Mercredi 7 juin 2017

- Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente -

Rapport « Femmes et agriculture » - Audition de représentants de la Confédération paysanne

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Dans le cadre de nos travaux sur le rapport relatif aux agricultrices - dont le titre, je le précise, n'est pas encore défini -, nous avons le plaisir d'accueillir deux représentantes de la Confédération paysanne : Christine Riba, secrétaire nationale et « paysanne » dans la Drôme, et Véronique Léon, ancienne secrétaire nationale et « paysanne » en Ardèche. Toutes deux sont accompagnées de Mathieu Dalmais, qui est animateur à la Confédération paysanne et s'occupe, entre autres sujets, de la question des femmes.

Je précise que notre réunion fait l'objet d'une captation vidéo.

Nos travaux ont débuté au mois de février, à l'occasion d'un colloque organisé au Sénat, et dont je vous invite à revoir la vidéo sur le site de notre institution. Ce colloque a suscité un tel intérêt que tous les groupes politiques du Sénat ont souhaité participer à ces travaux et ont tous désigné un ou une rapporteur. Nous comptons donc six co-rapporteurs : Annick Billon, pour le groupe UDI-UC, Corinne Bouchoux, pour le groupe écologiste, Brigitte Gonthier-Maurin pour le groupe communiste, Françoise Laborde pour le RDSE, Didier Mandelli pour le groupe Les Républicains et Marie-Pierre Monier pour le groupe socialiste. Cette dernière ne pouvait être présente aujourd'hui en raison d'un contexte électoral particulièrement chargé.

Depuis le colloque du 22 février, nous avons organisé deux tables rondes en mars et en avril, l'une sur l'enseignement agricole et la formation des agricultrices, l'autre sur les questions sociales. Nous avons également mené un certain nombre d'autres d'auditions : celle de Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, le 23 mai, et celle des représentants des Jeunes agriculteurs jeudi dernier.

Nos co-rapporteurs se sont rendus sur le terrain : dans la Drôme le 6 avril, en Vendée les 15 et 16 mai et à Toulouse le 30 mai. Un dernier déplacement est prévu en Bretagne le 14 juin.

Nous espérons pouvoir adopter le rapport en délégation d'ici au début du mois de juillet et organiser un débat sur ses conclusions à la rentrée, au mois de septembre idéalement. Nous aurons alors des députés « tout frais » et des sénateurs tout à fait intéressés à montrer qu'ils sont présents sur ce sujet.

Les différents témoignages recueillis au cours de ces nombreux déplacements et auditions sont assez concordants. Ils soulignent les difficultés rencontrées par les agricultrices pour financer leur projet d'installation et accéder à la terre, ainsi que celles auxquelles elles sont confrontées en matière de protection sociale, avec la question des statuts et des retraites en particulier.

Nous nous intéressons aussi beaucoup à leurs difficultés d'accès à la formation continue et, sujet récurrent qui n'est pas propre au monde agricole, à leur insuffisante représentation dans l'ensemble des instances décisionnelles, cette faible représentation n'étant pas uniquement liée à des considérations de conciliation des temps.

Dans la continuité de ces travaux, il nous paraissait nécessaire de recevoir votre syndicat, particulièrement soucieux de la « défense des droits, du revenu, de l'autonomie et de l'avenir des paysans ». Aussi, nous souhaiterions vous entendre, d'abord de manière très générale, puis à travers les questions des co-rapporteurs, sur le constat que vous dressez s'agissant de la situation des femmes dans le milieu agricole et des difficultés que celles-ci rencontrent pour accéder au métier d'agricultrice ou de paysanne ; le cas échéant, sur les propositions que vous formulez pour remédier à cette situation. Peut-être, au préalable, serait-il intéressant que vous nous présentiez votre propre parcours, puisque vous êtes deux femmes ayant, précisément, accédé aux instances de décision de votre syndicat.

Mme Chistine Riba, secrétaire nationale de la Confédération paysanne et « paysanne » dans la Drôme. - Je tiens tout d'abord à vous remercier de votre invitation et du travail que vous menez sur la place de la femme dans l'agriculture. Nous sommes ravis de voir que nos élus se penchent très sérieusement sur ce sujet, qui nous tient à coeur.

La Confédération paysanne a placé l'agriculture paysanne au coeur de son action. Cela implique différentes dimensions, que nous représentons sous la forme d'une marguerite à plusieurs pétales. Nous accordons dans ce cadre une importance particulière au volet social. Cet aspect de notre lutte peut être considéré comme novateur.

S'agissant de mon parcours, après avoir obtenu un BTS agricole, j'ai été salariée agricole pendant plusieurs années. Puis, j'ai alterné entre animation et travail sur les exploitations.

Mes envies d'installation remontent à mes quinze ans. Mais j'ai vite compris que je ne pouvais pas mener un tel projet seule. Il me fallait trouver des complémentarités en termes de compétences. C'est la raison pour laquelle je ne me suis installée que beaucoup plus tard, à l'âge de quarante ans, après avoir eu trois enfants. Je me suis décidée à l'issue de mon dernier congé parental. Mon mari n'est pas agriculteur ; il travaille à l'extérieur. Mais étant très bricoleur, il peut m'aider avec les réparations de matériel. J'ai commencé avec du raisin de table en agriculture biologique. Puis, nous avons complété l'exploitation avec une activité de gîte.

Je me suis toujours intéressée à ce qui se passait au niveau de la Confédération paysanne et je me suis toujours investie dans le tissu associatif, étant convaincue que chacun doit faire sa part pour que le monde tourne. L'engagement a donc du sens pour moi. J'ai d'ailleurs été pendant dix ans conseillère municipale.

Au moment de mon installation, j'ai commencé à m'investir dans la Confédération paysanne, au niveau départemental, puis régional, enfin national. Depuis un an et demi, je suis membre du secrétariat national. Dans ce cadre, je me suis penchée sur les dossiers OGM semences, femmes, bio, relocalisation ; je m'occupe aussi des Rencontres nationales des agricultures et suis impliquée sur le volet international, avec la Via campesina1(*).

Mme Véronique Léon, ancienne secrétaire nationale de la Confédération paysanne et « paysanne » en Ardèche. - Je m'associe aux remerciements qui viennent d'être exprimés ; c'est un honneur de pouvoir nous entretenir avec vous.

Pour ma part, ma vocation remonte à mes dix-huit ou dix-neuf ans. Originaire de Paris, j'ai eu un véritable coup de foudre pour l'agriculture. J'ai effectué des stages avant de m'installer une première fois, avec mon premier mari, en 1978. Cette expérience a duré huit ans, pendant lesquels j'ai travaillé quinze heures par jour. Mais comme j'étais alors ayant droit, sans aucun statut, je ne bénéficie d'aucun point de retraite pour cette partie de ma vie professionnelle.

Après notre séparation, mon ancien mari ayant gardé la ferme, j'ai repris des études agricoles et j'ai travaillé douze ans en chambre d'agriculture, en tant que technicienne caprin et fromagère. Ces douze années me rapporteront les deux tiers de ma maigre retraite.

Mon nouveau mari était fils d'agriculteur et avait le désir de monter une ferme. Malgré ma crainte d'un nouvel échec, nous nous sommes lancés. Nous avons démarré une activité à partir de rien : j'étais mère de quatre enfants et j'avais conservé mon travail. Nous avons commencé avec 25 chèvres laitières. Nous en avons aujourd'hui 58 et exploitons, en plus, trois hectares de châtaigniers. Nous travaillons en agriculture biologique et transformons toute notre production, ce qui nous permet d'en vivre très bien.

Quand le statut de conjointe collaboratrice a été créé en 2000, j'ai sauté sur l'occasion. C'était déjà mieux que rien et cela me permettait de quitter la chambre d'agriculture. Mais je voulais avoir un vrai statut : en 2011, mon mari et moi avons donc opté pour un dispositif de GAEC - groupement agricole d'exploitation en commun. C'est extrêmement valorisant d'être à parts égales dans l'exploitation, de pouvoir faire valoir mon statut d'associée à part entière, y compris face à mon mari quand il prend des décisions seul. Cette étape est importante dans mon parcours : je ne pensais pas que cela me changerait à ce point.

Désormais, je suis en phase de transmission, au bénéfice d'une jeune femme de trente ans, qui suit un stage « Reprise d'exploitation agricole » pendant un an. Ce dispositif, financé par la région, est très intéressant. Si tout se passe bien, je serai l'année prochaine pensionnée de la Mutualité sociale agricole (MSA), à raison de 690 euros par mois !

Mon parcours militant a démarré assez tard, en 2003, mais nous avons la possibilité, à la Confédération paysanne, de nous retrouver très rapidement aux responsabilités. Après avoir été secrétaire nationale pendant deux ans, je fais désormais partie de certaines commissions, notamment la commission « femmes », et suis très impliquée au niveau local. Je participe aussi beaucoup au projet Via campesina, qui me tient à coeur.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Quels sont, d'après vous, les points les plus marquants s'agissant de la situation des femmes dans l'agriculture ?

Mme Christine Riba. - L'une des revendications de base que nous portons n'est pas propre au monde agricole. Il s'agit d'assurer, à travail égal, un salaire égal.

La question de la parité nous tient également à coeur. Voilà quelques années, des femmes se sont attachées à revendiquer la parité au niveau de la Confédération paysanne. Nous ne sommes pas encore parvenus à une stricte parité, mais le ratio de 30 % que nous avons fixé pour toutes les instances représentatives de la Confédération paysanne est scrupuleusement respecté : si l'on ne trouve pas suffisamment de femmes, le nombre de représentants est diminué dans les instances concernées.

Nous travaillons aussi à la féminisation de tous les textes émanant de la Confédération paysanne. C'est une façon d'attirer un peu plus l'attention sur cette problématique.

Mme Véronique Léon. - Nous nous sommes bagarrées pour que la situation évolue, car, à plusieurs reprises, nous avions constaté à quel point il manquait de femmes à la tribune. Un autre exemple, à la chambre d'agriculture de l'Ardèche, où j'ai été élue pendant deux mandats, le bureau était composé de six hommes et d'une femme, qui était systématiquement reléguée en bout de table, derrière le pot de fleurs ! Au bout d'un moment, elle n'est plus venue. Le travail restant à faire sur la représentation féminine est donc considérable.

Mme Christine Riba. - En préparant cette rencontre, nous avons pu constater que nos principales revendications - le droit au revenu, l'évolution des prestations sociales et l'amélioration des dispositifs de retraite - concernent aussi bien les hommes que les femmes, mais ces problématiques sont un peu plus accentuées chez les femmes. Sur toutes ces thématiques, c'est un travail général qui doit être mené.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Ma première question concerne le foncier et les aides financières. Vous n'avez rien dit de la façon dont vous avez obtenu vos terres et, en tant que représentantes de la Confédération paysanne, vous devez être informées de certains problèmes. Comment préconisez-vous de les résoudre ?

Le stage « Reprise d'exploitation agricole » a été évoqué. Nous avons vu, lors de nos déplacements, que certains dispositifs n'existent pas forcément partout. Est-ce le cas de ce type de stages ? Il est intéressant, pour nous qui devons émettre des recommandations, d'avoir connaissance des expériences positives menées sur certaines zones du territoire et pouvant être généralisées sans trop de difficultés.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, co-rapporteure. - Les différentes auditions que nous avons menées et nos déplacements sur le terrain nous laissent le sentiment de parcours très difficiles, hachurés, dans lesquels on essaie, on renonce, on recommence. Vous parlez de combat ; nous combattons aussi ! Hier encore, j'ai reçu une lettre dans laquelle on s'adressait à moi en m'appelant « madame le sénateur » !

Mes interrogations portent également sur l'accès au foncier. Par ailleurs, cela a été mentionné, il faut s'attaquer à la nature des prestations sociales, car nous avons pu constater les difficultés liées aux congés de remplacement et aux congés de maternité, y compris en cas de grossesse problématique. La question de la retraite, enfin, est primordiale, mais elle est indissociable de la question de la pérennité d'un revenu, évidemment égal à celui des hommes.

Le statut a d'ores et déjà évolué. Toutefois, quelle mesure faudrait-il prendre immédiatement pour apporter un peu plus de soulagement et assoir un statut  protecteur ?

Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteure. - Notre rapport porte sur les agricultrices. Toutes deux membres de la Confédération paysanne, vous vous revendiquez « paysannes ». Pouvez-vous expliciter comment ces deux termes se recouvrent et se distinguent ?

Par ailleurs, au-delà des grands thèmes que nous allons aborder et qui vous tiennent à coeur, j'aimerais profiter de votre présence pour savoir comment la Confédération paysanne réfléchit à une évolution de l'agriculture, afin de rendre celle-ci moins intensive et moins utilisatrice de pesticides.

Mme Véronique Léon. - L'accès au foncier est, en matière d'installation, l'un des problèmes les plus aigus. Voilà vingt ans que mon mari et moi sommes installés : nous avons péniblement obtenu 3 hectares, la mairie nous en a donné 3 autres en fermage pour nous aider, et tout le reste des 74 hectares que nous déclarons à la PAC relève d'accords précaires, y compris les 3 hectares de châtaigniers.

Il est vraiment difficile d'obtenir un bail ou une vente, et l'accroissement des fermes et l'urbanisation restreignent encore plus l'accès au sol.

Je ne pense pas que, en la matière, il y ait une véritable différence entre un homme et une femme, mais le combat est encore plus rude lorsqu'on est une femme. Je pense à une jeune maraîchère de ma région qui, cherchant depuis dix ans des terres en céréales avec le projet de devenir paysanne boulangère, a dû batailler ferme pour récupérer 10 hectares de terres céréalières qui se sont libérées voilà un an et sur lesquelles tous les agriculteurs du coin se sont jetés comme des voraces. Elle aussi a reçu des lettres dans lesquelles on l'appelait « monsieur », et ce n'était pas une erreur !

Dernier point, du fait de la faiblesse des retraites, les agriculteurs partant à la retraite ont souvent du mal à laisser la terre pour un prix relativement bas.

Ce sujet de l'accès à la terre est donc une vaste question.

Mme Christine Riba. - Nous savons que certains ont le projet de retravailler le statut du fermage. Nous ne lâcherons rien en la matière : ce statut, dont l'élaboration a pris du temps, est protecteur pour les paysans.

Les questions de l'installation et de la transmission vont de pair. Si nous progressons en matière d'installation, il reste beaucoup à faire au niveau de la transmission, qui met en jeu beaucoup de facteurs humains. Seul un voisin ou un collègue - et non un technicien - peut aborder ce sujet avec un paysan proche de la retraite. Il est alors possible de lui présenter un jeune ou un moins jeune avec un projet d'installation. Il y a donc là un véritable travail de coordination et d'animation à mener. Or, dans certaines régions, comme en Auvergne-Rhône-Alpes, les financements manquent pour cela.

Il en va de même pour les pépinières, qui existent dans plusieurs endroits. Ce sont soit des lieux achetés par des collectivités locales, soit des terres cédées par des paysans ou des paysannes, qui permettent à de jeunes porteurs de projet de tester et d'expérimenter leur projet. Ces dispositifs, qui donnent des résultats assez intéressants, exigent également un minimum d'animation et de coordination.

Mme Véronique Léon. - Il existe un document qui est adressé à ceux qui sont sur le point de partir à la retraite : la DICAA ou déclaration d'intention de cessation d'activité agricole. Une fois renvoyée à la chambre d'agriculture, celle-ci est censée mettre en relation les cédants avec des porteurs de projet. Nous souhaiterions rendre cette déclaration obligatoire, afin de faciliter les travaux d'approche.

Par ailleurs, il me semble que le stage « Reprise d'exploitation agricole » existe dans toutes les régions, peut-être avec des modalités et un financement différents. S'agissant de notre cas, la personne qui va me remplacer sur la ferme perçoit pendant un an 710 euros par mois, auquel nous ajoutons 450 euros. Elle est en outre nourrie et dispose d'une assurance sociale. Le financement est assuré par la région. Il n'est donc sans doute pas uniforme selon les territoires.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, co-rapporteure. - Cette situation peut conduire à des inégalités d'accès au dispositif.

Mme Christine Riba. - Nous réclamons effectivement que de telles mesures soient homogénéisées au niveau national.

Mme Véronique Léon. - Nous parlons de combat, car c'est un parcours difficile que d'être paysan ou paysanne. Il faudrait déjà promouvoir l'installation progressive. Pour obtenir des aides à l'installation, il faut tout de suite se lancer dans des investissements inconsidérés, des projets d'agriculture productiviste, alors que l'on peut parfaitement s'en sortir avec peu, en achetant d'occasion, en étant économe.

La question des remplacements est également de première importance, que ce soit pour les maternités, les maladies, mais aussi pour les vacances ou les surcroîts d'activité. Les services de remplacement m'ont sauvé la vie, mais ils n'existent pas partout et leur fonctionnement varie aussi selon les zones, ce qui crée une offre inégale. Par exemple, dans mon département, nous payons 60 euros pour une journée de formation, quand d'autres paient 90 euros ou 40 euros.

Mme Christine Riba. - La problématique des congés peut paraître anecdotique, mais nous avons aussi besoin de vacances et de pouvoir déconnecter. À l'heure où l'on parle de burn out et de suicides des paysans, c'est un besoin réel. Peu se l'autorisent ; en l'absence d'aide, la situation va perdurer.

Mme Véronique Léon. - Les services de remplacement constituent vraiment un bel outil. À ce titre, je trouve dommage qu'il ne soit désormais plus nécessaire de passer par un service de remplacement pour pouvoir récupérer des jours de congés. Ce sont des associations locales, qu'il convient de faire travailler, et la démarche est plus forte.

Mme Christine Riba. - Il n'existe pas de service de remplacement partout et, parfois, la démarche est lourde et complexe. Cela explique que certaines femmes ne se fassent pas remplacer.

Mme Véronique Léon. - Une autre raison est le manque d'informations. Compte tenu des savoir-faire assez complexes, les paysans ou paysannes ont souvent tendance à croire que personne ne peut les remplacer. Or il est parfaitement possible - comme je l'ai fait - de prendre une personne du service de remplacement qui ne travaillera que pour celui ou celle qui en fait la demande, par exemple dans le cadre d'un congé de maternité, et, donc, de la former. Il faut le faire savoir.

En ce qui concerne les retraites du régime agricole, les femmes touchent 550 euros en moyenne par mois pour une carrière complète, contre 830 euros pour les hommes, soit un tiers de moins. Cherchez l'erreur ! Le même écart existe pour les autres professions. Il est vrai que nous n'avons pas beaucoup cotisé, mais une refonte générale nous apparaît comme nécessaire.

Dans le statut d'exploitant agricole, la cotisation annuelle minimale est de 3 000 euros, ce qui peut représenter une somme élevée, par exemple en phase de démarrage de la ferme. C'est pour cela que nous défendons l'idée d'une installation progressive. Des mécanismes existent déjà, mais ils ne suffisent pas.

De manière générale, la Confédération paysanne, qui préfère le terme de cotisation plutôt que celui de charge, propose de diminuer ce minimum, mais aussi d'augmenter le plafond des cotisations afin d'en accroître la proportionnalité. Il existe un plafond de cotisation sur les plus gros revenus. Pourquoi ne pas le supprimer ? Il faut savoir que, en 2016, beaucoup de paysans n'ont gagné que 350 euros par mois. Ce niveau ne peut que creuser les dettes et aboutir à des retraites encore plus minables qu'elles ne le sont aujourd'hui. Nous revendiquons un niveau de retraite d'au moins 1 000 euros par mois pour toutes les carrières complètes. On en est loin !

Mme Christine Riba. - Nous insistons beaucoup sur cette absence de progressivité. Je vais vous citer mon exemple. Lorsque j'ai démarré l'exploitation, je ne pouvais pas bénéficier du statut agricole, parce que la surface était insuffisante. Je me suis donc installée sous le statut de cotisante solidaire : j'étais couverte par mon mari, qui travaillait à l'extérieur, en termes de protection sociale. Je n'avais donc pas de droits en mon nom, en particulier au titre de la retraite. Aujourd'hui, la notion de cotisant solidaire évolue et la question se pose de savoir si je passe sous le statut d'exploitante agricole : en tant que militante syndicale, je préférerais évidemment cette solution, mais elle pourrait entraîner une augmentation des cotisations, alors même que je bénéficie de la couverture sociale de mon mari.

Les cotisations minimales sont toujours très élevées, en particulier pour les petites structures. Il faut donc lier plus nettement les cotisations aux revenus et appliquer davantage de proportionnalité.

Mme Véronique Léon. - Paysan ou agriculteur ? Le mot paysan correspond mieux à notre philosophie et au mode de ferme que nous défendons ; nous ne voulons pas réduire ce qui est, au fond, notre vie à simplement un métier. D'une certaine manière, je relie cela à l'approche que les compagnons ont de leur profession : ils estiment que, toute leur vie, ils apprennent et transmettent.

Mme Christine Riba. - Pour nous, il ne s'agit pas seulement d'un métier ; notre approche est plus large, elle inclut la relation et le partage avec les autres, ce qu'on sent davantage dans le mot paysan. Beaucoup de nos collègues étrangers de la Via campesina parlent plutôt d'agroécologie, mais ils connaissent, en pratique, la même différence que nous entre une agriculture industrielle et une agriculture paysanne.

Mme Annick Billon, co-rapporteure. - Lors de nos déplacements, nous avons pu constater que de plus en plus de femmes s'installent, mais qu'elles ressentent souvent un sentiment d'isolement. Elles étaient d'ailleurs heureuses de participer à nos travaux, car elles y ont aussi vu le moyen de mieux se structurer et partager leurs problèmes. Nombre de ces femmes se sentent seules face à leurs préoccupations et rencontrent des difficultés pour s'engager et aller vers d'autres agricultrices ou agriculteurs.

Lors du déplacement organisé par Françoise Laborde à Toulouse, nous avons visité plusieurs établissements de formation. Nous avons constaté que, derrière une certaine parité globale, il existait en fait une spécialisation : les femmes sont nettement plus souvent dans les métiers de service. Quelles sont les mesures qui pourraient, selon vous, attirer les femmes vers d'autres métiers de l'agriculture ? En particulier, comment les inciter à s'installer ?

Enfin, avez-vous constaté des progrès par rapport aux difficultés que vous avez vous-même vécues durant vos parcours ? Et conseilleriez-vous à vos filles d'aller vers ces métiers ?

M. Didier Mandelli, co-rapporteur. - Lors du colloque organisé par la délégation et durant les déplacements, nous avons souvent entendu le fait que les femmes avaient une propension plus forte à se tourner vers une agriculture plus respectueuse, axée sur des circuits courts et des contacts avec le consommateur. Qu'en pensez-vous et retrouvez-vous cette différence d'approche entre les hommes et les femmes au sein de la Confédération paysanne ?

Mme Chantal Deseyne. - Je dois d'abord dire que je suis une élue d'Eure-et-Loir, département agricole qui ne se limite pas à la Beauce... À l'est du département, il y a le Perche, où se pratique l'élevage.

Je souhaite revenir sur l'évolution des mentalités et sur les retraites. Quelle place les hommes consentent-ils à laisser aux femmes dans l'agriculture ? Est-ce que les mentalités évoluent ? En ce qui concerne les retraites, qui sont clairement insuffisantes dans le monde agricole - nous en sommes bien d'accord -, quelles sont précisément vos propositions ? Vous évoquiez une forme de péréquation, mais elle existe déjà de fait, puisque, quel que soit le département ou la forme d'agriculture, la retraite tourne autour de 850 euros par mois.

Mme Christine Riba. - En ce qui concerne l'isolement, hommes et femmes peuvent le ressentir, même si ces dernières le ressentent sûrement plus directement. Cela dépend beaucoup du dynamisme du territoire. Les ADEAR, associations pour le développement de l'emploi agricole et rural créées par la Confédération paysanne, à l'échelle départementale et régionale, avec aussi une fédération nationale, sont ouvertes à tout le monde - pas seulement à nos adhérents - et permettent d'accueillir des porteurs de projets, de mettre en place des formations ou d'organiser des espaces de rencontres ou des cafés paysans. Ces structures très dynamiques accueillent souvent une forte proportion de femmes.

Mme Véronique Léon. - Il est vrai que les femmes sont souvent plus isolées. Par exemple, quand on organise une formation, il faut vraiment aller les chercher pour qu'elles s'inscrivent. C'est la même chose pour un engagement militant ; vous le savez, les femmes ne se mettent pas souvent en avant. Le premier pas est difficile - ne serait-ce que pour laisser le mari préparer à manger -, mais une fois qu'elles y sont, cela crée une émulation et elles peuvent discuter ensemble de leurs problèmes.

L'isolement peut aussi être accentué par le déséquilibre dans la répartition du travail : aux hommes, les travaux techniques ou physiques ; aux femmes, la transformation, la vente, l'accueil... et les enfants !

Mme Christine Riba. - À la Confédération paysanne, il n'y a pas franchement de différence entre les hommes et les femmes en ce qui concerne la mise en avant des circuits courts ou de la vente directe. Environ 60 % de nos adhérents ont une ferme en bio. Il n'y a donc pas d'automaticité, mais il existe un lien avec la notion d'agriculture paysanne, proche des territoires, que nous défendons.

Cette année, nous mettons particulièrement en avant le thème du droit au revenu. Aujourd'hui, le système fait que les revenus des paysans sont souvent faibles : tant que cette situation perdurera, les problèmes de prestations sociales faibles, en particulier pour la retraite, persisteront eux aussi. De plus, lorsque les revenus sont faibles, c'est souvent la femme qui est contrainte d'aller trouver un emploi ailleurs pour « faire bouillir la marmite »...

Si les produits agricoles étaient mieux rémunérés et payés au juste prix, on aurait peut-être moins de problèmes sociaux. Nous militons d'ailleurs pour l'interdiction de vendre en dessous du prix de revient, mais c'est évidemment un problème plus général.

Mme Véronique Léon. - Certains organismes, comme le CIVAM2(*), proposent des formations spécifiques pour les femmes, en particulier dans des secteurs traditionnellement masculins, comme la menuiserie, la mécanique ou la soudure. Elles permettent de moins avoir de complexes. Cela rompt aussi l'isolement des femmes. La répartition « naturelle » des tâches entre les hommes et les femmes peut donc évoluer, mais il faut des formations adaptées.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, co-rapporteure. - Ça pose aussi la question de l'ergonomie.

Mme Christine Riba. - Justement, les femmes sont, en fait, plus attentives à ce sujet. Comme elles ont moins de force physique, elles font plus attention et développent des stratégies de « débrouille » qui sont très efficaces.

Vous nous avez demandé ce que nous conseillons à nos filles. Sans aucune hésitation, je leur conseille de s'installer, mais dans une production qui leur fait plaisir. Ceux qui ne vont pas bien dans le métier ont malheureusement perdu ce plaisir. Je conseille aussi de s'engager dans des espaces collectifs pour pouvoir échanger et communiquer avec les autres. Enfin, donner de la visibilité peut inciter les femmes à venir dans l'agriculture ou à sortir de l'isolement.

Mme Véronique Léon. - Je crois que si les parents prennent plaisir à ce qu'ils font, les enfants auront envie de poursuivre. Personnellement, ma fille a essayé pas mal de choses, mais, finalement, elle veut être paysanne, elle va s'installer avec son compagnon et ils vont reprendre la ferme de ses parents.

Mme Christine Riba. - De plus en plus de femmes s'installent, ce qui montre bien que les choses changent. L'essentiel, c'est la dynamique des installations et du collectif, car, en fait, elle s'entretient et s'alimente elle-même.

Vous évoquiez tout à l'heure la question des pesticides : la Confédération paysanne prône la sortie des pesticides, mais dans un processus de transition et avec un accompagnement fort. Il ne sert à rien de culpabiliser les paysans sur ce sujet. C'est peut-être un cliché, mais je crois que les femmes sont plus sensibles sur ces questions ; on le voit bien dans les couples d'ailleurs, où c'est souvent la femme qui pousse à passer en bio.

En ce qui concerne le statut et une mesure immédiate qui permettrait de le conforter, il nous semble qu'il faut sortir des « sous-statuts » existants, tout en permettant des transitions en cas d'installation progressive. Que chacun puisse avoir un réel statut, comprenant des cotisations et des prestations correctes ! Mais la condition pour cela, c'est le revenu. Nous en revenons donc toujours à la question de la rémunération de la production, sujet où de gros progrès restent à faire.

Mme Véronique Léon. - La Confédération paysanne propose que le statut de conjointe collaboratrice ne soit que transitoire, pour un maximum de cinq ans. Il faut qu'après cette période la femme ait un statut à part entière.

Mme Christine Riba. - Nous sommes favorables à un montant minimum de retraite de 1 000 euros par mois pour tous, soit 85 % du SMIC, ainsi qu'à la fin des assiettes et des plafonds et à la proportionnalité.

Autre question que vous avez posée, la mentalité des hommes. Je crois qu'elle évolue en effet, en particulier chez les plus jeunes.

Mme Annick Billon, co-rapporteure. - De quelle manière précisément ?

Mme Christine Riba. - On sent tout de même une volonté, de la part des hommes, de laisser de la place aux femmes et de s'occuper davantage des enfants. Il arrive aussi que les hommes fassent en sorte que le partage des tâches soit plus égalitaire, y compris pour celles qui sont physiques.

Mme Véronique Léon. - Ce qui pourrait concrètement aider, c'est la mise en place du congé de paternité, qui existe dans le régime général, mais pas dans le régime agricole. On voit qu'aux inégalités entre femmes et hommes se superposent des inégalités entre catégories socio-professionnelles.

Mme Françoise Laborde. - Le congé paternité du régime général n'est pas toujours pris...

Mme Chantal Deseyne. - Quelles propositions faites-vous précisément pour revaloriser les retraites agricoles ?

Mme Christine Riba. - Vous nous avez demandé notre avis sur ce qui nous paraîtrait la meilleure solution entre le fait de procéder à un calcul sur les vingt-cinq meilleures années, ou d'enlever les plus mauvaises... Il nous paraît difficile de trancher. Ne pourrait-on pas aller plus loin et garder les cinq meilleures années ? Nous souhaitons une solidarité nationale dans le financement des retraites.

Mme Véronique Léon. - La Confédération paysanne a adopté une déclaration, que je vous propose de lire pour que les choses soient claires.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Allez-y !

Mme Véronique Léon. - « Nous sommes le seul syndicat à affirmer que ce sont des installations nombreuses maintenant qui feront les cotisants de demain. Nous affirmons que, dès maintenant, aucune retraite ne doit être inférieure à 1 000 euros par mois et qu'il faut aboutir au plus vite à des retraites à parité avec les autres catégories socioprofessionnelles. Il faut en finir avec les sous-statuts de conjoints collaborateurs et d'aides familiaux, coupables des trop faibles pensions pour les agricultrices. À travail égal, pension égale !

« Pour financer l'amélioration des retraites, la Confédération paysanne avance des propositions concrètes, tant auprès du ministère de l'agriculture que de celui des affaires sociales ou encore de la MSA :

« - supprimer l'assiette de cotisation plafonnée à 37 000 euros ;

« - changer les règles fiscales pour les sociétés agricoles, car les montages sociétaires, les niches fiscales (revoir à ce titre l'exonération sur les plus-values) creusent un fossé entre le "revenu de la ferme France" (9,7 milliards d'euros en 2013) et l'assiette des revenus soumis à prélèvements sociaux (6,5 milliards) ;

« - taxer davantage les plus-values sur les terres agricoles changeant d'affectation (70 000 hectares pour "aménagement du territoire" et constructions) ;

« - élargir l'assiette de prélèvement aux revenus financiers et fonciers ;

« - revoir les assiettes minimales de cotisations, en transférant une partie des cotisations sur la CSG-CRDS qui visent l'ensemble des revenus du travail et du capital.

« Au-delà, la MSA doit rendre beaucoup plus clair le calcul du montant de nos pensions : les notifications sont incompréhensibles !

« La majoration de la pension (10 %) pour trois enfants doit devenir forfaitaire. Il faut abolir le coefficient de minoration qui pénalise les carrières incomplètes. »3(*)

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je vous remercie de ces précisions et, plus généralement, je vous propose de laisser à nos co-rapporteurs les éléments écrits que vous avez préparés.

Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteure. - Le Président de la République a annoncé une possible éligibilité aux allocations chômage pour les agriculteurs. Je sais que cette question suscite une certaine perplexité dans nos territoires. Qu'en pensez-vous ?

Mme Véronique Léon. - Il existe une différence notable entre le travail salarié et celui dans une ferme : si nous sommes au chômage, ce n'est pas par absence de travail, mais par manque de revenu ! Si nous avions des prix corrects, nous n'aurions pas besoin de revenus de remplacement...

Mme Christine Riba. - On en revient toujours à la même problématique : le droit au chômage est proportionnel à ce qu'on a gagné avant... En l'état, ce n'est donc pas une solution pour nous ou alors il faut réfléchir en termes de forfait.

En cette fin de réunion, je souhaite en tout cas vous remercier de vous être saisis de ces diverses questions. Deux sujets sont particulièrement importants pour nous : les prestations sociales et le droit au revenu. Si l'on pouvait avancer là-dessus, ce serait un progrès pour notre société entière car, sans revenu, on ne peut pas cotiser correctement pour bénéficier d'une protection sociale.

Mme Véronique Léon. - J'ajoute un autre sujet, celui de la pension de réversion. Dans n'importe quelle profession, quand l'un des deux époux décède, l'autre touche la pension de réversion. En agriculture, non, car le plafond de revenus pour l'obtenir est extrêmement bas (entre 1 000 et 1 200 euros par mois). Il suffit d'avoir une toute petite retraite complémentaire qui dépasse ce montant pour ne pas y avoir droit. Je pense à ma tante qui est dans ce cas. Cela me paraît incroyable. Il sera bien de faire évoluer cette situation.

Mme Christine Riba. - C'est l'une des spécificités du régime agricole, et c'est vécu comme une injustice par le monde paysan !

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je souhaite vous remercier très chaleureusement de votre présentation et de l'ensemble des informations que vous nous avez données.


* 1 Mouvement paysan international qui regroupe 164 organisations locales dans 73 pays.

* 2 Centre d'Initiatives pour Valoriser l'Agriculture et le Milieu rural.

* 3 Source : Document de la Confédération Paysanne : « Pour une véritable politique de l'emploi en agriculture : protection sociale agricole, des solutions pour l'avenir », supplément à Campagnes solidaires n° 302, décembre 2014.