joachim Lémeri. - Pour compléter le propos de Laetitia Mahenc, nous avons, de manière certaine, des inventaires de plus en plus détaillés au stade de l'étude d'impact. La grande stratégie de compensation peut-être évoquée au niveau de l'étude d'impact mais les grands projets d'infrastructures requièrent, à ce niveau, un temps de gestation plus long. Bien après l'étude d'impact, un affinage technique va être nécessaire, notamment au regard des procédures relatives à la loi sur l'eau ou aux espèces protégées qui ont lieu quelques mois ou années plus tard.

Il pourrait cependant être intéressant, dès l'étude d'impact, de définir une stratégie de compensation et déterminer des sites clés ou se situant à proximité de l'emprise, mais cela restera plus compliqué pour les grands projets.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Certains projets que nous analysons sont particulièrement contestés. Leur blocage pendant plusieurs années est un vrai risque pour les financiers. Nous avons malgré tout l'impression que les débats qui ont lieu au moment des arrêtés relatifs à la loi sur l'eau ou aux espèces protégées arrivent trop tard. Ne faut-il pas les avancer au moment de l'étude d'impact ou de l'enquête publique ?

M. Joachim Lémeri. - Ils pourraient effectivement intervenir plus tôt, pas seulement à l'échelle du projet mais à une échelle territoriale. Au niveau des plans-programmes par exemple. Les schémas de cohérence territoriale (SCOT) ou les plans locaux d'urbanismes (PLU) pourraient prévoir des contenus plus précis sur l'anticipation de la séquence ERC. Pour le moment, nous ne le voyons pas beaucoup, voire pas du tout !

La réforme en cours qui introduit l'autorisation environnementale unique vise à faire plus et plus tôt. Le rapport Duport précédant ce dispositif spécifiait que les choses étaient un peu plus complexes pour les grands projets de LGV et d'autoroute du fait des temps de gestation allongés que j'évoquais.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pourriez-vous nous le préciser par écrit ? J'étais plutôt surpris de vous entendre favorable au transfert de la compensation à un tiers. Plusieurs maîtres d'ouvrage ont affirmé en audition souhaiter garder la maîtrise puisqu'ils sont soumis à une obligation de résultat. Vous ne souhaiteriez donc pas garder la main sur votre stratégie de compensation ?

M. Jean-François Lesigne. - Notre proposition n'est pas formulée à droit constant et sous-entend que l'on transfère la responsabilité de la compensation à la collectivité publique qui la met en oeuvre selon ses projets et son esprit. Il faudrait un architecte avec une vision globale et qui analyserait dans le détail les mesures avant qu'un opérateur ne les mette en place. Il serait, dans ce cas de figure, difficile de transférer la maîtrise des mesures de compensation sans transférer la responsabilité qui est attachée à leur réussite.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Transférez-vous également à l'opérateur une enveloppe financière suffisamment conséquente pour couvrir le risque d'échec face à l'obligation de résultat ? Comment chiffrer ce transfert ?

M. Joachim Lémeri. - Cela revient à se calquer sur le modèle de l'aménagement foncier agricole et forestier (AFAF) où il existe également des risques, notamment liés à la biodiversité. Nous sommes conscients qu'il existe des risques qui devraient être supportés par l'opérateur mais n'avons pas forcément une idée détaillée de comment régler le problème.

Mme Anne Guerrero. - Je ne pense pas qu'il existe une méthode unique. L'importance et la complexité de certaines compensations nécessitent de faire appel à plusieurs types de méthode, de structures, de processus et de solutions.

M. Alain Vasselle. - Est-ce que, dans le cadre des études qui ont été menées sur l'effet « corridor » des infrastructures, on n'a pas oublié de prendre contact avec les personnes de terrain comme les agriculteurs ou les chasseurs ? Ces gens-là connaissent les couloirs de circulation des animaux. S'il est vrai que les infrastructures génèrent des espaces ouverts, il y a un pas à considérer que ce sont ces espaces qui déterminent la position de certains types d'espèces. J'ai constaté, sur mon territoire, que l'autoroute A16 a été une véritable barrière pour la grande faune, malgré les passages aménagés le long de l'infrastructure. Nous avons aujourd'hui de fortes concentrations d'animaux qui ne peuvent pas traverser et qui provoquent des dégâts.

Les nouvelles contraintes générées par la loi sur la biodiversité entrainent des surcoûts pour ceux qui réalisent et exploitent les ouvrages. Peut-on le chiffrer ? De combien est-il, le cas échéant ? Quelles seront les conséquences pour l'usager car c'est lui qui, au bout du compte, paie l'addition ?

M. Rémy Pointereau. - Pour avoir vécu un débat public sur le sujet, il semble parfois que SNCF Réseau possède un avis assez net sur le choix final du tracé qui sera retenu alors que le débat public n'est pas forcément terminé. Le tracé retenu semble être le moins coûteux et le plus rentable, mais pas forcément le plus pertinent en matière d'aménagement du territoire. Essaie-t-on, tout de même, d'aller vers le tracé le moins impactant pour la biodiversité ou les surfaces agricoles ? S'appuie-t-on sur des ouvrages déjà existants pour minimiser les contraintes nouvelles, malgré les délaissés créés par les deltas de rayons de courbure entre certains types d'ouvrages? Ces délaissés ne peuvent-ils d'ailleurs pas être mis à profit en matière de biodiversité ?

Existe-t-il de la souplesse dans l'appréciation du critère de proximité de la compensation ? Car trouver des zones adéquates à côté de l'emprise n'est pas toujours simple.

L'idée de corridor écologique ne risque-t-elle pas de porter atteinte aux terres agricoles ?

La mise sous cloche de la biodiversité existante a un coût très important car la mise en oeuvre de la compensation présente un risque d'échec. Avez-vous néanmoins constaté des retours spontanés de biodiversité au voisinage des infrastructures ?

M. Jérôme Bignon. - Monsieur Vasselle a évoqué les nouvelles contraintes issues de la loi biodiversité d'août dernier, mais la séquence ERC existe depuis bien plus longtemps. Il serait donc intéressant d'analyser les contraintes spécialement issues de cette loi et les réponses que vous comptez y associer.

Je vis dans les Hauts-de-France qui est une région qui comporte énormément de friches dont doit douloureusement s'accommoder la population. Il est particulièrement triste que la compensation se fasse souvent au détriment de bonnes terres agricoles dont le volume diminue alors que ces friches existent. Lorsque le territoire aura été de plus en plus artificialisé, comment fera-t-on pour conserver la richesse et la capacité de production de notre agriculture et, in fine, de notre industrie agroalimentaire ? Plus d'imagination serait nécessaire pour trouver des solutions.

M. Jean-François Longeot, président. - Vous ne disposez que de peu de temps pour répondre mais pourrez nous transmettre tout complément écrit que vous jugerez nécessaire.

Mme Anne Guerrero. - Sur les connaissances de la biodiversité que peuvent avoir les acteurs locaux, je précise que nous y avons bien recours. Un partenariat nous lie à France Nature Environnement (FNE) et a fait l'objet d'un guide qui vous a été remis. Il nous a permis de bien comprendre nos contraintes respectives et de formaliser et structurer nos points de rendez-vous avec les associations naturalistes. Car, seul un repérage administratif des zones sensibles prend place en amont des projets. Il n'existe pas de données « terrain » et nous devons faire appel aux associations naturalistes, aux agriculteurs et aux autres acteurs locaux pour les obtenir, s'ils souhaitent coopérer. Or, ce n'est pas toujours le cas. Un partenariat a récemment été mis en place avec la profession agricole pour faciliter la prise de contact de nos structures régionales avec les agriculteurs. Dans le même ordre d'idée, je vous dévoile aujourd'hui qu'un partenariat de même type va bientôt être signé avec l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). L'ensemble de ces éléments construit une collaboration forte et concrète qui ne se limite pas aux seuls points de rendez-vous légaux et administratifs.

En ce qui concerne la question posée sur les scénarii qui seraient écrits à l'avance pour les tracés, je vois à quel projet vous faites référence. Il y a quand même eu un débat public qui est, par nature, un débat d'opportunité au moment duquel nous sommes très loin d'avoir fixé des tracés. Nous ne disposons que de scénarii de passage. Ce projet était par nature du domaine de l'aménagement du territoire puisqu'il avait vocation à desservir les territoires concernés sans se contenter de relier deux grandes villes. Les analyses multicritères ne se focalisent pas seulement sur la biodiversité mais également sur les hommes. Cela passe par des domaines aussi variés que les nuisances acoustiques, les risques pour le tissu économique ou le tissu agricole. Le débat public a pour but de faire débattre l'ensemble des parties-prenantes afin d'aboutir à un équilibre entre les impacts locaux et l'utilité publique.

Une réponse sur le jumelage vous sera envoyée par écrit car le sujet est très vaste.

M. Jean-François Lesigne. - D'un point de vue économique, les principaux coûts de maintenance d'une ligne électrique résident dans le gyrobroyage des arbres sur les 20 % du territoire recouverts de forêt ou de zones naturelles. La présence de surfaces agricoles est donc intéressante puisque cette opération n'a plus lieu d'être. Cela évite aussi, pour la biodiversité, que les milieux s'ouvrent puis ne se referment au rythme des défrichages. Nous avons mis en place des projets pour la biodiversité, avec les acteurs locaux. Nous disposons de partenariats avec les parcs ou avec les fédérations de chasse qui se réapproprient ces espaces. Ils bénéficient des fonds initialement destinés au gyrobroyage pour mettre en place de nouveaux aménagements. Nous avons testé ces programmes en collaboration avec notre homologue belge Elia et avons constaté que s'il existe bien un coût d'investissement pour transformer les espaces, leurs coûts de maintenance sont néanmoins beaucoup plus faibles une fois réaménagés. Nous pouvons amortir ces dispositifs sur des durées comprises entre 6 et 20 ans alors que notre activité s'inscrit dans un temps beaucoup plus long. Cela vaut donc le coup, sous réserve de trouver des acteurs locaux dynamiques qui ont envie de reprendre possession de l'espace.

Le réaménagement des friches nécessite de sortir d'une logique de compensation surfacique car la réhabilitation des friches est très coûteuse si on la rapporte aux surfaces en jeu, ce qui décourage les acteurs. Il faudrait donc passer à une méthode de compensation qualitative basée sur l'amélioration d'une batterie de critères déterminés.

Mme Laetitia Mahenc. - Pour répondre à la question sur la possible flexibilité du critère de proximité des mesures de compensation, nous y serions favorables pour plusieurs raisons. Cela participerait d'une logique de se placer dans le cadre de schémas territoriaux globaux préservant la biodiversité. Cela résoudrait aussi nos problèmes de sécurisation foncière. Nos administrations de tutelle nous demandent de compenser au plus près de l'emprise mais le respect de cette exigence est subordonnée à la disponibilité du foncier et au fait que les mesures que nous comptons y mettre en place soient validées. Nous serions donc ouverts à plus de souplesse dans l'appréciation de la proximité.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - J'ajoute cette question à laquelle, faute de temps, je souhaiterais que vous répondiez par écrit. Nous souhaitons savoir quelle part du financement d'un projet peut être raisonnablement dédiée à la séquence ERC du point de vue des aménageurs. Nous avons entendu des pourcentages allant de 2 à 10 %. Rapportés à des projets de plusieurs milliards d'euros, cela aboutit à des sommes très importantes. Seriez-vous favorables à ce que les mesures de compensation soient extraites des coûts globaux des projets, du fait de leur intérêt public, pour faire l'objet d'une présentation détaillée ? Nous avons, en effet, aujourd'hui beaucoup de mal à connaître les sommes réelles qui sont affectées aux mesures de compensation par les grands maîtres d'ouvrage.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour vos réponses.

La réunion est suspendue à 16 h 45.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. François Pinte, premier vice-président, et Mme Estelle Sandré-Chardonnal, directrice générale en charge des transports et de l'environnement, du conseil régional des Pays de la Loire

La réunion est ouverte à 17 h 50.

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, pour notre dernière audition de la journée, nous nous concentrons à nouveau sur le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui est l'un des quatre projets étudiés par notre commission d'enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures. Nous recevons en effet M. François Pinte, premier vice-président du conseil régional des Pays de la Loire, ainsi que Mme Estelle Sandré-Chardonnal, directrice générale adjointe au conseil régional en charge des transports et de l'environnement. Je vous rappelle d'ailleurs que nous nous rendrons sur place le vendredi 17 février prochain et que nous aurons à nouveau l'occasion d'échanger avec les élus locaux au cours d'une table ronde. Nous entendrons également ici, à Paris, un représentant de Nantes Métropole le 1er mars prochain. Je rappelle que notre objectif est de décrypter les difficultés que posent aujourd'hui la définition, la mise en oeuvre et le suivi des mesures compensatoires pour les projets d'infrastructures, et de proposer des solutions pour y remédier. Je rappelle également, nous l'avons dit à plusieurs reprises : notre travail est entièrement centré sur la question des mesures compensatoires. La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo, et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat ; un compte rendu en sera publié.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Pinte et Mme Estelle Sandré-Chardonnal prêtent successivement serment.

Monsieur, à la suite de vos propos introductifs, mon collègue M. Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour. Pouvez-vous nous indiquer tout d'abord les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ? Je les rappelle : l'autoroute A65, le projet de LGV Tours-Bordeaux et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.

M. François Pinte, premier vice-président du conseil régional des Pays de la Loire. - Je veux juste préciser que je suis salarié d'une entreprise de ressources humaines qui délègue ou qui a pu déléguer du personnel intérimaire aux grands donneurs d'ordre de travaux publics concernés par l'A65 ou la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, puisqu'elle est référencée chez ces entreprises. Travaux qui, je le précise, sont sous la maitrise d'ouvrage exclusive de l'État. En revanche, je n'ai aucun lien d'intérêt personnel avec ces projets.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous cède la parole.

M. François Pinte. - Vous avez souhaité que la région des Pays de la Loire soit auditionnée dans le cadre de la commission d'enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures. Vous m'avez adressé, avant cette audition, un certain nombre de questions auxquelles je vais m'efforcer de répondre. Je veux en introduction, préciser que la collectivité des Pays de la Loire, qui est membre du syndicat mixte aéroportuaire du Grand-Ouest (SMA), souscrit totalement aux déclarations qui ont pu être faites par son secrétaire général. Les membres du SMA ont une même position, quelle que soit leur couleur politique. Pour rappel, l'ensemble des collectivités représentées et leur exécutif respectif ont été élues sur un soutien transparent au projet de Notre-Dame des Landes. Le projet a reçu par ailleurs un soutien encore plus clair à l'occasion de la consultation populaire du 27 juin 2016, qui a abouti à 55 % pour le oui avec une participation supérieure à la participation aux élections locales traditionnelles. La région des Pays de la Loire constitue la principale collectivité financeur du SMA avec 40,5 millions d'euros sur les 115,5 millions d'euros prévus ; le solde étant assuré par la région Bretagne, Nantes Métropole, le Conseil départemental de Loire-Atlantique, les agglomérations de Saint-Nazaire et de la Baule. Les représentants du SMA ont pu préciser, à l'occasion de leur audition, notre vision commune de la démarche éviter, réduire, compenser (ERC) sur le projet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. J'y reviendrai dans quelques instants.

Je souhaite préciser le rôle de la région dans la mise en oeuvre de la séquence ERC. Comme vous le savez, pour les projets d'infrastructures routières, ferroviaires et aéroportuaires, ce sont les maîtres d'ouvrage qui sont chargés de réaliser une étude d'impact et de travailler sur la séquence éviter-réduire-compenser liée à leur projet. L'État a la responsabilité d'instruire dans le cadre de ses procédures réglementaires - loi sur l'eau, dérogations espèces protégées, autorisation de défrichement - les demandes d'autorisation ou de dérogation déposées par les porteurs de projet, et de déterminer dans ce cadre si la séquence ERC a correctement été déclinée. C'est l'État qui délivre ces autorisations. Réglementairement, la région n'est donc pas associée à cette procédure d'instruction des projets. Nous pouvons par contre y être associés dans le cadre de structures porteuses dont nous sommes membres - comme le SMA ou le conseil d'administration du Grand port maritime. Nous sommes également associés pour donner un avis sur cette séquence ERC au travers des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), où nous siégeons et qui donnent des avis sur les projets ayant un impact sur l'eau ou sur les zones humides. Cela a été le cas pour le projet de Notre-Dame-des-Landes, où le SAGE Estuaire de la Loire a donné un avis au titre de la loi sur l'eau. Plus globalement, la région possède des compétences en matière de biodiversité et d'environnement. Ainsi, la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) nous a confié un rôle de chef de file en matière de biodiversité. Nous avons également co-élaboré avec l'État entre 2010 et 2015 un schéma régional de cohérence écologique (SRCE). Ce schéma arrêté par le Préfet en octobre 2015, comporte un diagnostic des enjeux liés aux continuités écologiques et l'identification d'une trame verte et bleue à l'échelle régionale. Il s'agit d'un outil d'aménagement durable du territoire pour contribuer à un état de conservation favorable des habitats naturels et au bon état des cours d'eau. Les documents de planification comme les schémas de cohérence territoriale (SCoT) ou les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les projets de l'État et des collectivités territoriales doivent prendre en compte les SRCE. La séquence ERC doit être mise en oeuvre par les maîtres d'ouvrage en prenant en compte cette trame verte et bleue inventoriée dans le SRCE, en veillant à éviter, réduire et compenser toute atteinte à ces continuités écologiques. Ainsi, la région intervient-elle en amont pour définir le cadre et les outils qui permettent, à l'échelle régionale, de travailler sur la séquence ERC projet par projet. Ce SRCE sera d'ailleurs intégré dans le futur schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) que la région va élaborer d'ici mi-2019.

La région, au travers de ses services et de ses élus, dispose de compétences techniques sur la protection de l'environnement et sur la séquence ERC. Nous échangeons régulièrement avec les services déconcentrés de l'État, en particulier de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), sur les sujets relatifs à l'eau, à la biodiversité et aux déchets. Nous avons également développé des partenariats dans le domaine de la protection de la biodiversité, qui nous permettent de favoriser des actions exemplaires et de sensibiliser aux enjeux environnementaux. C'est le cas par exemple de notre partenariat avec le Conservatoire des espaces naturels dont nous avons soutenu l'émergence et dont nous sommes membre. Cette association est sollicitée par l'État ou des maîtres d'ouvrage pour devenir gestionnaire de mesures compensatoires, suite à des aménagements.

Vous me demandez si les collectivités territoriales ont une bonne connaissance de la séquence ERC. Il est difficile de répondre précisément à cette question. Il est probable qu'une région, un département, une agglomération, une intercommunalité ou une commune rurale n'ont pas la même connaissance de cette séquence. Cela dépendra de la taille de la collectivité - dispose-t-elle d'un service avec des ingénieurs spécialisés ? - ainsi que de son vécu : une collectivité qui porte de nombreux projets de développement économiques ou d'aménagement du territoire à toutes les chances de connaitre cette séquence ERC, qu'elle a eu le temps de s'approprier lors de l'émergence d'un projet. Ce vécu introduit un décalage avec des collectivités notamment rurales où les projets sont peu nombreux et certainement moins impactants sur la biodiversité.

Ensuite, sur le cas plus précis du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui intéresse votre commission d'enquête, je souhaite vous apporter des éléments plus précis sur la manière dont la séquence ERC a été travaillée. Nous y avons été étroitement associés dans le cadre du SMA. La région a été en permanence associée, tant par la DREAL que par AGO, à la mise en place de cette séquence ERC. Chaque mois, une revue mensuelle de projet réunit les services de l'État, le maître d'ouvrage et le syndicat mixte, afin de suivre l'ensemble des sujets y compris sur la biodiversité et l'environnement. Il existe de plus un comité de suivi des engagements de l'État et des collectivités territoriales qui associe les élus et qui a pour mission de suivre la méthode de compensation. En outre, la région a toujours veillé à ce que le sujet de la biodiversité et des compensations soient bien pris en compte. D'ailleurs, sur le projet de Notre-Dame-des-Landes, la méthode choisie présente un caractère précurseur, en proposant une compensation fonctionnelle plutôt que surfacique, en privilégiant ainsi la qualité de la fonctionnalité à la compensation par hectares, beaucoup plus impactante pour le monde agricole.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Excusez-moi, mais nous sommes assez étonnés par ce que vous venez de nous dire, puisque le syndicat mixte, que nous avons auditionné, nous a plutôt indiqué qu'il n'était pas associé sur ces questions de compensation de biodiversité qui relèvent, selon lui, de la responsabilité d'AGO. Pouvez-vous nous donner des éléments concrets sur cette association ?

M. François Pinte. - Nous ne sommes pas associés dans la définition, mais dans le suivi. C'est ce qui a fait l'objet de ces revues mensuelles du projet. Cette démarche est avant tout d'ordre informatif et il y a des échanges.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Ainsi, sur la compensation de la biodiversité, avez-vous eu des éléments tangibles et réguliers ?

M. François Pinte. - En effet, via le syndicat.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pouvez-vous nous en donner des exemples ?

M. François Pinte.- Nous vous en fournirons par écrit, car je n'ai pas moi-même siégé dans cette commission.

Mme Estelle Sandré-Chardonnal. - C'est la responsabilité du maître d'ouvrage que d'étudier la séquence ERC et de proposer les mesures compensatoires. Ce n'est pas à la région de proposer ces mesures. Ce qu'a voulu dire le SMA, c'est que nous sommes associés à des revues mensuelles de projets qui permettent de suivre l'information qui doit être mis en place. Nous avons ainsi suivi le fait que le maître d'ouvrage compte mettre en place telles mesures compensatoires sur tant d'hectares et à tel endroit. Telles sont les informations que nous recevons. Il nous faut être vigilant quant à la juste définition des mesures proposées et à l'éventuel accord du maître d'ouvrage.

M. Ronan Dantec, rapporteur- Le SMA nous a transmis de nombreux éléments, comme le nombre de mares concernées. Vous n'avez pas émis d'avis sur la pertinence des mesures de compensation au niveau du SMA ? Les collectivités n'ont pas demandé un avis quant à la pertinence des mesures de compensation ?

M. François Pinte. - Formel ou réglementaire, non. Mais il y a eu des échanges. Sur la démarche elle-même et la perception de son respect, je pense qu'il est inutile que je revienne sur les deux premiers points « éviter » et « réduire » qui ont été largement détaillés par les représentants du syndicat mixte. Je me concentrerai donc sur la compensation. Nous considérons donc que l'étape « compenser » est bien engagée même si elle n'est évidemment pas achevée. Dès le débat public fin 2002 début 2003, un certain nombre de travaux, notamment sur le plan environnemental, ont été lancés avec la mise en place d'un plan de gestion agro-environnementale visant à apporter une réponse cohérente et transversale aux enjeux environnementaux et agricoles à travers les mesures liées à la compensation des zones humides et des espèces protégées. Ce plan a été validé le 3 juillet 2006 en comité de pilotage. D'ailleurs la commission d'enquête publique, qui a donné un avis favorable le 13 avril 2007, a proposé quatre recommandations dont la création d'un observatoire unique de l'environnement. Nous avons bien évidemment été extrêmement soucieux que le projet soit en phase avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Loire-Bretagne approuvé le 18 novembre 2009, du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) de la Vilaine, approuvé le 1er avril 2003, et de l'Estuaire de la Loire, approuvé le 9 septembre 2009, qui en découlent. Ces schémas recommandent d'ailleurs la méthode fonctionnelle plutôt que surfacique et expliquent, en grande partie, les choix faits par les deux maîtres d'ouvrage, qui sont aussi en phase avec la profession agricole qui demande à ce que la perte de surface soit la plus faible possible. La réalisation des mesures compensatoires par contractualisation répond ainsi à sa demande de concilier environnement et exploitation agricole.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Sur la méthode surfacique, qui est au coeur de notre sujet, le syndicat mixte a-t-il reçu des études scientifiques la validant ? Avez-vous été associés à ce niveau-là et avez-vous reçu des études supplémentaires expliquant l'usage même de cette méthode ?

M. François Pinte. - Nous avons une connaissance des expertises qui ont été conduites, mais non de celles qui ont conduit à opérer un tel choix.

Je voudrais à présent rappeler quelques dates clés qui ont jalonné ce parcours, à commencer par deux courriers en 2006 versés au dossier d'enquête publique ; l'un du ministre des transports confirmant « que la conception du tracé de l'infrastructure routière a permis de minimiser les impacts sur le territoire concerné, notamment sur l'habitat d'intérêt communautaire », l'autre du ministre de l'écologie « rappelant que le traitement des impacts sur la faune et la flore s'est amélioré tout au long de l'élaboration du projet avec des études sérieuses et des propositions intéressantes ». Ensuite, je rappellerai le principe de compensation fonctionnelle, dont la méthodologie s'est concrétisée par un courrier de la ministre en charge de l'environnement en décembre 2011 ainsi que l'instruction des dossiers « loi sur l'eau », qui ont donné lieu à un avis favorable des commission locale de l'eau (CLE) des SAGE Vilaine et Estuaire, avant l'enquête publique, qui s'est tenue de juin à août 2012, et qui a donné lieu à un avis favorable de la commission d'enquête assorti de deux réserves : la définition d'un cadre juridique technique et financier avec la profession agricole et la mise en place d'une expertise scientifique sur la méthode de compensation. Cette commission du dialogue a ensuite donné lieu à l'installation d'un comité d'experts scientifiques qui a analysé la méthode de compensation sur les zones humides des maitres d'ouvrage et a émis douze réserves à prendre en compte. Ces réserves ont été instruites par la direction des territoires et de la mer et ont permis des garanties supplémentaires dans les projets d'arrêtés qui ont été présentés au comité départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) en novembre 2013, qui a lui-même émis un avis favorable suite à ces compléments.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Ce point est aussi important. La commission scientifique, que nous avons auditionnée, n'a jamais été réunie une seconde fois après avoir exprimé ses réserves. Je rappelle que cette commission scientifique devait apporter sa caution à la méthode de compensation choisie, qui n'est pas surfacique. Si l'État a répondu à ces douze réserves, la commission n'a jamais été réunie de nouveau. En outre, son président, auditionné, s'est exprimé à titre personnel - puisqu'il ne peut le faire au titre d'une commission qui ne se réunit plus -, ne cautionnait toujours pas la réponse de l'État à ces douze réserves. Comme politique, ne trouvez-vous pas étonnant que sur un tel dossier, qui génère autant de crispations sur notre territoire, la commission scientifique n'ait pas été convoquée à nouveau, afin d'obtenir une caution scientifique au moins formelle ?

M. François Pinte. - Suite aux arrêtés qui ont tous été attaqués en justice, c'est la justice qui a souligné que ces réserves avaient été bien traduites dans les arrêtés pris par la suite. Il ne m'appartient pas de juger si l'État devait réunir à nouveau le comité scientifique. L'État est dans son rôle de prendre en compte les éléments qui sortent de ces comités scientifiques dans ses arrêtés qui n'ont pas été remis en cause par la justice.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Afin d'être clair, le maître d'ouvrage ou l'État, dans le cadre du SMA qui accueille également les collectivités territoriales, a-t-il évoqué l'idée de convoquer à nouveau la commission scientifique ? C'est un point factuel précis. L'État ne vous a-t-il pas demandé, en tant que collectivité, si vous souhaitiez qu'une telle caution soit apportée ?

M. François Pinte. - À ma connaissance, non. Il est important de rappeler que le Conseil national de protection de la nature (CNPN) a donné un avis favorable le 5 juillet 2012 et qu'un protocole sur la réalisation des mesures compensatoires a été conclu le 23 décembre 2013 entre l'État, AGO et la chambre d'agriculture. La chambre d'agriculture a également conclu un protocole avec la profession en 2008 permettant d'accompagner la relocalisation des exploitants. Grâce à ce protocole, plus d'une trentaine d'exploitants sur quarante concernés directement, soit 80 %, ont accepté une relocalisation ou une éviction à l'amiable. Je rappelle également que la profession agricole a été largement associée à la mise en place d'un périmètre de protection des espaces agricoles naturels (PPEAN) de 17 000 hectares entre l'agglomération nantaise et le site de l'aéroport. Cela représente trois fois la ville de Nantes et plus de cent fois la surface artificialisée de l'aéroport. Enfin, la Commission européenne s'est prononcée favorablement sur ce dossier le 13 septembre 2013 lors de la commission des pétitions où le représentant de la direction générale de l'environnement a confirmé la conformité du projet avec le droit européen en déclarant. Je cite : « La commission a fondé son avis en constatant tant sur la loi sur l'eau, sur les directives habitat ou sur les espèces protégées, qu'aucune infraction de l'État français n'avait été constatée (...) Elle a fondé sa décision sur le respect des législations réglementaires européennes et une évaluation jugée satisfaisante des mesures de compensation (...) Le site, situé en dehors de toute zone Natura 2000, abrite des espèces protégées mais qui sont présentes dans beaucoup d'autres endroits en France. Ces espèces seront déplacées avant les travaux qui ne porteront donc pas atteinte à leur survie ».

Pour la région, ce parcours règlementaire et judiciaire que je viens d'évoquer est absolument essentiel et a aussi renforcé notre conviction que ce projet était bien sûr important pour le développement de nos territoires, indispensable sur le plan de l'environnement, mais aussi parfaitement conforme aux règles en vigueur tant sur le plan national qu'européen. Et d'ailleurs, l'ensemble des recours intentés par les opposants ont été rejetés, au premier rang desquels ceux sur les arrêtés relatifs à la loi sur l'eau et aux espèces protégées, tant par le tribunal administratif de Nantes le 17 juillet 2015 que par la Cour d'appel le 14 novembre 2016. Il a alors été souligné que l'impact était réel mais peu impactant sur la totalité des masses d'eau et que « le réaménagement de l'aéroport actuel ne constituait pas une solution alternative présentant un caractère avéré ainsi que l'exige le SDAGE et que ce transfert répondait bien à une raison impérative d'intérêt public majeur, sans alternative avérée, et que les mesures prises n'étaient pas de nature à nuire au maintien de chacune des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle qui s'apprécie aux échelles locales et supra-locales. » Pour la région, ces décisions de justice, qui sont au nombre total de 178 à ce jour, sont essentielles et fondent bien évidemment la parfaite légalité de ce projet. Il appartient au maître d'ouvrage de mettre en place ces mesures de compensation dont les suivis semestriels et annuels sont inscrits dans les arrêtés et centralisés par un observatoire environnemental. Un comité scientifique indépendant, crée en 2013, sera chargé d'expertiser les travaux et vous pouvez compter sur la région pour suivre de près ces mesures au sein du comité de suivi des engagements de l'État et des collectivités territoriales, dont je note d'ailleurs que les associations environnementales sont aussi membres.

Pour conclure, je souhaiterais dire un mot sur le démarrage des travaux car cela concerne également les compensations environnementales, puisque l'impossibilité d'accéder au site ne permet pas de confirmer la présence d'éventuelles nouvelles espèces et de les intégrer dans les procédures administratives qui existent pour de telles découvertes sans bloquer les travaux. Il faut d'abord rappeler que rien n'empêche à ce jour le début des travaux, si ce n'est le blocage de manière totalement illégale et violente du site. Ni sur le plan judiciaire, ni sur un plan environnemental. Je tiens à rappeler également que sur le périmètre de 1 239 hectares de la concession, 463 non aménagés pourront accueillir des compensations environnementales soit près de 40 % de la surface. Enfin, et c'est aussi un des éléments de la loi biodiversité de 2016, les mesures peuvent être mises en oeuvre sur des terrains n'appartenant pas au maître d'ouvrage, qui doit alors conclure des contrats avec les propriétaires, les locataires ou les exploitants. Il faut savoir, contrairement à ce que disent certains opposants, que des propriétaires et des exploitants sont d'accord pour dédier une partie de leurs terres à des compensations. Mais ils sont menacés par les occupants illégaux de la ZAD. Ces occupants, tout comme ils interdisent l'accès au site aux maitres d'ouvrages ou à leurs sous-traitants, dégradent les instruments de mesure comme les piézomètres, rebouchent les mares créées spécifiquement pour la compensation, pillent et saccagent les bureaux d'études chargés des mesures compensatoires, agressent les scientifiques comme ceux de l'université d'Angers le 29 avril 2015, et utilisent ainsi des méthodes sans foi ni loi pour que la règlementation environnementale ne soit pas appliquée. Dans un tel contexte où plus de deux cents exactions ont été commises sur la zone, où beaucoup de riverains, d'exploitants et d'habitants du secteur sont rackettés, où des routes départementales sont privatisées, où une voiture de gendarmerie a été brûlée, où un juge a été « caillassé » et a dû rebrousser chemin, il est évident que beaucoup d'exploitants qui souhaitent contribuer au projet et dédier une partie de leurs terres à ces compensations, attendront que le site soit libéré et que le projet soit irréversible pour se faire connaître officiellement. C'est pourquoi depuis plusieurs mois et notamment depuis le vote du 26 juin décidé par le Président de la République, les collectivités appellent incessamment à l'évacuation du site et au début des travaux afin de respecter le choix démocratique des citoyens, de faire exécuter les décisions de justice, mais aussi de pouvoir réaliser de manière sereine l'ensemble des travaux environnementaux. Et pour parachever de manière remarquable la mise en place de cette démarche, il faut que cette loi soit appliquée. Cette démarche me paraît exemplaire pour d'éventuels futurs projets. Cependant, cette législation, qui est nécessaire, et ces procédures exigeantes, n'auront de sens que si elles permettent au projet d'aboutir car sinon, elles seront perçues uniquement comme des armes à l'encontre des opposants du projet. C'est l'aboutissement du projet qui vérifiera le bien-fondé de cette démarche.

Vous me demandez si la région doit être davantage impliquée dans le choix, la validation et le suivi des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité. Je vous indiquerai que la région a été parfaitement associée au projet d'infrastructures d'ampleur régionale qu'est celui de Notre-Dame-des-Landes. Toutefois, je ne pense pas que la région ait vocation à se substituer aux prérogatives régaliennes en matière d'instruction réglementaire et de contrôle de la séquence ERC et des mesures compensatoires. Par contre, la région, forte de son nouveau rôle de chef de file sur la biodiversité et de son rôle d'élaboration du SRADDET, a vocation à amplifier son implication pour poser le cadre régional et les grandes orientations dans lesquelles s'inscriront les projets.

Ainsi, la loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016 nous demande d'élaborer une stratégie régionale de biodiversité (SRB) et de mettre en place une gouvernance régionale avec l'État. Nous nous sommes déjà saisis de ce sujet, et nous prévoyons de réunir en juin prochain un premier comité régional de la biodiversité (CRB), que nous co-présiderons avec l'État. Ce comité sera consulté sur l'élaboration de notre SRB. Dans ce cadre, nous pourrons travailler ensemble avec nos partenaires pour bâtir une complémentarité entre prérogatives régaliennes et rôle de chef de file de la région, que nous appréhendons davantage comme un rôle d'animation, de valorisation d'initiatives exemplaires, de sensibilisation des collectivités aux enjeux de la préservation de la biodiversité et de soutien au développement des connaissances en lien avec un réseau de partenaires scientifiques et techniques comme le Conservatoire d'espaces naturels (CEN), le Conservatoire botanique de Brest ou encore la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Nous devons également définir un partenariat avec la nouvelle Agence française pour la biodiversité (AFB), mise en place depuis le 1er janvier 2017 par l'État, et qui dispose d'une antenne inter-régionale Bretagne-Pays de la Loire. Il est encore trop tôt pour pouvoir vous exposer dans le détail ce que comprendra cette stratégie, mais je peux d'ores et déjà vous dire que notre approche dans l'élaboration du SRADDET, que nous prévoyons d'adopter pour mi-2019, ne sera pas d'imposer une couche de contraintes supplémentaires aux collectivités et aux porteurs de projets, qui s'imposerait notamment aux documents d'urbanisme, mais plutôt de développer des orientations favorables à la biodiversité sur lesquelles les territoires pourront s'appuyer. Nous avons prévu un dispositif de concertation large sur le SRADDET. Cette réflexion collégiale abordera ainsi les pistes d'amélioration en matière d'évitement, de réduction et de compensation des impacts sur la biodiversité. Nous pourrons également éventuellement étudier, dans le cadre de notre stratégie régionale, des actions du type de celle mise en place dans les Yvelines, concernant un opérateur de compensation des atteintes à la biodiversité. La constitution d'une sorte de « banque » des surfaces de compensation peut être intéressante au niveau régional, mais il existe des points de vigilance sur la question de la pression foncière ou encore du risque de financiarisation de la biodiversité.

L'article L.163-1 du code de l'environnement permet à des personnes publiques d'être opérateurs de compensation depuis la loi sur la biodiversité de 2016. Le département des Yvelines propose une offre de compensation environnementale aux porteurs de projets publics et privés devant compenser les impacts de leurs aménagements sur les milieux naturels. Ce service vise à assurer pour le compte des maîtres d'ouvrages, la maîtrise foncière, la gestion et le suivi des mesures compensatoires sur le long terme, au travers d'une démarche de mutualisation et de cohérence territoriale. Après une expérimentation sur la vallée de la Seine, le département souhaite désormais créer un opérateur de compensation des atteintes à la biodiversité, sous la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP), avec une dotation affichée d'un million d'euros.

La région des Pays de la Loire possède de nombreux acteurs mobilisés pour une meilleure prise en compte de la biodiversité dans les projets d'aménagement. Pour la plupart associatives - comme la LPO ou encore les centres permanents d'initiative pour l'environnement - ces structures accompagnent l'aménagement de sites naturels de compensation ainsi que les maîtres d'ouvrages sur les étapes « éviter » et « réduire ». Le CEN des Pays de la Loire, créé en avril 2015, peut également intervenir dans le respect de la Charte éthique nationale des CEN en matière de compensation écologique. Cette question est d'ailleurs identifiée dans son plan d'actions quinquennal qui fait actuellement l'objet d'un examen dans le cadre de son agrément. Ainsi, il n'est pas certain que la région souhaitera se doter d'une structure unique sur cette question.

Enfin, vous me demandez si la loi biodiversité pourrait être améliorée sur la séquence ERC. La loi est toute récente. Il est un peu prématuré de se poser aujourd'hui cette question ! L'enjeu est sans doute avant tout de la mettre en oeuvre. Nous avons du travail pour mettre en place une gouvernance régionale de la biodiversité, en lien notamment avec la nouvelle AFB, et élaborer une stratégie régionale de biodiversité. Toutefois, certains points concernant les mesures de compensation posent aujourd'hui question, et il pourrait être pertinent, d'une part, de permettre la mise en oeuvre de mesures compensatoires sur des espaces non situés en proximité immédiate mais aux fonctionnalités similaires, à l'échelle de la région, et notamment des sites dont les fonctions écologiques n'ont pas été modifiées. On pourrait, d'autre part, favoriser une gestion agricole durable plutôt que conservatoire de ces mesures compensatoires. Voilà les éléments que je souhaitais vous apporter.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - J'aurai quelques questions. En 2015, vous avez adopté votre trame verte et bleue et votre SRCE. Or, durant nos auditions, il nous a été dit que l'aéroport respectait des continuités écologiques. Quelle est ainsi l'articulation entre la trame, laquelle, par définition, crée de la continuité écologique et a été votée par la région et le projet d'aéroport ?

M. François Pinte. - La difficulté, qui ne vous aura pas échappée Monsieur le rapporteur, réside dans le changement, entretemps, de l'exécutif régional, en décembre 2016. Sur ce calendrier précis et ces échanges, je pourrai vous apporter les informations précises à l'issue de cette réunion.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Puisque les services techniques n'ont pas changé, il serait intéressant que, par écrit, vous nous précisiez comment cette articulation a pu être opérée avec la préservation écologique dont nous ont parlé les maîtres d'ouvrage.

Mme Estelle Sandré-Chardonnal. - Votre question porte-t-elle sur la prise en compte du projet d'aéroport lors de l'élaboration du SRCE ?

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Cette démarche va dans les deux sens. Nous avons été surpris d'entendre, de la part des maîtres d'ouvrage, la confirmation du respect de la continuité écologique via le SRCE. Il nous faut donc comprendre comment cette articulation est réussie. Est-ce que l'aéroport a également intégré un schéma de cohérence ? Nous sommes bien au coeur des prérogatives régionales.

Mme Estelle Sandré-Chardonnal. - Le SRCE définit la trame verte et bleue et identifie les corridors de continuité écologique. En ce sens, les projets doivent prendre en compte les éléments du SRCE lors de leur déclinaison de la séquence ERC. Le SRCE a été approuvé fin mai 2015. Puisque ce projet n'existait pas, il était difficile d'y faire référence !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Certes, mais puisque les maîtres d'ouvrage nous ont déclaré avoir respecté les trames écologiques, on doit les retrouver dans la trame verte et bleue !

Mme Estelle Sandré-Chardonnal. - Ils ont en effet pris connaissance des corridors identifiés au travers notamment de cartographies réalisées et en ont tenu compte au moment de la séquence ERC sur le projet.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous vous saurions gré de nous fournir une analyse écrite de cette cohérence dans les deux sens afin de nous éclairer sur les modalités de l'inclusion de l'aéroport dans une trame verte et bleue régionale. Tous nos interlocuteurs ont d'ailleurs insisté sur l'importance de cette trame pour la définition des stratégies de compensation. Je vais revenir sur la partie « réduire ». Nos auditions ont principalement porté sur la partie « éviter » qui n'était pas au coeur du projet initial d'ailleurs contemporain de la loi de 1976. Sur la partie réduction, la commission du dialogue, que nous avons auditionnée, avait émis des propositions de réduction de l'emprise du projet aéroportuaire, en soulignant que les parkings auraient pu être construits en silo et qu'il n'était pas nécessaire d'y créer de faux bocages. Comment la région, dont vous nous avez confirmé l'implication au sein du SMA sur la partie biodiversité, s'est saisie de ces propositions et, à la suite du rapport de trois inspecteurs généraux, de la proposition de réduire l'emprise ?

M. François Pinte. - Ce sont les maîtres d'ouvrage qui ont eu cette responsabilité et AGO a bel et bien confirmé le cahier des charges. Nous avons pu constater que la partie réduction avait été respectée et intégrée dans la réflexion, y compris dans le plan de la plateforme. En effet, sur les 1 239 hectares de l'emprise aéroportuaire, seuls 537 hectares ont été aménagés à la mise en service, 186 pour la desserte routière et seulement 147 hectares seront artificialisés, soit bien moins que les deux mille hectares bétonnés avancés par les opposants au projet !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous connaissons ces chiffres de l'emprise qui font l'unanimité. Ma question porte sur l'après-projet, suite aux propositions de la commission du dialogue instituée par l'État et du rapport des trois inspecteurs généraux, demandé également par l'État, visant la réduction de l'emprise telle que vous l'avez évoquée. La région a-t-elle été plutôt en soutien de ces propositions de réduction ou considérez-vous comme suffisant le projet initial, ce qui revient ipso facto à la proposition du maître d'ouvrage et de l'État ?

M. François Pinte. - La région a été solidaire, à l'époque, de la décision de l'État.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Sur l'aspect financier, les chiffres qui nous ont été donnés mentionnent une enveloppe d'environ 300 000 euros pour la partie convention avec le monde agricole, pour une surface globale de 1 200 hectares de conventionnement. Considérez-vous cette somme comme raisonnable ? Rapportée à l'hectare, elle s'avère faible par rapport au protocole d'accord avec la chambre d'agriculture. Les collectivités étant potentiellement intéressées par un retour à bonne fortune, si les coûts de compensation venaient à augmenter, les montants induits par ce retour diminueraient, conformément au fonctionnement de la concession. En tant que collectivité, considérez-vous qu'il vaut mieux en rester à l'enveloppe annoncée ou, à l'inverse, en raison des tensions, qu'il est préférable de dégager plus de moyens ?

M. François Pinte. - Les collectivités ont en effet investi à hauteur de 115,5 millions d'euros, dont 40 millions d'euros pour la région, dans le cadre d'avances remboursables qui sont forfaitaires et non révisables. Le financement des collectivités représente 20 % du financement global - ce qui est, somme toute, modeste pour ce type de projet. C'est au maître d'ouvrage, qui assure la moitié du financement, de gérer cela. La mise en place des mesures de compensation est de sa responsabilité et les collectivités ont à chaque fois réaffirmé, au sein du SMA, qu'elles ne financeront aucun surcoût supplémentaire. AGO a présenté une fourchette assez large par rapport aux compensations, ce qui est bien naturel. Simplement, AGO me semble également assumer, dans son étude globale, le fait de pouvoir se donner cette largesse de fourchette afin d'apporter, le cas échéant, une compensation plus importante. AGO dispose de recettes dont certains bénéfices sont fléchés sur le futur aéroport et pourront également permettre, dans une enveloppe globale, ces compensations. En outre, le trafic, en perpétuelle augmentation, avec cinq millions de passagers au premier semestre 2017, laisse augurer des moyens financiers au concessionnaire pour mieux compenser les agriculteurs sur la partie environnementale. C'est pourquoi, le syndicat n'est pas aujourd'hui inquiet quant au dépassement des montants annoncés.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Restons sur l'investissement. Vous nous avez dit que la collectivité était étroitement associée aux mesures de compensation environnementale. Nous n'arrivons pas à obtenir le détail des coûts afférents aux mesures qui elles, sont extrêmement détaillées. Au niveau de la région, dans le syndicat mixte, vous n'avez jamais demandé des précisions sur les coûts d'investissement liés aux mesures environnementales ? C'est un peu pour nous une boîte noire !

M. François Pinte. - AGO est bien plus à même de répondre à votre question !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Dans le syndicat mixte, vous êtes pourtant en capacité de demander au maître d'ouvrage un certain nombre d'éléments. Vous nous avez également indiqué être particulièrement soucieux quant aux questions de compensation environnementale. Malgré cela, vous ne disposez pas d'un chiffrage précis des coûts d'investissement liés aux mesures compensatoires ?

M. François Pinte. - Je ne dispose pas de tels chiffres aujourd'hui.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - J'aurai une dernière question. Conformément aux lois NOTRe et MAPTAM que nous avons votées, votre compétence est également économique. Le document fourni à Bruxelles, où le contentieux reste ouvert, mentionne deux cents hectares de zone économique qui doivent être installés en périphérie de l'aéroport. Or, nous ne disposons pas de leur exacte localisation ! En vertu du schéma de développement économique régional qui vous incombe et qui répond à une attente des autorités européennes, avez-vous une idée de leur situation ?

M. François Pinte. - Entre Nantes et l'aéroport.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Pas au nord ? Vous êtes plus précis que ce que nous avons entendu précédemment.

M. François Pinte. - Je vous confirmerai ultérieurement ce point.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Dans le schéma de développement économique, il va pourtant vous falloir indiquer cette zone économique ! Vous n'avez donc pas, pour l'heure, de vision bien précise de sa localisation ?

Mme Estelle Sandré-Chardonnal. - Le schéma a été adopté par la région à la fin 2016. Je ne suis pas certaine que le schéma ait alors précisé la localisation de ces zones.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - C'est là une vraie question pour nous puisque, dans le contentieux européen, l'Europe nous demande de fournir une évaluation globale du projet quant à ses impacts environnementaux, sachant que ce territoire comprend de nombreuses zones humides. Or, nous ne parvenons à connaître ni le faisceau de la future LGV, ni la localisation des deux cents hectares de la future zone économique. Ces deux éléments ne figurent-ils pas dans le schéma de développement économique de la région pour 2016 ?

M. François Pinte. - Je vous propose de vous confirmer officiellement par écrit notre réponse.

M. Gérard Bailly. - Notre commission porte sur la réalité des compensations des atteintes à la biodiversité constatées dans les grands projets d'infrastructures. Au niveau du conseil régional, qui a connu un changement de majorité l'année passée, ce sujet-là a-t-il suscité l'opposition de certains élus, qui connaissent bien le terrain et considèrent que les mesures de compensation arrêtées ne répondaient pas aux enjeux ? Par ailleurs, au-delà des questions liées à la biodiversité, nous avons entendu des opposants qui ne souhaitaient pas quitter le terrain, faute de compensations, selon eux, insuffisantes, du point de vue économique. Au niveau de ce bassin économique agricole, on peut s'attendre à une diminution globale de la production, en raison des emprises et des modifications de culture entraînées par le projet. L'économie agricole - comme les coopératives, les industriels du secteur agroalimentaire ou encore les exploitations - n'est-elle pas trop touchée par le projet de Notre-Dame-des-Landes ?

M. François Pinte. - Évidemment, les élus d'Europe-écologie-les-Verts se sont élevés contre ce projet, à l'inverse de l'ensemble des autres élus - qu'ils soient socialistes, centristes ou Les Républicains - qui ont fait bloc, quelles que soient d'ailleurs les majorités, pour la conduite de ce projet conforté par 178 décisions de justice et ce, au sein non seulement du conseil régional, du syndicat mixte ou encore de Nantes Métropole ou du département. Toutes les étapes ont bel et bien été respectées. Ces lois sont nécessaires et exigeantes, mais elles ont été respectées. Plusieurs voeux ont été émis, au sein du Conseil régional, sous l'ancienne et l'actuelle majorité, pour soutenir le projet d'aéroport et demander le début des travaux.

M. Gérard Bailly. - On peut être pour le projet sans pour autant compenser à la hauteur des enjeux !

M. François Pinte. - Ce n'est pas l'avis d'une grande majorité d'élus qui pensent que la compensation a été à la hauteur. Vous évoquiez les compensations économiques en faveur des agriculteurs. Nous sommes sortis du protocole d'éviction, en vigueur jusque-là dans les Pays de Loire, en adoptant un protocole dérogatoire apportant des dispositions plus larges. Ainsi, dans le cas d'une éviction totale, lorsque plus de 35 % des terres se trouvent sur le site retenu pour le projet d'aéroport, le calcul de la marge brute à l'hectare est passé, de manière dérogatoire, de trois à six pour la compensation. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle 31 exploitants sur 35 concernés ont accepté cette compensation économique. Aujourd'hui, c'est d'ailleurs la compensation environnementale qui doit avancer et je ne doute pas qu'on parvienne à un accord avec les agriculteurs. Cependant, la situation d'aujourd'hui n'est pas apaisée et de nombreux agriculteurs préfèrent ne pas avancer davantage, de peur de prendre des risques, mêmes personnels, susceptibles de les mettre, avec leur famille, en difficulté.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous avons auditionné la chambre d'agriculture et les deux syndicats - FNSEA et la Confédération paysanne - qui étaient unanimes dans leur refus de la compensation. En effet, ils ne souhaitaient pas de compensation très importante en raison des contractualisations à cinq ans sur une durée totale de cinquante-cinq ans avec obligation de résultats pour le maître d'ouvrage qui laissent la porte ouverte à des renégociations quinquennales. C'est pourquoi, la somme de 300 000 euros allouée à la compensation, dans le contexte de résistance du monde agricole que nous connaissons et compte tenu de la superficie du projet, ne nous paraît pas raisonnable. Elle est manifestement sous-évaluée. Tel était aussi le sens de la question de mon collègue Gérard Bailly. N'avez-vous donc pas le sentiment que nous sommes partis d'un chiffre très bas, avec des conséquences financières très lourdes impliquant des coûts de fonctionnement annuels. Si l'on considère les chiffres fournis par le protocole avec la chambre d'agriculture, on va plutôt atteindre une somme de cinquante millions d'euros sur les coûts finaux induits par la compensation. Un tel chiffrage change ainsi radicalement le modèle économique de la concession !

M. François Pinte. - L'enveloppe globale de compensation environnementale représente quarante millions d'euros.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Non, car dans ce cadre-là, neuf millions d'euros sont consacrés, dans la déclaration d'utilité publique (DUP), à la compensation de la biodiversité. Je vous parle de fonctionnement et non d'investissement !

M. François Pinte. -AGO, dans sa globalité, analyse ce type de risque sur un tel projet qui comprend des zones à risques et des zones plus positives. Si elle considère devoir faire des efforts en termes de compensation supplémentaire, elle aura la capacité de le faire, à la fois par les bénéfices qu'elle cible sur Notre-Dame-des-Landes et la croissance du nombre de ses passagers, vecteur de la croissance de la rentabilité économique de l'aéroport. C'est à elle d'apprécier ce risque comme elle l'a fait dès le début. Cette appréciation s'inscrivant dans les procédures usuelles en matière de risque global.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Vous êtes bel et bien associé à ce risque qui pourrait remettre en cause le principe de retour à bonne fortune !

M. François Pinte. - Nous considérons qu'aujourd'hui ce risque comme limité.

M. Gérard Bailly. - Accepter la construction d'infrastructures n'est jamais chose aisée pour les agriculteurs, qui s'y résignent finalement ! La réaction des responsables agricoles eût été identique quelle que soit l'implantation de ce nouvel aéroport !

M. François Pinte. - Ce projet est connu depuis des années et personne ne peut prétendre l'ignorer. Il est toujours difficile de quitter sa terre ! Le climat est tel que certains peuvent se reposer des questions qu'ils ne se sont pas posées au moment où ils ont donné leur accord. Il faut bien qu'un projet aboutisse à un moment donné !

M. Gérard Bailly. - Les procédures auxquelles ce projet a donné lieu se sont révélées très onéreuses. En avez-vous le chiffrage ? Le maître d'ouvrage devrait le savoir !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Nous attendons toujours sa réponse écrite !

Mme Estelle Sandré-Chardonnal. - J'ai une réponse à votre précédente question qui portait sur le périmètre de protection des espaces agricoles et naturels (PEAN) qui existe et a été adopté. On le trouve sur le site internet du département de la Loire-Atlantique. Avec 17 300 hectares de terres protégées, ce PEAN est le plus grand de France. Sa localisation est précisée par une cartographie. Il devrait s'étendre entre les communes de Cens, Gesvres et Erdre et jouxter Nantes-métropole. Le département constitue avec ses partenaires ce périmètre qui sera au nord de l'agglomération nantaise et l'aéroport.

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Or, la commune de Treillières, située au milieu du tracé du PEAN, n'a pas souhaité le rejoindre. On se retrouve donc avec deux morceaux de PEAN ! En audition, pour votre information, la profession agricole a douté de la possibilité de maintenir de l'agriculture pérenne sur ces espaces, du fait du refus de cette commune d'entrer dans le PEAN.

Mme Estelle Sandré-Chardonnal. - Je souhaitais répondre à votre question sur la localisation des deux cents hectares entre l'aéroport et Nantes !

M. Ronan Dantec, rapporteur. - Si vous pouviez nous indiquer comment s'articule la trame verte et bleue et l'aéroport, en amont et en aval l'un de l'autre, nous en serions grandement satisfaits !

M. François Pinte. - Nous vous apporterons une réponse écrite sur cette question.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie de votre intervention.

La réunion est close à 18h55.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.